Mardi 15 novembre 2022

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Projet de loi de finances pour 2023 - Crédits « Patrimoines » - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, président. - Nous débutons cette semaine par l'examen des crédits du programme « Patrimoines » au sein de la mission « Culture ».

Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis sur les crédits des patrimoines. - Le monde du patrimoine appréhendait le niveau des crédits en 2023 après les aides exceptionnelles dont il a bénéficié pendant la crise sanitaire. L'État maintient finalement son effort en 2023 : les crédits du programme continuent leur progression dans des proportions significatives : + 7,5 %. Il reste à espérer qu'il s'agira d'une hausse pérenne, compte tenu de la sous-dotation des crédits du patrimoine que nous constations jusqu'alors.

La moitié de cette hausse (37,4 millions d'euros) vise cependant à compenser l'inflation qui affecte le fonctionnement des opérateurs et l'activité des chantiers de restauration. Les montants sont répartis à parts égales entre ces deux enjeux.

Le directeur général des patrimoines n'a pas caché que cette enveloppe serait insuffisante pour couvrir le niveau de l'inflation. Les opérateurs devront puiser dans leurs ressources propres pour financer une partie des surcoûts de fonctionnement et d'investissement. Il est également possible que des chantiers de restauration de monuments historiques soient reportés à 2024, si leur renchérissement se révèle trop important.

Les mesures nouvelles, d'un montant de 38 millions d'euros, sont inégalement réparties entre les différentes actions du programme.

Elles sont concentrées sur les monuments historiques, les opérateurs nationaux et les moyens de l'archéologie préventive. Le Gouvernement justifie ces arbitrages par la volonté de parachever les mesures du plan de relance.

En ce qui concerne les monuments historiques, il me semble que nous pouvons nous réjouir du léger rééquilibrage des crédits entre l'Ile-de-France et les autres régions. Les crédits destinés aux grands chantiers, qui profitent habituellement principalement à l'Ile-de-France, sont en baisse en 2023. Par ailleurs, deux des trois nouveaux grands projets lancés portent sur des monuments non franciliens : la cathédrale de Nantes et l'abbaye de Clairvaux. Néanmoins, il reste à fournir des efforts conséquents pour assurer une plus grande équité territoriale.

De ce point de vue, j'avoue regretter que le ministère de la culture n'ait pas profité de ces nouveaux crédits pour corriger d'autres déséquilibres que nous signalons depuis plusieurs années.

Ainsi, les crédits destinés à la restauration des monuments historiques ou à la rénovation des équipements patrimoniaux des collectivités territoriales n'enregistrent, eux, aucune progression en 2023. Seule exception : les crédits du fonds incitatif et partenarial pour la restauration des monuments historiques situés dans des communes à faibles ressources, revalorisés à hauteur de 2 millions d'euros, pour un montant total de 18 millions d'euros.

Compte tenu de l'effet ciseaux auxquelles les collectivités territoriales sont confrontées, mais aussi des problèmes d'ingénierie qu'elles rencontrent, je regrette vraiment que la question des collectivités territoriales n'ait pas fait l'objet d'une attention spéciale dans ce budget, au-delà des opérations réalisées dans le cadre du plan de relance.

À cet égard, la situation des effectifs dans les services déconcentrés en charge du patrimoine me parait vraiment préoccupante. J'ai abordé cette question avec l'ensemble des personnes que j'ai auditionnées. Il apparait que les conservations régionales des monuments historiques (CRMH), comme les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (UDAP) sont proches de la rupture. La progression des effectifs depuis 2013 a été sans commune mesure avec l'augmentation des charges de ces services.

La mise en oeuvre du plan de relance, la multiplication du nombre de demandes d'urbanisme suite à la crise sanitaire, ainsi que la nouvelle application de gestion déployée pour rendre possible la dématérialisation des procédures d'urbanisme, sont encore venues exacerber les tensions depuis un an.

Malheureusement, les départs à la retraite programmés de 36% des effectifs des CRMH et de 33% des effectifs des UDAP dans les trois ans à venir n'augurent rien de bon. Il faut absolument parvenir à inverser la tendance. La tâche s'avère d'autant plus délicate que ces métiers semblent souffrir d'une réelle désaffection. Ce manque d'attractivité s'explique à la fois par le manque d'attrait de la rémunération, des perspectives de carrière limitées et une dégradation de l'intérêt des missions exercées, avec une part croissante prise par les tâches d'instruction, de contrôle, de surveillance et de reporting.

Le ministère de la culture a pris plusieurs mesures afin de pallier ces problèmes d'effectifs : l'embauche de contractuels a été encouragée afin de pourvoir les postes vacants ; un concours est organisé en 2023 pour recruter une centaine d'ingénieurs et de techniciens ; un plan de rattrapage indemnitaire est en cours ; et une revue des missions a été engagée en Nouvelle-Aquitaine afin d'améliorer les conditions d'exercice des métiers.

Ces mesures méritent, à mon sens, d'être complétées par d'autres actions destinées à améliorer l'offre de formation, à promouvoir ces métiers et à revaloriser les missions des agents.

Je crains à terme pour la capacité de l'État à assumer ses missions régaliennes en matière de protection du patrimoine. Ces moyens humains sont indispensables à l'efficacité de la politique et des crédits de l'État en faveur du patrimoine.

Je ne me résous pas non plus à accepter que les services déconcentrés ne soient plus en mesure de répondre aux demandes d'accompagnement des collectivités territoriales et des particuliers, faute de personnel. Il serait dangereux, à mon sens, de sacrifier cette mission d'expertise et de conseil, qui contribue à la solidité de l'ancrage territorial du ministère de la culture et répond à une attente forte des préfets comme des élus locaux. Cela conduirait à fragiliser et à remettre en cause l'autorité des services déconcentrés : nous l'observons bien avec les architectes des Bâtiments de France.

Le second déséquilibre sur lequel je souhaite attirer votre attention, c'est la faiblesse des crédits alloués à l'architecture et aux sites patrimoniaux remarquables (SPR) en comparaison de ceux alloués au patrimoine monumental. Face à la montée en puissance des enjeux de revitalisation des centres anciens, mais aussi de transition écologique et énergétique, il me semble indispensable que le ministère de la culture s'engage davantage. Il reste aujourd'hui très en retrait sur ces questions, qui sont l'apanage du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Son association à l'élaboration de ces politiques publiques me semble primordiale afin de garantir une articulation correcte entre celles-ci et la protection du patrimoine.

J'ai choisi de vous proposer ici un gros plan sur le défi que constitue la transition écologique du patrimoine, dans la mesure où la Première ministre, Élisabeth Borne, a assigné comme priorité à la nouvelle ministre de la culture de réaliser la transition énergétique de son ministère.

Sur le volet patrimoine, l'action du ministère de la culture m'apparait encore partielle et timide. La seule traduction budgétaire de cette priorité, ce sont des crédits fléchés vers l'amélioration des performances énergétiques des bâtiments occupés par les opérateurs. Or, l'enjeu pour le ministère de la culture me semble dépasser largement ce champ, puisque la transition pourrait affecter l'aspect et la pérennité de tout le patrimoine urbain et paysager, dont le ministère est chargé d'assurer la préservation.

En effet, la loi du 22 août 2021 dite « Climat et Résilience » crée une véritable urgence à agir, compte tenu des mesures coercitives qui frapperont progressivement les passoires thermiques dans les années à venir : gel des loyers, interdiction à la location. En dehors des monuments historiques, tout le patrimoine est assujetti à ces nouvelles obligations.

Le problème, c'est que les modalités de calcul du nouveau diagnostic de performance énergétique, qui sont désormais identiques quel que soit le type de bâti, ne permettent pas de rendre compte des performances réelles du bâti ancien et conduisent à le classer dans la catégorie des passoires thermiques. Des études montrent que ce bâti est pourtant beaucoup moins énergivore que les constructions datant de la seconde moitié du XXe siècle, notamment des Trente Glorieuses, grâce à ses caractéristiques particulières : parois perspirantes, conception bioclimatique, forte inertie thermique procurant un confort en été sans besoin de climatisation.

Il ne faudrait pas que tout ce patrimoine non protégé disparaisse progressivement ou se banalise au point de faire perdre aux différentes régions leurs caractéristiques architecturales. Et c'est le risque que font peser ces mesures, sous l'effet conjugué du « zéro artificialisation nette » (ZAN) qui accroit la pression foncière, mais aussi de solutions de rénovations thermiques inappropriées, soutenues par des aides de l'État, qui ont pour effet de faire pourrir peu à peu les bâtiments de l'intérieur.

Une telle mise à sac du patrimoine me paraitrait d'autant moins légitime que je suis convaincue que la réhabilitation du bâti ancien constitue, d'un point de vue écologique, l'avenir de la construction. À la différence de la construction neuve, responsable de plus de 25 % des gaz à effet de serre dans notre pays, son empreinte environnementale est faible, puisqu'il n'est besoin que d'une faible quantité de matériaux, qui plus est durables et disponibles sans recours à l'importation.

Il est de notre devoir d'insister pour que le ministère de la culture se mobilise très fortement autour de cet enjeu.

Mon objectif n'est pas de soustraire le patrimoine aux impératifs de transition écologique. D'une part, parce que ce patrimoine représente environ 30 % du parc de logements en France et que sa rénovation constitue donc un gisement potentiel d'économies d'énergie significatif. D'autre part, parce que les occupants des logements anciens ont besoin d'améliorer leur confort thermique.

En revanche, il me semble utile de faire en sorte que les travaux de rénovation énergétique appelés à se multiplier ne se traduisent pas par la perte de patrimoine et de savoir-faire ainsi que par un gaspillage d'argent public.

À mon sens, le ministère de la culture doit agir sur plusieurs fronts :

Premièrement, il doit se mobiliser pour obtenir une modification du cadre réglementaire, avec notamment l'enjeu d'une révision urgente des modalités de calcul du DPE pour le bâti ancien.

Deuxièmement, il doit intervenir pour améliorer la formation des professionnels intervenant dans le cadre de rénovations énergétiques. La restauration du patrimoine doit devenir un axe majeur de l'enseignement dispensé au sein des écoles d'architecture. Des certifications sur le bâti ancien m'apparaitraient également primordiales pour les diagnostiqueurs, les accompagnateurs « Rénov », les maitres d'oeuvres et les entreprises spécialisées dans la rénovation thermique.

Troisièmement, le ministère doit accompagner l'enrichissement des connaissances relatives au bâti ancien et aux moyens d'améliorer ses performances énergétiques. Le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), ainsi que plusieurs associations de sauvegarde du patrimoine (Maisons Paysannes, Sites et Cités remarquables), essaient de rassembler depuis quelques années un maximum de données. Une solution pourrait consister à mobiliser des crédits de l'action 2 pour sélectionner, dans chaque région, un échantillon de bâtiments anciens représentatifs afin d'étudier leurs défaillances thermiques et les solutions qui seraient les plus adaptées pour y remédier.

Quatrièmement, il faut absolument soutenir l'activité de recherche des filières professionnelles en faveur de solutions de rénovation thermique compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien ou moins impactantes sur le plan visuel. Il y a aujourd'hui un problème de coût qui pousse les particuliers à se tourner vers les solutions standards qui ne sont pas adaptées. Parallèlement, il faut accompagner le développement de filières locales de production de matériaux de construction et d'isolation.

Sixièmement, le ministère de la culture doit agir pour mieux sensibiliser les différentes catégories de propriétaires aux enjeux et aux modalités d'une rénovation respectueuse des caractéristiques du bâti ancien. C'est tout l'enjeu du recensement et de la diffusion de bonnes pratiques, de la publication de guides pratiques, de la nomination de référents sur les questions énergétiques dans les directions régionales de l'action culturelle (Drac) ou du renforcement de la collaboration avec les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) dans ce domaine.

Enfin, il me semble que le ministère de la culture devrait initier une réflexion autour des aides financières. Il apparait absurde sur le plan écologique qu'il soit aujourd'hui moins cher de démolir pour reconstruire que de réhabiliter. Il me semble nécessaire de mieux encadrer les aides à la démolition en les soumettant, par exemple, à la réalisation d'un diagnostic patrimonial préalable. Il faudrait aussi mettre en place des aides à la restauration patrimoniale dans les centres anciens valorisant les éco-matériaux en circuit court. La Fondation du patrimoine estime que son label pourrait se voir adjoindre un volet pour les travaux de rénovation énergétique respectueux du bâti ancien.

Évidemment, le ministère de la culture ne pourra pas mener cette bataille seul. Il est indispensable qu'un dialogue interministériel régulier se mette en place. La nomination d'un référent « patrimoine » au sein du ministère de la transition écologique pourrait contribuer à garantir une meilleure articulation entre les objectifs poursuivis par les deux ministères.

L'organisation de concertations avec les différentes parties prenantes (ministère, collectivités territoriales, acteurs du patrimoine et de la rénovation énergétique) pourrait constituer une piste pour mieux identifier les différents enjeux et les meilleurs voies et moyens pour y répondre. Après les journées européennes du patrimoine sur le thème du patrimoine durable en 2022, pourquoi pas, en 2023, des « États généraux du patrimoine durable » ? Ce serait une première étape pour permettre progressivement au patrimoine de ne plus être l'otage de la transition écologique, mais bien l'un des leviers de la sobriété énergétique.

Pour le reste, et compte tenu de l'augmentation significative des crédits, je vous propose d'émettre un avis favorable à leur adoption.

Mme Marie-Pierre Monier. - Nous partageons complètement les positions de notre rapporteur. Avec 1,1 milliard d'euros, les crédits du programme 175 augmentent à un rythme équivalent à celui de l'ensemble de la mission par rapport à l'an dernier.

Mais il faut souligner que cette hausse des crédits dédiés au patrimoine pour 2023 doit être relativisée. D'une part, l'inflation s'élève environ à 6% ; d'autre part, les 77 millions supplémentaires du programme sont à comparer avec les 227 millions d'euros de plus qui avaient été budgétés au titre du plan de relance pour le secteur « Patrimoines » en 2022. On peut donc dire que cela revient à une réduction de 150 millions d'euros des moyens.

L'envolée des prix de l'énergie va continuer à peser fortement en 2023 sur l'équilibre financier des musées et des monuments. On peut craindre que l'ensemble du secteur du patrimoine se retrouve à nouveau en difficulté, alors qu'il sort à peine de celles liées à la crise sanitaire. Le patrimoine risque de ne pas être la priorité de nombreuses collectivités, notamment les plus petites. Elles auront besoin de plus de soutien pour assurer la sauvegarde et l'entretien du patrimoine dont elles ont la charge.

Je continue à plaider pour un meilleur équilibre de la répartition territoriale des crédits.

L'action 1 prévoit 490 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) de crédits pour les monuments historiques et le patrimoine monumental. Les crédits en faveur de l'entretien et de la restauration des monuments historiques hors « grands projets » s'élèvent à 382 millions d'euros. Cette augmentation d'environ 24 millions d'euros par rapport à 2022 profite principalement aux crédits déconcentrés mis à disposition des Drac pour la restauration de monuments historiques appartenant à l'État, au plan Cathédrale et au projet de revalorisation du château de Gaillon.

Mais les moyens du fonds incitatif et partenarial (FIP) pour les monuments historiques des collectivités à faibles ressources sont, quant à eux, accrus de 2 millions d'euros, ce dont nous pouvons nous féliciter. Les crédits déconcentrés bénéficient d'un coup de pouce cette année, et j'espère que celui-ci sera durable.

Les crédits de l'action 2, qui avaient augmenté de près de 9% en 2022, retrouvent l'état de stagnation des exercices budgétaires précédents. Compte tenu de l'inflation, le maintien du niveau atteint en 2022 pour les crédits déconcentrés destinés aux CAUE ou au réseau du label Villes et Pays d'art et d'histoire constitue, en réalité, une baisse de leurs moyens, alors qu'ils contribuent par leur travail remarquable à soutenir les efforts des collectivités en faveur de la revalorisation du patrimoine.

Je m'étonne aussi de la stabilité, pour le sixième exercice budgétaire consécutif, des moyens consacrés au développement des sites patrimoniaux remarquables (SPR), outil créé par la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) et dont les ministres de la culture successifs, depuis 2017, n'ont apparemment pas souhaité se saisir pour rénover les centres anciens.

En ce qui concerne les crédits de l'action 3, « Patrimoine des musées de France », ils sont en hausse, mais je regrette que les crédits en faveur des musées territoriaux stagnent encore, alors qu'ils doivent être justement mobilisés dans le cadre de la nouvelle génération des contrats de plan État-Région (CPER) 2021-2027. Cette stagnation ne favorise pas le rééquilibrage territorial souhaité et va à l'encontre du développement touristique et économique de nos communes et de nos territoires.

Un dernier mot sur l'action 9, « Patrimoine archéologique », dont les crédits sont en hausse de 8,42 %, à hauteur de près de 158 millions d'euros. La mission de service public de l'Inrap est revalorisée à 4,8 millions d'euros en raison de l'inflation et de la réforme du régime indemnitaire des agents contractuels. Parallèlement, les crédits destinés à subventionner les collectivités habilitées à réaliser des diagnostics archéologiques ont aussi été relevés de 2,4 millions d'euros.

Enfin, je salue les fortes augmentations des crédits à destination des centres de conservation et d'étude (CCE) et pour soutenir les fouilles archéologiques programmées, en partenariat avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et les universités. Néanmoins, l'Inrap prévoit le maintien d'une forte activité des chantiers de diagnostic, pour lesquels le respect des délais de réalisation est l'une des conditions de la prospérité du projet d'aménagement concerné. Pour tenir les délais, il est donc nécessaire que les services d'archéologie préventive disposent de moyens suffisants, notamment en personnels qualifiés, et la seule augmentation mécanique des moyens de l'Inrap ne sera pas suffisante.

Pour conclure, on peut se demander si la hausse des crédits du programme « Patrimoines » sera suffisante. Avec l'inflation et les hausses attendues du coût de l'énergie et des matériaux, ce n'est pas certain. Les moyens consacrés à la mission « Patrimoine » seront donc en baisse cette année, après les embellies du plan de relance. En dépit de quelques évolutions positives, il manque une orientation marquée en faveur d'un rééquilibrage au profit des territoires. Toutefois, nous suivrons votre avis et voterons en faveur de l'adoption des crédits de la mission.

Mme Anne Ventalon. - Je félicite notre rapporteur pour la qualité de ses travaux qui nous éclairent sur les choix du Gouvernement et qui ouvrent aussi des perspectives sur les chantiers qui restent à mener dans le domaine de la préservation et de la transmission de notre patrimoine. Nous ne pouvons que nous réjouir de la hausse de 7,5 % des crédits, même si cette hausse sera en bonne partie absorbée par l'inflation. L'un des enjeux majeurs consiste à articuler le legs de notre cadre de vie avec la transition écologique. En effet, nous ne devons pas opposer la protection de l'environnement et la transmission de notre patrimoine historique et architectural.

Or la loi Climat et Résilience pose un certain nombre de difficultés. Ainsi, les diagnostics de performance énergétique ne distinguent pas les logements mal isolés d'après-guerre des constructions anciennes, réalisées avec des matériaux et des savoir-faire qui présentaient d'indéniables qualités thermiques. En préconisant les mêmes travaux d'isolation par l'extérieur pour des façades des années soixante-dix et pour des maisons à colombages, on risque de défigurer de façon irrémédiable le patrimoine bâti de la France. Hélas, ce sinistre a déjà commencé...

De même, avec la politique du « zéro artificialisation nette », nous assistons déjà, au motif de densifier les centres-villes, à la destruction de joyaux du patrimoine au profit d'immeubles sans caractère. Des maisons anciennes, datant de plusieurs siècles, peuvent être démolies parce qu'elles ne sont pas protégées et que les collectivités n'ont pas les moyens techniques et financiers de les rénover.

Notre rapporteur l'a souligné, nous devons renforcer les moyens humains pour accompagner les particuliers et les collectivités. Il convient ainsi de créer davantage de postes en ingénierie, particulièrement chez les architectes des Bâtiments de France.

Enfin, je souhaite aussi évoquer le patrimoine des communes les plus modestes, ces villages ruraux dont la seule richesse est souvent constituée d'édifices religieux non classés. Leur sauvegarde est parfois hors de portée des municipalités. J'avais rédigé un rapport sur le sujet avec Pierre Ouzoulias.

Malgré ces réserves, les sénateurs du groupe Les Républicains voteront en faveur de l'adoption des crédits du programme « Patrimoines ».

M. Pierre Ouzoulias. - Je remercie notre rapporteur pour son rapport très complet et qui ouvre des perspectives très intéressantes. La hausse des crédits masque un renflouement de certains grands opérateurs, comme le Louvre ou Versailles. Je déplore que la crise n'ait pas été l'occasion de mener une réflexion sur le modèle économique de ces établissements, qui repose pour l'essentiel sur l'autofinancement et sur la billetterie : lorsque la fréquentation baisse, les recettes chutent. Je crains le retour d'un financement de ces opérateurs sous la forme d'un subventionnement du ministère.

On constate une crise d'attractivité inquiétante des métiers des services déconcentrés du patrimoine : comme dans l'éducation nationale ou d'autres services publics, les fonctionnaires, usés par les réformes successives, vont ailleurs. Nous perdons des compétences précieuses. Nous pourrions envoyer un signal aux architectes des Bâtiments de France en rétablissant ou en étendant leur avis conforme pour certaines opérations d'urbanisme.

Je souscris aux propos de notre rapporteur sur la protection du patrimoine bâti ancien. Notre commission devrait s'intéresser à cette question. L'enjeu est de déterminer le bon niveau territorial d'expertise et de conseil pour accompagner les collectivités et les citoyens. L'État et les Drac se dessaisissent. On assiste à une forme de décentralisation de facto de cette compétence. Nous devons réfléchir à une nouvelle structuration du système autour des départements ou des régions.

Il apparait absurde sur le plan écologique qu'il soit aujourd'hui moins cher pour des aménageurs de démolir et de reconstruire que de réhabiliter. Les propriétaires de maisons anciennes n'ont pas toujours les moyens de réaliser les travaux de rénovation énergétique et préfèrent souvent vendre, sachant que la maison sera détruite. C'est un cercle vicieux.

Mme Sonia de La Provôté. - On doit saluer la hausse des crédits pour le patrimoine, signe que ce sujet compte aux yeux du ministère, même si, comme cela a été dit, la hausse compensera à peine l'inflation et la hausse des prix de l'énergie et des matières premières, etc.

La situation des ressources humaines au sein du ministère de la culture est préoccupante : les métiers des services du patrimoine semblent souffrir d'une réelle désaffection. Les personnels sont démoralisés.

On observe aussi un déséquilibre entre l'Ile-de-France et les régions dans la contribution de l'État au patrimoine. En province, les cofinancements des collectivités sont beaucoup plus importants qu'en Ile-de-France : les crédits de l'État y ont donc davantage d'effet de levier. Vous avez raison, il y a sans doute un effort cette année pour lancer des chantiers de l'État dans les territoires. Mais même lorsqu'elle présente son budget, la ministre oublie la province et n'en fait pas mention.

À l'action 2, l'effort de sensibilisation aurait dû être plus développé. Il y a pourtant urgence à former, éduquer, informer tant les professionnels que les citoyens si l'on veut concilier rénovation énergétique du patrimoine et protection du climat ; on ne peut pas traiter de la même manière des bâtiments anciens et des bâtiments récents. Or les actions d'éducation et de sensibilisation à l'architecture et au patrimoine ne figurent pas sur la liste des actions accompagnées dans les écoles, signe que cette dimension n'est pas une priorité. C'est dommage.

Il est urgent d'agir dans le cadre de la loi Climat et résilience. La dimension interministérielle est cruciale. Le ministère de la culture doit faire entendre sa voix.

Nous devrons nous intéresser à la formation dispensée dans les écoles d'architecture. L'école de Chaillot insiste sur la nécessité de mettre l'accent sur la restauration du patrimoine non seulement dans les formations initiales, mais aussi dans la formation continue des architectes, afin que ces derniers puissent mieux concilier les objectifs de préservation du patrimoine et de protection de l'environnement.

Nous devons aussi nous interroger sur l'avenir du Centre de ressources sur la réhabilitation responsable du bâti ancien (Creba), structure informelle qui est devenue l'institution de référence en matière de restauration du bâti ancien, mais qui n'est dotée que de 3 ETP.

Je plaide, comme Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias, pour un guichet unique au niveau des départements sur l'habitat, pour accompagner les communes dans la conservation de leur patrimoine. Cette recommandation figurait déjà dans le rapport que j'ai réalisé avec Michel Dagbert au nom de la délégation aux collectivités territoriales consacré au patrimoine des communes. Il conviendrait en outre de mener un recensement de notre patrimoine, région par région : c'est un préalable à toute politique de protection.

Enfin, il faut faire en sorte que rénover devienne plus intéressant que détruire. On peut s'appuyer sur les dispositifs Action coeur de ville, Petites Villes de demain, le Denormandie et le Malraux dans l'ancien, etc.

M. Bernard Fialaire. - Je me réjouis en constatant que les effectifs des personnels administratifs baissent quand ceux des personnels techniques du ministère augmentent.

Attention à ne pas opposer les architectes des Bâtiments de France et les élus : si la compétence des premiers ne fait pas de doutes, les élus ne sont pas hors-sol ! Sans doute conviendrait-il de réorienter les fonctions des architectes des Bâtiments de France vers le conseil : leurs interventions s'apparentent parfois à des oukases qui sont mal perçus localement. Il suffit parfois de la nomination d'un nouvel ABF pour qu'une opération élaborée avec son prédécesseur soit remise en cause ! C'est insupportable pour les élus. En revanche, les élus ont besoin d'être aidés et conseillés. Je suis toujours surpris lorsque j'entends des techniciens affirmer qu'il faut raser plutôt que réhabiliter. Nous suivrons l'avis de notre rapporteur et voterons en faveur de l'adoption des crédits.

Mme Monique de Marco. - Je salue les propositions de notre rapporteur. Peut-être notre commission pourrait-elle approfondir la réflexion sur la transition écologique du patrimoine sous la forme d'une mission d'information. J'avais déposé des amendements pour modifier la formation dans les écoles d'architecture, afin de sensibiliser à la rénovation énergétique du patrimoine, mais ils ont été déclarés irrecevables...

Mme Else Joseph. - La protection du patrimoine constitue un enjeu de politique publique. Nos collectivités territoriales sont préoccupées par l'entretien, la restauration, la mise en valeur du patrimoine, souvent dégradé. Le budget du programme augmente certes, mais la hausse ne compensera pas l'inflation. La plupart des aides sont concentrées au profit des monuments historiques et des opérateurs nationaux, et les déséquilibres subsistent. Nous le dénonçons depuis longtemps au Sénat.

Je partage les observations sur la situation préoccupante des services déconcentrés en charge du patrimoine. Les CRMH et les UDAP sont proches de la rupture. Chaque année, plus de 400 000 dossiers de demande d'autorisation de travaux sont instruits par les UDAP. C'est dire si le stock des dossiers en cours de traitement ou à traiter est élevé. Or on annonce des départs programmés importants dans les effectifs des CRMH et des UDAP. Notre rapporteur constate une véritable désaffection pour ces métiers. Comment les rendre attractifs pour que leurs missions continuent d'être assurées ?

Je salue aussi la pertinence de l'analyse sur l'importance du bâti ancien, moins énergivore. Comment réaliser des rénovations thermiques compatibles avec les caractéristiques du bâti ancien ? Comment aider, par exemple, les propriétaires privés qui ne disposent pas d'une information adéquate ?

Dans les secteurs sauvegardés, les rénovations sont très lourdes. Nous avons besoin d'aide et d'informations spécifiques. Les inquiétudes demeurent, car, dans un contexte de marchés infructueux, de retards, de pénurie de matériaux, toutes les opérations lancées avec le plan de relance n'ont pas pu aboutir. La protection du patrimoine n'est malheureusement pas compatible avec un financement au coup par coup. Enfin, je salue l'excellente idée de notre rapporteur de mettre en place des états généraux du patrimoine durable. Qui sait, peut-être aboutiront-ils à des états généreux !

M. Olivier Paccaud. - Les CRMH et des UDAP manquent de personnels. Quel est le salaire dans ces organismes ?

Mme Annick Billon. - Le groupe Union Centriste votera en faveur de l'adoption des crédits du programme. Je souscris aux propos sur le manque d'attractivité des métiers du patrimoine. Cela vaut aussi pour l'accueil du public. Le Centre des monuments nationaux estime qu'il a besoin de plusieurs centaines de postes supplémentaires pour accueillir 9 millions de visiteurs chaque année.

