Mercredi 16 juin 2021

- Présidence de Mme Céline Boulay-Espéronnier, vice-présidente -

Audition d'organisations syndicales représentant les personnels médico-sociaux de l'Éducation nationale

Mme Céline Boulay-Espéronnier, présidente. - Nous reprenons notre cycle d'auditions en entendant sous la forme d'une table ronde les représentants des principaux syndicats de personnels médico-sociaux de l'Éducation nationale. Je vous prie de bien vouloir excuser la présidente Sabine Van Heghe qui est retenue par des obligations impératives dans son département et ne pourra donc pas nous rejoindre cet après-midi.

Votre présence traduit concrètement la volonté de notre mission d'information, volonté partagée par l'ensemble des groupes politiques du Sénat, de mieux comprendre ce phénomène et sa démultiplication dans l'espace « cyber ». Votre éclairage est essentiel car nos premières auditions l'ont souligné : ce sont les personnels médico-sociaux, compte tenu de leurs liens de confiance avec les élèves,  qui sont souvent les premiers à être informés de ces violences « en meute » par les victimes.

Le harcèlement scolaire est un fléau surtout quand il s'opère presque sans limite dans le monde « cyber » de façon anonyme, hors de l'enceinte physique de l'école, ce qui en décuple les effets dévastateurs. J'insiste sur ce point, car on ne peut pas parler de harcèlement sans évoquer le cyberharcèlement, les deux allant de pair. Nous voulons, à l'issue de nos travaux en septembre, aboutir à des conclusions opérationnelles en s'appuyant sur l'ensemble des parties concernées.

Votre regard est donc très important pour bien cerner et définir la notion, apprécier son ampleur et ses manifestations, mais aussi décrire le rôle des personnels médico-sociaux face au phénomène et évoquer les difficultés auxquelles ils sont confrontés tant dans la mise à jour des situations de harcèlement que dans leur traitement.

Je vous propose donc à tour de rôle de vous présenter et de préciser votre approche du harcèlement scolaire.

Permettez-moi de vous poser deux questions pour lancer le débat et qui peuvent servir de fil conducteur à vos interventions successives.

Estimez-vous que les enseignants, et de manière générale les personnels de l'éducation nationale (directeurs d'école, CPE, chefs d'établissements) soient suffisamment formés et armés pour détecter les harcèlements, y compris les cyberharcèlements qui se déroulent en dehors des salles de cours ? J'insiste sur ces mots : on ne peut pas être armé si l'on n'est pas assez formé. Dans les précédentes auditions, il a été souligné la nécessité de détecter les signaux faibles de harcèlement.

Par ailleurs, quelle est la procédure suivie face à un cas de harcèlement scolaire ?

Après vos interventions, je passerai la parole à Colette Mélot, notre rapporteure, pour qu'elle vous pose les questions qu'elle souhaite, avant de la donner à l'ensemble de nos collègues qui le souhaitent.

Je propose de commencer par les représentants des psychologues du SNES FSU.

Mme Géraldine Duriez, secrétaire nationale du SNES (psychologues de l'éducation nationale et directeurs de centre d'information et d'orientation (CIO)). -Je suis secrétaire nationale des psychologues et directeurs de centres d'information et d'orientation (CIO) au SNES-FSU (syndicat national des enseignements du second degré - fédération syndicale unitaire). Je représente aussi les collègues du premier degré puisque nous avons un corps commun, qui va de la maternelle à l'université et qui se décline en deux spécialités : les collègues qui travaillent à l'école et ceux qui travaillent dans le second degré, c'est-à-dire dans les CIO, les collèges et les lycées - et pour certains d'entre eux à l'université, voire dans d'autres structures.

Nous vous remercions pour cette audition, car nous nous sentons concernés, en tant que personnels. Nous ne sommes pas, pour les psychologues de l'éducation nationale, des personnels de santé. La psychologie requiert une formation, mais en dehors du champ de la santé, et travaille dans de nombreux domaines, y compris l'Éducation nationale. Nous y travaillons car nous sommes formés à la psychologie dans des domaines qui concernent l'école : l'éducation, le développement psychologique et social, les apprentissages et l'orientation.

Nous travaillons, avec tous nos collègues, dans les établissements scolaires et nous faisons partie de la FSU. Certains de nos collègues ont été interrogés la semaine dernière, mais pas de psychologues. Nous venons apporter l'éclairage de la psychologie sur le harcèlement à l'école ou en milieu scolaire.

Sur le sujet du harcèlement en milieu scolaire, se posent les questions de la prévention et du repérage des situations. Nous aborderons aussi le phénomène du cyberharcèlement.

Pour nous, la situation du harcèlement en milieu scolaire ne se distingue pas vraiment du « climat scolaire ». L'école, le collège et le lycée constituent un monde bien identifié des élèves, mais il faut aussi comprendre l'école comme un milieu poreux à ce qui se passe dans la société. Le confinement a ainsi eu des conséquences à l'école. L'installation du cadre scolaire et du climat est donc importante nos yeux.

Nous avons aussi pour habitude de ne pas seulement travailler seuls mais aussi avec d'autres équipes : les enseignants, les infirmiers, des assistants de service social, des conseillers principaux d'éducation (CPE), des directeurs et équipes de direction. Dans la question du repérage et de la prévention du harcèlement, le but est de travailler en équipe. La détection de signes d'alerte n'est pas le fait d'une seule personne. On peut parfois être amené à recueillir la parole d'un enfant, mais c'est vraiment une question de travail d'équipe pluri-professionnelle, où chacun va apporter son éclairage en fonction de sa place et de sa formation.

Pour nous, ce qui ressemble à des changements d'attitude et de comportement sont des informations qu'on échange, ou bien dans le cadre de réunions formelles, les cellules de veille, ou bien lors de discussions moins formelles en salle des professeurs, en cours d'école. Cette question se travaille dans le temps, non seulement à l'échelle de l'année scolaire, mais aussi à tous les moments de la journée, quel que soit le cadre.

Dans le cadre de réunions plus institutionnelles, les psychologues apportent un éclairage qui doit aussi s'appuyer sur le regard de chacun, y compris la parole des parents.

L'échange, de façon générale, prend beaucoup de temps, dans le temps scolaire. Nos équipes pluri professionnelles ne sont pas extensibles : rencontrer un collègue assistant de service social n'est pas toujours facile. Certes, les échanges par mail facilitent les choses. Mais les temps sont parfois partagés, avec des bureaux occupés par les mêmes personnes à des moments différents, ou bien parce que nous avons plusieurs établissements à charge. Il n'est pas facile d'échanger dans ces conditions.

Je voulais aussi rappeler qu'en tant que psychologues, il nous arrive d'avoir à accueillir la parole sur une question de harcèlement. Les questions de cyberharcèlement explosent mais dépassent le cadre de la seule institution scolaire. Les messages envoyés sur les boucles créées par des enfants parfois très jeunes se font dans un temps hors institution scolaire, et ressurgit sur l'institution. On ne peut être seuls à ce niveau : il faut impliquer les parents.

Mme Sylvie Amici, présidente de l'association des psychologues de l'Éducation nationale (APsyEN). - Je suis psychologue de l'Éducation nationale et présidente de l'APsyEN, association professionnelle qui rassemble les psychologues qui interviennent du collège à l'enseignement supérieur. Notre association fête ses 90 ans cette année.

En avant-propos, je vous remercie et je réaffirme qu'en tant que psychologue, nous ne nous situons pas au niveau médico-social. Vous avez dû avoir des échos du mouvement et de la grève des psychologues le 10 juin dernier à l'échelle nationale et de tous les champs d'intervention des psychologues. Nous ne sommes pas d'accord pour nous englober dans cette appellation. Nous travaillons avec le corps médico-social, mais l'exercice de notre profession ne se réduit pas à ce champ d'intervention, et ce d'autant plus dans l'école et avec des adolescents.

En ce qui concerne les questions posées en introduction sur la formation des enseignants et des personnels, il se trouve que je suis aussi formatrice dans mon académie, celle de Créteil. Le système scolaire est déstabilisé, tout comme les professionnels, par de nombreuses réformes qui se cumulent à des échéances très courtes. La question est systémique : au niveau de la formation continue et initiale des enseignants, beaucoup de moyens sont redirigés vers l'accompagnement des réformes (approches didactiques, examens), et toutes ces questions transversales importantes (harcèlement, genre, inégalités) passent au second plan, voire sont mises de côté. Les enseignants qui partent en formation ne sont plus devant les élèves.

Je dis que la question est systémique car, et c'est mon deuxième élément, dans les établissements, beaucoup d'adultes, de CPE, par la déstabilisation de leur milieu et de leurs conditions de travail, sont fatigués et « ne savent plus vraiment où ils habitent ». Au niveau du lycée, les classes n'ont de classes que le nom et les groupes sont à géométrie variable. Les adultes sont déstabilisés. On ne peut pas agir sur le bien-être et limiter les effets de harcèlement et cyberharcèlement en l'absence de communauté éducative où les adultes vont bien et tiennent. Je souligne cet aspect systémique : on ne peut pas demander à l'école de réguler des pratiques qui vont mal, si eux-mêmes vont mal.

En lisant le titre de votre mission, et de façon anecdotique, je me demandais si vous évoqueriez ce que l'école peut générer d'anxiété auprès des professionnels et des enfants. Pour des enfants anxieux, recevoir, dans le cadre de Parcours Sup, des notifications tous les matins s'apparente à des phénomènes de stress, voire de harcèlement - selon le profil de l'élève bien sûr. Mais j'ai bien compris que vous parliez du harcèlement en milieu scolaire.

Sur la procédure suivie, vous posez la question comme si le paysage était unique. Elle dépend de la personne à qui le jeune vient déclarer, de comment la découverte va se faire, de la façon dont le jeune qualifie le harcèlement. En effet, des jeunes sont victimes de harcèlement mais ne le qualifient pas ainsi. Ils peuvent relier un comportement à de la jalousie, ou à d'autres émotions. La conduite à tenir est donc spécifique aux situations rencontrées.

En revanche, un travail collaboratif est mené en amont pour sensibiliser aux discriminations - qui sont souvent à l'origine du harcèlement -, à ce qui est acceptable dans les comportements amicaux et amoureux, et à ce qu'on est en droit de refuser venant d'adultes et d'adolescents. Cela s'étend au cyberharcèlement.

Enfin, il ne faut pas négliger que, par rapport à ces questions de harcèlement et cyberharcèlement, une autre question va s'emboîter : celle des jeunes en situation d'inclusion scolaire parce qu'ils sont porteurs de handicap ou de caractéristiques spécifiques. Les moyens pour les accompagner ne sont souvent pas à la hauteur : il faut prendre du temps pour intégrer l'élève. Il ne faut pas sous-estimer ces aspects systémiques. On doit penser aux moyens donnés pour que les adultes qui travaillent à l'école aillent bien et pour que la différence soit acceptée dans l'école. Il faut du temps, de la formation et de la continuité pour cela, et peut-être, donc, arrêter les réformes au niveau scolaire.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, présidente. - Merci Madame, pour votre intervention, qui montre que la définition du harcèlement, bien que ce soit un phénomène ancien, doit encore être précisée dans son contour.

Mme Béatrice Saint Germain, secrétaire générale adjointe du syndicat national des infirmiers et infirmières éducateur de santé (Snies - Unsa). - C'est avec plaisir que je vous présente l'analyse du SNIES Unsa Éducation.

