Mercredi 1er février 2023

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Bernard Fialaire rapporteur sur la proposition de loi n° 177 (2022-2023) portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matière artistique présentée par M. Bernard Fialaire et plusieurs de ses collègues.

Transition écologique du bâti ancien - Audition de MM. François de Mazières, maire de Versailles, Boris Ravignon, président de l'Agence nationale de la transition écologique, Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture au ministère de la culture, Fabien Sénéchal, président de l'Association nationale des architectes des bâtiments de France, et Mme Grégorie Dutertre, directrice du conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement de Seine-et-Marne

M. Laurent Lafon, président. - Lors de la présentation de son rapport consacré aux patrimoines lors du projet de loi de finances pour 2023, Sabine Drexler nous avait alertés sur le défi soulevé par la transition écologique du bâti ancien. Les immeubles datant d'avant l'année 1948 représentent environ un tiers de notre parc immobilier. Leur rénovation thermique est donc un enjeu important dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Cependant, la transition de ces bâtiments ne peut pas se faire à n'importe quelle condition : ceux-ci constituent un patrimoine qu'il nous faut aussi préserver.

Afin d'approfondir notre réflexion, nous accueillons ce matin cinq intervenants : M. François de Mazières, maire de Versailles, ancien directeur général de la Fondation du patrimoine et ancien directeur de la Cité de l'architecture et du patrimoine ; M. Boris Ravignon, président de l'Ademe - l'Agence de la transition écologique - et maire de Charleville-Mézières ; M. Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture au sein du ministère de la culture ; M. Fabien Sénéchal, président de l'Association nationale des architectes des Bâtiments de France, architecte des Bâtiments de France (ABF) à la direction régionale des affaires culturelles (Drac) de Bretagne ; enfin, Mme Grégorie Dutertre, directrice du conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) du Val-de-Marne, qui intervient aujourd'hui au nom de la Fédération nationale des CAUE.

Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Nous mesurons bien que concilier les impératifs de la transition écologique avec la protection de notre patrimoine est complexe. Pourtant, il y a urgence à agir : d'une part, parce qu'il faut s'attendre à une multiplication des travaux de rénovation énergétique dans les années à venir sous l'effet des dispositions de la loi Climat et résilience ; d'autre part, parce que la réhabilitation du bâti ancien apparaît, d'un point de vue écologique, comme l'avenir de la construction.

Dans son rapport, Sabine Drexler avait identifié plusieurs leviers d'action, qui allaient de l'adaptation du cadre réglementaire à l'amélioration de la formation, en passant par une meilleure coordination interministérielle, une plus grande mobilisation des outils disponibles ou encore le soutien à la recherche et la remise à plat des aides financières.

Nous sommes impatients d'entendre votre point de vue et vos propositions en vue de favoriser une transition écologique respectueuse de notre patrimoine.

Avant de vous céder successivement la parole pour une intervention liminaire de cinq à sept minutes, je me permets de vous rappeler que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site internet du Sénat.

Mme Grégorie Dutertre, directrice du conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement de Seine-et-Marne. - Merci pour votre invitation. Le réseau de la Fédération nationale des CAUE dispose de 92 implantations sur le territoire national. Ces associations, dont le statut est défini par la loi de 1977 relative à l'architecture, ont pour mission de conseiller, former, informer et sensibiliser les collectivités, les particuliers, les administrations et les professionnels sur les thèmes de l'architecture, de l'urbanisme, du paysage et de l'environnement.

Les CAUE occupent une place leur permettant de réunir tous les acteurs publics et privés pour inventer collectivement des process efficaces afin d'améliorer le partage de connaissances, notamment sur les enjeux et les objectifs liés au besoin d'une rénovation plus importante. Leur position leur permet de réunir les acteurs impliqués en dehors de relations contractuelles, commerciales ou hiérarchiques. Aborder le sujet de la rénovation énergétique par le biais de la valeur culturelle de l'architecture est susceptible de mobiliser les acteurs au-delà des professionnels de la construction. La transversalité nécessaire à la rénovation du bâti ancien suppose un espace d'interaction stable et pérenne, à l'image des échanges pluridisciplinaires conduits par les communautés départementales pour la transition énergétique (CDTE).

Le CAUE de Seine-Maritime a publié un travail portant sur la réhabilitation architecturale et thermique du bâti ancien. Celui des Yvelines a étudié l'impact architectural de la rénovation énergétique sur toutes les typologies de bâtiments. L'observatoire des CAUE d'Île-de-France a organisé deux séminaires consacrés à la rénovation du bâti existant, en partenariat avec la Drac. Le CAUE de Seine-et-Marne travaille en partenariat avec l'union des architectes du département, pour lesquels des formations sont organisées. Celui de l'Essonne a entrepris la rénovation en béton de chanvre à l'intérieur d'un petit immeuble datant du XVIIIe siècle.

Les CAUE offrent une ingénierie de proximité : ce sont des conseillers identifiés et pérennes pour les élus et les acteurs locaux souhaitant réduire leur facture énergétique tout en adoptant une démarche créative dans la modernisation de leurs équipements publics. Le bâti ancien représente un tiers des logements actuels, mais il constitue l'âme de nos villes et de nos villages. Les politiques de redynamisation du commerce de proximité et de lutte contre l'étalement urbain et les îlots de chaleur abordent nécessairement cette question. La densification des tissus urbains touche le bâti ancien ; seuls les architectes maîtrisent l'insertion du bâti neuf dans des îlots anciens.

J'en viens aux enjeux d'intérêt public. La rénovation du bâti ancien n'est pas qu'une affaire de propriétaires, mais bien un enjeu vital de la transition économique et écologique. Si, lors de ces opérations, nous détruisons notre patrimoine, c'est aussi notre place dans l'histoire urbaine de notre époque que nous détruisons. Le bâti ancien joue un grand rôle dans l'attrait de la France comme première destination touristique mondiale. Afin d'encourager les propriétaires à rénover, il faut étendre les prêts hypothécaires. Des inventaires des typologies du bâti doivent être engagés dans tous les secteurs anciens en vue d'assigner des règles de rénovation. Cela dit, les règles du code de l'urbanisme se fondent sur l'aspect extérieur des constructions.

Les accompagnateurs Rénov' doivent disposer d'un socle minimal de compétences. Aidons l'ingénierie pour compenser le manque de rentabilité des missions de rénovation. Soyons lucides : si le marché était rentable, il serait déjà accaparé par les prestataires privés. Cessons de multiplier les comparaisons en matière d'efficacité thermique entre le bâti récent et le bâti ancien ; ce dernier représente une valeur qui dépasse toute comparaison avec ce que nous avons construit depuis la Seconde Guerre mondiale.

L'économie des ressources, l'intelligence bioclimatique et la diversité architecturale du bâti ancien sont les fondements de notre culture urbaine européenne. Or, depuis la Seconde Guerre mondiale, l'économie du bâtiment est entièrement tournée vers la construction neuve. Durant des décennies, nous avons privilégié la démolition au détriment de la rénovation : c'est un regard économique à court terme. Nous devons négocier un virage très serré afin de favoriser la rénovation fondée sur l'économie des ressources et la réduction des déchets. Sortons le bâti ancien de l'insalubrité, de l'inadaptation et du désamour afin de conserver une stabilité essentielle dans la perspective des grands bouleversements de notre époque. Favorisons l'occupation temporaire des bâtiments qui sont vides durant quelques mois, lors d'un changement de propriétaire par exemple. Le bâti ancien ne doit pas rester cantonné à son apparente inadaptation thermique : réinvestissons notre cadre de vie.

