Mercredi 1er février 2023

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 15.

Déclin des insectes - Pollution lumineuse - Présentation de deux notes scientifiques de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

M. Jean-François Longeot, président. - Nous examinons deux notes scientifiques de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), l'une sur le déclin des insectes, l'autre sur la pollution lumineuse.

Les insectes : un sujet d'infime dimension à l'échelle du règne animal, mais d'une extrême importance écosystémique, inversement proportionnelle à sa taille. Ils sont le versant mal-aimé de la biodiversité, car l'imaginaire collectif éprouve de la répugnance pour les invertébrés et réduit bien souvent les insectes aux maladies dont ils sont parfois porteurs et aux dommages qu'ils peuvent causer aux cultures végétales. Il est indéniable que le « capital sympathie » dont bénéficie un ours polaire ou un grand mammifère terrestre en voie d'extinction est sans commune mesure avec celui des insectes, excepté peut-être les abeilles et les papillons.

L'importance de leur rôle écologique est cependant largement sous-estimée. Il existe un consensus scientifique sur le fait que leur déclin est une mauvaise nouvelle pour la biodiversité et les activités humaines. Les insectes, premiers maillons de la chaîne alimentaire de nombreux vertébrés, offrent des services écosystémiques considérables, à travers notamment la pollinisation, le recyclage de la matière organique, la régulation des ravageurs ou encore la fourniture de produits commercialisables ; je pense au miel et à la soie, mais également aux pays où ils constituent une source de protéines et de vitamines...

Leur déclin est difficilement mesurable, mais toutes les études scientifiques l'attestent. Qui plus est, chaque automobiliste d'un certain âge en a déjà fait l'expérience de manière empirique, par l'observation de son pare-brise ou sa plaque d'immatriculation au terme d'un trajet d'une certaine longueur. Les facteurs qui expliquent la chute du nombre d'individus, mais aussi d'espèces, sont identifiés par un nombre croissant d'études scientifiques. Comme souvent en matière de biodiversité, plusieurs facteurs contribuent à ce déclin, au premier titre desquels figurent les pressions anthropiques, à travers les pollutions en tout genre, le développement de l'agriculture et son intensification, la fragmentation des habitats, etc.

Une étude parue en décembre 2022, coordonnée par l'université d'Harvard, a montré qu'à l'échelle mondiale, l'incidence du défaut de pollinisation des cultures serait responsable de plus de 427 000 morts prématurées par an. La pollinisation sauvage affecte le rendement des cultures de manière plus importante encore que les scientifiques ne le pensaient. La lutte contre le déclin des insectes répond ainsi à un enjeu de souveraineté alimentaire. Selon la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), le GIEC de la biodiversité, l'alimentation et les revenus de 20 % de la population mondiale dépendent des espèces sauvages, animales et végétales. Petite cause, grand effet : nous sommes ici en présence d'un « effet papillon » - un autre insecte sur le déclin...

À ce titre et en vertu de l'attention que notre commission porte à la biodiversité, nous sommes parfaitement fondés à nous intéresser à cette question. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que nous nous intéressons aux insectes : en février 2017, nous avions consacré une table ronde aux pollinisateurs, puis en juin 2018 nous avions fait une audition sur les produits phytosanitaires, et nous nous y sommes intéressés aussi au cours de l'examen de plusieurs projets de loi, en particulier sur la biodiversité.

Nous accueillons donc notre collègue Annick Jacquemet, auteur au nom de l'Opecst d'une note scientifique sur les insectes ; nous en espérons des informations sur l'état de la recherche scientifique à propos du rôle, des bénéfices et des inquiétudes concernant les insectes, ainsi qu'une analyse des leviers d'action pour inverser la tendance en matière de biodiversité entomologique.

J'aurai deux questions liminaires : le Gouvernement a-t-il pris la mesure de ce déclin, à travers notamment l'action de l'Office français de la biodiversité (OFB) sur le terrain ? Comment renforcer le plan national d'actions « France, terre de pollinisateurs » pour enrayer ce déclin, en accompagnant l'agriculture vers des pratiques favorables aux insectes pollinisateurs, afin de créer un cercle vertueux ?

Second thème, ensuite, et seconde note scientifique que notre collègue Annick Jacquemet nous présente au nom de l'Opecst : la pollution lumineuse, un thème sur lequel nous avons déjà travaillé - en particulier lors de l'examen de l'article 18 de la loi du 22 août 2021 « Climat et Résilience », qui ouvre aux élus locaux la possibilité de prévoir, via leur règlement local de publicité (RLP), des prescriptions techniques à respecter pour les publicités lumineuses et enseignes lumineuses situées à l'intérieur des vitrines. Ces prescriptions pourront porter sur les horaires d'extinction, la surface, la consommation énergétique et la prévention des nuisances lumineuses. Le Sénat a aussi enrichi la loi « pouvoir d'achat » du 16 août 2022 (« MUPPA ») d'une disposition pour interdire les panneaux publicitaires lumineux en cas de pénurie d'électricité, durant les périodes pendant lesquelles le gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE émet un signal « Écowatt rouge ». En octobre, un décret a interdit, y compris en l'absence de tensions sur le réseau d'approvisionnement en électricité, des publicités lumineuses la nuit entre une heure et six heures partout en France, à l'exception des aéroports, gares ou stations de métro.

Cette actualité législative et réglementaire démontre que l'éclairage de nuit occupe une place croissante dans le débat public, même si le sujet est abordé sous l'angle énergétique et très peu sous l'angle de la prévention des risques. Or, la note scientifique met en évidence les nombreuses conséquences négatives de la pollution lumineuse : en perturbant les cycles naturels de lumière et d'obscurité qui structurent le monde vivant et en fragmentant spatialement et temporellement les habitats, la lumière artificielle nocturne participe, au même titre que d'autres pressions anthropiques, au déclin de la biodiversité. En outre, elle soulève de réelles préoccupations en matière de santé publique.

J'aurai, ici aussi, une première question : en quoi est-il essentiel d'aborder la question de la pollution lumineuse sous d'autres angles que celui de la sobriété énergétique ?

Annick Jacquemet, rapporteure de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques. - Merci pour cette invitation à vous présenter le fruit de mes travaux menés au sein de l'Opecst : une note sur le déclin des insectes, rédigée l'an passé, et une autre sur la pollution lumineuse, publiée la semaine dernière.

Apparus sur terre il y a 400 millions d'années, les insectes représentent 80 % des organismes vivants et leur biomasse est supérieure à celle des humains ; ils sont très divers, relevant de 28 ordres, dont 5 représentent les quatre-cinquièmes de l'ensemble. Leur déclin est massif et il est désormais établi scientifiquement, même s'il est difficile de produire des données précises - le déclin de certains insectes comme les papillons et les abeilles est mieux documenté, en raison d'un nombre plus important d'études en Europe et en Amérique du Nord. Ce déclin est calculé de différentes façons : en abondance (selon le nombre d'individus), en richesse (le nombre d'espèces) et en biomasse ; sur ces trois paramètres, on constate une forte diminution. Le déclin en richesse est estimé à 40 %, deux fois plus que pour les vertébrés, et les deux-tiers des espèces d'insectes seraient menacées ; on estime que 1 % des espèces est menacé chaque année, représentant 2,5 % de la biomasse des insectes. Toutes les espèces ne sont pas en déclin, les espèces univoltines, qui ne se reproduisent qu'une fois par an, sédentaires et spécialisées, sont plus touchées que les espèces plurivoltines et nomades.

Ce déclin a commencé au début du XXe siècle et s'est accéléré depuis les années 1950 avant de connaître une progression massive depuis 20 ans - vous l'avez dit, Monsieur le président, on le constate sur nos voitures après un trajet... Les causes de ce déclin sont nombreuses et l'agriculture intensive constitue le premier facteur explicatif, d'abord parce qu'elle a contribué à faire disparaître certains habitats des insectes, en particulier les zones humides, les prairies et les haies. En quelques décennies, l'habitat des insectes a été fortement réduit, 70 % des prairies et quelque 600 000 kilomètres de haies ont disparu dans le cadre de l'aménagement des paysages induit par l'agriculture intensive. Parmi les causes, il y a aussi la déforestation, l'urbanisation, la pollution, le changement climatique - non seulement parce que les températures augmentent, mais aussi parce que le changement climatique décale la période de butinage et la floraison, occasionnant une perte de nourriture. Les invasions biologiques jouent aussi un rôle important, la pyrale du buis venue de Chine l'a montré il y a quelques années.

Je veux le souligner : on parle aujourd'hui du rôle des agriculteurs, mais il faut bien se rappeler qu'ils ont été formés dans un cadre conceptuel promouvant l'agriculture intensive. Car c'est bien cette agriculture que la société leur demandait de pratiquer il y a quelques décennies. On constate aujourd'hui les effets négatifs de cette agriculture intensive, mais il serait injuste d'accabler les agriculteurs, c'est la société tout entière qui est responsable et le monde agricole est bien conscient des conséquences de certaines pratiques du passé. Nous savons aussi que les insecticides, les fongicides et les engrais ont des incidences sur la biodiversité.