Le harcèlement scolaire existe depuis que l'école existe, mais la reconnaissance des traumatismes que subissent les acteurs de ces drames est relativement récente.

Le harcèlement est le résultat de comportements conscients ou inconscients qui s'inscrivent dans la durée et placent les protagonistes dans des postures d'agresseur, de victime ou de témoin, qui peuvent évoluer et s'interchanger au fil du temps. Chacun porte une part de responsabilité et détient une clé de la porte de sortie de ce cercle délétère.

L'école est propice à ces comportements car elle constitue le lieu où, justement, on apprend à vivre ensemble, hors du cercle familial, en interagissant avec des individus ou des groupes étrangers à son univers connu.

Chaque membre de la communauté éducative a potentiellement un rôle à jouer pour permettre à nos jeunes d'acquérir les compétences psychosociales pour faire de ces interactions des leviers de développement et de l'épanouissement personnel ainsi que du bien-être. C'est un sujet de préoccupation qui nécessite des regards croisés et complémentaires de toute la communauté éducative.

De découverte toujours trop tardive, ce comportement induit de la souffrance pour la victime, la famille, mais aussi de la frustration et de l'incompréhension pour les professionnels de l'éducation. C'est le travail en synergie qui permet d'oeuvrer contre ce fléau et donne de la cohérence et de la force à nos actions de prévention. Des temps d'échanges et de formations transversales pluridisciplinaires permettraient de fédérer les équipes et de partager une culture commune de prévention.

Cette dernière décennie voit se développer une forme particulière : le cyberharcèlement. Il se traduit par une action négative plus rapide, en parallèle du harcèlement qu'il accompagne toujours. Il s'y surajoute avec un effet de propagation rapide. Les participants sont seuls, derrière un écran qui est, tour à tour, protecteur et persécuteur. La solitude engendre des comportements exacerbés, sans les ressources sociales pour les tempérer.

L'interdiction du portable à l'école et au collège est une mesure qui permet en partie de limiter cette forme de harcèlement pendant le temps scolaire. Mais malheureusement, il commence en « vrai » dans la cour de l'école, et les réseaux estompent la frontière entre le scolaire et le personnel, ce qui induit un envahissement pour les élèves, dans tous espaces de l'enfant via le canal des réseaux sociaux.

Les frontières entre la vie familiale, les vacances, les activités sportives ou culturelles et les temps scolaires sont gommées. L'élève n'a plus d'échappatoire.

Alors que faire ? Notre rôle, en tant qu'infirmières dans les établissements, est d'écouter, accompagner et orienter les protagonistes vers les partenaires internes ou externes. L'infirmière scolaire est souvent alertée par une modification du comportement. La difficulté du repérage réside dans la distinction à faire entre le registre du conflit et celui du harcèlement. Ce repérage s'effectue notamment lors d'un passage à l'infirmerie où les élèves qui se présentent bénéficient d'un accueil et d'une consultation de l'infirmière. Les motifs annoncés sont souvent bien loin du ressenti réel. Il faut alors toute notre expertise professionnelle pour déceler le besoin qui a motivé la demande.

Le repérage est également le fait des enseignants ou des services de vie scolaire. Ceux-ci ont alors besoin de relais, et se tournent vers les partenaires à leur disposition. La présence des infirmières dans les établissements, au plus près des élèves, est pourtant un atout indispensable.

En matière de prévention, nous participons à la construction des projets au sein même des établissements et des comités d'éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) en y apportant notre expertise professionnelle, et éventuellement les relais et les ressources à mobiliser. Cela constitue une de nos spécificités d'exercice d'infirmier.  

Si la remédiation et la prévention sont l'affaire de tous (communauté éducative, famille, et partenaires internes et externes), nous constituons les seuls partenaires internes en santé affectés dans les établissements scolaires. Pour cela, chaque établissement devrait être doté d'un personnel infirmier, ce qui n'est pas le cas au regard de plusieurs dossiers qui nous mettent à mal.

Pour le SNIES, les missions des infirmières autour de ce thème doivent être mieux connues et reconnues pour s'exercer pleinement. Une communication appuyée constituerait un levier pour y parvenir.

Pour répondre à votre première question, la formation est incontournable, mais dans une dimension pluri professionnelle et au niveau des équipes. L'objectif est d'avoir un programme commun et une politique commune dans la prévention du harcèlement.

M. Brice Castel, secrétaire général du syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique (SNUASFP FSU). - Je suis le secrétaire général du syndicat majoritaire des assistantes sociales dans l'Éducation nationale.

Je vais resituer rapidement le fonctionnement du service social en faveur des élèves dans l'Éducation nationale. Ce service concourt à l'égalité des chances et à la lutte contre les inégalités sociales et territoriales en matière de réussite scolaire et éducative. Il est présent essentiellement dans le second degré (collèges et lycées) et est constitué d'environ 2 500 agents. Si on met cela en regard des 12 millions d'élèves, cela constitue un petit corps d'agents, qui interviennent souvent sur cinq à six établissements, selon les choix faits dans chaque département par la direction académique. Cela entraîne une présence d'une à deux journées par semaine.

Le rôle de l'assistante sociale au sein des établissements est d'abord le conseil social auprès des équipes et des chefs d'établissement et l'accompagnement auprès des élèves et des familles, à la demande de l'un ou de l'autre, voire d'un tiers au sein de l'équipe.

S'agissant du harcèlement, et si l'on reprend leur circulaire de mission, les assistantes sociales participent, par une approche globale de la qualité de vie des élèves au plan social, familial, sanitaire, économique, culturelle, à assurer des conditions favorables à leur réussite. C'est en lien avec la question du harcèlement et du cyberharcèlement. La question du harcèlement scolaire commence à être ancienne, à la différence de celle du cyberharcèlement. On observe une espèce de continuum entre l'intérieur et l'extérieur de l'établissement scolaire, sur des temps familiaux ou de loisirs. Cela rejaillit sur le temps scolaire, ce qui conduit - certes pas systématiquement - à une forme de boucle. Cela peut partir de l'établissement, se continuer en dehors, puis revenir sous une forme différente, voire aggravée via les réseaux sociaux, dans l'établissement.

Il existe des équipes pluri professionnelles, qui comprennent les assistantes sociales, les infirmières scolaires, les psychologues de l'Éducation nationale (PsyEN), les personnels de direction, les CPE et l'équipe pédagogique. Le travail de concertation et d'élaboration en équipe est indispensable dans la prise en charge des situations de harcèlement, et permet de pouvoir s'appuyer sur la richesse des compétences et des formations de chaque professionnel. Mais au regard des moyens disponibles et du temps de présence de chaque professionnel, ce temps d'équipe est relativement restreint. Il est parfois compliqué d'arbitrer entre la nécessité de prendre un temps d'échange en commun et le besoin de pouvoir accueillir les élèves et les familles, et les accompagner. C'est pourtant par cette complémentarité entre différents professionnels qu'on peut avoir une approche globale de la question du harcèlement et du cyberharcèlement.

Deux niveaux sont à mentionner en la matière. Tout d'abord, le niveau préventif : que met-on en place pour éviter que n'adviennent les situations de harcèlement, ou qu'en tout cas elles soient identifiables y compris par les élèves ? Les actions de prévention collective au sein des établissements scolaires jouent un rôle et se travaillent notamment dans le cadre des CESC, auxquels l'ensemble de l'équipe pluri professionnelle participe. Encore une fois, cela dépend des temps de présence au sein de chaque établissement, sachant que certains d'entre eux ne comptent pas d'assistante sociale en leur sein.

Ensuite, se pose la question aussi du traitement des situations. Vous avez parlé de procédure, mais comme l'a dit la collègue psychologue, il n'y a pas de procédure type. Cela dépend fortement de la spécificité de chaque situation, et de chaque établissement. Des politiques sont différentes : cela dépend aussi du territoire et des problématiques auxquelles il est confronté. En revanche, dans le traitement des situations, il faut avoir une approche la plus fine possible en échangeant le plus possible et en croisant les regards. Cela permet de définir les moyens d'action et l'accompagnement à mettre en place.

Je voudrais évoquer le travail avec les parents, en particulier autour du cyberharcèlement, qui se déroule à travers les outils numériques à disposition des élèves. On parle du téléphone, mais on peut aussi parler des tablettes et des ordinateurs. Pour pouvoir questionner le cyberharcèlement et l'usage des réseaux sociaux, le travail avec les parents est indispensable. Il commence par la prévention - ce qu'on peut appeler le soutien à la parentalité. Comment accompagne-t-on les parents pour pouvoir se repérer dans les usages des réseaux sociaux ? On peut très vite être dépassé sur son fonctionnement. Les enfants savent mieux que nous comment le contrôle parental fonctionne et savent très bien le contourner. Se pose aussi la question d'autres réseaux sociaux. Facebook est apparu il y a 15 ans, avant que n'émergent Twitter et Snapchat, et désormais on passe à TikTok et Instagram. Il faut en permanence se remettre à jour, ce qui est déjà compliqué pour les professionnels, mais aussi pour les parents.

Sur la question de la formation des enseignants et des personnels, je pose un point d'interrogation. Vous parliez du vocable du harcèlement scolaire. Je mets aussi un bémol sur ce qu'on entend par la formation. Je fais ainsi une distinction entre formation et sensibilisation, qui ne nécessitent pas les mêmes moyens. La réelle formation sur le harcèlement permet d'appréhender la complexité de la situation de harcèlement, repérer les signaux faibles, savoir comment agir et vers qui se tourner : elle nécessite un vrai temps. Elle pourrait être reliée à la question de la formation sur le développement de l'enfant, l'adolescence, qui élargit au-delà du pédagogique la formation des enseignants.

Enfin, en ce qui concerne le repérage au sein des établissements, le plus compliqué n'est pas de repérer les signaux forts, où un événement précis se produit et permet de mettre à jour une situation compliquée. Le plus difficile est de repérer les situations avant qu'elles ne s'installent dans la durée et n'empirent. Cela demande d'identifier les signaux faibles, ce qui requiert un vrai travail d'équipe. L'infirmière a évoqué les consultations au sein des infirmeries, où les élèves viennent d'eux-mêmes, ce qui constitue une porte d'entrée. Chacun d'entre nous, au sein de nos missions, a des portes d'entrées différentes, avec un regard situé à un autre endroit. Le croisement permet d'identifier ce qui pourrait mis en place pour répondre à une fragilité particulière, voire une situation de harcèlement.

Mme Catherine Cordier, secrétaire générale adjointe du syndicat national des infirmiers et conseillers de santé (SNICS-FSU). - Je vais vous parler du rôle des infirmières de l'Éducation nationale dans les dispositifs de lutte contre le harcèlement. Ma collègue complètera sur les deux questions que vous avez posées.

Les personnels de l'Éducation nationale interviennent du premier degré est le sens de leur recrutement est la réussite scolaire. Un élève ou un étudiant harcelé a malheureusement de grandes chances de décrochage.

Les infirmières de l'Éducation nationale sont au centre des dispositifs de lutte contre le harcèlement, qui a un grave impact sur la santé mentale et physique et la réussite des élèves et étudiants. Elles sont au coeur des établissements : leurs missions sont l'accueil, l'écoute, le conseil, les soins, l'orientation et la protection. De par leur rôle propre, les infirmières de l'Éducation nationale sont seules à pouvoir pratiquer des consultations infirmières libres et gratuites à proximité des élèves en garantissant le secret professionnel.