M. Fabien Sénéchal, président de l'Association nationale des architectes des bâtiments de France. - Je souscris aux propos de Mme Dutertre, qui posent le sujet de manière claire et stratégique.

Praticiens dans les départements, les architectes des bâtiments de France sont des agents du ministère de la culture dans les territoires. Nous travaillons avec les élus, en particulier dans les communes rurales, où l'on constate des difficultés et des manques d'ingénierie.

Je souhaite tout d'abord insister sur le fait que la rénovation énergétique du bâti concerne la question du logement et de la vie. On passe de crise en crise : les gilets jaunes ont questionné le périurbain, la crise du covid a posé la question de la qualité du logement, et aujourd'hui la crise énergétique pose la question de la rénovation du bâti ancien. N'oublions pas que l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) impose, à juste titre, le réinvestissement des centres anciens, la rénovation du déjà-là. Le conflit actuel pose la question de la construction et de son coût énergétique, qui représente un quart de la consommation totale d'énergie et doit être réduit. Les processus, les habitudes et les normes sont questionnés, et la rénovation énergétique du bâti concerne ainsi le logement dans sa globalité.

Ensuite, il faut préciser que si les ABF ont pour objectif la rénovation, la conservation et la mise en valeur du patrimoine, ils ne sont présents que sur 6 % du territoire national. C'est très peu : seule une part insuffisante du bâti est concernée par les lois et les textes du code du patrimoine. De même, hormis en cas de CAUE, les élus et les professionnels se retrouvent sans ingénierie de conseil pour porter ces projets, ce qui est fréquent en milieu rural. Ce point est important : la rénovation énergétique du bâti ou l'amélioration de l'habitat doit être comprise comme une chaîne globale, incluant un concepteur - qui souvent n'est pas architecte -, un maître d'ouvrage et des équipes d'ingénierie. En particulier, la profession de thermicien n'est pas réglementée en France. Les compétences des thermiciens en matière de bâti ancien sont rares : dans le Finistère, j'ai identifié une seule personne compétente ; en Nouvelle-Aquitaine, le thermicien spécialiste du bâti ancien vient de prendre sa retraite, et les collègues architectes sont désespérés. En amont, les conseillers MaPrimeRénov' ne sont pas toujours formés, tout comme les artisans en aval. Nous savons que cela fait partie des missions des ABF : nous nous battons pour préserver des mises en oeuvre traditionnelles, des enduits anciens, des fenêtres en bois faites sur mesure, pour conserver non seulement un patrimoine, mais également des savoir-faire. Or ces savoir-faire ont disparu ou sont très difficilement mobilisables, alors que ce sont ces entreprises qui permettront une rénovation massive du patrimoine ancien.

Enfin, toutes les normes sont aujourd'hui pensées pour le neuf, alors que le bâtiment ancien, qui a d'autres qualités, se comporte différemment. Certains organismes comme l'Ademe et le centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (Creba) travaillent sur ce sujet, mais nos normes et nos systèmes d'aide sont néanmoins tous tournés à destination du neuf. Il y a là un sujet : sur le terrain, par méconnaissance, 80 % du budget des gens rénovant leur logement est consacré à résoudre environ 25 % du problème. Par ailleurs, certains architectes expérimentés ont travaillé lors des grandes campagnes de rénovation du bâti des années 1980 et 1990. Les bailleurs sociaux constatent aujourd'hui que, par manque d'adéquation, tous ces travaux faits en centre ancien sont à reprendre, et qu'ils ont même parfois considérablement dégradé l'état sanitaire et la qualité de vie dans ces bâtis. Faisons attention : dirigeons tout cet argent consacré à la rénovation énergétique du bâti - il y en a beaucoup - au bon endroit, pour qu'il ne soit pas contre-productif dans les trente ou quarante années à venir.

M. François de Mazières, maire de Versailles. - Je souligne la qualité du dossier qui nous a été remis dans le cadre du projet de loi de finances pour 2023, qui contient de nombreuses propositions.

Il y a un vrai risque de la « France moche » - j'exagère sans doute -, de banalisation : on veut aller vite en raison de l'urgence climatique, et on a tendance à faire partout la même chose, car l'isolation par l'extérieur emprunte toujours les mêmes méthodes. Or le charme de la France, c'est son patrimoine, ses spécificités locales. La modénature donne de l'élégance aux bâtiments, mais court le risque de disparaître. Pour l'isolation par l'intérieur, il y a également un risque de destruction du patrimoine.

Concrètement, en tant que président d'une intercommunalité, j'ai vu une commune carencée en logements détruire dans l'urgence des bâtiments intéressants, comme des maisons en meulière. Il y a un vrai risque d'une banalisation assez terrifiante de notre environnement.

Les associations du G8 Patrimoine ont réagi unanimement en novembre dernier, pour alerter sur les risques de mise en péril du patrimoine que comporte la loi Climat et résilience de 2021. Le risque naît aussi d'une incompréhension : tout repose aujourd'hui sur le diagnostic de performance énergétique (DPE), mais les gens qui réalisent ces DPE ne sont pas toujours qualifiés quant au patrimoine, et traitent de la même manière un bâtiment ancien et un bâtiment construit il y a dix ou vingt ans. Selon ces associations, le patrimoine d'avant 1948 représente même un atout pour la question environnementale - j'y reviendrai.

Il y a une accélération de la législation, une accumulation de lois qui fait que plus personne n'y comprend rien. Dans une ville patrimoniale comme Versailles, même avec les services très compétents dont nous disposons, les choses sont devenues si difficiles à suivre que les propriétaires de logements anciens ont cru qu'ils devraient vendre en catastrophe leurs biens de classe énergétique G ou F, car ils pensaient qu'ils ne pourraient plus les louer après 2025 et 2028. Il y a eu un moment de panique, avant que nous ne prenions connaissance d'un décret pris le 8 avril par le ministère de la culture, qui permet à une ville comme Versailles, dans un secteur protégé, de bénéficier de règles assouplies. Mais personne n'est au courant !

De même, le ministère a récemment autorisé à assouplir la règle sur l'installation de panneaux photovoltaïques en espaces protégés. Les ABF font un travail courageux, mais ils n'en peuvent plus. Dans mon département, les ABF doivent rendre 4 000 avis par an. Ce n'est pas sérieux : un suivi intelligent pour la rénovation ne peut pas être réalisé sans prendre du temps. Il y a un problème de suivi, même lorsqu'un dispositif de protection existe, qui ne concerne en effet que 6 % du territoire. Les CAUE sont une bonne idée, mais ils souffrent également de problèmes d'effectifs, et sont très inégalement répartis entre les départements.

Un point me semble très préoccupant. Aujourd'hui, l'État, confronté à des logiques contradictoires, devient un peu schizophrène. Dans une ville patrimoniale comme Versailles, l'État cherche à vendre ses biens le plus cher possible, à tel point qu'il m'est impossible de participer aux jurys sur les projets. Par exemple, l'État a vendu un bâtiment Roux-Spitz à un prix extrêmement élevé en interdisant aux promoteurs de me rencontrer, pour faire monter les prix. Si l'on veut vraiment protéger le patrimoine collectivement, il faudrait commencer par établir un vrai dialogue.

Il y a pourtant une opportunité extraordinaire qui se présente à nous. Le patrimoine permet de renforcer la lutte contre le réchauffement climatique, car de nombreux bâtiments anciens sont conçus intelligemment par rapport au climat. On ne le dit pas assez, mais la pire activité pour l'émission de gaz à effet de serre est la construction. Selon une loi récente, lors de la construction d'un bâtiment, on n'est plus soumis à la réglementation thermique (RT) mais à la réglementation environnementale (RE) : sur les cinquante années de vie en moyenne d'un bâtiment, la création de gaz à effet de serre repose, entre 60 % et 90 %, sur le moment de sa construction. Le patrimoine a donc un atout naturel concernant les problèmes de l'environnement, mais on ne le dit pas assez.

