Actes du colloque : Tremplin Recherche - 2ème édition



Palais du Luxembourg - 21 février 2006

Table ronde n°3 : « Le rôle du capital risque dans la valorisation
de la recherche »

Modérateur :

Frédéric MASCRE , Avocat, Mascré Héguy Associés, Responsable de la commission valorisation de la recherche de l' AFIC

Participants :

Valérie GOMBARD , Directeur de participation, SPEF

Yvan-Michel EHKIRCH , Directeur d'investissement, I-source gestion

Jean-Claude LEVEQUE , Président, LC Capital

Geoffroy DUBUS , General Partner, Innovacom

Grégoire ALADJIDI , Directeur d'investissement, TechFund Europe

Frédéric MASCRE

Valérie, comment se décompose la chaîne du financement de l'innovation ?

Valérie GOMBARD

L'entrepreneur qui porte un projet doit faire un choix. Opter pour le financement d'un investisseur en capital nécessite de fixer un horizon de temps déterminer. En effet, l'investisseur doit obtenir un rendement et retrouver sa liquidité à un moment donné, soit grâce à une cession industrielle, soit, plus rarement, grâce à une introduction en bourse.

Il est ensuite possible de distinguer quatre phases. La première est celle d'amorçage du projet, durant laquelle, sur la base des résultats d'une recherche, il faut parvenir à un produit ou à un service industrialisable et commercialisable ; durant cette première période d'investissement, la société n'a pas de revenus, pas de clients mais développe son produit. Durant la deuxième phase interviennent les acteurs d' air listage , c'est-à-dire les investisseurs en capital qui investissent dans les sociétés qui sont au démarrage de la commercialisation du produit ; l'on parle aussi d'investisseurs de premier ou de second tour de financement. La troisième phase est celle des investisseurs dit de letter stage , qui interviennent dans les sociétés qui ont déjà déployé leur business model , qui engrangent quelques millions d'euros de chiffre d'affaires et qui se posent des questions d'expansion géographique ou de produit. Enfin, la dernière phase est celle de sortie, qui peut se faire par cession à un industriel ou par introduction sur les marchés de capitaux.

Frédéric MASCRE

Dans ces quatre phases, quels points peuvent être améliorés pour la valorisation de la recherche et des innovations ?

Valérie GOMBARD

Les difficultés se situent aux deux bouts de la chaîne. Il existe encore aujourd'hui trop peu de véhicules dédiés au financement des sociétés en phase d'amorçage. Des difficultés sont également rencontrées lors de la sortie ; pour un investisseur en capital, la facilité est de céder les sociétés à des industriels, qui sont dans 90 % des cas des entreprises américaines cotées au Nasdaq.

Concernant l'amorçage, des progrès très importants ont été effectués. Des initiatives très intéressantes ont été conduites à la fin des années 90 et au début des années 2000, permettant de rassembler des capitaux à la fois privés et publics pour constituer des fonds véritablement dédiés à l'amorçage : sectoriels (I-Source, T-Source dans les télécoms, Bioam dans les biotechnologies) ou régionaux (Sophia Euro Lab dans le Sud de la France, CapDecisif en Ile-de-France). La difficulté est que ces fonds ont investi la première vague des montants qui avaient été levés. L'amorçage est le métier le plus difficile car les entreprises ont besoin d'accompagnement et les équipes doivent être très expérimentées, durant cette période où le taux d'échec est le plus élevé. Cela est difficile à atteindre sachant que les montants investis sont relativement petits et que les ressources de la société de gestion sont limités. De plus, il faut environ 10 ans pour que l'entreprise atteigne la maturité, ce qui pose des problèmes de liquidité. Il faut donc poursuivre la réflexion pour que ces initiatives puissent être maintenues et que les fonds puissent se développer grâce à une deuxième ou troisième levée de capitaux.

Frédéric MASCRE

Quelle est la différence entre une sortie industrielle et une sortie en bourse ?

Valérie GOMBARD

Toutes les sociétés n'ont pas le profil pour pouvoir réaliser une sortie boursière. Il faut que l'activité et le modèle d'affaire soient facilement compréhensibles par le grand public et les investisseurs. De plus, les sociétés qui sont recherchées actuellement sont celles qui enregistrent de très fortes croissances, qui s'adressent donc à des marchés larges, et dont les business model sont rentables.

