Jeudi 2 mars 2023

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Santé sexuelle et travail : quels aménagements possibles pour les femmes ?

Mme Annick Billon, présidente. - Chers collègues, Mesdames, nous poursuivons ce matin nos travaux sur la thématique « Santé des femmes au travail » avec nos quatre rapporteures : Laurence Cohen, Annick Jacquemet, Marie-Pierre Richer et Laurence Rossignol.

Nous nous penchons aujourd'hui sur la question de la santé sexuelle et reproductive des femmes, sur l'impact que le travail peut avoir sur celle-ci et sur les aménagements possibles pour concilier au mieux travail, symptômes physiques et traitements éventuels.

Nous nous intéresserons plus particulièrement à trois grandes problématiques, en commençant par les règles douloureuses et l'endométriose. On estime qu'aujourd'hui 10 % des femmes en sont atteintes, avec des douleurs chroniques invalidantes. Cette maladie invisible est heureusement de mieux en mieux reconnue par le corps médical mais ses conséquences restent insuffisamment prises en compte par les employeurs. Mi-février, le Parlement espagnol a adopté une loi créant un congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses. Nous nous demanderons si cela peut constituer une piste de solution, alors que certaines craignent les risques de discrimination qui pourraient en découler. Nous réfléchirons également à d'autres aménagements des postes de travail éventuellement envisageables.

Notre deuxième problématique concerne les troubles de la fertilité et les parcours d'assistance médicale à la procréation (AMP). Nous savons que l'exposition à certains produits chimiques a des conséquences sur la fertilité et sur l'état de santé de l'enfant à naître, comme l'évoquait notamment le Docteur Rollin lors de notre précédente table ronde. Se pose donc la question des aménagements possibles pour limiter l'exposition des femmes en âge de procréer. Nous nous intéresserons également aux mesures facilitant les parcours de PMA des femmes en activité professionnelle, en sus des autorisations d'absence rémunérée prévues par le code du travail.

Enfin, nous nous pencherons sur le sujet de la ménopause et du vieillissement hormonal, qui peuvent perturber l'activité professionnelle en entraînant notamment des changements cardiovasculaires, une diminution de la densité osseuse, des bouffées de chaleur et des troubles du sommeil, de la mémoire et de la concentration. Nos homologues de la Chambre des communes britannique ont publié en juillet 2022 un rapport sur la ménopause en milieu professionnel, qui plaidait pour une prise en compte de ce sujet au même titre que la maternité dans les entreprises, pour qu'il cesse d'être une cause de stigmatisation et de discrimination. Alors que ce sujet reste largement tabou aujourd'hui, dans le monde du travail comme dans la société en général, l'Angleterre apparaît comme précurseur : elle a adopté à l'été 2022 une stratégie pour la santé des femmes - ce dont la France est dépourvue -, et y a inclus la ménopause et le bien-être au travail des femmes dans cette situation.

Afin d'étudier ces différentes problématiques et les solutions d'aménagement pour y répondre, nous accueillons ce matin :

- Valérie Lorbat-Desplanches, co-fondatrice et présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose ;

- Nathalie Massin, endocrinologue et responsable du centre d'assistance médicale à la procréation au centre hospitalier intercommunal de Créteil ;

- Virginie Rio, co-fondatrice du Collectif BAMP !, association de patients de l'assistance médicale à la procréation et de personnes infertiles, connectée en visioconférence ;

- Brigitte Letombe, gynécologue médicale, membre du bureau du Groupe d'étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal (le GEMVI) ;

- Rachel Saada, avocate au barreau de Paris, qui pourra notamment nous parler de l'application du code du travail s'agissant des aménagements possibles pour les femmes en parcours de PMA, enceintes, faisant face à une fausse couche, atteintes d'endométriose ou touchées par la ménopause.

Bienvenue à toutes. Je laisse sans plus tarder la parole à Valérie Lorbat-Desplanches, co-fondatrice et présidente de la Fondation pour la recherche sur l'endométriose.

Mme Valérie Lorbat-Desplanches. - Bonjour Mesdames. Je vous remercie pour cette invitation à discuter de l'endométriose. On parle certes de plus en plus de cette maladie, mais le sujet de l'endométriose au travail est encore trop peu abordé. 10 % de la population féminine, probablement plus, est touchée par cette maladie, qui apparaît souvent à l'âge des premières règles. On évoque souvent les douleurs des règles, mais les symptômes peuvent se manifester en dehors de cette période. Elles peuvent être quotidiennes. On parle aussi de dyspareunie, des douleurs lors des rapports sexuels, mais aussi de troubles de la fertilité. En effet, l'endométriose reste la première cause d'infertilité féminine. On en parle moins, mais s'y ajoutent également des douleurs digestives, urinaires, lombaires, dans les jambes... En clair, elles s'étendent bien au-delà de la région pelvi-périnéale.

Lorsqu'on parle de forme sévère, en matière médicale, on traite des formes d'endométriose profonde, soit 15 à 20 % des cas, qui nécessitent souvent des actes chirurgicaux. En réalité, on devrait associer les formes sévères aux symptômes et à la qualité de vie des femmes ainsi qu'à l'intensité des douleurs qu'elles provoquent. Une sociologue, Alice Romerio, a interrogé des femmes et a évalué à près de 30 % la part de celles présentant une forme sévère de la maladie, du moins dans leur vécu.

En matière de prise en charge, on traite enfin de plus en plus les douleurs. La première intention est souvent un traitement hormonal qui vise à une aménorrhée pour arrêter les règles et ainsi stopper l'évolution de la maladie, dans la plupart des cas, ainsi que les douleurs. S'y ajoutent évidemment les antalgiques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens. De façon générale, parce qu'on dit qu'il y a autant d'endométrioses qu'il y a de femmes atteintes de cette maladie, une prise en charge multidisciplinaire doit être adaptée à chaque cas. De plus en plus, on fait appel à d'autres médecines complémentaires, selon les atteintes : gastro-entérologie, urologie, kinésithérapie, ostéopathie, une approche alimentaire ou encore de la gym douce. Il est en effet important de remettre les femmes en mouvement pour éviter les douleurs. Ainsi, la prise en charge est complexe et doit être étudiée au cas par cas.

La chirurgie, quant à elle, est réservée à un petit nombre de cas. Elle est de moins en moins indiquée, uniquement dans des cas où on ne peut pas faire autrement. La recherche, hélas, n'a pas encore trouvé de traitement curatif. Si la maladie a été identifiée dès 1860, nous n'en connaissons pas encore bien les mécanismes. Aucune cible thérapeutique n'a été identifiée. On manque cruellement de recherche fondamentale sur la maladie. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons créé la Fondation pour la recherche sur l'endométriose.

Quand on parle des conséquences de l'endométriose sur le travail, on imagine assez bien la douleur pendant et au-delà des règles, qui peut s'installer et devenir chronique. L'étude d'Alice Romerio montre qu'elle peut être très intense au niveau pelvi-périnéal pour 86 % des femmes. Les problèmes urinaires peuvent toucher 32 % des femmes, les problèmes digestifs, 70 %, les douleurs lombaires, 66 %, et dans les jambes, chez 45 % des femmes atteintes. L'endométriose est souvent associée à d'autres maladies, telles que la fibromyalgie ou certaines maladies auto-immunes. Ainsi, le paysage est complexe et les conséquences sont importantes.

On imagine bien que les douleurs ne sont pas sans conséquences pour les femmes atteintes dans le cadre du travail, notamment s'agissant de leur capacité à rester debout, voire assises, ou à garder une position. Elles peuvent également avoir à se rendre fréquemment aux toilettes. Elles n'ont pas nécessairement envie de partager ces symptômes, mais c'est malheureusement leur quotidien. C'est très handicapant dans le cadre du travail.

On parle de la douleur, mais moins de la fatigue chronique qu'occasionne la maladie. Une récente étude publiée au Canada montre que les femmes se déclarant atteintes d'endométriose disent s'absenter pendant 17 % de leur temps de travail. Elles rapportent une diminution de leur capacité de travail de 41 % et une baisse de productivité au travail de plus de 46 %. Ce chiffre monte à 63 % chez les femmes entre 30 et 40 ans, tranche d'âge où elles sont le plus productives et en pleine évolution de carrière. Au final, près d'une femme sur deux indique avoir été entravée dans sa carrière par les conséquences de l'endométriose. Je mentionnerai également les parcours de procréation médicalement assistée (PMA), puisque l'endométriose peut engendrer un problème de fertilité dans certains cas, ce qui peut être problématique dans le cadre du travail.

Nous disposons de très peu de données, notamment en France, concernant les arrêts de travail liés à l'endométriose. Je n'ai, pour ma part, pas trouvé de chiffres. C'est l'une des raisons pour lesquelles la Fondation pour la recherche sur l'endométriose a décidé de mener des enquêtes dans les entreprises. Nous savons, grâce à d'autres pays ayant réalisé des études, que la perte de temps de travail liée à l'endométriose est estimée à onze heures par femme et par semaine. Cette perte de travail englobe l'absentéisme mais aussi le présentéisme. Je parlais plus tôt de fatigue chronique. Les femmes viennent travailler lorsqu'elles ont épuisé leurs jours d'arrêt maladie, leurs congés et RTT. Elles sont sous médicaments, elles souffrent, elles sont très fatiguées et reconnaissent elles-mêmes qu'elles ne sont pas productives. En plus, elles culpabilisent.

On considère, selon une étude publiée en Australie, que le coût général pour la société de l'endométriose et de ses conséquences, incluant les traitements, s'établit à 20 000 dollars par femme et par an, et que 84 % de ce coût est dû à la perte de productivité.

Par ailleurs, l'absentéisme lié à l'endométriose est fréquent mais pas très long, ce qui entraîne évidemment des pertes financières pour les femmes en raison des jours de carence. C'est pour cette raison, entre autres, qu'elles hésitent à s'absenter. Les associations de patientes ont milité pour l'intégration de l'endométriose au sein de la liste des trente affections de longue durée exonérantes, dite ALD 30, pour éviter ces problèmes de jour de carence. Vous devez garder à l'esprit que les femmes sont confrontées à des coûts supplémentaires non pris en charge par la Sécurité sociale, en plus de l'absentéisme. La charge financière pour les malades est donc extrêmement importante.

L'étude d'Alice Romerio, l'une des seules dont nous disposons en France, montre que 25 % des femmes atteintes d'endométriose ont renoncé à leur statut ou à leur métier pour s'adapter à leur maladie. Très souvent, elles quittent l'entreprise et s'installent comme auto-entrepreneures, se précarisent. Ainsi, au-delà de la difficulté de carrière, nous identifions un réel risque de précarisation qui n'est pas évalué aujourd'hui, bien qu'il soit extrêmement important. Une étude réalisée en Australie montre que 14 % des femmes licenciées disent l'avoir été à cause de leur maladie. J'ai moi-même reçu un témoignage extrêmement émouvant il y a quelques jours, d'une femme licenciée pendant son arrêt maladie, alors qu'elle avait annoncé à son entreprise qu'elle souffrait d'endométriose. Son parcours était épouvantable. Au moment où elle s'apprêtait à reprendre le travail, on lui a annoncé sèchement qu'elle était licenciée. Il y a donc vraiment un sujet.

Mme Laure Darcos. - Elle a dû attaquer aux prud'hommes ?

Mme Valérie Lorbat-Desplanches. - Non. Elle est totalement désemparée. Elle s'attendait à être de nouveau accueillie par l'entreprise. Cela a été un coup de massue pour elle. Je crois qu'elle réfléchit aujourd'hui à ce qu'elle va faire.

Mme Elsa Schalck. - Cette situation a-t-elle eu lieu en France ou en Australie ?

Mme Valérie Lorbat-Desplanches. - En France ! C'est le chiffre de 14 % qui a été relevé en Australie, parce que cet élément n'est pas chiffré en France, mais ce témoignage, très récent, est français. Il m'a vraiment marquée. Cette situation n'est malheureusement pas rare. Il est par ailleurs important de souligner que ces femmes, au-delà de la précarisation, sont souvent isolées. L'endométriose conduit à un isolement dans le couple et ces femmes se retrouvent seules. Celle qui témoignait, âgée de 45 ans, m'indiquait qu'elle était contrainte de demander à ses parents de l'aider, parce qu'elle ne pouvait pas prendre en charge tous ses frais. Elle est, en outre, désormais au chômage. Je ne souhaite pas dresser un tableau noir, mais cette réalité existe, malheureusement.

Des adaptations sont évidemment possibles, encore faut-il les connaître. Dans l'étude d'Alice Romerio, 66 % des femmes interrogées indiquent avoir annoncé leur maladie dans leur entreprise, pourtant seul un quart d'entre elles ont bénéficié d'aménagements de postes. Ainsi, il ne suffit pas de le dire pour que des mesures soient prises.

Pour cela, le médecin du travail doit être engagé, mais tout ne peut pas reposer sur lui. Pour qu'il conseille et recommande des aménagements de poste, il doit être formé. Pourtant, aujourd'hui, nous observons un défaut de formation des professionnels de santé, particulièrement des médecins du travail. Plusieurs sociétés en employant nous ont d'ailleurs demandé de faire de la sensibilisation auprès de cette population, peu informée du sujet.

D'autre part, pour les femmes et pour libérer la parole, une véritable culture bienveillante dans l'entreprise est absolument nécessaire, bien qu'elle n'existe pas toujours. En général les gens se disent « mais qu'est-ce qu'elle a, celle-là ? Elle est encore absente » sans se poser de questions quant aux raisons de cette absence.