Les architectes ont beaucoup évolué aujourd'hui. La présidente de l'ordre des architectes, Christine Leconte, a publié un livre avançant qu'il faut transformer le logiciel, et apprendre à rénover. Cette révolution intellectuelle est fondamentale : défendre le patrimoine, c'est aussi s'insérer dans une logique de protection de l'environnement.

Il faut donc tout d'abord renforcer la formation. Dans les écoles d'architecture, on ne parle que très peu de la question du patrimoine ; la rénovation doit être davantage mise en avant dans la formation des architectes.

Je pense aussi que la recherche sur les nouveaux matériaux doit être renforcée. En 2011, une étude a été conduite avec les associations de patrimoine, qui jouent un rôle capital pour répondre au manque d'effectifs de certains services.

Il faut aussi réfléchir à transformer le diagnostic de performance énergétique (DPE). Les diagnostics sur des bâtis patrimoniaux doivent être réalisés par des personnes conscientes de l'existence de différences avec le bâti récent. Des spécialistes « DPE patrimoine » me semblent utiles. Ceci d'autant plus que le système des aides reste d'une incroyable complexité, en dépit des efforts faits avec MaPrimeRénov'. La communication concernant ces aides devrait être renforcée.

Responsabiliser les collectivités territoriales me paraît également essentiel. En effet, sur les 400 millions de mètres carrés de bâtiments publics, les trois quarts relèvent des collectivités territoriales. Celles-ci devront donc être aidées. Un système de tiers financeur a été récemment adopté à l'Assemblé nationale. Ce système est certes intéressant, mais la garantie du remboursement, qui repose sur des améliorations énergétiques, sera difficile à mettre en place dans un contexte de fluctuation des prix de l'énergie. Nous venons de sortir des emprunts toxiques, il faut donc faire attention. Du point de vue des collectivités, une aide directe serait certainement un dispositif plus efficace.

On peut aussi décliner des mesures existant déjà dans d'autres domaines.

Ainsi, dans le cadre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), certaines villes doivent payer des pénalités. Pourquoi ces pénalités ne financeraient-elles pas la rénovation thermique du patrimoine ancien ?

La péréquation peut aussi être employée. De mon point de vue - je l'ai déjà indiqué lorsque j'étais député -, la péréquation, renouvelée chaque année avec le même montant, est un mécanisme pervers. En effet, des ressources sont prélevées sur les finances d'une commune au profit d'une autre, sans connaître leurs projets respectifs. La péréquation pourrait devenir un instrument intelligent. Les communes qui réalisent des investissements patrimoniaux pourraient ainsi être aidées en bénéficiant d'une baisse de leur contribution à la péréquation. Chaque année, la ville de Versailles perd huit points d'impôts à ce titre, sans tenir compte des éventuelles évolutions de charges.

Enfin, pour relever ces défis, les associations sont des acteurs importants. J'ai été directeur général de la Fondation du patrimoine qui a réalisé un travail remarquable ces dernières années. Le label de la Fondation du patrimoine est un outil très intéressant. Ne pourrait-on pas utiliser ce label, en l'étendant, afin de faciliter les rénovations ? Ce serait un levier d'action pour les propriétaires privés de bâtiments anciens.

Il est nécessaire de s'appuyer sur des associations comme Maisons paysannes de France, qui a une véritable culture s'agissant de l'utilisation de techniques anciennes pour l'isolation de ces bâtiments. Cela permettrait d'avoir une meilleure approche de la rénovation énergétique.

La rénovation énergétique est à la fois un risque - dans votre rapport, l'emploi du mot défi est très juste -, mais aussi une opportunité.

M. Boris Ravignon, président de l'Agence de la transition écologique. - L'Agence de la transition écologique est le nouveau vocable utilisé pour désigner l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Sa contribution porte sur plusieurs domaines de la transition écologique. Les principaux fonds dont elle dispose, qui sont connus des sénateurs comme des élus locaux, ont trait au développement de la chaleur renouvelable, aux dispositifs d'économie circulaire et à l'accompagnement des mutations de notre parc de logements.

Il s'agit d'un des grands enjeux écologiques de notre pays. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, 90 % du parc des 30 millions de logements actuels doit atteindre un niveau de consommation énergétique équivalent à celui des bâtiments basse consommation énergétique (BBC).

À ce jour, la consommation énergétique moyenne du parc de logements français est de l'ordre de 200 kilowattheures par mètre carré et par an. Or l'objectif est d'atteindre 80 kilowattheures pour 90 % des logements composant ce parc.

Il s'agit donc d'un travail d'ampleur et la contribution du parc de logements est essentielle à la réalisation de la neutralité carbone.

On pourrait considérer que les 10 % de logements restants, qui n'atteindraient pas le niveau de consommation énergétique des BBC, relèveraient du bâti ancien, mais ce n'est pas le cas. Celui-ci représente entre 20 % et 25 % de notre parc actuel de logements, soit environ 7 millions de logements. L'enjeu est considérable.

Ces chiffres rendent compte de la planification écologique.

Comme cela a été rappelé, l'évolution du bâti ancien a été une nécessité sociale. Les personnes qui y résident ont les mêmes droits d'accès aux progrès en matière de consommation énergétique que celles habitant dans des logements plus récents. Je suis d'accord avec François de Mazières : il serait dangereux que le bâti ancien ne soit pas intégré à la transition écologique et qu'il devienne un espace symbole de déclassement en raison de coûts énergétiques très supérieurs aux autres. Les logements soumis à la loi de 1948, privés d'investissements pendant des décennies, en sont un exemple avec un fort taux d'habitats insalubres.

Accompagner la transition énergétique du bâti existant est donc essentiel. Les habitants du bâti ancien doivent ainsi profiter des mêmes avantages que les autres en progrès de consommation énergétique, puisque cela se traduit par de moindres dépenses d'argent.

Mais il s'agit aussi de respecter les caractéristiques de ce bâti ancien. L'Ademe considère que le bâti ancien, à savoir celui datant d'avant 1948, n'est pas assez correctement documenté dans toute sa diversité. Après 1948, une standardisation et une forme d'industrialisation des modes de construction ont permis d'obtenir des bâtiments dotés des mêmes caractéristiques sur l'ensemble du territoire.

Il est donc encore nécessaire de comprendre les caractéristiques et la diversité de ce bâti ancien. Les maisons à colombages de Troyes diffèrent des maisons en pierre de taille de l'Aubrac. Les caractéristiques thermiques, hygrothermiques, architecturales, qui dans certains cas sont favorables à l'isolation, doivent être étudiées. Ce n'est pas le cas pour l'instant.

À ce jour, la réglementation environnementale, dite RE2020, est applicable essentiellement à la construction neuve. Une transition écologique qui ne concernerait que les logements construits chaque année, et pas les 99 % de logements existants, ne serait pas satisfaisante.

Des guides de bonnes pratiques, fondés sur une connaissance fine de ces bâtiments anciens, sont nécessaires. Un travail de recherche sur les matériaux et leur mise en oeuvre, spécifique à chaque type de construction ancienne, est à réaliser afin d'améliorer les qualités énergétiques et thermiques de ces bâtiments.

En effet, la rénovation ne doit pas être effectuée au détriment de la préservation du bâti ancien ; des protections s'appliquent à ce bâti. Ainsi, l'isolation extérieure est possible uniquement si elle n'est pas contraire aux mesures de protection prévues.