Mme Catherine Morin-Desailly. - En dépit de la hausse du budget, le patrimoine a cruellement besoin d'argent. Peut-être pourrions-nous, en lien avec la commission des affaires européennes, étudier de quelle manière il pourrait être possible de mobiliser davantage les fonds européens pour aider les collectivités à rénover le patrimoine. Le patrimoine n'est-il pas aussi important que la rénovation des routes pour développer l'attractivité d'un territoire ? J'avais formulé des propositions dans un rapport rédigé avec Louis-Jean de Nicolaÿ. La part des fonds européens consacrée à la culture est en hausse pour la période 2021-2027. Il convient de nous assurer que le patrimoine ne sera pas oublié.

M. Jean Hingray. - Notre rapporteur a souligné à juste titre les problèmes soulevés par l'exigence de la rénovation énergétique des bâtiments : elle constitue un défi pour l'identité de nos territoires et pèse sur les catégories populaires qui doivent investir pour rénover des biens qu'elles louent pour avoir un complément de revenu à la retraite. Quel serait selon vous le bon référent pour réaliser le diagnostic patrimonial avant la démolition d'un bâtiment ? Paradoxalement, il coûte plus cher d'utiliser des matériaux locaux que d'importer de la pierre de Chine : comment inverser la donne ? Ne pourrait-on pas utiliser les crédits non utilisés pour la rénovation de Notre-Dame de Paris pour financer les filières de formation de tailleurs de pierre, de charpentiers, de compagnons, etc., afin d'attirer davantage de jeunes dans ces secteurs ? Quid aussi du loto du patrimoine ?

Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis. - L'inflation et la hausse du prix des matières premières constituent un défi pour les collectivités territoriales et pour le patrimoine. Le fonds incitatif et partenarial pour les petites communes n'est pas suffisant. De plus, toutes les régions ne s'engagent pas de la même manière. Dans la mesure où les subventions de l'État en direction des collectivités resteront stables, il est à craindre que les montants dépensés en faveur du patrimoine ne baissent. L'État ne dispose plus des moyens suffisants pour accompagner les petites communes.

Je rejoins vos propos sur les SPR : le Gouvernement ne se donne pas les moyens de financer ses annonces ; le patrimoine constitue pourtant un facteur important de dynamisme économique et d'attractivité touristique des territoires.

La loi Climat et résilience n'a fait qu'accroître l'urgence de renforcer l'ingénierie et de soutenir les porteurs de projet.

Les professionnels du patrimoine souffrent des réformes incessantes. Il faut tout faire pour que ces métiers gardent du sens, pour que les personnels puissent effectuer leur mission de conseil et accompagner des projets. Il serait bon aussi qu'au-delà de leurs actions régaliennes, ils puissent entretenir davantage de liens avec le public.

Je vous rejoins également sur la décentralisation du patrimoine. Les départements sont prêts à reprendre la main. Il conviendrait aussi d'augmenter les moyens du Creba.

Des maisons sont déjà démolies au nom des fameuses règles relatives à la performance énergétique. Il est nécessaire de traiter ces questions en urgence, d'informer les citoyens, de mettre en place un sursis pour ces démolitions. Pourquoi ne pas créer un guichet unique des maisons et de l'habitat au niveau départemental, vers lequel les citoyens pourraient se tourner ? La dimension interministérielle a été évoquée. J'ai l'intention de présenter mon rapport au ministère de la transition écologique, en insistant sur l'urgence. Les ministères de la culture et de la transition écologique doivent travailler étroitement ensemble.

On compte 180 architectes des Bâtiments de France ; ils ont eu à traiter cette année près de 500 000 dossiers compte tenu du dynamisme dans le secteur de la construction. Cela donne la mesure de leur travail, et de leur désespérance. Je n'ai pas de données précises sur les salaires, mais les régimes indemnitaires sont plus favorables au sein du ministère de la transition écologique qu'au sein du ministère de la culture pour les architectes urbanistes de l'État.

Le loto du patrimoine est très utile, car ses fonds sont fléchés à 50 % vers le patrimoine non protégé.

Les diagnostics avant démolition pourraient être réalisés par les CAUE, voire par les associations patrimoniales, car elles disposent d'experts. En Alsace, on a découvert dans une maison inhabitée, sous un vieux crépi, un remarquable colombage sculpté. Or cette maison devait être démolie avant la fin du mois. Un appel aux dons a été lancé, 10 000 euros ont été réunis en deux jours afin de démonter la maison, et ce sont des Suisses qui vont récupérer le colombage... Les Suisses, les Autrichiens, les Allemands ont mieux compris l'urgence de protéger le patrimoine que nous.

Les fonds européens sont en augmentation et il serait judicieux en effet qu'ils puissent être fléchés vers le patrimoine. Le plan « France 2030 » devrait permettre de financer des actions en faveur de la numérisation du patrimoine et de l'architecture ainsi qu'en faveur des savoir-faire des métiers d'art. J'espère que nous pourrons aller plus loin.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 «  Patrimoines » au sein de la mission Culture du projet de loi de finances pour 2023.

M. Laurent Lafon, président. - Afin de compléter votre information, nous recevrons M. Guillaume Poitrinal, le président de la Fondation du patrimoine, le 7 décembre, et nous organiserons en janvier une table ronde sur la compatibilité entre transition énergétique et préservation du patrimoine.

La réunion est close à 10 h 35.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 16 heures.

Projet de loi de finances pour 2023 - Audition de Mmes Marlène Schiappa, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale et solidaire et de la vie associative et Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et du service national universel

M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos auditions sur le projet de loi de finances pour 2023 en accueillant Sarah El Haïry, secrétaire d'État auprès du ministre des Armées et du ministre de l'Éducation nationale chargée de la jeunesse et du Service national universel (SNU) et Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'économie sociale et solidaire et de la vie associative.

Mesdames, je vous remercie de vous être rendues disponibles pour venir commenter à deux voix, devant notre commission, les crédits mis à votre disposition dans le projet de loi de finances pour 2023, en particulier ceux du programme 163 « jeunesse et vie associative ».

Avec un total de 837 millions d'euros répartis entre quatre actions - le développement de la vie associative, les actions en faveur de la jeunesse et l'éducation populaire, le développement du service civique et le financement du SNU -, ce programme voit ses moyens augmenter pour la cinquième année consécutive !

Au-delà de la progression de ces crédits, sans doute bienvenue, cette audition est aussi l'occasion pour nous de vous entendre présenter les grands axes des actions que vous souhaitez entreprendre en faveur de la jeunesse et de vie associative. Je pense à la montée en charge du service national universel, qui, après avoir été fortement perturbée par la crise sanitaire, peine encore à atteindre les objectifs quantitatifs fixés par le gouvernement. Je suis certain que notre rapporteur vous interrogera à ce sujet. Je pense aussi au financement des missions de service civique qui ne bénéficieront plus, comme en 2022, des 200 millions d'euros issus du programme Cohésion de la mission du Plan de relance Je pense, enfin, au secteur associatif, qui aurait perdu près de 15 % de ses bénévoles entre 2019 et 2022 selon une étude récemment publiée par France Bénévolat et Recherches & Solidarités. Les travaux réalisés par notre commission ont mis en évidence la fragilité des associations et le rôle essentiel qu'elles jouent dans la création et le maintien du lien social sur nos territoires. Que prévoit donc le budget 2023 pour leur rendre le dynamisme que certaines ont semble-t-il perdu au cours des deux années écoulées ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État auprès du ministre des armées et du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, chargée de la jeunesse et du service national universel. - Le programme « Jeunesse et vie associative » que je porte avec Marlène Schiappa, regroupe une partie des crédits alloués aux politiques en faveur des jeunes et du soutien associatif.

Je le rappelle chaque année, ce programme 163 n'est qu'une partie de l'effort budgétaire de la Nation en faveur de la jeunesse, les politiques en direction de la jeunesse passent par l'éducation nationale, l'enseignement supérieur, la culture - et ce programme 163 vise une partie plus informelle, qui accompagne les jeunes et le secteur associatif. Les actions soutenues bénéficient concrètement aux jeunes parce qu'elles sont construites en lien avec les services déconcentrés, en articulation avec l'ensemble des échelons des collectivités territoriales, mais aussi en étroite collaboration avec le monde associatif.

Agir pour la jeunesse, c'est prendre en considération sa diversité, l'accompagner tout au long de son émancipation ; c'est apporter des réponses concrètes, adaptées, multiples, pour que chaque jeune puisse trouver sa place ; c'est l'accompagner vers l'autonomie, en facilitant et en optimisant l'accès à l'information pour lutter concrètement contre le non-recours aux droits ; c'est aussi aider les jeunes à se projeter dans l'avenir en leur donnant les moyens de penser et de construire leurs projets de vie.

Agir pour la jeunesse, c'est déployer les solutions afin de léguer aux générations futures un avenir aussi prometteur que soutenable ; c'est refuser et combattre les déterminismes en donnant à chaque jeune, quelle que soit son origine sociale ou géographique, les mêmes chances de réussir.

Agir pour la jeunesse, c'est développer une société de l'engagement, une société dans laquelle la jeunesse s'engage ; c'est concrétiser la promesse républicaine du vivre-ensemble, de la tolérance, de l'accès aux droits et à l'éducation.

Ces crédits liés aux politiques en faveur de la jeunesse, de l'engagement, de l'éducation populaire et de la vie associative, augmentent cette année de 65 millions d'euros, soit + 8,6 %, pour atteindre 837,1 millions d'euros pour 2023.

Ce budget renforcé est au service de deux grands axes : favoriser l'engagement de la jeunesse, en l'accompagnant vers plus d'autonomie et d'opportunités ; accompagner et soutenir le développement de la vie associative.

Le programme « Jeunesse et vie associative » ne retrace évidemment qu'une fraction de l'effort de la Nation, mais il permet à l'État de jouer un rôle essentiel d'impulsion et d'innovation, pour accompagner les jeunes face aux défis nombreux de notre époque, je pense au défi climatique et aux questions de mobilité par exemple.

Je vous présenterai, parmi toutes les actions que nous soutenons, quelques mesures emblématiques et prioritaires l'an prochain.

Nous voulons, d'abord, structurer le secteur associatif. Pour mémoire, les assises de la vie associative qui ont eu lieu de novembre 2021 à février 2022 ont permis de mobiliser tous les acteurs sur les mesures nécessaires pour son devenir, voire son renouveau. C'est le sens du Plan composé de 25 mesures annoncées le 22 février 2022. Il comprend des mesures exceptionnelles pouvant être mises en oeuvre par le secrétariat d'État et des mesures qui relèvent du comité de filière, par exemple l'aide de 200 euros accordée aux jeunes ayant entamé leur formation au Bafa au 1er janvier et l'achevant avant la fin de l'année - nous avions budgété 20 000 aides, il y a eu 25 000 demandes et nous les avons honorées. Il y a quelques jours, un décret a entériné l'abaissement à 16 ans de l'âge minimal d'entrée en formation au Bafa.

Ces mesures sont nécessaires, elles portent déjà leurs fruits. Cependant, nous avons besoin d'une transformation plus structurelle de l'animation, en s'appuyant d'abord sur la confiance des parents et en renforçant l'attractivité des métiers de l'animation, en particulier en luttant contre le temps partiel subi et en construisant de véritables parcours d'animation. J'ai souhaité également mettre l'accent sur la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, cela passe par une meilleure formation en particulier pour l'accueil de jeunes avec hébergement - j'ai mis autour de la table tous les acteurs concernés, pour mettre en lumière les meilleures pratiques pour répondre au besoin de sécurité et de confiance.

Deuxième action prioritaire que je souhaite souligner, le déploiement du SNU. Je vous en ai présenté les étapes chaque année, sans vous en dissimuler les difficultés, nous sommes à un momentum, nous avons essayé plusieurs modes d'organisation - la délégation, la centralisation -, nous sommes face à des défis climatiques plus criants, des catastrophes climatiques sont là, je pense aux feux de forêt de cet été, aux inondations, ou encore à la tornade qui s'est produite dans le Pas-de-Calais, nous sommes aussi face à des défis de cohésion nationale, une partie de la jeunesse ne fait plus commun avec le reste de la société - comment, dans ces conditions, peut-on recréer, susciter une culture de l'engagement autour de valeurs communes, mais aussi augmenter la résilience de notre pays ? Par résilience, je pense à l'éducation à la sécurité civile, je pense au retour à la guerre de haute intensité sur notre continent, mais aussi à la nécessité de comprendre comment fonctionne notre démocratie, je pense à la possibilité de rencontrer des élus locaux, pour rappeler combien la démocratie est une cause qui nous est chère, et que la citoyenneté et le civisme, cela s'apprend tout au long de la vie, et dès le plus jeune âge - alors que nous voyons que des jeunes s'abstiennent de voter et se tiennent loin de nos institutions démocratiques.

Le SNU comprend une phase de séjour collectif de cohésion de douze jours, puis une mission d'intérêt général d'une même durée, pour faire découvrir l'importance et le pouvoir d'agir de chacun dans une collectivité, au sein d'une association ou d'une équipe de sapeurs-pompiers ou d'une brigade de gendarmerie par exemple. Ensuite, les jeunes peuvent choisir de prolonger leur engagement dans le cadre des réserves militaires ou civiles, ou dans le cadre d'un service civique.

Le SNU poursuivra son développement pour faire face au grand défi du plein déploiement souhaité par le Président de la République avec, en 2023, une montée en puissance et une augmentation de 30 millions d'euros par rapport à l'an passé, pour atteindre 140 millions d'euros. Nous avons deux hypothèses pour le SNU de demain : soit l'intégration au temps scolaire, dans l'éducation civique et morale, donc l'intégration dans les référentiels de compétences scolaires en classe de Seconde ou de Première année de CAP ; soit on élargit le recrutement du SNU en levant les freins constatés pour les jeunes en lycées professionnels et agricoles, par exemple les problèmes de calendrier liés à ce que des séjours de cohésion soient concomitants aux stages professionnels. En tout état de cause, notre objectif pour l'an prochain, c'est d'aller jusqu'à 64 000 jeunes en SNU.

Troisième mesure, nous voulons amplifier le Plan mentorat. Annoncé par le président de la République le 1er mars 2021 dans le cadre du plan #1jeune1solution, le dispositif « 1 jeune, 1 mentor », vise à accroître le nombre de jeunes qui bénéficient de l'accompagnement d'un mentor - étudiant, professionnel en exercice ou retraité -, pendant leur parcours scolaire, dans leurs choix d'orientation ou en phase d'insertion professionnelle. Ce plan sera doté de 27 millions euros en 2023. Le mentorat mobilise par le lien et le témoignage, je pense aux associations Chemin d'avenir qui accompagnent de jeunes ruraux vers les grandes écoles, ou encore à Télémaque - j'ai de très nombreux exemples, mais ce n'est pas le cadre ici de les présenter.

Notre ministère porte une attention toute particulière aux colonies de vacances, les séjours connaissaient une baisse de fréquentation depuis une dizaine d'années, le nombre de départs de mineurs s'est stabilisé depuis 2018-2019 autour de 900 000 enfants et adolescents, pris en charge dans 33 000 séjours avec hébergement. Les colonies sont des temps où l'on apprend à vivre en collectivité, c'est essentiel et nous soutenons en particulier les vacances apprenantes.

Quatrième mesure, nous développons le service civique. C'est le Sénat qui, dans sa grande sagesse, l'a soutenu en 2010, plus de 600 000 jeunes ont fait le choix de s'engager dans le cadre d'une mission de service civique, 145 000 jeunes ont effectué un service civique en 2021. Le budget consacré au service civique gagne 20 millions d'euros l'an prochain, pour atteindre 518,8 millions d'euros. Je suis très vigilante à ce que le service civique ne se substitue pas à de l'emploi, c'est bien un temps d'engagement, certes rémunéré et dont nous avons augmenté la rémunération pour tenir compte de l'inflation, mais cela reste de l'engagement. Et je suis très vigilante également à ce que le service civique irrigue l'ensemble du territoire, y compris la ruralité, nous cherchons à ce qu'il puisse être porté par l'intercommunalité pour les plus petites communes.

De manière complémentaire, le ministère soutient les actions d'éducation populaire.

Voici de façon préliminaire à nos échanges quelques éléments structurants sur le budget Jeunesse et vie associative. Comme vous pouvez le constater, il relève surtout de la logique dans laquelle s'inscrit la politique du gouvernement : celle d'accompagner notre jeunesse vers l'émancipation, avec une ambition forte, celle de développer la force morale de chacun, la culture de l'engagement et de renforcer la cohésion nationale, tout en agissant sur le développement de nos territoires.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès de la Première ministre, chargée de l'économie sociale et solidaire et de la vie associative. - Je suis ravie de vous présenter la partie « vie associative » de cette mission « Sports, Jeunesse et Vie associative », je salue la très bonne gestion financière de ma prédécesseure, j'ai trouvé des finances saines à mon arrivée.

La France compte 20 millions de bénévoles, soit près d'un Français sur trois et 1,5 million d'associations oeuvrant au quotidien pour des causes qui leurs sont chères. Toutes et tous ici, du fait de vos expériences d'élus locaux, vous connaissez les visages et les actions de ces femmes et de ces hommes dans vos territoires, qui donnent ce qu'ils ont de plus précieux, leur temps. Ce sont les poumons de notre vie démocratique et une formidable école de la citoyenneté par leur culture du dialogue et du compromis. Cependant, ce secteur connait depuis quelques années une crise de l'engagement. Le Gouvernement veut inverser ce lent délitement qui s'est accéléré à cause de la crise sanitaire, c'est le sens de ma feuille de route, dans la continuité des actions conduites par ma prédecesseure.

Notre action, dont nous avons défini les objectifs avec les acteurs, vise à simplifier et à valoriser l'action des associations.

Les crédits « Fonctionnement et numérique » de la vie associative doublent, passant à 1,5 million d'euros. Concrètement, nous facilitons la vie des associations et nous dotons l'État d'une meilleure lecture de la vie associative par territoire. Trois dispositifs complémentaires illustrent cet aspect.

D'abord, le « Compte asso » : en fonctionnement depuis 2018, cet outil numérique offre la possibilité aux associations de centraliser leurs informations, de nombreux renseignements du quotidien ainsi que les démarches administratives et les demandes de subventions. L'objectif est de limiter la perte de temps sur le principe du « dites-le-nous une fois ». C'est une simplification puisqu'en plus de la dématérialisation, on limite les doubles saisies et notre objectif est d'en faire le véritable guichet unique de la vie associative pour permettre de réduire le temps administratif et de le transformer en temps associatif.

Ensuite, DataAsso. Véritable banque de données de la vie associative, son but est d'obtenir des data pour renseigner la puissance publique sur la vitalité de la vie associative d'un territoire, mais aussi de faire connaître le tissu associatif local aux habitants, afin de pousser aux dynamiques d'engagement. Une carte interactive est disponible sur le site et un travail de déclinaison au niveau des organes publics territoriaux est à l'oeuvre pour qu'elles puissent valoriser les associations de leur territoire.

Enfin, Data subvention : si la simplification est un enjeu pour les associations, il l'est aussi pour l'État. Cette interface interministérielle développée par une startup d'État doit améliorer la lisibilité des subventions versées aux associations. Ainsi les services qui reçoivent des demandes et attribuent des subventions aux associations accèdent aux informations déjà disponibles sur ces associations - données administratives, subventions déjà versées, subventions en cours d'instruction - afin de faciliter leur analyse, éviter de multiplier les allers-retours en demandant plusieurs fois le même justificatif et ainsi éclairer la prise de décision. Je le sais par mon parcours, associatif aussi bien que ministériel : on a trop tendance à redemander aux associations les mêmes informations, il faut simplifier ces démarches.

Autre outil de la simplification, les crédits pour l'animation de la vie associative locale et les centres de ressources et d'information des bénévoles augmentent de 1,3 million d'euros, passant à près de 3 millions d'euros, principalement concentrés sur le financement de Guid'Asso. L'idée est d'aider les associations à frapper à la bonne porte lorsqu'elles cherchent une information. Le Guid'Asso, par l'intermédiaire du mouvement associatif et du délégué départemental à la vie associative, met en réseau l'ensemble des structures qui accompagnent les associations afin de les orienter dans leurs démarches et leurs projets dans une logique de parcours. Déjà présent dans trois régions - Centre-Val-de-Loire, Nouvelle-Aquitaine et Hauts de France -, il s'étendra l'an prochain à trois régions supplémentaires - Bretagne, Normandie et Pays de la Loire -, avec l'objectif de s'étendre à l'ensemble du territoire pour 2024.

Vous l'aurez compris, je souhaite nouer un pacte de confiance avec les associations et fluidifier leurs relations avec l'État, pour alléger la charge mentale des bénévoles et leur permettre de s'épanouir là où est leur vocation, la création de liens sur le terrain. C'est aussi une politique d'attractivité des bénévoles et des salariés dans les associations, beaucoup nous disent leur découragement face à la complexité administrative : la simplification administrative rend ces fonctions plus attractives.

Sur le volet valorisation, je commencerai par le Fonds de développement à la vie associative (FDVA), vous en connaissez l'importance dans vos départements. Principale source de soutien à la vie associative locale, ce fonds a parfaitement joué son rôle cette année puisqu'il a co-financé 12 000 actions dont 80 % dans des petites associations. Son montant pour l'année à venir est stable, à 50 millions d'euros, sa ventilation également, avec 8 millions d'euros pour la formation des bénévoles - plus de 160 000 de nos concitoyens ont pu en bénéficier cette année -, 25 millions d'euros pour le fonctionnement et l'innovation, qui a permis d'accompagner 10 000 associations dans leur projet d'évolution et de croissance, et 17 millions d'euros par le fonds de concours « Participations financières privées ou publiques au financement d'actions en faveur de la vie associative » autrement appelé aussi la quote-part sur les comptes inactifs.

Ensuite, nous retrouvons le Compte d'engagement citoyen (CEC), qui participe à la formation tout au long de la vie et à l'objectif de plein emploi. Il s'agit de valoriser l'engagement en crédits sur le compte personnel de formation (CPF) en justifiant d'heures de bénévolat, elles-mêmes validées par un dirigeant de l'association. Le ministre de l'intérieur a signé le 3 novembre un décret permettant aux 200 000 sapeurs-pompiers volontaires de notre pays de faire valoir leur engagement via le CEC.

Dans ce champ de la reconnaissance et de la valorisation des bénévoles, je me réjouis de la réforme de la valorisation des acquis de l'expérience (VAE) portée par Olivier Dussopt et Carole Grandjean. Encore trop peu de bénévoles valorisent les savoir-faire et les savoir-être acquis. Je veux que l'on puisse obtenir des certifications quand on a exercé la délicate tâche de la trésorerie d'une association ou que l'on a organisé des évènements par exemple. Je souhaite renforcer le lien entre engagement bénévole et sphère professionnelle, cela répond à la quête de sens des salariés et à l'attrait des employeurs pour des compétences humaines.

Enfin, pour récolter les bonnes pratiques ainsi que les difficultés des bénévoles sur le terrain, j'ai lancé dans l'Orne, le 17 octobre dernier, le Tour de France du Bénévolat. Il s'agit de réunir sur une demi-journée, des associations agissant sur des champs très différents - culture, sport, environnement, égalité des chances et des droits... - au sein d'un même département et d'animer la discussion autour de quatre thématiques : la gouvernance, la valorisation de l'engagement, la formation des bénévoles et la coopération entre associations. Ces déplacements sont l'occasion de mettre en avant des bénévoles particulièrement impliqués depuis des années et de les en remercier via une médaille. Je tiens à votre disposition des médailles du bénévolat, si vous souhaitez en décerner dans vos circonscriptions à des bénévoles particulièrement engagés. Cette opération, qui aura lieu sur l'ensemble du territoire hexagonal comme ultra-marin, se terminera en juillet et je serai très heureuse de vous y rencontrer.

Vous l'aurez compris Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, l'État porte un regard attentif sur les difficultés que connait le monde associatif et mène pour cela les chantiers nécessaires aux côtés de ces acteurs structurants de nos territoires, vecteur de lien social afin de leur permettre d'exercer leur raison d'être, l'intérêt général.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur des crédits pour la jeunesse et la vie associative. - Merci pour la présentation de ce programme 163, mais les chiffres que vous nous donnez le disent : l'essentiel va au service civique et au SNU, très peu reste pour la vie associative.

J'entends votre volonté d'établir un pacte de confiance avec les associations, mais il ne me semble pas qu'il y ait de pacte de défiance actuellement, en tout cas pas du côté des associations, elles sont toujours prêtes à participer aux actions initiées par le Gouvernement et elles l'ont bien montré, quel que soit la majorité politique.

Les crédits du Compte d'engagement citoyen passent de 15 à 6 millions d'euros, est-ce parce que ce dispositif ne fonctionne pas ? Le fonds développement de la vie associative est un sujet d'autant plus important à nos yeux qu'il a été abondé par les 25 millions d'euros de la réserve parlementaire, dont nous nous servions non pas pour du clientélisme, mais pour aider de petites associations dans nos territoires. Il a bénéficié de 17,5 millions d'euros venus des comptes bancaires inactifs, pourrait-on aller plus loin, en augmentant la quote-part de ces fonds, aujourd'hui fixée à 20 % ?

Le SNU, ensuite, est un échec puisque vous prévoyiez 50 000 places cette année, et qu'il n'y a eu que 32 000 jeunes à se présenter : qu'en dites-vous ? Avez-vous consommé les 110 millions d'euros que nous avions prévus ? Si oui, le coût par jeune est plus élevé que prévu - et les 140 millions d'euros que vous nous demandez pour l'an prochain suffiront-ils aux 64 000 jeunes que vous comptez accueillir ? Je ne vous cache pas que les crédits du SNU font rêver les associations. Quant à la généralisation du SNU, vous savez que c'est très difficile, pour des raisons budgétaires aussi bien que pour des raisons d'adhésion. Ne pensez-vous pas que nous devons, à tout le moins, débattre de l'avenir du SNU au Parlement ?

Enfin, j'avais proposé l'an passé par amendement l'instauration d'un Pass'colonies de vacances, pour aider les classes moyennes à revenir, car les colonies font partie intégrante du parcours citoyen. Le colon peut devenir animateur, le Bafa peut faire partie d'un parcours, qui s'appellerait peut-être « service national universel » et qui se déploierait à un bien moindre coût que celui que l'on connait et qui serait bien plus universel.

Enfin, vous dites que les crédits du service civique progressent de 4 %, mais c'est moins que l'inflation, alors que c'est un outil très pertinent pour tous les jeunes.

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Lorsque je parle d'un pacte de confiance avec les associations, ce n'est pas pour dire qu'il y aurait actuellement un pacte de défiance, mais parce que je sais, par mon expérience de présidente d'un réseau associatif pendant dix ans, puis comme ministre à plusieurs reprises, combien les associations sont noyées sous les tâches administratives. Il faut renouveler le rapport que l'administration entretient avec elles. Je suis patriote, j'adore mon pays, mais je connais aussi la passion française pour la paperasse, des associations me disent très régulièrement combien on leur demande des informations redondantes. Je suis donc tout à fait favorable à la prudence s'agissant de dépenses publiques, mais je crois qu'il serait utile de privilégier les subventions de fonctionnement, les engagements dans des conventions pluriannuelles d'objectifs (CPO), plutôt que multiplier les appels à projets qui placent les associations en position de mettre en oeuvre les politiques publiques décidées par le Gouvernement, avec l'obligation de déposer constamment des dossiers. Je suis bien sûr favorable à ce que les associations rendent des comptes, mais je ne confonds pas leur activité avec celle des cabinets de lobbying. Aussi je ne crois pas utile de les soumettre aux mêmes obligations de transparence, d'exiger qu'elles rendent compte de toute rencontre avec des élus locaux. Les associations sont dans leur rôle en défendant leur cause, leur activité devant des élus, elles défendent l'intérêt général, alors que des lobbyistes défendent des intérêts particuliers. Nous travaillons donc, avec les associations, pour trouver le point d'équilibre. Il faut simplifier et mettre la transparence au bon endroit, il faut sortir de l'ère du soupçon. Les associations nous demandent de leur faire confiance, elles en ont besoin sur le long terme, nous y travaillons.

Sur le compte engagement citoyen, les crédits n'ont pas tous été dépensés. Il faut faire connaitre ce dispositif. Il est possible de valoriser l'engagement inscrit sur le CPF à 240 euros par an avec plafond à 720 euros. Nous allons regarder, dans le Tour de France du bénévolat, si les trois conditions posées sont pertinentes - l'existence de l'association depuis trois ans, le bénévolat depuis un an, le seuil de 100 heures dans la même association, ce qui peut aller contre le fait que les jeunes participent à plusieurs associations. Nous avons simplifié les procédures avec le décret du 5 novembre dernier et nous débattrons de l'opportunité d'aller plus loin à l'occasion du tour de France du bénévolat. Le budget du CEC me semble cependant bien dimensionné pour l'an prochain.