La stratégie nationale de lutte contre l'endométriose, annoncée en janvier 2022, comprend un volet lié au travail, sujet qui est réel et urgent. Il doit être appliqué.

Je ne dispose pas du nombre de femmes ayant recours au mi-temps thérapeutique - car une femme souffrant d'endométriose y a droit - tout comme je ne connais pas le nombre de reconnaissances de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Des femmes me disent qu'elles n'ont pas envie de demander à bénéficier de ce dispositif, parce que cette notion de travailleur handicapé est stigmatisante. Elles ont le sentiment que cela va se voir, se savoir. Ce sujet reste très tabou.

Le recours au télétravail est une option, et elles y ont recours, encore faut-il qu'il soit flexible. En effet, dans certaines entreprises, il est imposé et ne correspond pas aux épisodes de douleur des femmes. Ce n'est évidemment pas la seule solution. Une vraie flexibilisation du temps et des horaires de travail peut aider les femmes.

Le congé menstruel a été approuvé en Espagne. La question de savoir s'il faut l'adopter en France est extrêmement compliquée. Personnellement, je pense qu'elle ouvre un débat assez vaste. Elle a l'avantage de lever ce tabou et de libérer la parole autour des menstruations dans l'entreprise, ce qui est à mes yeux extrêmement positif. En revanche, j'ai toujours peur d'annonces marketing. L'endométriose est une vraie pathologie. Il nous faut aller bien au-delà d'un congé menstruel. Par ailleurs, j'en parlais plus tôt, il est essentiel d'instaurer une culture de la bienveillance dans l'entreprise. Sans celle-ci, le congé menstruel risque d'être contre-productif. Ainsi, il ne peut pas être la seule mesure, même si nous devons l'envisager.

La problématique de l'endométriose est-elle aujourd'hui reconnue par les employeurs ? Selon moi, pas du tout. C'est un véritable angle mort. Je pense que les employeurs n'ont pas idée de la perte de productivité de onze heures par semaine et par femme que j'évoquais en début de propos. Ils n'en sont, je pense, absolument pas conscients. Un sondage Ipsos, récemment réalisé pour la Fondation pour la recherche sur l'endométriose, rapporte les résultats suivants : 20 % des répondants considèrent que la maladie n'est pas prise en compte dans leur entreprise, 61 % n'en savent rien car ils n'ont pas reçu d'information à ce sujet. Ainsi, je pense que l'on peut dire qu'environ 80 % des gens ne voient rien se passer dans leur entreprise. Ce sujet est aujourd'hui quasiment inexistant, d'autant plus que les femmes ne prennent pas la parole. Plus d'un tiers d'entre elles déclarent se rendre au travail malgré les douleurs handicapantes. Elles subissent une pression très forte.

Je ne connais pas, aujourd'hui, d'initiatives dans les entreprises sur l'endométriose. Je connais des entreprises demandant des sensibilisations, mais celles-ci ne sont qu'une première étape. Elles ne sont pas suffisantes. Elles ouvrent des attentes de la part des femmes atteintes de la maladie, sans leur apporter de solutions.

Certaines entreprises, telles que le Groupe M6, travaillent beaucoup sur la RQTH. Dans ce cadre, le groupe informe les salariés, notamment au mois de mars, et fait savoir aux femmes qui souffrent d'endométriose qu'elles peuvent bénéficier d'une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Il met en place un supplément de soutien de la mutuelle, des remboursements de frais de taxi en cas de forte douleur, des jours de congé supplémentaires. Ainsi, des mesures sont prises, mais uniquement si la personne est reconnue travailleur handicapé. De petites entreprises mettent également en place le congé menstruel, mais aucune mesure spécifique n'est mise en place.

S'agissant des recommandations pour améliorer la situation professionnelle, encore une fois, je pense que les éléments sont écrits dans le volet « endométriose et travail » de la stratégie nationale. Nous n'en voyons pas encore les applications. C'est l'urgence. Je pense, par ailleurs, que nous devons encourager les entreprises à prendre des mesures. Il était mentionné la mise en place d'un label, comme cela a été fait dans le cadre du plan Cancer et emploi. Je pense qu'il inciterait les entreprises et permettrait de reconnaître celles qui agissent. C'est important.

La Fondation pour la recherche sur l'endométriose, que je préside, a monté un projet répondant exactement aux axes de la stratégie nationale, comprenant une sensibilisation dans les entreprises, une enquête quantitative anonyme pour libérer la parole, pour que les entreprises découvrent l'ampleur du phénomène quantitativement et qualitativement : quel type de symptôme, quel impact dans le cadre du travail, et surtout, quelles solutions ? J'ai la conviction que les solutions doivent être initiées par les femmes qui souffrent. Aujourd'hui, les femmes adoptent des stratégies et utilisent les dispositifs existant dans l'entreprise. Il conviendrait de les mettre en valeur et de les généraliser pour que toutes puissent en bénéficier. Ensuite, un accompagnement des entreprises est évidemment primordial, notamment grâce au recours d'experts.

J'ai déjà évoqué la flexibilité du temps et des horaires de travail. Les femmes souffrant d'endométriose peinent souvent à démarrer le matin. Le fait de pouvoir arriver plus tard sans être pointées du doigt pourrait constituer une solution, tout comme les jours de télétravail choisis et non imposés, ou des heures d'absence rémunérées pour rendez-vous médicaux. Il existe également, et de plus en plus, des modules d'éducation thérapeutique sur l'endométriose, qui durent deux jours. Aujourd'hui, ils ne sont pas payés ou pris en charge par l'entreprise. Cela pourrait être le cas, puisqu'il s'agit finalement de formations.

Nous savons qu'il est compliqué pour les femmes d'évoluer dans les entreprises. Ainsi, des entretiens réguliers ou du mentorat pourraient être mis en place pour les accompagner dans leur parcours de carrière. À certains moments, elles devront peut-être prendre un peu de recul ou prendre un mi-temps thérapeutique, pour reprendre le cours de leur carrière lorsqu'elles iront mieux. Elles doivent être accompagnées. C'est le rôle du management, et pas uniquement du médecin du travail.

Certaines mutuelles commencent par ailleurs à mener des actions sur l'endométriose et à proposer des « packages » spécifiques. S'y ajoutent des éléments plus anecdotiques, mais néanmoins importants. À titre d'exemple, l'alimentation revêt un rôle majeur dans la composante inflammatoire de la maladie. Les femmes qui suivent un régime inflammatoire s'isolent, parce qu'elles viennent avec leur « doggy bag », et mangent seules. De telles offres ne sont en effet pas prévues dans les restaurants d'entreprise. Des actions assez simples, mais aussi éducatives, pourraient être mises en place. Nous nous apercevons qu'un ensemble de mesures pourraient être prises. Je pense même que ces critères devraient être intégrés dans les indicateurs d'égalité entre les femmes et les hommes dans les entreprises. Cette volonté doit être marquée, évidente. Il y a urgence.

Nous devons instaurer un contrat gagnant-gagnant. Nous l'avons dit, l'endométriose occasionne une réelle perte de productivité. Aujourd'hui, des femmes renoncent à leur carrière en raison de leurs symptômes. Nous avons parlé des conséquences dans le cadre du travail, mais elles se manifestent dès les études. De nombreuses jeunes filles ne peuvent pas suivre d'études supérieures à cause de la maladie. Des femmes renoncent vraiment à leurs rêves de carrière, ou ne peuvent pas adapter leur poste de travail. En effet, dans une usine, par exemple, sur une ligne de production, on ne peut pas s'asseoir. Ainsi, nous devons former les femmes pour qu'elles puissent occuper d'autres postes dans l'entreprise. Il est urgent d'intervenir maintenant. Je pense que c'est le moment et que les femmes sont prêtes. Je dirais également que les jeunes générations sont prêtes à parler de la maladie et à combattre les tabous. Elles attendent beaucoup plus des entreprises et sont beaucoup plus exigeantes. Une prise de conscience est nécessaire. Pour attirer les jeunes et les maintenir dans une entreprise, il est temps de prendre des mesures.

Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie pour cet exposé qui dresse une situation complète et laisse place à des solutions développées. Je laisse sans plus tarder la parole à Nathalie Massin, endocrinologue et responsable du Centre d'assistance médicale à la procréation au centre hospitalier intercommunal de Créteil.

Mme Nathalie Massin. - Merci de m'écouter ce matin sur le sujet des troubles de la fertilité, du parcours d'assistance médicale à la procréation (AMP) et de l'implication dans la vie professionnelle des femmes. Pour rappel, l'infertilité concerne 15 % des couples en âge de procréer, en vie active et professionnelle. Cette proportion ne cesse de progresser, en lien avec le recul de l'âge de la maternité que nous observons. Bien que la moitié des causes de l'infertilité soit liée à une origine masculine, le poids du traitement d'AMP repose toujours sur les femmes. Nous pouvons également évoquer les couples de femmes ou de femmes seules, car la loi les y autorise aujourd'hui pour un projet parental.

Il est difficile de généraliser une multitude de situations singulières, qui dépendent des causes de l'infertilité, de la vie professionnelle et du couple. Cependant, nous pouvons considérer qu'il existe trois problèmes majeurs quand il est question d'infertilité et de travail de la femme :

- l'exposition aux toxiques ;

- l'exposition à des rythmes de travail complexes affectant la qualité de vie, en particulier du sommeil et de l'alimentation (travail de nuit, personnels navigants...), responsables de perturbations hormonales, notamment au niveau de la mélatonine. Celles-ci peuvent entraîner des troubles du cycle et de l'ovulation, et donc une absence de possibilités de grossesse, d'une part, et des maladies cardiovasculaires, de l'obésité ou du diabète, d'autre part. Elles aussi affectent la fertilité. Les troubles du sommeil peuvent également générer une diminution significative des chances de grossesse. Une étude très récente, réalisée sur près de 8 000 femmes, montre qu'en fécondation in vitro (FIV), dans un parcours AMP déjà avancé, les chances de conception sont diminuées de 5 % pour les femmes présentant des troubles du sommeil. On parle ici de chances de grossesses à chaque tentative, qui sont de l'ordre de 30 %. Ce manque de sommeil est également responsable de dépressions aggravant la qualité de vie des femmes en parcours AMP ;

- les contraintes liées aux traitements et au parcours en AMP.

Les deux premiers points relèvent d'une adaptation du poste ou de l'environnement de travail lors de la période péri-conceptionnelle, comprenant les deux à trois mois avant les essais de conception et toute la grossesse. C'est le temps de renouvellement des spermatozoïdes comme des ovocytes. Il faut tenir compte de cette période dans l'exposition aux produits toxiques. Elle nécessite des aménagements du poste de travail, qui ne sont pas toujours possibles, et qui peuvent être stigmatisants.

Concernant les contraintes du parcours en AMP, ayez conscience de ce que cela représente pour les femmes en termes de durée et d'absences nécessaires. Ceci altère très significativement la qualité de vie en général mais aussi les relations de couple, les relations sociales et la qualité du travail.

L'étude 1 000 dreams publiée par Alice D. Domar1(*), se rapporte à une enquête quantitative internationale réalisée en ligne en début d'année 2019 sur 2 000 femmes et leurs partenaires, dont 200 couples français. Elle donne une idée de la durée du parcours d'AMP. En France, il s'étale sur 7,7 ans en moyenne, et est divisé en trois étapes :

- 3,5 ans passés en essais de conception naturelle avant le diagnostic d'infertilité. Ces échecs ne sont pas sans impact sur la santé de la femme ;

- 2 ans d'exploration et d'analyse avant le début d'un traitement AMP ;

- 2,2 ans de durée de traitement avant d'obtenir une conception, avant le temps de la maternité.

Les trois principaux freins identifiés à la réalisation d'un traitement d'AMP dans cette étude sont le coût, le temps investi et la charge émotionnelle. Le coût est présent alors même qu'une prise en charge financière totale est assurée en France. Il n'est pas uniquement financier. En effet, s'y ajoutent un coût en temps et un retentissement sur la vie.

L'AMP génère un grand nombre d'absences. En effet, il faut additionner les rendez-vous nécessaires pour réaliser le bilan de l'infertilité - une dizaine de rendez-vous - et ceux nécessaires au traitement d'AMP. Les premiers dépendent des dates du cycle et laissent donc peu de contrôle dans l'organisation de la vie personnelle et professionnelle. Ils sont souvent peu prévisibles. Les femmes doivent alors rapidement organiser leur planning pour suivre ces examens. D'autre part, ils se déroulent souvent dans des lieux différents et sont parfois difficiles d'accès, notamment en zone rurale. 12 % des femmes mettent plus de deux heures pour accéder à leur centre d'AMP. Au total, 30 % des femmes travaillent ou vivent à plus d'une heure de celui-ci.

Ce que je viens d'évoquer concerne le bilan initial. Pour chaque tentative de traitement, des rendez-vous supplémentaires devront être pris. Pour une insémination intra-utérine, première ligne de traitement en AMP, en cas d'infertilité peu sévère, trois rendez-vous sont au minimum nécessaires sur une période de sept à dix jours, déterminée au dernier moment, à l'arrivée des règles. Pour une tentative de fécondation in vitro (FIV), qui constitue l'étape suivante, une dizaine de rendez-vous sont répartis sur une quinzaine de jours, avec une intervention chirurgicale. Cette organisation est extrêmement lourde pour les femmes, en plus de la difficulté d'accès évoquée plus tôt.