L'Ademe a donc choisi de soutenir la recherche sur ces sujets, en l'accompagnant de la création de labels nouveaux, comme le label Effinergie patrimoine, expérimenté pendant trois ans entre 2020 et 2022. Il a permis de déterminer s'il était possible d'atteindre le niveau des BBC dans le bâti ancien. Cela est possible, mais suppose un travail conciliant l'amélioration thermique des bâtiments anciens et leur préservation.

Ces deux dimensions ne sont pas dissociables et il est nécessaire de trouver les personnes capables de le faire. Un travail de formation et de diffusion de ces bonnes pratiques est indispensable. Une standardisation ne sera pas possible ; il faudra travailler selon le type de bâtiment ancien concerné.

Notre approche est donc de mettre l'accent sur la conciliation de ces deux dimensions : rénovation et préservation du bâti ancien.

Jean-François Hébert, directeur général des patrimoines et de l'architecture au ministère de la culture. - Comme acteur de terrain, je reprendrai quelques éléments et développerai des axes du rapport de Sabine Drexler, moins abordés.

Ce sujet n'est pas récent ; nous travaillons depuis quelques années avec les associations évoquées par François de Mazières. Néanmoins, ce sujet est devenu une priorité du Gouvernement, mais aussi du ministère de la culture. Une feuille de route est en train d'être mise au point, dont la ministre parlera prochainement.

Comme cela a été justement rappelé, la préservation du patrimoine est écologique par essence. En effet, on conserve des sols, des ressources, des matériaux, des immeubles et des mobiliers, qui sont transmis aux générations suivantes.

Le ministère travaille sur plusieurs axes, mais je concentrerai mon propos sur la formation - un peu - et sur l'interministérialité. Nous travaillons sur la formation des professionnels. Je corrige les propos de François de Mazières sur les écoles d'architecture, qui sont toutes engagées dans cette transition écologique.

La ministre a créé, voilà deux jours, un prix portant sur ce sujet et quelque 60 % à 70 % des projets architecturaux concernent la rénovation ou la réutilisation de ces bâtiments. La majorité des projets ne relève plus de la construction neuve. C'est un mouvement de fond très encourageant.

Sur la formation continue, un travail très important a été mené en association avec les architectes du patrimoine et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema). Nous avons pu mobiliser des professionnels et les faire travailler sur des sujets très concrets : les matériaux isolants, les filières biosourcées, la problématique des fenêtres, etc.

Nous allons lancer une formation en ligne, toujours avec le Cerema, qui abordera différents thèmes sur quatre semaines : les enjeux de la réhabilitation énergétique responsable du bâti ancien, la méthode à adopter pour concevoir un projet de réhabilitation énergétique responsable, les spécificités techniques ; les solutions d'amélioration énergétique respectueuses du patrimoine et techniquement adaptées.

À ces formations très nombreuses, s'ajoutent d'autres formations organisées par des associations, comme Maisons paysannes de France, dont l'engagement sur le sujet est ancien.

Le ministère a aussi la responsabilité de diffuser les données, ce qu'il fait via des fiches techniques.

Je voudrais maintenant me concentrer sur la dimension politique. Nous sommes tous conscients qu'il faut réussir à concilier des exigences en apparence contradictoires : développer les énergies renouvelables et protéger le patrimoine sont deux objectifs différents, mais nous avons la conviction qu'ils ne sont pas irréconciliables.

C'est pourquoi, sous le ministère de Roselyne Bachelot et, maintenant, de Rima Abdul-Malak, nous avons décidé de travailler avec nos collègues du ministère de la transition écologique, comme le montre le travail réalisé sur le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Dessiner en collaboration avec eux des orientations pour le terrain nous a semblé une bonne manière d'éviter d'en venir à des mesures presque « démagogiques », dont, par exemple, la suppression pure et simple de l'avis conforme des architectes des bâtiments de France. L'effort que le ministère a fait sur lui-même a donc été de ne pas se braquer sur une interdiction de tout panneau photovoltaïque dans les zones protégées par les ABF, mais d'organiser l'installation et l'insertion de ces panneaux, de manière intelligente, dans les centres anciens.

Je tiens d'ailleurs à vous remercier, monsieur le président Lafon, vous et les membres de la commission, car vous avez soutenu les deux ministères dans cette affaire. Nous ne sommes pas passés loin d'une catastrophe qui aurait été la réédition de l'entorse, décidée dans le cadre de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Élan, autorisant les maires à se passer de l'avis conforme en cas de logement insalubre.

Notre intention est de continuer dans cette voie de l'interministérialité : nous allons travailler sur le diagnostic de performance énergétique (DPE) ; nous voulons faire évoluer les critères d'attribution de certains dispositifs de soutien, comme MaPrimeRénov' ; nous allons capitaliser sur toutes les données accumulées par les instances scientifiques, comme le Centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (Creba) ou l'Association nationale des architectes des bâtiments de France (Anabf), et les traduire en nouvelles recommandations ; à partir du mois de mars, nous engagerons un travail sur la norme européenne NF EN 16 883 - performance énergétique des bâtiments d'intérêt patrimonial ; enfin, nous serons très occupés par un chantier tout à fait structurant, celui des menuiseries des fenêtres des monuments historiques, dont la conservation est remise en cause par les modalités d'attribution des subventions de la rénovation thermique. Nous devrons d'ailleurs, sur ce dossier également, travailler avec nos collègues du ministère de la transition écologique, dans le but de donner des directives claires à nos ABF, mais aussi nous rapprocher des groupements d'entreprises spécialisées, qui ont tout intérêt à nous proposer des matériaux innovants, et harmoniser les pratiques d'autorisation de travaux.

J'insiste donc sur l'importance du travail interministériel engagé : c'est la voie d'avenir !

Mme Sabine Drexler. - Merci à tous pour vos présentations très riches et éclairantes, confirmant malheureusement les craintes que nous avons déjà pu exprimer au sein de notre commission.

Alors que la loi Climat et résilience entre dans sa phase concrète, nous constatons avec effarement qu'elle n'a pas tenu compte comme il aurait fallu du patrimoine bâti de notre pays, en particulier du petit patrimoine non protégé, souvent rural. Nul ne conteste la nécessité de mener à bien le chantier de la rénovation énergétique, mais nous déplorons tous la mise en place de procédures aussi préjudiciables.

Je pense en particulier aux critères du DPE, en partie inadaptés au bâti présentant un intérêt historique.

Le bâti ancien, représentant un tiers du parc habitable concerné par la loi, nécessite des travaux réalisés dans le respect de son implantation, de ses propriétés hygrothermiques et d'inertie, faute de quoi on le condamne. En outre, les propriétaires-bailleurs souhaitant continuer à louer leurs biens se trouvent contraints soit de suivre des préconisations inadaptées, soit de délaisser ces biens - une aubaine pour les constructeurs, qui rachètent les maisons au prix du terrain, les démolissent et les remplacent par des constructions neuves dans le cadre du programme zéro artificialisation nette (ZAN). Alors que celui-ci pourrait être une opportunité pour la réhabilitation et la réaffectation du patrimoine bâti, on obtient l'effet inverse !

J'ai la chance de participer à la commission d'enquête sénatoriale visant à évaluer l'efficacité des politiques de l'État en matière de rénovation énergétique qui débutera prochainement ses travaux. Je voudrais en profiter pour identifier les leviers d'action permettant de résoudre en urgence cet impensé réglementaire, avant qu'il ne soit trop tard pour notre patrimoine bâti, qui humanise nos territoires, confère à notre pays son identité, permet de mettre en oeuvre et transmettre des savoir-faire exceptionnels et contribue à l'attractivité touristique et au dynamisme économique de nos régions.