Le FDVA se compose de trois parties : la partie « formation des bénévoles », qui compte 8 millions d'euros, la partie « fonctionnement innovation » des associations, qui compte 25 millions d'euros, et, depuis 2020, la quote-part sur les comptes bancaires inactifs, avec une partie discutée par département et une part variable. L'enveloppe du FDVA reste fixée à 33 millions d'euros l'an prochain. Cela correspond aux réalités, il se déploie correctement et touche ses cibles, en majorité de « petites » associations locales, territoriales, c'est dans cet esprit qu'a été créé le FVDA. J'observe, plus généralement, que beaucoup d'associations pourraient prétendre à des subventions, mais qu'elles ne le font pas parce que cela prend du temps, ou tout simplement parce qu'elles ne se savent pas éligibles, c'est aussi notre travail de les en informer.

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Nous sommes à un momentum où il nous faut décider de l'avenir du SNU. Notre objectif quantitatif est ambitieux, comme chaque année du reste puisque nous le doublons chaque année depuis sa création. Le principal, ce n'est pas la course au chiffre, c'est l'objectif de fond qui est qualitatif. Comment faire pour que des jeunes de Trappes, de Nantes et d'Aurillac se rencontrent, fassent leur première mobilité, vivent une expérience en portant un uniforme et laissant de côté les vêtements des marques auxquelles ils s'identifient peut-être. Une expérience où chacun fasse un bilan de santé, découvre notre patrimoine culturel, apprenne les gestes qui sauvent ? Les jeunes ne l'apprennent pas à l'école, puisque ce n'est pas dans les missions de l'école, alors que ces apprentissages renforcent la cohésion nationale...

Cela dit, j'entends votre question sur l'aspect quantitatif, et je sais que vous serez heureux d'entendre, Monsieur le rapporteur, que nous n'avons pas dépensé plus que prévu et que, en collectif budgétaire, les crédits non consommés - soit 24 millions d'euros - ont été reversés aux colonies apprenantes, qui partagent avec le SNU l'objectif de mobilité. Nous avons besoin que notre jeunesse soit unie, qu'elle ait le goût de l'engagement, nous aidons à l'autonomie, au premier départ de la maison familiale, un jeune sur deux reçu au SNU n'avait jamais pris le train tout seul... Le nombre de jeunes issus de quartiers populaires est trop faible, il est passé de 4 % à 7 %, pour une représentativité de 9 %, la part des élèves en filière professionnelle est passée de 14 à 17 %, pour une moyenne nationale de 33 % - ma mission est d'aller plus loin et que ce temps passé au SNU s'inscrive dans un parcours de citoyenneté et de civisme, qui prépare à ce grand moment qu'est la majorité.

Nous avons besoin de conforter la culture de la protection civile, face au dérèglement climatique, nous devons lever des freins à l'accès à la formation professionnelle, comme l'accès au permis de conduire. Le Président de la République l'a dit à Toulon lors de la présentation de la revue stratégique, il y aura des arbitrages sur le SNU, mais il faut déjà retenir que 9 jeunes sur dix à y participer s'en disent satisfaits...

M. Laurent Lafon, président. - Nous avons entendu parler d'un projet de loi en préparation pour généraliser le SNU : qu'en est-il ?

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Très concrètement, il y a une hypothèse de généralisation par l'intégration au temps scolaire, via le renforcement de l'éducation civique et morale, et une autre hypothèse consistant à renforcer l'attractivité du SNU, par exemple en finançant le permis de conduire ou le Bafa. Les deux hypothèses sont à l'étude et nous les présenterons au Parlement. 

Mme Elsa Schalck. - Je salue le travail de notre rapporteur, nous partageons la plupart de ses questions, en particulier sur la généralisation du SNU.

Ce premier budget « jeunesse » du mandat s'inscrit dans la droite ligne des années précédentes. Je déplore, une fois encore, le manque de lisibilité et de visibilité de la politique en direction de la jeunesse ; érigée au rang de priorité par le Président de la République, elle est éparpillée dans différentes missions budgétaires, sans que l'on perçoive la cohérence ni la vision d'ensemble que vous souhaitez pour les jeunes de France.

Vos crédits augmentent, avec le déploiement du SNU, qui mobilisera 140 millions d'euros, soit 30 millions d'euros de plus que cette année, alors même que les objectifs fixés pour l'an dernier sont loin d'avoir été atteints. Vous attendiez 50 000 jeunes, 32 000 sont venus : comment l'expliquez-vous ? Et quel a été le coût effectif par jeune du séjour de cohésion cette année ? Comment avez-vous fixé ce nouvel objectif de 64 000 jeunes et comment comptez-vous le respecter ? Vous prévoyez de recruter 9 608 encadrants, mais en avez-vous les capacités ?

Vous comprendrez nos réserves face à la volonté du Gouvernement de généraliser le SNU, alors que le dispositif peine à se mettre en place et que nous n'en avons pas débattu au Parlement - sans compter que la généralisation représenterait un coût colossal évalué à 1,7 milliard d'euros...

Je salue le service civique, ainsi que le travail mené par l'Agence nationale du service civique : il rencontre un réel succès et ne cesse de faire ses preuves, douze ans après sa création. Le budget prévoit d'y consacrer 518,8 millions d'euros, soit 20 millions d'euros de plus que l'an dernier - la moitié de cette hausse, cependant, correspond à l'augmentation du point d'indice des fonctionnaires. D'après un sondage Odoxa réalisé cette année, si l'existence du service civique est connue et qu'il a une image plutôt positive, très peu de jeunes savent en définir les modalités et les contours : sa durée, sa réalisation dans le secteur public ou privé, la perception d'une indemnité, son caractère obligatoire...

Ce dispositif est utile pour l'avenir de la jeunesse, pour son parcours dans l'autonomie et il importe d'en faire mieux connaître les bénéfices notamment professionnels. Comment comptez-vous accroitre sa valorisation dans un parcours et ses bénéfices pour inciter davantage de jeunes à y avoir recours ? Enfin, nous sommes particulièrement sensibles au fait que tous les jeunes puissent y avoir accès et en bénéficier. Comment le service civique se développe-t-il dans le monde rural ?

M. Thomas Dossus. - Au-delà du quantitatif dont le bilan est plus que mitigé, il me semble que votre vision du SNU est un peu abstraite. Je vous citerai quelques exemples.

En juillet de cette année, une vidéo montre 130 jeunes épuisés, alignés dans la cour d'un centre SNU pour faire des pompes et du gainage. Plusieurs jeunes sont en pleurs, se plaignent de douleur. La vidéo a été filmée par les encadrants responsables de la punition.

Le 13 juillet, Le Canard enchaîné révèle que, lors des cérémonies du 18 juin, 31 jeunes participants au SNU ont fini aux urgences après avoir été laissés au garde-à-vous au soleil, en pleine canicule, pendant de longues minutes.

Le 2 août, le compte Twitter de la police nationale du Bas-Rhin vante l'organisation d'un stage de « menottage » avec des jeunes du SNU, atelier dans lequel ils sont invités à immobiliser leurs camarades, avec l'utilisation de menottes réservées normalement aux forces de l'ordre.

Ce ne sont pas des cas isolés, ils incarnent l'identité même du SNU : un moment qui se veut républicain, mais qui, vidé de toute substance, ne devient qu'un simulacre de service militaire - le maniement des armes en moins. Faux service, vraie caporalisation de la jeunesse.

Le SNU n'est pas le seul outil de caporalisation de la société déployé par le gouvernement.

Madame la ministre Schiappa, vous venez de parler de faciliter la vie des associations, la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République - dite loi « séparatisme » - a pourtant instauré les contrats d'engagement républicain (CER) que les associations doivent signer pour espérer obtenir un agrément, des subventions ou des avantages fiscaux.

Le résultat est prévisible et le mouvement associatif avait déjà alerté au moment de l'étude du texte : en septembre dernier, le Préfet de la Vienne a appelé à retirer les subventions à l'association écologiste Alternatiba en raison de l'organisation d'un atelier de désobéissance civile. Les contrats d'engagement républicain deviennent des outils utilisés contre la liberté d'expression et pour mettre au pas les associations militantes qui s'opposent à votre politique, on est loin de la lutte contre le séparatisme islamiste.

La vitalité associative et l'émancipation de la jeunesse ne sont pas des menaces pour notre république.

Si nous sommes dans un momentum, profitons-en, finissons-en : les crédits alloués au SNU - 140 millions d'euros cette année, avec un objectif de 1,5 milliard d'euros - seraient mieux utilisés dans le soutien à l'éducation populaire, dont les crédits sont pour la deuxième année consécutive inférieurs à ceux du SNU. Ce serait un signal appréciable envoyé à toute la société.

M. Cédric Vial. - Nous avons un problème de visibilité et de lisibilité pour la vie associative. Je n'ai pas bien compris les avantages de votre organisation ministérielle et je ne vois guère le surplus d'interministérialité, puisque chaque ministère continue à abonder les associations de ses missions budgétaires. Et des fonds proviennent aux associations via les préfectures, qui ne sont pas toujours les meilleures connaisseuses des associations, sans que leur circuit budgétaire soit clair au regard de la Lolf puisqu'on ne sait pas bien leurs missions budgétaires de rattachement...

Nous sommes sur l'écume des choses. Le plus important, ce n'est pas ce que sont les associations, c'est ce qu'elles font. Le débat sur la reconnaissance de l'engagement civique est important, certes, mais il n'est pas nouveau et on voit mal en quoi vos outils vont changer les choses.

Quel est le bilan de la charte de la laïcité : combien d'association l'ont signée, et quelles en sont les conséquences sur le soutien aux associations ? Quel bilan a-t-on, ensuite, de la défiscalisation des associations, qui dépasserait les 2 milliards d'euros ?

M. Julien Bargeton. - Je me réjouis que ce budget augmente. Je veux souligner l'effort réalisé en faveur des Centres de ressources et d'information pour les bénévoles, dont les crédits augmentent de 50 %. C'est important parce qu'ils forment, conseillent et accompagnent les bénévoles et soutiennent leurs projets. Que pensez-vous de l'application de la loi du 1er juillet 2021 sur l'engagement associatif ?

Je partage l'idée de contrat avec les associations, avec des droits et des devoirs - et il me semble juste, responsable, qu'on demande des engagements précis aux associations.

Mme Céline Brulin. - Vous nous mettez dans l'embarras sur le SNU. Vous nous dites qu'il n'atteint pas ses objectifs de mixité sociale, de cohésion nationale, mais vous dites qu'il faudrait choisir entre une généralisation, avec le coût que l'on sait, ou bien une intégration dans le temps scolaire, via l'éducation civique et morale, que l'on charge déjà beaucoup puisqu'on y fait entrer toujours plus de choses. Vous nous en avez donc dit trop, ou pas assez. Est-il utile de doubler les crédits du SNU, pour que vous tranchiez dans quelques semaines le choix que vous nous présentez aujourd'hui ?

On ne peut pas évoquer la jeunesse, ensuite, sans parler des conséquences de la crise sanitaire sur la santé mentale des jeunes. Or, nous n'avons rien vu dans le PLFSS, ni dans le budget de l'Éducation nationale, ni encore aujourd'hui sur le sujet : c'est plus qu'inquiétant.

Face à l'inflation, le Gouvernement prend des mesures pour les particuliers, pour les entreprises, mais les associations ne voient rien pour elles, alors qu'elles ont elles aussi des charges.

Enfin, il y a beaucoup d'attentes sur la formation, la reconnaissance en VAE est très insuffisante. De même, il faudrait revoir l'aide aux postes du Fonds de coopération de la jeunesse et de l'éducation populaire (Fonjep), les niveaux actuels sont trop faibles : qu'en pensez-vous ?

Mme Sylvie Robert. - Je suis frappée de voir que notre discussion sur le SNU se répète et que rien ne change, les objectifs ne sont pas tenus, mais cela ne vous empêche pas de les doubler - alors que, dans le fond, agir à cette échelle n'a pas beaucoup de sens par rapport à ce qu'on visait initialement. Quand les crédits manquent partout, on se pose cette question : voulez-vous vraiment continuer le SNU, alors que son évaluation n'est pas claire ?

Sur la vie associative, il faut bien voir que toutes les associations n'ont pas repris leur rythme d'avant la pandémie. Elles rencontrent des difficultés et l'augmentation de crédits que vous nous annoncez, à + 4 %, ne compense pas l'inflation.

M. Claude Kern. - Le budget du programme dans son ensemble augmente, mais il baisse pour la vie associative, qui a subi la crise sanitaire et alors que les associations comptent tout de même 13 millions de bénévoles et 1,8 million de salariés, soit 10 % des emplois privés de notre pays. Le FDVA est reconduit, mais il est complexe : pourquoi ne pas le flécher vers les élus, qui connaissent mieux leur territoire ? Les instruments sont nombreux, mais ils sont mobilisés sans véritable stratégie, il faut simplifier les circuits.

Le compte d'engagement citoyen voit ses crédits sous consommés, la dotation diminue ; avez-vous évalué son impact sur le bénévolat ? La Cour des comptes suggère de s'en passer, qu'en pensez-vous ? Le moment n'est-il pas venu de mettre en oeuvre les propositions pour valoriser le bénévolat que nous avons faites dans la loi du 2 mars 2022 pour démocratiser le sport ? Comment comptez-vous promouvoir le bénévolat pendant les Jeux olympiques et paralympiques ?

Quel bilan faites-vous du mentorat, créé l'an passé et qui reçoit 27 millions d'euros de crédits ?

Mme Sonia de La Provôté. - Vous avez évoqué la start up d'État, DataAsso, qui récupère toutes les données des associations. Cette entreprise utilise des outils venus de la Silicon Valley : quelle est la protection des données associatives ? 

Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État. - Le SNU a été imaginé pour répondre à trois enjeux. D'abord, améliorer la résilience de notre pays. Cela veut dire être capable de prendre l'ascendant sur l'extérieur, grâce à une culture de la défense, à la maîtrise des gestes qui sauvent, à une culture mémorielle et patrimoniale. Ensuite, faire vivre aux jeunes un temps de mixité sociale et territoriale, qui n'existe pas dans la vie ordinaire, un temps qui soit aussi l'occasion d'un bilan de santé. Enfin, développer la culture de l'engagement, le bénévolat, la volonté des jeunes à s'engager dans les sapeurs-pompiers, auprès des communes, des associations. À l'origine du SNU, il y a cette volonté de rétablir un grand creuset républicain, un temps d'égalité réelle d'accès à l'engagement, quel que soit son territoire ou sa situation d'origine, parce qu'on sait bien que les jeunes n'ont pas le même accès à l'offre culturelle, aux colonies de vacances, et ceci même si l'on rénove les classes nature à l'école. Le SNU, c'est la chance donnée à tout jeune de vivre son premier départ, c'est l'occasion de lui donner le goût de la mobilité, de parler de sujets difficiles comme la laïcité, le non-recours au droit, le cyberharcèlement, du consentement, des sujets qu'il est plus facile d'évoquer hors de sa classe, de son territoire. C'est cela, le projet social du SNU, en écho à ce qu'était le service national de sa famille, comme temps de mixité sociale où l'on faisait aussi un bilan de santé, où l'on pouvait lutter contre l'illettrisme...

L'opposition entre le SNU et l'éducation populaire est un faux débat. Jamais le budget de l'Éducation nationale n'a autant augmenté - il gagne 3,6 milliards d'euros - ni celui des Armées - il gagne 3 milliards d'euros. Le service civique gagne 20 millions d'euros, l'éducation populaire continue d'être soutenue : le SNU vient en plus et abonde l'éducation populaire puisque, dans les 2 100 euros dépensés par jeune en SNU, une part va aux associations d'éducation populaire pour l'encadrement des séjours de cohésion. Demandez ce qu'ils en pensent aux responsables de Léo-Lagrange.

Je reconnais donc les difficultés quantitatives du SNU, mais je crois que le sujet est d'abord qualitatif et qu'il faut voir que 9 jeunes sur 10 venus en SNU s'en disent satisfaits pour avoir rencontré des gens, découvert le champ des possibles, participé à une expérience qui alimente en réalité le patriotisme, qui donne des souvenirs d'être ensemble à l'échelle du pays, en particulier pour ceux qui ne partent pas en colonies de vacances - et je sais aussi que tout cela prend du temps.

Dans les exemples d'incidents que vous citez, Monsieur Dossus, les encadrants ont été renvoyés immédiatement. Comment prévenir de tels incidents ? Par plus de formation des encadrants, nous nous y employons. Plus de 150 centres ont été ouverts, ils ont accueilli 32 000 jeunes l'an passé : ce n'est pas un échec, mais une réussite ; pour vous en convaincre, je vous invite à écouter les jeunes qui ont participé, ils seront meilleurs ambassadeurs que moi pour le SNU. Face au défi climatique, nous avons besoin d'une culture de résilience, le SNU donne la possibilité de mieux réagir en s'inscrivant dans une chaîne de commandement de la sécurité civile. Ne vous arrêtez donc pas à l'aspect quantitatif, demandez ce qu'ils pensent du SNU aux gendarmes, aux pompiers, aux responsables du Souvenir français... Nous devons faire mieux, je l'ai dit, pour attirer plus de jeunes des classes populaires, nous adaptons les dates des séjours de cohésion. L'éducation populaire est partie prenante du SNU, les associations nous disent que c'est un premier départ, une étape du parcours de citoyenneté.

Nous avons besoin de construire le service civique nouvelle génération. Il s'agit d'une occasion de construire un nouveau pacte entre générations, de la cohésion sociale, avec l'ensemble des acteurs associatifs, mais aussi de tenir la promesse républicaine - qui est de proposer à chacun une place d'où s'épanouir, plutôt que figer des hiérarchies sociales sclérosantes.

Le tutorat et le mentorat touchent 100 000 jeunes, cet écosystème est présent en ville, mais aussi dans le tissu rural, notre objectif est de doubler le nombre de jeunes accompagnés, c'est très utile pour l'accès à la formation et à l'emploi.

Quelle est notre vision de la jeunesse ? Le débat est très large, et il faut, en réalité, parler des quelque 100 milliards d'euros, tous budgets confondus, que l'État consacre à la jeunesse, vous les retrouvez dans le jaune budgétaire. Le programme 163 cible plus précisément l'engagement, il ne représente qu'une fraction de l'action de l'État pour la jeunesse - sans parler de l'action des collectivités territoriales. Cela dit, la clause d'impact jeunesse sur les politiques publiques peut devenir plus ambitieuse, c'est une chance pour conforter nos politiques en direction de la jeunesse. 

Mme Marlène Schiappa, secrétaire d'État. - Le contrat d'engagement républicain, j'y crois, je l'ai porté dans la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. La procédure en est légère, nous l'avons conçue pour ne pas alourdir le travail des associations et, en pratique, il n'y a qu'une case à cocher sur le Cerfa. Son objectif est d'assurer que les subventions n'aillent pas à des associations qui n'acceptent pas les valeurs de la République, nous visions alors des associations comme le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), qui a été dissous depuis. Cela dit, certaines associations se plaignent qu'on leur en demande bien plus sur le contrat d'engagement républicain, c'est un dévoiement de la loi. Nous avons demandé à Sonia Backès, ministre en charge de ce contrat, de réunir les associations sur ce point. S'agissant de l'association Alternatiba, il n'y a eu aucun retrait de subvention par l'État, mais par une collectivité territoriale. Il est donc faux de dire que nous ferions du soutien au Gouvernement un critère de subvention. Je peux vous citer des dizaines d'exemples d'associations financées par l'État et qui critiquent vertement le Gouvernement, c'est dans notre conception de la démocratie...

Mon secrétariat d'État est rattaché à Matignon pour avoir une action interministérielle, mais les politiques publiques restent sectorielles, les ministères continuent donc de subventionner les associations de leur secteur et nous ne subventionnons que l'accompagnement à la vie associative, la structuration de la vie associative. Le FDVA sera attribué par les préfets, qui connaissent parfaitement la vie associative de leur territoire, les parlementaires participant quant à eux aux collèges départementaux et à la définition des orientations ; s'il arrivait que vous ne soyez pas conviés, n'hésitez pas à me le dire.

Les mécanismes déployés pour limiter les effets des hausses des prix de l'énergie, madame Brulin, s'appliquent pleinement aux associations, la Première ministre l'a précisé et elle en a été remerciée par les têtes de réseaux - il ne faut pas leur dire le contraire, ou bien on risque de les priver de ce recours très utile.

La loi du 1er juillet 2021 sur l'engagement associatif a prévu une protection des dirigeants bénévoles en matière de responsabilité financière, c'est un élément d'attractivité pour le secteur associatif, et, d'une manière générale, cette loi porte déjà ses fruits.

Sur DataAsso, madame de La Provôté, je me tiens à votre disposition pour vous répondre plus techniquement que je ne peux le faire ici, les données regroupées sont publiques et cet outil est intéressant pour les associations elles-mêmes - mais je suis pleinement disposée à vous répondre plus en détail avec mes services.

M. Laurent Lafon, président. - Merci pour toutes ces réponses.

Le compte rendu de cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 50.

Mercredi 16 novembre 2022

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Projet de loi de finances pour 2023 - Crédits « Enseignement scolaire » - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons ce matin le rapport pour avis de notre collègue Jacques Grosperrin sur les crédits consacrés à l'enseignement scolaire dans le projet de loi de finances pour 2023.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis sur les crédits Enseignement scolaire. - Monsieur le président, mes chers collègues, à l'occasion de ce rapport pour avis, j'ai fait le choix cette année de développer plus particulièrement, parmi toutes les thématiques que permet d'aborder la mission « Enseignement scolaire », les questions relatives à l'attractivité du métier d'enseignant. J'ai fait ce choix en lien avec une actualité qui a mis en évidence une crise de recrutement très problématique lors des concours de 2022.

Mon rapport s'inscrit sur ce point dans la continuité des travaux de nos collègues Françoise Laborde et Max Brisson sur le métier d'enseignant, et dans la complémentarité des analyses du rapporteur spécial, Gérard Longuet, sur les rémunérations.

Les crédits de la mission Enseignement scolaire pilotés par le ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse (hors enseignement agricole, programme relevant du ministère de l'Agriculture et de la souveraineté alimentaire) s'établiront en 2023, en crédits de paiement et à structure budgétaire courante, à 58 821,416 millions d'euros au lieu de 55 245,271 millions d'euros dans la loi de finances pour 2022 (hors contributions aux pensions de l'État), soit une hausse de 6,5 % (+ 3,57 milliards d'euros).

L'effort financier est donc réel.

J'ai toutefois identifié trois principaux points de vigilances qui devront impliquer de notre part, dans les mois à venir, un suivi attentif - je dirais même sans concession :

Premier point de vigilance : des moyens substantiels sont dédiés à la revalorisation des rémunérations des enseignants (935 millions d'euros entre septembre et décembre 2023). Au total, l'ensemble des mesures de revalorisation représentent dans le budget plus de 1,135 milliard d'euros. Mais suffiront-elles à produire le « choc d'attractivité » nécessaire ? Il faudra poursuivre cet effort pendant de longues années avant que la revalorisation reçoive une traduction concrète. Le ministre nous l'a d'ailleurs confirmé la semaine dernière.

L'objectif est qu'aucun enseignant débutant ne gagne moins de 2 000 euros : c'est un minimum avec ce niveau de diplôme !

Il y a dans ce domaine des marges de progression évidentes : la rémunération moyenne des enseignants équivaut actuellement à celle d'un fonctionnaire de catégorie B de la Police nationale ; le salaire médian est de 2 290 euros, ce qui veut dire que la moitié des enseignants gagne moins ; le déroulement de carrière est lent et aléatoire, les grades supérieurs (hors classe et classe exceptionnelle) sont atteints à un âge avancé et concernent peu d'enseignants (mon rapport détaille les chiffres : je vous y renvoie).

Deuxième point de vigilance : le schéma d'emplois prévoit une diminution de quelque 2 000 postes d'enseignants en 2023.

Les projections démographiques prévoient dans les prochaines années une baisse sensible du nombre d'élèves (environ 100 000 élèves par an). De plus, selon le ministère, les suppressions de postes s'élèveraient à 5 000 si l'on tirait toutes les conséquences de cette évolution.

Toutefois, ces 2 000 postes en moins interrogent, compte tenu des besoins liés à l'amélioration du taux d'encadrement, et des vives tensions sur les moyens humains que connaît l'éducation nationale.

Il n'est pas exclu que ces tensions, que risquent d'aggraver les suppressions de poste, fragilisent les moyens mobilisables pour des remplacements de courte durée, et affectent la participation des enseignants à des sessions de formation continue, alors même qu'il s'agit là d'un besoin essentiel - le Grenelle l'a montré.

Troisième point de vigilance : l'école inclusive.

Voici quelques chiffres pour éclairer la réflexion : il y avait plus de 430 000 élèves en situation de handicap à la rentrée de 2022 ; ce nombre augmente de 6% par an depuis 2012 ; il a augmenté de de 81% entre 2012 et 2021 ; malgré la baisse démographique à venir, les projections tablent sur un besoin croissant en ULIS (+ 2% par an) ; les notifications d'affectation en ULIS progressent chaque année de 8,6%.

2,4 milliards d'euros sont inscrits dans le PLF 2023 au titre du programme 230. Or malgré ces moyens importants, les besoins ne sont pas couverts. D'une part, les élèves ne pouvant être accueillis en établissements médico-sociaux, faute de places disponibles, sont affectés en ULIS, ce qui réduit le nombre de places en ULIS pour les élèves qui, malgré une notification d'affectation en ULIS, doivent être scolarisés en milieu ordinaire. D'autre part, le manque d'AESH est bien connu : 56 % seulement en moyenne des élèves en situation de handicap bénéficient d'un accompagnement humain. Dans l'académie de Versailles, il manquait 700 AESH à la rentrée de 2022.

4 000 postes d'AESH sont créés par le budget, mais il est évident que cette profession, marquée par une vraie précarité, reste peu attractive malgré les efforts récemment entrepris pour revaloriser les rémunérations. Sur ce point, l'amendement adopté par l'Assemblée nationale pour augmenter de 80 millions d'euros les rémunérations des AESH est une bonne chose. Il reste aussi à progresser sur la prise en charge du temps de travail des AESH pendant la pause méridienne et le temps périscolaire, car le temps partiels contraint amplifie la faiblesse des rémunérations de ces personnels. La mission d'information prévue sur ce sujet au sein de notre commission vient donc à point nommé.

Je consacre un passage de mon rapport au bilan de l'accueil des 19 000 élèves ukrainiens en France depuis le début de la guerre. Je me bornerai ce matin à mentionner que, selon le ministre de l'éducation nationale, ces élèves ont un an d'avance sur les nôtres en mathématiques. Ce constat préoccupant confirme l'urgence d'un effort dans ce domaine où le système français excellait autrefois...

J'en viens aux parties du rapport consacrées à l'insuffisante attractivité du métier d'enseignant.

Évoquons tout d'abord les concours de 2022, marqués par une baisse très alarmante du nombre de candidats, surtout dans le premier degré. On compte au total 3 756 postes non pourvus : le nombre a été multiplié par trois entre 2021 et 2022.

Dans le premier degré, les difficultés se sont concentrées sur les académies de Créteil et de Versailles, dans une moindre mesure de Paris. Dans leur majorité, les autres académies semblent avoir réussi à recruter à la hauteur de leurs besoins.

Selon le ministère, le « creux » de 2022 est la conséquence mécanique des nouvelles conditions d'accès aux concours de l'enseignement, qui supposent désormais d'être titulaires d'un master. Les étudiants de master MEEF passent donc les concours en M2 et non plus en M1. L'année 2023 devrait donc, selon cette logique, être plus propice grâce à la reconstitution du vivier de candidats.

Nous devrons donc être vigilants lors des prochains concours. Pour ma part, je crains que la chute observée en 2022 ne soit pas passagère. En effet, le nombre d'inscrits en master MEEF baisse (sauf pour l'option Encadrement éducatif), ce qui traduit une diminution de l'intérêt des jeunes pour l'enseignement, même si tous les candidats aux concours ne sont pas issus de ces formations.

Je passe rapidement sur la problématique du recours aux contractuels, vous renvoyant sur ce point à mon rapport. Par-delà l'emballement médiatique inspiré par les «rendez-vous de recrutement » et les quatre jours de formation organisés en août dernier, le besoin de contractuels risque de perdurer. Nous devrons donc être attentifs à la manière dont ces personnels sont recrutés et formés.

J'en viens aux leviers à mobiliser pour enrayer le déclin de l'attractivité du métier d'enseignant.

Le ministre a parlé d'un « sentiment de déclassement ». Celui-ci a été parfaitement commenté dans le rapport de Max Brisson et de Françoise Laborde en 2018.

Parmi les enjeux de la revalorisation du métier d'enseignant, j'insiste sur la gravité des statistiques relatives aux démissions. Officiellement, on estime que les démissions représentent des proportions « peu significatives » rapportées aux effectifs globaux : 0,34% seulement des effectifs des premier et second degrés.