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), en interdisant les dérogations aux États-membres en matière d'interdiction des néonicotinoïdes, a remis en lumière ce sujet. Des solutions sont aujourd'hui recherchées avec les betteraviers. Le problème avec les insecticides, c'est qu'ils tuent tous les insectes sans cibler ceux qui ravagent les cultures. Et parmi les insecticides, les néonicotinoïdes, mis sur le marché dans les années 1980, ont pris beaucoup d'importance : ils représentent 40 % des insecticides à l'échelle mondiale, parce qu'ils sont très efficaces. Cependant, comme leur prévalence dans l'environnement est longue, ils continuent à produire des effets dans le sol au détriment de la biodiversité et ils touchent, au-delà des ravageurs, les pollinisateurs, en particulier les abeilles.

La réglementation mise en place n'est pas adaptée, selon les scientifiques, en particulier parce que les néonicotinoïdes ne sont pas bien évalués avant leur mise sur le marché. De fait, chaque industriel fait des tests avant la mise sur le marché des pesticides, mais les procédures d'évaluation du risque, notamment vis-à-vis des pollinisateurs, connaissent de nombreuses lacunes. Les scientifiques déplorent ainsi que l'évaluation soit incomplète s'agissant des effets chroniques et « cocktail » des insecticides. Les détails concernant ces questions figurent dans la note scientifique de l'Opecst.

Depuis vingt ans, les scientifiques ont établi la nocivité des néonicotinoïdes pour les pollinisateurs, l'Union européenne essaie d'en interdire l'usage depuis 2013, la France l'a fait par une loi de 2016, mais il a fallu attendre 2020 pour que l'État français débloque des fonds conséquents qui cofinancent la recherche de solutions opérationnelles pour les agriculteurs. Les choses avancent ces dernières semaines, avec les betteraviers, pour rechercher une solution.

La biodiversité a par ailleurs une valeur en soi, elle constitue le patrimoine naturel de l'humanité, que nous devons laisser en héritage aux générations futures. On met facilement l'accent sur le fait que les insectes sont des vecteurs de maladies infectieuses, mais seulement 1 % des insectes sont porteurs de maladies, et c'est la même proportion pour les insectes qui ravagent les cultures. Au niveau agrégé, les insectes ont un rôle essentiel dans la reproduction des plantes via la pollinisation ; ils sont un maillon essentiel de la chaîne alimentaire, ils jouent aussi un rôle dans le recyclage de la matière organique. La diversité des insectes assure le bon fonctionnement des écosystèmes et leur résilience face aux changements - on l'a vu lorsque les bovins ont été introduits en Australie : après quelques années, en l'absence de scarabées, les bouses commençaient à stériliser les sols et c'est une fois les scarabées introduits que l'équilibre a été retrouvé. Les insectes nous servent donc, on le voit encore avec le miel et la soie...

Face au déclin sans précédent que connaissent les insectes, les scientifiques sont unanimes pour dire qu'en deçà d'un certain seuil, les effets en cascades seront irréversibles et que l'ensemble des services écosystémiques seront alors mis en péril. C'est pourquoi ils tirent le signal d'alarme.

Pour lutter contre ce déclin des insectes, il faut promouvoir une agriculture raisonnée et mieux réguler le poids des lobbies sur l'agriculture elle-même. Les agriculteurs en sont bien conscients et ils y travaillent.

Second sujet : la pollution lumineuse. L'éclairage public apparaît au XVIIe siècle, avec lui l'homme prolonge le jour en éclairant la nuit, il sécurise ses déplacements, se protège mieux et renforce l'attractivité des villes. Aujourd'hui, l'éclairage public représente 70 % de la lumière émise sur la terre, contre 30 % pour l'éclairage privé. La pollution lumineuse se caractérise par la sur-illumination, l'éblouissement lié à la trop forte luminance des points lumineux, ou encore le halo lumineux qu'on voit dans le ciel des villes. Le nombre de points lumineux en France est passé de 7,2 millions en 1990 à 11 millions aujourd'hui. On estime que la majeure partie - 85 % - du territoire métropolitain subit de la pollution lumineuse, et que 60 % des Européens ne voient pas la Voie Lactée, la proportion est de 80 % pour les Nord-Américains. Ces estimations sont établies à partir de satellites qui ne voient pas tout, en particulier les lumières LED et qui ne prennent pas en compte l'éclairage public éteint quand ils passent tard dans la nuit. La pollution lumineuse est en pleine extension, elle dégrade notre rapport à la nuit, ne plus voir les étoiles nous déconnecte de l'univers - et cela nous éloigne de ce qui a longtemps influencé notre appréhension sensible du monde, notre orientation dans le monde. La lumière change notre rapport au monde et à l'univers, en plus d'être une source de gaspillage énergétique. L'Ademe estime à 2 900 Térawatt heures (TWh) la consommation électrique annuelle mondiale utilisée pour éclairer, soit 13 % de la production électrique mondiale - en France, l'éclairage représente 56 TWh, soit 10 à 11 % de notre production électrique nationale. Les gaz à effet de serre liés à cette consommation devraient diminuer avec les LED, mais en réalité, nous augmentons toujours plus le nombre de points lumineux et la quantité d'éclairage - avec des ampoules produites en Chine et exploitant des terres rares, donc le gain énergétique et climatique n'est pas celui qu'on pourrait escompter.

La pollution lumineuse est en partie responsable du déclin de la biodiversité, elle entraîne une perte du sens de l'orientation des animaux - on le voit avec les insectes qui sont comme happés par la lumière des lampadaires et qu'on retrouve morts le matin à leur pied, mais la perte d'orientation existe aussi pour des oiseaux migrateurs par exemple. Il faut savoir aussi que la lumière bleue des LED a des effets négatifs sur la santé humaine, qui est captée par la rétine et transmise sous forme de signaux à l'hypothalamus. Ce spectre lumineux perturbe l'horloge circadienne et la production de mélatonine, ce qui entraîne des troubles plus ou moins importants chez l'être humain, par exemple de la fatigue, des troubles du sommeil, ou plus graves encore comme des cancers - les cancers du sein sont plus nombreux pour les femmes qui travaillent de nuit et sont plus soumises à ce spectre de la lumière bleue - de la prise de poids ou encore du diabète. Certains systèmes d'éclairages à LED sont également phototoxiques pour la rétine.

Une réglementation a été établie dès 2009-2010 pour réduire les nuisances lumineuses, en limitant le temps d'éclairage ou son orientation - l'éclairage public doit être dirigé vers le bas, par exemple. Cependant, cette limitation ne porte pas sur les phares de voiture, les lampes torches, ou encore les veilleuses, qu'on utilise pourtant dans les chambres d'enfants - ces derniers pouvant de ce fait se trouver trop exposés à de la lumière bleue. Ensuite, tous les décrets d'application n'ont pas été pris et la réglementation n'est pas toujours bien appliquée ni contrôlée, cela dépend beaucoup de la police municipale.

Dans ces conditions, nous préconisons de mieux faire connaître la réglementation, de profiter de la rénovation des éclairages publics pour initier à cette occasion une réflexion locale sur l'utilité de l'éclairage public, ses lieux, ses heures - les habitants s'y intéressent -, mais aussi d'utiliser les nouvelles technologies pour faire varier l'intensité de l'éclairage selon son utilité et d'éclairer seulement quand il y a du passage. Nous recommandons aussi de mieux communiquer auprès des publics sur la nocivité des écrans et de la lumière bleue.

Mme Nicole Bonnefoy. - Dans notre rapport d'information, en 2012, sur les pesticides et leur impact sur l'environnement, nous dressions déjà des constats proches des vôtres : que s'est-il passé depuis ? Pas grand-chose, puisque le volume des produits phytosanitaires a continué d'augmenter, la recherche pour le remplacement par des produits bio n'est pas suffisamment soutenue, les formations ne prennent toujours pas suffisamment en compte l'agroécologie ! Quand on voit combien il est difficile d'établir juridiquement le lien entre la chimie et les maladies humaines dans ce scandale qu'est le chlordécone, où la justice a prononcé des non-lieux alors que ce produit toxique a rendu malade et abîmé la terre pour des générations, quand on voit combien il a fallu de persévérance à Paul François, agriculteur charentais empoisonné par des produits de Monsanto qu'il utilisait, pour se voir reconnaître, après 15 ans de procédure, une bien maigre indemnisation de quelques milliers d'euros - on comprend que si c'est très difficile pour les hommes de se faire entendre, ça l'est plus encore pour les insectes...

