Mercredi 28 septembre 2022

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 50.

Projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi - Audition de la présidente et du vice-président de l’Unédic

Mme Catherine Deroche, présidente. – Mes chers collègues, nous entendons ce matin Mme Patricia Ferrand, présidente et M. Jean-Eudes Tesson, vice-président de l’Unédic, sur le projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi.

Sous réserve de sa bonne transmission par l’Assemblée nationale, nous devrions examiner ce texte en commission le 12 octobre prochain, puis en séance publique à partir du 25 octobre.

Nos rapporteurs pressentis, que je soumettrai à votre confirmation tout à l’heure, sont Frédérique Puissat et Olivier Henno.

J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Mme Patricia Ferrand, présidente de l’Unédic. – Nous vous remercions de votre invitation, mesdames, messieurs les sénateurs.

Nous n’avons pas prévu de propos liminaires. En revanche, je précise que l’Unédic est un organisme paritaire. Je préside le conseil d’administration et représente la CFDT, Jean-Eudes Tesson représentant pour sa part le Medef.

Les organisations patronales et syndicales, que vous auditionnerez très certainement, vous livreront sans doute des points de vue contrastés sur ce projet de loi.

Pour notre part, nous nous efforcerons d’avoir un regard paritaire : nous ne sommes pas ici les porte-parole des organisations que nous représentons.

Mme Frédérique Puissat. – Toute promesse politique tenue doit être saluée. En l’occurrence, la promesse du Gouvernement de faire des textes courts l’est manifestement, puisque ce projet de loi ne comprend que cinq articles – dont deux sur l’assurance chômage.

Ce texte pose tout d’abord la question de la gouvernance de l’assurance chômage, gérée aujourd’hui selon le principe du paritarisme. L’article 1er vise notamment à ce que le Gouvernement se ressaisisse de la détermination des règles de l’assurance chômage jusqu’en décembre 2023. En d’autres termes, l’exécutif « reprendrait les clefs du camion », considérant peut-être que les partenaires sociaux n’ont pas suffisamment bien géré l’Unédic.

Les deux composantes que vous représentez considèrent-elles que l’assurance chômage doit rester dans le champ du paritarisme ? Selon vous, est-ce que la gouvernance paritaire de l’assurance chômage fonctionne ?

S’agissant du budget de l’assurance chômage, le ministre a annoncé des excédents pour 2022, en les attribuant de façon très politique à la loi de 2018. Toutefois, le retour à l’équilibre du système d’assurance chômage avait été annoncé avant même la réforme de 2019. Pouvez-vous nous confirmer qu’indépendamment du décret de carence de 2019, les comptes de l’Unédic seraient revenus à l’équilibre ?

Enfin, vous aviez, à l’époque, et de façon très intéressante, détaillé la provenance de la dette de l’assurance chômage, pointant un certain nombre de domaines qui relevaient de décisions de l’État et qui pesaient dans votre budget : le point de retraite complémentaire des chômeurs – 2 milliards d’euros –, l’indemnisation des travailleurs transfrontaliers – 700 millions d’euros –, le fonctionnement de Pôle emploi – 4 milliards d’euros – et l’activité partielle, qui a beaucoup pesé, notamment au cours de la crise sanitaire. Pensez-vous qu’il soit possible de « nettoyer » le budget de l’Unédic pour rendre à l’État ce qui lui appartient ?

Enfin, de façon constante, la majorité du Sénat s’est opposée au mécanisme du bonus-malus sur les contributions d’assurance chômage. Sans remettre en cause ce dispositif, ce texte propose d’éclairer les entreprises concernées par le dispositif en leur permettant d’obtenir la liste des salariés pris en compte pour la détermination de leur taux modulé. Dès lors, deux approches sont possibles : soit nous continuons à nous opposer au bonus-malus, soit nous entreprenons de le recentrer en excluant notamment des fins de contrat pris en compte les intérimaires, les licenciements économiques et les abandons de postes. Quelle est votre opinion sur ce point ? Personne ne peut se satisfaire des contrats courts, mais peut-être le dispositif de bonus-malus pourrait-il être affiné.

Mme Patricia Ferrand. – Oui, il me semble que la gouvernance de l’assurance chômage fonctionne. Mais derrière le vocable de gouvernance, il faut distinguer deux choses : d’une part, la négociation des règles de l’assurance chômage – celle-ci est en principe déléguée aux partenaires sociaux, mais, en effet, ce projet de loi a pour but de mettre totalement entre parenthèses cette délégation, ce qui est un acte très fort – ; d’autre part, la gestion du régime lui-même : il revient à l’Unédic de mettre en œuvre les règles décidées par les partenaires sociaux par convention, hors régime de carence, et d’assurer la gestion financière du régime.

S’agissant de la gestion, la période covid a montré le savoir-faire de la structure associative paritaire qu’est l’Unédic. En mars 2020, il a fallu rapidement indemniser 1 million de chômeurs supplémentaires, et le système a fonctionné.

Il me semble que la performance de l’Unédic ne doit pas se mesurer seulement au regard de son niveau d’endettement, qui a augmenté y compris sous le régime de carence.

M. Jean-Eudes Tesson, vice-président de l’Unédic. – Ce projet de loi peut être perçu de façon très politique ou exclusivement technique. Les partenaires sociaux, chargés de négocier les règles de l’assurance chômage, devaient recevoir pour le 30 juin 2022 une lettre de cadrage. Sur fond d’élections, celle-ci n’est jamais arrivée.

Nous avons travaillé en concertation avec l’État pour examiner les solutions possibles. On pouvait proroger les règles actuelles, mais avec quels outils juridiques ? Le ministère a estimé qu’un décret ne suffisait pas et qu’il fallait passer par la loi. Techniquement, le rôle des partenaires sociaux dans la gouvernance de l’assurance chômage devait être suspendu pendant un certain temps. De ce point de vue, il s’agit d’un projet de loi technique. Cache-t-il néanmoins des intentions plus politiques ? L’État souhaite-t-il durablement suspendre le rôle des partenaires sociaux dans l’élaboration des règles ? Je n’ai pas la réponse ; seul l’avenir nous le dira. Étant toutefois d’un naturel optimiste, je préfère m’en tenir à l’hypothèse d’un dispositif purement technique, en attendant la concertation qui s’annonce.

Je veux toutefois saluer le rôle des partenaires sociaux durant toutes ces années au cours desquelles ils ont défini entre eux les règles de l’assurance chômage. Nous sommes loin d’un constat d’échec, me semble-t-il. En revanche, il est bon de réfléchir à la question de la gouvernance, car l’Unédic d’aujourd’hui n’est pas celle d’hier, en particulier par son rôle de financeur.

Nous ne sommes plus dans un système où les cotisations étaient directement fléchées vers leurs destinataires. L’Unédic est devenue une sorte de pot commun, alimentée par des cotisations patronales, mais aussi par une part de CSG ; elle doit financer non seulement les allocations des demandeurs d’emploi – son cœur de métier –, mais aussi contribuer à la retraite des demandeurs d’emploi, à celle des détenus et prendre en charge la plus grosse partie du budget de Pôle emploi. La gouvernance d’ensemble devient donc plus difficilement lisible.

Mme Patricia Ferrand. – Je partage le point de vue de Jean-Eudes Tesson.

D’ailleurs, sauf erreur de ma part, dans l’exposé des motifs du projet de loi, il est fait référence à une concertation non seulement sur la modulation des allocations en fonction de la conjoncture, mais aussi sur la gouvernance.

Les organisations syndicales et patronales s’accordent pour dire que nous sommes au milieu du gué. Le document de cadrage de 2019 rendait la négociation impossible, et il faut aujourd’hui clarifier les responsabilités des uns et des autres. Quelles sont les compétences de l’État, les responsabilités des partenaires sociaux ? Le statu quo semble impossible.

Au sein de la dette de l’Unédic, qui avoisinera sans doute 60 milliards d’euros fin 2022, 19 milliards d’euros environ relèvent des strictes mesures d’urgence prises pendant la période covid – le financement de l’activité partielle pour 15 milliards d’euros, mais aussi la prolongation des droits et l’année blanche pour les intermittents.

Certes, nous portons cette dette covid, mais nous estimons qu’elle ne relève pas du financement du régime. Jean-Eudes Tesson a parlé des nouveaux bénéficiaires qui ne cotisent pas. Cela soulève beaucoup d’interrogations dans la gestion d’un régime que nous souhaitons toujours assurantiel, avec des cotisants qui acquièrent des droits. Il me semble donc que toutes les organisations souhaitent une clarification des responsabilités entre l’Unédic et l’État.

M. Jean-Eudes Tesson. – Je me permets d’insister sur la dette « covid ». Nous distinguons désormais toujours la dette de l’Unédic liée à sa mission, qui dépend de la conjoncture, et cette dette exceptionnelle née de décisions qui ne relevaient pas des partenaires sociaux.

Sur cette dernière, nous considérons que nous assurons seulement une mission de portage, et nous comptons bien engager des discussions avec l’État pour savoir qui va devoir la rembourser. En attendant, nous remboursons notre propre dette, grâce aux prévisions d’excédents dont vous avez fait état – les dernières prévisions quadrimestrielles font apparaître un excédent prévisible de 2,5 milliards d’euros cette année, et d’environ 10 milliards d’euros sur les exercices 2022, 2023 et 2024. Même si, techniquement, il s’agit bien d’un excédent, n’oublions pas que notre dette reste abyssale au regard de nos ressources et de notre résultat d’exploitation. Il n’y a donc pas de cagnotte et le vrai excédent reste celui de notre dette.

Toutefois, si l’on retirait à l’Unédic toutes les charges qui ne sont pas adossées à des cotisations, sa situation financière serait nettement différente.

Mme Patricia Ferrand. – S’agissant de l’article du projet de loi visant à informer les entreprises sur « l’origine du mal » en leur communiquant les données nominatives des salariés concernés, je me permets, cette fois au nom des organisations syndicales, de lancer une petite alerte.

La moitié des personnes qui sont indemnisées le sont sur des contrats courts et récurrents, le plus souvent conclus avec le même employeur. Il faut savoir que ce phénomène de « réembauche » représente environ 75 % de l’ensemble des contrats courts.

Or, on a constaté dans d’autres pays que cette communication des données nominatives pouvait comporter un risque de chantage à l’emploi, de non-recours aux droits ou d’augmentation du travail au noir. « Je ne te réembauche pas si tu t’inscris à Pôle emploi... ». C’est un élément qu’il faut prendre en compte dans la réflexion aujourd’hui.

M. Jean-Eudes Tesson. – Je ne porterai pas de jugement sur le dispositif du bonus-malus lui-même en tant que vice-président de l’Unédic, mais je peux vous apporter un témoignage de chef d’entreprise opérant dans l’un des sept secteurs assujettis.

Dans ma société de logistique de vins et spiritueux, dont l’activité a un caractère très saisonnier, le taux de séparation est de 775 %, bien au-dessus du seuil fixé à 150 % au-dessus duquel un secteur est assujetti au dispositif. Nous sommes donc au malus maximum, mais comment améliorer notre taux de séparation ? Les alternatives ne sont pas simples à trouver et leur mise en œuvre exige de déployer beaucoup d’énergie. De surcroît, même en faisant des efforts substantiels, on restera sans doute au malus maximum, ce qui n’est pas franchement incitatif.

On pourrait certes envisager de demander la liste des salariés, mais comment la vérifier ensuite, et comment la contester le cas échéant ? La voie du recours amiable auprès de l’Urssaf me semble assez stérile. Comment, enfin, préserver une certaine confidentialité sur le parcours du salarié ?

Mme Patricia Ferrand. – Le rôle de l’Unédic est aussi d’opérer des évaluations pour le compte des partenaires sociaux. Le dispositif du bonus-malus sera donc évalué, bien évidemment, mais comme il ne s’applique que depuis quelques jours, les données sont encore insuffisantes. Il semblerait toutefois que la situation décrite par Jean-Eudes Tesson ne soit pas si exceptionnelle que cela.

Aujourd’hui, ce mécanisme s’applique à un très petit nombre d’entreprises, d’autant que certains secteurs ont été exclus à la suite de la crise du covid. Des questions se posent sur l’efficacité de ce mécanisme incitatif, mais il est encore difficile de l’évaluer pour l’instant.

M. Jean-Eudes Tesson. – Vous avez évoqué l’idée d’exclure les intérimaires, madame la sénatrice. On pourrait aussi envisager d’exclure les salariés qui refusent un CDI. Un employeur qui se trouve pénalisé dans ce cas n’est pas incité à faire des efforts !

Mme Patricia Ferrand. – Je ne dis pas que cela n’existe pas, mais, comme pour les abandons de postes, c’est une réalité très difficile à quantifier.

Rappelons aussi que les droits de ceux qui alternent entre emploi et périodes d’inactivité ont très fortement diminué avec la dernière réforme. Il est certes important d’entendre les réalités de terrain des chefs d’entreprise, mais de très nombreux salariés se voient toujours proposer des contrats de quelques heures, y compris en cette période où les recrutements sont difficiles. Un quart de la vingtaine de millions de missions d’intérim accomplies chaque année dure moins d’un jour !

M. Olivier Henno. – Nous pouvons dire que ce projet de loi présente à la fois une dimension technique, politique et financière. Toutefois, comme le disait Pierre Mauroy, on est toujours rattrapé par la politique !

Sur le paritarisme, je salue vos propos. Il est bon en effet que les partenaires sociaux réaffirment leur attachement au paritarisme, qui peut – et doit ! – permettre à une négociation d’aboutir.

Sur le plan financier, on a effectivement besoin de bilans et d’évaluations, car on a parfois l’impression de passer d’une convention à une autre sans avoir totalement mesuré les impacts de la convention précédente.

J’aimerais également avoir votre avis sur le dispositif d’activité partielle – évolutions possibles, impacts financiers – et sur la validation des acquis de l’expérience (VAE) ?

Enfin, s’agissant de gouvernance, quel regard portez-vous sur le projet de création de France Travail ?

Mme Patricia Ferrand. – Sans parler de son adaptation en urgence à l’occasion de la crise sanitaire, le dispositif d’activité partielle est ancien. On peut toujours l’améliorer, mais il ne fonctionne pas trop mal.

On pourrait également consolider, me semble-t-il, le dispositif d’activité partielle de longue durée (APLD), qui exige un accord collectif, de branche ou d’entreprise, et qui permet, s’il est bien négocié, de profiter de l’activité partielle, par exemple, pour monter en compétences – on sait que c’est un enjeu majeur aujourd’hui sur le marché du travail. En ce qui concerne la formation, le dispositif de base d’activité partielle est un peu moins incitatif, la rémunération n’étant pas abondée.

Nous nous intéressons évidemment à la VAE, sur laquelle je pourrais m’exprimer longuement. Pour nous, il est évident que l’indemnisation et l’accompagnement doivent cheminer ensemble. L’indemnisation sera d’autant moins longue que les personnes seront bien accompagnées et formées pour retrouver rapidement un emploi stable.

Enfin, s’agissant de France Travail, une concertation est lancée, avec peut-être une autre grande loi Travail à la clef. L’Unédic est concernée au premier chef, car nous finançons aujourd’hui quatre-cinquièmes du budget de Pôle emploi, mais nous n’en savons pas beaucoup plus pour l’instant. De façon transitoire, la question sera sans doute réglée par une prorogation de la convention tripartite actuelle entre l’État, l’Unédic et Pôle emploi pour 2023. Mais il y a là aussi un vrai sujet de gouvernance, qu’il faudra articuler avec le chantier de la gouvernance de l’assurance chômage.

M. Jean-Eudes Tesson. – S’agissant du dispositif de chômage partiel, il a été salutaire pour notre pays lors de la crise du covid. En cas de nouvelle crise – imaginons des fermetures d’entreprises en raison d’une crise de l’énergie –, faudrait-il reconduire le dispositif retenu pendant la pandémie ? La situation ne serait pas exactement la même, et il faudrait veiller aux risques spéculatifs sur l’énergie : certaines entreprises pourraient fermer uniquement pour revendre leurs droits Arenh (accès régulé à l’énergie nucléaire historique) et gagner plus d’argent. Il faudrait aviser en fonction de la situation.

Enfin, Pôle emploi – peut-être France Travail demain – est l’un des deux opérateurs de l’Unédic – avec l’Urssaf, qui assure le recouvrement des cotisations. Nous souhaitons donc qu’il continue à faire baisser nos charges en pourvoyant un maximum d’emplois et qu’il assure de façon satisfaisante le versement des allocations. Pour nous, le critère le plus important est l’amélioration de la qualité de service. Si tel devait être le cas, nous serions favorables à la création de France Travail.

Mme Monique Lubin. – Pour notre part, nous désapprouvons totalement la reprise en main par le Gouvernement de ces questions et la fin annoncée du paritarisme. À titre personnel, je trouve la méthode assez violente, mais nous aurons l’occasion d’en discuter lors de la présentation de ce projet de loi.

Au-delà de la forme, sur le fond, n’assiste-t-on pas à un changement de philosophie de l’assurance chômage ? L’indemnisation des demandeurs d’emploi est réduite au minimum, on les pousse à revenir obligatoirement vers l’emploi, épousant en cela la vox populi qui estime majoritairement que les chômeurs doivent retourner bosser.

Je crois que l’on devrait tenter d’éclairer la vox populi, et que l’assurance chômage est aussi faite pour que les demandeurs d’emploi, après un échec dans l’emploi, puissent prendre un peu de temps pour se pencher sur leur avenir professionnel, se former, changer d’orientation, et non être obligés de reprendre n’importe quel emploi dans n’importe quelles conditions.

Mme Raymonde Poncet Monge. – L’article 62 de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel dispose que le Gouvernement doit remettre au Parlement, dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la loi, un rapport sur la réalité et les conséquences du non-recours aux droits en matière d’assurance chômage.

La presse estime que ce rapport existe, mais, à ma connaissance, il n’a toujours pas été rendu public. Que contient-il ? Que sait-on du non-recours dans ce domaine ?

Par ailleurs, vos évaluations confirment-elles une baisse des allocations et du nombre d’allocataires induite par la loi de 2018 ? Comptez-vous également évaluer à l’avenir la qualité de l’emploi retrouvé après l’entrée en vigueur de cette loi, en termes de niveau de rémunération, de temps de travail et de durabilité de l’emploi ?

M. Philippe Mouiller. – J’ai bien noté qu’un tiers de la dette de l’Unédic était liée à la crise du covid. Pourtant, souvent, dans le bilan du Gouvernement en la matière, cette ligne n’apparaît pas !

J’ai entendu aussi vos interrogations sur le champ d’intervention de l’Unédic. Ne faut-il pas le recentrer sur sa mission première, et en parallèle mettre sur la table la question du transfert à la sécurité sociale des 35 % de CSG qui reviennent à l’Unédic ?

Sur mon territoire, je suis entouré de chefs d’entreprise qui ne parviennent pas à recruter ou qui essuient des refus de CDI. Ce texte n’est-il pas l’occasion de durcir clairement les positions ? De même, les ruptures conventionnelles ont pu être un atout, mais ne sont-elles pas aujourd’hui utilisées de façon abusive au détriment du marché de l’emploi ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – Lors de la discussion de la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale, j’avais déjà invité les partenaires sociaux à remettre complètement à plat le système paritaire s’ils ne voulaient pas que l’État se mêle plus de leurs affaires qu’il ne le fait actuellement.

À mes yeux, sans révision profonde du fonctionnement de la gouvernance, le paritarisme est en danger. Pourtant, je vous assure, je suis « paritariste » à fond ! J’y crois, et cela fonctionne très bien à l’Agirc-Arrco.

J’étais opposé à la suppression des cotisations salariales en 2019, car cela changeait complètement la nature du régime, le faisant dériver d’un régime d’assurance vers un régime d’assistance.

La création de France Travail peut être l’occasion d’un débat de fond. Pour moi, il faut dépasser la notion de chômage et viser le plein emploi, ce qui passe par la formation de tous ceux qui se retrouvent un jour au chômage. Or être en formation, ce n’est plus être au chômage. Si l’on ne pose pas le problème de cette manière, on ne trouvera jamais de solutions.