Les traitements d'AMP nécessitent donc des absences très fréquentes, peu programmables, dont la durée dépend de l'accessibilité des centres, et ce pendant une longue période de temps d'une durée imprévisible. Là où le parcours s'étale en moyenne sur 7,7 ans, certains sont très courts, tandis que d'autres peuvent atteindre une quinzaine d'années. Les conséquences sont doubles : d'une part, du travail sur les traitements, d'autre part des traitements sur le travail. À ces contraintes sont associés des troubles physiques et psychologiques liés à l'infertilité, essentiellement portés par les femmes.

Les absences pour AMP, autorisées dans le cadre de la loi, ne sont pas systématiquement utilisées, d'abord parce qu'elles obligent les femmes à déclarer à leur employeur le motif de leur absence, et donc, d'une part, leur infertilité, et, d'autre part, leur projet de conception. Nous savons que ces raisons peuvent être stigmatisantes dans l'entreprise. De plus, quand la prise en charge dure longtemps, le constat d'échec est exposé sur la place publique. C'est une double peine pour ces femmes.

Les pistes de propositions visant à faciliter la vie professionnelle dans le cadre de la prise en charge en AMP sont de trois ordres. Le premier volet consiste à adapter les absences au travail liées à l'AMP dans le cadre du 100 % infertilité. Nous devons en effet adapter ce qui existe déjà dans la loi, en commençant par supprimer le motif « infertilité » pour les absences. Le motif déclaré pourrait être une simple absence liée à une pathologie chronique à 100 %, qui peut viser d'autres pathologies chroniques. Ensuite, l'accès au télétravail flexible devrait être facilité, toujours dans le cadre d'une pathologie à 100 %. Le délai de carence devrait être supprimé pour les arrêts de travail d'une journée dans ce même cadre, puisque plusieurs rendez-vous sont parfois regroupés sur une même journée. Ensuite, je rappelle que le parcours d'AMP est un parcours de couple. Les hommes souhaitent de plus en plus s'y investir, ce qui est une excellente nouvelle. Ils constituent le premier soutien pour les femmes. Aujourd'hui, la loi est inégale. Les hommes n'ont droit qu'à trois absences, alors que les femmes ont droit à un nombre plus important. Donner les mêmes possibilités aux hommes qu'aux femmes permet pourtant de mettre en place une démarche de couple et d'apporter du soutien aux conjointes, en facilitant également leur vie. En effet, certaines femmes ne conduisent pas ou c'est leur compagnon qui dispose d'un véhicule. Elles sont alors contraintes de subir de longues heures de transports pour accéder au centre AMP, alors qu'il pourrait les accompagner. Enfin, des absences programmées prolongées pourraient être envisagées dans le cadre de congés dits « infertilité » ou « FIV », par exemple, sans retentissement sur la carrière.

Maître Rachel Saada, avocate. - Évoquez-vous un congé sans solde ou rémunéré ?

Mme Nathalie Massin. - Je parle d'un congé rémunéré dans le cadre de la loi travail. Aujourd'hui, je pense que moins de 50 % des femmes déclarent à leur employeur être en parcours infertilité et bénéficient ainsi des absences rémunérées autorisées.

Il me semble essentiel d'encourager la prévention via la médecine du travail et de former les médecins du travail à la physiologie de la reproduction et à l'exposition aux toxiques et aux rythmes de travail contraignants. L'information est centrale, sans que l'on demande pour autant à ces professionnels de santé d'adopter une attitude pro-nataliste. Chacun doit décider s'il souhaite ou non une maternité, mais ces médecins peuvent être un support d'information, au cours des visites, sur le temps qui passe et la diminution des chances de grossesse. Ils peuvent également rappeler qu'en cas de projet de fertilité n'aboutissant pas au bout de six mois, il est nécessaire de consulter rapidement. En effet, le temps perdu avant de consulter et de faire un bilan occasionne un retard dans la prise en charge, et donc une augmentation du délai des parcours, puisque la fertilité diminue avec l'âge.

Nous pourrions encourager les professionnels de l'AMP à s'adapter à la vie professionnelle des femmes. Ils peuvent par exemple proposer des organisations de soin limitant les déplacements en regroupant les rendez-vous pour l'exploration et les bilans avant traitement AMP sur des périodes restreintes, ou favoriser la téléconsultation lorsqu'aucun examen physique n'est nécessaire. Enfin, ils devraient essayer, dans la mesure du possible, de programmer les traitements pour que les femmes puissent s'organiser en termes d'absence. Aujourd'hui, lorsque deux actes sont réalisés sur un même rendez-vous, le second est coté à 50 %, ce qui n'est pas incitatif pour les médecins qui rechignent donc à les regrouper. Un travail est nécessaire à ce sujet.

Enfin, il me semble primordial d'écouter ce qu'ont à dire nos patients. Ils sont en première ligne et ont mis en place des stratégies pour maintenir une bonne qualité de vie au travail, dans la mesure du possible.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci à vous. Vos exposés sont très complets. Nos rapporteures sont attentives aux pistes que vous avez ouvertes. Je donne maintenant la parole à Virginie Rio, co-fondatrice du Collectif BAMP ! Elle pourra nous livrer les témoignages de patientes qui ont eu à concilier travail et AMP, et qui auraient été confrontées à des difficultés pour faire appliquer le code du travail. Elle nous fera également part des préconisations qu'elle peut formuler sur la base de ces expériences.

Mme Virginie Rio, co-fondatrice du Collectif BAMP !. - Bonjour à toutes. Merci de me recevoir et de me permettre de parler de ce sujet très important pour notre association, qui fête cette année ses 10 ans. Lorsque nous l'avons créée, en 2013, nous avons commencé à travailler sur l'articulation entre l'AMP et le travail. Ce point a constitué une partie importante de notre manifeste, dans lequel nous dressions des constats et émettions des propositions. En 2013, nous avons rencontré la sociologue Irène-Lucile Hertzog à Caen. Elle commençait une thèse sur l'articulation entre l'AMP et la vie professionnelle, intitulée Le travail invisible des femmes. Lorsque la loi santé a été discutée en 2015, nous avons soumis des constats et propositions aux parlementaires. Nos adhérents étaient fortement mobilisés sur ce sujet. À l'époque, les gens devaient s'arranger, poser des congés ou mentir à leur employeur, ce qui ne nous paraissait pas acceptable. Les sénateurs avaient ouvert la voie en proposant un amendement retenu dans la loi. De notre côté, nous avons pu proposer des amendements également retenus, incluant les hommes dans les autorisations d'absence pour trois rendez-vous et pour chaque protocole. En effet, la prise en charge en AMP ne fonctionne pas à 100 %, et plusieurs tentatives sont souvent nécessaires, demandant plusieurs absences sur plusieurs années, non sans conséquences sur la vie privée et professionnelle de ces personnes.

L'article 87 de la loi santé a été promulgué en janvier 2017. À partir de là, nous avons eu un grand rôle d'information, de conseil et de soutien auprès des salariés et des syndicats. En 2016, les autorisations d'absence ont été accordées à la fonction publique, ce qui a également nécessité des aménagements et un besoin d'information et de communication. Certains sujets, dont la question des temps de transport, restaient compliqués à gérer dans le quotidien des salariés. Les employeurs continuent à jouer sur le manque de clarté de ce point. Récemment encore, j'étais au téléphone avec un homme, en parcours avec sa femme, à qui l'employeur assurait que le droit du travail ne s'appliquait par pour lui. Pour autant, cette loi a constitué un vrai progrès.

Aujourd'hui encore, nous continuons à informer les personnes sur ces questions du droit du travail, notamment parce que certains employeurs le contestent. C'est très compliqué à vivre pour les salariés concernés. Le droit est là, mais en pratique, ils ne peuvent pas en bénéficier.

Nous observons sur le terrain des enjeux très complexes entre les deux sphères interconnectées que sont le travail et l'AMP et qui correspondent à des valeurs différentes. Le travail se rapporte à l'efficacité, à la performance et au rendement, tandis que le parcours d'AMP est associé à la fragilité, à l'échec et à l'incertitude. Tout cela créé des conflits et tensions gérés par les individus - on parle ici de responsabilité individuelle - ce qui cause de nombreux dégâts. De notre point de vue, un travail plus global doit porter sur la représentation sociale de l'infertilité et de l'AMP en France. Aujourd'hui, en 2023, nous avons encore une vision globalement déformée de la réalité de ce qu'impliquent la fertilité et l'infertilité ou l'AMP. De nombreux préjugés et idées reçues persistent au sujet de cette étape de vie qui consiste à essayer d'avoir des enfants dans un contexte d'infertilité. Nous le voyons dans toutes les strates de la société. L'infertilité est relativement absente des politiques publiques. Le travail récent sur les 1 000 premiers jours ne la prend d'ailleurs pas en compte. Dans les stratégies nationales de santé sexuelle, elle n'est abordée que sous un angle, celui des interdits, - « ne pas fumer, ne pas se droguer, ne pas boire » -, mais bien moins sous celui de ses aspects psychosociaux et de transformation de la société qu'elle implique.

Des évolutions ont tout de même été observées. En dix ans, j'ai vu certaines lignes bouger, mais des marges d'amélioration demeurent.

Comme l'indiquait Nathalie Massin, l'infertilité affecte de façon globale et totale la vie des personnes qui en sont touchées. Elle influe sur toutes les sphères de la vie : la sexualité, l'estime de soi, les relations à la famille ou aux amis, à la société, au travail. Elle est très difficile à vivre, parce qu'elle se vit dans le secret. Les gens s'isolent, ont honte. Le sujet est massif, envahissant, mais dans le même temps, on ne peut pas l'aborder publiquement, au risque de recevoir des retours négatifs. On nous répond par exemple que l'on devrait arrêter d'y penser, ou qu'il y a de nombreux enfants à adopter dans le monde. Les idées reçues persistent.

Nous sommes encore en difficulté, en 2023, lorsqu'on annonce au sein d'une entreprise qu'on est enceinte. C'est encore un problème. On peut subir des remarques, des pressions, être mise au placard, être harcelée moralement... C'est encore une réalité pour de nombreuses femmes en France. Imaginez, dans le cadre des représentations négatives que je viens d'évoquer sur l'infertilité, quelqu'un qui doit expliquer dans son entreprise qu'elle souhaiterait être enceinte, mais qu'elle est en parcours d'AMP. Elle est encore plus fragilisée, parce qu'elle n'a pas cette légitimité historique de la femme enceinte. Elle est en échec et va s'absenter sans certitude de temps pour suivre ces protocoles d'AMP. Le poids de cette représentation très négative est énorme.

Nous avons réalisé ou participé à plusieurs enquêtes, notamment une en 2018, qui s'intéressait au vécu et à la perception du parcours d'AMP pour les personnes engagées dans celui-ci. 63 % des répondants expliquaient qu'il avait une incidence très importante sur leur temps de travail. 59 % se disaient stressés dans le cadre de leur travail. 54 % disaient avoir retardé un changement de travail ou une demande d'augmentation, ou y avoir renoncé. En 2020, notre association a effectué une enquête auprès de plus de 1 500 personnes, appelée le projet parental à l'épreuve du parcours médical. Là aussi, un fort impact des parcours AMP sur les aspects physiques, psychiques et symboliques vis-à-vis du corps de la femme a été mis en exergue, et par rapport à toutes les questions psychosociales engendrées.

En octobre 2022, nous avons lancé un sondage rapide avec Ipsos, destiné aux seules femmes en parcours AMP. 84 % des sondées expliquaient que ce parcours avait un impact sur leur vie professionnelle ; 81 % rapportaient également un fort impact sur leur vie de couple ; 94 % disaient que le parcours était stressant, avec toutes les nuances de stress en fonction de leur personnalité, de leur emploi, de leur statut social. Dans tous les cas, l'impact de l'infertilité et de l'AMP est massif pour la vie privée, sexuelle et professionnelle des personnes concernées.

Aujourd'hui, le droit existe. Les articles L1225-16 et suivants du code du travail figurent dans tous les documents RH. Pourtant, des employeurs refusent encore de les appliquer, assurant qu'ils n'ont « pas à gérer les problèmes de procréation » de leurs employés et que ces personnes n'ont qu'à démissionner si elles souhaitent avoir du temps. Ils affirment que le droit du travail et les autorisations d'absence ne s'appliquent pas à leur situation. Ceux qui nous sollicitent sont en difficulté en la matière. Nous avons beau les rassurer en leur expliquant ce que prévoient les textes, ils continuent à douter, parce que le système « travail » est très puissant. On en est très dépendant. Ces personnes sont en situation de fragilité. Par ailleurs, dans une petite entreprise, il peut être très compliqué d'être le seul salarié face à un patron. Ces gens n'ont pas de protection. Je leur conseille souvent de se tourner vers un délégué du personnel, s'il existe, pour les soutenir, ou vers les syndicats. Nous connaissons la persistance des difficultés à être en lien avec un syndicat. Les personnes concernées se retrouvent alors bien souvent très seules et démunies.

Plus tôt, Nathalie Massin notait que des femmes et des couples n'utilisaient pas ce droit. Certains ont peur de la stigmatisation dans le cadre du travail. Nous avons élaboré un dossier expliquant le sujet dans tous ses détails, à destination de nos adhérents. Nous rappelons que l'article 9 du code civil protège la vie privée, incluant la santé. L'article 226-1 du code pénal également. Sur les aspects de protection et de préservation de la vie privée, la loi existe mais elle n'est pas respectée. On peut annoncer à son DRH qu'on enclenche un parcours AMP, et l'entendre partout dans les conversations des collègues, une semaine plus tard. Cela maintien un état de peur qui ne permet pas d'utiliser le droit de façon sereine.