Plusieurs solutions pourraient être envisagées et nous voudrions avoir votre avis sur certaines d'entre elles. Faudrait-il revoir les DPE pour les adapter aux spécificités des différents types de bâti ? Que pensez-vous des conditions dans lesquelles sont réalisés ces DPE ? Les diagnostiqueurs sont-ils assez formés ? Pensez-vous que l'identification du petit patrimoine non protégé par d'autres dispositifs et son inscription dans les documents d'urbanisme, avec des préconisations adaptées, devraient être rendues obligatoires et bénéficier, à ce titre, de moyens humains et financiers mis à disposition par l'État pour aider les collectivités à la mettre en oeuvre ?

Mme Grégorie Dutertre. - Une commune engageant un plan local d'urbanisme (PLU) ou un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) peut faire appel à une aide financière versée par les directions départementales des territoires (DDT) - cette aide, d'ailleurs, n'est pas toujours demandée. On pourrait la conditionner à l'identification - effectivement, le mot « inventaire » fait peur - du bâti échappant aux dispositifs de protection déjà en place et, peut-être, des préconisations qui pourraient être faites à l'échelle départementale ou régionale.

M. François de Mazières. - Il est indispensable de revoir les DPE. Le ministère avance des propositions tout à fait intéressantes, mais il faut commencer par cela et, certainement, avoir des diagnostiqueurs spécialisés sur le patrimoine, étant précisé que la préservation du bâti ancien est en soi vertueuse car elle évite d'avoir à réaliser une construction neuve.

S'agissant de la transformation des PLU, il faut différencier les échelles. Pour ma part, j'ai toujours plaidé pour un PLU communal, car l'échelle de l'intercommunalité a tendance à rendre la question de la préservation du patrimoine moins aiguë. En effet, même si un maire n'est pas sensible au sujet, sa population le sera, alors que cette pression est moins forte au niveau de l'intercommunalité.

Mme la sénatrice Sabine Drexler vient néanmoins d'avancer une proposition très intéressante : il faudrait effectivement pouvoir, dans les documents d'urbanisme, intégrer des protections permettant d'éviter des destructions trop rapides. Cette évolution devrait se faire en association étroite avec le bon référent - les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) sont conceptuellement un outil formidable, mais ils ne sont pas tous aussi dotés et aussi performants - et avec l'appui des associations.

M. Boris Ravignon. - Comme vous le rappeliez, madame Drexler, plusieurs diagnostics réalisés sur un même bien peuvent aboutir à une très grande variété de résultats, ce qui est évidemment choquant. C'est la preuve que certains éléments constitutifs du DPE pourraient être perfectionnés, mais aussi, et surtout, qu'il nous faut améliorer la qualité et le contrôle de sa mise en oeuvre. Nous avons conscience de cette difficulté et estimons que, sur ce sujet, un travail interministériel est effectivement nécessaire.

Le DPE a été vu, à juste titre, comme un progrès en matière de calcul de la performance, d'autant que ce diagnostic engage financièrement les acquéreurs d'un bien, notamment ceux qui envisagent de réaliser des travaux. On a longtemps eu le sentiment que le fait de revenir sur le DPE porterait atteinte à son principe et à sa généralisation. Or je ne crois pas que ce soit le cas.

Aujourd'hui, un certain nombre d'adaptations sont nécessaires. Je ne sais pas s'il faudra pour autant créer une catégorie de diagnostics spécifiques au bâti ancien, mais il faudra assurément mettre en place une méthodologie spécifique, qui tienne compte de la diversité de ce patrimoine.

S'agissant de la seconde solution que vous proposez, je vais un peu sortir de mon rôle de président de l'Agence nationale de la transition écologique : une extension adaptée des périmètres de protection serait certainement une bonne réponse à la problématique que vous exposiez. La lourdeur de ce type de démarche peut malgré tout en dissuader certains. Ainsi, à Charleville-Mézières, la ville dont je suis le maire, il nous a fallu vingt ans pour mettre en oeuvre un PSMV (plan de sauvegarde et de mise en valeur).

Cela étant, peut-être existe-t-il un moyen de trouver une protection intermédiaire adaptée qui permette de mieux concilier les objectifs de préservation du patrimoine et de rénovation du bâti ancien dans une ère où il nous faut consommer moins d'énergie.

Mme Sonia de La Provôté- La question de la transition écologique du bâti ancien nous a beaucoup occupés lors des dernières discussions budgétaires. En effet, dans la mesure où le nouveau DPE est d'ores et déjà entré en vigueur, il nous revient de formuler de manière urgente des contre-propositions applicables au patrimoine.

J'ai certes entendu que le ministère de la culture travaille depuis très longtemps sur ce dossier - ce travail au long cours existe d'ailleurs également dans les territoires, y compris au sein des directions régionales des affaires culturelles (Drac) -, mais il me semble que l'on devrait pouvoir aboutir rapidement à une évolution du DPE, ou du moins à la production de fiches pratiques à destination des professionnels. Les nombreux sites patrimoniaux remarquables (SPR) institués aujourd'hui, dont les caractéristiques varient énormément d'une commune à l'autre, pourraient être de formidables outils pour favoriser l'évolution des critères du DPE, pour peu que l'on en fasse la synthèse au niveau national.

Pour être conduite efficacement, la transition écologique du patrimoine doit bénéficier d'un financement et d'un accompagnement spécifiques, notamment parce que la rénovation du bâti ancien coûte plus cher que celle des bâtiments modernes. Ne pourrait-on pas étendre au patrimoine le dispositif fiscal Denormandie pour la réhabilitation de logements anciens, dit « Denormandie ancien », qui est applicable actuellement dans les communes où ont eu lieu des opérations de revitalisation de territoire (ORT), les villes labellisées « Petites Villes de demain » (PVD) et « Action coeur de ville » ? En en simplifiant l'accès, on accélérerait certainement cette réhabilitation du patrimoine. N'oublions pas que pour être efficace, il faut viser une massification de la transition écologique.

Je souhaiterais par ailleurs savoir si un travail particulier est mené sur la question du patrimoine de la reconstruction : il arrive que soit considéré comme patrimonial, non pas chaque bâtiment pris en particulier, mais un ensemble urbain, qui est géré par des copropriétés, parfois de taille importante - dans les grandes villes -, parfois insuffisamment structurées - dans les petites villes. La réhabilitation de ce patrimoine conduirait en effet à une substantielle économie en termes de consommation énergétique.

Enfin, je m'interroge sur la possible évolution du centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (Creba). Est-il prévu que cette institution, qui a déjà beaucoup travaillé sur le DPE, s'institutionnalise, se structure et s'outille davantage ? Il s'agit de mon point de vue d'un organisme apte à fournir les outils dont nous avons besoin sur le terrain.

Mme Sylvie Robert. - La transition écologique du patrimoine est une politique publique complexe, d'une part parce qu'il est urgent de la mener à bien, et d'autre part parce qu'elle nécessite de concilier les contraires. Il nous faut trouver le bon équilibre, en sachant que l'urgence ne doit pas nous faire céder à la facilité, voire renoncer à certains principes - je pense en particulier à l'avis conforme des architectes des bâtiments de France (ABF), dont le maintien n'est pas garanti à en juger par l'examen récent d'un certain nombre de textes.

Nous abordons ce sujet dans un contexte très particulier. Il touche aux modes d'habitat, mais aussi aux représentations, à un moment où notre pays connaît de fortes tensions en matière de logement. Sans compter que la facture énergétique de nos concitoyens augmente considérablement.