Inversement, la cession industrielle concerne des sociétés qui développent des produits techniquement complexes, s'adressant à une clientèle B to B, qui ont développé un produit ou un service extrêmement innovant, intervenant sur un marché aux barrières importantes à l'entrée et permettant à l'acquéreur de disposer d'un différentiel concurrentiel significatif.

En Europe, dans huit cas sur dix, la sortie s'effectue par cession industrielle. Cela s'explique par le fait que l'accès au marché des capitaux est difficile. De plus, plusieurs échecs ont été enregistrés pour le financement des sociétés innovantes (Eastdaq, Nouveau marché). Toutefois, de nouvelles initiatives voient le jour, comme la création d'Alternext l'année dernière, qui constitue un progrès important pour les sociétés petites et innovantes. Toutefois, le rapport est de 1 à 100 par rapport aux sociétés américaines qui peuvent se tourner vers le Nasdaq.

Frédéric MASCRE

Quels sont les points qui pourraient être améliorés durant les sorties, notamment pour créer un écosystème en France ?

Valérie GOMBARD

Nous devons tenter d'adopter une philosophie plus ambitieuse et tenter de pousser les sociétés qui peuvent croître de façon plus importante vers les marchés de capitaux. Même si l'on peut penser qu'il est plus facile d'obtenir la liquidité en cédant l'entreprise à des industriels américains, il apparaît que la démarche est intéressante pour le renouvellement des entreprises de technologie. Ainsi, Soitec, qui a moins de 15 ans d'existence, a « spiné » une petite société, Soizic, qui développe des logiciels de conception dans le domaine des semi-conducteurs ; Memscap, cotée sur Euronext, a « spiné » pour sa part la société Softmen, dans le secteur des logiciels. Si nous souhaitons renouveler le volant de sociétés, de richesse et d'entrepreneuriat, nous devons atteindre la taille critique sur les marchés de capitaux.

Frédéric MASCRE

Geoffroy, qu'est-ce que l'essaimage technologique ?

Geoffroy DUBUS

L'essaimage technologique désigne la création d'une entreprise nouvelle, par des individus qui bénéficient ou non de la complicité de leur employeur. L'entreprise créée est indépendante de la société d'origine, au plan juridique et financier. Il existe quatre types d'essaimage : spontané, industriel, social et technologique.

Le premier correspond au départ de salariés, indépendamment de toute politique d'essaimage organisée par le groupe d'origine. L'on estime à 57 % la part des créateurs d'entreprises qui sont des employés ou ex-employés récents. Le second répond à une volonté du groupe d'origine d'externaliser une partie de son activité, généralement pour des raisons de restructuration sectorielle. L'essaimage social, qui est dominant aujourd'hui en France, correspond à une volonté du groupe d'origine d'ajuster ses effectifs : l'on estime à 75 % la part des essaimages structurés entrant dans le cadre d'une gestion de sureffectifs. Le dernier type d'essaimage correspond à la création d'une activité innovante, à partir de technologies qui sont initiées et développées au sein d'un groupe d'origine, qu'il soit public, privé ou universitaire.

Frédéric MASCRE

Comment met-on en oeuvre l'essaimage technologique ?

Geoffroy DUBUS

Chaque entité ou groupe d'origine dispose de son organisation propre pour mettre en oeuvre l'essaimage et gérer le transfert technologique. Les modèles les plus aboutis font apparaître trois entités : valorisation, portage et financement. La première se charge du transfert de la technologie et de sa valorisation dans la société essaimée. La deuxième fournit des fonds à hauteur du prix du transfert technologique ou de la concession de la technologie, en échange d'une prise de participation dans l'entité essaimée. La troisième intervient pour financer l'activité de la société, lors de l'amorçage, qui est postérieur à l'incubation.

Concernant le transfert lui-même, la première modalité privilégiée pour les brevets est la concession de licences exclusives au groupe essaimée.

Frédéric MASCRE

Il s'agit de la voie qui offre le plus de sécurité.