Cela posé, quel regard portez-vous sur les démarches participatives, qui placent les citoyens en position de vigies des populations d'insectes ? Ne faut-il pas les soutenir davantage, pour mieux utiliser les données qu'ils recueillent ?

Des communes, ensuite, ont décidé de réglementer l'éclairage des routes : que pensez-vous d'un label pour reconnaître leur effort, par exemple le label « Ciel étoilé » ? N'est-ce pas un moyen de valoriser l'astro-tourisme ?

M. Joël Bigot. - Parmi les facteurs du déclin des insectes, il y a aussi la prédation du frelon asiatique, dont on nous dit qu'il est venu dans des poteries chinoises - et qui fait des ravages. Des départements aident les particuliers à s'équiper de pièges à frelons, que pensez-vous de ces initiatives ? Ne faudrait-il pas coordonner la lutte contre ce frelon invasif et dangereux ? D'une manière générale, quel est l'impact du réchauffement climatique sur les insectes ravageurs ?

M. Jean-Claude Anglars. - Chaque fois que l'on désigne les agriculteurs pour les méfaits de l'agriculture intensive, ils se sentent agressés. N'oublions pas que cette agriculture résulte d'une nécessité, celle de nourrir la population. Je n'ai pas entendu dans votre propos la prise en compte de ce fait historique important qu'est l'assainissement des marais : au XIXe siècle, c'est bien Napoléon III qui décide l'assainissement des Landes et du bas-Languedoc, c'est aussi cela qui explique le déclin des insectes ! Est-ce que, par hasard, vous préconiseriez de revenir à l'état antérieur ?

M. Jean-Michel Houllegatte. - En 2010, l'objectif C12 d'Aichi, partie du Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020, était ainsi rédigé : « D'ici à 2020, l'extinction d'espèces menacées connues est évitée et leur état de conservation, en particulier de celles qui tombent le plus en déclin, est amélioré et maintenu. » Le moins que l'on puisse dire aujourd'hui, c'est que nous en sommes encore loin...

Je vous remercie pour votre exposé, j'y ai appris des choses et je confesse mon ignorance. Pensez-vous que la sensibilisation des jeunes et de la population soit suffisante ? Comment peut-on faire mieux en la matière ? Le Gouvernement a lancé des plans nationaux d'actions (PNA) pour la biodiversité, en septembre 2022, qui font très peu mention des insectes : que pensez-vous de ces outils ?

Enfin, les Britanniques ont réintroduit avec succès certaines espèces de papillons : pensez-vous que ce soit possible et utile pour certains insectes ?

Mme Marta de Cidrac. - Des communes s'interrogent sur la pertinence d'introduire dans leur plan local d'urbanisme (PLU) des couloirs écologiques, pour préserver la biodiversité : qu'en pensez-vous ? Quel est l'impact des enseignes lumineuses sur la biodiversité ?

Mme Angèle Préville. - Je signale que quatre sénateurs sont membres du Conseil de surveillance chargé du suivi et du contrôle de la recherche et de la mise en oeuvre d'alternatives aux produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes. Nous nous sommes réunis ce mois-ci et avons établi un programme pour pallier la fin de la dérogation nationale.

Je signale également que le label « Village étoilé » est utilisé dans le Lot, au bénéfice de communes qui, dans le parc naturel des Causses du Quercy, ont décidé d'éteindre leurs lumières la nuit.

Une question : comment aller plus loin dans la régulation des panneaux lumineux ?

Mme Kristina Pluchet. - Attention, on incrimine facilement les agriculteurs, qui nous nourrissent, alors qu'on souhaite dans le même temps la souveraineté alimentaire ! L'agriculture française est déjà la plus normée et la plus propre qui soit, les agriculteurs n'utilisent plus d'insecticides et notre pays a déjà perdu la moitié de sa souveraineté alimentaire : les agriculteurs ne peuvent porter toute la pollution du monde !

L'an dernier, les frelons asiatiques ont détruit de très nombreuses ruches, des apiculteurs ont perdu la moitié de leur production : n'est-il pas temps de classer le frelon asiatique comme un nuisible de catégorie 1, alors qu'il n'est qu'en catégorie 2 actuellement ?

Mme Annick Jacquemet. - Quels sont les moyens investis pour préserver la biodiversité ? Il faut se rendre compte des leviers dont nous disposons : la PAC investit 10 milliards d'euros par an en France dans ce domaine, alors que le plan français prévoit de mobiliser 115 millions d'euros sur 5 ans pour les pollinisateurs.

Des labels sont-ils bienvenus pour identifier les territoires qui font un effort contre la pollution lumineuse ? C'est déjà le cas, par exemple, avec le label « Villes et Villages étoilés », qui se mobilise pour une gestion plus raisonnée de l'éclairage public.

Le frelon asiatique est invasif, les pièges sont une bonne chose, la coordination est toujours utile, nous devons mobiliser largement sur cette problématique.

Le réchauffement climatique a des incidences sur les insectes, je l'ai dit dans mon propos introductif, avec en particulier le décalage de la floraison.

J'ai pris soin de dire que les agriculteurs ont été formés à l'agriculture intensive et qu'il n'y a pas à leur en faire reproche aujourd'hui, ils ont été formés pour le rendement, ils en reviennent aujourd'hui, et j'ai bien dit que je ne rejetais pas la faute sur eux. Ils sont d'ailleurs bien conscients des difficultés causées et des avantages qu'il y a à faire autrement, en plantant des haies par exemple, en utilisant les produits phytosanitaires différemment. Mon propos n'est donc pas accusatoire, je l'ai dit aussi en audition. J'insiste sur ce point dans la note scientifique, page 4 : il faut « accompagner les agriculteurs sans les culpabiliser : les agriculteurs sont soumis à de nombreuses injonctions contradictoires qu'ils sont censés résoudre seuls alors qu'ils sont largement dépendants d'un système dans lequel tous les acteurs ont adapté leur stratégie autour de systèmes de production spécialisés et intensifs en intrants chimiques (situation de verrouillage « socio-technique »). Il convient donc de former et d'accompagner sur le long terme les agriculteurs, en intégrant la dimension territoriale, en mobilisant tous les acteurs en aval de l'agriculture et en veillant à la cohérence des leviers d'action utilisés, qu'ils soient politiques, réglementaires, économiques ou scientifiques ». Je persiste - et c'est une vétérinaire qui vous parle, qui connaît et apprécie les agriculteurs pour avoir travaillé plus de 35 ans à leurs côtés.

Il est vrai que bien des zones humides ont été asséchées dans notre histoire - c'est un fait historique et nous avons, depuis, pris conscience des effets de cet assèchement, et de la nécessité de ne plus le faire. C'est le sens des îlots de biodiversité qui sont mis en place. Nous avons entendu des responsables de parcs naturels : ils sont bien conscients du rôle écosystémique de ces espaces. Il s'agit de mécanismes similaires avec le soutien à la diminution de l'éclairage public, selon des modalités précises y compris sur la couleur des ampoules  pour éviter la lumière bleue et promouvoir les ampoules ambrées aux effets moins négatifs sur la biodiversité. Il faut diffuser ce message, les élus et les populations ne sont pas toujours informés des effets de l'éclairage. Je crois très utile de lancer des réflexions sur l'éclairage public, à propos du nombre, de l'emplacement et de l'intensité des points lumineux. Cependant, je signale qu'il existe un risque juridique d'engagement de la responsabilité du maire lorsque des points d'éclairage sont supprimés et qu'il y a ensuite un accident routier - j'ai posé la question au Gouvernement pour préciser les choses, elle est restée sans réponse à ce jour.

M. Jacques Fernique- Je lis dans votre présentation cet intertitre : « Une réglementation de moins en moins protectrice au fil du XXe siècle ». Est-ce à dire que la réglementation était plus protectrice pour les insectes par le passé ?

Mme Annick Jacquemet- C'est un effet de titre : le contenu présente les évolutions qui sont intervenues.

M. Jean-Claude Anglars- Avez-vous entendu des communes qui continuent la démoustication ? Comment les choses se passent-elles alors, par exemple à Montpellier ?

Mme Annick Jacquemet- Non, ç'aurait été effectivement intéressant...

Mme Marta de Cidrac. - Que pensez-vous de l'insertion, dans les PLU, de corridors écologiques ?

Mme Annick Jacquemet- Lors des auditions sur la pollution lumineuse, nous avons parlé des « trames noires », comme on parle de trames vertes ou bleues ; cependant, la notion fait débat dans la communauté scientifique - et elle ne figure pas dans les documents d'urbanisme. On en parle, mais il n'y a pas de consensus.

Mme Nicole Bonnefoy. - Avez-vous pu évaluer les démarches participatives en matière d'action pour la biodiversité ? Et réunir des éléments sur l'astro-tourisme ?