En réalité, le phénomène est inquiétant, non seulement parce qu'il augmente régulièrement (la courbe est très nettement ascendante), mais aussi par la forte proportion d'enseignants jeunes et en début de carrière, parfois dès l'année de stage. Le système peine donc non seulement à recruter, mais aussi à fidéliser.

En outre, rapportés aux résultats des concours, les effectifs concernés sont loin d'être anodins. Les 1 499 démissions constatées en 2020-2021 dans le premier degré équivalent à 15 % des admis aux concours de professeur d'école en 2021. Les 912 démissions en 2020-2021 de professeurs du second degré équivalent à 7,5 % des lauréats des concours de 2021.

Qu'elles concernent des enseignants chevronnés ou des débutants, les démissions s'apparentent à un véritable gâchis humain et financier, a fortiori dans le contexte actuel de crise de recrutement.

L'amélioration des débuts dans la carrière d'enseignant est donc une urgence pour rendre plus attractif un métier dont on peut comprendre qu'il peine à attirer.

Sur ce point, le « bizutage institutionnel » dénoncé dans un rapport au ministre par Jean-Pierre Obin en 2002 reste d'actualité. Pour faire simple, dans l'enseignement les conditions d'exercice les plus dures sont pour les plus jeunes.

Nous le savons, la mobilité géographique est une contrainte considérable pour les enseignants, surtout en début de carrière puisque l'ancienneté est décisive dans le barème. C'est le deuxième motif de saisine de la médiatrice de l'éducation nationale, qui connaît bien ce sujet. Faute d'avoir obtenu leur exeat, plus de 8 700 enseignants sont en disponibilité pour suivi de conjoint. Les conséquences en termes de rémunération et de retraite sont regrettables. Là encore, c'est un vrai gâchis.

Il est indispensable de travailler dans le sens d'une plus grande souplesse en matière de mutation géographique pour améliorer l'attractivité de l'enseignement. Je ne vois pas comment convaincre les jeunes de faire le choix d'un métier cumulant les inconvénients d'une rémunération relativement faible, de perspectives de carrière limitées et aléatoires, d'un temps de travail important et d'un risque d'enfermement territorial qui affecte considérablement la conciliation vie professionnelle/vie privée.

La démarche contractuelle proposée par Max Brisson et Françoise Laborde dans leur rapport de 2018 est évidemment une piste prometteuse, dont le ministère gagnerait à s'inspirer.

Un mot, pour finir, sur la formation initiale des enseignants, dont la réforme récente - concernant plus particulièrement l'année de stage - est commentée dans mon rapport. Selon des témoignages que j'ai consultés, les enseignants débutants trouvent leur formation trop théorique pour leur permettre des débuts sereins dans la carrière. Ils se sentent insuffisamment préparés aux situations auxquelles ils sont souvent confrontés. Je pense plus particulièrement à l'école inclusive et aux besoins éducatifs particuliers. En outre, je vous mets au défi de trouver sur Éduscol ou Canopé des outils pédagogiques gratuits et concrets répondant à ce besoin. Le rapport donne des exemples précis de cette lacune.

La réforme prévoit un effort en matière d'accompagnement : il était temps ! Là encore, la vigilance s'impose et nous devrons contrôler attentivement sa mise en oeuvre.

En conclusion, malgré les points de vigilance que j'ai exposés, qui devront impliquer de notre part un suivi rigoureux, je vous propose, mes chers collègues, de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission Enseignement scolaire, eu égard à l'effort réel qu'elle traduit, notamment à l'égard du monde enseignant, et par cohérence avec le vote émis par la commission des finances.

M. Stéphane Piednoir. - Je salue le travail de notre rapporteur, et la connaissance fine de l'éducation nationale dont il est l'écho. Ce travail identifie les difficultés auxquelles se heurte le système éducatif, qu'il s'agisse des conditions de travail des enseignants ou des conditions d'accueil des élèves, et les leviers pour les améliorer. Le PLF 2023 prévoit une hausse significative du premier budget de l'Etat, hors remboursement de la dette : on peut se féliciter de cet effort, plus particulièrement à l'égard des enseignants. La revalorisation de leur rémunération est juste et bienvenue, mais il faut aussi améliorer leur déroulement de carrière. Ce budget en augmentation est le signe d'une nation qui consacre beaucoup d'argent public - près de 59 milliards d'euros - aux jeunes générations.

Ce constat ne doit toutefois pas nous exonérer de l'examen du service rendu par l'éducation nationale : le compte n'y est pas ! Trop de jeunes sortent du système sans diplôme, le décrochage reste important malgré des efforts dont les effets ne pourront se traduire que dans le temps long - je pense notamment aux réductions d'effectifs dans les classes -. On ne peut se satisfaire non plus du rang médiocre de notre pays dans les classements internationaux, pas seulement en mathématiques... Les moyens massifs injectés dans l'éducation nationale n'ont donc pas l'efficacité attendue.

Nous le savons, les conditions de travail des enseignants tiennent aussi à des difficultés telles que les effectifs trop nombreux et, surtout, le manque de discipline. La bienpensance à l'oeuvre pendant des années a empêché les élèves de progresser et les enseignants de travailler. Il faut revenir à l'autorité et aux devoirs à la maison.

Les démissions d'enseignants augmentent - ne nous arrêtons pas aux pourcentages, qui masquent la gravité du processus - et le nombre de candidats aux concours diminue : autant de signes préoccupants d'une baisse d'attractivité de ce beau métier ! Sur les enseignants pèse aujourd'hui une diversité de missions - respect du principe de laïcité, école inclusive... - qui me semble déraisonnable. Il faut y réfléchir. L'enseignement moral et civique, comme l'a montré la mission commune d'information sur la culture citoyenne que j'ai présidée l'an dernier, le confirme : la dilution et l'extension de son contenu illustrent cette tendance à élargir sans cesse les missions des enseignants.

L'intervention du rapporteur me conduit à m'interroger sur l'annonce récente du ministre de l'éducation nationale relative à l'introduction des mathématiques dans le tronc commun, à raison d'une heure trente obligatoire pas semaine. Comment sera mise en oeuvre cette décision et avec quels moyens, compte tenu du manque de professeurs de mathématiques, cette matière étant « en tension » ?

De plus, en ces temps de sobriété énergétique, du fait de l'importance de l'immobilier public (500 000 mètres carré), dont une part importante concerne les collèges et les lycées qui appartiennent aux collectivités territoriales, quelles sont les préconisations du ministère en matière de chauffage ? Les élèves devront-ils investir cet hiver dans des cols roulés ? Quelle sera la charge pour les collectivités territoriales ? Quant aux expériences de chimie, seront-elles ajournées sauf si l'origine locale et le caractère renouvelable du gaz consommé par les becs bunsen sont garantis ? Et y aura-t-il un plan de soutien aux collectivités territoriales pour les aider à financer la rénovation des bâtiments, dont nous savons qu'elle est indispensable ?

Je m'associe par ailleurs à la vigilance du rapporteur sur l'école inclusive et à ses autres constats, qui auraient pu justifier un avis réservé sur les crédits de cette mission. Je prends acte comme lui de l'effort dont font l'objet ces crédits, tout en rappelant que ce budget est adossé à un déficit annuel de 160 milliards d'euros ! Notre groupe suivra son avis.

Mme Annick Billon. - Au cours du précédent quinquennat, les crédits destinés à l'enseignement scolaire ont connu une hausse régulière. Je salue donc la nouvelle augmentation inscrite dans ce PLF, même si une part non négligeable de cet effort tient de manière mécanique à l'augmentation du point d'indice.

Toutefois, de nombreuses difficultés persistent, à commencer par la baisse de l'attractivité du métier enseignant, qui ne date pas d'aujourd'hui. Autre sujet d'inquiétude : la médecine scolaire. En 2011, un rapport tirait déjà la sonnette d'alarme, notant une forte proportion de postes vacants - environ un tiers - et d'importantes disparités entre les territoires. C'est un problème structurel, selon le ministre : que le gouvernement s'en saisisse ! En onze ans, nous n'avons pas avancé en la matière.

S'agissant de l'école inclusive, malgré les efforts destinés à la rémunération des AESH, cette profession reste marquée par une forte précarité, aggravée par le temps partiel contraint. Elle suscite donc peu de vocations. J'insiste aussi sur l'importance de la formation de ces personnels, largement perfectible.

Quant à l'éducation à la sexualité, c'est une priorité si nous ne voulons pas que la pornographie fasse l'éducation sexuelle de nos enfants. Le rapport de la délégation aux droits des femmes l'a clairement montré. Un tiers des moins de 12 ans ont été exposés à des images pornographiques ; deux tiers des moins de 15 ans. Or seulement 10% des établissements respectent les trois séances par an et par niveau prévues par la loi. Stéphane Piednoir a raison de dire que l'on demande beaucoup aux enseignants ; précisément, l'éducation à la sexualité pourrait être confiée à d'autres intervenants.

Enfin, s'agissant de la réintégration des mathématiques dans le tronc commun, comment cette heure trente va-t-elle pouvoir tenir dans des agendas déjà surchargés ?

Le groupe Union centriste suivra l'avis du rapporteur avec des points de vigilance majeurs : malgré un budget en hausse, l'école reste inégalitaire.

Mme Marie-Pierre Monier. - Quel beau rapport ! Ce réquisitoire à charge me conviendrait tout à fait si le rapporteur en tirait les conséquences en proposant un avis défavorable à l'adoption des crédits de cette mission. Vous évoquez l'augmentation substantielle des crédits : mais compte tenu du niveau d'inflation, heureusement que ce budget augmente de 6% ! Cet effort doit être relativisé. Je rejoins le rapporteur sur la crise d'attractivité du métier enseignant. Les chiffres inquiétants concernant les candidats aux concours et les postes non pourvus ont rythmé l'année 2022. Je doute que les choses s'améliorent lors des concours de 2023 : le report de la date limite d'inscription, faute de candidats en nombre suffisant, montre que les problèmes de recrutement de 2022 risquent de perdurer. Cette crise du recrutement s'explique en partie par le faible niveau des rémunérations. Le gouvernement nous promet un choc d'attractivité, cristallisé autour de trois chiffres clé : la promesse d'un salaire minimum de 2 000 euros en début de carrière, une hausse moyenne des rémunérations de 10%, et 935 millions d'euros de revalorisations, qui doivent toutefois être rapportés à des effectifs considérables (856 500). Le gouvernement a fait le choix de cibler les vingt premières années d'exercice. Quid des autres enseignants ? Nous assisterons très certainement à un nouvel « effet de plateau ». Ils pourront, nous dit-on, accéder plus facilement aux grades, hors classe et classe exceptionnelle, assortis de rémunérations plus élevées. Mais nous savons, le rapporteur l'a indiqué, que ces promotions sont très tardives concernent une proportion très faible des enseignants... On leur propose aussi les revalorisations conditionnelles inscrites dans le « pacte » : il s'agit de travailler plus pour gagner plus, alors que leur charge de travail est déjà bien lourde. Nous sommes très fermement opposés à cette part conditionnelle de la revalorisation.

Je ne suis pas sûre que le gouvernement ait pris la mesure de la désaffection profonde qui frappe aujourd'hui le métier d'enseignant. Elle tient aussi à leurs conditions d'exercice, cela a été dit. À cet égard aussi, le projet de loi de finances interroge. Je pense aux suppressions de poste, qui sont dans le premier degré sont en décalage complet, à mon avis, avec les objectifs d'amélioration du taux d'encadrement. Nous nous sommes interrogés, avec Annick Billon et Max Brisson, dans notre rapport sur le bilan du dernier quinquennat en matière éducative publié au cours de la précédente session, sur les besoins suscités par ces mesures de dédoublement et de plafonnement des effectifs. 7 500 postes ont été supprimés entre 2018 et 2021. Dans certains établissements, la situation est très dégradée, comme je l'ai constaté dans mon département de la Drôme. Ces suppressions peuvent compromettre l'existence de l'association sportive ou la poursuite de l'éducation au développement durable, ou se traduire par des fermetures de classes qui impliquent des effectifs accrus et de moins bonnes conditions de travail et d'études.

S'agissant de l'école inclusive, on peut saluer la création de 4 000 postes d'AESH et la revalorisation de leur rémunération à partir de la rentrée de 2023. Mais leur situation précaire demeure une vraie préoccupation. Nous aurons l'occasion d'en débattre lors de l'examen de la proposition de loi relative à la rémunération des AESH et des assistants d'éducation, dont je suis rapporteure.

Quant au fonds d'innovation pédagogique (FIP), inscrit dans les crédits de la mission « Investir pour la France 2030 », il sera doté de 150 millions d'euros en 2023, dans le sillage de l'expérimentation conduite à Marseille. Cette logique d'appel à projet me paraît très contestable : on répond à la demande au lieu de répondre aux besoins ! Cette méthode pose la question des établissements qui ne seront pas en mesure, faute de temps par exemple, de présenter un projet. Elle est potentiellement créatrice d'inégalités. Nous avons constaté à Marseille que des établissements prioritaires étaient laissés au bord du chemin. Pour ma part, je préfère la logique de l'équité à celle du marché. Nous devons offrir à tous les enfants les mêmes chances. Mon groupe votera contre les crédits de cette mission.

Mme Céline Brulin. - Nous partageons les constats du rapporteur, mais cela va nous conduire à un vote différent du sien.

Je suis d'accord, l'effort de revalorisation des rémunérations porté par ce budget est réel, mais pas au point de produire le « choc d'attractivité » dont l'enseignement a besoin. Pour mémoire, les effectifs hospitaliers sont dans une certaine mesure comparables à ceux de l'éducation nationale. Or les 8,2 milliards d'euros consacrés à l'issue du Ségur de la santé n'ont pas produit les améliorations escomptées à l'hôpital. De ce fait, que peut-on attendre des 935 millions d'euros destinés aux enseignants ? Le déclassement et le décrochage actuels des enseignants sont le résultat d'un long gel du point d'indice. Ils confirment qu'il est plus sage de revaloriser régulièrement les personnels. Faute d'un tel choix, nous sommes aujourd'hui confrontés à des besoins considérables que nous peinons à financer.

Je considère par ailleurs que la baisse de la démographie scolaire ne devrait pas se traduire par des suppressions de postes, mais devrait être consacrée à l'amélioration du taux d'encadrement. Or, en la matière, les objectifs du précédent quinquennat ne sont pas atteints...

Je remercie le rapporteur pour les statistiques éclairantes qu'il nous a présentées, notamment en matière de démissions. Nous devrons être vigilants sur le nombre d'abandons précoces de nouveaux contractuels et sur la capacité du système à fidéliser ces personnels, et sur les moyens qui seront consacrés à la mise en oeuvre des dernières annonces sur le retour des mathématiques dans le tronc commun. Le FIP me semble par ailleurs poser plus de questions que nous n'avons de réponses, notamment sur le plan juridique et sur les critères de sélection des projets. Quant à la santé des jeunes, je rejoins l'analyse d'Annick Billon. Je crains un fâcheux manque d'ambition dans ce domaine de la part du gouvernement.

M. Julien Bargeton. - Comme dans les fables de La Fontaine, la morale par laquelle Jacques Grosperrin conclut son rapport est très importante. Bien sûr, tout ne va pas bien à l'éducation nationale, mais ce budget est en hausse de 6,5 %. L'augmentation des salaires des enseignants, à hauteur de 10 % en moyenne, est à saluer. 635 millions d'euros permettront une revalorisation inconditionnelle des rémunérations des enseignants. La hausse du point d'indice, très attendue, représente 1,7 milliard d'euros. S'agissant du FIP, 500 millions d'euros permettront d'ici 2027 de financer des projets locaux. Le Sénat ne peut que s'en réjouir, me semble-t-il. J'aimerais par ailleurs savoir quels autres vecteurs d'amélioration de la situation des enseignants, mis à part les salaires, pourraient être privilégiés pour lutter contre la crise d'attractivité de la profession.

Mme Monique de Marco. - Je remercie le rapporteur pour son analyse claire et précise. Les priorités du ministère de l'éducation nationale sont la revalorisation des rémunérations des personnels, la réussite de tous les élèves, l'école inclusive... De fait, le budget augmente de manière sensible, mais à hauteur de l'inflation. En comparaison, l'effort budgétaire effectué entre 2016 et 2017 (+4,8 %) était supérieur. De plus, je ne suis pas convaincue par la promesse de revalorisation de 10 %, qui vaut en réalité pour le quinquennat. Attendons la suite ! Quant au choc d'attractivité, je doute qu'il soit effectif. Une autre grille salariale semble en préparation, en réalité. Je m'inquiète du message que renvoie la création de 4 000 postes d'AESH alors que 2 000 postes d'enseignants sont supprimés. Je m'associe également aux remarques précédentes sur la médecine scolaire. Le ministre n'a pas apporté de réponse précise, la semaine dernière, à nos interrogations sur ce sujet. Enfin, nous devrons être vigilants à l'égard de la réforme annoncée de l'enseignement professionnel, après le débat qui a eu lieu cette semaine dans notre hémicycle.

Mon groupe votera contre l'adoption des crédits de cette mission.

M. Bernard Fialaire. - En matière d'enseignement, nous avons déjà touché le fond ; nous sommes donc en train de remonter ! L'état de la médecine scolaire reflète celui de la médecine en général et rejoint le problème des déserts médicaux. Plus que de médecins, qui sont de toute façon trop peu nombreux, on a besoin d'infirmières, de psychologues et d'assistants sociaux dans les établissements. Dans le cadre de partenariats avec les départements, les PMI et, de manière générale, les services médico-sociaux des départements pourraient être mis à contribution. Cela pourrait être plus efficace que la médecine scolaire, qui n'a pas les moyens d'aller vers les familles, mais demeure au sein des établissements.

En ce qui concerne Parcoursup, dont nous avons débattu lundi soir en séance publique, on note des inégalités dans l'accès aux informations sur l'orientation. Selon moi, les régions doivent être associées : là encore, une logique de partenariat pourrait apporter des solutions.

J'ai par ailleurs appris avec étonnement que le fonds de soutien aux activités périscolaires diminuait en raison d'une baisse de la consommation effective de ces crédits par les communes. Enfin, mon attention a été attirée sur la participation de celles-ci aux dépenses de fonctionnement des établissements privés sous contrat. Il semble qu'actuellement ces charges augmentent, en lien probablement avec le prix de l'énergie. Il semble aussi que l'augmentation du nombre d'élèves scolarisés dans le privé contribue à accroître cette charge financière. La désaffection pour l'école publique est une dimension importante de cette question. On le constate notamment au niveau des lycées et des CPGE. En outre, je me réjouis de la création de 100 postes de CPE dans le projet de budget pour 2023, ainsi que de l'augmentation des heures de décharge pour les directeurs d'école.

Mon groupe suivra l'avis de notre rapporteur.

M. Max Brisson. - Je salue l'expertise de notre rapporteur. Cette analyse aurait pu justifier un vote défavorable, en dépit de l'augmentation des crédits et de la revalorisation des rémunérations des personnels, qui plaident quant à elles pour son approbation. Mais les rémunérations ne sont pas la seule solution à la crise actuelle. Je ne vois pas, dans ce budget, la réforme de fond qu'exige la situation des enseignants, à commencer par la fin du « bizutage institutionnel » qui caractérise les débuts dans le métier. Les néotitulaires ont besoin d'un vrai accompagnement, notamment dans les établissements difficiles où ils sont envoyés comme les « Marie-Louise » du premier Empire : qu'en est-il concrètement ? On ne voit aucun signe d'une intention d'améliorer leur accompagnement dans ce budget. De même, l'approche des ressources humaines doit être plus individualisée. Si cette orientation était mise en oeuvre, cela aurait une traduction dans le budget !

Nous connaissons la désaffection dramatique pour les concours d'enseignants qui résulte de cette situation, avec pour conséquence un recours accru aux contractuels dont l'effectif peut atteindre 20% des professeurs devant les élèves.

L'entrée dans le métier relève du pilotage à vue. La même réflexion vaut pour l'accompagnement des nouveaux contractuels.

Nous devrons, dans l'hémicycle, exprimer clairement nos protestations et critiques. Depuis juin 2022, ce ministère vit dans un flou parfaitement entretenu. L'objectif est de calmer la colère des professeurs, qui était très forte au moment du départ de Jean-Michel Blanquer. De fait, l'objectif est atteint, mais au prix d'un pilotage à vue très perceptible...

Quoi qu'il en soit, comme l'a indiqué Stéphane Piednoir, notre groupe suivra les conclusions du rapporteur mais nous ne manquerons pas de critiques dans l'hémicycle lorsque la mission sera examinée.

M. Laurent Lafon, président. - En judo, on dit : « Il faut choisir entre avoir raison et réussir »...

M. Pierre Ouzoulias. - Le président a raison, la sagesse japonaise devrait inspirer notre réflexion.

La réforme du lycée de Jean-Michel Blanquer est un échec total. Il faudra y revenir. Le Parlement n'y a aucunement été associé, ce qui est très regrettable. Certes, ces mesures relevaient du domaine règlementaire, mais un débat aurait permis de nourrir notre réflexion. Il semble que le nouveau ministre ait pour objectif de défaire ce qui a été fait par son prédécesseur - cette méthode n'est pas sans précédent depuis 2017. Selon moi l'effondrement de l'éducation nationale n'est pas loin : il y a urgence.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - Comme l'a relevé Max Brisson, on ne voit pas où va ce ministère.

Je vous rejoins, mes chers collègues, sur le FIP : c'est à croire que les écoles et les établissements n'ont pas de projet. Or ils en ont, nous le voyons bien sur le terrain ! Pour l'heure, nous devons nous prononcer sur le budget, en tant que commission saisie pour avis. Comment expliquer à un enseignant débutant, dont nous connaissons la faible rémunération, que l'on ne vote pas un budget comportant des mesures de revalorisation qui lui sont destinées ? Au-delà des questions budgétaires, je ne suis pas certain que la feuille de route du ministre actuel soit très claire, notamment dans le domaine de la laïcité. Or ce ministère a besoin d'une vision claire sur l'avenir de l'éducation nationale. Nous attendons du ministre des réponses concrètes. Nous serons particulièrement vigilants en séance publique sur ce point et peut-être ferons-nous évoluer notre position à ce moment-là.

Mme Sylvie Robert. - C'est donc un avis de sagesse ?

M. Bruno Retailleau. - C'est la conviction qui fait l'honneur de la politique. Notre rapporteur est partagé entre ses constats critiques et le vote favorable de la commission des finances. À titre personnel, je pense qu'un avis de sagesse pourrait peut-être concilier ces exigences. Mais je m'en remettrai naturellement à l'avis du rapporteur et à l'appréciation de la commission.

M. Laurent Lafon, président. - Un avis de sagesse serait peut-être une façon de ne pas s'exprimer : est-ce cohérent quand on est saisi pour avis ?

M. Max Brisson. - Nous devrons être attentifs au message que nous enverrons par notre vote aux enseignants - je pense plus particulièrement aux enseignants débutants, qui sont dans certaines métropole en situation de pauvreté - alors que leurs rémunérations sont enfin revalorisées. Mais ne nous leurrons pas : l'argent n'a jamais suffi à réparer des systèmes en panne. Une réforme ambitieuse, systémique, s'impose : nous sommes d'accord sur les constats, même si nous ne nous rejoindrons pas nécessairement sur les conséquences qui doivent en être tirées.

M. Pierre Ouzoulias. - Je vous rassure, mon cher collègue, notre groupe va voter contre ce budget, comme c'est le cas depuis des années, et nous n'aurons aucune difficulté à nous en expliquer auprès des enseignants ! Pour nous, la revalorisation prévue par le PLF est insuffisante.

M. Julien Bargeton. - Nous sommes confrontés à une divergence de vues entre le rapporteur spécial et le rapporteur pour avis, pourtant membres du même groupe...

M. Jacques Grosperrin. - Avant que nous nous prononcions, je souhaiterais apporter très brièvement quelques éléments de réponse.

La revalorisation des rémunérations est bienvenue, ce qui n'empêche pas un regard critique sur ce budget. Le temps de travail des enseignants est considérable : selon une étude récente, ils déclarent entre 35 et 60 heures par semaine dans le premier degré ; entre 33 et 65 heures dans le second degré. Stéphane Piednoir a évoqué le décrochage et les médiocres performances de la France dans les classements internationaux : l'héritage est là ! Dans cette logique, le renforcement des horaires de maths obligatoire va dans le bon sens. Le budget traduit des efforts certains en matière d'investissement immobilier, notamment dans les outre-mer. La médecine scolaire subit un manque d'attractivité évident, en lien probablement avec des rémunérations trop faibles. La proposition de loi que Marie-Pierre Monier va rapporter permettra une réflexion utile et éclairera le débat. S'agissant du FIP, je le répète, les établissements avaient des projets avant cette annonce ! La baisse de la démographie scolaire aurait pu justifier une diminution plus brutale du nombre de postes d'enseignants. Ces 2 000 postes supprimés auraient pu néanmoins permettre d'améliorer le taux d'encadrement. Les postes non pourvus s'élèvent à 1 686 dans le premier degré ; 2 070 dans le second degré, soit au total 3 756. Les démissions concernent malheureusement les enseignants les plus jeunes : les moins de 40 ans représentent 51% des démissionnaires dans le premier degré ; 45% dans le second degré. On comptait 1 499 démissions en 2020-2021 dans le premier degré ; 912 dans le second degré. L'augmentation des crédits de la mission ne doit pas, à mon avis, s'apprécier uniquement à l'aune de l'inflation. Quant au « bizutage institutionnel », il appelle une réforme de fond, je suis d'accord avec Max Brisson.

M. Laurent Lafon. - Mes chers collègues, je vous propose de suspendre brièvement notre réunion avant de passer au vote.

(La réunion est suspendue)

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collèges, nous reprenons nos échanges.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis. - Entre réussir et avoir raison, nous choisissons la réussite du système éducatif pour les prochaines années et, à ce titre, je propose que nous nous abstenions sur le vote de ces crédits.

La commission a décidé de s'abstenir sur l'adoption des crédits de la mission « Enseignement scolaire » du projet de loi de finances pour 2023 et s'en remettra, dans ces conditions, à la sagesse du Sénat.

Projet de loi de finances pour 2023 - Crédits « Jeunesse et vie associative » - Examen du rapport pour avis

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis sur les crédits Jeunesse et vie associative. - Le programme 163 est doté, dans le projet de loi de finances pour 2023, de 837,08 millions d'euros. Les crédits connaissent une augmentation de 65 millions d'euros, soit de plus de 8 % par rapport à l'année dernière.

Mais une fois encore, l'augmentation de ce budget pour l'année à venir demeure en grande partie absorbée par la montée en charge du service national universel. Les crédits qui y sont consacrés augmentent de 30 millions d'euros, alors même que la mise en oeuvre et la pérennisation de ce dispositif suscitent encore de nombreuses questions. J'y reviendrai.

Les crédits en faveur du service civique inscrits dans le programme 163 sont également en augmentation. Une enveloppe complémentaire de 20 millions d'euros doit permettre à l'Agence du service civique de poursuivre ses activités en 2023.

Toutefois, cette évolution favorable du budget doit être nuancée ; il ne faut pas oublier que le service civique bénéficiait également l'année dernière de 201 millions d'euros supplémentaires issus du Plan de relance. Si l'Agence du service civique assure pouvoir continuer de mener à bien ses missions en 2023 dans ces conditions, je regrette tout de même que ces crédits ne soient pas pérennisés. Le service civique est pourtant un dispositif pertinent, qui démontre chaque année son efficacité en termes d'accompagnement des jeunes, d'insertion et d'engagement.

Ce budget pour 2023 appelle également deux autres remarques générales :

- Tout d'abord, l'effort en faveur de la jeunesse et de l'éducation populaire doit être souligné. En 2023, une enveloppe complémentaire de 6,8 millions d'euros permettra, d'une part, de financer les mesures relatives aux Assises de l'animation annoncées par la secrétaire d'Etat Sarah El Haïry en février dernier. Ces mesures ont notamment pour ambition de renforcer l'accès à la formation et d'améliorer la qualité de l'emploi pour les animateurs professionnels. Ces crédits permettront aussi, d'autre part, de financer le « plan mercredi ». Ce plan, pour rappel, vise à permettre à tous les enfants d'accéder à des activités éducatives organisées en lien avec le temps scolaire.

J'attire un instant votre attention sur la pérennisation des postes créés pendant la crise sanitaire pour le dispositif « Fonjep Jeunes ». Je vous rappelle qu'en 2021 et 2022, un soutien renforcé avait été apporté aux associations intervenant dans les champs de la jeunesse et de l'éducation populaire avec le subventionnement de 2 000 « postes Fonjep » supplémentaires sur le Plan de relance. Leur financement est désormais intégré au sein du programme 163. Ces postes Fonjep sont particulièrement importants : ils sont attribués pour trois ans, ce qui offre une certaine visibilité à long terme pour l'association bénéficiaire.