Geoffroy DUBUS

En effet. En cas d'échec de l'essaimage, le groupe d'origine conserve la pleine propriété des brevets. Toutefois, ce n'est pas la solution idéale pour l'entreprise essaimée car des conflits peuvent intervenir avec le groupe d'origine, pouvant entraîner des contentieux. En revanche, l'entreprise essaimée dispose alors du soutien du groupe d'origine pour la défendre en cas de contentieux avec des tiers externes.

Frédéric MASCRE

Le groupe d'origine dispose alors d'un portefeuille de brevets, qu'il peut opposer en cas de négociations sur la technologie transférée à l'entreprise essaimée.

Geoffroy DUBUS

Soitec a pu bénéficier de l'appui du LETI et du CEA lors de son contentieux avec un acteur américain.

La deuxième modalité, privilégiée par Philips, Imec et France Télécom lorsque ces groupes considèrent qu'ils ne vont plus faire évoluer ou exploiter les brevets, est le transfert intégral de propriété pour les brevets. L'entreprise essaimée est alors totalement libre de faire évoluer la technologie et ne fait plus face à aucun obstacle durant la phase de valorisation.

Frédéric MASCRE

Quel est l'intérêt d'un essaimage technologique ?

Geoffroy DUBUS

De très grands succès internationaux sont issus de l'essaimage, comme Gemplus, Kelkoo, Ilog, Brodwing, Net Centrex, Soitec. De plus, lorsque le groupe d'origine essaime, il contribue à fertiliser le bassin d'emplois et à la création d'entreprises. On estime ainsi que les essaimages créent en moyenne cinq employés à trois ans, alors que la moyenne n'est que de trois employés pour les sociétés créées de toutes pièces. Cela favorise également le potentiel entrepreneurial et innovant au niveau économique.

Pour le groupe essaimant, l'intérêt est stratégique car celui-ci lui assure une meilleure gestion des brevets et de la propriété intellectuelle. Cela constitue pour lui une possibilité de se recentrer sur son coeur de métier. Au plan des ressources humaines, cela permet de faire évoluer la culture d'entreprise en privilégiant la prise de risque et l'entrepreneuriat. La démarche permet au groupe d'origine de séduire certains profils entrepreneuriaux, qui peuvent être très utiles ; elle peut aussi offrir un parcours professionnel motivant aux salariés.

Pour l'entreprise essaimée, on constate que le taux d'échec est plus faible que la moyenne des sociétés créées : 70 % à 80 % des essaimages sont des réussites à cinq ans, ce qui est nettement plus élevé que la moyenne nationale. Les barrières à l'entrée sont plus importantes, ce qui résulte de la richesse et du niveau des technologies qui sont concédées aux sociétés essaimées. En effet, ces dernières présentent un niveau de croissance et une rentabilité généralement plus élevés ; de fait, elles font l'objet d'une phase de maturation plus longue que les sociétés créées de toutes pièces.

Frédéric MASCRE

Yvan-Michel, comment fonctionne la collaboration entre les grandes entreprises et les PME innovantes ?

Yvan-Michel EHKIRCH

La raison de la collaboration entre les grandes entreprises et les PME innovantes est justement l'innovation. Nous vivons actuellement une expansion économique mondiale exceptionnelle, principalement grâce au déploiement des nouvelles technologies. La relation entre les PME et les grandes entreprises intéresse beaucoup de monde. En effet, 100 millions de personnes travaillent dans les PME au sein de l'Europe des 19, soit deux tiers de l'emploi privé. Parmi ces PME, de nombreuses entreprises sont de haute technologie dans notre région. L'innovation est un terme très apprécié. On parle de loi de l'économie pour l'innovation ; au mois de janvier, Jean Rognetta citait dans Les Echos le regard neuf de trois grandes entreprises informatiques sur ce qu'elles peuvent faire avec les jeunes entreprises (IBM, SAP, Microsoft).