M. Daniel Chasseing. – Vous nous avez expliqué qu’une partie de la dette était due au chômage partiel mis en place pendant la crise du covid. Quels sont les déficits dont l’Unédic est responsable ? Depuis 2020, n’avez-vous pas eu de réponse du Gouvernement pour la prise en charge de cette dette, que vous estimez due aux directives de l’État ?

À l’avenir, ne faut-il pas que les chômeurs soient pris en charge par France Travail sur la base d’un diagnostic santé, logement et mobilité pour aller vers l’emploi ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. – Une fois n’est pas coutume, je partage l’intervention de M. Vanlerenberghe. L’emploi, c’est aussi la dignité. Il faut aller vers le plein emploi, mais avec des conditions de travail dignes et des salaires à la hauteur.

L’exécutif souhaite moduler l’assurance chômage en fonction de la situation du marché du travail, comme cela se fait au Canada à l’échelon régional. Depuis la réforme de 2019, il faut avoir travaillé six mois sur les vingt-quatre derniers mois pour y avoir droit. Comment interviendra cette modulation demain ? Faudra-t-il avoir travaillé sept mois ? La période de référence passera-t-elle à dix-huit mois ?

Vous avez évoqué, madame Ferrand, la question des contrats courts. Si, épuisée, une aide-soignante arrête de travailler, elle sera indemnisée sur une période moindre, car les besoins du secteur seront forts. On fait fi de la pénibilité de ces emplois.

Mme Patricia Ferrand. – Nous partageons l’idée qu’il faut refonder le système. Un accord national interprofessionnel sur le paritarisme a été signé voici quelques mois ; il aborde notamment la démocratie sociale. Au-delà de la place des partenaires sociaux, il faut déterminer à quoi sert le régime, ce qui permettra ensuite de clarifier les responsabilités. Le régime ne peut pas tout faire ! Il y a très certainement de nouveaux besoins sur le marché du travail, auxquels il faut répondre de façon plus systémique. Il faut aussi déterminer l’articulation du régime avec d’autres systèmes de protection. Il convient de partir de là, plutôt que de la nature du financement, en se demandant à quels besoins le régime doit répondre. Les chômeurs constituent aujourd’hui des publics très hétérogènes, avec des besoins très différents. Il faut replacer l’indemnisation dans cet écosystème, et surtout ne pas confondre le régime avec les minima sociaux.

Nous n’avons pas plus d’informations que la commission sur le rapport relatif au non-recours. Une concertation se tiendra prochainement sur la durée d’indemnisation. L’évaluation d’une réforme, a fortiori une réforme ayant pour objet de modifier les comportements, prend davantage que trois mois. L’Unédic mène systématiquement ce travail pour donner des éléments de réflexion aux partenaires sociaux et nourrir le débat public, sous le double angle du financement et des effets sur les personnes concernées.

Enfin, je ne partage pas l’estimation de 1,5 million d’emplois vacants. La Dares estime que leur nombre, certes en hausse, est compris entre 350 000 et 500 000. Nous sommes loin du nombre de demandeurs d’emploi.

M. Jean-Eudes Tesson. – Il n’y a pas un, mais des chômages. La véritable bascule a été, à mon avis, le remplacement des cotisations salariales par la CSG, qui a eu un impact sur la perception du demandeur d’emploi. Tant que l’assurance chômage était une véritable assurance, elle était perçue comme un remboursement versé à des sinistrés de manière transitoire. En passant à un financement par la solidarité nationale, on fait de la demande d’emploi un statut.

Après cette bascule, que fait-on ? La réponse varie selon les territoires. En Vendée, Pôle emploi aide les entreprises à recruter. Dans d’autres territoires, il accompagne les demandeurs d’emploi. Dans cette dernière catégorie, il faut distinguer les chômeurs en situation transitoire, qu’il n’est pas nécessaire d’accompagner, ceux qui ont besoin d’être formés, et ceux qui sont « inemployables », même si je n’aime pas ce terme. Je connais ce dernier public, ayant présidé durant vingt ans une association d’insertion par le logement. Il n’y a pas de solution sans approche par l’inclusion, dans toutes les dimensions de la vie : le travail, mais aussi la santé, car beaucoup d’entre eux relèvent de la psychiatrie, ce que la société ne veut pas voir.

Adapte-t-on la gouvernance à la nouvelle philosophie ou revient-on à la philosophie d’origine ? Ce n’est pas à moi de trancher. Concernant la gouvernance, mon organisation m’a demandé de prendre ce mandat pour défendre le paritarisme au sein de l’Unédic, et non pour m’occuper de ses finances. Geoffroy Roux de Bézieux m’a réitéré cette demande, à laquelle je souscris pleinement.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – Cela me convient parfaitement, à condition que l’Unédic se saisisse pleinement de la question du paritarisme. Sans partenaires sociaux au premier rang, cela ne fonctionnera pas. J’entends que les associations d’inclusion participeront à la gouvernance de France Travail. J’ai présidé pendant plus de vingt ans une association qui porte le nom de « Maison de l’emploi et des métiers », alors qu’elle s’appelait à l’origine la Maison des chômeurs. C’est dire que nous avons changé de paradigme pour mettre l’accent sur l’insertion.

Que fait-on des gens inemployables, qui ont des difficultés de santé ? Aux Pays-Bas, ils sont retirés du chômage. C’est un problème social. Il faut, lorsqu’on est aux portes du plein emploi, permettre à tout le monde d’avoir sa chance. Tout doit être intégré dans une vision d’ensemble, et vous avez un rôle éminent à jouer car vous gérez 30 à 35 milliards d’euros de cotisations et contributions.

Mme Catherine Deroche. – Je vous remercie pour vos interventions.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible sur le site du Sénat.

Projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi - Désignation de rapporteurs

La commission désigne Mme Frédérique Puissat et M. Olivier Henno rapporteurs sur le projet de loi n° 219 (A.N., XVIe lég.) portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi, sous réserve de sa transmission.

Proposition de loi visant à faire évoluer la formation de sage-femme - Désignation d’un rapporteur

La commission désigne Mme Raymonde Poncet-Monge rapporteure sur la proposition de loi n° 224 (2021-2022) visant à faire évoluer la formation de sage-femme.

Proposition de loi de M. Bruno Retailleau visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale afin de lutter contre « les déserts médicaux » - Désignation d’un rapporteur

La commission désigne Mme Corinne Imbert rapporteure sur la proposition de loi n° 419 (2021-2022) visant à la consolidation et à la professionnalisation de la formation des internes en médecine générale afin de lutter contre « les déserts médicaux » présentée par M. Bruno Retailleau et plusieurs de ses collègues.

Proposition de loi de Mme Denise Saint-Pé visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste - Désignation de rapporteur

La commission désigne Mme Brigitte Devésa rapporteure sur la proposition de loi n° 874 (2021-2022) visant à accompagner la mise en place de comités sociaux et économiques à La Poste, présentée par Mme Denise Saint-Pé et plusieurs de ses collègues.

Proposition de loi de Mme Valérie Létard créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales - Désignation de rapporteur

La commission désigne Mme Jocelyne Guidez rapporteure sur la proposition de loi n° 875 (2021-2022) créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, présentée par Mme Valérie Létard et plusieurs de ses collègues.

Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 - Demande de saisine pour avis et désignation d’un rapporteur pour avis

La commission demande à être saisie pour avis sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 (AN n°272, 16e legisl.) et désigne Mme Élisabeth Doineau rapporteure pour avis.

Proposition de nomination de M. Benoît Vallet, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) – Désignation d’un rapporteur

La commission désigne Mme Florence Lassarade rapporteure sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Benoît Vallet aux fonctions de directeur général de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, en application de l’article 13 de la Constitution.

Audition de M. Benoît Vallet, candidat proposé par le Président de la République aux fonctions de directeur général de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses)

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous sommes saisis, dans le cadre de la procédure prévue par l’article 13 de la Constitution, de la candidature de M. Benoît Vallet, candidat présenté par le Président de la République aux fonctions de directeur général de l’Anses.

Comme vous le savez, la nomination du directeur général de l’Anses est soumise à cette procédure en application de la loi organique modifiant la loi organique n° 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

Je rappelle que l’Anses a été créée en 2010 à la suite du Grenelle de l’environnement, et qu’elle est chargée d’évaluer les risques sanitaires dans les domaines de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Elle a vocation à éclairer le débat public sur des questions de sécurité sanitaire où le besoin d’objectivation scientifique se fait fortement sentir. L’actualité nous fournit régulièrement des illustrations de ce besoin.

M. Vallet a déjà eu l’occasion de s’exprimer à différents titres devant notre commission, notamment le 4 juin 2020 où il est venu présenter sa candidature à la présidence… du conseil d’administration de l’Anses.

Nous avions alors abordé les perspectives que vous souhaitiez tracer pour l’agence, votre conception de ses relations avec la tutelle, dans laquelle pas moins de cinq directions générales sont impliquées, et le partage des responsabilités entre les ministères et les agences sanitaires dans le contexte de la crise sanitaire.

Notre commission reste mobilisée sur le sujet du financement des agences sanitaires, marqué par un net désengagement de l’État et un passage de relais à l’assurance maladie mais aussi de leur bonne coordination, ce qui est un sujet de la tutelle alors que sont promus des concepts comme celui de One Health.

Je rappelle que cette nomination ne peut intervenir qu’après audition devant les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Cette audition est publique. Elle sera suivie d’un vote, qui se déroulera à bulletin secret. Les délégations de vote ne sont pas autorisées et le dépouillement doit être effectué simultanément à l’Assemblée nationale.

En vertu du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l’addition des votes négatifs exprimés dans les deux commissions représentait, au total, au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.

M. Benoît Vallet, candidat aux fonctions de directeur général de l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. – Je suis heureux et impressionné de me présenter devant vous dans le cadre de cette audition.

Avant d’aborder ma candidature, je me permettrai un bref rappel sur l’Anses.

Créée voici douze ans, c’est donc une agence assez jeune qui regroupe à ce jour, sur seize sites du territoire national, près de 1 400 agents, neuf laboratoires de recherche et utilise pas moins de 800 experts extérieurs issus d’universités et d’organismes de recherche français et étrangers.

La première mission de cette agence est d’apporter aux décideurs publics des repères scientifiques et des recommandations visant à mieux protéger la santé humaine contre les risques liés à l’alimentation, l’environnement ou le travail, ou qui affectent la santé des animaux et des plantes.

Les travaux de l’Anses alimentent l’élaboration de nombreuses dispositions législatives et réglementaires, et peuvent aider les pouvoirs publics à décider de mesures de gestion dans leurs champs de compétence.

L’Anses intervient également comme opérateur et financeur de la recherche publique ; elle coordonne divers dispositifs de vigilance tels la toxicovigilance, s’appuyant sur les centres antipoison, la phytopharmacovigilance, ou encore la nutrivigilance depuis 2015. Elle assure des missions de surveillance et d’alerte sur les risques émergents ou récurrents, comme la grippe aviaire.

L’Anses joue également un rôle essentiel en matière de sécurité sanitaire en garantissant la qualité des analyses officielles en santé animale, en santé des plantes et en sécurité sanitaire des aliments, à l’instar des laboratoires nationaux de référence qui interviennent en santé humaine.

L’Agence s’est également vu confier l’examen des demandes de mise sur le marché pour plusieurs familles de produits réglementés à enjeux sanitaires spécifiques, dont les produits phytopharmaceutiques, les biocides et les médicaments vétérinaires.

Enfin, l’Anses participe aux travaux de nombreuses instances européennes et internationales dans ses différents champs de compétence, notamment en ce qui concerne la sécurité sanitaire des aliments, le risque chimique, la santé et le bien-être animal, champs dans lesquels elle exerce des mandats de laboratoire de référence de l’Union européenne, et y représente la France à la demande du Gouvernement. On peut également évoquer le rôle de coordonnateur confié à l’Anses pour le très ambitieux Partenariat européen pour l’évaluation des risques chimiques (Parc), programme au budget de 400 millions d’euros associant près de 200 partenaires de 28 pays et trois agences européennes. C’est l’exemple même du rôle que l’Anses doit prendre pour stimuler la recherche européenne et internationale dans ses domaines d’expertise.

Je suis candidat à la direction générale de cette agence car plusieurs éléments de mon parcours professionnel me semblent à même de répondre aux compétences requises pour ce poste.

Médecin formé à la recherche, j’ai poursuivi une activité de chercheur et d’enseignant au profit de la santé publique et de la santé mondiale : j’encadre encore un étudiant en thèse de doctorat.

J’ai exercé des responsabilités de management dans plusieurs organisations de santé comme le centre hospitalier universitaire (CHU) de Lille, la direction générale de la santé (DGS) ou l’agence régionale de santé (ARS) des Hauts-de-France.

J’ai contribué en 2016, en tant que directeur général de la santé, à la mise en place des agences sanitaires, selon un système reposant sur trois piliers. D’abord, la veille et surveillance épidémiologique de la population avec l’Agence nationale de santé publique (ANSP) devenue Santé publique France ; ensuite, les produits et les pratiques de santé avec l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) ; et enfin l’évaluation scientifique de risques sanitaires nouveaux, notamment environnementaux ou encore mal cernés avec I’Anses.

En tant que tutelle, j’ai eu l’occasion de saisir l’Anses et d’apprécier la pertinence de ses réponses scientifiques ; j’ai participé à l’élaboration de son contrat d’objectifs et de performance 2018-2022.

Je me suis engagé en faveur de la déontologie et de la prévention des conflits d’intérêts, qui constitue la première condition de la confiance dans la décision publique, avec la mise en place du site unique de déclaration publique d’intérêts dans le cadre de la loi de 2016 pour la transparence sur les liens d’intérêt en santé.

Mon expérience interministérielle m’a, par ailleurs, amené à contribuer à la mise en place de cadres et politiques de santé publique structurants pour l’action de l’Anses : je citerai l’antibiorésistance, la problématique du chlordécone avec le plan Chlordécone 3, le plan national Santé-Environnement 3, ou le plan Santé au travail 3.

Enfin, membre du Conseil exécutif de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2014 à 2017, acteur de la mise en place de l’Académie de l’OMS à Lyon en 2019, ou de la gestion de la crise covid aux côtés du Délégué interministériel à la stratégie nationale de déconfinement et en tant que directeur de l’ARS des Hauts-de-France, je me suis progressivement familiarisé avec une vision plus globale et transversale de la santé, à l’échelle régionale, nationale ou mondiale, cohérente avec les missions de l’Anses au titre d’une seule santé – One Health pour les Anglo-saxons.

J’ai pris en septembre 2020, soit un mois avant d’assumer la direction de l’ARS des Hauts-de-France, la présidence du conseil d’administration de l’Anses. J’avais auparavant demandé aux membres du conseil s’ils souhaitaient que je décline cette responsabilité ; pour la direction des affaires juridiques du ministère de la santé, il n’y avait pas de lien d’intérêt suffisamment probant pour entraîner des conflits, cette présidence étant non exécutive.

J’ai ainsi pu bénéficier ces dernières années d’un panorama privilégié sur son activité et d’un solide apprentissage des valeurs de l’Anses et de l’attention qu’elle porte à ses administrateurs, qu’ils représentent l’État, les organisations professionnelles et syndicales, les organisations de la société civile ou les personnels de l’Anses, et plus largement à l’expression des attentes de notre société.

Grâce à cette fonction, j’ai véritablement pu saisir le rôle de l’Agence et les défis sanitaires qu’elle contribue à résoudre, et appréhender ce qui me semble être les compétences requises pour sa direction générale.

J’ai pu constater que l’Anses est une agence de référence dans le paysage français et européen, avec un périmètre de compétence parfaitement cohérent avec ce regard global, transversal, sur la santé, qui constitue désormais la clé de lecture des questions de santé depuis la pandémie de covid-19 et la prise de conscience des défis sanitaires dus à l’impact des activités humaines sur notre planète.

J’ai également pu observer combien l’Anses est attentive à la bonne compréhension de ses travaux par l’ensemble des décideurs et parties prenantes, faute de quoi leur utilité ne serait que limitée. Les échanges qu’elle entretient avec vous, les élus du Parlement, sont à ce titre particulièrement soutenus, avec une trentaine d’auditions par an dans les deux assemblées et autant de sollicitations. Je sais combien la direction et les experts de l’Anses ont à cœur de répondre à vos demandes, qui contribuent pleinement à sa mission d’appui à la décision et aux politiques publiques. J’ai aussi pu remarquer les nombreuses interactions entre l’Anses et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (Opecst).

Au fil des conseils d’administration auxquels j’ai participé, j’ai noté le souci extrême d’écoute et de dialogue de l’Anses, en aval de son action mais également en amont. L’Agence intervient en effet sur de nombreuses questions sanitaires nouvelles ou encore mal cernées, qui suscitent de fortes inquiétudes et des attentes chez nos concitoyens – ainsi des pesticides, des nanotechnologies, des biotechnologies et des ondes, quatre sujets pour lesquels elle a même institué des comités de dialogue permanents.

Dernier point saillant, son implication forte et croissante dans des dispositifs européens qui mutualisent les efforts scientifiques pour renforcer la sécurité sanitaire dans l’Union européenne.

Fort de tous ces constats, en tant que directeur général, il m’importera de consolider la force et la réputation de l’Agence sur ses deux piliers fondamentaux que sont l’excellence scientifique et la confiance que suscite son action. Sur cette base, je m’attacherai aussi à renforcer la capacité de l’Anses à alerter et agir avec un temps d’avance, et à occuper pleinement sa place d’agence de référence sur la scène française, européenne et internationale.

Concernant les orientations de mon action en tant que directeur général de l’Anses, je souhaite définir cinq priorités.

D’abord, la reconnaissance du rôle et de l’expérience de l’Anses dans la mise en œuvre d’une approche plus décloisonnée, davantage One Health, des santés humaine, animale et végétale. Nombreux sont ceux qui appellent de leurs vœux la création de lieux où médecins, vétérinaires, chercheurs de différentes obédiences pourraient dialoguer et travailler ensemble, par exemple pour éviter de nouvelles pandémies.

Je serai attentif à la prise en compte de l’expérience de l’Anses alors que des structures capitalisant sur l’expérience de la crise covid se mettent en place. Je songe notamment au comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires qui a remplacé le conseil scientifique installé pour le covid-19. Il m’importera également d’aider à renforcer les liens avec les organisations professionnelles de la santé humaine et leurs cursus de formation pour une meilleure appropriation des travaux de l’Agence, ainsi que des enjeux de santé environnementale ou de santé au travail.

La deuxième priorité de mon action sera le vivier de 800 experts extérieurs que j’ai évoqué. C’est une très grande richesse, mais les sollicitations augmentent et il est parfois difficile de les motiver, d’abord parce que la valorisation n’est pas très importante, ensuite parce que la mise en application des déclarations publiques d’intérêts conduit à limiter le recours à ces experts. Cette motivation implique la pleine reconnaissance de ce type de mission dans les parcours des chercheurs et dans les potentialités de publications scientifiques. Pour progresser dans cette direction, je suis prêt à engager un dialogue avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche pour renforcer la reconnaissance des missions d’expertise. Un rapport récent nous a fourni quelques pistes.

Troisième priorité, l’extension pérenne des capacités d’expertise de l’Anses aux sciences humaines, économiques et sociales. L’Agence a souhaité renforcer cette année ses capacités d’analyse socioéconomique pour lui permettre de mieux cerner les comportements exposant le plus à certains risques sanitaires, de tenir compte des dimensions économiques et sociales de différentes options d’action, ou encore de préciser la balance bénéfice-risque dans certaines situations. Je veillerai à la mise en route de ces nouveaux développements car ils renforcent la pertinence des réponses de l’Anses.