Le contexte est éminemment politique : la question de la transition écologique a récemment fait l'objet de nombreuses dispositions législatives et réglementaires - je pense aux lois Climat et résilience et d'accélération des énergies renouvelables (EnR) pour ne citer que ces exemples. Elle soulève aussi des enjeux importants en termes d'ingénierie et d'expertise. Il nous faudra évidemment proposer des solutions techniques adaptées et réfléchir à une évolution du mode de calcul de la performance énergétique.

J'en termine par deux questions : comment garantir un niveau de compétences suffisant chez les opérateurs chargés d'accompagner les ménages dans leur projet de réhabilitation d'un bâtiment ancien ? Que pourriez-vous nous dire à propos du projet de la Commission européenne de refonte de la directive sur la performance énergétique des bâtiments, qui vise l'instauration d'un référentiel commun minimal et qui pourrait voir le jour dès le printemps prochain ?

M. Thomas Dossus. - L'actuel ministre de la transition écologique a récemment déclaré qu'il nous fallait envisager un scénario dans lequel la France connaîtrait une élévation moyenne de ses températures de 4 degrés d'ici à 2100. Cette évolution aurait des effets considérables à la fois sur nos matériaux, nos sols et notre bâti.

Je rappelle que la France ressemble à ce qu'elle est parce que son climat a peu varié. La feuille de route en cours d'élaboration au ministère de la culture et le travail interministériel dont je viens d'entendre parler tiendront-ils compte de différents scénarios climatiques et de l'impact que la hausse des températures pourrait avoir sur le bâti ancien ?

M. Pierre Ouzoulias. - Hier soir, dans le cadre du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, l'Assemblée nationale a substantiellement modifié l'article L. 632-2 du code du patrimoine, qui confie à l'ABF le soin de s'assurer du respect de l'intérêt public attaché au patrimoine. Nos collègues députés ont en effet souhaité ajouté que l'ABF devait tenir compte « des objectifs nationaux de développement de l'exploitation des énergies renouvelables  et de rénovation énergétique des bâtiments ». Cet ajout pose tout d'abord un problème de droit, dans la mesure où l'on subordonne la législation du patrimoine à celle de l'énergie, ce qui est un précédent fâcheux. Ensuite, je ne vois pas comment, en pratique, l'ABF pourra instruire un dossier en rendant compatible son analyse architecturale et une déclinaison des objectifs climatiques nationaux dans le département. Cette modification du rôle des ABF me paraît très préjudiciable.

Je regrette que, dans ce projet de loi EnR, le patrimoine ne soit étudié que sous l'angle de la production, et jamais sous celui de la consommation d'énergie. L'ABF joue pourtant un rôle très important en matière de préservation de la consommation, d'abord parce qu'il est plus intéressant de rénover que de détruire puis de reconstruire, ensuite parce que le bâti ancien a très souvent des capacités de résilience exceptionnelles face aux évolutions climatiques.

De mon point de vue, il serait intéressant de donner plus de latitude et de moyens aux ABF pour contrôler les permis de démolir. J'ajoute que l'Agence nationale de la transition écologique a un rôle à jouer à cet égard : expliquer aux ministères que certaines pratiques anciennes, qui reposent sur l'idée qu'il est toujours plus simple de détruire et de reconstruire que de réhabiliter, ne sont plus envisageables et qu'il convient d'abord de travailler avec les services du ministère de la culture à une rénovation des bâtiments.

Ma collègue Anne Ventalon, dans son excellent rapport sur la préservation des monuments religieux, a montré que les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) sont fondamentaux, car ils assurent un service de proximité dans la gestion du bâti. Les CAUE ont du reste l'immense mérite de bénéficier d'une fiscalité propre, puisqu'ils ils sont financés en partie par la part départementale de la taxe d'aménagement. Je pense que les départements devraient davantage s'emparer de cet instrument, pour en faire, en complément des services de la Drac, un outil de proximité au service de la rénovation.

Mme Else Joseph- Merci à tous les intervenants, qui ont déjà apporté beaucoup de réponses. Nous partageons le diagnostic et les inquiétudes sur le DPE, en particulier en secteur sauvegardé ou dans le bâti ancien, car les matériaux et les techniques ont évolué.

Une question a été posée qui concerne ma ville d'origine. Dans les communes qui disposent d'un plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) ou d'un plan de valorisation de l'architecture et du patrimoine (PVAP), les élus locaux ont de vraies craintes, car de nombreuses règles se superposent, ce qui peut dissuader les bailleurs publics ou privés alors que nous faisons beaucoup pour redynamiser les centres-villes historiques. La rénovation des logements en secteur sauvegardé concerne 46 % des communes, et cette proportion va encore croître avec l'obligation d'engager des travaux de rénovation énergétique pour pouvoir louer un bien. Aménager et adapter ces secteurs n'est pas toujours aisé, notamment pour y installer des bornes de recharge des panneaux photovoltaïques.

Je partage également les préconisations de mes collègues sur les CAUE. Je suis élue d'un des sept départements où il n'y en a pas, et nous travaillons activement à nous doter de cet outil important.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Ma question s'adresse à François de Mazières, dont je salue la vision concrète de maire, toujours très appréciable. Comme notre commission s'intéresse aussi à la transition énergétique dans le sport, je souhaite lui demander comment il compte sortir du sujet de l'éclairage du stade Montbauron. Le club de Versailles a quelques chances de monter en ligue 2... Et ce stade fait partie du patrimoine sportif de notre département !

Mme Annick Billon. - Merci pour toutes ces interventions et les réponses qu'elles ont déjà apportées.

Vous évoquez trois types de freins et difficultés dans la rénovation et la préservation du bâti ancien.

Il y a les normes : la loi, les documents d'urbanisme, le DPE... Les années ont multiplié les contraintes, sans que celles-ci suffisent à préserver le petit patrimoine. Que proposez-vous ? Faut-il étendre et multiplier les sites patrimoniaux remarquables (SPR) ? Ce dispositif est-il efficace ?

Le deuxième frein est le déficit de formation des architectes. Quid de la formation des artisans, et de leur volonté de se former à l'usage de nouveaux matériaux, de nouvelles techniques ? Quid des innovations ? Dans mon département, je constate que la puissance des grosses industries opérant dans l'isolation empêche des innovations performantes, comme l'ouate de cellulose, de se développer sur le territoire. Comment faire pour que de nouveaux matériaux puissent arriver sur le marché sans que les normes ne les en empêchent ?

Le troisième frein que vous avez évoqué est constitué par le prix de la rénovation. Dans le département de la Vendée, un centre historique comportait un bâti ancien extrêmement riche. L'impossibilité pour les propriétaires de l'entretenir a conduit à une situation où il est occupé par des marchands de sommeil... Le centre-bourg est totalement déserté et les habitants ayant les moyens d'acheter des maisons répondant aux normes modernes se sont reportés sur l'extérieur de la ville. Avec quels outils fiscaux pouvons-nous contrer ce mouvement ?

J'ai été en charge de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire pour la commune des Sables-d'Olonne. On a souvent des difficultés pour changer l'utilisation d'un local, par exemple lorsqu'un commerce n'a plus lieu d'être. Comment assouplir les normes régissant les changements de destination ? Elles constituent souvent un frein, alors que cela permet parfois de transformer des places de parking en logements...

Le Sénat s'était engagé en faveur de la revitalisation des centres-villes. Je salue toute l'expertise que vous avez pu apporter au cours de cette table ronde, mais j'ai aussi le sentiment que, parfois, chaque expert travaille en silo. Au fond, nous n'organisons pas suffisamment de tables rondes au Sénat pour vous rassembler tous !