Pourquoi les entreprises ont-elles besoin de collaborer ? Pour les petites entreprises, il s'agit d'une question de survie ; en effet, elles ont besoin d'appuis dans le domaine commercial et des affaires. Ces appuis peuvent être obtenus en collaborant avec de grandes entreprises qui sont globales, multiproduits et multiservices. Pour leur part, les grandes entreprises ne disposent pas d'un processus d'innovation rapide mais sont, au contraire, plutôt orientées sur les process accompagnant leurs lignes de produits. On constate donc une certaine stérilité, un cloisonnement, une lenteur, ainsi que la fuite de certains cerveaux qui conduit les grandes entreprises à devoir se ressourcer. De plus, pour des raisons liées au bilan, les grandes entreprises sont à la recherche de l'innovation ailleurs que chez elles ; en effet, il n'est pas possible d'augmenter de manière régulière et constante les coûts de la R&D, sous peine d'être pénalisé par les autorités de tutelle et de marché.

Frédéric MASCRE

L'unité de temps n'est donc pas la même pour une start-up et pour une grande entreprise. Quelles sont les étapes permettant la mise en place de la collaboration ?

Yvan-Michel EHKIRCH

Il faut que les deux partenaires soient lucides sur leurs métriques respectives. Une grande entreprise doit suivre le nombre de ressources, le personnel à disposition, le nombre de produits mis sur le marché, l'intensité de la R&D, les étages hiérarchiques, la présence internationale. Ces indicateurs ne sont absolument pas les mêmes que ceux d'une petite entreprise. De plus, le processus d'aboutissement à une collaboration nécessite de se connaître, de s'engager dans un processus commercial et de vivre en commun au sein d'un projet.

Frédéric MASCRE

L'innovation est-elle un frein ou un accélérateur à la collaboration ?

Yvan-Michel EHKIRCH

L'innovation est la conjonction d'une invention et d'un processus économique. Il s'agit également d'un phénomène de rupture, par exemple avec les processus d'une grande entreprise. L'innovation crée des ruptures chez ceux qui en sont à l'origine. Les freins existent donc. Parallèlement, l'innovation peut être un accélérateur en permettant à une grande entreprise d'aborder un nouveau marché ou de consolider un marché existant à l'aide d'une innovation produite ailleurs. En la matière, les mentalités commencent à changer dans les grandes entreprises, grâce à la mise en place d'équipes et de programmes dédiés à la collaboration avec les PME.

Ainsi, Microsoft poursuit une initiative mondiale par le biais du groupe Emerging business team, basé dans la Silicon Valley et dirigé par Daniel Lewin, ancien d'Apple et collègue de Steve Jobs à la grande époque. Dans ce cadre, Microsoft France aide les PME de technologie à se développer et à faire partie de programmes intégrant les technologies Microsoft. Pour sa part, SAP poursuit une initiative verticalisée par segment d'industrie : Industry Value Networks. Enfin, IBM dispose du programme Venture and Collaboration, qui permet d'ouvrir les 40 000 brevets d'IBM aux PME, afin d'exploiter des technologies provenant des laboratoires d'IBM depuis de nombreuses années.

Frédéric MASCRE

Quel est le rôle des investisseurs ?

Yvan-Michel EHKIRCH

L'investisseur est le lien entre le monde de l'innovation et le monde du marché ; il s'agit d'abord d'un financier, qui effectue un investissement personnel au sein de l'entreprise. De fait, l'accompagnement du projet d'une PME revient à être co-créateur de l'entreprise ; notre métier est un métier de proximité avec l'entrepreneur. Nous devons également avoir la capacité de placer immédiatement notre réseau au service de l'entrepreneur.

Frédéric MASCRE

Dans cet écosystème, nous n'avons pas encore parlé du corporate venture . De quoi s'agit-il et en quoi serait-il plus performant dans la mesure où il est proche de l'industrie ?

Jean-Claude LEVEQUE

Le corporate venture est un peu à part dans le monde du capital risque. Très longtemps, le nom de corporate venture a été appliqué à des fonds de capital risque qui étaient très proches, c'est-à-dire captifs ou semi-captifs, de groupes industriels. De fait, les capitaux gérés proviennent presque en totalité des grands groupes en question ; très souvent, les équipes de gestion en sont même directement issues ou placées sous leur tutelle. Dans ces conditions, on pourrait penser que ces acteurs peuvent plus facilement s'impliquer dans un process d'accompagnement de l'innovation et de la recherche pour le transformer en succès économique. En réalité, pour la France, la réponse doit être plus nuancée.