Une quatrième priorité sera d’améliorer l’accès aux données, car une expertise scientifique sera d’autant plus robuste et rapide qu’elle aura bénéficié d’un accès simple, riche et de qualité aux différents types de ressources indispensables : publications scientifiques internationales, résultats de surveillances épidémiologiques, indicateurs d’usage d’une substance ou d’un produit, résultats de contrôles sanitaires, etc. Ce sont des données à croiser et à partager entre agences sanitaires, notamment les trois agences pivot que j’ai citées.

Pour terminer, je veillerai à maintenir au plus haut niveau la qualité d’écoute et de dialogue que l’Anses a instaurée avec les parties prenantes et avec la société, et qu’elle renforce en permanence. Je serai notamment attentif à la bonne mise en route du comité de dialogue sur les biotechnologies qui commencera ses travaux cet automne, et je soutiendrai les initiatives d’association du public dans le cadre de la recherche ouverte, ou encore le développement des relations de l’Agence avec deux organisations nationales de référence sur le débat public, la Commission nationale du débat public (CNDP) et le Conseil économique, social et environnemental (Cese).

Pour conclure, je suis sensible à l’attention que l’Anses porte au monde dans lequel nous vivons, à son sens du service public. Si vous me donnez votre confiance, je serai fier d’en promouvoir l’action, au profit de toutes les santés, et de faire en sorte que cette agence continue à mettre à l’épreuve les barrières hissées entre les disciplines sanitaires et scientifiques, entre les registres d’action publique nationaux et internationaux, entre la science et la confiance.

Mme Florence Lassarade, rapporteure. – Le rapport de mars 2021 de notre commission sur la politique de santé environnementale relevait la multiplicité des autorités de tutelle de l’Anses. Le ministère de la santé est loin d’être prépondérant, puisqu’il ne contribue qu’à hauteur de 20 % au budget de l’Agence. Le rapport préconisait de reconnaître un rôle de chef de file de la tutelle stratégique au ministère de la santé. En tant qu’ancien président du conseil d’administration, quel regard portez-vous sur la multiplicité des tutelles de l’établissement ?

Ce même rapport relevait la permanence dans le conseil d’administration de l’Agence de représentants d’industriels et d’exploitants agricoles et recommandait le renforcement des garanties d’indépendance. Plus récemment, un rapport d’experts publié en juillet 2022 a comparé les politiques de transparence et de gestion des conflits d’intérêts des agences européennes chargées de l’évaluation du glyphosate en Europe. L’Anses s’en sort plutôt mieux que les agences allemande ou suédoise, par exemple, mais dans un contexte de défiance à l’égard des agences de santé publique, comment améliorer la transparence des positions prises par l’agence ? Que faut-il en conclure sur la coopération privilégiée qu’entretient l’Anses avec ses homologues européennes ?

Comment voyez-vous le partage des rôles entre les différentes agences intervenant dans le domaine sanitaire au sens large, principalement entre l’Anses et Santé publique France, mais aussi entre l’Anses et le Haut Conseil de la santé publique ? La complémentarité s’est vue sur certains sujets, comme l’incendie de Lubrizol ou le cluster des cancers pédiatriques de Sainte-Pazanne, mais sur d’autres, comme celui de l’efficacité du Nutri-score, elle a été plus discutable. Y a-t-il lieu de clarifier les compétences respectives ?

Disposez-vous de statistiques récentes sur les types de saisine de l’Agence, en particulier sur la part des autosaisines et sur les saisines à l’initiative d’associations agréées comme la loi le prévoit ? D’une manière générale, les modalités de saisine de l’Agence et l’usage qui en est fait vous semblent-ils de nature à garantir la réactivité, l’efficacité et la transparence de l’expertise scientifique dans notre pays ? Ainsi, avez-vous des précisions sur la reprise du réseau Obépine de surveillance des eaux usées ?

L’Agence a-t-elle en outre les moyens de répondre rapidement à des situations de crise ou d’urgence très localisées, par exemple en outre-mer – je songe au chlordécone ou aux sargasses dans les Antilles, mais il pourrait en survenir d’autres ?

M. Benoît Vallet. – La multiplicité des tutelles me semble plutôt une richesse qu’un inconvénient. L’interministérialité immédiate qu’elle implique permet des réponses croisées sur des sujets comme la répression des fraudes, le contrôle de l’alimentation, les questions environnementales ou sanitaires.

Quant au chef de file, il est désigné annuellement. Cette année, c’est le ministère de la santé, représenté par la direction générale de la santé, qui préside les réunions pluriannuelles des cinq directeurs généraux. Cela peut amener à partager les responsabilités entre ministères, notamment vis-à-vis des acteurs moins impliqués comme le ministère du travail.

De plus, cette interministérialité garantit la complétude des moyens donnés à l’Anses.

Au risque de vous surprendre, j’estime qu’il faut envisager de faire du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche une tutelle de l’Agence. Celle-ci conduit un important travail de recherche, elle est équipée de laboratoires de très haut niveau qui nourrissent l’expertise. En tant qu’organisation de recherche, l’Anses n’est pas aussi sollicitée que l’on pourrait le souhaiter, en comparaison de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) ou du Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Le directeur général actuel, Roger Genet, a engagé ce dialogue avec le ministère. La question de la tutelle se posera si vous me désignez pour lui succéder.

La loi de programmation de la recherche n’a pas introduit la santé et l’environnement dans les financements du ministère, ce qui est un manque considérable au regard des enjeux actuels.

Le directeur général doit-il venir du monde de la santé humaine ? Je ne me permettrai pas d’y répondre, étant en situation évidente de conflit d’intérêts sur cette question...

La défiance est en effet un sujet récurrent. Les règles déontologiques, pour les experts mais aussi pour les agents et les membres du conseil d’administration, garantissent autant que possible la transparence. Elle n’est pas absolue, puisque l’on ne dépasse pas le niveau déclaratif. Pour la santé, la base Transparence santé que j’ai contribué à installer en 2016 introduit néanmoins un contrôle. Peut-être les organisations parties prenantes pourront-elles s’en inspirer.

Le comité de déontologie de l’Anses est à nouveau en ordre de marche, il a récemment émis des avis, notamment sur le fait que n’apparaît pas, dans les déclarations publiques d’intérêts de l’expert, le soutien substantiel à certaines organisations dont celui-ci aurait pu bénéficier de façon indirecte.

Actuellement, le comité de déontologie ne peut être saisi que par le conseil d’administration et la direction générale. Mais certains des membres du conseil d’administration n’appartiennent pas à l’Anses et sont issus de la société civile. Si les règles de la saisine devaient évoluer, la question de l’externalité mériterait d’être examinée.

La complémentarité des agences m’a beaucoup préoccupé lorsque j’étais directeur général de la santé. Sur ma proposition, le Comité d’animation du système d’agences (Casa) a été créé par la loi. Son programme de travail consiste à favoriser le rapprochement des agences : Anses et Santé publique France, Anses et Agence du médicament. Mais le Haut Conseil de la santé publique, la Haute Autorité de santé en font aussi partie, ainsi que les directions des tutelles qui participent aux débats. Le Casa se réunit tous les deux mois, mais ces parties prenantes se rencontrent également chaque semaine, le mercredi matin, pour régler les questions d’urgence en matière de sécurité sanitaire.

L’Anses déporte ainsi certains de ses professionnels vers les sujets d’actualité de crise, notamment pour les analyses virologiques ou bactériennes en santé animale. Cela implique des permanences d’activité assez lourdes pour ces agents. L’Anses est une agence qui se mobilise en période de crise : il est important de le rappeler.

Les contributions de l’Anses et de Santé publique France au Nutri-score sont assez convergentes. Le premier avis de l’Anses sur les dispositifs d’affichage nutritionnels n’était pas très favorable, car les dispositions proposées étaient issues de résultats de laboratoire, et n’avaient pas encore été examinées en vie réelle. L’expérimentation en vie réelle, qui a eu lieu par la suite, a été entourée de grandes précautions scientifiques ; elle a donné lieu à la proposition d’un Nutri-score comme seul affichage susceptible de modifier les comportements d’achat des Français – qu’ils soient issus des classes aisées ou non, ce qui était un point très important de l’expérimentation, conduite en 2016.

La contribution de l’Anses au Nutri-score est réelle. Nous avons un conservatoire de la formulation des aliments : l’un des impacts importants du Nutri-score est la reformulation de certains produits par les industriels avant de l’afficher. En effet, en s’engageant dans la démarche Nutri-score – parfois pour des raisons de marketing – ils se contraignent à afficher l’ensemble de leurs produits. Cette reformulation a été conséquente. Certains éléments d’évaluation du Nutri-score seront diffusés dans le domaine public.

Mais le Nutri-score ne constitue pas à lui seul une politique nutritionnelle. Il présente également, comme tout dispositif, des fragilités. Ainsi, il ne tient pas compte des contaminants dans l’alimentation. Il a néanmoins eu, au moins de façon indirecte, un effet sur la qualité nutritionnelle dans notre pays.

Les saisines – plusieurs centaines par an – viennent principalement de nos autorités de tutelle, mais aussi d’associations, qui nous ont notamment sollicités sur les sols artificiels des terrains de sport. Les saisines d’associations ne représentent que 10 % du total, ce qui incite à un dialogue plus nourri avec la société civile. L’Opecst, qui a la capacité de faire des saisines, peut travailler avec nous sur ce sujet.

Le réseau Obépine a permis de déceler la présence du covid dans les eaux usées. Il a été pérennisé, avec des points de surveillance moins nombreux. La méthodologie est acquise, et le travail se fait conjointement avec Santé publique France, qui affiche les résultats sur son site. Obépine est principalement un outil d’alerte. Les tests demeurent plus efficaces pour nous informer sur la circulation virale. Cependant, le suivi de ce réseau, dans les périodes où nos préoccupations s’éloignent du covid, peut nous inciter à revenir, le cas échéant, à une situation de vigilance sanitaire.

Ce système a été utilisé dans les Hauts-de-France pour le suivi des eaux usées en aval des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) autour de Dunkerque, à une période de recrudescence de la covid. C’était donc un usage très ciblé.

M. Bernard Jomier. – Une autre préconisation du rapport cité par Mme Lassarade est que le directeur général de l’Anses soit auditionné en même temps que celui de Santé publique France par les commissions compétentes en amont de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Nous allons la mettre en œuvre dès cette année...

Le ministre de la santé – désormais également ministre de la prévention, ce qui est une très bonne chose – a annoncé un virage de la prévention en présentant le PLFSS, au travers de plusieurs actions relevant de la prévention médicalisée. Comment le directeur de l’Anses lirait-il un PLFSS qui porterait le virage de la prévention sur les questions de santé environnementale ?

M. Benoît Vallet. – L’Anses aborde la prévention sous l’angle de la santé globale. Ainsi, la prévention ne doit pas être liée qu’aux comportements favorables à la santé, même si cette dimension reste importante : les professionnels du soin, dont les médecins, les pharmaciens et les kinésithérapeutes, doivent ainsi davantage s’en emparer. La formation restant trop timide, on reste en deçà des possibilités qu’offre cette puissante armée d’acteurs de la santé publique.

La santé est aussi environnementale, liée aux évolutions climatiques de l’anthropocène. Elle doit se colorer de ces éléments. Mme Firmin le Bodo, ministre déléguée auprès du ministre de la santé et de la prévention, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, a rappelé l’importance de la santé unique, ou One Health.

Il serait souhaitable d’assortir cela de moyens de recherche en santé publique, particulièrement populationnelle. Ainsi, le programme de recherche clinique de 1993, que je cite souvent, a donné des résultats considérables en matière de comparaison des pratiques et de soins. Nous n’avons pas l’équivalent en santé populationnelle : un prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale serait l’occasion de déclencher un vrai programme de recherche en santé publique comportant des éléments de santé environnementale. Ainsi, Roger Genet a signalé à Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, que la loi de programmation de la recherche ne traitait pas assez de cette question.

Les regards de Santé publique France et de l’Anses sont complémentaires. Une audition conjointe de leurs deux directeurs généraux me semble de bon aloi.

Mme Victoire Jasmin. – Vous avez parlé des maladies et des risques émergents, dont certains sont liés aux mutations de virus et de bactéries. Travaillez-vous avec les collectivités territoriales dans ce domaine ? De quels moyens disposez-vous pour les outre-mer, et singulièrement pour la Guadeloupe ? Sont-ils suffisants pour les actions de contrôle ? Il y a un véritable travail à faire dans ce domaine, car certaines personnes conditionnent elles-mêmes des produits alimentaires vendus sur la voie publique, parfois avec l’autorisation des collectivités, ne respectent pas les normes de sécurité alimentaire et d’hygiène, ce qui n’est pas sans conséquence, notamment avec des infections alimentaires. On observe aussi des problèmes de qualité de l’eau sur mon territoire.

Avez-vous la compétence et l’intention de travailler sur les produits, vendus en ligne et sur la voie publique, qui échappent à des contrôles et s’apparentent à une concurrence déloyale ?

Qu’en est-il des autorisations de vente de certains produits liés à l’environnement, conditionnés artisanalement mais mis en vente dans des entreprises officielles ?

Enfin, l’Anses est-elle concernée par la lutte antivectorielle ?

M. Alain Milon. – Nous avons déjà travaillé ensemble, monsieur Vallet. Je pense que votre nomination est une bonne chose pour l’Anses, dont personne ne devrait remettre en cause les recommandations.

Je reviens sur les affaires Lactalis et Buitoni. Dans les deux cas, les recommandations de l’Anses, tout comme les travaux des commissions d’enquête de l’Assemblée nationale et du Sénat, n’ont pas été suivis d’effets sur le terrain. Comment entendez-vous faire appliquer ces recommandations ?

M. Xavier Iacovelli. – L’Anses a eu un rôle clé dans le cadre de l’initiative européenne de biosurveillance humaine, notamment dans la définition d’indicateurs clés d’exposition à des substances toxiques. Quel serait le rôle de l’Anses dans cette coopération européenne, et quels en seraient les bénéficiaires nationaux ?

Ensuite, la sédentarité est un risque pour la santé, particulièrement entre 11 et 17 ans. Plusieurs programmes, comme « Mission : retrouve ton cap », contre l’obésité infantile, ont été lancées, notamment dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, que vous connaissez bien. Faudra-t-il renforcer les analyses sur ces problématiques pour développer des outils ciblés pour la santé des jeunes ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. – À la tête de l’ARS des Hauts-de-France, vous avez fait de l’amélioration des conditions de travail et de la qualité de vie au travail un levier du pacte de la refondation des urgences. Quelles sont vos intentions en la matière, pour le milieu hospitalier mais aussi pour les salariés en général ?

Dans les Hauts-de-France, on recense chaque année plus de 32 000 cas de cancers et 15 000 décès qui y sont liés, soit trois décès sur dix. C’est la première région métropolitaine en termes de mortalité du cancer. Qu’envisagez-vous pour améliorer la prévention, le dépistage, la qualité de vie et l’accès aux soins ?

Enfin, la qualité de l’eau est devenue un sujet sensible. La sécheresse et la sobriété énergétique cumulées renforcent le besoin de contrôle de la qualité de l’eau, ce qui est fait par des laboratoires agréés par l’ARS : cela nécessite-t-il une mise à jour des critères et des exigences ?

M. Benoît Vallet. – Madame Apourceau-Poly, sur les cancers évitables, les comportements de santé sont importants, mais la prévention passe aussi, désormais, par la santé environnementale. La territorialisation de la prévention des cancers évitables et la coordination de l’offre de soins sont à la main des ARS. Nous avons d’ailleurs lancé notre feuille de route cancer, qui doit durer dix ans, il y a quelques jours. Ainsi, même si nous prévoyons de renforcer la campagne antitabac, nous resterons sans doute à 30 % de prévalence dans le pays, avec de probables mauvaises surprises associées à la crise covid. La lutte contre le surpoids, facteur de risque, est aussi fondamentale.

L’Anses n’a pas été saisie sur la covid en tant que maladie professionnelle. Les travaux montrent que le personnel des urgences est plutôt contaminé à l’extérieur, puisqu’il est protégé au sein de l’hôpital.

La qualité de l’eau, particulièrement au regard des métabolites de pesticides dont le chloridazone, héritage dans les Hauts-de-France de la culture betteravière intensive, est d’autant plus sensible qu’une partie de la solution est la dilution, et donc l’interconnexion entre les réseaux. Or, la sécheresse diminue les possibilités de dilution alors qu’on approche de 3 microgrammes par litre, niveau retenu par les autorités sanitaires pour prononcer la restriction de consommation. Il existe encore des solutions avant d’appliquer, après une campagne de surveillance renforcée au cours de l’été, une restriction de la consommation d’eau du robinet pour quelques centaines d’habitants des Hauts-de-France.

Je souligne la dynamique européenne de l’Anses : il faut de l’harmonisation car les pesticides, utilisés depuis des dizaines d’années sous diverses formes, sont présents dans tous les pays européens. La limite de qualité de 0,1 microgramme par litre pour les métabolites est fixée au niveau européen. Il faut définir des normes de gestion lorsque les limites de qualité sont franchies. Les métabolites de la chloridazone sont jugés pertinents par défaut : c’est un mécanisme excessif mis en place de précaution faute de connaître sa dangerosité réelle. Par exemple, en Allemagne, cette même valeur de trois microgrammes par litre n’est pas associée à des restrictions de la consommation d’eau. L’Anses peut favoriser l’établissement de ces valeurs sanitaires maximales, ou Vmax, au niveau européen.

La biosurveillance et le renseignement de l’exposome, c’est-à-dire la somme des expositions de chacun à son environnement tout au long d’une vie, sont mentionnés dans la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Certaines cohortes sont à la croisée des travaux de Santé publique France et de l’Anses, comme le montre l’étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban). Elles renseignent sur la présence de contaminants tels les métaux lourds et les pesticides. Les relations entre manifestations cliniques et maladies sont l’occasion d’amplifier les études sur les perturbateurs endocriniens et de préciser leur définition.

L’Agence travaille sur la toxicologie de référence interne, notamment sur la chlordéconémie dans les Antilles, madame Jasmin, et sur ses conséquences pour les populations exposées. Cela peut éclairer la façon dont l’agriculture ou la pêche, par exemple, peuvent se faire. Les résultats seront bientôt présentés, en décembre prochain, dans le cadre du plan chlordécone. Une importante réunion se tiendra à la Guadeloupe, j’y serai présent si j’ai votre confiance.

Mme Victoire Jasmin. – C’était d’ailleurs l’objet d’un de mes amendements, qui a permis qu’on en soit à ce stade.

M. Benoît Vallet. – Précisément. Vos actions en tant qu’élus sont indispensables, y compris pour solliciter les agences. Ainsi, pour le dioxyde de titane, le travail des élus a été crucial, de même que pour le bisphénol A, pour lequel l’Anses a été exemplaire.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – Cela n’entraîne-t-il pas le risque de conflits avec l’Europe ?

M. Benoît Vallet. – Une telle situation peut arriver, car l’Europe reconnaît des règles de marché plutôt que de santé. Il faut construire l’Europe de la santé. Pour cela, l’Anses a des capacités d’influence au niveau européen, avec une présence objective dans le cadre par exemple du Partenariat européen pour l’évaluation des risques liés aux substances chimiques, doté de 400 millions d’euros.

Les contrôles ne sont pas le domaine d’expertise de l’Anses mais plutôt de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et de l’ANSM. En revanche, pour les produits artisanaux par exemple, les travaux de l’Anses pourraient déclencher des actions de gestion des ministères concernés. Nous travaillons avec les consommateurs pour la détermination du risque, avec des résultats parfois en contradiction avec l’apparence bénigne de certains produits comme cela a été le cas pour certaines essences.

Les autorisations de l’Anses sont surtout pour des produits phytopharmaceutiques, des médicaments vétérinaires et des biocides. Pour les premiers, la substance principale est évaluée au niveau européen et sa déclinaison au niveau national par l’Anses. Sa vigilance est d’autant plus grande que son expertise est sur l’évaluation des risques. Elle est ainsi bien placée pour retirer des autorisations afin de limiter la temporalité de la distribution des produits et donc l’exposition des personnes, ce qu’elle a fait à plusieurs reprises ces dernières années.