- Toutefois, les crédits en faveur du développement de la vie associative sont en baisse pour 2023, sous l'effet notamment de la diminution des crédits consacrés au compte d'engagement citoyen. En effet, le dispositif a été moins sollicité que prévu par les bénévoles éligibles.

Cette baisse du budget alloué au monde associatif est particulièrement préoccupante. Plus que jamais, il m'apparait au contraire essentiel de renforcer davantage le soutien aux associations, qui peinent à retrouver leur dynamisme d'avant-crise. Le secteur associatif a perdu environ 15 % de ses bénévoles entre 2019 et 2022 !

Par ailleurs, l'activité bénévole est souvent trop peu valorisée en dehors de la sphère associative. Le bénévolat doit être davantage reconnu et encouragé.

Si des dispositifs à destination des bénévoles existent, à l'instar du CEC, du passeport bénévole ou encore du congé engagement, ils demeurent trop faiblement utilisés par les bénévoles éligibles, car peu connus par ces derniers.

Au lendemain d'une crise sanitaire qui les a durement éprouvées, les associations se heurtent désormais à une véritable crise du bénévolat, à laquelle vient s'ajouter la crise énergétique. Le tissu associatif local en est fortement fragilisé et doit plus que jamais être soutenu.

Aussi, face aux besoins croissants, je regrette que le montant alloué au FDVA soit à nouveau en stagnation. Le FDVA est pourtant un outil financier majeur pour la promotion et le développement de la vie associative.

En 2021, le « FDVA 1 » a permis de former près de 240 000 personnes. Toutefois, les possibilités de formation offertes restent en deçà des demandes des bénévoles puisque seulement 66% du nombre de bénévoles demandeurs a pu accéder aux formations proposées durant l'année.

Depuis 2018, vous le savez, le FDVA s'est vu confier la responsabilité d'attribuer aux associations les fonds anciennement versés au titre de la réserve parlementaire.

Ainsi, les crédits du « FDVA 2 » - destinés au soutien aux projets et à l'innovation - permettent aux petites associations de tous les territoires d'effectuer des demandes de subventions.

Mais ce dispositif est très lourd pour les petites associations et manque de lisibilité. Son efficacité n'est pas satisfaisante : en 2021, 46,85 millions d'euros ont été accordés et versés, représentant seulement 38 % du montant total demandé. Plus d'une association sur 5 ayant présenté une demande s'est vu refuser un financement.

Par ailleurs, le FDVA bénéficie également depuis 2021 d'un abondement annuel venant des comptes inactifs des associations en déshérence. La quote-part est aujourd'hui fixée à 20 %. Cela représente 17,5 millions d'euros pour 2023, comme en 2022. Une hausse de cette quote-part me parait indispensable pour répondre à l'ensemble des demandes et prévenir les difficultés à venir, face à l'inflation et aux coûts supplémentaires auxquels les associations vont devoir faire face dans les prochains mois.

J'aimerais maintenant revenir au service national universel. Eu égard aux modalités de déploiement du dispositif cette année, je suis particulièrement sceptique quant à sa montée en charge.

Premier constat : trois ans après sa première expérimentation, le dispositif peine encore à décoller. Concernant la phase 1 et pour la première fois cette année, trois sessions ont été organisées en février, juin et juillet. Pourtant, seulement 32 000 volontaires ont effectué un séjour de cohésion en 2022, loin de l'objectif de 50 000 volontaires fixé initialement. Le gouvernement vise pour 2023 le nombre de 60 000 volontaires effectuant la phase 1 du SNU. Au vu du peu d'engouement suscité depuis sa mise en place, cet objectif me parait une nouvelle fois bien trop ambitieux.

Je m'inquiète également du recours massif au Contrat d'engagement éducatif pour recruter les encadrants du séjour de cohésion. Ce type de contrats permet à ceux qui en bénéficient de participer occasionnellement à des fonctions d'animation ou de direction d'un accueil collectif de mineurs à caractère éducatif, à l'occasion de vacances scolaires, de congés professionnels ou de loisirs. Il est mobilisable pour une période maximum de 80 jours sur une période de 12 mois. Il n'est en aucun cas adapté aux particularités et aux exigences du SNU.

Quant à la phase 2, c'est-à-dire, la mission d'intérêt général pendant 15 jours ou 84 heures, trop de peu de jeunes encore la réalisent. À ce jour, seulement 3,5 % des volontaires ayant effectué l'un des trois séjours de cohésion en 2022 ont réalisé leur MIG et 40 % sont en cours de recherche ou de réalisation !

Parmi les principaux freins, les jeunes ne repèrent pas toujours les structures susceptibles de les accueillir, ou font face à une offre limitée sur leur territoire et à des problèmes de mobilité.

Dans ces conditions, la montée en charge du dispositif interroge. Je l'avais déjà indiqué l'année dernière : il est urgent d'avoir une réflexion de fond sur les objectifs du SNU et sur son déploiement à long terme.

Il pourrait par exemple être opportun de réformer le contenu des séjours de cohésion pour le rapprocher de celui de la session de formation générale au BAFA. Cela pourrait permettre aux volontaires d'obtenir, à l'issue de la phase 1 du SNU, la qualité d'animateur stagiaire. Un tel rapprochement permettrait d'encourager fortement les participants au SNU à poursuivre ensuite la formation pour obtenir le BAFA et permettrait ainsi d'enclencher une nouvelle dynamique au sein des deux dispositifs.

Je terminerais d'ailleurs en évoquant la situation inquiétante du BAFA, qui connait depuis plusieurs années une baisse drastique du nombre de candidats.

Si l'année 2021 a vu une hausse de 8 % du nombre de brevets délivrés, le niveau d'avant la crise est loin d'avoir été retrouvé, sachant que le nombre de brevets délivrés avait déjà fortement baissé entre 2016 et 2019.

Comme je l'indiquais, des aides ont déjà été mises en place dans le cadre des assises de l'animation. Parmi elles, une aide exceptionnelle a été accordée en 2022 à 20 000 jeunes qui terminent leur formation BAFA et l'âge minimum d'entrée en formation a été abaissé à 16 ans. Ces initiatives doivent être saluées.

Mais face à l'ampleur des besoins, il est essentiel de redonner encore davantage aux jeunes l'envie de s'investir dans ces secteurs en crise. 

La rentrée scolaire 2021 a été marquée par de grandes difficultés de recrutement dans le secteur des accueils collectifs de mineurs - 80 % des opérateurs ayant éprouvé des difficultés pour recruter de la main-d'oeuvre.

C'est notamment le cas des colonies de vacances. Or, la diminution du nombre de départs en colonie de vacances a également des conséquences, à moyen terme, sur le nombre de candidats en BAFA, la plupart des candidats ayant déjà participé à des séjours collectifs. Il m'apparait donc important de soutenir également la dynamique des colonies de vacances pour élargir le vivier de candidats potentiels au BAFA. C'est pourquoi je tenais à réitérer mon appel à la création d'un « pass colo » à destination des enfants de 9 à 11 ans, soit de CM1/CM2, afin d'inciter et soutenir financièrement le départ des enfants en séjours collectifs.

Je conclurais donc en rappelant que les crédits du programme 163 sont en augmentation pour 2023. Néanmoins, je suis sceptique sur l'utilisation de ces millions d'euros supplémentaires, dont une majorité pourrait à mon sens être mieux utilisée en faveur d'autres dispositifs du programme. C'est la raison pour laquelle je propose que notre commission s'en remette à la sagesse du Sénat. 

Mme Elsa Schalck. - Je tiens à saluer le travail accompli par le rapporteur et à le remercier de nous avoir conviés aux auditions organisées dans le cadre de la préparation de son rapport.

Nous constatons que la hausse du budget du programme 163 est cette année encore majoritairement consacrée au financement du déploiement du service national universel (SNU), dispositif sur lequel nous souhaitons continuer à émettre de nombreuses réserves. Celui-ci se caractérise toujours par un manque criant de visibilité et de lisibilité, une sur-estimation manifeste et systématique du nombre de participants attendus et des difficultés récurrentes en termes de logistique. Nous nous étonnons, dans ces conditions, que le gouvernement s'entête à envisager de généraliser le SNU.

Un certain nombre de questions restées sans réponse entourent d'ailleurs ce dispositif. Nous pensons plus particulièrement à celles relatives à l'identité et à la formation des encadrants, à celles concernant l'intérêt du séjour de cohésion et à celles associées aux modalités de financement de la généralisation envisagée par le gouvernement, dont le coût avoisinerait les 1,7 milliard d'euros. Nous estimons, comme vient de le souligner le rapporteur, qu'il est grand temps de donner au Parlement l'opportunité de débattre de l'avenir de ce dispositif.

Nous nous félicitons en revanche du succès rencontré par le service civique, dont les crédits progresseront de vingt millions d'euros en 2023. Nous constatons avec satisfaction son déploiement progressif en milieu rural depuis 2021. Nous appelons de nos voeux la mise en oeuvre d'une communication appropriée afin de porter les informations relatives aux contours et aux modalités de ce dispositif aux jeunes concernés.

Pourtant annoncée comme prioritaire par le Président de la République, on ne peut que regretter que la politique du gouvernement en faveur de la jeunesse de France se trouve éparpillée entre plusieurs ministères et différentes missions budgétaires, ce qui nuit à sa lisibilité et occulte sa compréhension.

Après une crise sanitaire qui a considérablement fragilisé le tissu associatif et au moment où les associations font face aux surcoûts liés à l'explosion de leurs dépenses énergétiques, il est regrettable de constater une stagnation du montant des crédits alloués au FDVA et une baisse de ceux consacrés au compte d'engagement citoyen. Il serait d'ailleurs opportun de songer à articuler le FDVA avec d'autres dispositifs, comme ceux destinés à la valorisation de la formation des bénévoles.

La baisse des demandes de subventions constatée au titre du FDVA traduit selon nous le manque de lisibilité de ses critères de financement et la lourdeur des procédures imposées aux associations, en particulier les plus petites. Il est impératif de procéder rapidement à l'amélioration de ces critères et à la simplification de ces procédures.

Pour toutes ces raisons, les membres de mon groupe s'abstiendront sur le vote des crédits consacrés à la jeunesse et à la vie associative.

Mme Sylvie Robert. - Je tiens à mon tour à remercier le rapporteur pour la qualité de sa présentation. Nous ne pouvons que regretter la baisse des crédits consacrés à la vie associative alors que la plupart des structures n'ont pas encore retrouvé leur rythme de croisière. C'est un signal négatif adressé tant aux associations qu'aux bénévoles qui les animent.

S'agissant du SNU, je me demande si la secrétaire d'État croit vraiment à l'avenir du dispositif dont elle s'emploie, avec un certain talent, à nous vanter les mérites. Il est d'ailleurs paradoxal de souhaiter permettre à l'ensemble d'une classe d'âge de faire cohésion quand un si petit nombre de jeunes participent effectivement au dispositif chaque année. On peut par conséquent estimer que les trente millions d'euros supplémentaires alloués au SNU en 2023 auraient été plus profitables au soutien de la vie associative et du service civique ou à la création d'un véritable écosystème autour du BAFA et des colonies de vacances.

Au regard de son manque d'attractivité et de son coût, j'espère que le SNU sera bientôt arrêté.

Nous suivrons bien entendu l'avis du rapporteur.

M. Claude Kern. - Nous ne pouvons que regretter la diminution des crédits consacrés au monde associatif au moment où ses acteurs doivent faire face à l'inflation et au renchérissement significatif du coût de l'énergie. Je rappelle que ce secteur concerne pas moins de treize millions d'adhérents, vingt et un millions de bénévoles et un million huit cent mille salariés soit près de dix pour cent des emplois privés. Je déplore que l'ensemble des mesures visant à valoriser l'engagement bénévole proposées par le Sénat à l'occasion de l'examen de la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France n'aient pas été retenues par le gouvernement.

Je constate, comme d'autres, que les procédures permettant de bénéficier du FDVA demeurent trop lourdes et trop complexes pour les petites associations. Nous attendons donc avec impatience la mise en oeuvre des mesures de simplification annoncées hier soir par Marlène Schiappa.

Si je me félicite de la poursuite de l'effort budgétaire réalisé en faveur du service civique, qui connaît un véritable engouement auprès des jeunes, je serais en revanche plus critique à l'égard du service national universel. On peut en effet douter que ce dispositif soit en mesure de contribuer efficacement au développement de l'autonomie et des compétences réelles de nos jeunes. On constate au contraire une inadéquation flagrante entre ce dispositif et leurs attentes alors que de nombreux secteurs économiques en crise de recrutement n'y sont pas associés. La question de l'avenir de ce dispositif est clairement posée.

Au final, la stratégie du gouvernement à l'égard de la jeunesse demeure particulièrement floue.

Notre groupe s'abstiendra sur l'adoption de ces crédits.

Mme Céline Brulin. - Ce projet de budget destiné à la jeunesse frise l'insincérité compte tenu des hypothèses envisagées par le gouvernement concernant l'avenir du SNU. En effet, l'augmentation des crédits proposée par le gouvernement en 2023 ne permettrait en aucun cas de financer une éventuelle généralisation du dispositif et s'avérerait totalement inutile si celui-ci devait a contrario être intégré au temps scolaire. En résumé, il s'agit d'une hausse des crédits en trompe-l'oeil, et ceux-ci seraient bien mieux employés à soutenir les associations et les autres dispositifs destinés à la jeunesse.

Je partage ce qui a déjà été dit concernant le FDVA dont il faut augmenter les crédits et simplifier les procédures . Les calendriers que les associations sont tenues de respecter dans le cadre de leurs demandes de subventions me paraissent ainsi totalement inadaptés. Je n'en demeure pas moins inquiète, car, lorsqu'un membre du gouvernement annonce une simplification, l'expérience montre que les choses ont plutôt tendance à se complexifier ...

Je forme le voeu que les dispositifs créés par le gouvernement pour aider les associations à faire face à la hausse des coûts de l'énergie soient d'une plus grande simplicité.

En tout état de cause, notre groupe votera contre l'adoption de ces crédits.

Mme Monique de Marco. - Nous nous félicitons de l'augmentation des crédits alloués à la jeunesse et à l'éducation populaire, mais regrettons la baisse de ceux destinés au soutien à la vie associative au moment où nous constatons une diminution du bénévolat dans toutes les catégories d'associations.

Nous considérons nous aussi qu'il est nécessaire d'avoir un débat de fond sur l'avenir du SNU.

Nous nous inquiétons de la perte d'intérêt des jeunes de nos territoires pour le BAFA et de la désaffection des familles pour les colonies de vacances.

Considérant que les millions d'euros alloués à ce budget pourraient être utilisés différemment, nous suivrons l'avis de sagesse proposé par le rapporteur.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur pour avis. - J'ai apprécié le terme d'écosystème employé par Sylvie Robert. Il résume bien ce continuum, dont le service universel ne fait pas partie, partant de l'école élémentaire, passant par le collège et se terminant par le service civique.

Au regard de vos interventions, je vous proposerais de nous abstenir sur l'adoption de ces crédits.

La commission a décidé de s'abstenir sur l'adoption des crédits du programme « jeunesse et vie associative », au sein de la mission Sport, jeunesse et vie associative du projet de loi de finances pour 2023 et s'en remettra, dans ces conditions, à la sagesse du Sénat.

La réunion est close à 12 h 05.

Projet de loi de finances pour 2023 - Crédits du compte de concours financier « Avances à l'audiovisuel public » - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons à présent le rapport pour avis de notre collègue Jean-Raymond Hugonet sur le projet de loi de finances pour 2023.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel public. - L'année dernière, à l'occasion de l'examen des crédits de l'audiovisuel pour 2022, nous avions pu constater que le bilan du quinquennat se limitait pour l'essentiel à un travail d'assainissement budgétaire. Nous pouvions espérer alors que la campagne présidentielle serait l'occasion de voir émerger un projet pour l'avenir de l'audiovisuel public dans le cadre d'un paysage largement bouleversé par l'arrivée des plateformes.

Non seulement aucun projet n'a émergé au cours des derniers mois mais rarement la situation du secteur aura paru aussi confuse. Permettez-moi de résumer la situation en quelques points :

- la nouvelle ministre de la culture a clairement indiqué que l'évolution du secteur n'était pas sa priorité même si elle n'exclut pas totalement le lancement d'une réforme au printemps 2023 ;

- l'élaboration de nouveaux COM a été reportée d'une année. Il faudra donc attendre la fin 2023 pour connaître les objectifs et les moyens que l'actionnaire public entend assigner aux entreprises de l'audiovisuel public pour la période 2024-2028. D'ici là nous sommes, au choix, dans l'attente ou dans la continuité ;

- la suppression de la CAP cet été s'est accompagnée d'une solution de financement provisoire mais il n'existe aucune indication sur la solution qui sera retenue à partir de 2025, ce qui crée un climat d'incertitude préjudiciable dans les entreprises concernées ;

- la fusion avortée entre TF1 et M6 fragilise aujourd'hui ces deux groupes privés mais aussi France Télévisions puisque la plateforme SALTO apparaît aujourd'hui condamnée du fait des difficultés des trois actionnaires à poursuivre leur coopération. Par ailleurs, la fusion aurait eu un effet de rattrapage sur les prix de la publicité qui aurait également profité à France Télévisions. Le groupe public est donc doublement pénalisé.

Au final, 2023 apparaît déjà comme une nouvelle année de transition. Pour que cette année ne devienne pas une « année blanche », nous devrons veiller à faire vivre nos propositions et je pense en particulier à celles formulées dans le rapport de juin dernier préparé conjointement avec la commission des finances concernant à la fois les garanties à apporter au financement et l'impérative nécessité de regrouper les moyens de l'audiovisuel public pour assurer sa pérennité.

Nous aurons prochainement l'occasion d'examiner les avenants aux COM 2019-2022 préparés pour l'année 2023. Je ne rentrerai donc pas dans le détail des objectifs des entreprises de l'audiovisuel public pour me concentrer plutôt sur les moyens budgétaires accordés l'année prochaine.

Une première remarque concerne le mode de financement de l'audiovisuel public. La suppression de la CAP n'a pas remis en cause l'existence du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ». Les recettes du compte sont désormais alimentées par une affectation d'une fraction du produit de la TVA correspondant au niveau de dépenses prévues par la trajectoire financière de l'audiovisuel public. C'est donc une forme de statu quo qui prévaut dans l'affectation des recettes puisque le niveau total des recettes est fixé en première partie du PLF et ne peut plus être modifié en seconde partie. Je note qu'aucun des dirigeants des entreprises concernées n'a émis de réserve sur le financement par une part de TVA. Il y a même un consensus sur le fait qu'il serait souhaitable de conserver un financement par la TVA après 2025.

Si le niveau des recettes est préservé, on ne peut que regretter que le Gouvernement ait renoncé à créer une instance indépendante qui aurait été chargée de proposer une évaluation pluriannuelle des besoins de l'audiovisuel public comme j'en avais fait la proposition avec notre collègue de la commission des finances Roger Karoutchi en juin dernier.

Le Gouvernement reste donc le seul décisionnaire pour évaluer et répartir les moyens qui figurent dans ce PLF. Il est d'autant plus regrettable dans ces conditions qu'il n'explicite pas véritablement ses choix comme l'a montré l'absence de réponse claire à la question que j'avais posée à la ministre de la culture sur ce point lors de son audition budgétaire.

J'observerai ensuite que les crédits de l'audiovisuel public dans le PLF 2023 s'inscrivent dans le prolongement de la trajectoire budgétaire décidée en 2018.

On constate une hausse des crédits de plus de 3 %, ces derniers passant de 3,7 Mds€ à 3,816 Mds€. Les nouvelles dotations n'étant pas soumises à la TVA, les moyens seront en réalité plus importants pour les entreprises qui ne pouvaient la déduire (France Télévisions, Radio France et TV5 Monde) ce qui, selon le Gouvernement, doit permettre de compenser les surcoûts liés à l'inflation. A contrario, pour France Médias Monde, Arte France et l'INA, la perte du droit de déduire la TVA a pour conséquence d'augmenter leurs charges de 15,4 M€ en 2022 et de 36 M€ en 2023 ce qui explique en particulier la hausse plus forte des moyens de France Médias Monde et de Arte France.

La suppression de la CAP intervenue cet été a eu par ailleurs pour conséquence de soumettre les entreprises de l'audiovisuel public au paiement de la taxe sur les salaires. Le montant total dont les entreprises devront s'acquitter en 2023 est évalué par la direction du budget à 42,6 M€.

Lorsqu'on examine les chiffres dans le détail, on constate que la hausse des crédits permet dans tous les cas de compenser les incidences fiscales de la suppression de la CAP. Le Gouvernement estime par ailleurs que les moyens accordés permettent également de compenser les charges additionnelles induites par l'inflation à hauteur de 78,7 M€.

J'en viens maintenant à la situation des différents opérateurs.

Concernant tout d'abord France Télévisions, la mise en oeuvre du budget de l'entreprise en 2022 a donné lieu à 3 évolutions notables par rapport au budget initial : un accroissement des recettes publicitaires (+ 7,3 M€), une augmentation du coût de grille due à l'information, au sport et au programme national (+ 12,3 M€) et une nouvelle dotation à Salto à hauteur de 26,8 M€. Si le résultat d'exploitation demeure à l'équilibre, le résultat net de l'entreprise se dégrade en 2022 à -31,8 M€.

Concernant l'évolution de l'entreprise, on constate que la diminution du nombre de salariés qui avait été forte de 2017 à 2020 marque le pas aujourd'hui. Le plan de départs volontaires s'est traduit par 1 481 départs et 813 embauches, soit un solde négatif de 688 salariés entre juin 2019 et août 2022. L'État a participé à ce plan de départs à hauteur de 47,1 M€ sur 3 ans.

France Télévisions n'aborde pas l'année 2023 de la meilleure façon. L'échec de la fusion entre TF1 et M6 laisse intacte la question de l'avenir de Salto qui demeure un centre de coûts important tandis que l'entreprise reste en attente de décisions stratégiques qui lui permettraient de réduire ses coûts, je pense en particulier au rapprochement organique entre France 3 et France Bleu qui peine à se concrétiser alors qu'il permettrait des économies substantielles.

Dans ces conditions, de nombreux périls menacent l'entreprise : une baisse des recettes publicitaires n'est pas à exclure en 2023 en cas de récession aggravée et des tensions sur les coûts pourraient s'accentuer si l'inflation poursuit son ascension au-delà de la prévision officielle. La direction de l'entreprise évalue à 95 M€ la hausse des charges induite par l'inflation, l'assujettissement à la TVA et la hausse de certains reversements. Elle estime que la hausse des concours publics qu'elle évalue à 50,7 M€ ne permettra pas de compenser la totalité des charges.

De son côté, le Gouvernement estime que la comparaison pertinente doit être faite entre les crédits de 2022 hors taxes et les crédits prévus en 2023 TTC car la nouvelle ressource n'est pas soumise à la TVA. De ce fait, la hausse des moyens alloués à l'entreprise à hauteur de + 73,2 M€ permettrait de couvrir les 47 M€ de surcoûts induits par les effets de l'inflation en plus du coût de la taxe sur les salaires.

Lors de son audition, Delphine Ernotte a indiqué qu'il devenait impossible de construire l'équilibre budgétaire sans toucher à la qualité des programmes. Pour ma part, je considère que l'entreprise fait aussi face à ses choix (l'échec coûteux de Salto) et ses non-choix concernant l'insuffisance des mutualisations avec les autres entreprises de l'audiovisuel public.

J'aborde maintenant la situation de Radio France. En 2022, l'entreprise a également connu une progression de ses recettes publicitaires notamment sur le numérique par rapport au budget initial. Les charges se sont alourdies du fait d'un renchérissement du coût des achats et d'une hausse des charges de personnel. Au final, le résultat net qui aurait dû être positif devrait se transformer en déficit en fin d'année.

Pour 2023, la dotation attribuée à Radio France qui s'établit à 623,4 M€ inclut 13,7 M€ de subvention d'investissement et 12 M€ pour compenser l'assujettissement à la taxe sur les salaires. La direction de l'entreprise estime que la dotation ne prend en compte qu'une partie des coûts liés à l'évolution mécanique des charges et aux coûts liés à l'inflation que subit l'entreprise. Elle chiffre les surcoûts liés à l'inflation à 5 M€ en 2022 et à 15 M€ en 2023.

Concernant l'évolution des effectifs, l'entreprise estime que 85 % de l'objectif du plan de rupture conventionnelle collective (RCC) sera atteint d'ici fin 2022. La participation de l'État aura été de 16,6 M€ sur 3 ans. La transformation de l'entreprise est appelée à se poursuivre mais, faute de nouveau COM, les décisions stratégiques sont reportées à l'année prochaine.

Les moyens d'ARTE France connaissent une nette hausse de près de 9 % pour atteindre 303 M€. Cette hausse met un terme à une baisse continue des moyens depuis 2018 qui a sensiblement pénalisé le développement de la chaîne franco-allemande. Bruno Patino estime que ce « petit rebond » ne permettra pas de reprendre le développement de l'entreprise d'autant plus qu'il servira en particulier à compenser les charges nouvelles que représentent la non-déductibilité de la TVA et l'assujettissement à la taxe sur les salaires qui devraient peser à hauteur de 19,7 M€ dans les comptes d'ARTE France en 2023. La hausse des crédits doit permettre également de compenser la hausse des charges liées à l'inflation à hauteur de 1,6 M€.

Les moyens restants évalués à 9,3 M€ serviront à reconstituer les stocks de programmes, à compenser la hausse du coût des programmes et à accroître les réserves de l'entreprise. Malheureusement, les moyens accordés ne permettront pas à ARTE de lancer son projet de plateforme européenne que je soutiens personnellement depuis deux ans. C'est une nouvelle occasion manquée alors que les relations franco-allemandes ont connu des jours meilleurs et que ce projet aurait pu donner du sens au 60ème anniversaire du traité de l'Élysée qui devrait être célébré le 22 janvier 2023. La DGMIC m'a indiqué que le projet de plateforme pourrait être discuté dans le cadre du prochain COM 2024-2028. Personnellement je ne vois aucune raison de perdre encore du temps et cet argument me semble confirmer mon intuition qu'il n'était pas souhaitable de reporter la réalisation des nouveaux COM.

J'en arrive maintenant à France Médias Monde qui prend une dimension nouvelle au regard de l'actualité internationale des derniers mois, je pense à la guerre en Ukraine bien sûr mais aussi aux contestations en Iran, à la poursuite des troubles au Mali et aux élections américaines. Rarement la nécessité pour la France de disposer d'un opérateur audiovisuel de taille mondiale n'aura paru aussi nécessaire.

La hausse des moyens de 9,7 % en 2023 à 284 M€ semble démontrer que le Gouvernement est conscient des enjeux. Comme pour les autres entreprises, cette hausse des moyens servira également à compenser la taxe sur les salaires évaluée à 5,3 M€ et la suppression de la déductibilité de la TVA à hauteur de 16,4 M€. La dotation doit également permettre de compenser les surcoûts liés à l'inflation à hauteur de 6,2 M€.

Au final, la hausse des moyens doit donc être relativisée. Le budget 2023 sera donc, selon la présidente de FMM, « conservatoire ». Certains projets financés par des ressources externes comme le projet Afrikibaaru (langues africaines) et la rédaction ukrainienne à Bucarest devront être absolument prolongés. La direction de France Médias Monde rappelle la difficulté à financer ce type de projet avec des crédits limités dans le temps et souhaite vivement que l'AFD puisse apporter son concours dans la durée. À cet égard, on ne peut que déplorer que l'audiovisuel extérieur ne dispose d'aucune visibilité sur les moyens qui lui seront accordés en 2024.

Un mot maintenant concernant l'INA qui connait une hausse de ses moyens de 4,84 % à 93,6 M€. À nouveau, je précise que cette hausse des moyens sera utilisée pour compenser l'assujettissement à la taxe sur les salaires à hauteur de 1,5 M€ et la perte du droit à déduction de TVA pour 0,7 M€. La direction estime également que l'institut devra faire face à une hausse de ses charges due à l'inflation comprise entre 8 et 10 M€ qui ne sera compensée qu'à hauteur de 3,5 M€ par la dotation publique.

L'INA devra donc s'appuyer sur ses ressources propres pour dégager des marges de manoeuvre. La DGMIC a toutefois conscience que la situation de l'INA est tendue et que la construction du budget 2023 pourrait encore nécessiter des ajustements.

Un mot sur le projet de création d'une filiale commune avec les autres entreprises de l'audiovisuel public consacrée à la formation. Une fois de plus, je suis aux regrets de constater que les choses n'avancent pas et sont renvoyées à plus tard.