Mme Annick Jacquemet- Les astronomes alertent depuis les années 1970 sur le fait qu'on ne voit plus les étoiles, on parlait alors de nuisance lumineuse. De fait, la dimension de l'humain n'est pas la même quand on voit les étoiles, je crois que les enfants sont un très bon vecteur de sensibilisation - on l'a vu pour le tri des ordures ménagères.

Le démarches participatives sont très utiles par exemple pour le comptage des oiseaux : cette méthode permet d'attester un recul du nombre d'oiseaux, qui peut atteindre jusqu'à la moitié, mais nous n'avons pas de données scientifiques suffisamment précises en la matière.

M. Hervé Gillé. - Avez-vous examiné comment sont évaluées les actions qui peuvent avoir un impact positif, par exemple celles qui visent la continuité écologique, ou encore les « trames noires » ? Quelles en sont les compensations ? Quelles sont leurs incidences concrètes sur les biotopes ? Constate-t-on des évolutions favorables ?

Mme Annick Jacquemet- Non, pas précisément. Nous avons identifié, c'est dans ma note scientifique, des « trous dans la raquette » en matière de protection, par exemple sur la lumière bleue ou encore sur la nocivité des phares de voiture. Un professeur de médecine nous parlait de gestes simples à faire pour diminuer les effets nocifs de la lumière des écrans, par exemple le port de lunettes ou la pose de filtres jaunes. Il faut investiguer davantage et mieux informer sur les risques, c'est une dimension importante de ce sujet.

M. Jean-François Longeot, président. - Merci pour la présentation de ces deux notes scientifiques et pour vous être prêtée au jeu des questions.

La réunion est close à 10 h 30.

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Bilan de la 15e conférence des Parties (COP15) à la Convention sur la diversité biologique - Audition de Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie

M. Jean-François Longeot, président. - Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, après une matinée consacrée à la manière dont la science permet de mieux appréhender la complexité de la biodiversité, à travers les exemples concrets du déclin des insectes et des effets de la pollution lumineuse, l'audition de cet après-midi offre l'occasion d'envisager les actions politiques et les moyens financiers à mettre en oeuvre pour enrayer son déclin. Connaître avant d'agir : notre séquence du jour, en deux actes, est à mes yeux l'illustration d'un sain principe qui devrait fonder l'ensemble des politiques publiques.

Malgré les multiples reports de date, les difficultés de négociation dans un contexte pandémique, les disparités d'ambition entre les pays, le contexte géopolitique peu porteur a priori pour l'environnement, la COP15 sur la biodiversité s'est achevée, le 19 décembre dernier, par un accord que nombre d'observateurs s'accordent à qualifier d'« historique ». Madame la secrétaire d'État, comment en est-on arrivé là ? Un parcours semé d'embûches, une présidence chinoise que l'on qualifiait pudiquement de « distante », une crise énergétique et un contexte inflationniste qui ne prédisposaient pas les États à la générosité multilatérale : les augures étaient loin d'être favorables à ce que 195 pays, avec leur agenda politique propre, leurs dynamiques internes et des sensibilités citoyennes à la biodiversité très contrastées, parviennent à élaborer un cadre mondial commun pour enrayer le déclin de la biodiversité. Pourtant, ce fut le cas : l'accord de Kunming-Montréal est devenu la feuille de route et le guide méthodologique des pays désireux de lutter contre l'érosion de la biodiversité et d'enrayer les dynamiques délétères qui pèsent sur les écosystèmes, pour « forger un pacte de paix avec la nature », comme l'a joliment formulé le secrétaire général des Nations unies en ouverture des travaux de la COP15.

Madame la ministre, vous avez participé aux négociations à Montréal aux côtés de Christophe Béchu et de l'ambassadrice chargée de l'environnement, Sylvie Lemmet. Une délégation de notre commission, composée de Guillaume Chevrollier, Denise Saint-Pé, Jean-Michel Houllegatte et Ronan Dantec, en qualité d'observateurs, s'est également rendue sur le site de la COP15, quelques jours avant la conclusion de l'accord. Nos collègues m'ont indiqué que les négociations avaient été ardues, avec de puissants clivages Nord-Sud, notamment sur le montant des engagements financiers à mobiliser. Les positions au 14 décembre, juste avant que ne commence le segment de haut niveau, n'étaient pas alignées sur la quantification des objectifs et les 23 cibles faisaient l'objet d'âpres débats sémantiques : pour parler le langage COP, il restait un nombre désespérant de termes « entre crochets » dans la version de travail des négociateurs. Il fallait faire preuve d'une bonne dose d'optimisme pour entrevoir un accord quatre jours avant la clôture de la COP15. Il restait encore à convaincre de nombreux États intransigeants, et la ligne de crête des pays à haut niveau d'ambition était très périlleuse. Pourtant, en dépit de toutes ces chausse-trappes, la biodiversité a réussi à fédérer.

Une dynamique nouvelle s'est enclenchée, mais il revient désormais à chaque État de prendre sa part à l'effort collectif. Les mécanismes propres à la biodiversité s'appréhendent plus difficilement et les causes de son déclin sont multifactorielles. Les pressions qui pèsent sur le vivant et les écosystèmes sont très variées. Je rappelle les cinq causes majeures du déclin de la biodiversité : le changement d'usage des terres et de la mer, la surexploitation des ressources, le changement climatique, les pollutions et les espèces exotiques envahissantes. Les relations croisées entre ces différents facteurs sont difficilement discernables, même pour les scientifiques. Un effort de pédagogie en direction du politique et des citoyens doit impérativement être accompli pour rassembler la société autour de l'objectif de préservation de la biodiversité, sur le modèle de la prise de conscience qui a déjà eu lieu pour le climat. Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires ne chômera pas ces prochaines années.

Madame la secrétaire d'État, notre commission vous a invitée pour une séquence assez inhabituelle : nous souhaitons que vous nous donniez des raisons d'espérer. L'espoir tient une place trop réduite dans les assemblées parlementaires : je compte sur cette audition pour le réhabiliter, le temps d'un échange avec vous.

Pour cela, je vous propose d'articuler votre propos en trois temps : d'abord en nous révélant le dessous des cartes et la façon dont la COP15, contre toute attente, est parvenue à cet accord ; ensuite, en nous présentant votre méthode et la façon dont vous comptez décliner les cibles mondiales à l'échelle nationale pour inverser la tendance ; enfin - c'est le nerf de la guerre -, en nous exposant comment vous comptez financer les nouvelles mesures nécessaires à la reconquête de la biodiversité dans nos territoires. Une étude de novembre 2022, réalisée par l'inspection générale des finances (IGF) et l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd), a mis en évidence que « les politiques de biodiversité mobilisent des financements morcelés qui restent limités. » Au regard des objectifs adoptés à Montréal, les besoins de financement complémentaire sont estimés, pour l'État et ses opérateurs, à 619 millions d'euros en 2023 et jusqu'à 890 millions d'euros en 2027. Ces montants sont loin d'être négligeables, surtout quand l'on considère que le programme 113 « Paysages, eau et biodiversité », si bien présenté par notre collègue Guillaume Chevrollier dans son avis budgétaire, n'est doté que de 275 millions d'euros. Je vous pose donc la question qui nous taraude tous ici : envisagez-vous avec Bercy une réforme de la fiscalité pour « en même temps » accroître les moyens dédiés à la biodiversité et réduire les dépenses fiscales défavorables à la fiscalité ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie. - Je suis très heureuse de pouvoir aborder avec vous les victoires remportées au terme de la COP15. La couverture médiatique fut bonne, mais elle n'est jamais suffisante quand il est question de l'effondrement de la biodiversité. La France a porté et obtenu des engagements historiques et concrets auprès de tous les pays du monde. À Montréal, j'ai défendu l'ambition forte du Gouvernement en faveur d'un cadre mondial pour la biodiversité. En parallèle des négociations, de nombreuses rencontres ont permis de débloquer politiquement certains points de crispation et de rassurer les pays en développement (PED) sur la volonté des pays développés de les accompagner de façon pérenne.

Ce cadre identifie 23 cibles d'application à l'horizon de 2030, afin d'atteindre quatre objectifs pour 2050 : protection de la biodiversité, gestion durable des ressources, utilisation des ressources génétiques et mise en oeuvre équitable. Cet accord historique repose sur une ambition réelle, avec des objectifs quantifiés et précis : la restauration de 30 % des écosystèmes terrestres et marins dégradés d'ici à 2030, la protection de 30 % des terres et des mers en 2030, la fin de l'extinction d'origine humaine d'espèces menacées, la réduction de moitié du risque global lié aux pesticides, aux produits chimiques ainsi qu'à l'excès de nutriments perdus dans l'environnement, l'augmentation des pratiques de gestion durable des superficies consacrées à l'agriculture, l'aquaculture, la pêche et la sylviculture, ainsi que l'obligation de prendre des mesures pour inciter les entreprises à effectuer un contrôle, en toute transparence, sur leurs activités et dépendances vis-à-vis de la biodiversité.