Les femmes concernées doivent encore souvent faire un choix par défaut, celui de réduire leur temps de travail pour suivre les parcours AMP. Cette réduction occasionne de fait une perte de rémunération. Certaines décident de faire de l'intérim pour avoir plus de liberté, mais cet intérim les fragilise. D'autres font le choix de quitter leur travail pour arrêter de subir une pression au travail, qu'elles subissent déjà dans le cadre du parcours. Là aussi, elles sont confrontées à une perte de revenus, mais également d'épanouissement personnel vis-à-vis de leur activité professionnelle. D'autres choix sont par ailleurs imposés par le contexte professionnel : certaines sont mises à l'écart, ne se voient pas proposer d'augmentations ou de changement de poste, sont licenciées sans pouvoir prouver que ce licenciement est lié au parcours d'AMP... Cette situation n'est pas sans conséquences sur leur estime d'elles-mêmes et leur développement personnel, ainsi que sur leurs revenus et leurs projets personnels.

Nous estimons primordial d'éviter que les gens entrent en parcours AMP. Pour ce faire, il convient de renforcer l'information et la prévention sur la santé reproductive et tout ce qui la touche.

Il est également nécessaire de rendre ces parcours médicaux plus efficaces. On le disait, les rendez-vous sont nombreux, ne s'organisent pas toujours bien, le temps des examens, du protocole est long. Une réflexion doit viser à une plus grande efficacité dans le temps, mais aussi en termes de chances d'obtenir une grossesse. Pour ce faire, l'amélioration des techniques de diagnostic et de prise en charge thérapeutique, l'accès aux soins en général et sur le territoire doivent faire l'objet d'une réflexion. Se pose ici la question du trajet : 101 centres d'AMP sont répartis sur notre territoire, mais leur accès est difficile dans certaines zones. Cette question est renforcée dans les zones rurales. Beaucoup de gens vivent à plus de deux heures d'un centre d'AMP. Là où les autorisations d'absence étaient prévues pour quelques heures, pour permettre de revenir au travail après le rendez-vous, certains ont besoin d'une journée entière, voire de plusieurs jours. C'est un motif de conflit avec les employeurs, mais aussi pour la personne elle-même qui se sent en défaut. La question du temps de transport reste floue, ce qui permet à certaines grandes entreprises d'être très généreuses, mais ceux qui n'y travaillent pas - et ils sont nombreux - sont lésés dans ce contexte. Je mentionnerai également les déserts médicaux, au sein desquels l'accès aux soins est très compliqué. Les personnes vivant en outre-mer ne bénéficient pas toujours de centres d'AMP. Il y en a en Nouvelle-Calédonie et en Guadeloupe, mais d'autres territoires n'en disposent pas. Lorsqu'il y en a un, il ne réalise pas toutes les techniques, ce qui oblige certaines personnes à faire de très longs voyages jusqu'en métropole. Je vous laisse imaginer les ruptures professionnelles que cela engendre, en plus d'une perte de repères et d'un isolement pour des individus déjà fragilisés par ces parcours.

Nos propositions rejoignent ce qui a déjà été dit aujourd'hui. Il est nécessaire que la société et le monde du travail repensent la question de la considération que l'on adresse aux femmes et à leur santé, et donc celle de l'articulation entre vie professionnelle et vie personnelle.

Évidemment, n'oublions pas les hommes. La grande majorité des parcours touchent des couples hétérosexuels. Les hommes aussi sont infertiles, mais la charge mentale, cela a été dit, est encore largement portée par les femmes. Pour autant, de plus en plus d'hommes s'investissent, prennent en charge les rendez-vous, les piqûres. Une articulation entre hommes et femmes est nécessaire.

Je pense que la fertilité et l'infertilité doivent devenir des sujets de santé publique. Dans le cadre de la loi bioéthique de 2021, nous avons obtenu un plan fertilité. En février 2022, un rapport sur les causes d'infertilité a été remis à Olivier Véran. Depuis, le sujet est un peu en stand-by. Le rapport contient de nombreuses recommandations. Il n'y a certes pas de sujet sur le travail, comme c'était le cas dans le cadre de la Stratégie nationale pour la lutte contre l'endométriose de 2022, mais ce rapport devait déboucher sur une stratégie nationale fertilité-infertilité, qui aurait pu aborder la question du travail. Ce n'est pas encore le cas.

Je n'entrerai pas trop dans les détails mais nous pouvons évoquer l'amélioration des taux de réussite de l'AMP avec l'utilisation d'outils nouveaux (diagnostic génétique, analyse de la capacité des embryons à s'implanter avant un transfert, intelligence artificielle, etc.), la téléconsultation... Au niveau de l'État, il me semble urgent que les politiques publiques insufflent ce changement réel sur la question de la santé des femmes et de l'articulation avec le travail, et avec l'AMP. Sans véritable politique publique, tous les petits défauts que nous avons énoncés vont perdurer.

Je peux mentionner le respect du droit, la création de nouveaux droits, le respect du droit du travail et la mise en oeuvre, au sein des entreprises, d'une vraie sécurité de la confidentialité des informations diffusées par les personnes, la nécessité de mettre en oeuvre de grandes campagnes de communication publique sur la santé des femmes et l'AMP. Il est également essentiel de mobiliser les partenaires sociaux, entreprises et syndicats, pour que nous réfléchissions ensemble à ces situations et que nous avancions dans la même direction. Enfin, il est primordial de soutenir les associations qui réalisent un travail important sur le terrain.

S'agissant des entreprises, il est urgent de proposer formation et informations sur la fertilité, l'infertilité et l'AMP, pour que les RH, les employeurs et les salariés prennent conscience de la situation et deviennent plus accueillants et bienveillants. Une attention particulière doit être portée aux petites et moyennes entreprises. Nous devons, je pense, nous appuyer sur ce qui existe déjà. Bon nombre d'entreprises commencent à entrer dans un cercle vertueux et doivent être mises en avant. L'Observatoire de la qualité de vie au travail (OQVT) fait signer la charte de la parentalité en entreprise. Certaines s'engagent sur les aspects de désir d'enfant. Le Parental Challenge fait également signer des engagements sur ces aspects de considération de l'endométriose, du syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), de l'infertilité. Cela existe déjà. Appuyons-nous sur ces exemples vertueux.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour cette intervention. Je laisse désormais la parole à Brigitte Letombe, gynécologue et membre du bureau du Groupe d'étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal.

Mme Brigitte Letombe, gynécologue, membre du bureau du Groupe d'étude sur la ménopause et le vieillissement hormonal (GEMVI). - Je vous parlerai aujourd'hui d'une étape tout à fait physiologique, d'une étape de la vie génitale des femmes, la dernière : la ménopause. Je suis ménopausée, comme 100 % des femmes de plus de 55 ans et 50 % de la population française, et j'ose le dire. Sans doute ai-je eu la chance de ne pas angoisser et de ne pas en souffrir parce que je suis gynécologue. Je n'ai pas eu à craindre un vieillissement intellectuel prématuré ou une entrée en dépression, ne me reconnaissant pas, sans oser en parler. C'est le cas de certaines femmes aujourd'hui. Elles ne font éventuellement pas le lien entre ces déficiences tout à fait transitoires et une carence hormonale. Surtout, on les somme de toujours rester jeunes et performantes.

On parle aujourd'hui plus facilement d'endométriose, de règles ou d'infertilité, mais le dernier des tabous féminins, c'est la ménopause. Il faut bien avouer que celle-ci, tout à fait physiologique, qui survient vers 51 ans, s'avère être une inégalité majeure entre les femmes et les hommes. Elle correspond non seulement à un arrêt de la fertilité - ce qui bien sûr peut s'avérer très douloureux pour les femmes qui n'ont pas leur compte d'enfant -, mais aussi, à la différence des hommes qui continuent à avoir une sécrétion hormonale et une sécrétion de spermatozoïdes, à un arrêt total de la sécrétion des hormones féminines que sont l'estradiol et la progestérone par les ovaires. C'est cette carence hormonale qui peut, dès la péri-ménopause, et donc avant même l'arrêt définitif des règles, avoir des répercussions. Celles-ci peuvent être très gênantes, responsables des symptômes qu'on dit climatériques très variés, dont on connaît essentiellement le signe majeur que sont les bouffées de chaleur. Ils peuvent aggraver notre santé cardiovasculaire et le risque osseux, donc le risque métabolique, de diabète, d'hypertension, d'hypercholestérolémie ou de fracture ostéoporotique.

Au XXIe siècle, en tout cas en France, on ne parle pas de sa ménopause, comme s'il était honteux pour une femme d'avoir plus de 50 ans. Mélange-t-on encore fertilité avec féminité ? Il est vrai que l'âgisme touche essentiellement les femmes. Un homme qui commence à accuser quelques rides s'avère plutôt séduisant, il a un peu de charme. Une femme au contraire, est une vieille peau avec des vapeurs. La ménopause est étonnamment encore un sujet tabou, alors qu'une femme a une espérance de vie de 85 ans, c'est-à-dire qu'elle vivra un tiers de sa vie en période ménopausique.

Quand avez-vous entendu pour la dernière fois prononcer le mot « ménopause » autour de vous ? Par votre mère, votre femme, votre soeur peut-être, mais en tout cas pas par une collègue. Elle craint, au contraire, si elle évoque sa ménopause, d'avouer non seulement son âge, mais aussi son éventuelle fragilité. Pour sortir de cette situation si délétère pour les femmes, au travail comme sur le plan personnel, familial, conjugal et social, il faut absolument informer les femmes, mais aussi les hommes. Nous devons enfin oser, tous, prononcer ce mot de ménopause.

J'appuierai mon propos par un diaporama. D'abord, il est nécessaire d'informer pour dédramatiser et préparer les femmes. Il faut nommer la ménopause pour lutter contre les moqueries, les lieux communs et la stigmatisation. Il faut préparer les femmes, leur environnement et les employeurs à cette transition physiologique qui angoisse. Elle survient souvent chez les femmes alors qu'elles sont au sommet de leur carrière. Il faut positiver pour lutter contre cette culture du secret, à la base des attitudes sexistes et de l'âgisme qui touche davantage les femmes au travail. Se sentant moins performantes, manquant de confiance en elles à cet âge, certaines femmes angoissées refusent les promotions et se tournent vers une retraite prématurée ou une reconversion.

Tous les symptômes du climatère, que sont notamment les bouffées de chaleur, auront des répercussions sur la qualité de vie globale, avec des troubles de concentration ou de la mémorisation, qui arrivent dès la péri-ménopause, avant même l'arrêt définitif des règles. Ils angoissent les femmes, qui pensent être touchées par le vieillissement, parce qu'elles ne lient pas ces symptômes à la ménopause. Nous avons également évoqué les troubles du sommeil, qui ont des répercussions majeures sur la qualité de vie et sur la compétitivité au travail, mais aussi sur l'humeur, le stress, la dépression, l'irritabilité, et la vie personnelle, conjugale et professionnelle en général.

Nous avons mené en 2013 une étude avec le GEMVI, qui met en exergue le grand nombre de symptômes et le pourcentage de femmes touchées. 94 % des femmes de 45 à 50 ans sont touchées par au moins un symptôme de la ménopause. Elles sont encore 73 % entre 61 et 65 ans. Les symptômes les plus fréquents sont les bouffées de chaleur, les sueurs nocturnes, une prise de poids, les troubles du sommeil, les changements de l'humeur, les maux de tête et migraines, les troubles de la mémoire et les troubles urinaires.

Nous savons également que la symptomatologie climatérique n'est plus prise en charge. Nous avons réalisé une nouvelle étude en 2020, sur 5 000 femmes, publiée en 2022 dans le Maturitas, journal de la société européenne de ménopause. Elle montre que 87 % des femmes sont affectées par au moins un symptôme de la ménopause et que les symptômes génito-urinaires en touchent 67 %. On parle de symptômes génito-urinaires, parce qu'évoquer la sécheresse vaginale ou les difficultés sexuelles est assez stigmatisant. Il est difficile d'en parler. On oublie par ailleurs d'y associer une symptomatologie urinaire, qui peut bien sûr avoir des répercussions sur la qualité de vie au travail.

Seuls 6 % des 5 000 femmes de 50 à 65 ans étudiées sont traitées pour une symptomatologie par un traitement hormonal de ménopause. Avant la WHI (Women's Health Initiative), une étude américaine publiée en 2002, ayant déstabilisé les professionnels et les femmes par une balance bénéfices-risques négative vis-à-vis du traitement hormonal, on traitait, en France, environ 35 % des femmes. Aujourd'hui, on n'en traite plus que 6 %, alors que la symptomatologie majeure, dont je vous ai montré les différents symptômes, touche de façon grave 25 % des femmes en péri et post ménopause immédiate. Ainsi, au moins une femme sur quatre devrait avoir accès à une thérapeutique franchement efficace. Trois femmes sur quatre présenteront des symptômes. La dernière vivra peut-être sa ménopause comme une libération des règles, de la nécessité contraceptive, mais les autres souffriront d'une symptomatologie qui sera majeure pour une femme sur quatre.

Regardez la persistance des bouffées vasomotrices, le symptôme le plus connu. Nombreuses sont les femmes qui pensent qu'elles dureront un an ou deux. De nombreuses femmes me disent en consultation que leur médecin a assuré qu'elles passeraient rapidement, que ce n'est pas si grave. C'est faux. Une étude multiethnique débutée en 1997, qui suit donc des femmes depuis très longtemps, rapporte une moyenne du temps des bouffées de chaleur de sept ans et demi. Pour certaines femmes, cette période est beaucoup plus longue. Certaines souffrent encore d'une symptomatologie vasomotrice après quinze ou vingt ans.