Les fonds de corporate venture ne sont plus très actifs aujourd'hui. Les allocations de capitaux effectuées par les groupes industriels à des fonds de capital risque sont passées de 800 millions d'euros en 2000 à moins de 150 millions d'euros en 2004. Des raisons plus qualitatives doivent conduire à nuancer la vision que l'on peut avoir du rôle de ces fonds. En effet, le positionnement de ces derniers ne rend pas nécessairement faciles les relations qu'ils peuvent avoir avec des projets très amonts, sortant par exemple de la recherche publique. Les relations entre les groupes industriels et les laboratoires sont fréquentes et importantes ; elles passent parfois par d'autres moyens que la prise de participation, comme les achats de licence ; en revanche, en matière d'essaimage, les fonds corporate venture ne sont pas très actifs.

Frédéric MASCRE

Dans quelle mesure ces fonds financent-ils des projets de recherche ?

Jean-Claude LEVEQUE

Ils financent les projets de recherche et les innovations qui sont issus des groupes dont ils sont proches. De plus, la complémentarité et la proximité existant avec les technologies issues des laboratoires peuvent intéresser un groupe qui assurera ainsi un bon développement commercial. Dans tous les cas, l'une des difficultés qui subsistent concerne les éventuels conflits d'intérêt, avérés ou perçus comme tels par les équipes et les laboratoires mais aussi par les autres acteurs du capital risque et du financement.

Frédéric MASCRE

Peut-on considérer que le corporate venture constitue une passerelle entre la recherche et le capital risque ?

Jean-Claude LEVEQUE

Je pense plutôt que c'est l'inverse. Ce sont les investisseurs en capital risque indépendants qui peuvent jouer ce rôle d'intermédiaire entre le monde de la recherche et de l'innovation et l'industrie. De faire, leur rôle n'est pas seulement d'apporter des capitaux mais aussi de guider l'entrepreneur ou le chercheur qui l'est devenu dans un monde complexe, en l'aidant à construire des relations avec des grands groupes. De fait, le succès et la valorisation d'une innovation au sein d'une structure créée à cet effet ne peut se faire qu'en s'appuyant sur l'environnement économique et les grands groupes industriels. A ce titre, l'investisseur en capital risque peut être une tierce partie de confiance entre les entrepreneurs, les chercheurs et les groupes industriels, en servant de traducteur des habitudes et des règles du jeu pour les uns et pour les autres.

Frédéric MASCRE

Comment les différences entre le capital risque et le corporate venture peuvent-elles s'expliquer ?

Jean-Claude LEVEQUE

La différence est que les fonds de corporate venture ont pour objectif d'investir uniquement dans les secteurs qui sont proches du domaine d'activité du groupe concerné ou de jouer un rôle de veille technologique. Ce sont des missions louables et respectables, qui ne sont toutefois pas nécessairement compatibles avec la recherche de l'optimum de valorisation d'un projet donné. De plus, lorsque le rôle est assumé pleinement, la tentation est d'insérer le schéma de développement de l'entreprise dans le schéma du groupe, ce qui n'offre pas la flexibilité nécessaire et ce qui suppose que l'entrepreneur parvienne à comprendre les règles de fonctionnement des groupes auxquels il se raccroche.

Frédéric MASCRE

Dans le domaine du capital risque, l'énergie peut-elle être considérée comme un nouveau champ d'activité ?

Grégoire ALADJIDI

Oui. L'énergie peut constituer un bon domaine pour le capital risque, c'est-à-dire une bonne illustration du rôle que ce dernier peut jouer en matière de valorisation de la recherche et de l'innovation. Actuellement, le niveau des émissions de gaz à effet de serre, les réserves fossiles et la sécurité des approvisionnements, la demande croissante en énergie, l'ouverture des marchés à la concurrence, la privatisation des acteurs, la concurrence accrue entre les acteurs sont autant de problématiques qui poussent l'ensemble de la chaîne de l'énergie à remettre l'innovation au goût du jour.

Ainsi, les énergies renouvelables sont considérées comme une nouvelle source d'énergie primaire ; de même, l'on constate que la production au plus près du consommateur a quelques vertus en termes d'économies d'énergie ; l'objectif est aussi de mieux consommer l'énergie ; le domaine des transports alternatifs est également un champ d'innovation majeur. Dans ce cadre, il apparaît que la machine américaine entrepreneuriale d'innovation s'est installée dans le domaine de l'énergie.