Pour terminer, je n'oublierai pas TV5 Monde dont les moyens augmentent de 2,82 % à près de 80 M€. Cette hausse devrait permettre à la France de rattraper son retard de financement et de compenser la taxe sur les salaires (0,6 M€) et les surcoûts liés à l'inflation à hauteur de 3,2 M€.

TV5 Monde a réussi à maintenir une couverture partielle en Russie. Elle vient de lancer une chaîne jeunesse en arabe et vient d'accueillir la Principauté de Monaco à son capital.

En conclusion, vous aurez compris que la hausse des crédits affichée est assez théorique. L'examen des crédits est en fait plus complexe car il oblige à prendre en compte les compensations fiscales et la situation de chaque entreprise au regard de la TVA.

On peut toutefois garder en mémoire que si les compensations fiscales sont assurées, des interrogations subsistent concernant l'inflation, notamment si cette dernière devait dépasser la prévision officielle. Ce budget de transition apparaît au final correct au regard des efforts demandés depuis 2018. On pourrait même évoquer une « pause » dans les efforts demandés.

Si les moyens sont bien là pour 2023, on ne peut que déplorer l'absence complète de vision stratégique et finalement le « pilotage en roue libre » de l'audiovisuel public. Nous en reparlerons lors de l'examen des avenants aux COM.

Toutefois, je ne crois pas utile de mélanger les deux problématiques des moyens et de la stratégie, le court terme et le long terme. C'est pourquoi je vous propose de nous abstenir sur l'adoption des crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » du projet de loi de finances pour 2023. Cet avis, vous l'aurez compris, ne présage en rien du regard que nous porterons prochainement sur les avenants aux COM.

M. Max Brisson. - Je salue la grande qualité du rapport sur un sujet complexe et technique. Ce budget de l'audiovisuel public est emblématique d'une manière de gouverner. Le président de la République a fait une annonce pendant la campagne présidentielle et il a laissé la ministre de la culture se débrouiller sur le mode : « l'intendance suivra ». On peut faire un parallèle avec la suppression de la taxe d'habitation qui n'avait pas davantage été préparée. L'annonce de la suppression de la CAP était forte, populaire, et ne pouvait donc être contestée. Mais ses conséquences sur le financement des entreprises et l'inquiétude suscitée n'ont pas été anticipées. À court terme, le financement par la TVA est apparu rassurant mais une inquiétude subsiste à plus long terme. Par ailleurs, le gouvernement reste incapable d'assumer une réforme de l'audiovisuel public et pratique le pilotage à vue. Il est bien dommage qu'il ne s'appuie pas davantage sur les travaux du Sénat dont les rapports Leleux-Gattolin de 2015 et Hugonet-Karoutchi de 2022. Faute de réforme on assiste à un affaiblissement lent et une perte d'influence de notre audiovisuel public. Nous soutiendrons la proposition du rapporteur afin de manifester notre mécontentement.

M. David Assouline. - Compte tenu de l'implication de notre commission sur l'audiovisuel public, il est important de maintenir nos initiatives car la situation est plus grave qu'on ne le croit. Après une baisse continue des moyens opérée pendant 5 ans, la crise sanitaire a rappelé l'attachement des Français à l'audiovisuel public. Pourtant, on commence le quinquennat avec la suppression de la CAP, qui constituait un mode de financement pérenne et nous n'avons aucune visibilité sur l'après-2025. Le recours à un financement par la TVA a pu paraitre rassurant mais il semblerait que le Gouvernement privilégie une budgétisation après 2025 alors même que cette modalité de financement semblait soulever des interrogations au regard de sa constitutionnalité. Les crédits augmentent mais, compte tenu du niveau de l'inflation, l'effort de l'État apparait en réalité minime. Il n'y a pas de véritable soutien à l'audiovisuel public. Pour reprendre l'exemple du sport, le groupe France Télévisions est concurrencé par les plateformes et menacé de perdre les droits de diffusion du tournoi de Roland-Garros en journée. J'avais proposé de modifier le décret concernant la diffusion des événements sportifs d'importance majeure afin de permettre la diffusion en clair du tournoi à partir des quarts de finale. Aujourd'hui le service public ne peut s'aligner sur les offres financières du privé et ses choix privilégient naturellement l'information et les autres programmes. Je désapprouve la façon dont l'État gère ce problème et je pense qu'une majorité pourrait se constituer pour permettre le rejet des crédits en séance publique.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je salue les travaux du rapporteur et je remarque que sa présentation décrit une situation inquiétante. Le groupe de l'Union centriste avait regretté lors des débats sur le projet de loi de finances rectificative que la suppression de la CAP ait été décidée sans véritable débat et sans anticiper les recettes de substitution. L'audiovisuel public doit avoir des ressources qui garantissent son indépendance et sa pérennité. Le groupe de l'Union centriste constate que l'affectation d'une part de TVA et des crédits en hausse permettent de compenser les effets fiscaux de la suppression de la CAP ainsi que l'inflation. Il s'agit néanmoins d'une hausse en trompe-l'oeil qui ne permet pas aux entreprises de se développer. Si les crédits sont bien là en 2023, l'absence de visibilité pour l'après-2025 demeure inquiétante. On est en train d'évoluer vers des dotations d'État qui peuvent fragiliser notre audiovisuel extérieur et qui rompent avec les engagements pris lors du 50e anniversaire du traité de l'Élysée en 2013, sur un financement d'ARTE par une redevance. Je souscris à la déception du rapporteur concernant l'absence de financement du projet de plateforme européenne d'ARTE et je regrette également que la proposition faite de créer une instance indépendante pour évaluer les besoins de financement de l'audiovisuel public n'ait pas été retenue. Tout ceci est extrêmement préoccupant, c'est pourquoi nous soutiendrons la proposition du rapporteur de s'abstenir sur l'adoption des crédits.

M. Julien Bargeton. - Nous voterons les crédits qui s'accroissent de 114 millions d'euros. Les remarques faites sur l'inflation sont justes mais il faut rappeler que jamais les budgets de l'État ne compensent intégralement l'inflation. J'entends qu'il existe un débat sur l'avenir du financement de l'audiovisuel public mais le choix de recourir à une fraction de TVA apporte une réponse satisfaisante dans l'immédiat.

M. Pierre Ouzoulias. - Je salue ce rapport extrêmement précis qui s'appuie sur une vision de long terme. Je constate que le recours à une part de TVA qui fait l'objet d'un vote en première partie prive le Parlement d'un débat sur le niveau des besoins de l'audiovisuel public, le débat en partie II portant sur la répartition de ces crédits. Les apports du Sénat en matière de propositions sont continus depuis une quinzaine d'années dans ce domaine. On a besoin d'un audiovisuel public, c'est pourquoi on ne peut que déplorer le fait que le Gouvernement semble avancer dans le brouillard et sans véritables perspectives. Le financement par la TVA est d'autant moins satisfaisant que cet impôt repose pour une part importante sur les énergies fossiles et qu'il ne s'agit donc pas d'une ressource pérenne. Par ailleurs, les licenciements massifs annoncés par Twitter, Meta et Amazon illustrent la fragilité d'un modèle fondé sur les recettes publicitaires et viennent rappeler l'intérêt d'avoir un audiovisuel public solide proposant des programmes qualitatifs.

Mme Monique de Marco. - Les crédits augmentent de 114 millions d'euros, en particulier au bénéfice de Radio France, France Médias Monde et Arte France mais cette hausse doit être relativisée compte tenu de l'inflation et de l'assujettissement des sociétés publiques à la taxe sur les salaires. Quel sera leur financement en 2024 ? Lors de son audition, la présidente de France Télévisions avait comparé sa situation à celle d'une grenouille plongée dans de l'eau froide qui ne peut réagir quand celle-ci se réchauffe.

M. Bernard Fialaire. - J'entends ceux qui souhaitent rétablir la redevance mais je soutiens sa disparition qui a fait l'objet d'un engagement du président de la République pendant la campagne. Cette taxe était à la fois archaïque et injuste. J'espère que les travaux du Sénat permettront de faire des propositions. Je voterai les crédits proposés par le Gouvernement.

Mme Laure Darcos. - Nous avons, avec Catherine Morin-Desailly, lutté contre la décision de supprimer la CAP. Cette suppression a été motivée par le souci de préserver le pouvoir d'achat et de défendre l'équité mais tout le monde paye la TVA. Je soutiens donc l'abstention proposée par le rapporteur.

M. David Assouline. - Notre commission avait donné un avis défavorable aux projets de contrats d'objectifs et de moyens pour la période 2019-2022. Je rappelle que ces COM portaient en réalité sur la période 2020-2022 alors que la loi du 30 septembre 1986 prévoit que la durée d'un COM peut varier entre trois et cinq ans. La légalité de ces COM était donc discutable et je m'interroge sur la conformité d'avenants pris pour une année supplémentaire.

M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis. - Je partage le sentiment de Max Brisson selon lequel l'audiovisuel navigue à vue ainsi que la comparaison entre les conditions de suppression de la taxe d'habitation et de la CAP.

En réponse à David Assouline, je crois que s'il y a bien un sujet dont on parle dans cette commission, c'est celui de l'audiovisuel public et, concernant les moyens, on ne peut ignorer que le groupe France Télévisions a dépensé 45 millions d'euros pour développer Salto et qu'il considère aujourd'hui qu'il lui manque 45 millions d'euros pour boucler son budget.

Je partage les craintes de Catherine Morin-Desailly sur l'avenir du financement de l'audiovisuel public mais j'observe aussi que les Français ne se sont pas plaints de la suppression de la CAP. Je confirme que la plateforme TV5 Monde + n'aurait pu voir le jour sans le soutien financier du Canada et je déplore à nouveau que la France ne soit pas au rendez-vous de la plateforme européenne d'ARTE.

La commission a décidé de s'abstenir sur l'adoption des crédits relatifs au compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » du projet de loi de finances pour 2023 et s'en remettra, dans ces conditions, à la sagesse du Sénat.

La réunion est close à 12 h 05.

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 16 h 45.

Projet de loi de finances pour 2023 - Audition de M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

M. Laurent Lafon, président. - Monsieur le Ministre, nous vous recevons aujourd'hui en vue de l'examen, par le Sénat, des crédits consacrés à l'enseignement agricole dans le projet de loi de finances pour 2023. Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation qui nous permet de renouer avec un rendez-vous que nous avions quelque peu mis entre parenthèses depuis 2019, date à laquelle l'un de vos prédécesseurs, Didier Guillaume, était venu nous présenter les contours de ce budget.

Vous savez que notre commission est très attachée à la place de l'enseignement agricole et particulièrement attentive à l'évolution des crédits qui lui sont alloués. Notre commission s'est ainsi fortement mobilisée, avec un certain succès, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2021, pour dénoncer les risques qu'encourrait l'enseignement agricole si le schéma de rationalisation des moyens envisagé et la trajectoire budgétaire retenue par le gouvernement n'étaient pas amendés.

Certains de mes collègues ont par ailleurs activement participé aux travaux de la mission d'information lancée l'an dernier par groupe RDSE, dont Nathalie Delattre était rapporteure, qui a formulé 45 propositions visant à préserver un enseignement agricole de qualité, dans l'intérêt des filières agricoles et alimentaires, au nom de la cohésion des territoires.

Vous aurez sans doute l'occasion de nous indiquer dans quelques instants si les difficultés identifiées à l'occasion de cette mission, parmi lesquelles la concurrence que se livrent les établissements entre eux ou qu'ils rencontrent avec des formations de l'éducation nationale, la diminution continue des ETP qui a perturbé la mise en oeuvre de la réforme du baccalauréat ou encore les pertes financières enregistrées par certains d'entre eux du fait de la crise sanitaire, demeurent toujours d'actualité.

Monsieur le ministre, je vous laisse à présent la parole !

M. Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. - Monsieur le président, je tenais tout d'abord à vous remercier pour votre invitation car cette audition va nous permettre, je l'espère, d'échanger de manière approfondie sur les enjeux de l'enseignement agricole, qui est selon moi une des spécificités et une des fiertés de notre politique éducative.

Plus encore, l'enseignement agricole est un puissant vecteur de reconquête de notre souveraineté alimentaire. Il est un atout inestimable pour que l'impératif de lutte contre le dérèglement climatique irrigue notre société toute entière et que les secteurs agricole, alimentaire et forestier accélèrent encore les transitions dans lesquels ils se sont engagés.

Ceci est d'autant plus vrai que notre enseignement agricole bénéficie d'un véritable enracinement local. C'est d'ailleurs l'une de ses spécificités, avec 800 établissements présents partout en France, dans l'hexagone et en outre-mer. Ces établissements sont en lien étroit et quotidien avec le monde agricole et rural, les collectivités territoriales, ainsi que les organismes de recherche. Cet ancrage territorial est une vraie force pour expérimenter, innover, inventer l'agriculture de demain. Pour ce faire, l'enseignement agricole dispose de 250 exploitations agricoles ou ateliers technologiques dans des établissements divers. Il s'agit de supports concrets de formation et de diffusion de pratiques innovantes.

Je voudrais commencer par évoquer la rentrée 2022 pour saluer la dynamique remarquable de notre enseignement agricole dont l'attractivité grandissante ne se dément pas, avec une large palette de formations, un taux de réussite et d'insertion professionnelle particulièrement élevé, un accueil et un accompagnement de qualité qui séduisent des jeunes aux profils de plus en plus variés. Nous ne le dirons jamais assez : aujourd'hui 44 % des élèves de l'enseignement agricole sont des filles et 90 % des élèves de l'enseignement agricole ne sont pas issus d'une famille agricole. L'année scolaire 2022-2023 est marquée par une augmentation globale du nombre de jeunes suivant une formation de l'enseignement agricole, de la quatrième au diplôme d'ingénieur et de vétérinaire, en formation initiale scolaire ou par la voie de l'apprentissage. Dans la démographie globale que nous connaissons, il s'agit d'un élément à souligner, bien que cette augmentation soit disparate selon les filières.

Ces évolutions témoignent d'une véritable prise de conscience de notre jeunesse pour laquelle l'agriculture est essentielle, au sens premier du terme. Elle est essentielle par sa vocation productive et nourricière - la crise sanitaire et la guerre en Ukraine l'ont souligné, s'il était besoin de le faire. Mais elle l'est également parce qu'elle est source de solutions dans un contexte de changement climatique, qu'elle est porteuse de sens pour beaucoup de jeunes et d'une manière de voir la société et par conséquent d'une possibilité de la changer. Tout en préservant ce qui fait la compétitivité et l'excellence de notre agriculture, nous devons aussi faire notre cette vision que porte notre jeunesse. Un agriculteur ou un forestier n'est pas un acteur économique tout à fait comme les autres. Par la relation singulière qu'il entretient avec la terre, la nature, le vivant le végétal, la forêt, le bois et par sa capacité à réinventer des pratiques séculaires, il est avant tout un entrepreneur du vivant et un acteur des grands défis de notre temps qu'ils soient climatiques ou sociétaux.

À cet égard l'enseignement agricole est, avec les investissements massifs portés dans le cadre de France Relance et de France 2030, l'une des pièces maîtresses pour anticiper les profonds bouleversements à l'oeuvre. Il permet de penser les futures installations dans une perspective de transition écologique et énergétique en formant des agriculteurs passionnés qui seront en même temps des citoyens éclairés. Je voudrais dire ma profonde reconnaissance au personnel du ministère. Plus de 18 000 fonctionnaires oeuvrent au service de notre enseignement agricole. Je souhaite devant vous les remercier pour leur engagement sans faille au service de l'avenir de nos jeunes et de celui de notre agriculture et de nos forêts.

Avant d'évoquer les éléments budgétaires du programme stricto-sensu, je voudrais partager avec vous mes priorités politiques pour l'enseignement agricole.

En premier lieu, l'enseignement agricole sera un outil majeur au service et au coeur du projet de pacte et de loi d'orientation d'avenir pour l'agriculture. Sa modernité, la capacité d'évolution permanente dont il a su faire preuve en font l'un des leviers les plus pertinents pour avancer en ce domaine. Cela suppose qu'une mobilisation conjointe de tous les acteurs de l'orientation des jeunes soit assurée pour que chaque élève de collège connaisse les opportunités de formation et de métiers qui existent dans l'enseignement agricole.

Le deuxième enjeu important à mes yeux est celui de la formation des vétérinaires. Il nous faut en former davantage. Aujourd'hui, plus de 50 % des vétérinaires exerçant en France sont formés à l'étranger. Aussi, pour consolider le maillage territorial vétérinaire - élément déterminant pour améliorer la condition d'exercice de la profession mais aussi pour continuer à assurer la sécurité sanitaire - mon ministère continuera à augmenter le nombre de places au concours véto. À l'horizon 2030, avec cette nouvelle augmentation des promotions et l'ouverture à la rentrée de 2022 de l'école vétérinaire privée d'intérêt général de Rouen, 840 vétérinaires seront formés par an en France, soit 75 % de plus qu'en 2017. L'objectif est que ces nouveaux recrutements d'étudiants soient adaptés aux réalités du métier de vétérinaire. Mon ministère amplifiera le concours véto post-bac, qui répond pleinement aux préoccupations de jeunes générations notamment celles issues de milieux ruraux ou moins favorisés qui hésitent de plus en plus à s'inscrire dans un cursus généraliste de classes préparatoires, préférant dès le bac s'orienter dans des cursus intégrés conduisant en 6 ans au métier de vétérinaire praticien notamment en rural. Cette avancée s'inscrit dans un contexte plus global de feuille de route pour lutter contre la désertification vétérinaire, qui fait d'ailleurs singulièrement écho à la désertification médicale. J'aurai l'occasion d'y revenir lors de la journée nationale vétérinaire avec l'ensemble des parties prenantes.

Le troisième enjeu est celui du projet de réforme de la voie professionnelle, porté par ma collègue Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l'enseignement et de la formation professionnelle. L'enseignement agricole pourra bénéficier de pistes évoquées dans le cadre de la concertation en cours, notamment la mise en place dès la 5ème d'une demi-journée intitulée « Avenir », dédiée à la découverte des métiers, notamment techniques manuels ou relationnels. Tous les métiers auxquels l'enseignement agricole prépare devront être mises en avant. Il s'agit d'une opportunité majeure pour faire connaître l'enseignement agricole et recruter davantage d'élèves dans des métiers qui en ont besoin. La perspective potentielle que les moyens soient réorientés sur les métiers en tension permettrait de valoriser l'enseignement agricole qui, de fait, prépare à des métiers en tension (dans la production et dans la transformation) mais aussi aux services aux personnes en milieu rural.

C'est dans ce contexte, afin de préfigurer ces orientations et à l'aune des enjeux que j'ai évoqués, qu'il convient d'examiner le budget des programmes 142 et 143 dont je voudrais vous présenter les axes forts.

En 2023, ce sont 2,02 milliards d'euros de budget qui seront consacrés à l'enseignement agricole, avec 1,6 milliard d'euros pour l'enseignement technique et 0,42 milliard d'euros pour l'enseignement supérieur. À ces moyens budgétaires s'ajoutent ceux du compte d'affectation spéciale au développement agricole et rurale (CASDAR), qui représentent 660 millions d'euros. Sans présenter toutes les évolutions budgétaires, je me permettrai d'insister sur trois points qui me semblent devoir être valorisés.

Le premier point est la poursuite du plan pluriannuel de renforcement de la capacité d'accueil des quatre écoles nationales vétérinaires engagé en 2022. La taille des promotions de chacune des quatre écoles nationales d'Alfort, de Lyon, de Nantes et de Toulouse sera portée à 180 étudiants formés, recrutés sur concours, en favorisant la diversité sociale et géographique des lauréats. Afin de maintenir des conditions de formation de qualité, les écoles nationales vétérinaires bénéficieront d'une dotation d'État de 8 ETPT supplémentaires d'enseignants ou praticiens hospitaliers par an sur 2023-2025. Elles pourront renforcer leurs équipes pédagogiques et techniques en ayant les moyens de recruter 12 agents supplémentaires par an sur 2023-2025.

Le deuxième point concerne les 10,3 millions d'euros supplémentaires consacrés à l'accueil des élèves en situation de handicap, qui participent à la hausse substantielle des moyens de l'enseignement technique agricole. Cela fait écho à la nature même de l'enseignement agricole qui porte une attention particulière au cheminement de chaque apprenant et qui s'est toujours distingué par son caractère inclusif. 4 377 jeunes sont ainsi aidés en 2021-2022. 1 252 ETP sont prévus pour les assistants d'éducation (AED), 1 007 pour les accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Il s'agit d'un élément de progrès majeur que je tenais à souligner en cette semaine du handicap, dont la clôture se déroulera d'ailleurs au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. En outre, 3,4 millions d'euros supplémentaires seront alloués à l'amélioration de l'encadrement et de la surveillance des élèves, notamment pour l'internat qui est l'autre grande spécificité de l'enseignement agricole par rapport à la filière générale. Je souhaite rappeler également que les enseignants bénéficieront de mesures pour revaloriser leur métier.

Enfin, avec 3,69 millions d'euros supplémentaires, le budget 2023 renforce le dispositif médico-social au bénéfice des élèves et étudiants de l'enseignement agricole technique. Il s'agissait d'une nécessité, notamment au regard de l'épreuve de la crise sanitaire et du confinement. Il convient plus largement de répondre aux besoins d'information des jeunes, d'écoute, de repérage de leurs éventuelles difficultés. Je continuerai de porter une attention toute particulière à ce sujet dans le cadre du dialogue social, en lien avec les équipes éducatives, comme je l'ai rappelé aux organisations syndicales du ministère.

Au-delà de ces avancées, je voudrais également évoquer brièvement le sujet de la recherche, sur lequel je sais que votre commission est attentive. Le plafond du CASDAR est maintenu à 126 millions d'euros, mais j'ai obtenu de bénéficier de l'excédent de recettes 2022, qui devrait représenter 17 millions d'euros. Cela permettra de renforcer le financement des actions entreprises par les organismes impliqués dans la recherche appliquée et le développement pour favoriser l'adoption d'innovations et de changements de pratiques soutenant en particulier les transitions agro-écologiques.

En conclusion, je souhaiterais évoquer devant vous le pacte d'avenir et le projet de loi d'orientation et d'avenir agricole annoncé par le président de la République le 9 septembre dernier, sur lequel nous aurons l'occasion de travailler ensemble. Trois des quatre axes de travail en effet annoncés concernent votre commission au premier plan : l'orientation et la formation ; la transmission et l'installation ; et la transition et l'adaptation face aux changements climatiques, notamment par la recherche et l'innovation.

Je voudrais tout d'abord vous faire part d'une conviction : je crois profondément que réussir le défi du renouvellement des générations nous impose collectivement de valoriser la vocation d'agriculteurs et de salariés en agriculture ou en agro-alimentaire. Il s'agit d'une question d'image de la profession et d'attractivité. Il faut que nous disions ensemble à ces jeunes qu'ils vont exercer des métiers qui ont du sens, qui vont leur permettre de jouer un rôle déterminant dans les transitions à l'oeuvre en faveur des pratiques agricoles plus résilientes et plus durables, de nouveaux modèles alimentaires ou de la préservation de nos ressources, de la biodiversité, de nos forêts et de leur permettre de s'inscrire dans une démarche citoyenne de long terme. L'enseignement agricole peut et doit participer à tous ces défis.

Au-delà des moyens supplémentaires accordés à l'enseignement agricole par ces programmes, plusieurs orientations importantes ont déjà été esquissées dans la perspective de ce texte important. Il a d'abord été annoncé la création d'un fonds de 20 millions d'euros pour l'enseignement agricole, dédié à l'innovation pédagogique et au développement de formations nécessaires aux compétences de demain. Une autre orientation concerne la création d'un fonds entrepreneurs du vivant France 2030, doté de 400 millions d'euros pour soutenir le portage du foncier agricole et les installations en transition. À mon sens, la question n'est pas tant la transmission-reprise mais la transmission-transition pour faire en sorte d'installer des jeunes dans des systèmes agricoles résilients face aux dérèglements climatiques en particulier. Enfin, ce texte devrait comprendre la création d'un réseau France installations agricoles pour mieux accompagner chaque personne souhaitant s'installer en agriculture et pour mettre en place un réseau d'incubateurs d'entrepreneurs et d'entreprises agricoles innovantes. Comme je l'ai déjà rappelé, beaucoup de jeunes s'inscrivant dans nos établissements scolaires ne sont pas issus du monde agricole. Cela est une gageure importante pour nous en matière d'ouverture et d'adéquation avec ces attentes nouvelles. Pour assurer le défi du renouvellement, il y a là un vivier qu'il nous faudra évidemment explorer.

Enfin, je voudrais terminer en vous présentant le calendrier de la large concertation qui sera engagée sur le pacte. La préparation de la concertation est en cours. Elle se déroulera jusqu'au 7 décembre, date à laquelle je lancerai formellement la concertation, en lien notamment avec les organisations professionnelles agricoles et les chambres d'agriculture, avec tous les acteurs, les ONG, les interprofessions et la distribution. Le but est de construire un diagnostic consensuel et partagé sur les grandes tendances de fond liées à l'enjeu de renouvellement des générations. Les régions seront également associées. Compte tenu des compétences qui leur sont conférées dans la réforme de la PAC, elles auront un rôle éminent à jouer tant sur la formation que sur l'installation ou l'accompagnement par les investissements des agriculteurs ou des entreprises agro-alimentaires.

S'en suivra jusqu'en avril 2023 un deuxième temps de concertation que j'ai souhaité de niveau national mais aussi de niveau régional car nombre de nos enjeux agricoles sont liés à des spécificités régionales (zones de plaine, zones de montagne, zones impactées par le dérèglement climatique et celles qui le seront moins). Nous avons besoin d'instaurer un dialogue entre les chambres d'agriculture, les régions et l'État pour affiner la planification au niveau régional. Nous travaillerons avec les conseils régionaux sur la déclinaison des enjeux et des outils dans une logique de planification et d'adaptation locales. À la fin du 1er semestre 2023, nous aurons bâti ensemble le pacte d'avenir entre les générations. Le projet de loi sera la traduction de ce pacte s'agissant des éléments législatifs nécessaires.

Le pacte et le projet de loi auront pour objectifs d'orienter, de former en nombre et en compétence, de rendre possible la transmission et l'installation, le tout en s'assurant que ces femmes et ces hommes salariés et exploitants, cédants et entrepreneurs, disposent de l'accompagnement, des innovations et des moyens pour répondre aux grandes évolutions de l'agriculture. Il s'agit bien d'un enjeu de souveraineté dont l'enseignement agricole est une clé de voûte.

Je voudrais avoir un dernier mot pour les enseignants qui jouent un rôle éminent pour réussir ces transitions. Ils seront les acteurs mais aussi parfois les inspirateurs des décisions que nous devrons prendre.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis sur les crédits de l'enseignement technique agricole. - Je présenterai demain à notre commission le rapport pour avis sur les crédits relatifs à l'enseignement agricole du projet de loi de finances 2023. Je saluerai l'augmentation des crédits. Pour compléter mon avis, j'ai néanmoins encore plusieurs questions.

Je suis assez inquiète de la baisse drastique des crédits en faveur des aides sociales aux élèves. Certes, le nombre d'élèves a diminué. Mais ces élèves ne sont-ils pas plus en difficulté compte tenu de l'éloignement de ces établissements ? Un fonds lycéen existe dans l'éducation nationale. Ne serait-il pas possible de créer un fonds semblable dans l'enseignement agricole ?

Ma deuxième question porte sur la communication. Une ligne budgétaire de presque 10 millions d'euros était prévue dans le dernier PLF pour lancer le camion « l'aventure du vivant ». On ne sait plus désormais où est ce camion : il est toujours orange mais reste beaucoup plus discret. Les spots publicitaires sont beaucoup moins nombreux. Vous inscrivez dans le PLF 2023 des crédits de seulement 2 millions. Alors que nous avions salué cette hausse de la communication, il faut maintenir celle-ci sur la durée car c'est en persévérant dans la communication que nous en aurons des retombées. Quelles sont donc vos axes de propositions ? Une de nos propositions, qui n'est pas très chère mais qui est attendue depuis longtemps, consisterait à rendre obligatoire une présentation de l'enseignement agricole à tous les collégiens et pas seulement à quelques collégiens triés sur le volet.

Ma troisième question porte sur les ETP. Je salue le fait qu'il n'y ait pas de diminution d'ETP mais même une hausse. Avec une augmentation de 15 postes, cela implique pour le médico-social environ une personne par région. Or, compte tenu de la taille de nos régions - je pense notamment à la Nouvelle-Aquitaine - un poste ou même deux postes pour 12 départements paraissent très faibles. Je m'interroge aussi sur le statut sous lequel seront recrutés ces ETP. Dès que cela vous sera possible, pourrez-vous nous communiquer les éléments anticipés sur les recrutements futurs ?