Monsieur Milon, la résolution de l’affaire Lactalis est le reflet d’une coordination forte des agences sanitaires et des tutelles. À la fin de l’année 2017, alors que j’étais encore directeur général de la santé, des pédiatres avaient fait parvenir à l’Institut Pasteur des échantillons de salmonelle de nouveau-nés et de nourrissons. L’identification de génotypes similaires dans toute la France a conduit Santé publique France à mener un travail d’épidémiologie pour identifier une source unique, le site de Lactalis à Craon, en Mayenne, où les services vétérinaires ont retrouvé des traces de salmonelle. Cela a été suivi par le travail du ministère de l’agriculture et de l’Anses, puis une action de la DGCCRF pour arrêter cette usine. La situation était semblable pour Buitoni.

La conclusion que j’en tire est que les autorités de tutelle peuvent renforcer leurs demandes de contrôle. En effet, les résultats des autotests des industriels ne sont fournis aux autorités sanitaires qu’à leur discrétion.

Mme Florence Lassarade, rapporteure. – Vous dites vouloir amplifier les travaux de recherche, mais le budget de l’agence qui y est consacré n’est que de 6 millions d’euros : cela semble une force de frappe bien légère. Le rapport de la commission sur la santé environnementale regrettait le manque d’accompagnement des équipes de recherche, notamment pour répondre aux appels d’offres européens. Comment comptez-vous y remédier ?

M. Benoît Vallet. – J’ai plaidé pour le développement des programmes de recherche en santé publique. Les financements affichés sont ceux que l’Anses obtient pour ses laboratoires dans le cadre des appels à projets. Il faut y ajouter des investissements de fond, en partie soutenus par les collectivités, pour les laboratoires – 35 millions d’euros consacrés aux laboratoires de l’Anses et de l’ANSM de Lyon, par exemple. On est donc bien au-delà des 6 millions d’euros que vous évoquez.

L’Anses est aussi promoteur de recherche, avec les ministères de tutelles, pour la santé environnementale. Elle réussit 28 % de ses candidatures aux appels d’offres européens, ce qui est très élevé. Ainsi, le Parc, dont le budget est de 400 millions d’euros et auquel participent plusieurs pays, est coordonné par l’Anses.

Il faut toutefois renforcer les échanges avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ils ont été initiés par Roger Genet avec le programme national de recherche environnement-santé-travail (PNR EST). Pour ma part, si vous m’accordez votre confiance, j’y veillerai dès ma nomination.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Merci beaucoup, monsieur Vallet.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

Vote et dépouillement sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Benoît Vallet aux fonctions de directeur général de l’Anses

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous avons achevé l’audition de M. Benoît Vallet, candidat proposé par le Président de la République pour exercer les fonctions de directeur général de l’Anses. Nous allons maintenant procéder au vote sur cette proposition.

Le vote se déroulera à bulletin secret, comme le prévoit l’article 19 bis de notre Règlement. En application de l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1066 du 7 novembre 1958 portant loi organique autorisant exceptionnellement les parlementaires à déléguer leur droit de vote, les délégations de vote ne sont pas autorisées.

Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l’addition des votes négatifs des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés dans les deux commissions.

La commission procède au vote, puis au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination, par le Président de la République, de M. Benoît Vallet aux fonctions de directeur général de l’Anses, simultanément à celui de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.

Le dépouillement a lieu en présence de Mmes Corinne Féret et Florence Lassarade, en qualité de scrutatrices.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Voici le résultat du scrutin, qui sera agrégé à celui de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale :

Nombre de votants : 26

Bulletins blancs : 0

Bulletins nuls : 0

Suffrages exprimés : 26

Pour : 26

Contre : 0

Agrégé à celui de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, le résultat est le suivant :

Nombre de votants : 68

Bulletins blancs : 6

Bulletins nuls : 0

Suffrages exprimés : 62

Seuil des trois cinquièmes : 38

Pour : 55

Contre : 7

La réunion est close à 12 h 20.

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 15 h 00.

Projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi - Audition de M. Olivier Dussopt et de Mme Carole Grandjean

Mme Catherine Deroche, présidente. – Mes chers collègues, après avoir auditionné ce matin les représentants de l’Unédic, nous entendons cet après-midi M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion, et Mme Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels, sur la feuille de route du ministère du travail et le projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi.

Notre commission devrait examiner ce texte le 12 octobre, sa discussion en séance publique commençant le 25 octobre, si l’Assemblée nationale veut bien nous le transmettre selon le calendrier prévu.

Cette audition fait l’objet d’une captation vidéo.

Nous accueillons avec plaisir au sein de notre commission M. Abdallah Hassani, en remplacement de M. Dominique Théophile, devenu membre de la commission des lois.

M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. – J’ai plaisir à vous présenter la feuille de route du ministère pour le quinquennat qui s’ouvre, ainsi que le projet de loi portant diverses mesures d’urgence en faveur du plein emploi, en cours d’examen par l’Assemblée nationale.

Notre feuille de route vise un objectif quasiment unique : le plein emploi. Au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le taux de chômage a baissé de 9,5 à 7,4 %, l’économie française créant 1,5 million d’emplois nets dans le secteur privé. Ainsi, la moitié du chemin a déjà été parcourue, puisque nous estimons que le taux de chômage significatif d’un plein emploi se situe autour de 5 %. Cet horizon peut être atteint, mais, pour cela, la plus grande mobilisation est nécessaire.

Cette feuille de route comporte huit chantiers, que je passerai en revue sans entrer dans le détail de leur contenu, faute de temps ; mais je répondrai volontiers à vos questions, cet après-midi ou lors de réunions ultérieures.

Premièrement, nous ouvrons le chantier de l’assurance chômage, avec un projet de loi conçu pour apporter une réponse – ce n’est évidemment pas la seule – aux tensions de recrutement. Le chômage a baissé, mais il est encore de 7,4 %, un des taux les plus élevés en Europe, et notre chômage structurel reste important. Dans le même temps, les tensions de recrutement sont devenues, nonobstant l’énergie, le principal sujet de préoccupation des chefs d’entreprise : 60 % des entreprises disent avoir du mal à recruter et, plus significatif encore, 30 % des entreprises industrielles déclarent être limitées dans leur production ou leur développement par le manque de main-d’œuvre.

Le projet de loi a été adopté ce matin par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale. Nous espérons qu’il le sera dans les mêmes conditions en séance, pour que Mme la présidente soit exaucée et que le texte vous soit transmis dans les délais indicatifs que nous envisageons aussi.

Deuxièmement, les mois à venir verront la mise en place de France Travail. J’ai désigné Thibaut Guilluy, haut-commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises, comme préfigurateur : il est chargé d’arrêter d’ici au 15 décembre, dans le cadre d’une concertation avec l’ensemble des parties prenantes, le schéma général de ce futur organisme, puis de mener, tout au long de l’année prochaine, les expérimentations nécessaires et concertations complémentaires.

France Travail ne sera pas une superstructure, fusionnant tout en tout : il s’agit de penser le service public de l’emploi comme un guichet aussi unique que possible, offrant le plus souvent et le plus longtemps possible un interlocuteur unique aux demandeurs d’emploi, aux bénéficiaires du RSA et aux entreprises qui recrutent. La mission de M. Guilluy devra définir une gouvernance nationale et territoriale qui permette cette efficacité.

Troisièmement, nous entendons favoriser l’accès à l’emploi des publics qui en sont le plus éloignés. Je pense en particulier aux bénéficiaires du RSA, dont seulement 40 % sont inscrits comme demandeurs d’emploi ; tous ne sont pas en mesure d’aller directement vers l’emploi, pour de nombreuses raisons tout à fait légitimes, mais certains pourraient l’être plus rapidement. L’accompagnement renforcé vers l’emploi des bénéficiaires du RSA, annoncé par le Président de la République, sera d’abord expérimenté dans une dizaine de départements volontaires – c’est l’une des missions confiées à Thibaut Guilluy. Il s’agit de mieux coordonner l’action de tous, un peu sur le modèle du contrat d’engagement jeune.

De même, nous prêtons une attention particulière aux bénéficiaires de l’insertion par l’activité économique (IAE) ou des procédures d’insertion en entreprise adaptée. Le budget 2023 prévoit d’ailleurs une montée en puissance des moyens consacrés à l’IAE, pour passer de 88 000 à 95 000 équivalents temps plein (ETP).

Quatrièmement, nous entendons favoriser l’accès des jeunes à l’emploi et à la formation. L’année prochaine, nous reconduirons les crédits nécessaires à la signature de 300 000 contrats d’engagement jeune, avec un accompagnement renforcé de 15 à 20 heures par semaine. Il s’agit d’aider les jeunes concernés à évoluer vers un emploi ou une formation qualifiante. En six mois, 178 000 contrats d’engagement jeune ont déjà été signés, et tous les acteurs sont satisfaits de la mise en œuvre de ce dispositif ; plus des deux tiers des signataires bénéficient déjà de 15 à 20 heures d’accompagnement.

Cinquièmement, nous comptons favoriser le maintien dans l’emploi et l’accès à l’emploi des seniors. Il convient aussi d’assurer la durabilité et une meilleure justice de notre système de retraite, chantier que nous ouvrirons prochainement pour, comme l’a annoncé le Président de la République, améliorer le système – pensions minimales, pénibilité, égalité femmes-hommes – et en assurer la pérennité, ce qui implique la marche vers le plein emploi, mais aussi de travailler un peu plus à l’échelle de chacune de nos vies. Nous nous appuierons sur le rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) publié voilà une dizaine de jours, ainsi que sur l’avis du Comité de suivi des retraites.

Le dernier chantier que j’aborderai, deux autres relevant directement de Carole Grandjean, porte sur la qualité de l’emploi et du travail. Aller vers le plein emploi doit être l’occasion d’aller aussi vers le bon emploi, et le droit au travail ne doit pas effacer le droit du travail.

À cet égard, notre action suivra trois axes : prévention de la pénibilité, qualité de vie au travail et prévention des accidents du travail. Chaque année, entre 500 et 600 accidents mortels ou graves se produisent : c’est l’un des chiffres qui m’ont le plus marqué depuis mon arrivée au ministère du travail. La situation est moins mauvaise qu’il y a dix ou quinze ans, mais nous sommes sur une sorte de plateau : nous gagnerions à nous mobiliser à nouveau pour que le nombre de ces accidents baisse encore.

Pour chacun des huit chantiers de notre feuille de route, Carole Grandjean et moi-même, nos équipes et nos services se tiennent à votre disposition pour répondre à vos questions et trouver, chaque fois que nous le pouvons, des points de convergence.

J’en viens au projet de loi relatif au marché du travail, qui comporte, dans sa version initiale, cinq articles : trois ont une portée essentiellement technique, les deux autres contiennent des mesures à nos yeux essentielles.

L’article 5 ratifie 21 ordonnances, afin de les sécuriser juridiquement. Je sais l’attention que porte le Sénat, notamment sa commission des lois, à la ratification des ordonnances. Vingt de ces ordonnances se rapportent aux mesures prises pendant la crise de la covid-19 ; les dispositifs sont aujourd’hui fermés pour la plupart. La dernière concerne la modernisation du recouvrement de la contribution des entreprises au financement de l’apprentissage.

L’article 3, lui aussi très technique, fait suite à une décision du Conseil constitutionnel, rendue à la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qui a abrogé, à compter du 1er novembre, l’article du code du travail relatif à l’élaboration des listes pour les élections professionnelles. Nous proposons de le rétablir pour sécuriser les élections professionnelles de début décembre.

Carole Grandjean reviendra sur l’article 4, relatif à la validation des acquis de l’expérience (VAE).

J’en viens aux deux articles portant sur l’assurance chômage. L’article 2, extrêmement technique, autorise les Urssaf à transmettre aux entreprises concernées par le calcul du bonus-malus la liste nominative des contrats pris en compte dans le calcul de leur position.

L’article 1er fait suite à la réforme de 2019, destinée à lutter contre l’augmentation exponentielle du recours aux contrats courts – entre 2010 et 2019, le nombre de contrats courts avait été multiplié par 2,5, contre 1,4 pour les CDI – et à contribuer au redressement financier de l’Unédic, dont le déficit annuel moyen était de 2,9 milliards d’euros entre 2009 et 2019.

Cette réforme s’est traduite par une modification du salaire journalier de référence et des exigences pour accéder à l’indemnisation, passées de 4 mois sur 28 à 6 sur 24, mais aussi une dégressivité des allocations à partir du septième mois pour les salariés ayant un revenu supérieur à 4 500 euros bruts. Elle a mis en place le bonus-malus dont je viens de parler dans sept secteurs particulièrement exposés aux contrats courts ; ce dispositif s’applique depuis le 1er septembre dernier, 6 000 entreprises ayant été « malusées » et 12 000 « bonusées ». Ce résultat meilleur qu’attendu s’explique par la prise en compte de la loi – les bonus et malus peuvent atteindre 1 % de cotisation sur la masse salariale – et la conjoncture économique, qui justifie le recours à des contrats plus longs.

Aujourd’hui, l’Unédic revient à une situation excédentaire, et le nombre de contrats courts proposés à l’embauche est stable, alors que celui des CDI a augmenté. Au premier semestre de cette année, plus de 52 % des propositions d’embauche concernaient des CDI, ce qui est une bonne nouvelle pour la lutte contre la précarité.

Ces règles sont prévues par un décret de carence, pris après l’échec des négociations interprofessionnelles de 2019. Ce décret arrivant à échéance le 1er novembre prochain, nous proposons de proroger les règles actuelles jusqu’au 31 décembre 2023, pour que la réforme de 2019 aille à son terme et puisse être totalement évaluée. Nous proposons aussi de proroger le bonus-malus jusqu’en 2024.

Nous voulons rendre ces règles plus incitatives et plus efficaces pour le retour à l’emploi. Notre système d’assurance chômage est contre-intuitif dans ses résultats : au cours des quinze dernières années, quand le chômage était supérieur à 10 %, seuls 55 % des demandeurs d’emploi étaient indemnisables ; quand le chômage est inférieur à 10 %, nous atteignons 61 % d’indemnisables. La logique voudrait que le système protège plus quand le chômage est plus élevé. Notre système, considéré comme l’un des plus protecteurs en Europe, est un peu paradoxal avec le maintien d’un taux d’emploi extrêmement élevé.

Nous proposons donc de moduler les règles d’indemnisation en fonction de la conjoncture et de l’état du marché du travail. Les critères seront fixés dans le cadre d’une concertation avec les partenaires sociaux, que j’ouvrirai dans les prochaines semaines. Nous souhaitons une application différenciée dans les départements d’outre-mer. Par ailleurs, nous entendons que le montant mensuel de l’indemnité ne soit pas intégré dans les critères de modulation : nous ne pouvons pas, d’une part, prendre des mesures de protection du pouvoir d’achat et, d’autre part, courir le risque d’une baisse de l’indemnité ; par ailleurs, si notre système est plus protecteur que la moyenne européenne pour la durée d’indemnisation et les conditions d’accès, il est dans la moyenne en matière de taux de remplacement.

Si le projet de loi est adopté, les nouvelles règles seront fixées par décret avant la fin de l’année. Après cette concertation sur la modulation des règles d’indemnisation, nous ouvrirons une négociation sur la gouvernance de l’assurance chômage. Notre objectif est que France Travail et l’accompagnement des bénéficiaires du RSA soient opérationnels au 1er janvier 2024 et qu’à la même date la convention tripartite Unédic-Pôle emploi-État ait été renouvelée et la négociation ait fixé des règles d’indemnisation renouvelées. C’est pourquoi nous proposons la suspension de la compétence des partenaires sociaux pendant quatorze mois. Ce calendrier permet de mener ces chantiers en parallèle et de manière coordonnée, en vue d’un nouveau cadre d’intervention au 1er janvier 2024.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion et du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, chargée de l’enseignement et de la formation professionnels. – À mon tour, je vous présenterai ma feuille de route et sa contribution au plein emploi.

Cette feuille de route repose sur trois axes : réforme des lycées professionnels, apprentissage et forte simplification de la formation continue.

La réforme du lycée professionnel est conduite sous l’autorité du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse : je n’y reviendrai donc pas aujourd’hui, mais elle concourt à cette dynamique.

S’agissant de l’apprentissage, nous visons 1 million d’apprentis chaque année d’ici à la fin du quinquennat. Le dispositif d’aide exceptionnelle, prolongé jusqu’à la fin de cette année, a permis, malgré les crises, la signature de 732 000 contrats en 2021, soit deux fois plus que pendant la période 2012-2017. Des concertations auront lieu sur les primes de l’année prochaine, qui devront diminuer sans casser cette dynamique.

Cette croissance exceptionnelle doit être consolidée et optimisée. Nous devons notamment travailler à l’augmentation du nombre d’apprentis préparant un diplôme de niveau infrabac ou bac. À cet égard, je salue la qualité du rapport de vos collègues Frédérique Puissat, Martin Lévrier et Corinne Féret sur France compétences, dont nous partageons largement les préconisations.

Tous ces sujets feront l’objet de concertations avec les partenaires sociaux.

D’autre part, nous voulons renforcer l’efficacité de la formation professionnelle continue, afin de mieux préparer les actifs aux métiers de demain. Il s’agit de permettre à un plus grand nombre d’actifs d’accéder à des parcours sécurisés, pour leur donner les moyens de faire face aux mutations économiques.

D’abord, nous simplifierons radicalement les dispositifs d’accompagnement et de transition : entre Pro-A, CPF de transition, Transitions collectives et FNE-Formation, on a du mal à s’y retrouver.

Ensuite, nous voulons faire du compte personnel de formation (CPF) un véritable outil de réussite des transitions professionnelles pour l’ensemble des actifs. S’il a popularisé l’accès à la formation, son catalogue doit désormais être mieux orienté vers les besoins de l’économie. Il convient aussi de lutter contre les fraudes qui entourent ce dispositif ; une proposition de loi en ce sens sera débattue à l’Assemblée nationale dans les prochains jours.

Le CPF a pour vertu d’avoir soutenu l’entrée en formation des femmes : la moitié des utilisateurs sont des femmes. Par ailleurs, 70 % sont des ouvriers ou employés : il s’agit donc d’un vrai progrès social, que nous devons consolider et orienter mieux vers des dispositifs employabilité.

Nous souhaitons travailler aussi sur le droit d’accès aux compétences de base et aux savoirs fondamentaux, afin de rendre universel le droit de savoir lire, écrire et compter. Plus de 2,5 millions d’adultes sont en situation d’illettrisme dans notre pays, dont la moitié en activité professionnelle. Nous prévoyons de systématiser la détection de l’illettrisme, y compris en entreprise, de poursuivre les efforts d’orientation et de construire un Observatoire de l’illettrisme, pour que les acteurs disposent de ressources fiables et territorialisées. Enfin, nous souhaitons bâtir avec les acteurs un programme pluriannuel de sensibilisation aux enjeux de l’illettrisme.

Enfin, le projet de loi dit « marché du travail » simplifie et modernise la validation des acquis de l’expérience (VAE). Cette réforme est cohérente avec celle de l’assurance chômage : si nous incitons au retour à l’emploi, c’est en permettant à chacun de renforcer son employabilité – telle est notre philosophie d’action.

Nous voulons permettre au plus grand nombre de personnes d’accéder à une certification, donc de progresser sur le chemin de l’emploi. Pour cela, une rénovation profonde est nécessaire, car, aujourd’hui, la VAE ne convainc pas : elle est vécue comme un parcours du combattant et n’est pas perçue comme une troisième voie d’accès à la qualification. Elle souffre d’un manque flagrant d’attractivité, avec seulement 30 000 parcours réalisés l’an dernier, deux fois moins qu’il y a dix ans. C’est pourquoi nous voulons la redynamiser pour soutenir efficacement les parcours de promotion, d’évolution et de reconversion des actifs, ce qui contribuera aussi à la lutte contre les tensions de recrutement et à l’atteinte du plein emploi.