Plus de 800 millions de dollars ont été investis en 2005 dans le domaine de l'énergie par les capitaux risqueurs américains, contre 1,5 milliard pour les clean tech de traitement ou de prévention des risques. Cela représente un peu moins de 10 % des montants globaux investis par les capitaux risqueurs américains dans les clean tech , domaine qui enregistre la plus forte croissance actuellement aux Etats-Unis (multiplication par deux au cours des trois dernières années ; les fusions acquisitions n'ont jamais été aussi nombreuses dans le secteur des technologies liées à l'énergie ; une trentaine d'introductions en bourse ont eu lieu l'an dernier sur le Nasdaq et en Europe, sur l'AIM ou à Francfort).

Frédéric MASCRE

Peut-on considérer qu'il existe aujourd'hui dans l'énergie un véritable écosystème, comme celui qui existe pour le logiciel ou les semi-conducteurs ?

Grégoire ALADJIDI

Clean Tech Venture Network - association américaine qui regroupe les fonds de pension, les fonds de fonds, les investisseurs en capital risque et les industriels - réunit deux ou trois fois par an plus de 500 personnes sur ces thématiques. Plus de 100 fonds investissent dans le domaine des clean tech aux Etats-Unis. Les industriels investissent également massivement : ainsi, General Electric lance des programmes assez ambitieux dans le secteur des technologies propres. L'écosystème américain est donc en place.

En Europe, l'apparition a pris plus de temps. Il existe des pôles de compétences et de compétitivité, notamment en Allemagne, dans le domaine du photovoltaïque à Fribourg, de la pile à combustible à Munich, de la cogénération et de la production décentralisée à Berlin. En France, deux pôles de compétitivité ont été labellisés et regroupent des industriels, des centres de recherche et des investisseurs.

Pour leur part, les grands groupes français du domaine sont également très présents dans le secteur de l'innovation. EDF, qui est historiquement un investisseur des fonds de capital risque, poursuit sa démarche par le biais d'EDF Business Innovation, dont la vocation est de développer des innovations liées aux métiers du groupe. Gaz de France investit également dans le capital risque ; Schneider Electric dispose de son propre fonds de corporate venture .

Frédéric MASCRE

Quel est le rôle des pouvoirs publics dans la construction de cet écosystème ?

Grégoire ALADJIDI

Les pouvoirs publics ont un rôle clé car les clean tech et les technologies liées à l'énergie ont des spécificités par rapport aux autres grands domaines investis par les capitaux risqueurs. Il s'agit en effet de sciences dures, pour lesquelles les validations techniques sont très longues. De plus, les marchés sont émergents et le challenge est donc d'identifier les niches de marché qui vont permettre de vendre au bon prix, le plus vite possible. Enfin, les problématiques industrielles sont lourdes et nécessitent des investissements importants, ce qui pose des problèmes de cofinancement, de co-développement, de business model .

En Allemagne, la définition des tarifs de rachat dans le domaine de l'énergie photovoltaïque, à 55 centimes d'euro le kWh, contre 24 centimes en France, a permis de créer une filière industrielle et plus de 50 000 emplois, ainsi que les entreprises qui seront les leaders de demain (Q-Cells, Conergy).

De même, l'administration Bush a lancé un grand programme en faveur de la pile à combustible. Des crédits d'impôts Recherche sont accordés pour favoriser l'utilisation des piles à combustible, dont le marché américain est actuellement de plus d'un milliard de dollars, pour des prévisions de 15 milliards à l'horizon 2010. De fait, les leaders des composants sont des sociétés américaines cotées en bourse et valant plus de 500 millions de dollars, financées par du capital risque à l'origine.

Frédéric MASCRE

En matière de valorisation de la recherche, toute la difficulté est de rendre le projet éligible au capital risque. N'avons-nous pas en France un problème de pré-valorisation des projets de recherche ?

Yvan-Michel EHKIRCH

Un projet n'est pas uniquement un produit ou une idée ; il s'agit surtout d'une équipe. Cette dernière doit être capable de démarrer le projet. Ensuite, tout dépend des moyens du capital risqueur.