Nous connaissons les troubles du climatère, qui vont gêner les femmes en début de ménopause ou en péri-ménopause principalement. La symptomatologie génito-urinaire et les difficultés urinaires, la pollakiurie, les cystites à urines claires, les petits problèmes de continence peuvent toucher les femmes assez tôt. Plus tardivement, si on n'a pas pris en charge cette carence oestrogénique, certaines femmes à risques pourraient être exposées à un risque d'ostéoporose avec des fractures graves ou un risque d'athérosclérose avec des accidents cardiovasculaires. Par ailleurs, nous n'avons pas de certitude à ce sujet, mais il est vraisemblable que cette carence oestrogénique soit liée à des troubles cognitifs et des problèmes de démence ultérieure. Aujourd'hui, 500 000 femmes entrent en ménopause chaque année, et 14 millions de femmes sont concernées au total. Ainsi, nous ne pouvons pas ne pas prendre ce sujet en considération, d'autant qu'il touche 100 % des femmes.

La société nationale de ménopause, le GEMVI, dispose d'un site professionnel présentant un volet grand public. La page d'accueil de ce site présente les informations sur la balance bénéfices-risques du traitement hormonal et l'information sur l'insuffisance ovarienne prématurée (IOP). Cette ménopause, qui survient bien avant 40 ans, nécessite un traitement hormonal substitutif (THS) pour que ces femmes ne soient pas exposées aux risques cardiovasculaires, ostéoporotiques et cognitifs bien plus tôt que les autres.

Nous avons beaucoup travaillé pour essayer de rappeler l'intérêt du traitement hormonal de ménopause aux professionnels. En 2021 ont été publiées les Recommandations pour la pratique clinique (RPC) par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) et le GEMVI. Nous avons également tenté de développer l'information auprès des femmes. Au-delà de l'information des praticiens, il est en effet nécessaire d'informer les femmes sur cette symptomatologie qui peut être particulièrement variée et leur permettre d'en parler. Nous avons essayé de déployer des « ménopause cafés ». Cette expérience a été lancée en Belgique. Lors de ce « speed dating ménopause », des tables rondes réunissaient un spécialiste et une dizaine de femmes pour parler des problèmes psychologiques, de poids, cardiovasculaires ou encore ostéo-articulaires. Ces réunions, qui demandent un investissement important et la présence de professionnels, n'ont pas pu être perpétuées.

Nous nous sommes tournés vers les applications, puisqu'il n'est plus possible aujourd'hui d'informer sans les réseaux sociaux. Nous travaillons sur le contenu d'information médicale de l'application Omena, première application française dédiée à la ménopause.

Nous avons également organisé deux conférences de presse. La première s'est tenue le 18 octobre 2022 pour la Journée mondiale de la ménopause. Je suis sûre que vous ne la connaissez pas. Elle existe depuis très longtemps. Elle n'est pas valorisée en France. Chaque année, un thème spécifique est traité. Cette année, il s'agissait du fog, qui correspond au brouillard cérébral et aux troubles de concentration et de mémorisation qui surviennent en péri-ménopause et en début de ménopause. Nous essayons d'en comprendre les origines, les raisons. Sachez que ce fog est transitoire. Ne vous faites pas de soucis quant à vos capacités intellectuelles. Nous avons été aidés par le laboratoire Vichy, qui nous a permis d'écrire cette tribune d'engagement pour une meilleure prise en charge de la ménopause et pour une libération de la parole, avec un QR code. Nous y avons insisté sur la formation des professionnels concernés au-delà de leur domaine d'expertise. À nos yeux, il est important que tout professionnel de santé quel qu'il soit, médecin généraliste, dermatologue, gynécologue, cardiologue, puisse parler à une femme de son éventuelle symptomatologie ménopausique. Il faut pouvoir créer un dialogue serein à l'issue de chaque consultation, pour que chaque femme de plus de 45 ans sache à peu près ce qu'elle peut ressentir et comment le gérer. Il est essentiel de pouvoir identifier toute cette symptomatologie.

Très récemment encore, en février 2023, nous avons tenu une conférence de presse avec le manifeste All for ménopause, un collectif regroupant à la fois des professionnels de santé et des femmes de la société civile pour interpeller sur la nécessité d'information. Nous avons insisté sur le fait que tous les professionnels de santé devraient pouvoir parler de ménopause à chaque femme dans cette tranche d'âge. Nous avons également évoqué l'éventualité de créer un diplôme universitaire de patients experts dédié à la ménopause, et de créer un parcours de santé pour les femmes dès 45 ans. Il nous semble également primordial d'interpeller les dirigeants d'entreprises et de grands groupes sur le sujet de la ménopause et enfin, si possible, d'identifier et de rendre visible une représentante de la santé des femmes au gouvernement.

Un travail a déjà été publié par Maturitas sur les recommandations de la prise en charge de la ménopause et de ce que l'on pourrait faire dans l'environnement professionnel. Je vous en présente quelques lignes. Les modalités de travail ne sont pas sans répercussions sur les symptômes de la ménopause. Par exemple, parmi les symptômes figurent des douleurs articulaires marquées du fait de la carence oestrogénique. Cela peut être un problème dans les travaux physiques. La ménopause peut également altérer le travail. Pour les femmes assurant des travaux essentiellement intellectuels, la fatigabilité, les troubles de la concentration et de mémorisation peuvent bien évidemment avoir des conséquences sur leur travail. La fatigue, la perte de mémoire, les difficultés de concentration, les pertes de confiance en soi peuvent altérer la performance des travaux intellectuels. Elles peuvent bien sûr conduire certaines femmes à une perte d'estime d'elles-mêmes et, parfois, à un syndrome dépressif. Les femmes ont souvent peur de la stigmatisation et de ce silence. Or les employeurs doivent assurer la santé et la sécurité au travail, ils n'ont aucun intérêt à perdre les compétences et les talents précieux pour une symptomatologie souvent transitoire, qui doit pouvoir être exprimée, comprise, accompagnée, voire traitée. Ainsi, il est important de proposer cette écoute, cette adaptation et cette flexibilité dont on a déjà parlé. Les employeurs doivent favoriser la culture ouverte, inclusive et solidaire de l'expression des symptômes de ménopause dans tous les lieux et modèles professionnels, avec une approche positive. Surtout, aucune tolérance ne doit être acceptée face à l'intimidation, au rabaissement ou au harcèlement, tout en sachant que certaines femmes ne désireront peut-être pas en parler.

Il est essentiel de veiller à ce que les femmes puissent avoir accès à un professionnel de santé formé à cette problématique. Il est par ailleurs primordial de permettre la flexibilité des codes vestimentaires des uniformes, en utilisant des tissus thermiquement confortables, voire bien sûr la flexibilité horaire. J'ajouterai que l'on peut prévoir un contrôle de la température et une ventilation adaptée sur leur lieu de travail, ainsi qu'un accès à de l'eau fraîche et à des vestiaires et des sanitaires privatifs. En effet, d'éventuelles difficultés urinaires peuvent nécessiter un accès à des toilettes sans problème. Pour les femmes dont le rôle est axé sur le client ou orienté vers le public, il faut permettre des pauses pour gérer des symptômes vasomoteurs particulièrement intenses. Elles doivent pouvoir se retirer sans avoir à trouver toujours un prétexte.

Tout professionnel de santé devrait avoir suivi une formation requise sur la ménopause et savoir que ces symptômes climatériques peuvent affecter le bien-être et les capacités au travail. Ils devraient être au fait d'une éventuelle nécessité, parfois, d'adaptation transitoire pour éviter la mise en arrêt de travail, le chômage, voire pire : le désir de tout cesser bien avant la retraite, ce qui occasionnerait un risque de perte de revenus, de pension et de bien-être ultérieur. Nous avons pour devoir de donner les clés, de ne pas banaliser, de permettre d'orienter, d'accompagner et d'adresser à un professionnel de santé pour un éventuel traitement.

En entreprise, il me semble important d'informer les cadres, les employeurs et les employés. Surtout, une information large est nécessaire pour tous les publics, tant les femmes que les hommes. C'est pour cela que notre travail a jusqu'à présent été tourné vers la société.

Enfin, je vous rappelle qu'un rapport parlementaire a été publié en octobre 2022 en Angleterre. Il contient un certain nombre de propositions. Il donne par exemple la possibilité d'éviter des frais de prescription pour le traitement hormonal et a permis aux femmes d'avoir accès à des oestrogènes locaux directement en pharmacie, sans prescription.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci à vous. Je laisse la parole à notre dernière intervenante, Rachel Saada, avocate au barreau de Paris.

Maître Rachel Saada, avocate. - Merci de votre invitation et de me donner la parole. Je commencerai mon propos par une boutade, en vous demandant si la non-mixité de cette réunion est voulue ou subie.

Mme Annick Billon, présidente. - En réalité, la délégation aux droits des femmes compte des hommes et des femmes. Il se trouve que ce matin, la représentation est extrêmement féminine. Ces sujets intéressent, il est vrai, plus souvent les femmes, alors qu'ils concernent également les hommes.

Maître Rachel Saada. - Cela nous donne une indication précieuse quant à l'intérêt du sujet. Je craignais, à raison, que cette non-mixité soit subie. Vous pourrez faire savoir aux hommes qu'ils ont été très regrettés.

Je vais beaucoup vous déprimer, vous me le pardonnerez. Je suis spécialiste en droit du travail et en droit de la sécurité sociale, et mon propos correspondra à ce que je constate depuis près de quarante ans d'exercice professionnel. Ce constat est biaisé par mon engagement de ne plaider qu'aux côtés des salariés, des élus du personnel et des syndicats.

Je rebondirai brièvement sur des points qui ont été évoqués. J'irai droit au but, puisque de nombreux éléments ont déjà été mentionnés. Je ferai d'abord des observations sur les règles douloureuses et la manière dont on pourrait les prendre en compte, avant de revenir sur les questions d'aide médicale à la procréation. Je conclurai sur l'arsenal dont nous disposons déjà. À mon sens, ce n'est pas tellement une question d'outils supplémentaires que de droit positif, d'accès au droit et aux juges et de rapport de domination.

Je passe sur le fait que c'est un problème numériquement très important, qu'il existe déjà dans certains pays des congés menstruels. Ces points ne présentent, à mon sens, pas beaucoup d'intérêt. Chaque pays a son histoire. Madame la Présidente, vous évoquiez une politique britannique, qui n'est selon moi pas un très bon exemple. Le droit du travail en Grande-Bretagne n'est pas ce qui se fait de mieux. Tout y est passé au crible de la discrimination. En réalité, les Anglais n'ont plus de droit du travail. Ils n'ont plus qu'un droit de la discrimination. On va, chacun dans son couloir, chercher des éléments de cette discrimination.

Votre projet est intéressant mais il pose beaucoup de questions puisqu'il interroge les notions de maladie et de handicap. Voulons-nous nous diriger vers cela ? C'est une réflexion presque philosophique. Je ne veux pas développer ce point mais cette question doit être posée.

Il est à noter que la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) ne doit pas être mythifiée. Elle n'apporte que très peu de protection supplémentaire. C'est un parcours du combattant. Les Maisons départementales pour les personnes handicapées (MDPH) ne sont pas tendres avec les demandeurs. Cette RQTH apporte presque une souffrance supplémentaire. Je ne suis pas en train de dire qu'il ne faut pas le faire mais je suis réservée quant aux effets d'une promotion de cette reconnaissance. Je rappelle que les employeurs ne sont intéressés que par un de ses aspects : celui qui leur évite de payer des amendes à l'Agefiph (Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées). Ils ne cherchent pas spécialement à recruter des travailleurs handicapés parce qu'ils sont bienveillants. Je n'aurais d'ailleurs pas beaucoup de goût à utiliser ce terme. Je dois avoir mauvais esprit ou je suis contaminée par ma pratique professionnelle qui fait que je ne vois pas beaucoup de bienveillance dans les entreprises. Ce terme me paraît trop neutre et n'interroge pas le rapport de domination extrêmement fort qui existe dans les entreprises.

J'en viens tout de même à une proposition concernant la question des règles douloureuses et de ce qu'on a pu appeler le congé menstruel - je déteste cette dénomination - c'est la question des jours de carence. Je pense que le congé menstruel ne peut pas être un congé payé. Vous ne pouvez pas dire aux patrons qu'après la cinquième semaine de congés payés, arrivée en 1981, on va ajouter cinq semaines supplémentaires, équivalant à 2,5 jours par mois. En Espagne, c'est l'État qui finance cette mesure. Après réflexion, j'estime que nous pourrions éventuellement supprimer les jours de carence en étudiant la question par le prisme de la discrimination indirecte. Les rapports sur le sujet montrent que les femmes sont 50 % plus touchées par les arrêts maladie que les hommes. En 2022, le taux d'arrêt s'établissait à 6,8 % pour les femmes, contre 4,6 % pour les hommes. La notion de discrimination indirecte renvoie à une disposition légale ou réglementaire qui n'avait absolument pas pour objet de discriminer mais qui a pourtant cet effet. Puisque les congés pour règles douloureuses sont courts, les femmes sont évidemment bien plus frappées par les trois jours de carence. Il faut donc faire sauter ce verrou.