Le besoin de libérer la parole des jeunes est facilité par notre présence au quotidien dans les établissements, où l'infirmerie est un lieu neutre identifié par nos jeunes. Elles assurent l'accompagnement des jeunes au long cours, grâce à des consultations régulières qui leur permettent d'analyser et repérer des situations de harcèlement et de protection de l'enfance. Bien souvent, les jeunes expriment des symptômes (maux de ventre ou de tête...) derrière lesquels se cachent souvent un mal-être et une souffrance. La relation de confiance avec le personnel de santé peut permettre de libérer leur parole et de dépister les situations de souffrance psychologique. Selon les situations, un suivi au long cours peut être proposé et si besoin, un accompagnement des familles et une orientation vers des structures de soins extérieures, ou d'autres professionnels de santé, ou encore des professionnels internes (assistants sociaux, PsyEN).

L'infirmière veille à la discrétion de la diffusion de l'information pour éviter la stigmatisation des élèves ou étudiants concernés.

L'infirmière de l'Éducation nationale fait partie intégrante des équipes éducatives et pédagogiques. Elle oeuvre dans la coordination des dispositifs et l'harmonisation des pratiques. Elle entretient un langage commun, aide à la mise en route des protocoles et des cellules de veille en assurant son rôle de conseillère technique des chefs d'établissement et, dans le premier degré, des PsyEN et des directeurs d'école. Elle travaille en équipe avec les assistants sociaux, les CPE, les psychologues scolaires et les professeurs. Grâce à son expertise, l'infirmière de l'Éducation nationale analyse des situations au quotidien qui lui permettent d'impulser des séances d'éducation à la santé, collectives ou individuelles. Par ses compétences, elle assure la formation des jeunes mais aussi des adultes, la sensibilisation au harcèlement notamment en lien avec le sujet réseaux sociaux. Je rebondis sur ce qu'a dit Brice Castel : il s'agit plus souvent de sensibilisations ; pour avoir des formations, il faut du temps.

L'infirmière permet le développement des compétences psychosociales des élèves, qui constituent des mesures de protection aux situations de harcèlement, notamment dans le premier degré. C'est en effet dès le plus jeune âge qu'il faut prévenir et sensibiliser sur ces phénomènes, et renforcer l'estime de soi, et ainsi éviter que les élèves et étudiants ne se retrouvent comme victime, agresseur ou témoin. En effet, sans spectateur, il n'existe le plus souvent pas de harcèlement.

Il faudrait renforcer le nombre d'infirmières sur le terrain, ce qui permettrait d'augmenter le nombre de consultations d'infirmières et le nombre de séance d'éducation à la santé. Nous constatons hélas que de nombreux établissements ouvrent sans poste d'infirmière. Il faudrait a minima une assistante sociale et une infirmière dans chaque établissement du second degré. Il est impératif de dégager du temps pour travailler en équipe. La lutte contre le harcèlement ne peut pas se départir du climat et de l'inclusion scolaires, car chaque membre de l'équipe éducative et pédagogique doit être à même de repérer les signaux pour intervenir au plus vite.

Mme Céline Montolio, membre du bureau national du SNICS FSU. - Je complète les propos de ma collègue.

Les enseignants sont-ils assez formés ? Je pense que ce n'est pas à nous de répondre à leur place.

Comme nous travaillons en professionnels et en équipes éducatives, on peut effectivement constater des manques de moyens et de temps. Je répète et soutiens ce qui a été dit à ce niveau : au-delà du besoin de formation, nos collègues et nous-mêmes avons besoin de temps pour prévenir et traiter les situations de harcèlement. Des phénomènes évoluent, ce qu'a remarqué l'assistant social. Mais former n'est pas suffisant. Il faut avoir du temps dans les équipes pour se réunir, discuter des situations, mettre en place les protocoles. Je souligne aussi, comme le SNICS en avant fait la demande pendant le confinement, la nécessité de pouvoir exercer des consultations infirmières à distance. Nous voudrions insister sur cette difficulté ressentie pendant le confinement et sur ce besoin qui n'a pas été facilité.

En ce qui concerne les procédures, il existe un protocole national, décliné dans chaque académie. Chaque département s'en est emparé. Notre rôle en tant que conseillère technique des chefs d'établissement - et dans le premier degré - est de favoriser la mise en place de ces protocoles et d'y sensibiliser les acteurs. Ce n'est toutefois pas suffisant : il faut des moyens humains et du temps pour être efficace dans la prévention et le repérage des phénomènes de harcèlement et cyberharcèlement.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, présidente. - Vous avez résumé ce qui s'est dit au cours de cette belle table ronde. Je note à quel point la question du temps a été essentielle. Elle l'est dans la lutte contre le phénomène de harcèlement et ce, à double titre. Tout d'abord, le temps manque dans l'appréhension du phénomène, la formation et la sensibilisation. Deuxièmement, on sent aussi que la lutte contre le harcèlement est une course contre la montre, avec la difficulté à repérer les signaux faibles et précoces, ce qui a un impact sur l'efficacité. Plus le phénomène a été identifié tôt, plus on peut lutter efficacement.

Vous avez aussi beaucoup utilisé le mot de continuum, qui illustre la conscience que nous avons, au sein de cette mission, que, une fois franchis les murs où le phénomène prend sa source, celui-ci se développe avec un effet boule de neige dans le foyer.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Mesdames, Monsieur, je vous remercie pour vos présentations qui constituent une substantielle contribution à notre réflexion.

Je voudrais prolonger ce moment pour préciser ce que vous avez dit.

Vous avez évoqué les stratégies que vous mettez en place pour repérer et désamorcer les cas de harcèlement et de cyberharcèlement, qui en est le prolongement. Comment se fait le lien avec le reste de la communauté éducative sur ce sujet ? Vous en faites partie : il y a les enseignants, les personnels médico-sociaux, et il y a les parents !

Il nous a été dit lors de précédentes auditions que les psychologues interviennent principalement dans les établissements sur le volet orientation et moins sur le volet psychologique. L'idée a été émise de mettre en place à l'échelle d'un bassin ou d'une ville, un psychologue de l'éducation nationale. Serait-ce un référent ? Il aurait en tout cas un poste ad hoc. Il s'occuperait des victimes, mais aussi du harceleur, et de toute la classe - dans une situation donnée. Qu'en pensez-vous ?  

Je veux évoquer un troisième point : le signalement et les numéros consacrés au harcèlement scolaire : le 30 18 et le 30 20. Ces numéros sont-ils suffisamment connus des acteurs de la communauté éducative et des élèves ? Lors des auditions, il nous a été indiqué que le 30 20 était plus un numéro de signalement d'un harcèlement que d'accompagnement des enfants ou des familles. Estimez-vous que ces deux numéros répondent aux attentes ? Pensez-vous qu'il faille un numéro unique ? Dans ce registre, il apparaît que ces numéros devraient aussi être mieux affichés dans les établissements afin que tout le monde l'ait bien en tête.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Vous avez évoqué, dans vos interventions, le fait que parfois les adultes de l'établissement scolaire n'allaient pas bien, et donc qu'ils ne pouvaient pas prendre correctement en charge les élèves. Est-ce lié spécifiquement à la situation que nous connaissons depuis près de deux ans avec la Covid qui a eu de nombreuses répercussions, notamment sur les relations enseignants-élèves, ou est-ce que globalement les adultes ne vont pas bien ?

Vous avez évoqué les difficultés de mettre en place un travail transversal et pluridisciplinaires. Quelles sont les raisons, qui au sein d'un même établissement, rendent difficile ce travail collectif ?

Le harcèlement scolaire est un sujet identifié par le ministère depuis 10 ans. On en reparle aujourd'hui, en raison d'évènements récents. Estimez-vous que le phénomène de harcèlement scolaire soit en extension ? C'est un phénomène plus compliqué à cerner qu'il y a quelques années.

Vous évoquez la nécessité de pouvoir disposer d'un temps dans l'institution scolaire. Il me semble important qu'il y ait aussi un temps avec les parents. Lorsque vous évoquez ce temps partenarial, c'est uniquement « en intra-muros », au sein de l'institution scolaire. Quels sont vos liens avec d'autres institutions ? Je pense à la police/gendarmerie, la justice, le tissu social extérieur à l'établissement.

Mme Micheline Jacques. - Dans mes fonctions de directrice d'école, à Saint-Barthélemy, j'ai eu à traiter des cas de harcèlement scolaire. Je souhaite apporter un témoignage qui viendra conforter ce qui a été dit en matière d'effectif, d'encadrement et de mal-être des enseignants. Le premier degré, l'école doit être une bulle de sérénité, où le contact est normalement plus facile. Plus une équipe est soudée, plus les enseignant se sentent à l'aise, et plus il y aura une prise en compte des enfants et de la famille, un développement d'un lien de confiance, qui va permettre de déceler des petits phénomènes de harcèlement, en lien avec la préadolescence. Je pense notamment aux élèves de 8-9 ans. Il est donc important de pouvoir disposer d'une équipe infirmière/éducatrice spécialisée pour pouvoir travailler avec l'école et les familles. Or, il se trouve que les établissements de Saint-Barthélemy sont dépendants de Saint-Martin - où se situe le psychologue de l'éducation nationale. Il était ainsi difficile de mettre en place quelque chose avec ce dernier. C'est la raison pour laquelle nous travaillons avec des bénévoles, parfois avec des parents d'élèves psychologues.

J'ai également été amenée à gérer du harcèlement scolaire qui prenait naissance en dehors de l'école : dans les activités périscolaires, dans des conflits de voisinage... La confiance mise en place faisait que les enfants se livraient plus facilement aux enseignants. Il y a en effet des situations où les enfants ont peur d'expliquer aux parents ce qui leur arrivent.

Ce qui m'a le plus touché, c'est la non-prise en compte du jeune harceleur : il est pointé du doigt, l'approche est principalement répressive, sans chercher à comprendre pourquoi il harcèle un autre enfant. À titre anecdotique, nous avions réussi à nouer une telle relation de confiance, que certains élèves du collège, revenaient nous voir et se confier à l'équipe du premier degré sur des sujets de harcèlement et de manière générale en cas de problème.

Nous constations que souvent, dans les cas de harcèlement que nous avons eu à connaître, l'enfant auteur connaissait des problèmes familiaux importants. Or, le collège n'était pas forcément au courant de la situation familiale de l'enfant. Si on veut endiguer le phénomène de harcèlement, il faut chercher ses causes.

Il y a souvent un effet « boule de neige » dans le harcèlement scolaire : un élève lance le harcèlement, et plusieurs élèves, pour faire partie du groupe, entrent dans le jeu, le font par amusement, sans se rendre compte du mal qu'ils font à autrui.

Il n'y a pas assez d'infirmiers scolaires ou de psychologues de l'éducation nationale. Les enseignants peuvent se trouver démunis, et certains parents agressifs. Certains parents sont également en détresse, et ont besoin d'être accompagnés pour gérer leurs adolescents.  