Nous perdons beaucoup de jeunes dans les formations pour le brevet de technicien supérieur agricole (BTSA). Il s'agit du seul brevet en France se déroulant sur 2 ans. Nos jeunes sont désormais bien intégrés dans le système LMD (licence, master, doctorat) en trois ans. L'évolution en trois années du BTSA paraît donc aujourd'hui une évidence. Il faut cependant se mettre autour de la table pour commencer à travailler sur cette évolution. Monsieur le ministre, serez-vous le ministre de l'engagement de ce travail sur le BTSA ?

Enfin, quand nous débattons du programme 143, est présent au banc le ministre de l'éducation nationale, qui peut certainement comprendre nos interrogations mais qui n'a pas toujours les éléments pour y répondre. Nous avions obtenu des ministres Blanquer et Denormandie qu'ils soient présents au banc tous les deux pour le prochain PLF. Pouvez-vous nous confirmer que Pap Ndiaye et vous serez tous les deux au banc pour la présentation de notre avis sur l'enseignement agricole ?

Mme Laure Darcos. - Je remercie Nathalie Delattre pour l'important travail qui a été fourni.

En tant que rapporteure sur la recherche, je connais le travail réalisé avec l'institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). Il faut le poursuivre. Dans le cadre de la loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2023, nous avions voté le 1 % pour la culture scientifique. Vous pouvez aussi agir de votre côté avec l'INRAE en faveur de la culture scientifique. Or, nous nous sommes rendu compte lors de nos auditions que l'éducation nationale ne fait pas son travail pour développer ce 1 % pour la culture scientifique. J'espère que, s'agissant du ministère de l'agriculture, ce travail sera fait.

J'ai des remontées d'agriculteurs qui estiment que les jeunes sortant de l'enseignement agricole ne connaissent que le modèle d'agro-écologie, alors que les modèles sont pluriels, à commencer par ceux orientés vers la production et la productivité. Il ne faudrait pas que ces jeunes soient idéologisés. Il faut pouvoir réfléchir à tous les modèles, en permettant à ces élèves d'acquérir une formation pluridisciplinaire. Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ? Je ne crois pas avoir entendu dans vos propos la notion de productivité. Or cette notion doit figurer dans nos enseignements agricoles.

M. Marc Fesneau, ministre. - S'agissant de la question des bourses, nous pourrons vous donner des éléments détaillés pour vous éclairer avant les débats budgétaires. Une revalorisation de plus de 4 % des bourses est prévue. Comme vous l'avez dit, il y a une légère diminution du nombre d'élèves boursiers. Nous couvrirons donc mieux les besoins de ceux qui en feront la demande. Par ailleurs, il y a un transfert du programme 143 vers le programme 142 qui explique la baisse constatée.

Le fonds lycéens n'a en effet pas été revalorisé pour cette année. Je note votre observation. Comme je l'ai dit, il s'agit d'un élément d'accrochage pour les jeunes qui ont parfois mal traversé la période de la crise Covid.

Nous constatons une dynamique positive en termes d'apprentis, avec une hausse qui se poursuit. Les effectifs ne seront connus qu'en janvier mais plusieurs milliers de jeunes supplémentaires devraient suivre une formation par apprentissage. En 2021-2022, 57 000 apprentis ont suivi une formation dans un établissement de l'enseignement agricole, soit 11 000 de plus que l'année précédente. Cette hausse de 25 % fait suite à une hausse de 22 % en 2020-2021. C'est dire combien l'enseignement agricole prend une part importante dans cette dynamique de renforcement de l'apprentissage. Nous connaitrons au mois de janvier les derniers chiffres mais nous serons probablement dans les mêmes ordres de grandeur.

Je soutiens votre proposition d'évolution du BTSA en trois années. Je ne sais pas si je serai le ministre qui fera cette réforme mais, en tout cas, je suis le ministre qui veut la faire ! Il nous faut en effet renforcer l'attractivité de cette voie, compte tenu de la baisse légère des effectifs. Doivent notamment être posées la question du niveau et celle de la durée du diplôme - deux ou trois ans. Il faut trouver un système qui soit plus attractif mais également plus adapté à la diversité de métiers de plus en plus exigeants. Nous lancerons bientôt des travaux de réflexion et de concertation sur ce sujet.

S'agissant de la campagne de communication, il est difficile de juger par rapport à l'étiage du plan de relance. Les crédits du plan avaient permis à l'époque de lancer le dispositif « l'aventure du vivant », qui, je crois, a très bien fonctionné. Je rappelle que nous avions confié des moyens aux services déconcentrés de l'État, à savoir aux directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAF), aux directions départementales des territoires (DDT) et aux directions agricoles en région pour leur permettre de décliner elles-mêmes des actions locales. 0,5 million d'euros ont été consacrés à l'enseignement agricole pour une campagne de communication sur les formations elles-mêmes. J'entends ce que vous dites sur le manque actuel de communication. Ce n'est cependant pas le sentiment que j'ai. Le camion itinérant se déplace de ville en ville pour faire connaître les métiers agricoles et rencontre à ma connaissance un succès grandissant. J'entends cependant votre inquiétude et nous serons vigilants sur ce sujet. Le pari que nous avons fait est celui de l' « aller vers », en allant au sein des villes chercher des jeunes qui ne viennent pas du milieu rural.

S'agissant des schémas d'emplois, nous avons stabilisé les emplois alors qu'il ne s'agissait pas de la tendance retenue par le passé. Vous évoquez la création de 15 ETP supplémentaires pour l'enseignement technique agricole à travers le renforcement des équipes médico-sociales. Nous allons désormais travailler pour déterminer comment ils seront déployés. Il a bien été acté, lors des discussions avec Bercy, qu'il s'agirait d'une même augmentation sur trois années : 15 en 2023, 15 en 2024 et 15 en 2025.

S'agissant du lien entre l'éducation nationale et l'enseignement agricole, j'entends votre invitation à venir au banc. Si je peux, je le ferais volontiers. Nous avons engagé un bon dialogue avec le ministre de l'éducation nationale Pap Ndiaye, notamment sur le sujet de la formation professionnelle. L'éducation nationale est intéressée de savoir ce qui se fait dans l'enseignement agricole pour s'en inspirer pour les autres voies professionnelles. Vous pouvez compter sur moi pour que nous travaillions ensemble. Ce n'est pas qu'une question d'intention nationale, il s'agit aussi d'intentions locales. Ce dialogue entre l'éducation nationale et le ministre de l'agriculture par la voie de l'enseignement agricole doit aussi être renforcé au niveau local.

Vous avez évoqué la nécessité de développer la culture scientifique et la recherche. Vous avez raison de souligner l'action de l'INRAE, qui est un des meilleurs instituts de recherche du monde. Il est reconnu mondialement sur des dizaines, pour ne pas dire des centaines, de sujets qui touchent à des défis majeurs. Dans le cadre de France 2030, plusieurs projets de recherche sur l'alimentation, sur la forêt, sur l'agriculture sont en train d'aboutir pour tenter de relever par l'innovation les nombreux défis auxquels nous sommes confrontés.

Nous avons grandement besoin de développer une culture des faits et de la science. Il est assez paradoxal que dans le pays de Louis Pasteur et de Marie Curie nous ayons une culture scientifique aussi chahutée. Nous avons un travail à réaliser, à la fois à l'intérieur mais aussi à l'extérieur de nos établissements, pour convaincre de la nécessité de se reposer sur les faits scientifiques pour prendre des décisions politiques.

Je regardais, pendant vos questions, la définition dans le dictionnaire du terme d'agro-écologie. L'agroécologie n'est pas autre chose que la combinaison de la capacité à produire et du respect des cycles et des écosystèmes à préserver pour continuer à produire. L'agroécologie est « l'utilisation intégrée des ressources et des mécanismes de la nature, pour mieux produire ». Ce n'est pas l'un sans l'autre mais l'un avec l'autre. En réalité - et l'INRAE le dit très bien - à facteurs de production identiques, sauf dérèglement climatique, nous perdons en production. Pour ne citer qu'un seul exemple, il nous faudra travailler sur les sols pour y remettre de la matière organique afin de résoudre une partie des difficultés liées à l'eau mais aussi pour répondre aux difficultés de productivité. Des terres aujourd'hui se sont appauvries et ne sont plus capables de produire ce qu'elles étaient capables de produire il y a 20 ou 30 ans. L'agroécologie est au service de la mission première de l'agriculture qui est de produire. Il me semble que c'est ce que nous essayons d'enseigner dans nos établissements, avec des sensibilités différentes. Je pense que la production et la souveraineté françaises ont grandement besoin d'aller chercher dans l'agroécologie, tout comme dans la recherche et l'innovation, une partie de leurs solutions. Les jeunes qui rejoignent les professions agricoles, y compris des jeunes issus du milieu agricole, sont souvent plus sensibles à ces questions que ne l'étaient leurs parents ou leurs grands-parents. Je considère plutôt comme une bonne nouvelle que le souci de la transmission soit si important pour ces jeunes générations.

M. Laurent Lafon, président. - Je précise pour vos collaborateurs que les crédits seront débattus dans l'hémicycle le 1er décembre dans la soirée.

Mme Marie-Pierre Monier. - Je reprendrai tout à fait vos propos : l'enseignement agricole est un très bel exemple à suivre, qui maille tout le territoire et se révèle souvent innovant et de grande qualité.

Vous avez appelé à l'amélioration de l'accueil des élèves en situation de handicap. Est-ce pour répondre aux élèves qui ont des notifications de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) mais qui n'ont pas d'AESH ? Est-ce pour augmenter le salaire des AESH ? Les AESH de l'enseignement agricole seront-ils concernés par la hausse de 10 % à partir de la rentrée 2023 ? Avez-vous des éléments chiffrés concernant la progression des élèves nécessitant une aide humaine par rapport à l'année précédente ? Le cas échéant, l'augmentation du nombre d'AESH prévue dans le cadre du PLF sera-t-elle suffisante pour y répondre ? De plus en plus d'élèves ont des handicaps et ont besoin d'aide.

Une alerte enfin. Comme l'a rappelé la rapporteure, il est très important qu'il y ait une information sur l'enseignement agricole dans l'ensemble des collèges. Lors de notre mission d'information sur l'enseignement agricole, nous avions rencontré des jeunes qui pour certains étaient arrivés par hasard dans ce domaine mais qui s'y épanouissaient complètement.

Je formule aussi une autre alerte sur la suppression des postes. Entre 2017 et 2021, 300 emplois ont été supprimés auxquels se sont ajoutés 16 nouveaux ETP en 2022. Cela a un impact sur la qualité de l'enseignement. Nous avions ainsi notamment été alertés sur le fait que certains travaux pratiques ne pouvaient plus se faire en groupe réduit. Des groupes plus importants doivent être constitués, ce qui peut nuire à la sécurité des élèves.

Avez-vous avez prévu de renforcer l'attractivité de l'enseignement agricole en général mise à mal à la rentrée par la récente réforme du lycée, alors qu'il est le seul à offrir une spécialité biologie écologie qui est particulièrement précieuse au regard des enjeux actuels de transition écologique ?

S'agissant de la réforme de l'enseignement professionnel, l'enseignement agricole bien sûr est concerné. Je sais qu'actuellement il y a des concertations mais je m'interroge. L'allongement de la durée des stages prévus dans ce cadre ne risque-t-il pas de se faire au détriment de l'apprentissage des connaissances générales et techniques que les élèves ne peuvent acquérir qu'en classe et non en entreprises ? Par ailleurs, les exploitations seront-elles en mesure d'accueillir ses élèves sur des périodes aussi étendues ?

Enfin, la réforme de l'apprentissage, actée dans la loi du 5 septembre 2018, impose à l'enseignement agricole public (et seulement public) une démarche de double certification coûteuse et chronophage pour les personnels. Elle est un facteur de stress, aussi bien au moment de la demande que du renouvellement. Avez-vous fait un bilan de l'impact de cette réforme pour l'enseignement agricole et de la double certification, particulièrement en termes financiers et de gestion des équipes ?

Mme Céline Brulin. - Monsieur le ministre, je me retrouve assez bien dans les objectifs que vous avez dessinés : renouvellement des générations, transmission-transition, agro-écologie dans la définition que vous venez d'en donner, lutte contre la désertification vétérinaire. Malheureusement je constate que les crédits que vous nous présentez ne permettent pas vraiment d'atteindre ces objectifs ambitieux.

Certes, il faut reconnaître qu'il a été mis fin à la saignée que nous avons connue ces dernières années dans l'enseignement agricole et qui avait d'ailleurs conduit le Sénat à rejeter les crédits et à engager la mission d'information rapportée par Nathalie Delattre. Mais il s'agit davantage d'une stabilisation de l'existant. J'ai bien relu les propos du président de la République en septembre dernier dans la présentation du pacte : il appelait à l'enclenchement d'une nouvelle dynamique. Or ce n'est pas la direction aujourd'hui suivie. Nous sommes face à un très faible niveau de création de postes, aussi bien dans l'enseignement agricole que dans les écoles nationales vétérinaires. Nous voyons d'ailleurs se développer des écoles vétérinaires privées, la nature ayant horreur du vide. Si nous voulons lutter efficacement contre la désertification médicale, nous devons réarmer la puissance publique et l'enseignement public.

La saignée dans les effectifs de l'enseignement agricole a conduit à rendre impossibles les dédoublements alors qu'ils sont nécessaires pour ces types d'enseignement. Des filières ou des formations n'ont pas pu être ouvertes, ce qui handicape l'attractivité de certains territoires. Si les objectifs sont légitimes, les crédits ne sont pas complètement au rendez-vous pour y répondre.

Je me réjouis que vous évoquiez la voie professionnelle avec votre collègue Pap Ndiaye. Je pense effectivement que l'enseignement agricole peut être une voie à suivre pour faire évoluer l'enseignement professionnel. À l'inverse, il ne faudrait pas que les inquiétudes que nous pouvons avoir sur le devenir de la voie professionnelle se transmettent à l'enseignement agricole car nous perdrions alors sur tous les plans.

Vous avez évoqué le fonds d'innovation pédagogique, qui sera doté de 20 millions d'euros. J'ai l'impression qu'il s'agit du pendant de ce qui se fait dans l'éducation nationale. Cela suscite beaucoup d'interrogations. Nous ne savons pas comment ces fonds vont être attribués entre établissements. D'autant qu'il y a beaucoup d'innovations dans l'enseignement agricole : de nombreux établissements pourraient donc y prétendre. Il existe aussi la crainte d'une mise en concurrence des établissements qui se disputeraient ces crédits.

Mme Annick Billon. - Concernant le camion du vivant, quelques éléments ont déjà été rappelés par la rapporteure Nathalie Delattre. Avez-vous envisagé une évaluation des millions investis dans ce camion du vivant ? Ses débuts avaient été difficiles dans le contexte de la pandémie. Nous avons du mal à percevoir l'efficacité de ces investissements.

Concernant les élèves en situation de handicap, des crédits supplémentaires ont été décidés ainsi qu'une hausse importante des postes. Cependant, la situation reste difficile pour tous les AESH, avec des contrats assez précaires, du travail à temps partiel bien souvent, des salaires qui stagnent. S'il est évidemment nécessaire de recruter davantage d'AESH, qu'en est-il de la formation, de la revalorisation de ces métiers et de l'augmentation qui devrait être substantielle voire identique à celle de l'enseignement scolaire ?

Sur le sujet des infirmières scolaires, le manque de temps de concertation et d'absence de formation spécifique et le pourcentage élevé d'élèves avec des besoins très particuliers dans ces classes font que ce métier est assez peu attractif. Quelles mesures pourriez-vous prendre pour rendre le métier d'infirmière scolaire plus attractif ?

Concernant l'attractivité des lycées agricoles, la plateforme Horizons 21 permet à un jeune de voir le spectre des métiers possibles en fonction des spécialités qu'il souhaite choisir. Cette plateforme avait été instaurée par le ministre Jean-Michel Blanquer. L'année dernière notre rapporteure Nathalie Delattre se félicitait de l'intégration de l'outil numérique à des baccalauréats professionnels de l'enseignement agricole, ainsi que la spécialité biologie /écologie du baccalauréat général propre à l'enseignement agricole. Néanmoins, nous soulignions que cette plateforme portait préjudice à l'attractivité des lycées agricoles puisque trois spécialités sont proposées en lycée agricole, le panel des spécialités étant plus large dans un lycée d'éducation nationale. Le ministère envisage-t-il d'élargir encore plus les spécialités proposées aux élèves pour éviter cette concurrence « déloyale » ?

Concernant le renouvellement des générations, je rappelle que 55 % des agriculteurs ont plus de 50 ans et qu'1 agriculteur sur 2 partira en retraite dans 5 ans. La hausse constante des effectifs depuis 2010 dans les lycées professionnels est-elle anticipée au niveau des effectifs des enseignants et des équipes pédagogiques ? En mars 2022, le conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, présidé par le ministre de l'agriculture, avait fait un certain nombre de recommandations. Envisagez-vous de toutes les reprendre à votre compte ? Il s'agissait notamment de recruter des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement sur des postes d'enseignants et de faciliter l'accès des professionnels aux fonctions d'enseignants.

Vous ne serez pas étonné que je vous interroge sur l'égalité femmes-hommes. La féminisation des effectifs s'améliore : 45 % des élèves sont désormais des filles. Cependant l'orientation reste toujours extrêmement stéréotypée puisque le domaine de la production animale reste un domaine masculin alors que les services et les formations dédiées aux services à la personne restent des formations assez féminines. Quelles mesures comptez-vous mettre en oeuvre pour plus de mixité, plus d'égalité et moins de stéréotypes ?

S'agissant de la réforme du pacte professionnel, le Gouvernement avait annoncé qu'à partir de la rentrée 2022 le tronc commun du bac professionnel agricole serait rénové. Sachant que 45 % des élèves de l'enseignement agricole sont en bac professionnel, cette réforme est d'une importance toute particulière. Des conséquences négatives sont identifiées, notamment l'augmentation du nombre de semaines de stage et évidemment la diminution du temps scolaire, qui percutera aussi les enseignements de matières professionnelles. Estimez-vous suffisante la rémunération pour une valorisation de ces métiers ?

S'agissant des heures supplémentaires effectives (HSE), une enveloppe de HSE a été accordée en plus par le ministère de l'agriculture pour cette rentrée. Comment encouragez- vous les établissements scolaires de l'enseignement agricole à s'en emparer ?

M. Bernard Fialaire. - Je salue moi aussi tous les points positifs que vous nous avez présentés. J'ai entendu que l'enseignement agricole devait presque servir de modèle pour l'enseignement général. Face au manque de vétérinaires, vous indiquez qu'une des réponses passe par l'ouverture d'une école privée, pour pallier le manque de places en école publique. Ce n'est pas forcément le modèle que je souhaite pour notre enseignement...

Je m'associe à ce qu'a dit Nathalie Delattre sur le BTSA, qui pourrait se faire en trois ans. Il est nécessaire d'ajouter des enseignements de culture générale et des matières supplémentaires. Je suis élu d'une zone viticole où les besoins de commercialisation sont importants, tout comme les compétences en matière d'accueil et de tourisme.

Je voudrais également savoir où nous en sommes s'agissant de la coopération internationale. Nous recevions la semaine dernière, avec le groupe d'amitié France-Moldavie, le ministre des affaires étrangères moldave. Des pays comme la Moldavie ont besoin de former leurs populations agricoles et souhaiteraient que soient mis en place des partenariats avec notre pays. S'ils reposent sur le système de l'alternance, ces échanges permettent également de disposer d'une main-d'oeuvre importante dans des secteurs où nous en manquons. Il faut aussi aider les pays africains qui connaitront dans les années à venir des difficultés climatiques majeures. Il faut les accompagner pour les aider à faire évoluer leurs techniques agricoles. À défaut, nous assisterons à la propagation des déserts et à la multiplication des flux migratoires.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci monsieur le ministre pour la clarté de vos propos et pour certaines définitions de concepts que vous avez pu donner.

Je m'exprime en tant que sénateur des Hauts-de-Seine, c'est-à-dire un département où il y a 2 vaches et aucun établissement d'enseignement agricole. Mais ce département est sans doute l'un des plus gros donneurs d'ordres en matière d'alimentation - il compte notamment 100 collèges. Il serait très utile de nouer des partenariats forts entre les collectivités et les lycées agricoles sur la restauration, et notamment sur le développement d'une offre de légumerie.

Il est bien sûr nécessaire de développer la culture agricole dans les terroirs agricoles. Cependant, pour éviter de creuser le fossé entre les citadins (qui ne voient la campagne qu'à travers les vitres du TGV) et les ruraux, il faut aussi enseigner l'agriculture aux urbains. Cela leur éviterait des réactions irrationnelles. Des correspondances croisées entre les collectivités et les lycées agricoles permettraient de rappeler aux jeunes qu'il y a des paysans et des techniques agricoles derrière ce qu'ils consomment.

M. Max Brisson. - Je suis très heureux de vous voir car cela n'a pas toujours été le cas. J'ai le souvenir amer d'une séance dans l'hémicycle où le ministre de l'éducation nationale était bien en peine de répondre aux questions que nous posions sur l'enseignement agricole. Au Sénat, l'enseignement agricole est apprécié pour la manière avec laquelle il crée - avec peu de moyens - de vrais parcours permettant à des élèves en difficulté de raccrocher avec les chemins de la réussite. C'est là un travail remarquable et qui n'est pas assez mis en avant.

J'aurai trois questions.

Les particularismes de l'enseignement agricole seront-ils pris en compte dans la réforme de l'enseignement professionnel qui sera portée par Madame Grandjean ? La liberté et le caractère propre de l'enseignement agricole seront-ils bien considérés dans cette réforme ? Se dirige-t-on à l'inverse vers un alignement sur le droit commun ? Quel mot aurez-vous à dire pour protéger, préserver, nourrir et amplifier ce caractère propre de l'enseignement agricole dans la réforme engagée de l'enseignement professionnel ?

À la suite du discours du Président de la République, avez-vous commencé à élaborer des pistes de travail sur l'autonomie des établissements agricoles ? Je connais l'attente forte des équipes pédagogiques et des chefs d'établissement sur ce sujet.

Ma dernière question sera davantage locale. J'aurais quelques difficultés à revenir dans mon département si je ne la posais pas. L'enseignement bilingue en langue régionale est très développé dans les Pyrénées-Atlantiques. Or, je connais des chefs d'établissement agricole - à Hasparren par exemple - qui souhaiteraient pouvoir également expérimenter un enseignement bilingue en langue régionale dans leurs établissements. Ayant joué un rôle important dans le passé pour la transmission des langues étrangères, les établissements agricoles vous demandent de connaitre ce que connaissent les autres filières de l'enseignement.

Mme Sabine Drexler. - Je connais personnellement de nombreux jeunes, qui ne sont pas issus du monde agricole, qui voudraient se lancer dans la filière agricole. Beaucoup font face à des difficultés d'accès au foncier agricole et ces difficultés sont souvent décourageantes. Que pouvez-vous proposer à ces jeunes pour leur permettre de disposer de leur propre outil de travail pour développer leur activité ?

Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis. - Je voudrais apporter des précisions avec quelques chiffres supplémentaires. On constate bien la disparité entre le financement par élève entre le public et le privé. 53,6 % de ce budget est consacré au public alors qu'il ne représente que 40 % de l'enseignement agricole au total contre 60 % pour l'enseignement privé. Nous sommes très attachés à ce qu'un équilibre puisse être trouvé entre public et privé, et à ce que l'enseignement privé ne soit pas désavantagé.

Les établissements agricoles, public et privé, font face à d'importants coûts énergétiques. Beaucoup de ces établissements sont des internats, restant également ouverts le week-end. L'enseignement privé loue souvent ses bâtiments pour obtenir des financements supplémentaires, conduisant les établissements à continuer de consommer de l'énergie le week-end. Réfléchissez-vous à la mise en place de compensations pour aider ces établissements face aux lourdes charges de l'énergie ?

Je n'ai pas pu présenter mon amendement sur l'agrivoltaïsme. Laure Darcos rappelait que nous avions d'excellentes fermes pédagogiques. Pour permettre l'installation de l'agrivoltaïsme dans les fermes pédagogiques, est-il possible de passer par la voie réglementaire ou faudrait-il déposer un nouvel amendement ?

M. Marc Fesneau, ministre. - Nous constatons une augmentation assez constante des jeunes en situation de handicap dans nos établissements agricoles. Pour l'année 2021-2022, 4 669 jeunes en situation de handicap étaient scolarisés dans l'enseignement agricole, soit 1 000 de plus que l'année précédente. Ceux-ci ont bénéficié d'une aide, conformément à une notification de la MDPH. Les AESH bénéficieront bien de la revalorisation de 10 % des salaires. En 2019, on comptait 718 ETP AESH contre environ 1 000 en 2022. Nous essaierons de poursuivre cette tendance.

S'agissant de la réforme de l'enseignement professionnel, j'ai rappelé aux organisations syndicales que l'enseignement agricole était plutôt considéré par l'éducation nationale comme un modèle de réussite, ce qui doit nous rendre fier. Cette réforme vise à permettre que plus d'élèves s'engagent dans la voie professionnelle et que le taux de réussite soit plus élevé. Or, sur ces deux sujets, l'enseignement agricole est en pointe. Nous pouvons donc nous nourrir mutuellement de nos expériences. L'idée n'est pas de se calquer en tous points sur le modèle de l'enseignement agricole. Nous n'avons pas tout à fait les mêmes cohortes d'élèves, en nombre, ce qui rend les enjeux tout de même assez différents. 

Sur la question des stages, rien n'est encore décidé. J'ai conscience de la difficulté à concilier allongement de la durée des stages et maintien de l'ensemble des enseignements. Nous devons mettre en place des groupes de concertation pour tenir compte des spécificités de l'enseignement agricole, s'agissant notamment des capacités d'accueil des exploitations agricoles.

Sur la double certification apprentissage, nous n'avons pas fait d'évaluation en tant que telle. Mais la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) essaie de travailler à sortir de cette double certification.

S'agissant de l'adéquation entre les moyens et les objectifs, je voudrais rappeler plusieurs éléments. Je me réjouis d'abord que nous ayons stoppé la tendance structurelle à la baisse des effectifs. Par ailleurs, lors des discussions avec mon collègue Gabriel Attal, j'ai insisté sur la nécessité de mettre en adéquation les moyens avec les besoins. Il faut aussi reconnaitre qu'il y a des domaines de l'enseignement agricole où le nombre d'élèves baisse et qu'il n'y a donc pas de raison d'augmenter les effectifs. J'assume de prioriser sur certains sujets, à savoir sur l'inclusion et sur les vétérinaires.

Sur l'enjeu des vétérinaires, je n'ai peut-être pas été assez explicite. L'augmentation des effectifs n'est pas due qu'à la création de l'école vétérinaire privée de Rouen. Elle s'explique surtout par le renforcement des effectifs dans les quatre écoles vétérinaires existantes. Par ailleurs, je voudrais rappeler qu'une structure privée peut assumer des missions d'intérêt général. Tout l'enseignement agricole dans sa diversité (public ou privé), sous ses différentes formes (associative ou autre), contribue à l'épanouissement des élèves. La véritable difficulté réside dans le fait qu'une grande partie des vétérinaires ne se destinent plus à des métiers ruraux et se tournent vers le privé, quand bien même ils ont été formés par le public. La médecine vétérinaire se dirige de plus en plus vers une médecine de l'animal de compagnie. Nous devons donc travailler à l'attractivité du métier en milieu rural. Le regroupement de cabinets peut constituer une réponse.

S'agissant du fonds d'innovation, il ne s'agit pas d'un appel à projets. Nous essayons de travailler avec les équipes des établissements pour trouver des formations pour les métiers de demain. C'est véritablement un fonds d'innovation pédagogique, au sens premier du terme.

S'agissant de l'évaluation du camion « l'aventure du vivant », vous avez rappelé que cette initiative a été lancée peu de temps avant la crise Covid. 2022 est donc la première année « normale » pour nous permettre de faire une évaluation. Il faut donc se laisser encore un peu de temps.

Il nous faut en effet trouver des pistes pour renforcer l'attractivité des métiers d'infirmiers dans les établissements d'enseignement agricole. Ce n'est pas qu'une affaire de revalorisation salariale. Il nous faut travailler sur tous les leviers.

Nous lancerons en 2022 une étude avec la DGER pour travailler sur la lutte contre les stéréotypes de genre. L'objectif est notamment de déterminer finement les raisons pour lesquelles les femmes se dirigent moins vers l'élevage. Il me semble également que les métiers sont mal décrits, ce qui dissuade les jeunes à les rejoindre.

S'agissant de la place des professionnels dans l'enseignement agricole, l'idée n'est pas de substituer les enseignants par des professionnels. L'objectif est de faire venir des professionnels en appui du parcours pédagogique, à l'intérieur des établissements. Il n'y aura pas de mécanisme de substitution.

Je vous propose de vous répondre par écrit sur la question des heures supplémentaires.