Cette mesure présenterait plusieurs avantages. D'abord, elle permettrait aux femmes d'être plus facilement en arrêt de travail sans perte financière et sans effet sur l'employeur. Ce dernier, au-delà de trois ans d'ancienneté du salarié - voire un an si la convention collective le prévoit -, est tenu par la loi de mensualisation de 1978 codifiée depuis quelques années, de compléter les indemnités journalières versées par la Sécurité sociale (IJSS), à hauteur d'environ 90 % du salaire, pendant une durée limitée. Ainsi, ce qu'il paierait au titre de ces trois jours de carence différents disparaîtrait du contingent qu'il doit régler. Cela ne lui coûterait donc pas plus cher. Cette piste de réflexion est intéressante, parce qu'elle préserve le secret médical. En ma qualité de juriste, j'estime en effet qu'il n'est pas envisageable de rompre le secret médical et d'ouvrir une brèche de cette nature. Dans le cadre des recherches que j'ai faites, je constate que l'association Osez le féminisme ! refuse également l'ouverture de cette brèche. Voilà alors une proposition qui me paraîtrait plus facile à mettre en oeuvre, puisqu'un motif serait inscrit pour le volet Sécurité sociale et non pour le volet employeur. Les trois jours de carence disparaîtraient. Il est clair que les femmes n'en abuseraient pas, au regard de leur comportement au Japon, en Indonésie, en Australie ou ailleurs. Au Japon, le congé existe depuis 1945, mais seuls 0,9 % des femmes en profitent aujourd'hui. Dans d'autres pays ayant mis en place ce dispositif, tels que la Corée du Sud ou l'Indonésie, elles ne s'en saisissent pas davantage. Ainsi, aucun abus ne serait attendu. En matière de droit, il n'y a jamais d'abus, mais plutôt des sous-déclarations.

Maintenant, venons-en à l'inconvénient de cette mesure. Madame Lorbat-Desplanches, vous évoquiez tout à l'heure un licenciement dont vous aviez recueilli la confidence, en vous indignant. Eh oui, l'employeur a le droit de licencier pendant un arrêt de travail, pour une absence prolongée, mais aussi - et les gens le savent moins - pour des absences répétées. La jurisprudence est cependant à la fois sévère et décevante. L'employeur doit en effet justifier d'une désorganisation et d'une nécessité de remplacement, mais s'il ne fait pas, la Cour de cassation n'admet pas pour autant qu'il s'agit d'une discrimination et d'un licenciement discriminatoire lié à l'état de santé. C'est seulement un licenciement privé de cause réelle et sérieuse. Ici, on arrive aux dernières réformes instituées par le Président de la République dès son arrivée au pouvoir : les ordonnances « Macron » et le barème « Macron », avec une indemnisation plafonnée, très faible. En clair, en-dessous de cinq ans d'ancienneté et de 2 000 euros par mois, soit environ le salaire médian français, il est inutile de contester son licenciement. Je caricature un peu mon propos, mais c'est bien l'effet voulu. D'ailleurs, ces ordonnances ont provoqué un effondrement de 50 % des saisines des conseils de prud'hommes. C'est l'inconvénient majeur. La Cour de cassation a une position très stricte, visant à dire que, même sans désorganisation et sans nécessité de remplacement, ce n'est pas une discrimination. Je tiens à la reconnaissance de cette discrimination car elle entraîne la nullité du licenciement, contrairement au licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle permet un droit à réintégration. Si on ne demande pas cette dernière, elle permet une indemnisation qui n'est pas soumise au plafonnement du barème Macron.

J'évoque, pour terminer ce point, la question du parcours AMP. Vous touchez du doigt, en votre qualité de praticiens médicaux ou de fondatrice d'une association, le sujet du droit. Il est là. Depuis 2016, les femmes en parcours AMP bénéficient de la même protection que les femmes enceintes. Simplement, depuis quand les femmes enceintes sont-elles bien traitées dans des entreprises ? Depuis quand retrouvent-elles leur poste en revenant de grossesse ? Depuis quand est-il facile pour elles d'annoncer qu'elles sont enceintes ? Ce n'est pas une question de droit, car il existe. Les outils sont là. Nous ne nierons pas le fait qu'une question de pédagogie et de connaissances des droits de chacun se pose.

Depuis quarante ans, je répète que nous sommes plus ou moins tous salariés dans ce pays - pas moi, d'ailleurs. Pourtant, le droit du travail n'est jamais enseigné. De l'école primaire au lycée, vous n'avez jamais bénéficié d'un enseignement sur le droit du travail. Il a fallu arriver à l'université, et choisir de faire du droit, pour en découvrir des notions. Ainsi, les connaissances ne sont pas apportées aux citoyens, alors que le salarié est d'abord un citoyen.

Par ailleurs, peut-on mobiliser ses droits dans l'entreprise quand on sait que le pouvoir patronal n'est quasiment plus contesté ni contestable ? Je vous parlerai encore de la réforme Macron, qui a divisé par deux le nombre des élus du personnel. Le regroupement des délégués du personnel, du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et du comité d'entreprise a fait perdre 200 000 postes d'élus du personnel dans toute la France. Plus tôt, Mme Rio indiquait qu'il était compliqué d'obtenir l'assistance des délégués ou élus du personnel. Oui c'est compliqué, parce qu'ils sont deux fois moins nombreux que par le passé.

Ensuite, ces droits ne sont pas mobilisés, parce qu'il n'y a pas de sanctions. Je suis toujours un peu excessive, c'est une qualité et un défaut. Ma capacité à toujours m'indigner sur ce qui se passe m'aide énormément à continuer à travailler, sinon j'aurais jeté l'éponge depuis longtemps. Depuis quarante ans, dans ce pays, on cultive l'idée selon laquelle le code du travail est un frein au développement des entreprises et à l'emploi. Depuis Margaret Thatcher, on nous explique qu'il faut brûler le code du travail. C'était le terme-même utilisé, si ma mémoire est bonne, par le groupe Monnerville du Medef : il fallait brûler le code du travail. Qu'est-ce que ça a donné ? Dans les entreprises, les femmes ne peuvent pas mobiliser leurs droits. Elles savent intuitivement et confusément, de manière vécue, que si elles annoncent qu'elles partent dans un parcours AMP, elles risquent de se faire « dégager », puisque l'humain n'est pas au coeur de la gestion des entreprises. Elles sont d'autant plus exposées à ce risque que l'on est aujourd'hui dans une culture du sous-effectif. Tout est en tension. Que l'on ne vienne pas nous parler de la grande démission. Le sous-effectif n'est pas lié à cette dernière ou au désengagement, mais à une organisation délibérée, à toutes les restructurations et réorganisations. Aujourd'hui, tous les salariés qui arrivent dans mon cabinet, qui affichent une certaine ancienneté, m'expliquent que dans un service où ils étaient six, ils ne sont plus que trois. Ces femmes auront alors énormément de mal à se prévaloir de leurs droits, également parce qu'elles mettront leurs collègues en difficulté. Poser des arrêts de travail est presque impossible pour elles, car elles savent qu'elles placeront leurs collègues dans l'embarras. Cette solitude crée également un renoncement aux droits.

Enfin, vous avez parlé à plusieurs reprises du rôle du médecin du travail comme un soutien. Ce n'est certainement pas le cas depuis la dernière réforme, qui a prévu un débat contradictoire avec l'employeur sur les questions d'aménagement des postes de travail. Avant cette réforme, le médecin du travail donnait son avis d'aptitude ou ses préconisations, il écrivait sur un bulletin et l'employeur devait exécuter ce qui était demandé. Je ne suis pas utopiste, je sais que ses préconisations sont rarement respectées. Elles créent du souci à l'employeur, qui ne veut pas aménager les postes. Si vous saviez le nombre de mi-temps thérapeutiques qui ne trouvent pas la bonne organisation, parce que l'employeur n'en veut pas. Il proposera des horaires de travail insupportables et mettra des bâtons dans les roues du concerné. En effet, l'employeur veut un salarié qui soit à 200 % au travail, pas à 50 %. Il n'acceptera donc pas les aménagements et ne respectera pas les préconisations. Puisque le salarié sera de plus en plus affecté par la situation, il en arrivera à ce que veut l'employeur : un avis d'inaptitude conduisant au licenciement.

Je vais maintenant fustiger le principe de la soft law. Il y a déjà tout dans le code du travail. On établit des chartes, on s'engage, on crée des labels. Dans un monde idéal, ces derniers seraient formidables. Simplement, vous devez savoir qu'ils ne sont que cosmétiques. Une charte n'a pas de caractère normatif ou d'obligation d'application. J'exagère peut-être, ou j'ai une vision déformée par la pratique, mais j'y vois ce que je qualifie de « syndrome de la frite McCain ». Vous souvenez-vous de cette publicité ? Selon son slogan, « Les frites McCain, c'est ceux qui en parlent le plus qui en mangent le moins ». Plus il y a de chartes, moins elles sont respectées. Elles sont une vitrine pour échapper aux condamnations, pour se donner l'excuse que l'on fait tout pour les femmes en cas d'accusations de discrimination.

Je terminerai mon propos en disant que pour que les droits des femmes avancent, nous devons revenir sur les ordonnances Macron, remettre en place les élus du personnel, réinstituer le CHSCT, revenir sur la réforme de la procédure prud'homale, y compris l'appel. Grâce à mon métier, je vois le parcours du début à la fin. Le droit est toujours en retard et son application toujours très lente. Plus on la rend facile, plus on rend l'accès au juge facile et plus on fait progresser le droit.

Mme Annick Billon, présidente. - Je vous remercie pour cette contribution complète et détonante, importante. Je me tourne maintenant vers mes collègues rapporteures, puis les membres de la délégation. Je laisse la parole à Marie-Pierre Richer et salue Annick Jacquemet, qui doit s'absenter pour poser une question orale en séance publique.

Mme Marie-Pierre Richer, co-rapporteure. - Je dois moi aussi poser une question en séance. Merci pour vos interventions très dynamiques et enrichissantes. Maître Saada, vous avez beaucoup parlé du droit. Nous nous rendons également compte que la santé sexuelle et reproductive reste taboue et s'accompagne d'une peur de la stigmatisation. Lorsque les femmes sont en parcours AMP ou dans d'autres situations, je ne sais pas si elles ont toutes connaissances du droit. Je vous assure qu'elles en font fi. Beaucoup de femmes prennent des congés, se débrouillent comme elles le peuvent, en dehors du travail, lorsqu'elles le peuvent. On peut parler de droit, mais tant que les sujets évoqués ce matin resteront tabous, nous ne leur rendrons pas service.

Un parcours d'AMP, c'est sept ans, minimum. C'est très long. Je pense que nous ne sommes pas prêts, hommes comme femmes, à l'évoquer, parce que ça stigmatise encore.

Madame Valérie Lorbat-Desplanches, je me suis rendue sur le site de votre fondation. J'ai vu que vous aviez mis en place une première journée de formation sur l'endométriose pour les jeunes internes. Nous vous avons écouté parler des employeurs et des personnes concernées, mais la formation doit exister en médecine, qui doit avoir une connaissance approfondie du sujet. C'est le premier maillon de la chaîne. Pourriez-vous nous faire un retour sur cette journée ? Avez-vous constaté un lourd déficit ?

J'ai par ailleurs lu récemment un article relatif à l'arrivée d'un autotest pour l'endométriose. Où en sommes-nous ? Est-il commercialisé ? En quoi peut-il être un premier pas ? J'ai découvert aujourd'hui que la maladie occasionnait de nombreuses douleurs corporelles, qui font qu'une femme les subissant ne pense pas nécessairement à l'endométriose en premier lieu. Quel serait l'apport de ce test dans notre rapport sur la santé des femmes au travail ?

S'agissant de la ménopause, elle est encore taboue, comme l'est la vie sexuelle et reproductive des femmes, de son début à sa fin.

Je suis heureuse de vous entendre dire que le congé menstruel n'est pas la solution. Vous avez parlé de cosmétique. J'y vois également un aspect marketing.

Mme Valérie Lorbat-Desplanches. - Nous avons réalisé une expérience de mise en contact entre de jeunes internes et des patientes. Nous observions une fracture, notamment s'agissant de l'endométriose, entre les médecins qui n'ont que peu de solutions, parce que l'on connaît mal la maladie, et des patientes revendicatives en raison de leur parcours extrêmement douloureux, du manque d'écoute qu'elles ont subi, du nombre important de professionnels de santé rencontrés. Nous essayons de les réconcilier.

Nous avons réalisé notre troisième rentrée en sixième année de médecine. Nous avons mis les internes en situation, les faisant jouer le rôle de patientes tandis que ces dernières jouaient le rôle de médecins. J'ai pu constater chez des internes juniors une mise en situation et une compréhension de la problématique des patientes qui commençait déjà à s'atténuer chez les internes seniors. Le professeur animant la session notait que l'entretien avec la patiente s'était mal passé, demandant comment il aurait fallu agir différemment. L'interne senior répondait « la patiente aurait dû parler de... ». Pourtant, il aurait dû réfléchir à ce qu'il aurait lui-même pu faire pour que l'entretien se passe mieux, aux questions qu'il aurait pu poser. Au-delà d'enseigner, je pense qu'il faut instaurer une pratique et une réconciliation entre les patients et leurs médecins.

Ensuite, l'équipe travaillant sur l'endotest, qui est un test salivaire et donc non invasif, attend la confirmation des premiers résultats positifs sur une cohorte plus importante, pour un diagnostic de l'endométriose extrêmement facile. Je pense que le ministre de la santé, François Braun, s'est engagé à prendre en charge le remboursement du test, qui ne sera pas systématique. Il ne s'agit pas d'y soumettre toutes les adolescentes. Il entrera dans une approche diagnostique et aidera énormément, puisqu'il arrive que nous ayons des doutes sur l'imagerie. Le test sera complémentaire de la symptomatologie et de l'imagerie, entrant sur une caractérisation plus globale de la maladie.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Merci Mesdames. Cette matinée a été exceptionnelle, même pour vous, j'imagine. La table ronde permet de se retrouver. Il est de notre rôle d'organiser cette mise en lien des femmes qui s'intéressent aux femmes - je déplore d'ailleurs que ce ne soit que des femmes, mais c'est la vie - et travaillent sur des sujets convergents.