Si nous voulons permettre aux actifs de mieux faire face aux mutations de l’économie, nous devons mieux reconnaître les compétences acquises tout au long de la vie. En ce sens, ce projet de loi marque un grand progrès social en ouvrant à la reconnaissance des compétences sociales, associatives ou bénévoles, notamment celles des proches aidants – nombre de parlementaires ont travaillé à cette reconnaissance, en particulier sous la dernière mandature.

L’article 4 du projet de loi lève les freins entravant l’accès à la VAE, en vue d’atteindre 100 000 parcours initiés par an d’ici à la fin du quinquennat. Pour y parvenir, nous visons deux objectifs : élargir l’accès à la VAE en intégrant les compétences acquises dans le cadre de périodes de mise en situation en milieu professionnel et sécuriser les parcours des candidats en travaillant à une meilleure individualisation et à un accompagnement en amont de la phase de recevabilité. Les associations de transition professionnelle pourront financer des parcours d’accompagnement à la VAE pour les salariés désireux de se reconvertir.

Je compte sur les débats parlementaires pour approfondir la réflexion sur ces enjeux. La VAE mérite d’être valorisée : elle est au cœur non seulement de la bataille du plein emploi, mais aussi de notre pacte social et républicain. Faisons de la reconnaissance permanente des compétences un droit réel tout au long de la vie, au cœur de la société du savoir et des compétences que nous souhaitons construire.

M. Olivier Henno, rapporteur. – Ce projet de loi a une portée technique et financière, mais aussi politique.

En ce qui concerne la VAE, je salue la reconnaissance des compétences des proches aidants. Mais, plus largement, était-il vraiment nécessaire de faire évoluer la législation ? Ne faudrait-il pas plutôt approfondir l’accompagnement et augmenter le nombre de jurys ? Quels moyens prévoyez-vous de consacrer à cette ambition ?

S’agissant de l’activité partielle, quelles mesures d’urgence pourraient-elles perdurer ? Quel bilan dressez-vous de l’activité partielle et de son coût et comment voyez-vous son évolution ?

Nous aimerions vous entendre aussi sur l’évaluation de la précédente convention d’assurance chômage. On a un peu l’impression qu’on passe d’une convention à une autre sans véritable évaluation...

Par ailleurs, le remplacement de cotisations salariales par une fraction de CSG pose la question de la gouvernance. Quelle vision avez-vous du paritarisme en matière d’assurance chômage ?

Enfin, si le succès quantitatif en matière d’apprentissage est à saluer, l’évolution est forte surtout pour les bac+3 et bac+4. Ne serait-il pas temps de faire un effort sur le post-bac et l’avant-bac, où les objectifs n’ont pas été atteints ? Par ailleurs, le développement de l’apprentissage n’est-il pas parfois une manière déguisée de financer les études supérieures ?

Mme Frédérique Puissat, rapporteur. – Mes trois questions porteront, pour le principal, sur l’assurance chômage.

S’agissant d’abord du budget de l’Unédic, je vous ai trouvé, monsieur le ministre, bien optimiste – ou bon communicant – devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale... Considérer que le retour à l’équilibre est lié essentiellement à la réforme de 2018 et au décret de carence me paraît quelque peu excessif. De fait, le budget de l’Unédic était sur le chemin du retour à l’équilibre avant la loi de 2018 et le décret. Sans compter que la dette de l’Unédic avoisine les 60 milliards d’euros, dont 30 % résultent de la crise de la covid-19. Le « nettoyage » du budget de l’Unédic ne serait-il pas un neuvième chantier à ouvrir ? Ne serait-il pas temps de ramener à l’Unédic ce qui relève de l’assurantiel et d’en retirer ce qui relève des décisions de l’État, dont l’activité partielle, qui a pesé lourd pendant la crise de la covid-19 ?

En ce qui concerne la logique contracyclique, tout le monde est séduit sur le papier. Mais, lorsqu’on creuse, les choses sont plus compliquées. J’ai bien noté que vous aviez exclu les DOM-TOM du dispositif. Reste que, en métropole même, les situations sont très diverses d’un bassin d’emplois à l’autre. Quelle maille territoriale allez-vous retenir ? Les périodes retenues seront-elles trimestrielles, annuelles ? Nous sommes en France : quand une décision est prise, il y a un peu de latence avant qu’elle se mette en place... Sur cette question, nous sommes séduits, mais très interrogatifs sur le plan opérationnel.

Pour ce qui est du bonus-malus, il met certains chefs d’entreprise dans une grave difficulté. Certes, ils sont prévenus et peuvent former un recours. Mais, saisir l’Urssaf, on sait que ce n’est pas très simple... Le malus représente parfois 200 000 ou 300 000 euros de cotisations supplémentaires pour une entreprise. Le projet de loi prévoit la transmission aux entreprises de la liste des personnes comptabilisées, mais le vice-président de l’Unédic, représentant le Medef, se demandait ce matin : qu’allons-nous faire de cette liste ? D’ici à la parution du décret, peut-être en janvier, les entreprises devront régler à l’aveugle, sans savoir ni pour qui ni pourquoi. En votre âme et conscience, considérez-vous vraiment ce système comme vertueux ?

M. Olivier Dussopt, ministre. – Lorsque j’ai indiqué que le budget de l’Unédic reviendrait à l’excédent en 2022 à hauteur de 2,5 milliards d’euros, je reprenais une prévision de l’Unédic elle-même. En mon âme et conscience, je pense que cette prévision est peut-être moins-disante.

Il est estimé que les résultats financiers de la réforme de 2018 participent pour 1,9 milliard d’euros à cette prévision d’excédent, la conjoncture économique pour 600 millions d’euros. Ces chiffres devront être précisés avec le résultat de l’année.

Je forme le vœu que cette tendance soit durable, pour que notre assurance chômage soit la plus solide possible.

S’agissant de la gouvernance, je me suis engagé à ouvrir une négociation interprofessionnelle à l’issue de la période de concertation sur la contra-cyclicité. Elle sera lancée avec un document d’orientation le plus ouvert possible.

Nous savons qu’il y a quatre grandes familles de scénarios. Le « tout-étatisation » ne fera pas partie de la concertation. Je laisserai les partenaires sociaux travailler sur les trois autres pour nous proposer un système respectueux du paritarisme. La discussion sera ouverte aussi sur certains sujets que vous avez évoqués, notamment le périmètre de l’assurance chômage.

En ce qui concerne l’activité partielle, le Gouvernement considère qu’elle fait partie du champ d’action de l’Unédic ; les mesures prises en la matière, financées à 70 % par l’État, ont permis d’éviter un chômage structurel de masse et de fortes dépenses de long terme, ainsi qu’une mise à mal de la cohésion sociale. Il en va de même pour une partie du financement de la formation des demandeurs d’emploi à travers le financement de Pôle emploi, qui contribue indirectement à améliorer la situation de l’Unédic.

Sur la contra-cyclicité, vous avez raison de souligner les difficultés liées à la territorialisation. Elles m’ont amené à reporter de quelques jours l’ouverture formelle de la concertation, pour que mes services puissent instruire plus avant cette question. Nous devons éviter des effets de bord autant que la création d’un système incompréhensible. En outre-mer, j’ai parlé de différenciation plus que de non-application ; nous verrons ce qui ressort du débat sur ce point. Comme vous, je pense que nous devons travailler sur les règles de modulation de la durée d’indemnisation et des conditions d’affiliation. Je ne suis pas convaincu que le taux de chômage, volatile, soit le meilleur indicateur : d’autres indicateurs, portant sur les évolutions de l’économie et le rapport entre le nombre d’offres déclarées et de demandeurs d’emploi inscrits, me paraissent intéressants à étudier. Par exemple, depuis 2017, le nombre d’emplois disponibles est passé de 50 à 170 pour 1 000 demandeurs inscrits.

Le bonus-malus s’applique sur la base du taux médian dans les entreprises de plus de 50 salariés. Les entreprises de la liste S1 du décret covid-19, dont l’activité a été très perturbée, ne sont pas concernées. Oui, ce système nous paraît vertueux : il invite les secteurs les plus exposés aux contrats courts à réinterroger ces pratiques. Quant à la transmission des données nominatives, c’est une demande insistante des organisations d’employeurs ; si certains parmi eux doutent de son utilité, d’autres devraient pouvoir répondre.

Le paritarisme, nous y sommes attachés. C’est pourquoi je souhaite que la gouvernance de l’assurance chômage fasse l’objet d’une négociation interprofessionnelle. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons limité la suspension de leur compétence à quatorze mois, ce qui, à l’échelle administrative, est relativement bref ; cette durée est cohérente avec le calendrier de tous les chantiers que j’ai mentionnés, et une durée supérieure aurait été une mauvaise manière faite aux partenaires sociaux.

Pourquoi proposons-nous d’en passer par la loi ? Si nous avions voulu enchaîner une nouvelle période après le décret de carence, il aurait fallu lancer la concertation préalable puis la négociation interprofessionnelle entre l’élection présidentielle et les élections législatives, une période qui ne s’y prêtait pas. Par ailleurs, sur un sujet de cette importance, il était compliqué d’ouvrir une négociation avec une lettre de cadre qui aurait engagé nos successeurs. Nous sommes ainsi rattrapés par le temps, ce qui nous amène à vous proposer ce régime dérogatoire.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. – Les règles relatives à la VAE sont trop rigides : en témoigne la déperdition de demandeurs entre le début et la fin de la procédure – seulement 10 % vont au bout. La durée de validation est d’environ dix-huit mois, alors que, pendant une telle durée, la vie personnelle ou professionnelle évolue.

La VAE a déjà été rénovée, mais le nombre de dossiers diminue. Preuve qu’il faut la rendre plus flexible, ce qui est cohérent aussi avec la variabilité des réalités sectorielles. Il s’agit de se concentrer sur l’examen plutôt que sur des exigences administratives de recevabilité, qui opèrent une présélection par les inégalités devant la constitution d’un dossier.

La modernisation de la VAE permettra d’individualiser l’accompagnement pour favoriser la réussite des parcours. Nous le ferons avec les régions et l’appui des opérateurs de compétences (Opco) et des associations de transitions professionnelles (ATPro).

C’est ainsi la recherche d’agilité qui guide notre approche, sur la base des résultats de l’expérience Reva, qui a montré combien la levée de verrous administratifs facilitait le recours à la VAE, notamment pour des personnes moins à l’aise avec les enjeux administratifs.

L’apprentissage a augmenté aussi aux niveaux bac et infrabac : nous sommes passés de 180 000 à 280 000 diplômés de CAP et bac professionnel. Il a parfois rendu possible un parcours de formation dans le supérieur pour des étudiants plus modestes, qui n’avaient pas de bourse ou qui ont ainsi évité un job étudiant qui aurait rendu leurs études plus difficiles. L’enseignement supérieur a probablement participé au changement d’image de l’apprentissage. Je ne pense pas qu’il faille opposer les différents niveaux d’apprentissage, mais nous devons renforcer l’apprentissage aux niveaux bac et infrabac.

Mme Annick Petrus. – À Saint-Martin, une mission locale pour l’emploi a vu le jour l’année dernière – dernière née des missions locales. Grâce à elle, nous nous inscrivons dans le droit commun et sommes en mesure d’organiser la réponse institutionnelle aux problèmes rencontrés par les jeunes saint-martinois.

En 2007, les missions antérieurement assurées par la mission locale ont été partiellement dévolues aux services de l’accueil et de l’orientation de la nouvelle collectivité de Saint-Martin. Cette organisation a montré ses limites dès qu’il s’est agi de mettre en œuvre les dispositifs d’accompagnement en faveur des jeunes – les contrats d’avenir en sont une parfaite illustration.

Les missions locales étant incontournables dans le cadre de plusieurs dispositifs du plan de relance, comme « 1 jeune, 1 solution », il devenait impensable qu’une telle structure n’existe pas à Saint-Martin. L’État a donc souhaité nous accompagner dans la création d’une mission locale, qui a aujourd’hui un peu plus d’un an. Cette décision a été perçue comme un acte fort envers la jeunesse.

À la suite des annonces de la Première ministre, je souhaite vous interroger sur l’éventuelle fusion des missions locales et de Pôle emploi. Je m’inquiète des conséquences qu’aurait une telle mesure à Saint-Martin. Est-ce toujours d’actualité ? Les territoires d’outre-mer seront-ils concernés, et si oui à quelle échéance ?

M. Abdallah Hassani. – On connaît bien l’intérêt du mentorat pour l’orientation des jeunes. Le Président de la République a impulsé le dispositif « 1 jeune, 1 mentor ». Les acteurs associatifs aussi sont très impliqués. Quel rôle pourront-ils jouer dans la mise en œuvre des politiques publiques d’emploi et de formation ?

Mme Monique Lubin. – Présenté comme très technique, ce projet de loi est, en réalité, très politique. Vous trouvez toujours d’excellents arguments, monsieur le ministre. Reste que, pour nous, il s’agit ni plus ni moins que d’une reprise en main de l’assurance chômage par le Gouvernement et de la privation des partenaires sociaux de leurs prérogatives – c’est du moins ainsi qu’ils l’entendent.

La période pendant laquelle vous entendez prendre la main est de plus d’un an. Nous avons du mal à croire qu’il ne s’agit pas d’une réorientation de la gestion de l’assurance chômage.

Par ailleurs, le Gouvernement parle abondamment du plein emploi, mais quelle est votre définition de cette notion ? Aujourd’hui, il suffit de travailler quelques heures pour être considéré comme ayant retrouvé un emploi... De quel plein emploi parle-t-on ? S’agit-il d’emplois de qualité ou d’emplois précaires ?

Ensuite, pensez-vous qu’il suffise d’indemniser moins longtemps les demandeurs d’emploi pour qu’ils retrouvent un emploi ? Le but du Gouvernement n’est-il pas de changer la philosophie de l’assurance chômage ? Ce projet de loi le montre : votre objectif n’est pas de donner à une personne privée d’emploi le temps de se former ou de se réorienter, mais de la pousser à reprendre le plus vite possible un emploi, fût-il moins qualifié et moins bien payé que celui qu’elle avait avant.

Enfin, monsieur le ministre, comme vous avez parlé de l’IAE, je me permets d’attirer votre attention sur les difficultés dans lesquelles ces structures, que je connais bien, se retrouveront à la fin de l’année prochaine, si des souplesses ne sont pas ménagées sur la limitation à deux ans du pass IAE. Ces structures sont, en quelque sorte, victimes de l’amélioration de l’emploi : certains ne viennent plus à elles, ce qui est une bonne chose, et elles n’arrivent pas à faire venir les personnes les plus éloignées de l’emploi.

Mme Victoire Jasmin. – Différencier le traitement des outre-mer, c’est une très bonne chose. Récemment encore, des mesures qui n’auraient pas dû y être appliquées ont provoqué dans nos territoires des conflits sociaux.

Je recommande d’améliorer la formation des conseillers d’orientation psychologues, qui ne peuvent pas orienter comme des robots, favorisant l’exode des jeunes de nos territoires vers l’Hexagone ou le Canada. Il faut changer de logiciel et mettre en cohérence les politiques publiques avec les besoins du territoire.

Lors de la précédente mandature déjà, j’ai souligné l’inorganisation des branches professionnelles. La pandémie a peut-être aggravé les choses, mais il reste que les efforts nécessaires n’ont pas été faits.

Aujourd’hui, pour des métiers essentiels, notamment dans le secteur des BTP, on fait appel aux jeunes du service militaire adapté (SMA) ou à des travailleurs venant de l’est de l’Europe, alors que le taux de chômage est si élevé chez nous !

Enfin, il ne faut pas oublier que la Guadeloupe est un territoire agricole. Si l’on veut développer l’apprentissage et la formation professionnelle, il ne faut pas, comme c’est le cas en ce moment, enlever des moyens aux lycées agricoles, mais au contraire leur accorder des ressources supplémentaires. Respecter notre objectif de souveraineté alimentaire exige de valoriser les métiers de l’agriculture et de la pêche.

Enfin, il faut travailler davantage avec les employeurs pour que les jeunes trouvent des lieux de stage, ce qui est très difficile aujourd’hui.

M. Daniel Chasseing. – Monsieur le ministre, je me réjouis de la réponse que vous avez apportée à Olivier Henno concernant le paritarisme que vous souhaitez, si j’ai bien compris, privilégier.

Nous sommes aujourd’hui confrontés, notamment en milieu rural, à des problèmes de mobilité pour les entreprises adaptées, en particulier lorsque leurs salariés veulent se former. Quelles réponses pouvez-vous apporter à ces difficultés ?

Vous avez évoqué l’emploi des seniors. Il me semble – cela rejoint une question qui a été posée – qu’il serait intéressant de développer le tutorat par des seniors. Cela pourrait répondre à deux objectifs en même temps : l’emploi des seniors et l’accompagnement des jeunes.

L’apprentissage est une méthode d’excellence dont l’image change – fort heureusement. Vous avez fixé un objectif d’un million d’apprentis, mais il est déjà difficile de trouver des stages. Comment allez-vous faire si, en plus, vous diminuez la prime ?

Les besoins vont énormément croître dans les prochaines années pour accompagner les personnes âgées. La VAE est une réponse intéressante pour former des aides à domicile, dont les métiers ont besoin d’être reconnus. Ne serait-il pas intéressant de développer l’apprentissage dans ce secteur ?

M. Olivier Dussopt, ministre. – Madame Petrus, la création de France Travail ne consiste pas à fusionner des structures ; il n’est donc pas dans notre objectif de fusionner Pôle emploi et les missions locales. Nous devons renforcer les partenariats, faire converger les différents acteurs en termes de qualité du diagnostic et sur la précocité de celui-ci : plus le diagnostic est précoce, plus vite les personnes accèdent à un emploi. Nous devons aussi améliorer l’orientation, c’est-à-dire la prescription d’actions d’insertion, de formation et d’accompagnement.

Madame Lubin, notre volonté n’est pas de « reprendre en main » l’assurance chômage. Si tel était notre objectif, je n’aurais pas proposé une négociation interprofessionnelle sur la gouvernance et la place du paritarisme. D’ailleurs, parmi les différents scénarios soumis à la négociation, je n’ouvrirai pas celui de l’étatisation de l’assurance chômage. Nous sommes dans une période provisoire pour les raisons que j’ai évoquées : transition vers un nouveau système global, problème de calendrier...

Vous me demandez ce que signifie le plein emploi. Il y a plusieurs réponses.

Du point de vue du Préambule de la Constitution de 1946, « chacun a [...] le droit d’obtenir un emploi ». De ce point de vue, nous considérons que nul n’est inemployable et nous développons des outils en matière d’insertion par l’activité économique, d’insertion des personnes en situation de handicap, d’accompagnement des bénéficiaires du RSA, etc.

Si nous adoptons une approche plus économique, on considère généralement, pour la France, que le plein emploi correspond à un taux de chômage de 5 %, mais que le taux d’emploi doit progresser. Je me félicite d’ailleurs que le taux d’emploi ait progressé en France ces dernières années et que nous ne subissions pas le phénomène de « grande démission » : nous n’avons jamais été aussi nombreux en proportion à travailler. C’est heureux, parce qu’avec le travail il y a un revenu, de l’autonomie, de l’émancipation, de la dignité. C’est en cela que la valeur travail est au cœur de notre action.

Sur la question de l’incitation à la reprise d’un emploi par la diminution de la durée maximum d’indemnités, il se trouve que toutes les études convergent pour montrer que le taux de retour à l’emploi est très fort au début de la période d’indemnisation, qu’il baisse progressivement et qu’il remonte à la fin de la période d’indemnisation. Notre but est d’accélérer les choses et de faciliter le retour à l’emploi, mais j’ai toujours dit que ce n’était pas le seul outil qu’il fallait mettre en place.