D'un point de vue financier, la réduction des subventions aux activités néfastes, à hauteur de 500 milliards de dollars par an d'ici à 2030, est une avancée notable. Cet engagement était attendu de longue date par les ONG et les acteurs écologistes. Je suis très fière que nous l'ayons obtenu au cours de cette COP15.

Les ressources financières liées à la biodiversité devront être augmentées de 200 milliards de dollars par an, toutes sources confondues. Les flux financiers depuis les pays développés vers les PED devront atteindre 20 milliards de dollars en 2025 et 30 milliards en 2030. La France a souhaité ne pas créer de nouveau fonds ad hoc et conforter le fonds pour l'environnement mondial (FEM) comme outil multilatéral de financement de la biodiversité. Un nouveau mécanisme sera créé dès 2023, hébergé par le FEM, pour mobiliser des financements privés.

À la COP16, nous étudierons très sérieusement l'opportunité de créer un outil supplémentaire dédié à la biodiversité.

Je partage une autre fierté avec vous : au niveau de l'engagement financier des États donateurs, la France a joué le rôle de mobilisateur, dans la lignée de son engagement qui consiste à doubler les financements de l'Agence française de développement (AFD) pour la protection de la biodiversité d'ici à 2025. Une déclaration a été signée avec 11 pays. L'appréciation des ONG est positive, car cet engagement est un marqueur important de notre réussite.

Nous avons aussi des regrets. Nous n'avons pas défini de cible chiffrée pour nos objectifs d'ici à 2050 et n'avons pas fait assez preuve d'ambition pour protéger les espèces en danger. L'accord n'est pas assez contraignant sur quelques points : il n'y a aucun mécanisme pour relever les ambitions des pays qui n'atteignent pas leurs objectifs et il manque un dispositif de redevabilité des États.

Sur le plan financier, je regrette que la stratégie de mobilisation des ressources n'ait pu être actée qu'au prix de la création d'un fonds dédié au sein du FEM, et non via un fonds dédié.

Enfin, les engagements sur les pesticides sont, certes, un succès inespéré, mais j'aurais souhaité que l'objectif de 50 % de réduction porte aussi sur les usages, et non seulement sur les risques.

La presse a qualifié l'accord d'« historique ». Nous étions conscients des obstacles devant nous. La présidence chinoise a finalement su jouer son rôle, pour trouver un équilibre qui réponde aux attentes des pays du Nord et du Sud.

Il faut profiter de la dynamique pour conclure le traité sur la biodiversité en haute mer. Il doit en aller de même pour les autres échéances internationales : One Forest Summit, en mars, et prochaine session de négociations sur le traité international sur les pollutions plastiques, à Paris, en mai. L'Union européenne a pris de l'avance, grâce au règlement sur la déforestation, récemment voté, qui produira des effets très concrets sur la biodiversité.

La COP15 a permis de diffuser un message d'ambition sur la pollution plastique. En tant que pays hôte de la prochaine session de négociation, la France se devait de mobiliser les parties prenantes, et j'ai porté les ambitions du Gouvernement en la matière. Le plus dur commence : nous devrons être attentifs à ce que tous les pays respectent leurs engagements.

M. Guillaume Chevrollier. - L'accord trouvé à Montréal en faveur de la biodiversité est historique : il est la preuve d'une prise de conscience internationale de l'urgence à agir, de la nécessité d'y consacrer des moyens financiers nouveaux et de l'importance de l'articulation entre le cadre mondial et les mesures déclinées au niveau local.

La quasi-totalité des pays, à l'exception notable des États-Unis, est parvenue à fixer un cap pour la biodiversité et sa préservation, à s'entendre sur des outils d'évaluation des mesures environnementales et à mettre en oeuvre des instruments financiers nouveaux et des mécanismes de solidarité Nord-Sud. Le défi était grand, nos rencontres sur le site de la COP15 nous l'ont assez prouvé.

Aujourd'hui, il vous revient, avec Christophe Béchu, la tâche de décliner les 23 cibles de l'accord de Montréal. Espérons que les choses aillent mieux que pour les 20 objectifs d'Aichi décidés en 2010 : en effet, aucun n'a été atteint.

J'aimerais vous interroger sur votre méthode : quelle déclinaison territoriale comptez-vous mettre en oeuvre ? Comment associerez-vous les élus locaux à la nouvelle stratégie nationale biodiversité 2030 ? Les solutions de protection de la nature et de la biodiversité sont bien souvent complexes à élaborer. Comment accompagner au mieux les territoires peu dotés en ingénierie ? Le fonds vert sera-t-il mobilisé pour la biodiversité au-delà des montants qui lui sont actuellement réservés ? Ce fonds vert vient d'être ouvert, les attentes des collectivités sont grandes.

Ma deuxième question porte sur le lien entre nos politiques nationales et le projet de règlement européen sur la restauration de la nature, dont l'ambition est de positionner l'Union européenne aux avant-postes du combat pour la préservation de la biodiversité.

Les discussions sont en cours au Parlement européen ; les modalités de mise en oeuvre des mesures proposées sont donc encore sujettes à modification. L'objectif général est de restaurer au moins 20 % des zones terrestres et marines dégradées de l'Union européenne d'ici à 2030. Notre pays devra prendre sa part à cet effort collectif européen, en zone métropolitaine comme en outre-mer. Quels sont les surfaces et les montants en jeu pour la France ? Quel est le pourcentage du territoire couvert par des écosystèmes dégradés ?

La stratégie nationale biodiversité 2030, la restauration des écosystèmes et l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) nécessiteront de changer d'échelle et d'accroître substantiellement les efforts financiers. Comment comptez-vous y parvenir, dans un contexte de renchérissement du coût de l'emprunt pour l'État français ? Comptez-vous faire appel à la grande inventivité fiscale de Bercy ? Ou bien comptez-vous sur le renforcement des solutions fondées sur le principe pollueur-payeur et la mise à contribution des acteurs dont les activités sont néfastes à la biodiversité ?

Vous avez évoqué les centaines de milliards de dollars nécessaires pour la protection de la biodiversité ; nous attendons aussi une déclinaison pour notre pays.

M. Ronan Dantec. - Cet accord n'était pas gagné : les inquiétudes étaient grandes et les négociations internationales ne permettaient pas d'être optimiste. L'accord est donc relativement dynamique, même si nous attendons des résultats plutôt que des objectifs -voyez ce qu'il en est des objectifs d'Aichi.

Les financements sont essentiels pour atteindre les objectifs. La restauration des terres va coûter un « pognon de dingue ». Aujourd'hui, l'argent n'est pas sur la table. La France a eu raison de se battre contre la création d'un fonds spécifique ; les ONG ont été sévères à son égard, au mépris de la bonne hiérarchisation des enjeux. Utiliser le FEM est pertinent, tout comme la convergence avec le fonds vert.

Vous avez cité le One Forest Summit, qui aura lieu dans quatre semaines, mais pas le sommet sur le financement, qui aura lieu en juin à Paris, et que le Président de la République a annoncé - nous allons essayer d'organiser un événement parlementaire international, au Sénat, dans ce cadre.

Quelle position la France va-t-elle défendre ? Ce n'est pas très clair. Les 25 milliards d'euros attendus ne vont pas tomber du ciel. Les fonds de compensation climat représentent beaucoup d'argent, mais sont souvent l'objet de greenwashing, comme l'a montré le rapport sévère du Guardian. Il nous faut une idée plus précise de la manière dont la France va structurer les débats sur les financements, en ayant conscience que les délais sont très courts.

Mme Denise Saint-Pé. - Quelle fut la séquence diplomatique qui a précédé l'accord ? Avec la délégation, à Montréal, l'optimisme n'était pas au rendez-vous ; comment expliquez-vous l'heureux dénouement ? Quels furent les rôles respectifs de la présidence chinoise et des négociateurs, quels compromis sémantiques et quantitatifs ont été obtenus et quelles furent les priorités du ministère ?

Le mécanisme de solidarité financière Nord-Sud est au centre de la question des moyens. La trajectoire affichée est ambitieuse, avec la mobilisation de 30 milliards de dollars d'ici à 2030 de la part des pays développés au bénéfice des PED. Les montants alloués transiteront par une enveloppe spécifique du FEM. La France va doubler ses financements internationaux, à hauteur de 1 milliard d'euros par an d'ici à 2025. Quel mécanisme prévoyez-vous pour contrôler la bonne utilisation des fonds, qui doivent servir des projets structurants, notamment au regard des montants très importants ?