Mme Toine Bourrat. - Je souhaite intervenir sur l'identification des signaux faibles. Quel rôle doit jouer la vie scolaire, surtout au secondaire ? Il faut que les parents soient systématiquement informés en cas de bousculades, de chahut dans les couloirs, constatés par ces équipes qui connaissent très bien les élèves. Aujourd'hui ce n'est pas le cas. Cela pourrait conduire le parent à être plus attentif au comportement de son enfant. Les assistants d'éducation n'ont pas les outils pour cela : on ne fait pas entrer le parent dans l'établissement pour discuter.

Mme Sabine Drexler. - Permettez-moi de vous faire part de mon expérience d'enseignante spécialisée. On nous a retiré de nombreux moyens jusqu'en 2008, à tel point qu'il était devenu impossible de faire correctement notre travail, car dans les mêmes temps les demandes augmentaient. Les psychologues de l'éducation nationale n'ont plus le temps de répondre aux sollicitations en cas de suspicion de handicap, en lien avec les maisons départementales des personnes handicapées.

Je suis convaincue qu'il faut mettre davantage de moyens très tôt à l'école. Au début de ma carrière il existait les groupes d'aide psycho-pédagogique. Il n'y a aujourd'hui plus de moyens. À la fin de ma carrière, je m'occupais de 43 communes, avec 230 demandes d'aide par année scolaire, soit 10 % de la population scolaire. Et nous étions deux. Une telle situation est difficile à vivre pour les personnels assistants sociaux et infirmiers de l'éducation nationale : leur travail n'a plus de sens. Quand j'entends parler de manque de temps, ce que cela veut dire de manière très concrète c'est un manque de personnels. Les personnels spécialisés sont constamment sur le terrain, et ne peuvent pas donner plus que ce qu'ils donnent déjà aujourd'hui.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, présidente. - Que pensez-vous du dispositif des élèves médiateurs ?

Mme Sylvie Amici. - Avant de vous répondre, je souhaite préciser que j'ai focalisé mon intervention liminaire sur la question du climat scolaire afin de condenser mes propos. Bien évidemment, je partage tout ce que mes collègues ont dit.

Si j'ai parlé du climat scolaire et de l'état psychologique des équipes, c'est parce que des études démontrent que les phénomènes de harcèlement scolaire et de violence sont amoindris, même dans des milieux très durs - une étude portait sur les favelas au Brésil - si le climat scolaire est positif, si les gens s'y sentent bien pour travailler et si les enfants estiment que les adultes sont des personnes ressources. C'est en ce sens que je parlais d'une approche systémique. C'est un mode de prévention à moindre coût, puisqu'il s'agit non pas d'augmenter les moyens mais de faire en sorte que les gens travaillent dans de bonnes conditions. Or, ce n'est pas le cas actuellement.

Une école bienveillante, avec un bon climat scolaire, doit avoir une vraie relation avec les parents. Le climat scolaire est constitué de sept piliers, dont la justice et la coéducation.

Ce malaise est-il lié au contexte sanitaire ? La crise sanitaire a eu des conséquences, mais comme je l'ai dit le train actuel des réformes qui touchent tous les contenus, les formes pédagogiques, les diplômes, et absorbent toutes les formations, ont un impact déstabilisant sur ces questions transversales.

Faut-il des psychologues dédiés en matière de harcèlement ? Pour moi, ce serait une erreur, car la prévention du harcèlement s'inscrit dans un travail d'équipe et dans un lieu. C'est la différence entre une démarche collective et systémique qui vise à prévenir le harcèlement, et une démarche d'accompagnement qui intervient a posteriori pour la victime et l'auteur.

Madame l'a évoqué. Il existait auparavant des groupes d'aides, des réseaux. Ceux-ci ont été déconstruits en raison d'un manque de recrutement. Même en matière d'orientation, nous sommes dans de la gestion de crise, alors qu'il s'agit d'une de nos missions importantes.

Mme Géraldine Duriez. - Un collège, un lycée ou une école travaille avec des partenaires extérieurs à l'établissement, notamment les associations de préventions éducatives, les centres médico-psychologiques (CMP). Les psychologues de l'éducation nationale tiennent aussi des permanences dans les CIO. Tout se tisse dans le temps long. On apprend à travailler ensemble sur des bases qui doivent être connus. Or, les équipent changent beaucoup. 40 % des psychologues de l'éducation nationale sont non-titulaires. Il y a un turn-over important, notamment en début d'année. Ce dernier, associé à des contrats précaires, ne permet pas une parole solide de l'institution.

Ce turn-over est également important dans les équipes de vie scolaire. Assistant d'éducation (AED) est un métier usant, peu reconnu. Les AED ont également des contrats de droit privé. Dans mon collège, l'équipe est solide. Certains AED sont référents de classe, ils peuvent appeler les familles et faire le lien avec eux. Mais cela dépend de chaque établissement.

Enfin, les adultes présents dans un établissement vont au-delà de la seule communauté éducative. Il ne faut pas les oublier. Mais le turn-over peut également être important en fonction des communes.

Mme Véronique Hoarau, membre du bureau national du SNUASFP FSU. - Vous posiez la question des élèves médiateurs. La médiation par les pairs est quelque chose de très intéressant. C'est une formation que l'on dit normalement « en cascade ». Des gens formés à la médiation - par des associations souvent - par les pairs, peuvent eux-mêmes former des élèves mais aussi des adultes, qui pourront à leur tour former des élèves et des adultes.

C'est très intéressant et cela aborde beaucoup d'éléments dont on ne parle pas dans les phénomènes de harcèlement.

Les élèves harceleurs et harcelés ont souvent des difficultés à s'exprimer, à exprimer leurs émotions, leurs difficultés, et deviennent soit violents, soit moqueurs, soit victimes. Avec la médiation par les pairs, est beaucoup travaillée l'expression des émotions, des besoins, de la reconnaissance des émotions, l'estime de soi. Tout un travail est fait sur l'élève. Les adultes enseignants formés découvrent cela car il n'y a pas de formation en psychologie de l'enfant et de l'adolescent. C'est très dommage. Cela devrait être une fondation et pas une décoration dans la formation des enseignants : cela permettrait au professeur d'enseigner sa matière mais aussi de se sentir à l'aise avec les élèves, ce qui n'est pas toujours le cas.

Je trouve la fonction d'élèves médiateurs très intéressante. En revanche, pour l'avoir mis en place dans mon établissement, c'est extrêmement chronophage et cela demande énormément de travail avec toutes les équipes. C'est difficile à faire perdurer dans le temps, mais c'est néanmoins très intéressant.

Concernant les référents, il existe des référents académiques dans le cadre de l'éducation à la sexualité pour laquelle on parle aussi de « discrimination » et de « harcèlement ». Il serait utile d'avoir des référents académiques concernant le harcèlement, les violences scolaires, et le climat scolaire, ce qui permettrait de former les adultes au niveau du temps.

M. Brice Castel. - Je partage ce qui a été dit. Concernant le travail en équipe au sein d'un même établissement, vous nous demandiez pourquoi ce serait difficile à mettre en oeuvre. Je suis assistant scolaire depuis 15 ans et je n'ai jamais pu rencontrer la psychologue scolaire de mon établissement car nous partageons systématiquement le même bureau, ce qui fait que nous sommes présents sur des jours différents. C'est une illustration d'une des difficultés de pouvoir travailler en équipe. Cette question-là de temps de présence sur les établissements génère parfois une incapacité de se rencontrer.

Je souhaitais revenir sur le travail de partenariat. Effectivement, au sein des territoires nous travaillons avec des partenaires, notamment les parquets. En tant qu'assistants sociaux et assistantes sociales, en lien avec la protection de l'enfance, nous sommes régulièrement amenés (tout dépend des secteurs et des situations) à transmettre des signalements à la justice pour des situations de protection de l'enfance. Un lien se fait donc, une connaissance réciproque. Pareillement, des conventions sont souvent établies entre l'Éducation nationale, les Parquets et les conseils départementaux sur ces sujets-là.

Il nous est demandé depuis des années d'avoir un service social du premier degré. Nous sommes bien conscients, lorsque l'on parle du premier degré, que le harcèlement peut être élargi à d'autres problématiques. Une vraie difficulté persiste sur le fait que dans le premier degré, bien souvent, les équipes enseignantes sont seules en interne, il n'y a pas d'équipe complémentaire comme il peut y en avoir dans le second degré. Dans le second degré elles ne sont souvent pas assez abondées en termes de moyens pour avoir une équipe pluri professionnelle à temps plein dans chaque établissement. Le service social est très peu présent. C'est pourtant un point qui nous parait essentiel.

Vous évoquiez le travail fait avec les services sociaux des départements. Il y a un vrai apport sur ces sujets-là. Le service social scolaire a cette double culture à la fois du service social mais aussi de l'Éducation nationale qui est un peu un « monde à part » avec ses codes, ses cibles, ses fonctionnements. Nous avons cette spécificité de pouvoir faire le lien plus facilement et expliciter de chaque côté les points de tension qui peuvent émerger parce que ces deux mondes ne se connaissent pas forcément dans le détail, n'ont pas la même temporalité et ont d'autres contraintes.

Concernant les numéros, pour le harcèlement le 30 18 et le 30 20 ont été évoqués. Je mets de côté le 30 18 car j'en maîtrise moins les dessous. Je connais le 30 20, son utilité, comment il fonctionne, etc. Il peut être utile pour des parents, des familles en conflit avec les établissements, lorsque le dialogue est parfois rompu puisque cela permet de faire intervenir un tiers médiateur externe à l'établissement et essayer de renouer le dialogue. Le traitement de ces situations de harcèlement passe avant tout par un dialogue soutenu, commun, le plus souvent possible.

Pour les élèves, c'est vraiment le temps de présence au sein des établissements qui est important. C'est toute la richesse des équipes car les enfants choisissent l'adulte auprès duquel ils vont se confier. Ce dernier peut ensuite travailler en équipe et y trouver un soutien quand il est interpellé sur des choses pour lesquelles il ne sait pas comment faire.

Le téléphone est complémentaire mais souvent les appels redescendent jusqu'à nous : ma cheffe de service m'interpelle alors, m'énonce que nous avons été saisis de telle situation, et me demande ce que l'on peut faire, et comment traiter les choses.

La question du harcèlement est traitée « à côté » : il y a l'élève au centre, la pédagogie, et le harcèlement ensuite, comme l'on peut traiter de la protection de l'enfance ou de la santé dans des sphères séparées. Nous sommes au contraire convaincus qu'il faut prendre en charge l'enfant dans la globalité pour ensuite traiter les questions pédagogiques et la réussite scolaire de tous. C'est bien pour cela que nous revenons sur ces questions. Il y a un changement logique. La question sociale de santé doit infuser tout le reste, plutôt que d'être traitée dans un second temps.

Mme Catherine Cordier. - Je partage tout ce qui a été dit.

J'ai participé au système des élèves médiateurs mis en place dans mon collège. C'est un très bon dispositif. Il est à suivre de très près, notamment pour les élèves de collège qui sont parfois tellement investis par la mission qu'ils peuvent eux-mêmes commencer à aller mal. Certains accumulent, ce sont des éponges, et il faut faire attention à ce que ce travail soit fait sérieusement, et qu'ils soient accompagnés par des personnes formées.

Dans l'académie de Lyon, a été mise en place une formation au harcèlement qui s'est écoulée comme formation par rapport au climat scolaire. On arrivait toujours à la même conclusion : le harcèlement arrivait suite à une défaillance du climat scolaire, du bien vivre ensemble et du bien-être dans les apprentissages.