En ce qui concerne l’insertion par l’activité économique, je ne partage pas tout ce que vous avez dit, madame Lubin, mais je veux vous rassurer. Les moyens consacrés à ce secteur vont augmenter de 85 millions d’euros par rapport à l’exécution 2022. Nous allons renouveler le plan d’investissement dans les compétences de l’insertion par l’activité économique (PIC IAE) qui était financé par le plan de relance, en l’augmentant – il passera de 85 millions d’euros à 100 millions, en plus de l’enveloppe de 1,3 milliard que j’ai évoquée pour l’insertion.

En revanche, j’ai une difficulté avec l’idée que les personnes accompagnées dans le cadre de l’IAE restent dans le système au-delà de deux ans. Cela peut se comprendre dans certains cas, en particulier lorsque les publics concernés sont très éloignés de l’emploi, cabossés par la vie, si vous permettez cette expression, mais en faire un principe général nous pose un problème. Nous sommes cependant ouverts à travailler avec vous sur l’adaptation de certains dispositifs pour répondre aux situations que vous évoquez.

Madame Jasmin, je ne connais pas assez bien la question de l’organisation des branches professionnelles outre-mer pour vous répondre aujourd’hui, mais je vais regarder le sujet.

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. – Monsieur Hassani, l’accompagnement des jeunes vers les dispositifs de formation est une question très importante partout sur le territoire. C’est dans cet esprit que nous avons travaillé dans le cadre de la prépa-apprentissage qui concerne des personnes ayant entre 16 et 29 ans, en encourageant les structures à personnaliser l’accompagnement.

Pour nous, le mentor ne joue pas un rôle de conseiller ; il sert de modèle, d’inspiration, et va aider le jeune à dessiner un parcours et à préparer son projet. Nous avons mis en place le programme « 1 jeune, 1 mentor » avec cette idée.

Madame Jasmin, les lycées agricoles ont bénéficié de l’augmentation générale du nombre des apprentis. En outre, des exonérations de taxe d’apprentissage ont été mises en place dans le secteur agricole qui a pleinement bénéficié des aides de l’État.

Monsieur Chasseing, nous sommes bien conscients que l’effort en faveur de l’apprentissage doit être collectif. Les entreprises doivent aussi s’engager dans l’accompagnement des apprentis et des jeunes en général. En tout cas, nous entendons poursuivre la dynamique, comme je le disais tout à l’heure.

La VAE doit devenir un outil pour accéder à un emploi et, le cas échéant, se reconvertir. Elle permet l’acquisition de blocs de compétences. Les aidants pourront s’orienter, à l’issue de la procédure, vers une action de formation initiale ou continue qui leur permettra d’obtenir une certification. La VAE permettra de réduire le temps de formation nécessaire au strict minimum, en faisant reconnaître les compétences déjà acquises.

Mme Raymonde Poncet Monge. – La feuille de route du Gouvernement vise au plein emploi, c’est-à-dire un taux de chômage de 5 % d’ici à la fin du mandat. Cela se combine assez bien avec les recommandations européennes dans le cadre du plan d’action sur le socle européen des droits sociaux qui vise une augmentation du taux d’emploi d’ici à 2030 – il devrait atteindre 78 %.

Mais le contexte global au sein duquel vous voulez lancer les réformes a changé ! Il ne vous a pas échappé que la Banque centrale européenne (BCE) a décidé de revoir ses taux directeurs à la hausse. Or, si on se penche sur le rapport de la Banque des règlements internationaux (BRI) ou sur les publications du Fonds monétaire international (FMI), cette hausse provoquera un ralentissement de l’économie, voire une récession, qui entraînera une hausse du chômage.

Dans un tel contexte, il faut m’expliquer comment vous combinez vos réformes avec la politique monétaire de la BCE. Ne prenez-vous pas le risque de créer une société du plein emploi de piètre qualité ? Les travailleurs ne seront-ils pas obligés d’accepter, tant du fait de la conjoncture économique que des réformes structurelles actuelles, des emplois de mauvaise qualité ?

Comment pouvez-vous espérer une hausse de la production et du taux d’emploi en France dans les prochaines années via vos réformes, alors même que la politique monétaire de l’Union européenne va, semble-t-il, totalement à l’encontre de ce projet, flirtant même avec le risque de récession ?

Enfin, une question ponctuelle : où en est le rapport sur la réalité et les conséquences du non-recours aux droits en matière d’assurance chômage, promis par l’article 62 de la loi du 5 septembre 2018 sur la liberté de choisir son avenir professionnel ? Il devait nous être remis à la fin de 2020...

M. Xavier Iacovelli. – En cinq ans, le taux de chômage a baissé de manière inédite et nous avons constaté une hausse de l’activité et du taux d’emploi. Ces résultats, évidemment perfectibles, sont le fruit des réformes engagées durant cette période. Le plein emploi, un engagement du Président de la République durant la campagne, est à portée de main et le Gouvernement a annoncé huit chantiers pour y parvenir.

Pour autant, des secteurs d’activité de plus en plus nombreux ne réussissent plus à recruter.

En France, le taux d’emploi des jeunes, comme celui des seniors d’ailleurs, est inférieur aux moyennes des pays comparables.

Quelles actions entendez-vous mettre en place pour pallier les difficultés de recrutement que j’ai évoquées et garantir un meilleur accès à l’emploi pour les jeunes ?

M. Alain Milon. – Le projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi contient effectivement peu d’articles, monsieur le ministre, et je ne peux qu’espérer que cela restera ainsi à l’issue des débats à l’Assemblée nationale... Par ailleurs, ce texte vise à ratifier nombre d’ordonnances ; il est souhaitable que le principe des ordonnances ne s’impose pas de manière pérenne. Le Parlement doit pouvoir jouer pleinement son rôle. Les menaces de recourir à des ordonnances comme celles liées à l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution ne sont pas les bienvenues.

Une question simple. La formation pour devenir infirmière en pratique avancée (IPA) dure deux ans. Or, dans ma région, le financement n’est assuré que sur un an. Comment régler ce problème ?

Mme Pascale Gruny. – En ce qui concerne l’accompagnement des bénéficiaires du RSA, allez-vous travailler avec les départements ? Ce sont quand même eux qui exercent cette compétence... Si vous demandez un accompagnement plus important, allez-vous leur donner de nouveaux moyens, sachant que nombre d’entre eux sont exsangues financièrement ?

Allez-vous faire sortir du système de bonus-malus les entreprises particulièrement touchées par la crise sanitaire ou qui subissent fortement les conséquences de la crise énergétique ou de la hausse des coûts des matériaux ?

S’agissant des accidents du travail, pourrez-vous nous fournir un bilan de la mise en place du document unique d’évaluation des risques professionnels ?

Je regrette que vous ayez peu parlé des personnes handicapées...

Enfin, en ce qui concerne la prime d’apprentissage, sachez que, si vous la diminuez, il y aura nécessairement une baisse du nombre des apprentis.

Mme Corinne Féret. – Frédérique Puissat, Martin Lévrier et moi-même avons publié un rapport sur France compétences – vous en avez parlé – qui s’intitulait « France compétences face à une crise de croissance ». Les moyens de cet organisme sont clairement insuffisants à ce stade. Par conséquent, si l’ambition du Gouvernement est réellement d’atteindre un million d’apprentis, j’espère que la contribution de l’État à France compétences va augmenter...

Vous avez évoqué le fait qu’un effort serait fait pour développer l’apprentissage pour les jeunes qui ont un niveau pré-bac ou bac. Il me semble effectivement important de ne pas opposer les différents niveaux de qualification.

Pour autant, nous devons veiller à ce que les apprentis ne prennent pas la place de salariés en CDI : il faut aider les entreprises, mais trouver un juste milieu.

Vous avez évoqué la lutte contre la fraude en ce qui concerne le compte personnel de formation. J’imagine que vous ne parlez pas des utilisateurs, mais bien des organismes qui se présentent comme des centres de formation. Je crois qu’il faudrait préciser les choses.

Le Gouvernement a annoncé la création d’un Observatoire de l’illettrisme. Or il existe déjà une Agence nationale de lutte contre l’illettrisme. Comment les deux organismes vont-ils s’articuler ?

Mme Jocelyne Guidez. – En ce qui concerne la VAE, certains aidants sont inquiets : il ne faudrait pas limiter leur accès au dispositif pour les seules certifications liées au secteur médico-social.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – Je ne vais pas allonger les débats : beaucoup de sujets vont venir en discussion dans les prochains mois et il est clair que nous devrons opérer une véritable révolution.

M. Olivier Dussopt, ministre. – L’objectif de plein emploi ne dépend pas uniquement de la conjoncture. D’ailleurs, la plupart des autres pays européens ont des prévisions de taux de chômage autour de 3 % ou 4 %. Il faut mobiliser l’ensemble des acteurs et des moyens et je suis persuadé que nous pouvons y arriver.

Madame Poncet Monge, le rapport sur le non-recours à l’assurance chômage avait été transmis à ma prédécesseure qui avait demandé à l’Unédic de compléter un certain nombre d’éléments, notamment sur les causes du non-recours. Le nouveau document m’a été adressé à la fin de la semaine dernière et il sera transmis au Parlement dans les jours qui viennent.

Monsieur Iacovelli, la réforme de l’assurance chômage permettra de lutter contre les tensions de recrutement, mais ce n’est pas le seul outil que nous mettons en place. Depuis octobre 2021, nous avons mobilisé 1,4 milliard d’euros pour former les demandeurs d’emploi dans le cadre du plan de réduction des tensions ; cela a permis le retour à l’emploi de 250 000 demandeurs d’emploi de longue durée sur un an, ce qui est une très bonne nouvelle pour les entreprises qui recrutent, mais aussi bien sûr pour ces hommes et ces femmes qui étaient très durablement éloignés de l’emploi et qui retrouvent ainsi pied dans la vie active.

Nous mettons en œuvre avec Pôle emploi de très nombreux dispositifs – vous les voyez se déployer sur le terrain. Dans quelques jours, j’aurai l’occasion d’annoncer la phase 2 du plan de réduction des tensions de recrutement et j’ai demandé à Pôle emploi d’identifier, au niveau de chaque agence, et non au niveau régional ou national, les demandeurs d’emploi qui peuvent être très rapidement mobilisés, éventuellement après avoir suivi une formation. Nous allons continuer d’actionner tous les leviers à notre disposition pour que personne ne reste sans solution.

Monsieur Milon, nous ferons tout pour que le Gouvernement ne propose pas d’article additionnel au projet de loi. Mais plusieurs dispositions nouvelles ont déjà été évoquées durant les débats à la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale et pourraient donner lieu à quelques articles additionnels. Pour autant, ces mesures sont utiles – je pense notamment à celle permettant de considérer un abandon de poste, en termes d’accès à l’indemnisation, comme une démission plutôt que comme un licenciement pour faute.

Je partage votre point de vue sur les ordonnances. Il s’agira ici de ratifier des ordonnances – le Gouvernement avait naturellement reçu habilitation de la part du Parlement pour les prendre.

M. Alain Milon. – Nous avions voté la ratification des ordonnances du 22 septembre 2017 sur le dialogue social, dites ordonnances Pénicaud.

M. Olivier Dussopt, ministre. – Madame Gruny, j’ai évoqué à plusieurs reprises la situation des personnes handicapées. Je crois en tout cas que, pour les personnes les plus éloignées de l’emploi, comme cela peut être le cas pour des personnes handicapées, il faut mixer les solutions et continuer de les accompagner même après qu’elles ont signé un contrat de travail.

Nous avons parfois un problème de consommation des crédits : sur les 34 millions d’euros ouverts en 2022 pour la formation des personnes en situation de handicap salariées de structures adaptées, nous n’en avons consommé que 10 millions. Là aussi, nous devons mobiliser les acteurs et les dispositifs tous azimuts pour avancer et offrir un maximum de solutions.

J’ajoute – hasard du calendrier – que j’ai eu une réunion ce matin avec Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées, sur la feuille de route Emploi et handicap et sur le projet stratégique de l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph).

Nous allons naturellement travailler avec les départements sur l’accompagnement des bénéficiaires du RSA. Notre objectif est de conserver les compétences actuelles – je ne souhaite pas les remettre en cause – et de le faire avec les mêmes budgets. Nous avons déjà rencontré les représentants de l’Assemblée des départements de France, notamment pour avancer sur l’expérimentation dont je vous ai parlé.

Il existe des dispositifs pour aider les entreprises les plus touchées par la crise énergétique, y compris par de l’activité partielle, et ce ne sont pas nécessairement celles qui ont le plus recours à des contrats courts. En outre, le système du bonus-malus s’applique au sein de sept secteurs d’activité et est pensé pour être neutre au niveau d’un secteur, puisque les bonus compensent les malus.

Aujourd’hui, France compétences est en déficit. Celui-ci s’explique notamment par l’augmentation très importante du nombre d’apprentis. Nous revoyons au cas par cas le niveau de prise en charge des coûts de formation. En tant qu’ancien ministre du budget, je dois dire qu’on ne peut pas à la fois rester sur les niveaux précédents de prise en charge et rétablir les comptes publics. Nous devons trouver un nouvel équilibre pour maintenir la dynamique tout en restant à un niveau soutenable. En 2023, France compétences consacrera encore plus de 10 milliards d’euros à l’apprentissage, ce qui est exceptionnel. Il faut toutefois que France compétences revienne à l’équilibre et cela ne passe pas seulement par la dotation de l’État, mais aussi par des recalibrages. Nous ne tiendrons pas si l’enveloppe atteint 12 ou 13 milliards...

Mme Carole Grandjean, ministre déléguée. – En ce qui concerne l’accompagnement des jeunes, nous souhaitons mieux les orienter, notamment par une découverte des métiers dès la classe de cinquième – cela fait l’objet d’une expérimentation. D’autres actions sont menées dans les lycées professionnels. Je pense aussi au développement des prépas-apprentissage, dont le taux de réussite est très intéressant, 60 %.

Monsieur Milon, la formation pour être qualifiée infirmière en pratique avancée peut être financée par les régions, par l’Association nationale pour la formation permanente du personnel hospitalier (ANFH) ou par l’employeur. Des discussions sont en cours avec les fédérations d’employeurs pour faciliter l’accès à cette formation comme pour encourager l’apprentissage vers les métiers d’infirmière et d’aide-soignant.

Madame Guidez, nous souhaitons permettre l’accès des aidants à toutes les certifications qui sont en lien avec leur parcours, qu’il soit personnel ou professionnel. Leur engagement doit être mieux reconnu. Les métiers du soin sont une orientation possible, mais ils ne sont pas les seuls.

Enfin, l’Observatoire de l’illettrisme a été placé au sein de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme. L’objectif est de permettre à l’Agence et à tous les acteurs concernés de disposer de données fiables, actualisées et territorialisées. Il n’y a donc aucune concurrence entre les deux organismes.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en lien sur le site du Sénat

Feuille de route du ministère – Audition de M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous entendons à présent M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, sur la feuille de route de son ministère, dont le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 qui a été présenté lundi dernier en conseil des ministres constitue la première étape.

J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

M. Jean-Christophe Combe, ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées. – Le ministère dont j’ai la responsabilité est celui des solidarités concrètes et j’ai pour mission d’apporter des réponses très opérationnelles à ces problématiques. Ces réponses doivent être coconstruites avec l’ensemble des acteurs concernés : le Parlement, les collectivités locales, les associations, les entreprises, etc., mais aussi les personnes accompagnées elles-mêmes, qu’il faut impliquer très en amont dans l’élaboration des politiques publiques.

C’est aussi le ministère de toutes les vulnérabilités, du premier au dernier jour de nos vies, et je souhaite que cette manière de voir les choses nous amène à dépasser l’approche en silos, trop souvent présente dans notre pays. Il faut accompagner les personnes de manière globale.

L’ensemble des chantiers que je vais porter doit répondre à un triple objectif, mais aussi à une double urgence.

Le premier objectif, c’est d’adapter notre système aux besoins sociaux d’aujourd’hui – les familles monoparentales, la grande pauvreté ou encore le vieillissement de la population.

Le deuxième, c’est la réduction des inégalités de destin dès la naissance et tout au long de la vie pour aller vers une société réellement inclusive.

Le troisième, c’est de contribuer à la société du plein emploi. Il ne faut pas opposer l’économie et le social ; les deux fonctionnent ensemble et s’alimentent. D’ailleurs, le secteur médico-social est le quatrième secteur d’activité pourvoyeur d’emplois dans notre pays, ce qui doit nous motiver encore plus pour travailler à l’attractivité de ses métiers.

La double urgence, c’est celle du quotidien et celle d’anticiper les grandes transitions démographiques et écologiques pour mieux accompagner les populations. Notre mission est de protéger nos concitoyens les plus vulnérables face aux crises climatiques, sociales ou économiques. Nous avons répondu à cette première urgence du quotidien dès cet été avec, par exemple, la revalorisation des minima sociaux et l’allocation exceptionnelle de solidarité qui a été distribuée le 15 septembre à 11 millions de familles.

Le périmètre de mon ministère couvre donc tous les âges de la vie et il devra s’attacher à la performance de notre modèle de protection sociale et à l’inclusivité de notre société.

Concernant le début de la vie, nous allons nous atteler, dans la suite du travail entrepris par Adrien Taquet, en particulier la politique des 1 000 premiers jours, à la question du bien grandir.

La priorité du soutien aux familles se traduit directement dans le PLFSS par une hausse du budget de la branche famille de près de 1,6 milliard d’euros et par deux objectifs : favoriser l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ainsi que contribuer à la société du plein emploi, en développant l’accès à un mode de garde pour les jeunes enfants et continuer à lutter contre les inégalités de destin, en intervenant dès la petite enfance et en soutenant les familles les plus fragiles.

Pour cela, nous engageons une réforme du complément de libre choix du mode de garde (CMG), d’une part en révisant son barème pour permettre aux familles qui n’ont pas de place en crèche de faire garder leurs enfants au même coût par une assistante maternelle ou une garde à domicile, d’autre part en allongeant, pour les familles monoparentales, son bénéfice aux enfants de 6 à 12 ans.

Comme vous le savez, la situation de famille monoparentale concerne, dans 90 % des cas, une femme et 30 % de ces femmes vivent sous le seuil de pauvreté. La mesure que nous proposons permettra de réduire le nombre de familles monoparentales qui vivent sous le seuil de pauvreté.

Nous avons également choisi d’augmenter de 50 % l’allocation de soutien familial (ASF) qui sera revalorisée de 123 à 185 euros par mois et par enfant.

La réforme du CMG s’inscrit aussi dans le cadre du lancement de la trajectoire qui nous permettra de créer 200 000 places d’accueil du jeune enfant d’ici à 2030. C’est évidemment une question très importante, en particulier pour les 160 000 parents qui, aujourd’hui, ne reprennent pas de travail faute de solution d’accueil pour leur enfant.

Nous posons ainsi la première pierre du service public de la petite enfance que le Président de la République souhaite que nous mettions en œuvre avec les collectivités locales, en particulier le bloc communal, et l’ensemble des acteurs du secteur autour de trois priorités : plus de solutions de qualité ; plus d’égalité d’accès sur le plan financier et sur l’ensemble du territoire pour répondre aux inégalités sociales et territoriales ; des réponses aux problèmes de pénurie de personnel.

Soutenir les familles, c’est aussi soutenir la parentalité et la conjugalité, mieux prévenir les conflits intrafamiliaux et les ruptures de liens familiaux. Cela est évidemment dans l’intérêt des enfants, mais aussi dans celui des parents, notamment des femmes, et dans celui de la collectivité dans son ensemble.

À l’autre bout de la vie se pose la question du bien vieillir dans un secteur en crise de confiance, confronté à la fois à l’inflation, en particulier à la flambée des prix de l’énergie, et au manque de personnel.

Nous avons déjà pris un certain nombre de mesures pour restaurer la confiance dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et soutenir la transformation du secteur. Le PLFSS pour 2023 prolongera les actions engagées au début de l’année par Brigitte Bourguignon. L’impact de l’inflation sera compensé par l’extension à l’ensemble des Ehpad du gel tarifaire sur l’énergie. Dans la continuité du Ségur, nous poursuivrons les revalorisations salariales. J’ai aussi annoncé l’extension de l’augmentation du point d’indice de la fonction publique à l’ensemble du secteur, en particulier aux établissements privés.