La cible 7 vise la réduction de moitié des risques globaux liés aux pesticides et produits chimiques hautement dangereux. Nous souscrivons à un tel objectif, mais il est essentiel d'accompagner les agriculteurs dans la transformation des moyens de production alimentaire. Le Gouvernement accompagne-t-il les agriculteurs pour trouver des produits de substitution aux pesticides, pour assurer des rendements et des revenus décents aux agriculteurs ? Il ne faut pas opposer agriculture et biodiversité ; au contraire, il faut créer des complémentarités vertueuses entre pratiques agricoles et protection du vivant et des sols.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Le président l'a rappelé, les négociations préalables à la COP15 ont été longues, complexes et semées d'embûches, en raison notamment de la multitude des approches et des perceptions de la biodiversité. Je me réjouis de cet élan multilatéral et de la volonté forte qui s'est exprimée en faveur la préservation et de la reconquête de la biodiversité. Il ne s'agit cependant que d'un commencement : chacun sait que les accords de ce type n'ont d'autre valeur que celle que les États veulent bien leur donner. Nous nous félicitons de la mobilisation de la France, qui a permis aux ONG de contribuer à ce succès.

Le cadre mondial pour la biodiversité doit désormais être mis en oeuvre et évalué, en gardant présent à l'esprit qu'aucun des 20 objectifs d'Aichi n'a été respecté. Les mécanismes de mise en oeuvre, d'évaluation et de mobilisation des ressources revêtent, à cet égard, une importance toute particulière, tout comme les indicateurs qui permettent d'apprécier les trajectoires et les écarts par rapport aux cibles.

Quelle est votre appréciation du cadre de suivi, du monitoring framework ? Les indicateurs utilisés peuvent-ils être produits de manière fiable dans tous les pays, afin de permettre les comparaisons et la coopération en matière de bonnes pratiques ? Le délai de quatre ans n'est-il pas trop long ? Surtout, comment corrige-t-on la trajectoire si l'on se rend compte que les efforts sont mal coordonnés ?

La France a parlé d'une voix forte à la COP15, elle se doit désormais d'être exemplaire et de transposer de manière ambitieuse les positions qu'elle a défendues au cours des négociations. Notre pays dispose d'un outil, la stratégie nationale biodiversité 2030. En quoi les résultats de la COP transformeront-ils cette stratégie et ses ambitions ? Quels sont aujourd'hui votre méthodologie, votre calendrier et vos demandes budgétaires ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Je reviens sur l'avant-COP15. La présidence était chinoise et la COP se passait au Canada, ce qui n'a pas facilité l'organisation, alors que l'événement était très attendu. L'implication des citoyens a permis de mobiliser les dirigeants. Jusqu'à l'issue de la COP, la présidence chinoise a été relativement absente des négociations ; chemin faisant, grâce à l'impulsion du pays organisateur qui souhaitait obtenir une victoire, la Chine est devenue plus allante. Ainsi, grâce à la Chine, nous avons trouvé un accord.

Avant la COP15, quelques pays moteurs ont mené les négociations, notamment la France. Au cours de réunions assez animées de la Commission européenne, la France et l'Allemagne étaient souvent interrogées sur leurs positions, ce dernier État étant parfois en retrait.

Au cours de la dernière semaine des négociations, nous avons voulu avancer sur un fonds, poussés par les ONG de manière un peu cavalière. Il s'agissait non pas de savoir quels moyens consacrer à la biodiversité - la France avait déjà acté le doublement de son financement -, mais de savoir à quoi les consacrer. Nous n'avons pas cédé sur les financements, ce qui a permis de fixer des objectifs ambitieux au sein de l'accord. La France a bénéficié du soutien du Canada et de l'Angleterre : cette dernière souhaitait afficher son action diplomatique, étant donné la situation intérieure qu'elle traverse ; le Canada, lui, en sa qualité d'organisateur, avait tout intérêt à la conclusion d'un engagement financier. D'ailleurs, beaucoup de pays pensaient qu'il n'était pas possible d'obtenir plus qu'un accord financier.

Les positions des pays furent très diverses. La France et l'Union européenne étaient alliées avec le Canada et l'Angleterre. D'autres pays ont apporté une aide appréciable, comme le Japon. D'autres pays étaient beaucoup plus réfractaires, comme le Brésil et les pays sud-américains, notamment sur la question agricole et les pesticides. Certains expliqueront que c'est parce que M. Bolsonaro était encore au pouvoir, mais cette position brésilienne est en réalité assez traditionnelle.

J'en viens aux financements et aux objectifs. Nous allons nous servir du cadre de la COP15 pour redéfinir notre stratégie nationale biodiversité 2030 - le Comité national de la biodiversité y travaille. Nous la présenterons au mois de mars. Nous définissons non plus les grands enjeux, mais les cibles, qui demandent à être affinées, ce qui n'est pas simple. Il faudra des financements ; Christophe Béchu et moi-même nous battrons pour les obtenir.

Je suis heureuse que l'ouverture du fonds vert aux territoires soit effective. Christophe Béchu et Dominique Faure viennent juste d'envoyer un courrier à toutes les collectivités pour présenter et préciser les démarches. Nous avons choisi de ne pas passer par des appels à projets, pour que prime la simplicité.

Au total, 150 millions d'euros sont spécifiquement dédiés à la biodiversité, et je tiens à ce que chaque action soit financée. Certes, il faudrait être plus ambitieux encore pour la transition écologique, mais un montant de 2 milliards d'euros est tout sauf négligeable, et le pire serait qu'il ne soit pas totalement utilisé à la fin de l'année 2023. Christophe Béchu et moi-même avons l'ambition d'obtenir la même somme l'année prochaine.

On a vu trop de politiques nationales qui échouaient à infuser dans les territoires. Nous en sommes convaincus - c'est tout le sens de notre ministère, et le fonds vert en témoigne également - : nous ne réussirons pas sans les collectivités territoriales. Vous serez donc appelés à jouer un rôle de relais auprès des élus locaux.

Monsieur Dantec, nous avions bien fixé un certain nombre d'objectifs à Aichi sans pour autant réussir à les mettre en oeuvre. Au-delà de la victoire obtenue à Montréal, il faut, dès à présent, assurer un suivi des nouveaux objectifs. Nous comptons évidemment sur la COP16 et sur d'autres rendez-vous, comme le One Forest Summit en mars prochain. De même, à la fin de mars 2023, je prendrai part à la conférence sur l'eau organisée par les Nations unies. On ne peut plus dissocier le climat, la biodiversité et l'eau. À la COP27 de Charm el-Cheikh, nous avons parlé de biodiversité ; à la COP15, nous avons parlé du climat et de l'eau. Je suis certaine qu'aux Nations unies, nous parlerons de l'ensemble des sujets qui nous préoccupent en la matière.

Vous le constatez, notre calendrier est rythmé par de nombreux événements internationaux. Le Président de la République fait preuve d'un grand volontarisme à cet égard, et pour cause : contrairement aux apparences, ces rendez-vous sont indispensables. C'est grâce à eux que nous pouvons avancer. Ainsi, la COP15 permettra d'assurer le suivi des objectifs fixés, lesquels doivent être assortis de mesures contraignantes.

Nous avons décidé de nous appuyer sur le FEM tout en le réformant pour le simplifier. Pour le ministère de la transition écologique, il s'agit du choix de l'efficacité et de la rapidité. Souvent, ce ne sont pas tant les budgets que les moyens en ingénierie qui manquent dans les territoires, notamment en Afrique ; nous devons y travailler.

En parallèle, nous misons sur les banques multilatérales de développement. Il serait souhaitable que certains pays contribuent davantage. La France n'a pas à rougir de ses efforts. Le Canada, quant à lui, s'est vanté de déployer 350 millions de dollars en faveur de la biodiversité, alors qu'il peut certainement faire plus, à l'instar des États-Unis.

Madame de Cidrac, nous avons beaucoup insisté sur la question des pesticides et, dans la toute dernière ligne droite, nous avons obtenu un engagement. À l'échelle nationale, le futur règlement sur l'utilisation durable des pesticides et l'évolution du plan Écophyto seront des leviers majeurs. Nous devons continuer à travailler main dans la main avec le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire pour réduire l'utilisation de ces produits. Il est possible de faire mieux, sans mettre les agriculteurs en difficulté.

De son côté, l'Union européenne n'accepte plus que la France décrète de nouvelles dérogations et s'apprête à édicter de nouvelles interdictions dans les années à venir. Nous devons chercher tous ensemble les moyens de remplacer les produits contestés ; c'est le sens des moyens supplémentaires dédiés à la recherche en matière de biocontrôle.

Le cas des néonicotinoïdes l'illustre : nous sommes face à une attente très forte des Français et il ne saurait être question d'attendre que l'opinion n'accepte plus du tout ces pratiques. Sur tous ces aspects, nous accompagnerons les filières, notamment la filière betteravière. Les tests en cours sont encourageants.

Monsieur Houllegatte, le mécanisme de mise en oeuvre permettra de faire régulièrement le point quant à l'atteinte des différentes cibles et de rectifier la trajectoire en augmentant nos ambitions ; c'est un point très fort de l'accord. Ce cadre permettra d'accroître l'effort de transparence et le suivi : c'est bien ce qui manquait aux objectifs d'Aichi.