Il faut vraiment s'investir dans le développement de compétences psychosociales dès le plus jeune âge, pour renforcer la possibilité pour les élèves de ne pas se retrouver ni témoins, ni agresseurs, mais qu'ils puissent avoir les signaux et les portes à ouvrir quand ils ont un problème (que ce soit à la maison ou à l'école). Plus on désamorcera tout ça tôt, moins on se retrouvera face à une situation dramatique. Des suicides surviennent malheureusement encore aujourd'hui. C'est inadmissible.

Des cellules dans les collèges existent. Tout un protocole est mis en place. On ne reste jamais seul face à une situation de harcèlement.

Mme Béatrice Saint Germain. - Concernant la communication et le travail en équipe, ce n'est pas un problème de volonté, mais la communication ne sera pas forcément évidente qu'elle soit répartie sur plusieurs écoles ou qu'elle soit sur un établissement public local d'enseignement (EPLE), en fonction des profils de postes des collègues, en fonction de la structure de l'EPLE ou de l'architecture (1 hectare ou 9 hectares), en fonction des missions aussi. D'autant plus que des missions supplémentaires nous ont été attribuées avec le contact tracing, les tests antigéniques...

Certes, la cellule de veille permet d'avoir un regard croisé avec les collègues, mais la mission de prévention de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) a montré que les chiffres du mal être ont quasiment doublé : elle a constaté une augmentation du mal-être sans cause initiale apparente et sans facteur de vulnérabilité préalable.

Malgré la bonne volonté de la communauté, et sans compter sur la perspective de la loi 4D pour les collègues infirmières, beaucoup d'éléments compliquent la vie de la communauté éducative.

Pour les enseignants, c'est la réforme à laquelle se sont ajoutés le protocole sanitaire, l'hybridation et les enseignements à distance. Le personnel se retrouve fragilisé et peu disponible pour faire le reste.

Pour les assistants d'éducation, on retrouve une bonne volonté de chacun mais parfois un manque de formations car étant liés par des contrats privés, il reste compliqué de les financer.

Concernant les partenaires extérieurs, il y a certes les référents de prévention de la police, avec lesquels nous travaillons autant que possible, mais aussi la maison des adolescents et les promeneurs du net, le Centre médico-psychologique (CMP). C'est un travail d'adhésion. Tout se fait au cas par cas.

Concernant les numéros 30 18, 30 20, pour la communauté éducative, ils ne sont pas forcément connus et reconnus.

Pour les ambassadeurs, c'est un système intéressant de pairs par les pairs, mais il est important qu'il y ait un accompagnement, un étayage, pour ne pas qu'ils se retrouvent seuls, tout en sachant que c'est la libération de la parole de l'élève qui importe, afin de lui permettre de s'expliquer. On découvre parfois des années plus tard qu'il s'est passé des choses.

Mme Véronique Hoarau. - J'ai regardé les publications faites par l'administration, que l'on demande quand il y a des concours, des classes. Je suis impressionnée par le manque de présence des adultes dans les vidéos et photomontages. Ils apparaissent parfois très loin. C'est un signal plutôt négatif et très fort que l'on envoie aux enfants : « les adultes ne sont pas présents ». C'est assez grave et il faut que l'on y fasse attention.

Mme Céline Boulay-Espéronnier, présidente. - Nous sentons à quel point vous connaissez bien le sujet et avez la volonté de faire changer les choses malgré le manque de temps et de moyens. Je vous remercie pour la qualité de ces échanges.

La réunion est close à 18 h 05.

Jeudi 17 juin 2021

- Présidence de Mme Jocelyne Guidez, vice-présidente -

Audition des partenaires de l'Éducation nationale

Mme Jocelyne Guidez, présidente. - Nous poursuivons les auditions de la mission d'information sur le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement créée au titre du droit de tirage du groupe Les Indépendants République et Territoires.

Je vous prie de bien vouloir excuser la présidente Sabine Van Heghe qui est retenue par des obligations impératives dans son département et ne pourra donc pas nous rejoindre ce matin.

Je voulais vous remercier vivement pour votre présence à cette table ronde qui réunit les « partenaires de l'Éducation nationale ».

Nos travaux l'ont en effet montré. Si le harcèlement débute toujours dans un établissement scolaire - on parle ainsi plus précisément de harcèlement en milieu scolaire - sa prise en compte et sa résolution ne peuvent se faire simplement dans le cadre de l'établissement d'enseignement.

La réussite de la lutte contre ce phénomène, a fortiori quand il prend une dimension cyber, passe par la mobilisation d'un réseau efficace qui vient épauler, soutenir les victimes et leurs parents. Mais aussi faire prendre conscience au harceleur et à sa famille de la gravité des faits, faits qui sont pénalement répréhensibles.

Face à la « violence en meute », vous opposez le « collectif » d'une politique publique dont vous nous décrirez le mode de fonctionnement. En effet, la réponse judiciaire n'est peut-être pas la seule réponse à apporter mais elle est très importante, essentielle et je sais que des partenariats existent et que vous les animez au quotidien.

À ce titre, permettez-moi de regretter une absence malgré nos sollicitations, celle de la Préfecture de Police, dont pourtant le Recteur de l'académie de Paris auditionné il y a 15 jours en avait souligné le rôle dans la lutte contre ces violences et qui n'a pas pu - ou voulu - participer à nos échanges.

Je vous remercie donc pour votre venue ainsi que pour la contribution que vous allez apporter à nos travaux dont l'objectif est d'aboutir, en septembre prochain, à des conclusions opérationnelles en s'appuyant sur l'ensemble des parties concernées.

Monsieur le Procureur de la République, en mars 2021 le préfet de Loire-Atlantique, l'académie de Nantes et le ministère de la justice ont signé un protocole relatif à la prévention de la délinquance et à la lutte contre les violences en milieu scolaire. Pouvez-vous expliquer les raisons de la signature de ce protocole et son contenu ?

Madame le Major, pouvez-vous revenir sur votre mission « prévention et partenariat » ? Depuis quand abordez-vous la question du harcèlement ? Dans quelles conditions êtes-vous amenée à intervenir dans une école ? À partir de quelle classe intervenez-vous ?

Monsieur le Directeur-adjoint de la Direction de la Protection Judiciaire de la Jeunesse (DPJJ), pouvez-vous revenir sur la politique menée par la DPJJ pour lutter contre le harcèlement scolaire et le cyberharcèlement ? En particulier, quelle est la nature des mesures et sanctions éducatives qui sont déployées en cas de harcèlement scolaire et cyberharcèlement ?

Enfin, cette question s'adresse à tous nos intervenants, est-il nécessaire de créer un délit spécifique de harcèlement scolaire, ou les textes existants suffisent-ils ?

Voilà rapidement énoncées deux de mes principales interrogations qui, vous l'avez compris, sont très largement partagées.

M. Pierre Sennès, Procureur de la République au tribunal judiciaire de Nantes. - Je vous remercie, Madame la Présidente, pour votre invitation.

Comme vous l'avez indiqué, nous avons récemment signé en Loire-Atlantique, avec le préfet et les autorités de l'Éducation nationale un protocole relatif à la prévention de la délinquance et à la lutte contre les violences en milieu scolaire. Il s'inscrit dans une politique du ministère de la Justice qui est ancrée depuis de nombreuses années et qui a été ponctuée par de nombreuses circulaires du Garde des Sceaux, la dernière le 11 octobre 2019, invitant les Parquets à nouer des relations étroites avec l'Éducation nationale, les recteurs et les directeurs académiques. Je suis procureur depuis 20 ans et j'ai observé le rapprochement de l'Éducation nationale et de la justice à travers les procureurs de la République.

Ce partenariat s'appuie sur l'idée que l'école doit être protégée et qu'elle n'est pas totalement hermétique aux phénomènes de société, notamment à la violence. Dans ce contexte, la justice doit être attentive à tout ce qui vient perturber le fonctionnement d'un établissement scolaire, notamment les actes de délinquance dans l'établissement ou dans sa périphérie, mais aussi les faits révélés dans l'établissement scolaire, mais commis à l'extérieur.

Le protocole que nous avons élaboré est un document pédagogique, à l'usage des chefs d'établissements et des personnels de l'Éducation nationale. Il les aide à répondre aux questions qu'ils se posent au moment où des actes de délinquance sont commis ou révélés : comment déposer plainte ? Comment alerter les autorités ? Comment qualifier pénalement les faits ?

Nous déclinons toutes les mesures de prévention qui peuvent aider les chefs d'établissements comme les représentants de la police ou de la gendarmerie, correspondants « sécurité école ». Nous leur expliquons comment déposer plainte et comment entrer en relation avec le procureur de la République. Nous déclinons aussi, selon une approche technique, la liste et la définition des principales infractions pénales. Les qualifications pénales sont souvent évoquées de manière superficielle. Or, elles correspondent à des définitions très précises rapportées dans le Code pénal.

Nous expliquons aussi ce que constitue un délit ou une infraction pénale et comment se déroule une enquête judiciaire après un signalement de faits de violence ou de délinquance. Nous nous efforçons de lever un certain nombre de craintes par rapport à une alerte au procureur qui déclenche une enquête judiciaire. Nous précisons dans quelle mesure nos enquêteurs peuvent intervenir dans un établissement, de façon à dédramatiser le déroulement de l'enquête. Nous détaillons aussi les réponses pénales que la justice peut mettre en oeuvre quand un acte de délinquance est reproché à un mineur. Nous leur montrons ainsi que la justice adopte principalement des mesures qui ont une vertu pédagogique et éducative, notamment des mesures de réparation, de rappel à la loi ou des stages. En matière de mineurs, la justice ne prend pas uniquement des mesures coercitives.

Enfin, nous avons mis en place un réseau de communication entre les autorités judiciaires, la police, la gendarmerie et l'Éducation nationale. Ce protocole aménage l'information des services de police judiciaire, celle du procureur de la République et bien sûr celle du directeur académique, pour que tous acteurs soient informés d'une situation problématique dans un établissement et puissent ensuite échanger sur le traitement judiciaire et sur les suites pénales données à une affaire.

Ce protocole est donc un outil pratique, à la disposition des chefs d'établissements.

Mme Aude Métivier, Major de Police, responsable de la mission « Prévention et partenariat » à la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) du Val-d'Oise. - 

Je suis entrée dans la police il y a 25 ans et j'ai travaillé en commissariat, principalement à Paris. Assez rapidement, je me suis spécialisée, par le biais de l'animation et de la prévention, dans des actions auprès des jeunes.

Au sein de la Préfecture de police de Paris où je suis restée de nombreuses années, les missions « Prévention et communication » ont été mises en place en 1999. J'exerce maintenant depuis six ans dans le Val-d'Oise. La sécurité publique a toujours oeuvré dans le domaine de la prévention auprès des jeunes, notamment à travers les opérations « Ville, vie, vacances » et des animations durant les périodes estivales.

J'ai par la suite décidé de poursuivre durablement ce travail auprès des enfants. S'il était utile de leur proposer des animations et des actions pendant l'été, au plus près de leurs problèmes et de leurs préoccupations, il fallait imaginer une démarche plus pérenne. Aujourd'hui, j'ai la chance de disposer d'une équipe formée, pleinement engagée et mobilisée sur cette thématique du harcèlement.