Ce débat est passionnant car au coeur de la question féministe. Il traite de l'invisibilité de la condition des femmes, du tabou sur la santé sexuelle et reproductive. Tout ce qui concerne l'utérus est jugé honteux, sale et répugnant. La honte existe dans la sphère privée, mais elle est démultipliée dans la sphère sociale et l'entreprise. Enfin, il traite de l'impact sur la condition des femmes de la guerre menée depuis les années Thatcher, vous avez raison, contre le salarié et son statut. Tout cela est passionnant. Je n'ai pas de question pour vous, Maître Saada, car vous avez tout dit.

J'ai des questions pour les autres intervenantes. D'abord, quelle est la part de l'influence de l'âge dans l'infertilité aujourd'hui ? Vous me répondrez que je peux consulter le rapport remis l'année dernière à Olivier Véran. Je pense que cette part est majeure et que nous avons un sujet au croisement du statut salarial et de l'infertilité. Il n'est pas normal que des jeunes femmes n'aient pas la sécurité professionnelle suffisante avant 30 ans pour engager un projet de grossesse. C'est un indicateur de la précarité et de la fragilité que ressentent les femmes dans leur insertion professionnelle.

Maître Rachel Saada. - J'ai découvert qu'une congélation d'ovocyte de confort existait et que le comité de bioéthique avait interdit, avec sagesse, aux employeurs de la financer. Elle est coûteuse, de l'ordre de 3 000 euros.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - C'est le précédent Google, première entreprise à avoir proposé de financer cette congélation d'ovocytes.

Maître Rachel Saada. - Nous sommes ici au coeur du sujet. Objectivement, une femme sait que si elle engage un processus de grossesse, sa carrière va s'arrêter.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Nous avons beaucoup hésité. Nous avons eu à voter le sujet de la congélation des ovocytes dans la loi de bioéthique. Ce débat a été compliqué, idéologiquement parlant. De jeunes féministes considéraient que ce droit faisait partie des nouvelles revendications. Nous voyions bien l'usage qui pouvait en être fait pour reporter l'âge de la grossesse chez les femmes et leur permettre d'être très performantes dans l'entreprise à l'âge où elles pourraient faire des enfants. De plus, une sorte de romance se raconte sur l'AMP. Vous indiquiez, Madame Massin, qu'environ 30 % des tentatives d'AMP aboutissent à une grossesse. Ainsi, après une congélation d'ovocytes, les femmes doivent savoir qu'il ne suffira pas de les sortir et de les mettre au micro-ondes pour avoir un bébé. Elles entreront dans un parcours compliqué, dont on ne parle jamais.

Ma deuxième question porte sur les traitements hormonaux de substitution. J'ai toujours eu l'impression que l'offensive venue des États-Unis, outre le fait qu'elle ne portait pas sur les mêmes produits que ceux utilisés en France, était idéologique contre le droit des femmes à limiter les effets de l'âge. Elle a été dévastatrice. Que pouvons-nous faire pour que les femmes sachent que leur risque de cancer du sein est infinitésimal comparé à leur risque d'ostéoporose, de démence ou d'Alzheimer ? Que pouvons-nous faire face au nombre de vos confrères et consoeurs qui refusent encore ce traitement hormonal ?

Enfin, les sept ans de traitement indiqués par les gynécos-obstétriciens aux femmes en début de ménopause m'interrogent également. Pouvez-vous m'en dire plus ?

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Je vous remercie toutes car cette table ronde était passionnante, en ce sens que vous vous êtes répondu. Ce n'était pas simplement une succession d'interventions, comme c'est parfois le cas lors de nos auditions. Ces discussions étaient extrêmement riches, grâce à vos regards différents de professionnels de santé, de fondatrice d'une association et d'avocate.

Je suis frappée par plusieurs éléments, d'abord par une formation insuffisante des internes et donc des médecins qui seront ensuite en exercice, concernant le fait d'être dans un cycle de grossesse. C'est lié, il me semble, à ce qu'il se passe dans l'entreprise. Maître, vous demandiez depuis quand on se préoccupait réellement des femmes enceintes dans une entreprise. C'est très fort et frappant. Une femme enceinte y est encore considéré comme un problème.

Je suis également choquée par le réel manque d'information des femmes sur la ménopause ou des couples sur l'AMP. Sur ce premier sujet, les femmes sont dans le noir absolu. On n'en parle pas. Il y a donc le poids du secret. Comment sera-t-on accompagnée par un professionnel de santé ? Les informations qui nous parviennent sont très disparates. Vous pouvez discuter avec une amie indiquant disposer d'un traitement, alors que vous n'en bénéficiez pas. Pourquoi ? Mystère. Certaines souffrent de tous les symptômes évoqués, et d'autres, d'aucun. Le fait de ne pas en avoir aura-t-il des conséquences ? Cette situation requiert-elle tout de même un traitement ? Mystère. On ne répond jamais à ces questions. Il est intéressant de les aborder.

Sur l'endométriose, bien que nous soyons plus informés que par le passé, je reconnais que je n'avais jamais entendu parler de liens avec l'alimentation, par exemple. J'aimerais avoir plus d'informations, car Internet ne propose que peu de résultats à ce sujet.

Je me permets ensuite de revenir sur vos propos concernant le droit du travail. Il a été complètement détruit au gré des réformes, en commençant par la loi « El Khomri », qui a fait fort. Les protections sont de moins en moins présentes. Les pistes que vous nous donnez, s'agissant par exemple des jours de carence, sont intéressantes. J'espère qu'elles apparaîtront dans nos recommandations, car les possibilités sont peu nombreuses, y compris en ce qui concerne les élus du personnel et la médecine du travail. L'exercice de cette dernière est rendu difficile par les nouvelles mesures et elle est dans le même temps sinistrée. Dans ce contexte, je ne sais pas comment peuvent intervenir ces professionnels.

Un grand merci pour votre apport.

Mme Elsa Schalck. - À mon tour de vous remercier pour vos interventions passionnantes et extrêmement complémentaires. Merci à la délégation aux droits des femmes et aux rapporteures de mettre sur la table ces sujets ô combien importants de la fertilité, de l'infertilité, de la ménopause. Tout un chacun aurait grand intérêt à écouter cette audition et constater les difficultés, mais aussi la complexification que cela peut susciter, dans le monde du travail, et d'un point de vue psychologique ou humain. Ces sujets concernent à la fois les femmes et les hommes.

J'aurais aimé vous entendre au sujet de la pédagogie ou de la non-pédagogie existant actuellement pour les jeunes générations. Elles sont la clé d'un changement de mentalité, de société. Si nous voulons une société plus bienveillante, qui ose parler de ces sujets, encore faut-il que les plus jeunes connaissent, se saisissent et aient conscience de ces problèmes. On ne pose des mots sur ces maux que depuis peu de temps. On ne parle pas d'endométriose depuis longtemps, encore moins de SOPK, alors que cette grande difficulté touche un nombre croissant de femmes.

J'ai été impressionnée du chiffre que vous avez énoncé, Madame Massin, de 7,5 années en moyenne de parcours PMA. Comment peut-on, d'après vous, réduire la durée des parcours de procréation médicalement assistée ? Vous évoquiez trois années d'essais naturels. Peu de choses sont enseignées s'agissant de l'importance de l'alimentation et de la connaissance de leur corps par les femmes, qui sont souvent livrées à elles-mêmes. Bien souvent, un sentiment de solitude prédomine, ainsi qu'une inquiétude lorsque les essais ne sont pas concluants naturellement. Ainsi, comment diminuer ces trois années d'essais naturels, ou les deux années d'examens médicaux, sans doute très lourds, compliqués, qui ne sont en outre pas sans conséquence sur des études ou un parcours professionnel ? C'est bien toute la société qui est en difficulté. Cette question, ô combien essentielle, l'est d'autant plus lorsque nous réfléchissons collectivement à la natalité dans notre pays, à la démographie. Nous voyons bien que ces jeunes femmes engagées dans un parcours ont ce désir d'être mamans. Les hommes aussi veulent s'inscrire dans un projet de famille. C'est pourquoi cette question est importante.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci. Je vous laisse vous organiser comme vous le souhaitez pour répondre.

Mme Nathalie Massin. - Je rebondirai d'abord sur l'autoconservation des ovocytes. Je remercie le Sénat d'avoir voté cette loi. Ayez conscience que si l'on met souvent en avant la carrière et le report de la conception, ce n'est pas, selon mon expérience, ce qui joue le plus dans cette volonté. C'est plutôt l'histoire de vie personnelle de ces femmes, le fait qu'elles n'aient pas trouvé le bon conjoint, ou autre, bien que certaines indiquent clairement qu'elles ont souhaité mettre en route leur carrière avant de lancer une maternité. Ne mésestimons tout de même pas les aspects qui ne sont pas liés au travail dans ce souhait d'autoconservation.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - C'est pour cela que nous l'avons voté.

Mme Nathalie Massin. - Le fait que les femmes y aient aujourd'hui accès constitue une grande avancée. Il est important d'en faire la promotion. En effet, nombreuses sont celles qui ne sont aujourd'hui pas informées de cette possibilité qui ne fait l'objet d'aucune promotion. La difficulté d'accès est réelle, en lien avec l'organisation du territoire. Il faut par ailleurs rappeler que ce n'est pas la panacée et que la conservation des ovocytes ne garantit pas une grossesse. Rien ne remplace le fait de démarrer un projet de conception au plus tôt dans sa vie.

J'en viens à votre question. L'âge a un double impact sur la grossesse. Plus la femme attend pour démarrer la conception, plus elle s'expose à un risque d'infertilité lié au vieillissement des cellules. Les cellules reproductives de la femme ne sont en effet pas renouvelées. Elles sont présentes à la naissance et vieillissent avec l'âge, ce qui générera des infertilités que l'on considérera inexpliquées, puisqu'on n'en trouvera pas d'autre cause. Le double impact vient du fait que les techniques de PMA sont également plus efficaces pour les patientes de moins de 35 ans, en raison de la qualité des ovocytes. Les 30 % de réussite en fécondation in vitro concernent les femmes de moins de 35 ans. À 40 ans, il avoisine plutôt les 10 %. Il diminue encore nettement au fil des années. Nous voyons pourtant la proportion de femmes de plus de 38 ans se rendant dans nos centres augmenter de manière importante, pas uniquement pour des raisons professionnelles, mais également d'histoires personnelles.

Ensuite, il y a beaucoup à faire pour diminuer la durée du parcours. Une éducation et une formation des professionnels de premier recours semblent nécessaires. La formation des gynécologues doit également être renouvelée, puisque ceux qui sont aujourd'hui sur le terrain ont été formés il y a très longtemps. De nouvelles recommandations et informations sont désormais disponibles et il faut s'en tenir informé. À l'heure actuelle, il est recommandé d'attendre un an d'infertilité pour lancer des examens, contre deux ans par le passé, et seulement six mois pour les femmes ayant plus de 35 ans. En effet, ce temps perdu d'essais inefficaces allonge d'autant plus le parcours. Cette information doit être communiquée aux médecins généralistes et sages-femmes en contact direct avec la patiente. Le médecin du travail peut lui aussi avoir son rôle à jouer dans ce cadre.

Ainsi, il est important de réduire le parcours avant ce temps d'infertilité. À Créteil, nous avons mis en place un fertility check up. Pourquoi attendre l'infertilité avant de se rendre compte qu'il y a un problème pour procréer ? Aujourd'hui, nous avons les moyens de nous assurer que tout va bien, avec des examens simples. On le fait pour les examens cardiovasculaires. On peut également le faire pour la fertilité, nous pouvons ainsi sélectionner les bons conseils pour donner le maximum de chances de procréer dès le projet de conception sans attendre un échec.

Nous pourrions également réduire les deux ans d'exploration, par des organisations professionnelles un peu différentes, en allant directement vers des endroits spécialisés. Nous pourrions réaliser en une fois un bilan complet pour la femme et pour l'homme, avec un compte rendu permettant de prendre action très rapidement, en expliquant les traitements qui pourraient être proposés et leurs chances de réussite.

Enfin, le sujet de la pédagogie auprès des nouvelles générations est très compliqué. Je fais partie du collectif Protège ta fertilité, auquel participe également le Collectif BAMP ! Nous avons pour objectif d'éduquer les jeunes de 18 à 25 ans sur la physiologie de la reproduction. Nous nous sommes lancés sur Instagram. Nous avons été confrontés à des remarques telles que « Nous sommes trop nombreux sur Terre » et à un recul des jeunes générations face à la maternité pour des raisons écologiques ou féministes. Les jeunes veulent en effet sortir d'un parcours de maternité contraint. Ils veulent prendre leur temps et faire un choix sans pression sociale. Nous devons être vigilants quant à notre façon d'apporter l'information. Je suis persuadée que plus les gens sont informés, mieux ils font leurs choix. Ils ne doivent pas se sentir obligés d'accéder à une maternité très précocement quand ce n'est pas leur choix de vie.

Aujourd'hui, la notion de surpopulation persiste alors que nous assistons à une baisse mondiale de la natalité. C'est une préoccupation en Europe et dans les pays industrialisés, mais aussi dans les pays en voie de développement. La population est en voie de diminution. Ainsi, il est très important d'appuyer sur ces sujets. Nous devons faire en sorte que les maternités désirées et choisies arrivent le plus rapidement possible, avec le nombre d'enfants souhaités. Nous devons dans le même temps prendre en compte le fait qu'une partie des femmes décideront de ne pas avoir d'enfants. Ce n'est plus tabou.

Mme Brigitte Letombe. - S'agissant de la ménopause, le traitement hormonal a beaucoup souffert de la Women's Health Initiative (WHI), l'étude américaine de prévention primaire cardiovasculaire que j'ai évoquée. La population choisie était âgée de 63 ans en moyenne. 20 % des femmes avaient plus de 70 ans, avec un écart de quinze ans depuis leur ménopause. On leur a donné un traitement oral et un progestatif de synthèse qu'on n'utilise pas en France. Il faut savoir que la mortalité féminine est liée pour 35 % à des causes cardiovasculaires, contre 4 % pour le cancer du sein. Surtout, chez les Américaines, on avait pensé que les oestrogènes étaient bons pour les artères et la tension et qu'elles seraient protégées. À l'inverse, lorsqu'une femme est atteinte d'une athéromatose installée, la carence oestrogénique va la favoriser. Ces femmes n'avaient pas été traitées depuis dix ans. Elles souffraient donc d'une athéromatose installée, un problème artériel. Le fait de leur donner un traitement par voie orale a créé des accidents cardiovasculaires, des embolies pulmonaires, des infarctus ou des AVC. C'est pourtant exactement ce que l'on voulait éviter. Cette étude a alors provoqué un tsunami international.

Pour ce qui est du risque de cancer du sein, nous n'avons rien appris avec la WHI. Nous savions que le risque augmentait très peu, à hauteur de 1,3 %. Le risque, pour le traitement américain - et non le traitement français - équivaut au risque pour une femme en surpoids par rapport à une femme en poids normal, une femme sédentaire par rapport à une femme qui fait du sport, une fumeuse par rapport à une non-fumeuse ou une femme qui boit de l'alcool par rapport à une femme qui n'en boit pas. Ainsi, je ne dis pas que le risque de cancer du sein n'existe pas, mais il est minime. Il correspond à deux cancers du sein en plus, sur cinq ans, sur 1 000 femmes. Le risque s'établit aujourd'hui à 1/8, soit cinquante femmes sur 1 000. Avec le traitement hormonal à l'américaine, vous en auriez deux de plus sur cinq ans, six de plus sur dix ans.

En France, on utilise le traitement à la française, qui commence à essaimer sur le plan européen, et même chez les Américains. On utilise de l'estradiol, la molécule que secrétaient les ovaires avant l'arrêt de leur fonctionnement, et de la progestérone micronisée. Une étude européenne montre qu'après huit ans, il n'y a pas de différence de cancer du sein avec ce traitement. La voie transdermique évite en outre les risques thrombo-emboliques. Il est évident que le traitement à la française ne présente pas du tout les mêmes risques que les traitements à l'américaine.

De plus, les résultats de la WHI ont d'abord été donnés de manière brutale ; ils ont conduit à arrêter les prescriptions dans le monde entier. Quatre ans plus tard, les résultats nous ont été donnés par rapport aux tranches de vie des femmes. Il n'y avait que très peu de femmes entre 50 et 60 ans, puisqu'il s'agissait de la première étude randomisée, c'est-à-dire que certaines femmes se voyaient donner un traitement efficace, et d'autres un placebo. Entre 50 et 60 ans, les symptômes sont nombreux ; très peu de femmes pouvaient entrer dans cette étude parce qu'elles n'avaient pas de symptômes. Tout de même, au moment de la publication, ces femmes avaient moins de risques cardiovasculaires. Dix-huit ans plus tard, alors que ces femmes sont toujours suivies, on a constaté une diminution de la morbi-mortalité cardiovasculaire et de toute la mortalité chez les femmes traitées entre 50 et 60 ans. Ainsi, toutes les recommandations internationales et le dernier congrès s'étant tenu à Lisbonne en 2022 rappellent que le traitement hormonal de substitution présente une balance bénéfices-risques positive entre 50 et 60 ans dans les dix premières années. La North American Monepause Society (NAMS) elle-même a modifié ses recommandations.

Vous me parliez ensuite du temps de traitement. En France, les dernières recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) ont été publiées en 2014. Depuis, énormément de choses ont changé. Nous avons fait évoluer les recommandations pour la pratique clinique (RPC). Nous reprenons toute la bibliographie internationale pour répondre à des questions. Ces RPC ont été publiées en 2021, sans aucune recommandation de temps de traitement. Tout dépend de la raison pour laquelle vous le donnez. Tous les ans, la balance bénéfices-risques doit être évaluée en fonction de l'histoire familiale et personnelle de la patiente, en fonction de son état de santé général. Le traitement hormonal peut être arrêté pour telle ou telle raison. Il peut également être poursuivi, dès lors qu'une symptomatologie climatérique persiste à l'arrêt ou en cas de fragilité osseuse que l'on veut éviter, par exemple. Il est simplement important de conserver une vraie évaluation annuelle du traitement, mais il n'y a pas de recommandation d'arrêt à cinq ou sept ans, par exemple. Ce n'est écrit nulle part. Si quelqu'un vous l'a dit, il doit vous le prouver.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Ils disent tous cela.

Mme Brigitte Letombe. - Je sais, mais c'est faux. Dans nos recommandations françaises, il est bien inscrit qu'il n'y a pas de délai et que tout dépend de la balance bénéfices-risques au temps t.

Je pense qu'il est très important que toutes les femmes soient informées. La consultation des 45 ans est le moment idéal pour cela. La péri-ménopause démarre environ trois à quatre ans avant la ménopause, qui commence vers 51 ans. À 45 ans, peu de femmes ressentent déjà des signes, mais c'est tout de même le cas pour certaines. Il est possible, lors de cette consultation, de leur faire savoir que la ménopause arrivera dans la cinquantaine, de leur exposer les symptômes possibles et de les inviter à consulter en cas de besoin. Nous pourrions ainsi leur éviter des angoisses. J'ai vu de nombreuses femmes qui ne se reconnaissaient plus, qui se sont mises en arrêt de travail en pensant démarrer une dépression. J'ai même rencontré des femmes ayant été mises sous antidépresseurs pour ce qui n'était pas une dépression. Elles doivent ainsi être informées du risque climatérique de ces symptômes, mais aussi des risques cardiovasculaires, osseux, carcinologiques, voire neurocognitifs. En fonction de l'histoire familiale ou personnelle d'une patiente, et notamment de son hygiène de vie, il est possible de prévenir énormément de choses. On sait que la carence oestrogénique multiplie par deux le risque de diabète. Si une femme présente déjà une petite insulinorésistance, il faut la prévenir.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - De quels cancers parlez-vous lorsque vous évoquez des risques carcinologiques ?

Mme Brigitte Letombe. - En fonction de votre histoire familiale, vous pouvez présenter plus de risques de développer tel ou tel cancer, ce qui justifie une prévention plus serrée. Il est important de procéder à un tri des femmes qui nécessitent une prévention classique, de type mammographie tous les deux ans, ou une prévention spécifique, en cas de risque de cancer du côlon par exemple. Il est à mon sens très important qu'on évalue tous les risques, en réalisant par exemple un bilan osseux. La densitométrie minérale osseuse est assez simple, mais elle n'est plus prescrite, officiellement parce qu'elle n'est pas remboursée. En réalité, elle coûte 40 euros et est prise en charge par la plupart des mutuelles. Simplement, si vous la prescrivez en tant que médecin généraliste et qu'elle montre un os un peu fragile, elle mènera à la nécessité d'une prescription. Celle-ci demandera une consultation spécifique dédiée, réalisée par un professionnel qui connaît vraiment bien le sujet, en mesure de répondre aux questions de la patiente et d'évaluer la balance bénéfices-risques. C'est pour cette raison que le site du GEMVI affiche une brochure d'informations sur la balance bénéfices-risques du traitement hormonal. Les femmes, avant la mise en place de ce dernier, doivent avoir réalisé un bilan complet, mais elles doivent aussi avoir lu cette documentation, pour que l'on puisse parler des divers risques.

Une consultation dure souvent vingt minutes. Ce n'est pas suffisant pour parler de ménopause. Nous avons besoin de plus de temps. De plus, la patiente doit pouvoir repartir avec des informations, les lire, revenir pour qu'on lui réexplique la balance bénéfices-risques, qu'on lui présente l'intérêt ou le non-intérêt d'un traitement. En cas de non-indications, on doit l'accompagner. Il existe des thérapeutiques et autres accompagnements.

Ainsi, cette consultation des 45 ans me semble importante. Elle doit être mise en place pour les femmes, par des spécialistes de la ménopause.

Maître Rachel Saada. - Je n'ai pas de réponse particulière à apporter à vos prises de parole, mais une idée m'est venue en cours d'audition et je ne l'ai pas évoquée. Bien sûr, tout ce qu'on opposera à vos démarches sera que cela va augmenter les discriminations à l'égard des femmes. C'est le principe de l'adage « Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ». Cela ne peut être un argument. Vous le saviez déjà.

Mme Virginie Rio. - Il est vrai que nous parlons ici de sujets qui doivent s'inscrire dans un vrai changement de manière de penser la femme, sa place, sa santé. C'est ce que nous essayons de faire depuis dix ans sur les questions de fertilité, d'infertilité et d'AMP. Les choses avancent très lentement car il y a beaucoup de résistance. Il est important que les femmes et leurs alliés se rassemblent pour mettre en oeuvre des actions, apporter des idées nouvelles. Nous réalisons que nous sommes en train de gérer des sujets d'une autre époque.

S'agissant de la fertilité, de l'infertilité et de la question des jeunes, je rappelle que le rapport sur les causes d'infertilité comporte plusieurs axes, dont les suivants :

- la formation et l'information des jeunes de façon individuelle et collective ;

- la formation et l'information des professionnels du soin de première ligne, qu'il s'agisse de médecins, de généralistes, de médecins scolaires...

Les recommandations sont là, tout comme le droit du travail. Il faut simplement les mettre en oeuvre pour changer les représentations sur la fertilité et ce qui l'influence, ou sur l'AMP. On parle ici des préjugés et idées reçues qui persistent malgré notre travail. La société doit absolument prendre conscience qu'ensemble, on pourra mettre en place des solutions. Si chacun résiste de son côté, nous allons droit à la catastrophe.

Évidemment, il ne faut pas tomber dans le paternalisme ou dans la paranoïa, mais nous devons penser à un moyen d'apporter ces idées nouvelles pour les faire infuser dans l'ensemble de la société.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour ces compléments de réponse. Revenons-en à l'alimentation. Avec ma voisine rapporteure Laurence Cohen, nous avons cherché des informations à ce sujet sur Internet, mais les résultats n'étaient que basiques, incitant à manger des fruits et légumes, à ne pas manger trop salé, sucré ou à éviter les plats préparés. Cela nous semble correspondre à une hygiène de vie a priori classique.

Mme Valérie Lorbat-Desplanches. - Une hygiène de vie classique est importante. Si on parle toujours de maladie gynécologique, l'endométriose est une maladie inflammatoire systémique, dont on connaît encore très mal les mécanismes. Énormément de molécules pro-inflammatoires sont produites. Ainsi, il est recommandé de privilégier une alimentation de type anti-inflammatoire (matières grasses insaturées, fruits et légumes) en évitant les aliments pro-inflammatoires tels que les viandes rouges, l'excès de protéines... Je ne me prononcerai pas sur le sujet, puisque nous manquons de supports au niveau médical, mais les femmes ayant adopté des types d'alimentation limitant l'apport de gluten ou de produits laitiers nous disent que cela améliore leurs symptômes. Je ne pense pas, pour ma part, que ce soit une bonne idée. Évidemment, les femmes partant d'une alimentation ultra-transformée et s'orientant vers un régime plus sain verront nécessairement leurs symptômes s'améliorer. C'est du bon sens. Il faut apprendre aux patientes à manger. Par ailleurs, 80 % des femmes souffrant d'endométriose souffrent également d'un syndrome de l'intestin irritable, probablement lié à ce territoire inflammatoire. Agir sur leur consommation de fibres peut améliorer les symptômes digestifs et les douleurs.

Mme Nathalie Massin. - J'ajoute que l'alimentation a des effets sur la fertilité. C'est démontré chez l'homme sur la qualité des spermatozoïdes. Le régime steak-frites est le pire. Il est préférable de s'orienter vers une alimentation faible en protéines de viande rouge.

Mme Virginie Rio. - Notre association est membre d'une association travaillant sur la santé environnementale, pour en faire un des piliers principaux de la sécurité sociale. Elle affecte directement l'alimentation, les cosmétiques, les produits nous environnant et la santé dans sa globalité, qu'il s'agisse de la fertilité ou de certaines maladies chroniques, qui explosent. Ce sujet existe depuis plus de 60 ans, mais peine à être pris en considération par la société, alors même qu'il est essentiel. Il regroupe tout ce que nous avons dit précédemment.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Vos présentations étaient extrêmement qualitatives et ont apporté des réponses à certaines thématiques. Il était intéressant de vous entendre partager des avis et solutions pouvant différer.

Nous sommes preneurs de tout document complémentaire, si vous en avez d'autres à nous communiquer. Merci pour la qualité de ces débats.

Merci Mesdames les rapporteures, pour vos questions pertinentes. Bonne journée à toutes.


* 1 Domar A, Vassena R, Dixon M, Costa M, Vegni E, Collura B, Markert M, Samuelsen C, Guiglotto J, Roitmann E, Boivin J. Barriers and factors associated with significant delays to initial consultation and treatment for infertile patients and partners of infertile patients. Reprod Biomed Online. 2021 Dec; 43(6):1126-1136. doi: 10.1016/j.rbmo.2021.09.002. Epub 2021 Sep 11. PMID: 34756644.