Nous prévoyons de renforcer le processus de planification nationale par l'harmonisation des stratégies et des plans d'actions élaborés par la France. À cette fin, nous disposons d'un modèle commun pour préciser, d'ici à la COP16, la manière dont les cibles nationales s'articuleront avec les cibles du cadre mondial.

De plus, un certain nombre de rapports nationaux incluront les indicateurs phares du cadre de suivi, afin de permettre une analyse harmonisée et collective de la mise en oeuvre. Bien plus qu'une liste d'indicateurs agréés par les pays, le cadre de suivi est un véritable processus destiné à assurer le suivi solide de la mise en oeuvre. Le résultat global me semble très satisfaisant. Au total, nous disposons de 26 indicateurs phares distincts et de 13 indicateurs mondiaux binaires distincts.

Mme Angèle Préville. - La pollution plastique est massive et généralisée, mais invisible. Quel qu'il soit, le morceau de plastique séjournant dans l'environnement va se couvrir d'un biofilm et être colonisé, avant d'être consommé par des êtres vivants - vers de terre ou oiseaux marins. Son impact sur la biodiversité est considérable. Or la pollution plastique va beaucoup plus vite que toutes les mesures législatives ou réglementaires que nous pouvons prendre.

De nouveaux objectifs ont été fixés pour traiter ce fléau, et c'est très bien ; j'espère que nous obtiendrons de meilleurs résultats. Au-delà, que faire face à cette pollution invasive, qui vient notamment de notre surconsommation de vêtements, pour l'essentiel en provenance d'Asie ? A-t-on des objectifs de réduction à la source ?

Quant au montant du fonds vert, laissé à la main des préfets, dépend-il, oui ou non, du nombre d'habitants que comptent les départements ?

Mme Martine Filleul. - Cet accord, qualifié d'« historique », a été obtenu au forceps face à la résistance des pays émergents, comme la République démocratique du Congo. On peut les comprendre, car notre développement économique se fait encore aux dépens de la biodiversité dans ces territoires. Cela étant, l'aide aux pays émergents a été augmentée. Notre diplomatie dispose-t-elle d'ores et déjà d'une stratégie pour concentrer les crédits obtenus sur tel ou tel État, tel ou tel projet, et suivant quelles priorités ?

En parallèle, un certain nombre de villes françaises prennent des initiatives intéressantes pour préserver la biodiversité. Je pense notamment à Marseille et à Paris, qui ont élaboré des plans locaux d'urbanisme (PLU) « biodiversité ». Selon vous, ces documents sont-ils des outils adaptés pour travailler dans le bon sens ?

M. Jean-Claude Anglars. - Nous avons compris que vous alliez vous battre pour obtenir des financements et nous vous y encourageons.

Il est bon que le fonds vert soit à la main des préfets : non seulement c'est une garantie de consommation des crédits, mais les préfets pourront prendre des initiatives territoriales ne relevant pas strictement des quatorze points mentionnés.

Les signataires de l'accord s'engagent à mettre fin aux subventions néfastes à la biodiversité : font-elles l'objet d'une liste ? A minima, quels sont les principaux secteurs d'activité concernés ? Quand et comment ces subventions vont-elles disparaître ?

M. Jean-François Longeot, président. - Dans le Doubs, le préfet a réuni les élus pour évoquer la déclinaison du fonds vert, dont l'enveloppe départementale représente 9 millions d'euros, soit un peu moins que les crédits de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Il a exprimé l'intention de financer, au titre du fonds vert, un certain nombre de projets qui devaient initialement bénéficier de la DETR.

M. Hervé Gillé. - Cette méthode est risquée, car elle n'aura pas forcément l'effet de levier attendu.

Madame la secrétaire d'État, faute de mesures contraignantes, on peine à avancer au sujet de la fiscalité et, plus largement, des moyens. Comment notre pays compte-t-il mettre en oeuvre les intentions de la COP15 ou encore celles du Gouvernement ?

On peut suivre une logique de planification, en déclinant les trames vertes et bleues des schémas de cohérence territoriale (Scot). On peut aussi avoir recours aux plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi). Toutefois, pour distinguer les initiatives les plus vertueuses, une véritable évaluation est nécessaire. La stratégie nationale biodiversité 2030 doit s'appuyer sur les agences régionales de la biodiversité (ARB), en s'articulant avec les contrats de plan État-région (CPER), et sur l'action des départements et des métropoles, dans une logique contractuelle. Divers objectifs de résultats pourraient ainsi être fixés pour chaque niveau de collectivité territoriale, pourquoi pas à l'échelle des Scot : qu'en pensez-vous ?

Aujourd'hui, les porteurs d'un projet dit « impactant » sont tenus de prévoir des mesures de compensation. Toutefois, la qualité de l'évaluation des compensations pose question dans notre pays, alors qu'elle est essentielle à l'acceptabilité des projets. Elle permettrait également de promouvoir des démarches vertueuses et une culture du résultat. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?

M. Louis-Jean de Nicolaÿ. - Le groupe d'études sénatorial relatif aux cultures traditionnelles et spécialisées s'est penché, ce matin même, sur la production de lentilles, tombée à 19 000 tonnes annuelles à cause des ravages causés par un petit insecte de 3 à 5 mm de long, la bruche. Les producteurs ont demandé à l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) de travailler sur ce sujet, mais celui-ci a décliné, au motif que cette culture était d'une trop faible ampleur.

M. Gilbert Favreau. - Les agriculteurs répètent souvent que les engagements en faveur de la biodiversité ne sont pas respectés par les voisins européens de la France, notamment les normes relatives aux pesticides et aux nitrates. Peut-on s'assurer que les autres États membres les appliquent bel et bien ? Je pense en particulier aux engagements qui viennent d'être pris à Montréal.

M. Frédéric Marchand. - À l'invitation de l'ONU, l'Union interparlementaire organise, les 13 et 14 février prochains, deux journées d'auditions sur le thème de l'eau. Hervé Maurey et moi-même y représenterons le Sénat. Nous ne manquerons pas de vous rendre compte de ces travaux.

Madame la secrétaire d'État, puisque vous insistez vous-même sur le triptyque « climat, biodiversité, eau », je relève que nous sommes à la veille de la Journée internationale des zones humides. En novembre 2022, vous nous avez détaillé votre stratégie pour le développement de ces dernières. Est-elle appelée à s'amplifier, conformément aux perspectives tracées pour 2030 ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Madame Préville, face au fléau de la pollution plastique, la France joue un rôle moteur lors de chaque entretien bilatéral. Une cinquantaine de pays ont aujourd'hui rejoint le groupement constitué en ce sens et, fin mai 2023, la France organisera, à Paris, une deuxième réunion pour promouvoir un traité international contraignant. Le but est évidemment de réduire la production de plastique à la source. Ce travail a été entrepris avec la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec), qui prévoit la fin des emballages plastiques à usage unique d'ici à 2040.

Depuis le 1er janvier 2023, la vaisselle jetable est interdite dans les établissements comptant plus de vingt places assises. Dès le 2 janvier, Christophe Béchu et moi-même nous sommes rendus dans une enseigne de restauration rapide très connue, qui applique déjà cette mesure dans 90 % de ses établissements, et, trois jours plus tard, nous recevions les représentants de la plupart des enseignes de fast food pour leur rappeler cette obligation, appliquée de manière très disparate. Nous leur avons demandé une feuille de route dans les quinze jours ; seule la moitié des enseignes nous ont envoyé ce document. À présent, des décisions doivent être prises pour assurer l'application de la mesure. Il faut commencer par les réseaux de restaurants, mais les indépendants sont également concernés dès lors qu'ils proposent plus de vingt places assises. Cette interdiction permettra une économie de déchets absolument considérable.

En parallèle, nous sommes en train de réécrire le décret relatif aux emballages des fruits et légumes. Nous devons poursuivre l'effort entrepris, en conservant certaines dérogations pour les produits trop fragiles ; un concombre emballé, ce n'est plus envisageable en 2023.

La filière textile constitue l'une des industries les plus polluantes. Ce secteur produit dans des installations situées, pour l'essentiel, à l'étranger, dans des conditions généralement mauvaises. Nous déployons des fonds pour aider les entreprises françaises, non seulement à produire en France, mais aussi à utiliser des fibres recyclées. Lors d'un déplacement en Mayenne, Christophe Béchu et moi-même avons visité l'une de ces entreprises vertueuses, que nous accompagnons par un bonus permettant de réduire les surcoûts de production induits par ces procédés.

Nous avons aussi créé un fonds pour développer la collecte de vêtements, aujourd'hui insatisfaisante. Cet effort est indispensable au recyclage du textile, dans une logique d'économie circulaire. S'y ajoute un fonds dédié au réemploi de vêtements pouvant être facilement proposés à la vente. À Bordeaux, j'ai récemment pu visiter un magasin qui, en partenariat avec le Relais, propose exclusivement des habits issus du réemploi.