Depuis six ou sept ans, le harcèlement a pris une ampleur considérable. Auparavant, nous traitions la question du harcèlement en faisant beaucoup de prévention du racket en milieu scolaire, notamment en 6e. Puis le harcèlement s'est développé, même si je préfère parler d'intimidation, parce que les situations de harcèlement commencent souvent par de l'intimidation. Les pays anglo-saxons parlent davantage d'intimidation que de harcèlement.

La demande est aujourd'hui croissante dans le Val-d'Oise. Les écoles élémentaires sont très démunies sur cette question, notamment en termes de formation des enseignants. Nous sommes amenés à traiter cette thématique aussi bien dans les petites classes, dès le CE2, comme dans les lycées en 2de ou en 1re, souvent pour des questions en lien avec le cyberharcèlement.

Dans les remontées quotidiennes de l'Éducation nationale, nous trouvons toujours un cas qui relève d'une problématique avec les réseaux sociaux, comme des moqueries, la publication de photos ou de nudes. C'est un phénomène récurrent pour lequel nous sommes extrêmement sollicités.

J'ai longuement réfléchi à l'amélioration du partenariat avec l'Éducation nationale, notamment parce que certains adultes sont complètement démunis. Ils ont envie d'agir mais ne disposent pas toujours des connaissances. Avant de rencontrer les élèves, je demande systématiquement à voir l'équipe pédagogique pour échanger avec elle sur les mesures qui ont été mises en place dans l'établissement avant la venue des policiers. L'objectif est de travailler sur des actions durables et d'éviter que notre intervention soit vécue comme une obligation. Parfois, nous sommes sollicités par un chef d'établissement et les enseignants nous disent qu'ils n'ont pas été consultés.

Je veux que nous parvenions à travailler ensemble, dans le cadre d'un projet d'établissement, en nous appuyant sur le comité d'éducation à la santé et la citoyenneté (CESC).

Mon propos liminaire est bref mais je pourrai revenir plus précisément sur certaines questions.

Mme Jocelyne Guidez, présidente. - Monsieur le Procureur nous dit qu'un protocole a été mis en place et en même temps, en vous écoutant, j'ai le sentiment que ce protocole ne fonctionne pas très bien.

Par ailleurs, vous avez raison, il est préférable de faire de la prévention sans attendre d'être confrontés à des situations de harcèlement.

Le protocole est-il connu des chefs d'établissements ?

Mme Aude Métivier. - Dans le Val-d'Oise, le protocole est en cours de réécriture et correspond à celui décrit par M. le Procureur. La justice, la police, la gendarmerie et l'Éducation nationale se réunissent régulièrement. Nous avons récemment réuni les états-majors de la sécurité pour aborder la question du harcèlement et celle des phénomènes de bandes, même s'il ne faut pas mélanger les deux sujets dont les origines ne sont tout à fait les mêmes.

Cependant, si les relations sont fluides, nous pouvons aller encore plus loin. Les personnes se connaissent, travaillent relativement bien ensemble mais il y a beaucoup de mobilité dans l'Éducation nationale. Dès qu'un chef d'établissement part, tout est à reconstruire.

M. Franck Chaulet, directeur adjoint de la Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ). - Je vous remercie de donner la parole à la protection judiciaire de la jeunesse. La PJJ prend en charge des mineurs qui lui sont confiés par l'autorité judiciaire. Ces mineurs scolarisés peuvent être victimes ou auteurs de harcèlement. Par ailleurs, le cyberharcèlement va au-delà des frontières de l'école et touche les mineurs dans leur vie intime. Ils sont pris en charge par la PJJ dans des établissements de placement comme les foyers ou les centres éducatifs fermés, où ils ont accès aux réseaux sociaux et à internet. Ils peuvent donc aussi, dans le cadre de leur prise en charge, être confrontés à des problèmes de cyberharcèlement. Enfin, la PJJ peut être chargée par la justice de mesures prises à l'encontre des mineurs auteurs de cyberharcèlement.

La PJJ apporte trois types de réponses. Nous avons des partenariats locaux qui permettent à des professionnels de la PJJ de faire de la prévention, en étant à la fois porteurs du message de la justice et éducateurs. La PJJ conduit également des actions pérennes avec l'exposition « 13/18 » qui permet de travailler les questions de citoyenneté avec les mineurs dans les établissements scolaires. La PJJ participe aussi à la politique de la ville, aux Maisons de la justice et du droit, au groupe de travail sur les violences psychologiques. Elle a signé une convention de partenariat sous le label e-Enfance autour des questions de cyberharcèlement et de harcèlement des mineurs. Enfin, la PJJ mène des actions sur les dangers de l'utilisation d'internet et des réseaux sociaux.

Son deuxième champ d'intervention concerne les processus de signalement. À Paris, nous avons signé une convention avec le procureur, la Direction territoriale de la protection judiciaire de la jeunesse (DTPJJ) et la Ville de Paris. Notre objectif est de nous positionner le plus en amont possible des signalements, que ce soient des signalements d'auteurs ou de victimes. Pour les victimes, la PJJ peut conduire des mesures judiciaires d'investigation éducative, c'est-à-dire une investigation sur l'environnement social et familial du mineur pour détecter d'autres problèmes que ceux révélés par le signalement. Pour les auteurs, la PJJ peut intervenir dans le cadre d'alternatives aux poursuites, par la mise en oeuvre de mesures éducatives à travers des stages ou la réparation pénale. Elle peut aussi conduire des actions en marge des procédures judiciaires avec la justice restaurative, qui met l'auteur et la victime face à face.

Enfin, la PJJ accompagne la réponse pénale en étant responsable de la mise en oeuvre des mesures judiciaires. Elle intervient sur l'éducatif pour aider les mineurs à comprendre la portée et les conséquences de leurs actes. La plupart des mineurs qui font l'objet de mesures alternatives aux poursuites ne reviennent pas devant la PJJ. La réponse est graduée en fonction de la réitération des faits, de l'âge du mineur ou des circonstances aggravantes.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Je vous remercie pour ce premier tour d'horizon. Vos présentations représentent déjà une contribution à notre réflexion mais je souhaite prolonger ce premier échange. Les actions que vous menez relèvent de la prévention et de l'accompagnement. Je pense que vous avez à coeur de participer à la lutte contre ce phénomène de plus en plus généralisé et qui touche tous les territoires. Nous devons absolument avancer sur ce sujet et faire des propositions pour mettre en place un dispositif efficace.

Les différents protocoles ont-ils vocation à être généralisés ? Vos interventions doivent-elles être systématisées ? Comment faire pour qu'elles soient prises en compte dans la vie des établissements scolaires ?

Vous avez, Madame le Major, évoqué le projet d'établissement. Ce point est essentiel. Il faudrait peut-être inscrire la lutte contre le harcèlement dans tous les projets d'établissement et systématiser les actions de prévention. Ces sujets ne doivent pas reposer sur des personnes ou sur le volontariat. C'est une proposition que nous pourrons faire quand nous auditionnerons les ministres mais je souhaite avoir votre avis sur ce point.

Il existe des numéros d'appel consacrés au harcèlement scolaire. Ces numéros sont-ils suffisamment connus des élèves, des parents et des enseignants ? Un seul numéro serait-il plus pertinent ?

Enfin, que pensez-vous du Comité des parents annoncé par la ministre Marlène Schiappa ? Des travaux ont-ils déjà commencé sur ce sujet ou sommes-nous encore au stade de l'annonce ?

Mme Aude Métivier. - Sur le projet d'établissement, notre travail doit se faire de façon durable. Dire que la thématique du harcèlement est essentielle et n'y consacrer qu'une journée par an à l'occasion de la journée nationale de lutte contre le harcèlement au mois de novembre n'a pas de sens. Certains chefs d'établissements nous invitent au mois d'octobre à intervenir le 5 novembre. Mais si nous menons une action, nous devons y réfléchir en amont et nous assurer qu'elle sera durable.

Il est également essentiel de mobiliser un maximum de personnes autour de ce projet. Nous ne pouvons pas imposer aux enseignants d'être formés, même si beaucoup le sont. Dans le Val-d'Oise, la méthode Pikas est une solution, mais elle ne fonctionne pas toujours. Cette méthode sur la préoccupation partagée ne peut fonctionner que sur les situations naissantes de harcèlement.

Il est donc essentiel d'inscrire la lutte contre le harcèlement dans un projet durable et de mobiliser un maximum d'adultes. Les adolescents ont besoin d'adultes et nous ne pouvons pas faire porter à des enfants la responsabilité de régler eux-mêmes leurs problèmes. Le harcèlement ne se résume pas à une victime et un auteur, c'est une problématique de groupe. Il est important de croiser les regards au sein de l'établissement. Le professeur qui a cours de 8 heures à 9 heures ne sait pas ce qui se passe entre 9 heures et 10 heures avec un autre professeur, dans une autre salle. Les adultes doivent absolument communiquer entre eux.

Nous parlons beaucoup du harcèlement mais nous devons aussi réinvestir et restaurer le climat scolaire pour qu'il soit plus apaisé et plus serein, pour que les enfants arrivent à vivre ensemble et à accepter leurs différences, le harcèlement se fondant sur le rejet de la différence.

Enfin, nous sommes dans l'obligation de retravailler la question de la citoyenneté dans sa globalité, y compris sur les réseaux sociaux.

M. Franck Chaulet. - Les phénomènes de harcèlement scolaire ont toujours existé. Pour qu'un groupe fonctionne et soit uni, il faut souvent une victime. La vraie différence provient des réseaux sociaux. Le harcèlement ne se limite plus à l'enceinte ou aux abords de l'école, il se prolonge et rompt les barrières temporelles et les barrières de lieu. Il n'y a plus de nuit, plus de jour, plus de repas. C'est aussi un domaine auquel ni les enseignants ni la famille n'ont accès. Le mineur auteur ou victime est seul. À titre personnel, je pense qu'il y a un vrai sujet philosophique avec l'abolissement de la frontière entre la pensée et la verbalisation sur les réseaux sociaux. Nous avons le droit d'avoir des mauvaises pensées, personne ne nous poursuivra si nous ne les exprimons pas ou si nous ne les mettons pas en oeuvre. Sur les réseaux sociaux, cette frontière est abolie. Et quand la frontière entre la pensée et l'expression est abolie, la frontière entre l'expression et l'acte s'efface à son tour.

Pour répondre plus directement à votre question il est opportun de généraliser les protocoles, tout en veillant à leur contenu. Nous devons multiplier les actes de prévention mais le faire en lien étroit avec les professionnels de l'Éducation nationale, sans nous limiter à la visite une ou deux fois par an d'un policier ou d'un fonctionnaire de la PJJ.

Nous devons également nous intéresser au signalement et veiller à ce qu'une réponse rapide soit apportée. Laisser sans réponse un signalement peut dissuader de recourir à cet outil. Il est indispensable que le protocole permette, comme celui de Paris, « d'industrialiser » le processus de signalement et de traitement.

Enfin, le protocole peut prévoir un bon niveau de réponse par rapport aux actes commis. Par exemple, la PJJ de Nice avait constaté l'absence de stage ou de dispositif adapté pour répondre à ce type de violence. Elle a monté un partenariat avec le Parquet pour créer un stage sur les cyberviolences et le cyberharcèlement.