Dans le cadre du Conseil national de la refondation, nous allons travailler sur la question de la transition démographique autour de trois axes prioritaires : la prévention, la citoyenneté et le lien social, les métiers.

En ce qui concerne la prévention, il s’agit de retarder la perte d’autonomie et de permettre aux personnes âgées de vivre dans la cité. Nous faisons ainsi le choix de la vie à domicile. Cela se traduit déjà dans le PLFSS par la création de nouvelles places de services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), la mise en place d’une tarification qui prenne mieux en compte le profil des bénéficiaires, la revalorisation du tarif plancher pour tenir compte de l’inflation et le financement de deux heures supplémentaires chaque semaine pour les 780 000 bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) à domicile. Ces deux heures supplémentaires seront dédiées à la convivialité et à la prévention, mais elles permettront aussi d’améliorer les conditions de travail des intervenants à domicile qui subissent trop souvent des temps partiels ou fractionnés.

Bien vivre à domicile nécessite souvent d’adapter les logements. Nous travaillons donc dès maintenant au déploiement à partir de 2024 de MaPrimeAdapt’ qui permettra d’adapter au moins 400 000 logements d’ici à 2027.

En ce qui concerne la citoyenneté et le lien social, nous devons garantir la participation des personnes âgées à la société et à l’élaboration des politiques publiques et nous devons lutter contre l’isolement social, un véritable fléau pour nos aînés.

En ce qui concerne les métiers, la rémunération n’est pas le seul élément d’attractivité sur lequel nous devons travailler ; nous devons aussi agir sur la qualité de vie au travail, la formation, les parcours professionnels, la valorisation des acquis de l’expérience, etc. Cela passe par des mesures d’urgence : ainsi, malgré les difficultés de recrutement dans le secteur, nous voulons montrer notre volontarisme et engager une dynamique, en prévoyant le financement à terme de 50 000 nouveaux postes dans les Ehpad, dont une partie est inscrite dans le PLFSS pour 2023.

Devons-nous passer par une loi sur le grand âge ? J’entends beaucoup de commentaires sur ce sujet… En ce qui me concerne, je crois que, avant de choisir un contenant, nous devons parler du contenu. Il existe en fait trois temps : nous devons d’abord prendre des mesures dans le PLFSS pour répondre aux problématiques actuelles et aux urgences que connaît le secteur médico-social ; nous devons ensuite poursuivre la transformation du secteur avec le virage domiciliaire et la modernisation des Ehpad ; nous devons enfin porter une ambition forte dans le cadre du Conseil national de la refondation, cette ambition pouvant aboutir le cas échéant à des mesures législatives.

Concernant les débats actuels sur la fin de vie, les discussions que nous allons avoir et auxquelles je participerai ne doivent pas être le symbole de l’échec d’une société qui ne saurait pas prendre soin des plus vulnérables et les accompagner. Les personnes vulnérables ne sont pas un poids pour la société, mais au contraire une richesse. Ces débats ont évidemment une dimension à la fois personnelle, intime et familiale, et collective ; ils touchent à la manière dont nous considérons la fragilité, la souffrance, la liberté et la mort, et ils concernent naturellement les soignants et les aidants. Nous devrons écouter la parole de chacun.

De manière générale, notre système de protection sociale, s’il est l’un des plus performants des pays de l’OCDE, est aujourd’hui complexe ; il favorise parfois la défiance, par son illisibilité, et ne facilite pas toujours le recours aux droits. C’est pourquoi nous devons le transformer, le moderniser, à partir d’objectifs partagés pour qu’il soit plus efficace, plus juste et mieux orienté vers l’insertion des personnes. Nous devons aller vers une solidarité « à la source », en simplifiant notre système, en ciblant les aides vers ceux qui en ont réellement besoin et en inscrivant celles-ci dans un véritable parcours d’insertion.

Dans le cadre de ma feuille de route, Mme la Première ministre m’a demandé d’aboutir au renouvellement du pacte de solidarité entre l’État, les collectivités locales et les acteurs de la solidarité d’ici à la fin de cette année. Nous allons ainsi engager le renouvellement de la stratégie de lutte contre la pauvreté. J’ai déjà réuni les acteurs concernés et commencé les consultations en ce sens.

Un autre de mes objectifs est de réussir la transition écologique et solidaire. Nous devons accompagner les personnes les plus vulnérables dans ce sens, en travaillant notamment sur les trois principaux postes de dépenses contraintes des ménages : le logement, la mobilité et l’alimentation. Nous devons ainsi lutter contre la précarité énergétique, faciliter la rénovation des passoires thermiques et déployer à grande échelle des solutions solidaires de mobilité. En ce qui concerne l’alimentation, les débats sur le projet de loi de finances rectificative voté cet été ont permis de doubler les crédits de l’aide alimentaire et nous devons poursuivre les travaux sur le chèque alimentaire pour que les personnes précaires puissent avoir accès à une alimentation saine, durable et équilibrée. De manière générale, nous devons lutter contre l’obésité qui touche aujourd’hui 17 % de nos enfants.

Je sais que vous allez auditionner Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées, mais je veux quand même vous dire quelques mots sur ce sujet. Le PLFSS pour 2023 respecte scrupuleusement les engagements pris lors de la dernière Conférence nationale du handicap : 700 millions d’euros supplémentaires seront consacrés au développement de l’offre médico-sociale, ainsi qu’à la détection précoce et à l’accompagnement des troubles du spectre autistique et du polyhandicap ou de ceux des personnes âgées vieillissantes. Nous devons aussi mieux articuler l’école et le secteur médico-social en faveur de l’inclusion. Nous devons renouveler la stratégie de l’autisme et des troubles du neurodéveloppement qui s’achève à la fin de cette année. Des concertations vont évidemment avoir lieu sur tous ces sujets et un comité interministériel se réunira début octobre pour préparer une grande conférence du handicap pour février 2023.

En conclusion, j’aborderai deux sujets transverses indispensables pour conduire cette feuille de route : d’une part, la richesse humaine, c’est-à-dire les femmes et les hommes qui s’engagent pour mettre en œuvre la transformation de ces politiques publiques – pour sortir de la crise actuelle des vocations dans le secteur et retrouver une dynamique plus pérenne et plus structurelle, il faut en finir avec l’approche cloisonnée que nous avions jusqu’à présent – ; d’autre part, la confiance dans notre système, fragilisé par la fraude, mais aussi par la maltraitance, question majeure trop longtemps mise sous le tapis – j’ai d’ailleurs annoncé la semaine dernière la saisine du Haut Conseil de la santé publique, celle de la Conférence nationale de santé et celle de l’IGAS à cette fin, et une grande stratégie sera décidée ici à la fin de l’année.

J’aurai à cœur de rendre régulièrement des comptes sur l’avancée de cette feuille de route et la mesure de son impact. Il y va de la crédibilité de nos politiques publiques.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Bon courage pour cette feuille de route ambitieuse !

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour la branche autonomie. – Monsieur le ministre, vous n’avez pas évoqué la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Pouvez-vous nous confirmer que le décret sera bien publié à la mi-décembre ?

Toujours dans le domaine du handicap, la rentrée scolaire a eu lieu et, conformément aux engagements pris par le Gouvernement, de nouveaux postes d’AESH ont été créés. Dans le même temps, nous constatons une désorganisation importante sur le territoire national : des besoins ne sont aujourd’hui pas pourvus et des familles sont dans l’attente. Qu’allez-vous faire ? Il y a urgence !

Sur l’automatisation du versement à la source des prestations sociales pour lutter contre le non-recours, quel est le calendrier ? Comment est-ce financé, puisque cela entraînera nécessairement des dépenses supplémentaires ?

Par ailleurs, confirmez-vous que les contrôles concerneront l’ensemble des groupes gestionnaires d’Ehpad et pas seulement les établissements eux-mêmes ? Concernant le dossier Orpéa, le montant à récupérer a été fixé à 56 millions d’euros, mais Orpéa a annoncé qu’il ne paierait pas une telle somme. Comment allez-vous faire ?

Comment comptez-vous articuler le PLFSS que nous voterons prochainement, la concertation sur le grand âge qui aura lieu au début de l’année prochaine, la Conférence nationale du handicap (CNH), alors même que nous attendons une loi Grand Âge ? Le monde du handicap est assez mécontent – une partie est d’ailleurs dans la rue aujourd’hui –, considérant que les moyens financiers ne sont pas là et qu’il n’y a pas de réforme. Ce PLFSS s’inscrit dans une continuité a minima des engagements du comité interministériel. Où en est-on au regard des enjeux globaux – structures, personnel, attractivité des métiers – et surtout des annonces faites au moment de l’élection présidentielle ?

Je terminerai par un petit clin d’œil : il y a quelques semaines, vous étiez de l’autre côté de la barrière et souhaitiez fortement que l’on avance sur le volet grand âge et autonomie ; aujourd’hui, j’entends votre calendrier. L’échéance du printemps 2023 sera-t-elle tenue ?

M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. – L’accueil du jeune enfant est une question clef de notre société. Cela a des incidences en termes de natalité, de renouvellement des générations. Voulons-nous suivre le sillage de pays à la démographie déclinante comme le Japon ? Pour faire le lien avec d’autres questions déjà évoquées, la mauvaise conciliation entre vie professionnelle et vie familiale peut être un frein au retour à l’emploi des allocataires du RSA. Dans les foyers monoparentaux, qui plus est quand il s’agit de femmes seules, la question de la garde d’enfants revient souvent.

Se pose donc la question de la structuration du service public de la petite enfance et donc celle du financement et de la complexité de l’articulation entre la prestation de service unique (PSU) et la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje). Vous avez également engagé une réflexion sur la maltraitance en établissement d’accueil du jeune enfant (EAJE) après les drames tragiques que nous avons en tête. L’amélioration des conditions d’accueil se pose alors que la pénurie de professionnels dans la petite enfance se trouve parmi les sujets brûlants de votre ministère. Il y a un équilibre difficile à trouver entre les financements, la qualité et les objectifs quantitatifs.

Le nombre de places en EAJE est en effet une question centrale pour notre société. Il faut retrouver le souffle des années 2000 en matière de création de places en crèche tant au niveau de l’impulsion nationale qu’au niveau du bloc communal.

En définitive, comment comptez-vous associer le Parlement à ces questions ? L’amorce de la réforme, sous la précédente législature, a été adoptée par ordonnance, à notre grand désarroi.

Enfin, quid de la réforme du calcul du CMG « emploi direct » prévu dans le PLFSS ? Cette réforme pourrait s’avérait perdante pour certaines familles. Avez-vous une estimation du nombre de familles concernées ? Avez-vous envisagé d’éventuelles compensations ?

M. Jean-Christophe Combe, ministre. – Monsieur Mouiller, je vous confirme que le décret relatif à la mise en œuvre de la déconjugalisation de l’AAH sera signé au plus tard au mois de décembre. Je fais même tout pour qu’il le soit avant.

Concernant la rentrée scolaire, vous avez raison de dire que le nombre de postes d’AESH a une nouvelle fois augmenté : il atteint 125 000. Ainsi, 430 000 enfants sont scolarisés. Certes, des besoins restent non couverts, ce qui est un drame pour les familles concernées. Nous avons mis en place pour cette rentrée un canal de communication avec les familles qui n’avaient pas de solution. Dans une perspective de plus long terme, la Première ministre s’est engagée à ce que la question de l’école inclusive fasse l’objet d’une nouvelle dynamique, dans un acte II de l’école inclusive : cela fera l’objet de discussions dans le cadre de la Conférence nationale du handicap de février 2023. Il faut savoir si les ressources sont aujourd’hui suffisantes pour continuer à scolariser les enfants en situation de handicap, évaluer les dispositifs d’accompagnement et voir si l’on ne peut pas faire un peu évoluer le système.

La solidarité à la source est un projet de quinquennat. Nous en examinons les contours et envisageons un premier périmètre regroupant un panier de prestations – RSA, prime d’activité, aide au logement –, ce qui couvre à peu près 90 % des bénéficiaires des prestations sociales dans notre pays. Ce projet inclut plusieurs étapes, la première pouvant être la simplification et le préremplissage des formulaires de demandes de prestations, dans une démarche de « aller vers » ; cela permettrait également de lutter contre la fraude, en sécurisant le renseignement des formulaires de demandes de prestations.

Je vous confirme que les mesures incluses dans le PLFSS visent bien à donner aux inspections des moyens de contrôle des sièges des groupes, quelle que soit la nature de ces derniers, conformément aux recommandations du rapport d’information de vos collègues Bernard Bonne et Michelle Meunier.

Des discussions sont aujourd’hui en cours entre la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) et Orpéa. Je tiens à ce que l’État ait une position très ferme dans cette affaire : un titre de recette de 56 millions d’euros a été émis et nous ne sommes pas dans une posture de transaction.

Nous présentons un PLFSS d’urgence, de fin de cycle structurel sur les grandes politiques. C’est pourquoi nous laissons le temps à la concertation sur le handicap avec la préparation de la future CNH et sur le bien vieillir avec le Conseil national de la refondation (CNR). Il faudra bien évidemment croiser les travaux, puisque l’autonomie concerne à la fois les personnes âgées et les personnes en situation de handicap. Nous prenons le temps de la réflexion et cela devrait se traduire soit dans les textes financiers de l’automne 2023, soit dans des véhicules législatifs ou réglementaires. Sur le bien vieillir, l’objectif qui m’a été fixé dans ma feuille de route est d’aboutir au plus tard au printemps 2023.

Monsieur Henno, le projet de service public de la petite enfance témoigne d’une ambition majeure, qui se trouve au carrefour des politiques de natalité, de plein emploi et de la promotion de l’égalité homme-femme. Le PLFSS contient de premières mesures sur la réforme du CMG. Des discussions sont également prévues dans le cadre de la renégociation de la convention d’objectifs et de gestion de la CNAF. Nous ouvrirons cet automne une concertation avec les acteurs de la petite enfance et nous avons monté un comité de filière pour traiter notamment de la question de l’attractivité des professions de la petite enfance. Ils seront mis à contribution pour la création du service public de la petite enfance. Nous ouvrirons également une concertation avec les collectivités : une des difficultés principales s’avère la répartition des compétences entre l’État, la branche famille, les départements qui exercent les contrôles et les communes ou intercommunalités qui développent l’offre sur les territoires. Pourquoi ne pas envisager pour le bloc communal une compétence obligatoire sur le développement de places d’accueil du jeune enfant ? Cela a été par exemple proposé par un rapport du Comité économique, social et environnemental.

M. Xavier Iacovelli. – La part des familles monoparentales atteint plus de 25 % aujourd’hui. Dans plus de 80 % des cas, c’est la mère qui élève seule un ou plusieurs enfants. Qui plus est, la plupart des familles monoparentales vivent dans un logement dit surpeuplé où il manque au moins une pièce, ce qui a des conséquences directes sur le développement et la scolarité des enfants. Par ailleurs, ces enfants sont deux fois plus touchés par la pauvreté que l’ensemble des enfants.

Face à ce constat alarmant, vous avez annoncé la révision de plusieurs aides financières concernant la garde d’enfant et la revalorisation de l’allocation de soutien familial (ASF). Pouvez-vous nous préciser la nature de ces révisions, leur impact concret pour les familles et le nombre de familles concernées ?

Il existe aujourd’hui un certain nombre de numéros d’urgence concernant les enfants. Ne pensez-vous pas que nous pourrions faire plus simple et créer un numéro d’urgence spécifique à l’enfance – le 119 étant le plus représentatif et celui qui fonctionne mieux ?

J’en viens à la revalorisation de 183 euros pour le secteur médico-social prévue par le Ségur 3. Dispose-t-on un premier bilan de ce versement par les départements, puisqu’il semblerait que tous n’aient pas joué le jeu ?

M. Daniel Chasseing. – De nombreux maires regrettent le nombre insuffisant d’AESH, même si les effectifs ont augmenté ; qui plus est, ces personnels sont insuffisamment payés.

Dans la mesure où les personnes âgées souhaitent rester à domicile, l’augmentation du nombre de services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) va dans le bon sens, mais il faut également adapter les logements. Le président de la République a souhaité dans son programme créer 50 000 emplois pour les Ehpad, ce qui correspond à environ cinq emplois par établissement. Il faut également augmenter le nombre d’Ehpad, puisque la dépendance est appelée à augmenter de façon très importante. Quid du financement de la cinquième branche de l’assurance maladie pour prendre en charge le plan Grand Âge, qui doit s’accompagner d’un plan massif de création d’emplois d’aide-soignants et d’infirmiers ?

M. Abdallah Hassani. – Comment cette feuille de route sera-t-elle déclinée dans les outre-mer ?

Mme Laurence Cohen. – La loi Grand Âge est une Arlésienne ! Nous sommes là face à un problème de société : quelle société peut-on construire pour vieillir ensemble et en bonne santé le plus longtemps possible ? On ne peut pas remettre ce dossier toujours à demain. Dans le département du Val-de-Marne, mais cela se retrouve ailleurs, la situation de la filière gériatrique dans les hôpitaux et dans les Ephad est catastrophique : réduction du nombre de lits, dégradation des conditions de travail, mainmise du privé avec sa vision lucrative dont on a vu les dégâts…

Vous annoncez la création de 50 000 emplois, alors que les besoins sont évalués à 100 000 emplois par an pendant trois ans ! Cela suppose également de la formation, des salaires à la hauteur, de la reconnaissance. Ce métier n’est absolument pas reconnu, ce qui entraîne une perte de sens. Que comptez-vous faire pour remédier à cette situation ?

Vous parlez à juste titre d’une école inclusive, mais, pour que cela ne reste pas un slogan, il faut des moyens à la fois humains et financiers. Or les AESH sont en nombre insuffisant et, là encore, elles n’ont pas de formation suffisante et ont des horaires plus que hachés. Le candidat Emmanuel Macron s’est engagé sur la contractualisation des AESH à hauteur de 35 heures. Où en est-on ?

La stratégie nationale de mobilisation et de soutien Agir pour les aidants s’achève en 2022. Il reste de nombreux points à améliorer pour une meilleure prise en compte des aidants, notamment pour préserver leur santé, lutter contre l’isolement social et la précarité, développer l’offre de relais et améliorer la conciliation entre vie personnelle, vie familiale et vie professionnelle. Que comptez-vous mettre en œuvre pour améliorer la situation des aidants ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. – Face à ces chantiers qui ne manquent pas, monsieur le ministre, si vous ne voulez pas avoir besoin d’un casque de protection, il va falloir adapter la méthode ! Il convient de tirer les leçons des différents Ségur : comme beaucoup de parlementaires, je continue d’être inondée de courriers de professionnels du secteur médico-social ou social qui se demandent quand ils pourront bénéficier d’une revalorisation de leur salaire. Augmenter les salaires était la chose à faire, mais, dans ce dossier, c’est la méthode qui a fait défaut : il aurait fallu annoncer le calendrier des revalorisations et ne pas mettre en concurrence ceux qui exercent le même métier selon leur statut ou leur lieu de travail. Cela a suscité beaucoup de frustrations et un fort sentiment d’injustice.

Le secteur de l’accueil familial des personnes âgées est en difficulté : les départements ont de plus en plus de mal à recruter, car ces professionnels ne sont pas suffisamment rémunérés.

Il faut également travailler sur la difficulté que rencontrent les assistantes maternelles lorsqu’elles ne sont pas payées par leurs employeurs : il est très complexe d’obtenir des indemnités pour remplacer le salaire impayé et elles peuvent se retrouver en précarité.

Vous avez indiqué que, dans le cadre du PLFSS, deux heures supplémentaires seront proposées pour sortir de la précarité ces métiers de l’accompagnement au domicile. Quand on a augmenté les salaires des aides à domicile, on a souvent baissé le nombre d’heures prévues dans les plans d’aide, ce qui n’a pas été sans conséquence pour les familles. D’ailleurs, comment comptez-vous financer cette mesure avec les départements ?