Mme Toine Bourrat. - Merci aux intervenants pour la richesse de leurs interventions. En tant que sénatrice des Yvelines, je souhaiterais saluer plus particulièrement François de Mazières, qui est le maire d'une des plus belles villes patrimoniales de mon département !

De nombreux sujets ont été déjà évoqués par mes collègues et je m'associe à leurs interrogations. Le bâti ancien est évidemment un patrimoine de proximité, qui constitue l'âme de nos centres-villes et de nos centres bourgs.

L'avis des ABF est fondamental et il n'est pas question ici de remettre en cause leur expertise, mais on peut constater que la relation entre les élus et les ABF est parfois complexe, du fait de l'hétérogénéité, voire des contradictions, dans les recommandations et prescriptions émises selon l'architecte qui traite les dossiers. À l'heure de la transition écologique, les élus craignent que cette difficulté n'ait un impact négatif sur la préservation de l'identité de leur bâti et de leurs projets. Quelles solutions peuvent être proposées pour dissiper ces craintes ?

Mme Monique de Marco. - J'espère qu'à l'issue de cette table ronde, nous aurons une feuille route plus détaillée, avec un calendrier précis.

Vous avez parlé de faire évoluer les DPE. Selon quelle méthodologie ? Dans les écoles d'architecture, ce sont les étudiants qui demandent une nouvelle approche par rapport au climat. Nous avons un vrai temps de retard en France sur ce sujet, et je souhaiterais que vous en preniez conscience, afin de faire en sorte que cette formation soit diffusée dans les écoles d'architecture.

La formation professionnelle est clairement insuffisante. Résultat : on continue comme avant. Il y a urgence. Quand donc allez-vous communiquer une feuille de route interministérielle ? Quel est votre calendrier ? Nous devons nous adapter à l'impact attendu du changement climatique.

M. Jean-François Hébert. Il faudrait, pour répondre à cette question, un représentant du ministère du logement... Beaucoup d'entre vous ont souligné l'urgence, que nous ressentons aussi. La discussion interministérielle doit avoir lieu dans l'année, et il faut déboucher rapidement pour les panneaux photovoltaïques. Le ministère de la culture fera des propositions dans l'année pour le DPE, car l'isolation thermique des bâtiments anciens est un sujet important.

Oui, les étudiants actuels sont très engagés, et ces sujets figurent en bonne part dans les programmes des écoles. La formation des enseignants accuse un petit retard, qui sera rattrapé rapidement.

Beaucoup d'intervenants ont insisté sur l'utilité des instruments de protection du patrimoine, et je m'en réjouis, car ceux-ci sont très structurants. Si des bâtiments sont protégés, on peut faire intervenir l'ABF, qui peut faire évoluer les projets. Le Sénat l'avait d'ailleurs souligné : quand on prend les sujets en amont, un professionnel peut intervenir et déminer les difficultés, pour aboutir à un projet acceptable pour la collectivité.

L'ensemble du ministère est impliqué dans la feuille de route portée par la ministre. Seront concernés les musées, les archives, le spectacle vivant, les médias... Il s'agit d'une ambition très forte, qui consiste à inscrire l'ensemble du ministère dans une démarche de transition écologique. La feuille de route ministérielle sera communiquée au printemps, et ne sera pas uniquement concentrée sur le patrimoine bâti.

J'ai fait des démarches auprès de notre collègue de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, l'Anru, pour que les choses évoluent. Nous devons arrêter de donner de l'argent uniquement pour détruire, il faut en donner aussi pour maintenir ! Ce changement est en cours.

Sylvie Robert a évoqué la Commission européenne. Nous sommes impliqués dans les travaux, sans que je puisse vous en dire davantage aujourd'hui. Je ne sais pas qui anime le Creba, mais je confirme qu'il joue un rôle majeur dans la diffusion des normes. Il existe beaucoup de fiches pratiques, encore faut-il qu'elles arrivent jusqu'aux maîtres d'ouvrage, aux propriétaires et aux professionnels.

M. Boris Ravignon. - Sur le DPE, un certain nombre de dysfonctionnements sont constatés. Nous devons donc travailler à une harmonisation de sa mise en oeuvre. Cela relève du domaine réglementaire, et plus particulièrement de la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) : c'est à elle qu'il faut demander quel est le calendrier. Nous ne faisons que lui fournir notre expertise sur ce sujet, et nous apportons notre soutien à des formations, également.

Lundi matin, à la conférence sur le troisième programme national d'adaptation au changement climatique, Christophe Béchu a souligné qu'il faudrait une trajectoire réaliste. Retenir deux degrés de réchauffement climatique serait conforme à nos engagements, et même un peu plus ambitieux. L'adaptation n'est pas un sujet à prendre de manière séparée, mais à intégrer à toutes nos réflexions. Les outils existants, les évolutions et les investissements encouragés par des moyens publics doivent intégrer ce paramètre : nous allons devoir vivre dans un contexte où les sécheresses seront beaucoup plus importantes, tout comme les phénomènes climatiques extrêmes. Pour le confort d'été, cela aura de l'importance.

Je n'ai pas observé que la création de SPR et l'adoption du document de gestion qui l'accompagne - PSMV ou PVAP - fait fuir les investisseurs. Bien au contraire, on a plutôt le sentiment que ce type de dispositif a un véritable attrait. En particulier, le dispositif Malraux a permis l'arrivée d'investisseurs réalisant des opérations de rénovation de très belle qualité, car ils connaissent leur métier.

Je ne peux que souscrire au projet d'extension des CAUE, qui semblent utiles. Il n'est pas si fréquent que l'État prévoie un financement préalable à une mission ! Ce sera un progrès pour la qualité de la construction.

Pour soutenir les rénovations, un certain nombre de dispositifs et d'outils existent déjà et connaissent un succès relativement important. MaPrimeRénov', par exemple, fonctionne bien. Reste à travailler sur les normes et les pratiques à appliquer dans le cadre de ces dispositifs, qui sont en eux-mêmes plutôt vertueux. Le but est de passer de 41 000 à 700 000 rénovations par an : la marche est haute ! Il faut donc promouvoir des pratiques, surtout pour le bâti ancien, qui soient vraiment adaptées.

M. François de Mazières. - La question des DPE est revenue souvent lors de cette table ronde. Il est important que les diagnostiqueurs aient une formation particulière sur le patrimoine, car celui-ci ne peut être traité exactement comme le bâti récent.

Les ABF jouent un rôle de garant important, mais se pose la question de leur nombre : lorsque l'on rend 4 000 avis, il est difficile de prendre le temps pour trouver la meilleure manière d'adapter les dispositifs pour concilier au mieux les objectifs en matière de transition énergétique et de préservation du patrimoine. Cette année, seuls trois postes d'ABF ont été créés. On manque aussi de candidats. S'agissant de la formation, le ministère a fait des efforts. Le palmarès Reseda, premier palmarès national en faveur du développement durable destiné aux étudiants des écoles nationales d'architecture, constitue une initiative intéressante. Il n'en demeure pas moins qu'un rattrapage est nécessaire en ce qui concerne les formateurs. On manque aussi d'artisans spécialisés.

Le recours à des techniques particulières dans l'ancien coûte plus cher. La question est d'améliorer le financement. Le label de la Fondation du patrimoine constitue un levier de financement efficace. Pourquoi ne pas l'élargir à la rénovation du petit patrimoine, qui est très peu protégé ? On pourrait aussi envisager une fiscalité particulière pour l'emploi de matériaux biosourcés. Rien de tel qu'une incitation financière pour décider les promoteurs à recourir au chanvre, autrefois utilisé comme isolant, ou à la terre, comme dans l'expérience « Cycle Terre ». Pourquoi également ne pas délivrer des certificats d'énergie pour des opérations de rénovation dans l'ancien ? Cela soutiendrait des opérations plus localisées et permettrait de mobiliser des entreprises pour rénover le patrimoine de proximité. Le dispositif Malraux est aussi efficace, en dépit des critiques.