Les protocoles et les conventionnements locaux sont extrêmement importants mais doivent traiter de la prévention, des signalements, qui sont au coeur du dispositif, et des réponses à apporter.

Mme Aude Métivier. - Je confirme que le harcèlement dépasse largement le cadre de l'école. Nous sommes de plus en plus sollicités pour intervenir dans les foyers éducatifs ou dans les maisons des enfants à caractère social.

La prévention nécessite que nous passions du temps, deux heures sont un minimum. Nous avons besoin de convaincre et de renforcer les compétences psychosociales des jeunes. Si un enfant a suffisamment d'estime de lui-même, suffisamment confiance en lui, il sera en capacité, peut-être pas de résister à la pression du harcèlement, mais de reconnaître que la situation est anormale et qu'il est victime.

À la fin des séances de prévention, je communique les numéros d'appel des lignes consacrées au harcèlement scolaire, notamment le 30 20, mais je suis partagée. Je préfère inviter un enfant à prendre contact avec un adulte de son établissement.

Le 30 20 a le mérite d'exister et d'être un relais avec l'Éducation nationale. Cependant, il me semble difficile de me contenter de dire à un enfant, qui vient me voir à l'issue de l'action de prévention parce qu'il est harcelé depuis plusieurs années, d'appeler ce numéro.

Il est nécessaire de trouver des relais dans l'établissement. En amont des actions de prévention, je m'efforce de définir avec le chef d'établissement comment traiter le cas d'un enfant qui viendrait nous parler. Cette situation se présente souvent car les enfants sont en confiance.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Je souscris à la plupart de vos propos.

Vous avez dit, Monsieur Chaulet, que la victime, je dirais même la cible, consolidait le groupe. Avant d'être une victime, c'est une cible vers laquelle le groupe converge. Je pense qu'il est essentiel de travailler sur cette notion de groupe.

Par ailleurs, le terme de harcèlement n'est peut-être pas assez fort par rapport à celui d'infraction pénale. Nous ne devons pas hésiter à employer des mots plus forts pour qualifier ce que vivent certains enfants.

Vous avez également dit que le processus de signalement était essentiel dans la lutte contre le harcèlement. Je suis tout à fait d'accord avec vous mais nous devons travailler sur la libération de la parole des enfants. Certains d'entre eux ne parlent pas et des parents leur ont inculqué la valeur de ne pas dénoncer. Nous devons veiller à détecter les signes précoces de harcèlement.

Mettre auteurs et victimes face à face peut être traumatique et doit être mené avec la plus grande précaution.

Vous dites, Madame Métivier, que vous préférez parler d'intimidation plutôt que de harcèlement. Ce sont pour moi deux notions différentes, le harcèlement induisant la notion de répétition. L'intimidation fait partie du harcèlement. Pourquoi préférez-vous parler d'intimidation ?

Je suis d'accord avec vous quand vous dites que le harcèlement et les phénomènes de bandes sont différents mais je m'interroge sur l'existence de mécanismes communs, notamment la notion de groupe.

Enfin, vous dites qu'il n'est pas possible d'imposer une formation aux chefs d'établissements. Avez-vous rencontré des responsables qui refusent d'être formés ?

S'il existe une journée contre le harcèlement scolaire, je souhaite que notre rapport préconise la mise en place d'une journée nationale de la bienveillance et de la citoyenneté en milieu scolaire et je partage votre position sur l'importance de rétablir le climat scolaire.

Mme Aude Métivier. - Avant de parler de harcèlement scolaire, nous parlions de harcèlement au travail et de harcèlement moral. L'intimidation n'enlève rien au caractère répétitif. Un enfant ne parlera pas de harcèlement, il dira « qu'on l'embête ». Utiliser le terme de harcèlement rappelle qu'il s'agit d'un délit et permet d'expliquer pourquoi il est interdit de harceler, en détaillant ses mécanismes et en montrant ce que subit la victime.

Concernant le projet d'établissement et la formation des personnels, nous avons fait de gros efforts dans le Val-d'Oise pour former un maximum de personnes. Je crois que tous les chefs d'établissement sont concernés par la question, d'autant plus que nous avons vécu des drames.

J'ai parfois été directement sollicitée par des associations de parents d'élèves. Je pense à une école où le directeur estimait que ce n'était pas utile et que les enfants allaient bien. Il y a encore trop d'établissements qui ne nous contactent qu'en cas de difficulté. Je leur réponds que je suis policière et que je ne viendrai éteindre l'incendie dans leur établissement.

M. Pierre Sennès. - Je crois beaucoup au rôle de la communauté éducative. Un des problèmes majeurs que nous rencontrons avec le harcèlement et le cyberharcèlement concerne la libération de la parole. Les victimes subissent des actes de harcèlement ou de persécution par des auteurs qui sont souvent dans l'établissement. Pour favoriser la libération de cette parole, il revient à la communauté éducative d'installer une culture de la protection des mineurs et de la détection des infractions pénales subies par les élèves.

Nous avons affaire à des victimes, c'est-à-dire des mineurs qui sont persécutés par internet ou par des comportements humains au quotidien. Ces victimes doivent être protégées et il est essentiel de signaler les faits à l'autorité judiciaire et à l'autorité administrative pour qu'une enquête soit rapidement ouverte. Pour qu'il soit constitué, le délit de harcèlement doit être caractérisé par des comportements répétés. La loi du 4 août 2018 a apporté des améliorations sensibles sur le harcèlement de groupe avec une définition de la coaction qui englobe dans la qualification pénale tous les acteurs du harcèlement. Le harcèlement doit également avoir pour conséquence une dégradation des conditions de vie se traduisant par une altération de la santé physique ou mentale. Ce sont des éléments que la communauté éducative peut détecter, comme le changement de comportement d'un élève ou l'expression d'une souffrance.

L'intervention de la communauté éducative peut être suffisante sur des faits naissants d'intimidation pour enrayer le processus et l'interrompre avant qu'il n'ait des conséquences graves. Mais dès lors que nous sommes en présence de faits de harcèlement au sens du Code pénal, la question de la protection des victimes doit se poser. L'enquête judiciaire permettra de caractériser l'infraction pénale et d'identifier les auteurs. Elle permettra aussi de mettre en place des mesures de protection en saisissant le juge des enfants qui pourra décider d'une procédure d'assistance éducative pour protéger les victimes.

S'il est important de faire de la prévention et de la formation, il est essentiel d'alerter sans délai l'autorité judiciaire en cas de harcèlement avéré, pour interrompre les comportements répréhensibles qui constituent des délits punis de deux à trois ans de prison et pour protéger la victime.

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - La notion de complice figure-t-elle dans la qualification pénale ? Par ailleurs, qui doit alerter l'autorité judiciaire, l'établissement, la famille, l'association de parents d'élèves ?

M. Pierre Sennès. - Quand les faits de harcèlement sont détectés en milieu scolaire, il revient au chef d'établissement, en sa qualité de représentant de l'administration, d'alerter l'autorité judiciaire. Dans le protocole signé à Nantes, la démarche procédurale est détaillée pour que les chefs d'établissements alertent sans délai les officiers de police judiciaire ou le procureur de la République.

M. Franck Chaulet. - Les départements sont compétents en matière de protection de l'enfance. Les Cellules de renseignements et d'informations préoccupantes (CRIP) sont le lieu privilégié de recueil de ces informations. Elles peuvent être saisies par n'importe qui. À partir des signalements qu'elles recueillent, des investigations judiciaires sont menées sur l'environnement familial de la victime et des mesures de protection sont mises en place.

Mme Jocelyne Guidez, présidente. - Je vous invite à répondre aux premières questions de Mme la sénatrice.

M. Franck Chaulet. - Bien évidemment, la justice restaurative, qui met face à face victime et auteur, se travaille et se fait toujours sur la base du volontariat, quand les deux parties sont prêtes.

M. Pierre Sennès. - Je pense que la justice restaurative rapproche des auteurs d'infractions et des victimes mais pas nécessairement l'auteur et sa victime.

M. Franck Chaulet. - Elle peut en effet adopter ces modalités, mais pas exclusivement. L'objet de la justice restaurative est la compréhension des actes par un échange entre auteurs et victimes.

Mme Jocelyne Guidez, présidente. - Vous n'avez pas répondu à l'une de mes questions. Est-il nécessaire de créer un délit spécifique de harcèlement scolaire ? Les textes existent-ils, même s'ils ne sont pas appliqués ? En effet, je n'ai pas le sentiment que des peines de deux ou trois ans d'emprisonnement soient souvent prononcées en cas de harcèlement prolongé en milieu scolaire.

Par ailleurs, la multiplication des journées « pour » ou « contre » une cause leur fait perdre toute lisibilité. Peut-être faudrait-il aller plus loin et mettre en place une semaine contre le harcèlement scolaire et organiser des débats dans tous les établissements, des écoles primaires aux lycées ?

Mme Aude Métivier. - Certains collèges organisent une semaine du Respect et de la Citoyenneté. Je partage votre avis sur le galvaudage des journées nationales mais je suis favorable à la renommer avec des notions positives comme la bienveillance ou l'entraide.

Sur la création d'un délit spécifique, je considère que l'arsenal juridique est suffisant. Par ailleurs, le terme scolaire rejetterait toute la responsabilité du harcèlement sur le milieu scolaire. Or, le harcèlement dépasse largement le cadre de l'école. Il est important que l'âge de la victime demeure une circonstance aggravante, tout comme l'utilisation d'un moyen de communication en ligne. Je rappelle aux enfants que la portée d'un harcèlement dans une classe de 30 élèves n'est pas la même que la diffusion d'injures ou de moqueries en ligne, qui dépasse largement le cadre de la classe. J'explique la loi, je ne me contente pas de lister les peines encourues, je détaille les conséquences du harcèlement pour une victime.

J'ai observé une évolution depuis 20 ans. Auparavant, quand j'intervenais dans une classe de 6e, j'avais en face de moi de potentielles victimes. Aujourd'hui, les victimes mais aussi les auteurs doivent se reconnaître. Mon message doit être empathique tout en rappelant la loi et le traumatisme des victimes. Parfois, je m'interroge sur la manière de réagir en cas de harcèlement en primaire, notamment par rapport à l'âge de la responsabilité pénale. J'ai en tête le drame de 2019 dans le Val-d'Oise avec des enfants de 11 ans.

M. Franck Chaulet. - Je pense que la frontière entre l'auteur et la victime est poreuse.

Si l'Éducation nationale doit avoir la capacité de détecter les situations de harcèlement et de les signaler, le cyberharcèlement implique l'autorité parentale. Comment peuvent-ils être vigilants sur l'utilisation des réseaux sociaux par leurs enfants quand ils sont eux-mêmes de gros consommateurs ?

Quand les parents ont accès aux échanges sur les réseaux sociaux, ils sont souvent effarés. Il y a quelques années, un artiste de bande dessinée a transposé dans la vie réelle les modalités d'échange et de communication sur les réseaux sociaux. Le résultat était étonnant, avec des personnes qui s'insultaient en se croisant.

Comment impliquer les parents dans ces processus ? J'observe que la plupart des mesures éducatives alternatives à la réponse pénale sont efficaces. En cas de récidive ou compte tenu de l'âge des auteurs, des mesures plus fermes peuvent être prises.