M. Jean-Christophe Combe, ministre. – Monsieur Iacovelli, merci d’avoir souligné l’ambition des mesures de ce PLFSS notamment à l’adresse des familles monoparentales. L’objectif, c’est de faire reculer de plus deux points le taux de pauvreté de ces familles, pour que les femmes n’aient plus à choisir entre vie maternelle et vie professionnelle. Nous avons envisagé un certain nombre de cas types : ainsi, une mère célibataire qui gagne 1 300 euros par mois et qui place ses deux enfants trente heures par mois chez une assistante maternelle bénéficiera d’une aide mensuelle de 108 euros grâce à la réforme du CMG. Celle-ci concernera environ 840 000 familles. Nous avons pour intention de linéariser le barème pour éviter les effets de seuil. Nous veillerons également à tous les cas dits atypiques et ferons en sorte qu’il y ait le moins de perdants possible.

Il y a bien un enjeu de simplification des numéros d’urgence, que nous aborderons dans le cadre de la stratégie de lutte contre la maltraitance, mais qui concerne plus spécifiquement la secrétaire d’État Charlotte Caubel.

M. Xavier Iacovelli. – Mais quel est votre avis personnel sur ce point ?

M. Jean-Christophe Combe, ministre. – Je crois qu’il faut, de façon générale, une simplification des numéros d’urgence, d’autant que nous savons faire aujourd’hui des aiguillages et des routages en fonction de la nature des appels.

Sur la question des revalorisations du secteur médico-social, un certain nombre de départements ne jouent en effet pas le jeu. Je rappelle que le dernier accord date du mois de juin dernier et fait suite à la conférence des métiers du 18 février ; un comité des financeurs sera organisé au mois d’octobre prochain avec les départements, pour voir si toutes les parties ont tenu leurs engagements : par exemple, pour l’État, les compensations liées à l’avenant 43. Ce comité sera également l’occasion de revoir la relation État-départements pour ce qui concerne le financement de ces politiques publiques, dans un objectif de simplification.

Monsieur Chassaing, le nombre d’AESH a augmenté. La feuille de route prévoit de travailler sur leur statut, de revoir leurs conditions de travail pour pouvoir leur offrir des temps complets en CDI, de travailler sur les ruptures de parcours entre temps scolaire et périscolaire.

Je vous confirme que nous tiendrons le cap des 50 000 recrutements en Ehpad. Le problème aujourd’hui, c’est plutôt l’attractivité des métiers et notre capacité à former et recruter des professionnels. Il faudra à l’avenir une programmation des finances publiques qui intègre aussi la montée en charge liée à la transition démographique. Cette année, 1,5 milliard d’euros sont injectés dans la politique en faveur de l’autonomie ; l’année prochaine, la branche bénéficiera d’un morceau de contribution sociale généralisée (CSG) complémentaire de 0,15 point qui devrait rapporter plus de 2 milliards d’euros.

Monsieur Hassani, nous travaillerons avec le ministre des outre-mer à la déclinaison de cette feuille de route dans les territoires ultramarins, dont la spécificité sera prise en compte – Mayotte, ce n’est pas la Martinique ! –, même si des points communs existent : taux de pauvreté et de chômage plus forts, retards en termes d’équipements médico-sociaux, transition démographique accélérée… Dans quinze ans, la Martinique sera le département le plus âgé de France.

Madame Cohen, vous craignez que la loi Grand Âge n’arrive jamais. Pourtant, ma feuille de route est très claire et j’en ai décrit la temporalité tout à l’heure. Nous ne méconnaissons pas l’urgence de la situation, mais on ne peut pas dire que rien n’a été fait ! Le secteur de la santé, c’est 12 milliards d’euros ; sur l’autonomie, c’est 3,5 milliards d’euros en année pleine. Il s’agit donc d’un effort considérable, qui se traduit par 15 % d’augmentation pour une infirmière diplômée d’État. Certes, on ne pourra pas rattraper en une fois le retard de rémunération, il faut inscrire cette dynamique dans le temps et faire en sorte qu’elle soit soutenable pour les finances publiques.

Qui plus est, la question salariale n’épuise pas celle de l’attractivité de ces métiers. De ce point de vue, il faut apprendre à parler de façon plus positive de ces métiers pour donner envie aux jeunes de s’engager. La valorisation de ces professions est indispensable. C’est pourquoi nous finançons un certain nombre de campagnes de communication.

La stratégie de mobilisation et de soutien aux aidants arrive à son terme et nous en élaborerons une nouvelle dans les prochains mois.

Madame Doineau, pour avoir été de l’autre côté de la barrière, je vous confirme que la méthode Ségur n’est pas la bonne ! Elle a créé beaucoup de tensions dans les établissements et a surtout montré notre incapacité collective à piloter des politiques très complexes, qui dépendent de canaux de financement très différents. Qui plus est, l’État n’a pas forcément une vision transversale de tous les opérateurs qui constituent l’écosystème social et médico-social. De mon point de vue, il faut remettre en place une gouvernance transversale et avoir une approche globale quand il s’agit de missions d’intérêt général financées par l’argent public.

Il ne faut pas que les personnels techniques et administratifs des établissements s’attendent à recevoir 183 euros de la part de l’État et je renvoie les employeurs à leur responsabilité. Le Ségur de la santé, qui répondait à une urgence et à un besoin de reconnaissance dans un moment difficile, a dévoyé notre fonctionnement collectif et il faut revenir un système durable et sain, celui des négociations salariales.

Je place beaucoup d’espoir dans la création de la convention collective unique étendue de branche du secteur privé non lucratif.

M. Philippe Mouiller, rapporteur. – Courage !

M. Xavier Iacovelli. – Cela prendra du temps !

M. Jean-Christophe Combe, ministre. – Il faut mettre en place une gouvernance et l’État et les départements doivent prévoir un pilotage économique. Qui plus est, il faut inclure tout ce qui est relatif à l’aide à domicile dans cette dynamique, car il existe une concurrence dans les départements entre le domicile, le médico-social et l’hôpital.

Aujourd’hui, la CNSA ne finance pas seulement l’APA et la PCH, elle intervient aussi dans l’aide à domicile via le complément qualité et la revalorisation salariale issue de l’avenant 43. Elle sera peut-être le canal pour financer les deux heures supplémentaires.

Mme Jocelyne Guidez. – Quand un enfant handicapé est en maison d’accueil, le transport est remboursé à 100 %. Quand cet enfant devient adulte, il doit changer d’établissement et n’en trouve pas nécessairement un dans son département. Dans ce cas, il n’est plus question de remboursement : seul un forfait d’environ 200 euros est prévu, et ce sont par conséquent les aidants qui prennent en charge les allers-retours. Je connais une famille qui fait 380 kilomètres chaque week-end pour aller chercher son enfant handicapé…

Il faut donc revoir la question des transports, travail qui n’a toujours pas été fait. Où en est-on ?

Mme Corinne Féret. – J’interviens au nom de Monique Lubin, qui n’a pas pu rester jusqu’à maintenant. Monsieur le ministre, vous avez dit que la loi Grand Âge suscitait des débats et qu’il fallait d’abord s’entendre sur son contenu. Pourtant, nous avons maintenant une idée assez précise des besoins !

Avez-vous conscience de l’exaspération qui est en train de prendre le pas sur l’attente dans les territoires et dans les familles ? Cette loi est bien une Arlésienne ! Elle a été annoncée sous le précédent quinquennat et elle est attendue depuis. C’est un véritable sujet sociétal : comment accompagner les personnes âgées ? Comment la société intègre-t-elle cette population ? L’attente est très grande et concerne les personnels, les structures d’accueil, les familles, les aidants, mais aussi les élus, qui imaginent souvent des solutions dans leur commune.

Un certain nombre de choses ont été faites, la cinquième branche a même été créée, mais nous attendons toujours cette grande loi et pas seulement des mesures au détour de PLF, de PLFSS ou du Ségur. La loi est le bon niveau de réponse.

Mme Victoire Jasmin. – Monsieur le ministre, j’appelle votre attention sur la situation des structures associatives qui prennent en charge les personnes en situation de handicap, particulièrement celles qui ont des troubles autistiques. Elles ont des budgets contraints, on leur demande de plus en plus de mettre en place des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens (CPOM).

Je m’associe à la question relative aux transports des personnes en situation de handicap, qui s’est posée singulièrement en outre-mer. S’il faut en discuter davantage avec vous, j’y suis prête.

M. René-Paul Savary, rapporteur pour la branche vieillesse. – Monsieur le ministre, vous faites beaucoup d’annonces. Attention à ce que les départements n’aient pas l’impression que vous faites de la politique sur leur dos !

Il n’est qu’à prendre l’exemple des deux heures de convivialité. Il faut savoir que les départements qui gèrent l’APA perçoivent une dotation, mais que leurs dépenses sont bien sûr beaucoup plus importantes que les recettes. Qui plus est, l’APA à domicile coûte plus cher que l’APA en hébergement. Par conséquent, l’augmentation du coût de l’heure a conduit à une diminution du nombre d’heures sur le territoire. Tout cela doit être pris en compte pour pouvoir améliorer le dispositif.

Il en est de même pour le RSA. La solidarité à la source me paraît tout à fait intéressante, notamment pour lutter contre le non-recours. Le Sénat a produit un rapport d’information sur l’unification du recouvrement social, notamment le recouvrement des cotisations par les Urssaf : le système n’est pas d’une fiabilité exceptionnelle ! La situation est telle qu’aujourd’hui cela risquerait de générer plus d’indus qu’autre chose. Il faudrait en effet des données nominatives, alors que l’Urssaf travaille davantage sur des données agrégées. Pour le calcul, il faut tenir compte à la fois des revenus du travail et des revenus de la solidarité.

Par ailleurs, il faut prévoir des devoirs en contrepartie des droits. Je sais ce que vous partagez ce point de vue, monsieur le ministre. C’est ainsi que l’on unira la société. En outre, comme cela coûtera nécessairement plus cher, cela pénalisera également les finances des départements. On risque l’asphyxie complète !

Mme Laurence Rossignol. – Deux points positifs, monsieur le ministre : l’augmentation de 50 % de l’ASF dès le budget 2023 et la prolongation du CMG jusqu’à l’âge de douze ans. Ce sont de très bonnes nouvelles, puisque la question de la garde d’enfants pèse lourdement sur les familles monoparentales.

Dans la même veine, je vous invite à réfléchir à la déconjugalisation de l’allocation de soutien familial et à vous pencher sur une proposition de loi discutée au Sénat, mais qui n’a malheureusement pas été adoptée, relative à la suspension de l’allocation de soutien familial en cas de reprise d’une relation amoureuse par la mère. La situation actuelle est pénalisante pour la remise en couple des femmes.

Votre engagement relatif aux 200 000 places d’accueil mode de garde est très ambitieux, mais je n’ai pas bien identifié les moyens. Dans le quinquennat précédent, l’engagement était beaucoup plus modeste, de l’ordre de 30 000, et n’a pas été atteint. Cette mesure coûterait entre 1,6 et 2 milliards d’euros par an ; or cette somme ne figure pas dans le budget 2023, c’est qui signifie qu’elle est d’emblée reportée.

Par ailleurs, depuis quelques années, les places de crèche créées l’ont été essentiellement par des structures privées à but lucratif. On se demande toujours comment certains arrivent à dégager des bénéfices alors que les autres n’y arrivent pas… Il ne faudrait pas que ce que nous avons connu dans d’autres domaines du secteur médico-social touche un jour les crèches.

Vous avez annoncé une grande réflexion sur le service public de la petite enfance, avec éventuellement une compétence obligatoire des communes en la matière. Le problème, ce n’est pas l’investissement, c’est le fonctionnement ! Quand on parle de 200 000 nouvelles places de crèches, c’est un transfert de charges énorme sur les communes.

Je soutiens l’idée d’un service public de la petite enfance, d’un droit opposable à une place en crèche, mais je suis perplexe sur les moyens mis en place.

Mme Corinne Imbert, rapporteure pour la branche assurance maladie. – Les mesures que vous proposez ont un impact direct sur les conseils départementaux.

Aujourd’hui, les départements ayant la direction d’autonomie qui préparent le budget primitif pour 2023 prennent en compte l’inflation, l’impact du Ségur et de l’avenant 43. Ils subissent par ailleurs la pression des oubliés du Ségur, avec des revendications pour lesquelles il n’y aura pas de compensation, etc. Tout cela se chiffre en millions d’euros, malgré la compensation par l’État à travers la CNSA.

Vous évoquiez les départements qui ne joueraient pas le jeu aujourd’hui, mais il y a peut-être des départements qui ne pourront pas jouer le jeu demain.

Sur l’article 34 du PLFSS relatif aux deux heures supplémentaires, est-ce une façon de compenser la perte d’heures liée à l’augmentation du tarif pour des bénéficiaires de l’APA qui sont au maximum du plan d’aide ou est-ce, comme cela est annoncé, pour prévenir la perte d’autonomie, repérer des fragilités, bâtir du lien social ? Cette rédaction n’exclut-elle pas les bénéficiaires GIR 1 et GIR 2 ?

Vous avez prononcé le mot magique, la « coconstruction », qui était aussi très employé par votre prédécesseure : elle déclarait d’ailleurs, sur le projet de loi Grand Âge et Autonomie, que, lorsque l’État mettrait un euro, les départements devraient également mettre un euro. Partagez-vous cette logique ?

M. Jean-Christophe Combe, ministre. – Concernant la question des transports, un groupe de travail a été mis en place par Sophie Cluzel et doit prochainement rendre ses conclusions.

Mme Annie Le Houerou. – Quelles conclusions comptez-vous tirer du rapport d’information de Bernard Bonne et Michelle Meunier ?

Par ailleurs, comment est envisagé le remboursement par Orpéa des sommes indûment perçues ?

M. Jean-Christophe Combe, ministre. – Nous avons bien conscience de l’attente que suscite la loi Grand Âge. La réflexion que nous menons ne se fait pas au mépris des travaux qui ont pu être conduits et des rapports qui ont été produits par l’ensemble des parlementaires. Certaines des réponses qu’ils apportent ont d’ores et déjà été inscrites dans ce projet de loi, mais nous voulons avoir une vision sociétale et inclure les citoyens dans ce débat sur le vieillissement et la place des aînés dans notre société. Nous souhaitons nous donner encore un temps de concertation. Il s’agit également de prioriser et de planifier la mise en œuvre de l’évolution de ces politiques publiques. Il y a également des questions qui tiennent aux financements et à la programmation.

Madame Jasmin, je connais bien la situation du monde associatif et des gestionnaires d’établissements, notamment dans le secteur du handicap. Dans ce PLFSS, nous essayons de répondre à des besoins immédiats : attractivité des métiers, impact de l’inflation… Ainsi, 440 millions d’euros de crédits supplémentaires seront délégués aux ARS pour soutenir les acteurs médico-sociaux. J’ai annoncé le gel des tarifs sur l’énergie pour les Ehpad, nous examinons s’il est possible de faire la même chose pour le secteur du handicap. Par ailleurs, nous reconduirons des crédits exceptionnels en 2023, à hauteur de 670 millions d’euros, pour soutenir les opérateurs du secteur de l’autonomie. Nous serons très attentifs à l’évolution de la situation.

Monsieur Savary, je partage tout à fait votre analyse et votre regard sur les risques. Je me suis engagé auprès de M. Sauvadet et l’Assemblée des départements de France à construire une nouvelle méthode de travail. Le comité des financeurs sera réuni dans quelques jours d’abord pour aborder les sujets urgents, ensuite pour évoquer la question de la relation entre l’État et les départements. Avant de prendre des décisions structurelles pour l’avenir, il faut trouver les bons canaux de financement.

Dans la trajectoire des finances publiques sont déjà inscrits des crédits de l’État pour compenser les coûts qu’engendrerait la mise en place de la solidarité à la source, notamment dans la lutte contre le non-recours. On ne peut pas nier la dynamique de la branche autonomie ; il faut trouver d’autres canaux de financement, par exemple le financement privé, la contribution des familles ou de nouvelles ressources. Je sais bien qu’aujourd’hui le financement des plans se fait davantage via les moyens de la CNSA qu’en fonction des besoins et des dépenses réels des conseils départementaux. Nous souhaitons inscrire un contrat de confiance.

Sur la philosophie du RSA, je me suis beaucoup exprimé sur l’articulation social-travail qu’il ne fallait pas opposer. Ce sera l’objectif de toutes nos politiques publiques. Le plan de lutte contre la pauvreté visera aussi à beaucoup mieux accompagner les bénéficiaires du RSA ou les personnes très exclues vers une reprise d’activité. Nous sommes tous choqués de constater un taux de chômage et un nombre de bénéficiaires du RSA aussi élevés dans un marché du travail extrêmement tendu. On parle d’attractivité des métiers, mais cela montre bien que notre système ne fonctionne pas si bien.

Madame Rossignol, je vous remercie pour votre soutien et vos compliments. Les mesures que nous prenons en faveur des familles monoparentales sont fortes ; elles étaient attendues.

J’entends votre remarque sur la perception de décalage entre l’ambition affichée des 200 000 places d’accueil et les réalités de terrain. Je précise de nouveau qu’il ne s’agira pas uniquement de places en crèche. Aujourd’hui, environ 60 % des places d’accueil sont fournies par des assistantes maternelles ou des modes de garde à domicile. La renégociation de la convention d’objectifs et de moyens de la branche famille sera l’occasion de mettre les choses en place. Nous devrons de toute façon discuter avec l’ensemble des acteurs concernés, en particulier les collectivités locales. J’ai du mal à voir comment nous pourrons atteindre les objectifs fixés sans confier cette responsabilité aux collectivités. L’offre d’accueil repose aujourd’hui uniquement, dans certains territoires, sur le secteur privé, ce qui n’est absolument pas souhaitable. Nous devons développer une offre diversifiée qui offre le choix aux familles afin d’assurer l’égalité, la qualité, l’accompagnement et la sécurité pour tous les enfants. Tout cela devra faire l’objet – je le répète – de discussions avec l’ensemble des acteurs du secteur et les familles.

Madame Imbert, en ce qui concerne les deux heures supplémentaires pour les bénéficiaires de l’APA à domicile, nous devons trouver un mécanisme coconstruit avec les départements pour qu’il s’agisse bien de deux heures supplémentaires. Cela concernera les personnes appartenant aux groupes iso-ressources (GIR) 1 à 4.

M. René-Paul Savary. – Si vous voulez vraiment accentuer les efforts sur la prévention, il faudra revoir cette dichotomie entre, d’une part, les GIR 1 à 4 et, d’autre part, les GIR 5 et 6.

M. Jean-Christophe Combe, ministre. – Madame Le Houerou, nous avons repris dans le PLFSS des propositions du rapport du Sénat pour renforcer de nouveau les mesures de contrôle sur les Ehpad : soumission à l’accord préalable des autorités de tarification de la possibilité pour un groupe de signer un CPOM ; limitation dans le temps de l’usage des excédents sur les financements publics afin qu’ils soient effectivement dépensés ; extension du pouvoir de contrôle des Agences régionales de santé (ARS) sur le siège d’un groupe gérant plusieurs Ehpad ; autorisation de recourir à des astreintes journalières, lorsqu’un organisme contrôlé ne transmet pas les documents demandés ; obligation de transmettre une comptabilité analytique attestée retraçant les flux financiers entre les établissements médico-sociaux et le groupe ; sanctions et astreintes affectées à la CNSA dès lors que les établissements concernés relèvent de l’objectif global de dépenses (OGD) ; récupération d’indus par la CNSA.

Enfin, en ce qui concerne le groupe Orpea qui conteste une partie des 56 millions d’euros qui lui sont réclamés, l’État sera très ferme au regard de la situation et du comportement de ce groupe.

La réunion est close à 18 h 15.

Cette audition a fait l’objet d’une captation vidéo vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat