II. - Allocution de M. Christian PONCELET, président du Sénat

Monsieur le président de l'Assemblée nationale, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, chers collègues et chers amis, à voir une réunion d'une telle qualité et une participation aussi nombreuse, je suis tenté de dire, sans mauvais jeu de mots, qu'en guise d'introduction, une conclusion déjà s'impose : nous avons bien fait d'organiser ce colloque. Réunir un tel auditoire, dans la dernière ligne droite d'une session passablement chargée, sur ce thème un peu mystérieux, pour ne pas dire encore flou, de la diplomatie parlementaire, était un pari risqué. Nous savons maintenant qu'il sera gagné, parce que vous êtes là et que nombre d'entre vous ont beaucoup de choses à dire à ce sujet.

Ce pari sera également gagné parce que nous venons d'entendre mon collègue et ami Raymond Forni, qui, avec son talent habituel, tout son dynamisme, nous a brossé une image stimulante de l'évolution du rôle du parlement dans la sphère des relations internationales. Je tiens à le remercier d'avoir si bien ouvert la voie, même si, évidemment, cette fougue et ce talent ne me simplifient pas la tâche !

C'est donc des modalités contemporaines de la diplomatie parlementaire que je dois traiter, de son contexte, de sa spécificité aussi, car il y a sans aucun doute une spécificité de la diplomatie parlementaire à la française. Une anecdote est révélatrice de cette spécificité et je ne résiste pas au plaisir de vous la livrer : lorsque nos services ont interrogé leurs correspondants des parlements étrangers pour la préparation de ce colloque, ils ont suscité une perplexité certaine : à l'exception de la Roumanie et de l'Espagne, la notion de diplomatie parlementaire semble totalement inusitée. Au parlement britannique, on nous a répondu : « si vous souhaitez des informations sur la politique étrangère du Royaume-Uni, vous pouvez vous adresser au ministère des affaires étrangères ! ». On ne saurait mieux témoigner de l'existence d'une spécificité française dans ce domaine, car si nous devons, c'est vrai et nous sommes réunis aujourd'hui pour cela, mieux définir et faire émerger le concept de la diplomatie parlementaire, c'est bien parce que la réalité de cette modalité particulière de la diplomatie est bel et bien présente. Elle est d'ores et déjà un fait, un fait têtu, que nous avons mutuellement d'autant plus intérêt à prendre en compte que nous avons peut-être là -mais je suis prudent sur ce point- une longueur d'avance sur nos partenaires.

1. - Quelques idées fausses

Avant de faire le bilan et la comparaison des structures et des activités concourant à la diplomatie parlementaire, c'est-à-dire dans une première approche, à la conduite par les parlements d'une activité internationale suivie et cohérente pour la réalisation d'objectifs déterminés, il me paraît indispensable de tordre le cou à quelques idées fausses déjà, hélas, fort répandues, puisque nous sommes ainsi faits, nous Français : la critique et la contestation accompagnent l'action, pour ne pas dire qu'elles la précèdent et même parfois en tiennent lieu !

A. - Première critique : l'action internationale des assemblées permet de compenser leur absence de pouvoirs réels dans les domaines de la législation et du contrôle

Il faut être d'une singulière cécité, d'une particulière mauvaise foi, être mû par d'inavouables préoccupations, ou même cumuler ces défauts, pour propager ce genre de critiques. Contrairement à ce qui a été trop complaisamment affirmé depuis trop longtemps au nom d'un mythique âge d'or des parlements -et, mes chers collègues, nous devons être très attentifs sur ce point- le parlement français dispose en effet de pouvoirs qui le placent aux tout premiers rangs des parlements dans le monde : pourquoi sinon, serions-nous si fréquemment sollicités par les réformateurs étrangers soucieux d'affirmer et de développer leurs institutions parlementaires ? Par conséquent, nul souci de compensation, mais en revanche, perception claire et nette d'un fait évident : la France ne vit pas en autarcie, l'interaction entre l'interne et l'externe est constante ; il est par conséquent de la responsabilité de tout parlementaire d'être « ouvert à l'international ».

B. - Deuxième critique malicieuse : il ne saurait y avoir de diplomatie parlementaire, car la France doit parler d'une seule voix.

A défaut, le message serait brouillé : pour parodier Montesquieu « trop de diplomatie tuerait la diplomatie ». Cette critique est sans aucun doute mieux fondée que la précédente. Elle ne me paraît pourtant pas davantage pertinente. Tout d'abord, il est clair pour chacun que la diplomatie parlementaire ne peut, ni ne doit, être une diplomatie parallèle, concurrente ou rivale de la diplomatie gouvernementale. Elle n'en a pas les moyens -ce qui est déjà une bonne raison-, ni d'information, ni d'action ; mais surtout elle s'exerce dans un domaine et avec des interlocuteurs qui relèvent d'une sphère différente. Poser le problème en termes de rivalité est donc tout simplement mal le poser. En revanche il est nécessaire de le poser en termes de complémentarité, mais je crois très franchement qu'il n'est pas utile de s'appesantir sur ce point, tant les choses sont évidentes : nul ne conçoit une diplomatie parlementaire autonome ou isolée. Il y a tout intérêt, et c'est d'ailleurs la pratique qu'instaurent les autorités de l'Exécutif (pratique qu'il faut saluer et encourager), à associer les parlementaires aux initiatives de la diplomatie gouvernementale. J'évoque ici, par exemple, l'invitation adressée aux présidents de groupes d'amitié de chaque assemblée à participer aux visites officielles à l'étranger du Président de la République ou du Premier ministre, ou encore la participation de délégations parlementaires à des réunions ou conférences internationales, comme à l'Assemblée générale de l'ONU, la Conférence de Kyoto sur l'environnement ou les réunions de l'OMC. On est parfois satisfait bien sûr que certaines dispositions soient reprises en écho par le parlement.

C - Troisième critique à réfuter : celle consistant à avancer que la diplomatie parlementaire est une diplomatie artificielle

Par artificielle, j'entends tout à la fois qu'elle serait sans consistance et sans fondement d'après certains.

Le fondement pourtant me paraît évident et il me semble même indispensable de le rappeler. C'est tout simplement celui de la légitimité démocratique. Je dois même dire que je suis frappé, par l'extraordinaire « demande de parlement » qui se manifeste actuellement, tant dans le domaine de l'organisation institutionnelle interne de pratiquement tous les Etats que dans la sphère internationale. C'est bien cette demande que vient d'ailleurs de prendre en compte le PNUD à la Conférence des PMA, en décidant que désormais, les programmes d'appui institutionnel devraient privilégier les parlements conformément d'ailleurs à la résolution adoptée par le Forum des Sénats du Monde que nous avions réuni à Paris, le 14 mars de l'année dernière. Oui, il y a une véritable demande de parlement parce qu'il y a une véritable demande de légitimité et que celle-ci, ce sont les parlements, issus du suffrage universel, qui l'incarnent. La demande ne concerne pas seulement l'ordre interne, elle se manifeste aussi dans l'ordre international. C'est le sujet que traitera cet après-midi la troisième table ronde : « la régulation internationale, une nouvelle frontière pour les parlements ? », de façon interrogative certes, mais nous savons bien d'ores et déjà que le mouvement est lancé et que nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion sur la légitimité de la régulation internationale, c'est-à-dire sur le rôle des parlements, expression légitime des peuples, dans cette régulation. C'est un sujet vaste et passionnant, éminemment complexe, que certains seraient peut-être tentés de résumer en la formule malicieuse « quelles utopies promouvoir ? » que je considère personnellement comme d'une actualité pressante. On comprend que, dans ce contexte, dénier tout fondement à la diplomatie parlementaire, c'est faire preuve d'une singulière méconnaissance des réalités et c'est faire fi des principes qui sont à la base même de nos sociétés démocratiques. Je disais tout à l'heure que la critique d'artificialité portait non seulement sur le fondement, mais aussi sur la consistance de la diplomatie parlementaire. Ce reproche, mes chers amis, est tout aussi infondé que les précédents, mais, plutôt que de réfuter par une démonstration abstraite, je vais m'attacher à le réfuter par une description concrète. Ceci nous permettra, au passage, de mieux cerner la notion et de dégager quelques enseignements.

2. - La diplomatie parlementaire existe

Qu'on le veuille ou non, qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, la diplomatie parlementaire existe, je l'ai rencontrée. Elle est pratiquée par tous les pays, avec une intensité et selon des modalités sans doute variables, et elle prend également une importance croissante à l'échelon international, par la multiplication des organismes interparlementaires. Ce phénomène -il faut le souligner- est la manifestation parlementaire d'un mouvement beaucoup plus ample d'internationalisation, de mondialisation, qui se traduit par la multiplication des acteurs sur la scène internationale : collectivités locales dans le cadre de la coopération décentralisée, ONG internationales, entreprises, etc..., multiplication d'organismes divers qui dessine une nouvelle réalité internationale parfois difficile à appréhender. S'agissant du parlement français et de la diplomatie parlementaire française, les débats à venir vont permettre d'aborder en détail les structures et les actions. Je vais limiter mon propos à quelques lignes de force.

A. - Les moyens des assemblées françaises

Un constat tout d'abord : pour conduire leurs actions internationales, les assemblées françaises disposent aujourd'hui d'une gamme relativement diversifiée et partiellement spécialisée de moyens. Outre, bien entendu, le rôle des Présidents et des Bureaux, il convient de citer les instances suivantes :

· les commissions des affaires étrangères

Leur rôle est essentiel dans le domaine du contrôle parlementaire de l'action diplomatique du Gouvernement, mais aussi bien sûr dans celui de l'information des assemblées et de l'action diplomatique par les nombreuses missions effectuées.

· les délégations parlementaires françaises

Elles jouent un rôle important au sein ou auprès de nombreuses institutions ou organisations internationales. Je pense aux délégations françaises à l'Union interparlementaire ou à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, de l'OSCE, de l'OTAN, ainsi qu'aux parlementaires appelés par le Gouvernement à assister aux débats de l'Assemblée générale de l'ONU.

· les délégations des deux assemblées pour l'Union européenne

Leur rôle est très original puisque nous sommes ici dans un mécanisme d'élaboration normative qui ne relève plus vraiment ni de l'international ni du national.

· les groupes d'amitié

L'évolution de leur rôle épouse celle des relations interparlementaires et témoigne de toutes les innovations qu'a connues ce domaine. Il ne s'agit pas d'offrir de façon très volontariste aux parlementaires de deux pays des occasions de se rencontrer pour tout simplement se connaître, mais -c'est du moins notre conception au Sénat- de faire de chaque groupe le vecteur privilégié des relations de toute nature avec un pays déterminé. Les idées de base sont en quelque sorte celles d'une décentralisation ou démultiplication de l'action internationale et celles d'une spécialisation de chaque acteur.

· les services des relations internationales

Parmi les structures administratives qui aident à la gestion et à la bonne marche de toutes ces structures politiques, les services des relations internationales ont un rôle tout à fait spécifique à jouer dans le domaine de la coopération technique interparlementaire. En fait, il s'agit d'ingénierie démocratique et même, pour être précis, d'ingénierie parlementaire qui doit être conduite par des praticiens de l'organisation et du fonctionnement parlementaires.

Cette rapide énumération permet de mesurer à quel point l'international est déjà sérieusement entré dans les préoccupations et le fonctionnement des assemblées françaises.

B. - Le Sénat et sa spécificité constitutionnelle

Vous me permettrez sans doute de compléter ce constat par deux observations concernant plus particulièrement le Sénat, et qui tiennent à sa spécificité constitutionnelle.

La première est que le Sénat de la République française a pour mission supplémentaire de représenter les Français établis hors de France. Douze sénateurs sont élus à cet effet et siègent en son sein. Il y a alors une sensibilité particulière pour tout ce qui concerne nos compatriotes expatriés et le contexte dans lequel ils vivent et agissent.

La seconde observation est que le Sénat a pour mission constitutionnelle de représenter les collectivités territoriales et que le mouvement de décentralisation, qui touche pratiquement tous les États du monde, les amène à se rapprocher du Sénat pour examiner les agencements institutionnels que cela entraîne. C'est ainsi que nous avons organisé l'an dernier le premier Forum des Sénats du Monde, que nous avons participé en février dernier au premier Forum des Sénats africains et du Monde arabe organisé à Nouakchott par le président du Sénat de Mauritanie, et que j'ai pris l'initiative de la création de l'Association des Sénats d'Europe qui tiendra sa première session, le 6 juin prochain, précisément sur le thème de la représentation des collectivités territoriales. En Europe, de nombreux départements et régions sont jumelés avec d'autres régions des pays d'Europe, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union européenne.

Il est temps de coordonner tout cela. Il n'est évidemment pas question de dresser ici le bilan de toutes ces initiatives, mais je crois utile d'en mentionner deux enseignements, qui sont deux pistes de recherche.

Le premier est que le bicamérisme est perçu comme une technique d'intégration sociale et politique, d'appropriation du modèle démocratique et de garantie du respect du principe de séparation des pouvoirs, et c'est pour cela qu'il est en pleine expansion dans le monde contemporain.

Le second est que le système français des collectivités locales et leur mode de représentation est compris comme un rempart contre les développements et les risques du communautarisme. C'est bien là une question d'une importance vitale pour de très nombreux États, tant d'ailleurs des États en construction qui doivent dépasser cette problématique, que des États déjà très développés, mais confrontés aux menaces de destruction que font peser les revendications communautaristes. Voilà en tout cas une illustration très concrète de notre action internationale, fondée sur notre spécificité institutionnelle et qui est, je crois, un complément heureux à l'action diplomatique du Gouvernement.

C. - L'expérience des parlements étrangers

Qu'en est-il à l'étranger et quels enseignements peut-on tirer des expériences des autres parlements ? Sans entrer là encore dans le détail, je crois que quatre observations présentent pour nous un intérêt particulier.

La première est que la notion de diplomatie parlementaire reste assez floue, sauf exception. On constate certes une présence marquée dans certains domaines, mais pratiquement nulle part l'utilisation combinée des différents vecteurs dont dispose le parlement français. Le Sénat américain, par exemple, dispose de pouvoirs importants dans le domaine du contrôle de l'action diplomatique du Président, mais pour le reste, il est absent, et les parlementaires américains, nous le savons, ne se déplacent pratiquement pas à l'étranger, ce qui est sans aucun doute un tort.

Deuxième observation : dans le secteur devenu hyper concurrentiel de la coopération juridique et plus spécifiquement encore de la coopération technique parlementaire, les pays étrangers sont capables de mobiliser des ressources considérables, très supérieures à celles que nos assemblées peuvent mobiliser. Soyons lucides : aucune comparaison n'est possible ici entre ce dont disposent les assemblées françaises et ce que les autres pays affectent aux programmes d'appui technique à des parlements étrangers.

Néanmoins -troisième observation- on constate dans ces pays une départementalisation de la coopération parlementaire. Celle-ci est en effet généralement confiée, soit aux organismes gouvernementaux chargés de la coopération, soit à des fondations politiques partisanes ou dans la mouvance universitaire. Ceci pose évidemment une question de fond puisqu'en réalité ce ne sont pas les assemblées qui interviennent, mais dans la quasi-totalité des cas, des enseignants, des consultants ou des fonctionnaires de l'État. Sans doute faut-il voir dans cette départementalisation de la coopération parlementaire, en même temps que le symbole implicite d'une certaine banalisation des parlements, l'une des raisons pour lesquelles les assemblées françaises sont autant sollicitées. D'une part, les parlements demandeurs préfèrent coopérer avec des parlementaires ou des fonctionnaires parlementaires, parce qu'ils se sentent mieux écoutés et parce qu'un parlement exprime une réalité politique et psychologique particulière. D'autre part, la vie et les procédures parlementaires, l'organisation et le fonctionnement des parlements sont des domaines très spécifiques qu'il est difficile de bien comprendre et connaître de l'extérieur. Bref, je crois que le parlement français bénéficie dans ce secteur d'un bonus de compétitivité, et nous devons évidemment nous en réjouir.

Enfin, et ce sera ma quatrième observation, il me semble que beaucoup de parlements étrangers accordent à leur participation aux organisations internationales, qu'il s'agisse d'organisations interparlementaires ou non, une importance plus grande que les assemblées françaises. Je crois qu'il y a là un phénomène auquel nous devons réfléchir : nous constatons en effet une tendance assez forte à la multiplication des rencontres parlementaires sur des sujets précis. Or c'est dans ces instances que les parlementaires français peuvent exposer les positions de la France. Il ne sert à rien de se lamenter si l'on ne participe pas...

Il y aurait beaucoup de choses à dire encore sur la diplomatie parlementaire ; sur le foisonnement des structures parlementaires internationales et leur étonnante absence auprès des institutions financières internationales ; sur le nombre impressionnant des ONG et l'incertitude qui pèse sur leur légitimité ; sur le rôle des parlements dans la résolution ou la prévention des conflits, etc.

Je ne traiterai pas de tous ces sujets qui feront l'objet des trois tables rondes de ce colloque. En guise de conclusion, je crois utile de formuler une ultime observation : si nos assemblées sont d'une certaine façon en pointe dans ce domaine de la diplomatie parlementaire, nous devons nous garder de deux tentations : la première est celle de l'éparpillement, de l'activisme ; et la seconde est celle de la centralisation et de la banalisation. C'est entre ces deux écueils que nous devons rationaliser nos activités autour de notions d'autonomie et de coordination, de façon à en préserver la souplesse et l'efficacité. Bref, après nous être adaptés avec, je crois, un certain succès à ce nouvel environnement international, nous devons tirer les conséquences internes et j'ai toute confiance, dans ce domaine en notre pleine réussite.

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