Jusqu'à présent, nous ne financions que le fonctionnement des enseignes de l'économie sociale et solidaire ; désormais, nous finançons leur investissement via des contrats à impact, permettant la mobilisation de fonds privés soutenus par l'État.

Le 30 janvier dernier, j'ai initié une concertation sur la consigne des bouteilles en plastique avec les différentes parties prenantes. Nous devons atteindre des objectifs extrêmement ambitieux dans des délais très resserrés pour le recyclage et le réemploi, à savoir 77 % de bouteilles collectées pour recyclage en 2025 et 90 % en 2029. Nous sommes aujourd'hui à 61 %, avec de grandes disparités territoriales : certaines régions, comme les Pays de la Loire et la Bourgogne-Franche-Comté, ont accompli de grands efforts et sont à un taux de collecte pour recyclage de plus de 80 %. En revanche, les régions Sud et Île-de-France restent en deçà de 50 %, peut-être parce qu'elles sont plus touristiques que d'autres - les touristes ayant plus souvent recours aux poubelles de rue. Dans certaines régions, la tarification incitative a peut-être aussi eu un effet vertueux sur la collecte et le tri. Certaines régions ont également généralisé le bac jaune avant l'extension des consignes de tri à l'échelle nationale, le 1er janvier dernier. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, aucune région n'a atteint le taux de 90 % : le meilleur taux de collecte pour recyclage enregistré est de 81 %.

Force est de constater que, parmi nos voisins européens, ceux qui dépassent le taux de 90 % ont tous opté pour la consigne. Quelle que soit la méthode retenue à l'issue de la concertation en juin prochain, mon but est d'atteindre les objectifs fixés.

Christophe Béchu et Dominique Faure ont réuni les préfets lundi dernier pour leur rappeler l'intérêt du fonds vert et leur demander de systématiser les réunions d'élus à ce sujet : le préfet du Doubs a dû anticiper cette directive. Au-delà des courriers envoyés par le ministère, les informations doivent être clairement communiquées ; les crédits n'ont pas été attribués au prorata des habitants, car ce seul critère aurait entraîné de trop grandes disparités aux dépens des territoires ruraux. Nous avons fait preuve de la plus grande vigilance.

Madame Filleul, les PLU me semblent effectivement un outil intéressant en matière de biodiversité, par le biais de l'aménagement du territoire.

M. Gillé insiste sur la nécessité de décliner la stratégie nationale biodiversité 2030 dans les territoires ; aujourd'hui, elle n'est pas encore couplée aux CPER. Pour assurer une bonne coordination avec les initiatives des collectivités, il faudra prévoir des instances dédiées, mais les réflexions n'ont pas encore atteint ce degré de finesse.

Monsieur de Nicolaÿ, l'Inrae ne peut effectivement pas se saisir de toutes les questions qui lui sont soumises. J'ignorais la situation des producteurs de lentilles, mais je vous signale l'existence d'une commission des usages dits « orphelins » des pesticides. Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en a rappelé l'importance. Plus globalement, il présentera prochainement une « stratégie fruits et légumes », destinée à garantir la souveraineté de notre pays en la matière. Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires travaille étroitement avec lui sur ce sujet.

Enfin, monsieur Favreau, votre question nous rappelle la grande difficulté d'application du principe de réciprocité des accords internationaux. Il faut éviter de reproduire ce que nous avons connu avec les objectifs d'Aichi. Les mesures contraignantes sont difficiles à prendre, mais pour les États, les efforts accomplis sont évalués sur la scène internationale, avec d'importants effets de réputation.

M. Gilbert Favreau. - Les contraintes ne sont-elles pas plus faciles à appliquer à l'échelle européenne ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Bien sûr ! D'ailleurs, quand la France ne respecte pas ses propres obligations, elle est rappelée à l'ordre. On l'a vu au sujet des néonicotinoïdes.

Mme Marta de Cidrac. - La loi Agec permet au Gouvernement de définir, dès 2023, les modalités de mise en oeuvre de la consigne, sur le fondement d'un bilan annuel réalisé par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), si les performances cibles ne sont pas atteintes et après concertation avec les parties prenantes. Ce bilan annuel devait bien précéder la concertation : pourquoi avoir inversé le calendrier prévu ? Pouvez-vous nous donner des précisions à ce propos ?

Au sujet des bouteilles en plastique, le Gouvernement engage-t-il la concertation avec un a priori ? Je vous rappelle que les associations de collectivités territoriales sont opposées à une telle mesure, qui ajouterait encore de la complexité au geste de tri et serait, partant, préjudiciable à la réduction des déchets.

Dans son rapport de mars 2021, l'Ademe estimait que la cible européenne de 90 % de collecte pour recyclage des bouteilles en plastique en 2029 est atteignable sans consigne, à condition d'actionner d'autres leviers, parmi lesquels le tri des biodéchets à la source, la densification des points d'apport pour la collecte de proximité ou encore la mise en place de la tarification incitative. L'État et les éco-organismes peuvent et doivent faire plus en ce sens ; pensez-vous que ces pistes soient suffisamment exploitées ?

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Je ne pars avec aucune conviction préétablie : je n'ai pas la prétention de tout savoir en la matière et la concertation va me permettre d'apprendre. J'entendrai les différents acteurs, notamment au sujet de la tarification incitative, d'autant que différents modèles ont été testés par les régions.

J'insiste sur ce point : mon objectif n'est pas de mettre en oeuvre la consigne à tout prix. Je sais que ce sujet provoque, à tout le moins, des crispations. Ce que je souhaite, c'est actionner les leviers nous permettant d'atteindre nos objectifs, que ce soit la tarification incitative, la généralisation du bac jaune ou le développement du tri dans les poubelles de rue.

Toutes les régions ne présentent pas les mêmes difficultés, et la généralisation du bac jaune ne suffira sans doute pas partout, car la mauvaise gestion des poubelles de rue est un vrai problème dans certains territoires. Aujourd'hui, l'Union européenne impose non pas la mise en oeuvre de la consigne, mais l'atteinte des objectifs mentionnés.

Mme Marta de Cidrac. - Nous aurons sans doute l'occasion de poursuivre ce débat, mais pourquoi avoir inversé le calendrier fixé par la loi Agec ? En outre, l'État et les éco-organismes étaient censés accompagner les collectivités territoriales dans l'amélioration de la collecte des bouteilles plastiquesdepuis trois ans : selon vous, cela a-t-il été le cas ? Concrètement, sur quoi la concertation portera-t-elle ? Les solutions seront-elles prises à titre national ou déclinées territoire par territoire ? Il faut respecter ce qui a été négocié lors de l'examen du projet de loi Agec.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - L'étude de l'Ademe est bien en cours. Elle a été lancée en novembre 2022 et aboutira au cours de la concertation, au plus tard au mois de mai 2023.

Si nous avons lancé la concertation dès maintenant, c'est pour assurer le travail de planification relatif aux emballages ménagers pour la période 2024-2029 et formuler les demandes qui seront adressées à Citeo.

Mme Marta de Cidrac. - L'Ademe a rendu un rapport intermédiaire en 2021 - il n'y a donc pas si longtemps. Elle y souligne les efforts entrepris par nombre de collectivités et estime que les initiatives déjà prises permettent d'atteindre les objectifs. Nous, parlementaires, devons pouvoir nous adosser sur ses travaux afin de débattre aussi sereinement que possible.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - On ne peut pas atteindre les objectifs fixés en s'en tenant au statu quo.

Mme Marta de Cidrac. - Je n'en sais rien, madame la secrétaire d'État : je ne dispose pas du bilan.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - On ne peut pas se satisfaire d'un taux de collecte de 40 % en région Sud. À l'évidence, il est indispensable de déployer un certain nombre de mesures supplémentaires.

Mme Marta de Cidrac. - D'où l'intérêt que nous disposions rapidement du rapport de l'Ademe.

Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État. - Bien sûr ! Je précise que la concertation permettra de réunir l'ensemble des acteurs autour de la table : les industriels, les distributeurs, les représentants des organisations non gouvernementales (ONG) et des associations de consommateurs, les élus locaux et les parlementaires. Nous étudierons deux scénarios, avec ou sans consigne. Plusieurs solutions, mises en oeuvre dans certaines régions, mériteraient d'être déployées ailleurs.

M. Jean-François Longeot, président. - Je me réjouis que la commission ait fait le choix d'aller à la COP15 et je salue les résultats obtenus, même s'il reste beaucoup à faire. De leur côté, les collectivités territoriales accomplissent déjà de grands efforts en faveur de la collecte et du recyclage, qui doivent faire l'objet d'une large concertation, en s'appuyant sur les données que l'ADEME livrera d'ici peu au débat public.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 25.