J'ai donc le sentiment que les outils existent et que pour les mettre pleinement en oeuvre nous avons besoin de signalements rapides.

La réforme du Code de la justice pénale des mineurs qui entrera en vigueur le 30 septembre 2021 vise justement à apporter des réponses beaucoup plus rapides à ces situations.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Avant de signaler à la justice le comportement d'un élève, un chef d'établissement doit s'assurer de la réalité des faits. Il faut que les élèves et leurs familles aient conscience d'avoir enfreint un règlement intérieur. Comment voyez-vous l'articulation de ces éléments ?

M. Franck Chaulet. - Le premier réflexe est de protéger les victimes. La communauté enseignante doit détecter les signaux faibles pour identifier un mineur victime de harcèlement. Il existe des processus de signalement, comme les CRIP, qui permettent à l'autorité administrative et aux magistrats de se saisir de ces situations et de déclencher des investigations.

M. Pierre Sennès. - La notion de signalement est sensible et l'équilibre à trouver est assez subtil. Je comprends que les chefs d'établissements se posent beaucoup de questions. Avant de déclencher un signalement, ils prennent souvent attache avec les magistrats du parquet pour évoquer de manière informelle la situation. C'est une bonne pratique.

Dès lors que le chef d'établissement dispose d'informations préoccupantes étayées, qu'il a détecté une dégradation des conditions de vie ou une altération de la santé physique ou mentale d'un élève, il doit communiquer l'information à la justice par le biais du signalement. Il ne doit pas mener d'enquête au sein de l'établissement, il appartient à l'autorité judiciaire de le faire pour identifier les auteurs et les modes opératoires utilisés.

Nous disposons d'excellents enquêteurs dans les services de police et de gendarmerie qui sont capables d'effectuer des recherches sur internet pour retrouver des messages de harcèlement. C'est à la justice de rechercher la qualification pénale des faits et d'y mettre fin pour protéger la victime.

Si le chef d'établissement attend trop longtemps avant de procéder à un signalement, la victime continuera à subir du harcèlement, des violences ou des persécutions.

Dans le protocole, les chefs d'établissement disposent du numéro de permanence du parquet des mineurs. Ils ont la possibilité de joindre à tout moment un magistrat qui s'occupe de la délinquance et de la protection des mineurs. Ils peuvent ainsi évaluer avec lui les contours d'une affaire et ce magistrat leur dira si les faits sont suffisamment sérieux pour justifier l'ouverture d'une enquête. La qualité des relations interpersonnelles entre les différents acteurs institutionnels est importante et renforce la qualité de la réponse institutionnelle pour protéger les victimes.

Mme Aude Métivier. - Je suis souvent frappée que face à un cas de harcèlement scolaire dans un collège, ce soit la victime qui parte et pas les auteurs. Je travaille avec le collège d'Herblay, qui a connu un drame en 2019, et je croise les auteurs qui avaient 11 ans au moment des faits.

Mme Jocelyne Guidez, présidente. - Je suis moi aussi choquée, même si ce sont souvent les parents qui prennent cette décision car toute la famille est touchée par le rejet de son enfant.

M. Franck Chaulet. - Je trouve choquant, d'un point de vue moral, que les auteurs restent et que la victime parte.

Pourtant, je souhaite nuancer cette approche par la dimension protectionnelle de la victime. Le mineur souhaite-t-il rester ou changer d'établissement ? Le sortir d'un environnement délétère est aussi le moyen de le protéger rapidement, d'autant plus, qu'en cas de harcèlement de groupe, sortir tous les auteurs peut prendre du temps.

Mme Jocelyne Guidez, présidente. - Il y a toujours un meneur dans une meute et je m'interroge sur la meilleure approche.

Pourquoi ne pas résumer le protocole dans le carnet de correspondance ?

Mme Toine Bourrat. - Je crois que ces carnets n'existent plus, j'ai deux enfants, dans deux collèges différents, et ils n'en ont pas.

Mme Aude Métivier. - Le règlement intérieur des établissements est souvent très long et peu compréhensible par les enfants. Il serait intéressant de les associer à la rédaction de ce document pour qu'ils se l'approprient.

En début d'année scolaire, j'ai été invitée par un collège à participer à une réunion du Conseil de la vie collégienne qui regroupe tous les délégués. Je leur ai expliqué le règlement intérieur et nous avons essayé de le rendre plus accessible. Le chef d'établissement a compris qu'il était trop compliqué, trop long avec ses 36 pages. Je pense qu'il est important d'associer les élèves à la rédaction de ces documents. Pour que les règles soient comprises, il faut qu'elles soient admises.

Mme Colette Mélot, rapporteure. - Je partage votre point de vue. Dès le début de l'année scolaire, les élèves doivent être associés à l'élaboration du règlement intérieur et doivent avoir la capacité de le comprendre. Ces dispositions doivent être rendues obligatoires.

Mme Aude Métivier. - Parallèlement aux actions visant à lutter contre le harcèlement, nous devons promouvoir des celles favorisant l'entraide, la solidarité, l'esprit de groupe et le collectif. Elles peuvent se faire dans toutes les matières, pas uniquement en EPS, en privilégiant le travail en sous-groupes.

M. Pierre Sennès. - Je souscris à tous les propos qui ont été tenus. Je crois beaucoup à la culture d'établissement, à la communauté éducative, au rôle des référents adultes qui sont en contact au quotidien avec les mineurs et qui doivent être capables de détecter les signaux d'alerte, notamment pour le cyberharcèlement où un élève peut changer brutalement de comportement. Cette vigilance peut être étendue aux comportements liés à la toxicomanie ou aux mauvais traitements que le mineur peut subir dans la sphère privée.

L'école est une caisse de résonance. Toute évolution significative des comportements doit alerter et s'accompagner d'une démarche pour libérer la parole. La filière administrative consistant à alerter les CRIP permet de faire une première évaluation des signaux préoccupants qui ne constituent pas forcément des infractions pénales. Les parquets travaillent en étroite collaboration avec les CRIP. Dès qu'elles détectent des éléments impliquant la protection d'une victime, elles font des signalements aux parquets qui mettent en oeuvre les mesures judiciaires de protection en saisissant les juges des enfants ou en prenant en urgence des ordonnances de placement si la situation de danger est avérée.

Mme Toine Bourrat. - Les témoins ont-ils un statut particulier dans le cadre d'un signalement ? Peuvent-ils être considérés comme complices passifs ?

Mme Céline Boulay-Espéronnier. - Existe encore une forme de harcèlement « traditionnel » qui ne se transforme pas en cyberharcèlement ?

Mme Aude Métivier. - Je pense qu'il existe toujours des situations de harcèlement « traditionnel », notamment en primaire. J'observe que l'accès aux réseaux sociaux se fait de plus en plus tôt. J'ai supprimé de la présentation que j'utilise en primaire toutes les images provenant de Snapchat ou d'Instagram car les élèves étaient excités par leur diffusion. Ils connaissent donc ces réseaux.

Une école d'Argenteuil a recensé les pratiques autour des écrans et les résultats ont montré que les enfants de CM1 et de CM2 étaient sur les réseaux sociaux, avec la complicité des parents. Il est donc compliqué d'agir. Mes tentatives de réunion dans le cadre institutionnel se soldent souvent par la présence d'un, deux ou trois parents. Nous devons trouver un autre vecteur de communication.

Mme Bénédicte Galland, rédactrice à la DPJJJe rebondis sur la question du cyberharcèlement. L'association e-Enfance propose une plateforme d'écoute sécurisée, anonymisée, disponible tous les jours, et qui dispose d'une équipe de juristes et de professionnels du numérique. Elle a des partenariats avec les modérateurs des réseaux sociaux et les signalements sont plus rapides. Elle propose des modules de prévention aux parents, par exemple sur la mise en place de contrôles parentaux et travaille sur la récidive en proposant des paramétrages de comptes.

Mme Jocelyne Guidez, présidente. - Nous recevrons des représentants des réseaux sociaux la semaine prochaine.

Mme Aude Métivier. - Je n'ai pas la réponse sur les témoins. Monsieur le Procureur peut sans doute l'apporter. Dans un groupe, les enfants ne savent pas toujours quel rôle endosser et peuvent être tiraillés entre de la gêne et une forme de soulagement de ne pas être l'objet du harcèlement. Ils craignent aussi les représailles. Ils sont témoins mais pas complices, la complicité supposant qu'une aide ait été fournie.

Mme Jocelyne Guidez, présidente. - Ceux qui font partie de la meute sont complices. Les autres sont témoins et ferment les yeux par peur de représailles. Quand un de mes proches a été harcelé, isolé, mis de côté, il a fallu faire la différence entre la meute et les témoins silencieux.

M. Pierre Sennès. - Le complice participe à la commission de l'infraction et apporte une aide ou une assistance. Il accomplit des actes matériels. Le témoin de son côté ne peut pas être inquiété sur le plan pénal.

Sur le cyberharcèlement, la loi du 4 août 2018 a étendu la notion de groupe et ce n'est plus de complicité dont il faut parler mais de co-auteurs. Une personne qui émet un seul message dans une action de groupe est considérée comme auteur du délit de cyberharcèlement. Le texte prévoit que l'auteur du harcèlement doit commettre des actes répétés, sauf dans une action de groupe. Cette évolution législative permet de maintenir dans les liens pénaux et donc dans les liens de la prévention tous ceux qui participent au raid numérique, pour reprendre l'expression utilisée dans la circulaire du Garde des Sceaux.

L'arsenal juridique couvre l'ensemble des situations. Les infractions sont bien définies, les circonstances aggravantes sont prévues par les textes, notamment s'il s'agit de mineurs de moins de 15 ans, d'actions de groupe ou si le harcèlement a pour vecteur une communication électronique. Je ne vois donc pas l'utilité de définir un délit spécifique de cyberharcèlement scolaire.

Mme Jocelyne Guidez, présidente. - Quels types de stages la PJJ met-elle en place pour les harceleurs ?

M. Franck Chaulet. - Un auteur mineur mis en cause pour la première fois fait l'objet de mesures alternatives aux poursuites à portée éducative, qui se traduisent par l'organisation de stages. Il s'agit de faire comprendre au mineur ce qu'il a fait et le dommage causé aux victimes.

Le parquet de Nice et le service de milieu ouvert de la PJJ ont travaillé sur un stage adapté à ces sujets de cyberharcèlement pour disposer d'une réponse éducative forte.

Mme Aude Métivier. - Le site « non au harcèlement » propose de nombreuses ressources pour les professionnels, notamment des grilles permettant aux enseignants de repérer les signaux faibles.

Il faut évidemment sanctionner les délits et penser aux victimes. Un premier travail de repérage permet de gagner du temps en démêlant les situations urgentes et celles qui viennent de commencer. Je m'exprime avec prudence et je ne veux pas que l'Éducation nationale improvise des enquêtes mais certaines situations peuvent être réglées au sein des classes et des établissements.

Enfin, nous ne devons pas superposer les dispositifs, comme le Comité des parents. Je sais que la direction centrale de la sécurité publique a organisé des réunions à Paris en l'absence de l'Éducation nationale et des fédérations de parents d'élèves. Nous devons nous également nous concentrer sur un numéro unique, pour plus de clarté.

Mme Jocelyne Guidez, présidente. - Je vous remercie pour votre participation à cette table ronde.

La réunion est close à 12 h 15.