Enfin, il faut s'interroger sur les priorités. En tant que maire, je suis très attaché à la notion de ville verte. Nous avons commencé à rénover nos quartiers sociaux depuis une quinzaine d'années. L'isolation est plus facile et efficace. Il existe de nombreux soutiens financiers de l'État, qui permettent de transformer des quartiers. Nous avons ainsi rénové à Versailles 1 300 logements d'un quartier social, avec une isolation par l'extérieur et en employant des briquettes élégantes, ce qui contraste avec les barres blanches que l'on voyait avant. On a modifié ainsi l'aspect du quartier tout en faisant des économies d'énergie. Il importe donc de définir nos priorités. Essayons d'être efficaces plutôt que de se poser des problèmes quant à la préservation d'un bâtiment historique, dès lors que l'on n'est pas très sûr de ce que l'on doit faire. Les murs épais d'un immeuble ancien du XIXsiècle constituent la meilleure des climatisations. Il faut le rappeler. Attention à ne pas détruire ce qui fait la beauté de notre patrimoine et de nos coeurs de ville.

Mme Grégorie Dutertre. - Il convient de s'appuyer sur les architectes et de les aider. Il existe beaucoup de volontaires compétents. Il faut développer leur formation continue. Il faut aussi se poser la question de la rentabilité de certaines opérations : comme il est déjà difficile de trouver des financements pour des travaux dans un petit bâtiment situé dans un centre-bourg, le pétitionnaire hésitera à recourir à une maîtrise d'oeuvre, qui augmentera encore le coût de 10 %, et préférera utiliser du polystyrène pour isoler, à moins qu'un ABF ne s'y oppose, ce qui suppose que l'immeuble soit situé en espace protégé.

Pour garantir la qualité des opérations dans les secteurs protégés, encore faut-il pouvoir s'appuyer sur des professionnels dans les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap). Celles-ci ne peuvent plus fonctionner comme elles le font !

Il convient aussi de rendre obligatoire, en dehors des secteurs protégés, la validation des programmes de travaux sur un bâtiment, public ou privé, d'avant 1948, par un architecte, quel qu'il soit.

Pour aider les particuliers, le programme d'information « Sare » (Service d'accompagnement pour la rénovation énergétique) a été lancé. Ces « Sare » fonctionnent au niveau des départements. Dans certains cas, des conventions ont été signées avec les CAUE, des associations de protection du patrimoine, ou les services du patrimoine du département, qui ont parfois des architectes du patrimoine en interne.

Si l'on veut encourager le recours à des matériaux biosourcés, les marchés publics de rénovation doivent servir d'exemple. En Seine-et-Marne, par exemple, la culture du chanvre a été relancée par les agriculteurs eux-mêmes : cette plante permet en effet de « restructurer » les sols, n'a pas besoin d'irrigation, etc. Les agriculteurs ont mis en place une industrie de transformation : pendant dix ans, ils ont vendu la chènevotte comme litière pour chevaux, mais, depuis quelques années, l'usage du chanvre se répand dans les constructions, à force de pédagogie et grâce aux chantiers publics, mais aussi privés, qui servent d'exemple.

M. Fabien Sénéchal. - Je reviendrai sur la chaîne de construction des projets de rénovation : la place des architectes doit être développée. Toutefois, aucun architecte n'intervient sur un projet de rénovation d'une maison, car ces missions ne rapportent pas assez et les architectes ne sont pas assez nombreux. Ce sont plutôt les artisans qui sont en première ligne. Cela doit pousser à nous interroger, d'autant plus que 80 % du budget est consacré dans ce cas à obtenir 20 % du résultat. Cela pose la question du projet global, essentiel dans une opération de rénovation énergétique, car il permet de s'intéresser la qualité du bâti tout en procédant à la rénovation énergétique. Cela suppose d'avoir une vision globale du projet, et donc de recourir à des spécialistes, qui pourront identifier les vrais sujets, donner les bons conseils et donc faire économiser de l'argent. C'est ce que font les ABF, au même titre que les CAUE. Nous rendons 4 000 avis chacun par an dans le Finistère. Nous prenons néanmoins le temps d'étudier les projets et d'expliquer aux personnes comment procéder.

Outre les architectes, il faut se demander qui est formé pour intervenir dans un projet global. La place des ingénieurs thermiciens est cruciale, mais, tout comme les diagnostiqueurs, ils ne sont pas forcément formés à intervenir sur les vieux bâtiments. Il faut donc mettre l'accent sur la formation de toute la filière. Nos artisans ont parfois perdu les compétences pour intervenir dans le bâti ancien. Toutefois, les jeunes artisans sont motivés et ont envie d'apprendre.

La question du coût a été soulevée à plusieurs reprises. En effet, le coût des rénovations du patrimoine est plus élevé. Tant qu'il sera plus intéressant de construire ex nihilo dans un champ, on aura du mal à intéresser des investisseurs ! Mais la mise en oeuvre de l'objectif de « zéro artificialisation nette » (ZAN) modifie la donne. Il est vrai toutefois que le coût est souvent plus élevé dans l'ancien - même si le recours à un architecte peut être source d'économie ! -, car les travaux sont plus compliqués, les matériaux sont différents, etc. Mais il faut aussi se demander à qui profite le coût. En fait c'est du temps humain pour des activités non délocalisables : un menuisier du patrimoine va chercher son bois localement, il le travaille, etc. Au lieu de profiter à des acteurs internationaux, l'argent profite au tissu économique local. Finalement, il est difficile de parvenir à modéliser le coût réel d'une rénovation dans son ensemble. J'ajoute que le coût énergétique de production des matériaux industriels, comme le PVC ou le polystyrène, est beaucoup plus important, tandis que leur durée de vie est plus faible que celle des matériaux traditionnels. Une isolation par l'extérieur durera 15 ans ; il faudra donc recommencer les travaux périodiquement. Le coût énergétique des solutions industrielles de construction et de rénovation doit donc être réévalué.

Les ABF sont très sollicités. Il leur est donc de plus en plus difficile d'être disponibles en amont pour faire du conseil, discuter avec les porteurs de projet, mais nous essayons toutefois de le faire, car c'est indispensable. Les SPR constituent un dispositif judicieux, qui permet de réunir tous les acteurs pour définir ensemble les démarches à suivre. Les directives des ministères de la culture et de la transition écologique sont aussi importantes pour mieux faire comprendre le cadre dans lequel nous travaillons.

M. Laurent Lafon, président. - Et que pensez-vous de l'avis conforme des ABF sur les projets d'implantation d'énergies renouvelables dans les zones patrimoniales ?

M. Fabien Sénéchal. - Cette question a fait l'objet de nombreux débats ! Il y a un contrôle du juge. En 2010, lors du Grenelle de l'environnement, les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) ont été supprimées et remplacées par les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (Avap) : il avait été prévu à cette occasion que l'ABF devait prendre en compte les problématiques du développement durable. Depuis, tous ces dispositifs ont été fusionnés par la création des SPR. Il n'en demeure pas moins que nous sommes donc déjà familiers de ces sujets. Je ne sais pas toutefois, si nous pourrons, alors que nous rendons déjà 4 000 avis par an, fournir des avis argumentés, en prenant en compte une politique qui est définie sur le plan national et déclinée sur le plan régional. Concrètement, je ne sais pas comment faire ! Mais avec cette disposition, le législateur envoie un message !

M. Laurent Lafon, président. - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo, disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 50.