Les enjeux de coopération sont très particuliers au ministère de l'agriculture. Nous avons des coopérations en matière d'enseignement agricole avec des pays africains mais aussi des coopérations en matière de recherche, au travers des établissements comme l'INRAE. Nous coopérons également sur les questions de sécurité sanitaire au travers de la direction générale de l'alimentation. Nous pourrons vous communiquer un état des lieux précis sur le sujet. Il faut par ailleurs noter que la filière agricole est celle qui mobilise le plus Erasmus.

Nous devons expliquer ce qu'est le cycle du vivant et rappeler que les temporalités sont courtes ou longues suivant les productions. J'ai été désespéré d'entendre certains propos sur la forêt la semaine dernière. Nous avons perdu ce rapport au cycle du vivant et ce n'est pas qu'une affaire d'opposition entre urbains et ruraux. Sur l'eau, sur la forêt, sur l'élevage, nous butons sur la compréhension du cycle du vivant. Cela rejoint la question de l'éveil à la science.

L'autonomie des chefs d'établissement est déjà une réalité pour les établissements d'enseignement agricole. C'est d'ailleurs une de leurs spécificités. Les équipes pédagogiques, qui sont à l'origine de nombreuses innovations, peuvent en témoigner.

Sur l'enseignement des langues régionales, nous sommes attentifs à la nécessité de promouvoir le patrimoine immatériel, la diversité culturelle et donc les langues régionales. La demande concernant 200 élèves sur les 154 000 est à ma connaissance satisfaite. Je voudrais saluer le travail du lycée d'Hasparren, qui est bien connu de nos équipes au ministère. Nous avons avec ce lycée des relations de confiance, qui nous permettent d'avancer sur le sujet.

Il n'y a pas d'un côté des jeunes venant du monde urbain voulant plutôt faire du maraîchage et du circuit court et de l'autre la cohorte importante de ceux qui souhaiteraient faire de la production à plus grande échelle.

Il y a en effet un problème d'accès au foncier. Il faut à ce sujet saluer les initiatives portées par les collectivités pour les établissements publics fonciers pour essayer de mettre à disposition des terrains. Cette question du portage foncier sera intégrée au pacte et au projet de loi que nous préparons. Ce n'est cependant pas le seul problème. Se pose également celui de l'accès à l'eau et des conflits d'usage qui peuvent en découler. Se pose aussi celui du manque de main d'oeuvre.

Vous avez eu raison de saluer la grande diversité de l'enseignement agricole. Je salue tout particulièrement le respect réciproque entretenu entre public et privé, qui constitue une des grandes forces de cet enseignement.

S'agissant des défis énergétiques, nous sommes en train de regarder établissement par établissement. Il est vrai qu'il y a une spécificité de l'enseignement agricole, compte tenu du modèle internat qui est très développé. Certains établissements ont des contingences que d'autres n'ont pas. Nous devons donc regarder au cas par cas. Cette hausse des coûts de l'énergie peut mettre en défaut financier un certain nombre d'établissements.

S'agissant de l'agrivoltaïsme dans les exploitations des établissements d'enseignement agricole, il n'y a pas à ce jour de règles dérogatoires. Nous devons voir si nous devons mettre en place une disposition ad hoc ou passer par la voie de l'expérimentation. Je pense qu'un certain nombre d'établissements seraient intéressés. À titre personnel, je trouve qu'il serait intéressant d'essayer. Nous verrons ce qui sera décidé au cours de la navette parlementaire de cette proposition de loi. Il nous faut certes tenir compte des spécificités des exploitations agricoles des établissements d'enseignement scolaire. Mais ces exploitations ne sont pas des zones de non-droit agricole.

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie monsieur le ministre. Vous avez vu l'intérêt de notre commission pour l'enseignement agricole : mes collègues étaient nombreux à intervenir. Ceci démontre bien que l'enseignement agricole est un élément extrêmement important pour la vitalité des territoires que nous représentons. Merci pour le temps que vous avez pris à nous répondre, avec beaucoup d'application et surtout avec un souci du dialogue.

M. Marc Fesneau, ministre. - Merci monsieur le président. J'ai compris qu'il fallait que je réserve ma soirée du 1er décembre !

M. Laurent Lafon, président. - Et vous êtes aussi le bienvenu au lycée d'Hasparren !

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 20.

Jeudi 17 novembre 2022

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 11 heures.

Projet de loi de finances pour 2023 - Crédits « Enseignement agricole » - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons les crédits du rapport pour avis de notre collègue Nathalie Delattre sur le programme « Enseignement technique agricole » du projet de loi de finances (PLF) 2023.

Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis sur les crédits de l'Enseignement technique agricole. - Le programme 143 « Enseignement technique agricole » est doté, dans le PLF 2023, de 1,59 milliard d'euros. Les crédits connaissent une augmentation de 67,8 millions d'euros, soit de plus de 4 % par rapport à l'année dernière.

Cette augmentation bienvenue des crédits s'explique principalement par la hausse à hauteur de 73 millions d'euros des dépenses de personnel, sous l'effet notamment, de la revalorisation du point d'indice et du financement du glissement vieillesse technicité (GVT).

Les crédits hors dépenses de personnel diminuent quant à eux de 5,37 millions d'euros. Cette baisse s'explique d'une part du fait d'un ajustement à la baisse des crédits dédiés au financement des bourses sur critères sociaux que le ministère justifie par la diminution du nombre d'élèves, et d'autre part de diverses mesures de transfert vers d'autres programmes.

Il faut souligner aussi le bel effort effectué en faveur de l'école inclusive. Durant l'année scolaire 2021-2022, le nombre de jeunes en situation de handicap accueillis dans l'enseignement agricole a encore progressé de 26 % ! Je me réjouis que la dotation en faveur de l'accompagnement et de l'inclusion de ces élèves progresse de 10,28 millions d'euros pour 2023. L'année dernière, je m'interrogeais sur la pleine adéquation des moyens, face à la hausse continue des besoins. Une augmentation conséquente me paraissait indispensable pour permettre la scolarisation dans les meilleures conditions, en milieu ordinaire, des élèves et étudiants de l'enseignement technique agricole en situation de handicap. Je suis donc rassurée, mais reste vigilante.

Je souhaiterais toutefois renouveler mon inquiétude quant au faible nombre de personnes ressources venant en appui aux services déconcentrés et aux établissements.

Aujourd'hui encore et malgré la hausse indéniable des besoins, ce sont seulement deux personnes à temps plein qui sont chargées d'animer le réseau national et de coordonner les actions de formation des 806 établissements de l'enseignement agricole.

S'agissant du schéma d'emplois, 15 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires sont prévus sur le programme 143. Ces ETP viendront renforcer les équipes médico-sociales. Si je me félicite de cette hausse des ETP après une baisse conséquente les années précédentes, je m'interroge sur l'efficacité et la pertinence de ce dispositif sur le terrain, puisque cette hausse ne représente qu'environ 1 ETP par région !

Le ministre Marc Fesneau, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, nous a indiqué hier que ces 15 postes médico-sociaux seraient renforcés de 15 ETP en 2024 et 15 en 2025, sans faire plus d'annonces à ce stade sur le schéma pluriannuel 2023-2026. Nous reviendrons donc vers lui.

Il me paraît cependant nécessaire de se donner les moyens d'agir en augmentant avant tout les ETP d'enseignants pour les années à venir. L'enseignement agricole doit impérativement oeuvrer pour maintenir de petits effectifs, ouvrir davantage de classes et élargir l'éventail d'options proposées dans les établissements.

Pour clore cette première analyse budgétaire, je voudrais saluer à nouveau la hausse des crédits sur l'ensemble du programme, mais en soulignant toutefois son manque de lisibilité en raison des nombreuses modifications qu'a subies la maquette cette année.

De multiples mesures de périmètre et de transferts ont en effet été opérées au sein du projet de loi de finances pour 2023 ; un nouvel indicateur nommé « dépense moyenne de l'État pour la formation d'un élève de l'enseignement agricole technique », concernant tant le public que le privé, est venu remplacer l'indicateur de coût unitaire de formation d'un élève pour l'État (Cufe), spécifique à l'enseignement agricole public.

La direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) a indiqué que la modification de la maquette devait permettre de se conformer aux recommandations de la Cour des comptes dans son rapport de 2020 sur les coûts et la performance du programme 143. En effet, la DGER fait son possible pour nous fournir les informations et je m'engage à vous les transmettre avant le 1er décembre 2022.

Au-delà de ces considérations budgétaires, je vous propose maintenant d'aborder plus largement la situation du secteur de l'enseignement technique agricole et ses perspectives d'avenir.

À la rentrée 2022, les établissements de l'enseignement technique agricole ont accueilli 153 877 élèves et étudiants.

Le nombre d'élèves est donc en baisse de 1,1 %, soit une diminution de 1 743 élèves. Cette baisse est visible aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé.

La situation des brevets de technicien supérieur agricole (BTSA) est particulièrement inquiétante. Les effectifs dans ces formations, qui ont pourtant fait leurs preuves, ont diminué de 12,8 % par rapport à la rentrée précédente, soit une perte de 2 372 élèves à la rentrée 2022 !

Il m'apparaît indispensable de mettre en place au plus vite un groupe de travail pour revaloriser le BTSA et lui redonner une perspective claire dans une dynamique de bac+3. Le ministre nous a indiqué hier être celui qui saura mettre en place cette mutation.

Plus généralement, si la diminution du nombre d'élèves à la rentrée 2020 s'expliquait par les conséquences de la crise sanitaire, cette nouvelle baisse des effectifs souligne avec force la nécessité d'agir pour mieux faire connaître l'enseignement agricole.

À l'heure où plus de la moitié des exploitants agricoles ne seront plus en activité dans dix ans et où le besoin de services dans les territoires augmente, il est urgent de renforcer la communication autour des formations de l'enseignement agricole et redynamiser les effectifs sur le long terme.

Depuis 2019, le « Camion du Vivant » et la campagne de communication #CestFaitPourMoi, lancée dans le cadre du plan de relance, s'efforcent de faire connaître l'enseignement technique agricole dans les territoires et sur les réseaux sociaux.

Si ces campagnes de communication ont bien fonctionné à leur lancement, nombre d'acteurs représentant l'enseignement technique agricole public et privé déplorent leur manque de visibilité en 2022, ce que ne percevait malheureusement pas le ministre jusqu'à ce que nous l'en informions hier. Il est indispensable de mieux cerner les attentes des jeunes et d'encourager les établissements, au niveau local, à se saisir à leur échelle ces enjeux, en y associant leurs élèves.

Plus encore, après avoir ouvert une enveloppe de 9,7 millions d'euros au service de la communication sur le plan de relance pour 2022, je déplore que ces crédits ne soient pérennisés qu'à hauteur de 1,9 million d'euros sur le programme 143 pour l'année prochaine. Face au manque d'information persistant en direction des élèves sur l'offre de formation de l'enseignement agricole, seule la mise en place d'un schéma de communication pluriannuel permettra véritablement, à mon sens, d'inverser la tendance.

Aussi, il me semble primordial de mieux valoriser l'enseignement agricole au sein du système d'orientation. Les enseignants des collèges, qui jouent un rôle essentiel dans l'orientation, méconnaissent encore trop les filières de l'enseignement technique agricole.

La mission d'information du Sénat avait fait plusieurs propositions très concrètes pour renforcer l'information des élèves. Je regrette que celles-ci n'aient pas encore été suffisamment entendues.

C'est pourquoi j'aimerais réitérer mon appel à rendre systématique la présentation de l'enseignement agricole dans les collèges. J'avais déjà formulé ce voeu l'année dernière. Plus que jamais, je suis convaincue que les cursus offerts par l'enseignement agricole doivent être mieux connus par les collégiens pour redynamiser durablement le secteur.

D'autant plus que l'enseignement technique agricole se distingue encore cette année par ses résultats toujours très satisfaisants, et ses taux d'insertion professionnelle très élevés : en situation post-bac, trois ans après l'obtention de leurs diplômes, 86 % des titulaires d'un bac professionnel de l'enseignement agricole et 92 % des titulaires d'un BTSA occupent un emploi !

Le caractère innovant de l'enseignement agricole est également reconnu. Les formations proposées se veulent en prise avec les défis auxquels fait face le monde agricole.

Face aux enjeux climatiques, environnementaux et de souveraineté alimentaire, de nouvelles compétences sont nécessaires pour préparer aux métiers du monde agricole et les besoins en recrutement sont de plus en plus importants. Cette qualité d'enseignement doit être préservée.

Aussi, je souhaiterais terminer mon intervention en attirant votre attention sur la nécessité plus que jamais d'accompagner les établissements de l'enseignement technique agricole face au contexte énergétique tendu et à la hausse globale des coûts de production, notamment dans l'alimentaire.

Lors de leurs auditions respectives, les représentants des établissements se sont dits particulièrement inquiets de la hausse des coûts de fonctionnement des écoles et des fermes pédagogiques, tout comme le disent les collectivités.

Ces établissements sont particulièrement énergivores, d'autant plus que l'enseignement agricole est également caractérisé par un fort taux d'élèves en internat - pour rappel, 57 % des élèves de l'enseignement technique agricole sont internes.

Or, tandis qu'une aide aux établissements en difficulté du fait de la crise du Covid avait été mobilisée en 2020 et en 2021, la DGER et le ministre ont indiqué lors de son audition qu'aucun plan d'urgence n'était envisagé à ce jour. Ce dernier a en effet précisé qu'il était encore au stade l'état des lieux. Cette augmentation des coûts de l'énergie ne pouvant être répercutée sur les familles, la situation financière des établissements risque d'être fortement mise à mal si la crise venait à perdurer.

Il m'apparaît donc essentiel de venir au plus vite soutenir les établissements de l'enseignement technique agricole publics et privés, pour leur permettre d'absorber les retombées de l'inflation, qui mettent gravement en péril leur trésorerie pour les mois à venir.

A minima, les maisons familiales rurales (MFR) et les fédérations de l'enseignement agricole privé du temps plein pourraient être autorisées à utiliser le plafond maximal prévu pour 2022 et 2023 dans le protocole qui encadre leur fonctionnement. Ces sommes, représentant environ 10 millions d'euros pour les maisons familiales rurales et 5 millions d'euros pour les fédérations de l'enseignement agricole privé du temps plein, pourraient ainsi ne pas être rendues, mais conservées dans leurs budgets pour prendre en compte l'impact très négatif de l'inflation sur leurs établissements. Il suffirait pour ce faire d'une autorisation du ministère.

En conclusion, et en raison d'une augmentation satisfaisante du budget consacré à l'enseignement technique agricole, et des propos très impliqués du ministre de l'agriculture auditionné hier, je vous propose de donner un avis favorable aux crédits du programme 143, tout en restant vigilants sur l'évolution des crédits et des ETP de l'enseignement agricole à moyen terme.

Mme Marie-Pierre Monier. - Les examens des crédits alloués à l'enseignement agricole dans le cadre du PLF se suivent et se ressemblent. Nous souhaitons tous préserver cet enseignement vecteur de richesses pour nos territoires, d'autant plus crucial dans un contexte de transition agroécologique et de renouvellement des générations : il faudrait atteindre le chiffre de 20 000 nouvelles installations agricoles annuelles et nous n'en sommes qu'à 14 000 à ce jour. Pourtant, comme l'avait souligné notre mission d'information sur l'enseignement agricole, on constate un manque de volontarisme budgétaire pour répondre à la situation matérielle dégradée de l'enseignement agricole. Ainsi, 316 emplois ont été supprimés entre 2017 et 2022 : derrière l'apparente stabilité des effectifs que montre le PLF se cachent en réalité des conditions d'enseignement mises à mal, et une mise en danger de la singularité pédagogique de ces enseignements.

Si le pacte de loi d'orientation agricole promis par le Président de la République retient tout notre intérêt, celui-ci doit être réellement mis en oeuvre. De même, la hausse globale du budget de 4,4 % n'est pas à la hauteur de l'inflation ni des impacts de la crise sanitaire et énergétique qui pèsent sur les établissements.

Je salue la hausse de 10 ,3 millions d'euros des crédits pour l'inclusion scolaire, soit une hausse de 28 %. Je souhaite toutefois émettre une alerte sur la situation des personnels, et notamment des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) qui ont parfois du mal à trouver suffisamment de missions et à parvenir à une quotité travaillée, et donc de rémunération, satisfaisante, en raison de la faible densité d'établissements dans certains départements.

S'agissant de la baisse des crédits en direction des bourses sur critères sociaux évoquée par le ministre, je souhaiterais avoir des explications. Quelles en sont les raisons ?

Pour finir, j'attire votre attention sur l'importance de communiquer dans les collèges, afin d'attirer les élèves en nombre dans l'enseignement agricole. Il faut donc avoir un budget consacré à cette dimension.

Mme Annick Billon. - Si nous pouvons nous réjouir de l'augmentation de 6,5 % des crédits de la mission « Enseignement scolaire », leur ventilation n'en est pas moins déséquilibrée. Ainsi, le programme 143 ne représente que 1,9 % des dépenses de la mission, alors que le programme 141 « Enseignement scolaire public du second degré » est 25 fois supérieur.

L'enjeu est de taille : 55 % des agriculteurs ont plus de 50 ans et un agriculteur sur deux partira à la retraite dans les cinq prochaines années. Or nombre d'installations annuelles ne sont pas suffisantes pour compenser ces départs.

Le secteur agricole est une voie d'excellence tant pour l'enseignement, que l'insertion professionnelle et l'épanouissement des élèves.

L'agriculture fait face à de nombreuses mutations économiques, environnementales et sociétales qui sont autant de défis obligeant les métiers du secteur à se transformer. Pour les relever, la profession doit continuer à conjuguer performance et innovation. Nous serons donc attentifs aux efforts réalisés pour renforcer l'attractivité de la filière, avec la plateforme Horizons 21 par exemple. Un projet de loi d'orientation agricole est aussi annoncé pour le premier semestre 2023.

Par ailleurs, on peut saluer les efforts réalisés pour féminiser certaines professions et pour briser les stéréotypes. Nous serons attentifs à la réforme de l'enseignement professionnel qui aura des conséquences sur l'enseignement agricole. Comme notre rapporteure, nous sommes réservés quant au bilan du « Camion du Vivant » au regard des investissements consentis.

Enfin, je conclus en évoquant plusieurs points de vigilance : la situation des MFR - nous soutenons la proposition de notre rapporteure à cet égard - ; les conditions de travail et de rémunération des AESH, la place des filles dans les filières d'enseignement agricole et la réforme de l'enseignement professionnel à venir.

Mme Céline Brulin. - Ce budget met fin à une spirale délétère qui prévaut depuis plusieurs années, mais il n'enclenche pas pour autant une nouvelle dynamique si l'on pense à la nécessité de recruter de nouveaux enseignants. Le programme 143 est celui dont les crédits progressent le moins au sein de la mission, alors que la baisse des effectifs ces dernières années a été considérable. En outre, plus qu'ailleurs, le secteur nécessite un fort taux d'encadrement et un travail organisé en petits groupes.

Nous rejoignons les propositions de notre rapporteure, afin de mieux faire connaître l'enseignement agricole. Le taux d'insertion dans l'emploi de cette filière est en effet exceptionnel et sa réussite pourrait d'ailleurs éclairer la réflexion générale sur l'insertion professionnelle.  

Pour finir, nous soutenons la proposition de notre rapporteure visant à ce que les MFR puissent être autorisées à utiliser le plafond maximal de crédits prévu pour 2022 et 2023 dans le protocole qui encadre leur fonctionnement.

Nous nous abstiendrons sur le vote de ces crédits.

M. Stéphane Piednoir. - Nous pouvons nous féliciter de la hausse des crédits, même si celle-ci est financée par de la dette...

J'ai une question à propos du manque de lisibilité des transferts de crédits. Est-il possible d'avoir des précisions ? Ce n'est jamais un bon signal quand on n'y voit pas clair...

Notre rapporteure nous incite à la vigilance sur le maintien des ETP. L'enseignement technique agricole constitue une spécificité précieuse de notre système éducatif. L'enseignement agricole conserve de petits effectifs dans ses classes. Il s'agit d'un véritable modèle. Lors du récent débat sur l'enseignement professionnel, Carole Grandjean a d'ailleurs pris pour référence l'enseignement technique agricole. Le taux d'insertion après le brevet de technicien supérieur agricole (BTSA) est exceptionnel. Marie-Pierre Monier et Annick Billon ont insisté sur la nécessité de soutenir la création de nouvelles installations agricoles. Il s'agit d'un modèle d'enseignement concret. L'orientation se fait au collège. Les élèves déjà ancrés dans le milieu agricole ne rencontrent aucune difficulté d'accès à l'information. En revanche, comment donner envie aux élèves de collège de rejoindre cette formation quand ils ne la connaissent pas ? On mesure là l'importance de l'orientation et de la charte d'information du professeur. Les professeurs ne connaissent pas toujours ces filières.

En ce qui concerne l'impact de la hausse de l'énergie, notamment pour les internats, l'état des lieux préliminaire du ministre me laisse quelque peu perplexe. Nous manquons de chiffres provenant directement des établissements, afin de pouvoir évaluer les compensations à envisager.

Le groupe Les Républicains suivra l'avis de la rapporteure.

M. Max Brisson. - Je souhaite saluer l'implication du ministre. C'était également le cas lors du récent débat sur Parcoursup de Mme Sylvie Retailleau, qui s'est montrée d'une grande disponibilité.

Nous suivrons l'avis de notre rapporteure puisque ces crédits présentent une situation relativement stabilisée, moins dégradée que par le passé.

Néanmoins, je tiens à souligner une ambivalence. Cela a été dit, notre système est performant, diversifié et très inscrit dans nos territoires ; mais il se caractérise aussi par sa marginalité. Sur le terrain, nous constatons dans les établissements une gestion sous forme de bricolage, qui n'est à la hauteur ni des performances ni, comme le relevait Stéphane Piednoir, du remarquable taux d'insertion qui tient beaucoup au lien avec les professions du secteur. Alors que nous constatons le bon équilibre entre l'enseignement et la formation sur le terrain, nous sommes parfois surpris d'entendre que les équipes pédagogiques doivent gérer, avec beaucoup d'ingéniosité et quelques bouts de ficelle, leurs établissements.

Un budget devrait traduire une politique. Notre rapporteure souligne l'enjeu de l'orientation, or nous aimerions voir la transcription budgétaire des ambitions exprimées. Cela concerne au premier chef le ministère de l'éducation nationale. C'est bien beau de dire que l'orientation est une cause nationale, nous sommes tous d'accord sur le constat, mais concrètement, nous aimerions en voir la transcription budgétaire ; sinon, il ne s'agit que de discours, d'incantations. Nous pourrions, par exemple, inscrire dans le budget des crédits pour accompagner les établissements agricoles dans leur communication, car en la matière, ils doivent agir seuls. Ce serait là une volonté politique traduite par des inscriptions budgétaires.

Enfin je tiens à appeler à la vigilance. L'éducation nationale va entamer la réforme de la voie professionnelle, mais il est à craindre qu'elle la mènera en interne et pour répondre à ses finalités. Je sais comment se conçoivent les règles au sein du ministère de l'éducation nationale, et nous devrons rappeler l'existence de l'enseignement agricole. On pourrait dire la même chose des lycées maritimes rattachés au ministère de la mer : ces voies professionnelles qui ne dépendent pas de l'éducation nationale vont être impactées par la réforme de l'enseignement professionnel. Nous devrons être vigilants pour que ces établissements ne soient pas oubliés.

Mme Sabine Drexler. - Nous devons porter une attention particulière à ces filières, il faut mieux les faire connaître. L'enseignement agricole permet ainsi de mieux répondre aux enjeux de souveraineté alimentaire. Le secteur offre des opportunités à des jeunes qui ne sont pas faits pour l'enseignement classique. Il peut leur éviter de devenir des décrocheurs sans formation, et à terme, sans travail.

Mme Sonia de La Provôté. - Une réforme du contenu des enseignements généraux de l'enseignement professionnel et agricole avait été menée afin d'inclure l'enseignement de disciplines générales et de faciliter les passerelles entre filières. Ces passerelles sont-elles toujours d'actualité ?

Mme Nathalie Delattre, rapporteure pour avis. - La constance de votre implication dans ce dossier fait plaisir. L'attachement du Sénat à l'enseignement agricole fait chaud au coeur des directeurs d'établissements.

Je partage les interrogations de Marie-Pierre Monier en ce qui concerne les crédits de transferts. Dans un de ses rapports, la Cour des comptes avait demandé des clarifications sur la codification. La maquette budgétaire a été sensiblement modifiée par rapport au projet de loi de finances pour 2022 pour répondre à ces recommandations.

La question est de connaître la table de conversion de Bercy pour passer du coût unitaire de formation d'un élève (Cufe) au nouvel indicateur. Nous ne disposions pas du montant du Cufe privé, seulement de celui du Cufe public, aux environs de 10 000 euros. Or aujourd'hui, le nouvel indicateur donnerait en moyenne un montant de 8 000 euros. On en déduit que le Cufe privé était de 6 000 euros... On a l'impression que Bercy fait en sorte que l'on ne découvre pas que le Cufe était très bas...

Sachez toutefois que notre avis défavorable de 2019 a permis au Conseil national de l'enseignement agricole privé (Cneap) de négocier de meilleures conditions dans le dernier protocole. Je continuerai à soutenir les maisons familiales et rurales (MFR) dans la discussion pour signer un nouveau protocole qui aura lieu en 2023. Ces chiffres nous fournissent des arguments en faveur d'une augmentation de la participation de l'État. L'enseignement public bénéficie de 50,3 % des subventions alors qu'il représente seulement 40 % des effectifs de l'enseignement agricole, tandis que le privé représente 60 % des effectifs, perçoit moins de subventions et participe largement au succès de la filière.

En ce qui concerne les bourses, il y a un transfert de 25,87 millions d'euros vers le programme 142 pour des raisons de lisibilité de la maquette budgétaire. Mais la baisse parallèle constatée sur les crédits du programme 143 est de 26,92 millions d'euros. Le Gouvernement justifie cet écart par une baisse des effectifs des élèves. Or, il faut mettre en rapport cette baisse avec l'augmentation exponentielle de l'apprentissage. C'est un effet d'aubaine pour l'instant, car, dans la filière apprentissage, les établissements récupèrent 8 000 euros, une somme bien supérieure au Cufe de 6 000 euros.

Le ministre, Marc Fesneau, s'est engagé à ce qu'il ne manque aucun fonds pour financer les bourses des lycéens. Les établissements font une avance remboursée ensuite par le ministère. Le ministre est très impliqué. C'est un signe encourageant. Nous devons le soutenir face à Bercy pour obtenir des arbitrages favorables.

Ce budget met fin à la spirale de la baisse des crédits. Nous pouvons émettre un avis favorable, mais nous devons rester vigilants.

En ce qui concerne la hausse de l'énergie, nous n'avons pas de chiffres précis des établissements. On estime que le coût est multiplié par quatre. Le ministre s'efforce de faire un état des lieux, mais il n'a guère de marge de manoeuvre. C'est ce qui explique la proposition que nous formulons. Il convient aussi que les établissements privés, qui ont beaucoup moins profité des fonds de compensation covid que les établissements publics, ne soient pas oubliés.

Je soutiens la proposition de Max Brisson sur un budget consacré à l'orientation. Ce serait une très bonne idée. D'ores et déjà, nous faisons une proposition qui ne coûte rien : rattacher également l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (Onisep) au ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, et non plus seulement au ministère de l'éducation nationale. Comme le relevait Stéphane Piednoir, ses personnels sont issus de la filière générale et ne connaissent pas toujours bien les autres filières. Un élargissement de la tutelle de l'Onisep pourrait permettre de travailler dans l'orientation de façon plus coordonnée. Il serait sans doute possible d'aller plus loin dans le budget d'orientation de l'éducation nationale.

Notre mission d'information sur l'enseignement agricole a montré que des enfants en situation d'exclusion scolaire ont été sauvés par la découverte de l'enseignement agricole. Mais il y a aussi des enfants dans la filière générale qui aimeraient intégrer l'enseignement agricole et qui sont confrontés à un parcours du combattant. J'ai recueilli le témoignage de parents d'élèves. Ils nous ont raconté que leurs enfants étaient de bons élèves de la filière générale, qu'ils souhaitaient se tourner vers la formation agricole, mais que l'éducation nationale ne voulait pas les lâcher. Or l'enseignement agricole a aussi besoin des bons élèves. Il faut donc souligner que si la filière agricole sauve certains enfants, elle peut également dynamiser la carrière d'élèves déjà brillants.

Enfin, madame de La Provôté, je n'ai pas d'éléments de réponse à votre question. Je la transmettrai à la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER).

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 143 « Enseignement technique agricole » au sein de la mission Enseignement scolaire du projet de loi de finances pour 2023.

La réunion est close à midi.