Geoffroy DUBUS

Je pense que le point clé dans l'innovation en France est lié au financement de la preuve de concept. Cette phase peut être traitée par les fonds privés, lorsque l'économie est très porteuse, c'est-à-dire dans des configurations où, à l'issue du financement de l'incubation, la valeur de la société augmente. On entre alors dans un cercle vertueux, avec une création de valeur à chaque étape. L'intervenant privé qui permet de financer la société lors de l'incubation est donc gagnant. En effet, nos critères sont essentiellement basés sur la plus-value. Lorsque l'économie n'est plus porteuse, notamment après les explosions de bulles, le financement très earlistage est difficile. Pour créer une dynamique positive, quel que soit le climat économique, les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer ; une coordination entre les financements privés et publics est nécessaire.

Valérie GOMBARD

Je ne pense pas que nous connaissions de problème de pré-valorisation de la recherche. La plupart des centres de recherches se sont dotés de structures de transfert au cours des cinq ou six dernières années ; ils ont également tenté de trouver des partenaires : ainsi, Natexis vient de devenir partenaire de l'INSERM pour son projet INSERM Transfert. Les problèmes concernent plutôt la partie Financement ; ils portent davantage sur la composition des équipes que sur la technologie.

Jean-Claude LEVEQUE

J'adhère à ce qui vient d'être dit. Dès lors de la décision est prise de créer un projet économique à partir d'une innovation issue de travaux de recherche et de développement, la phase de valorisation a déjà commencé. A ce stade, il se pose moins de problèmes qu'auparavant ; des solutions existent pour financer, notamment par le biais d'incubateurs actifs, qui sont associés à des moyens de financement ad hoc , dont certains sont proches des laboratoires de recherche (le CNRS en Ile-de-France). Le raisonnement est différent si l'on pose que la pré-valorisation revient à financer des travaux qui ne sont qu'au stade de la recherche ; je pense que ce n'est pas le rôle des fonds de capital risque.

Grégoire ALADJIDI

Il se pose un véritable problème à ce niveau. Soitec a été fondée au début des années 90, pour exploser commercialement à la fin des années 90 ; les travaux au CEA avaient pourtant été lancés au début des années 80. Globalement, une technologie lourde nécessite 10 à 15 ans de recherche. Dans ce domaine, les fonds de capital risque ont un rôle à jouer, notamment pour inciter les dirigeants à aller sur le marché, à segmenter leur offre et à déterminer ce qu'ils souhaitent faire de leur innovation. Toutefois, le développement d'une innovation de rupture nécessite beaucoup de temps, ce qui impose aux pouvoirs publics de se poser la question de l'accompagnement des innovations en question.

Guy LABRUNIE, CEA Valorisation

Je souhaitais préciser que Soizic n'était pas un spin-off de Soitec mais une société créée par deux chercheurs du CEA. Par ailleurs, en tant qu'investisseurs d'amorçage, nous sommes évidemment frappés par la difficulté que nous rencontrons à faire notre métier. Par le passé, les participations des investisseurs d'amorçage étaient rachetées par les investisseurs entrants ; je souhaiterais connaître l'opinion du panel sur cette possibilité, qui reste intéressante.

Valérie GOMBARD

Je partage votre avis : le principal problème pour les fonds d'amorçage est de trouver une sortie avant la sortie naturelle de l'entreprise, dont l'horizon est beaucoup trop éloigné. Nous sortons d'une crise très difficile dans les technologies de l'information et la réaction des investisseurs en capital risque a été de permettre aux sociétés de se restructurer ou de se redéployer vers d'autres marchés. Aujourd'hui, il faut éviter les tabous. Si le réflexe du capital risqueur est d'injecter l'argent dans l'entreprise, il faut aussi tenir compte des fonds d'amorçage qui conduisent les projets à maturité. Lorsque le cas se présente, nous ne rejetons pas les démarches de money out , c'est-à-dire de sortie des investisseurs historiques.

Frédéric MASCRE

Je pense que la question posée mérite un véritable débat général.

René PASCAL, administrateur de France Angels

Les business angels font face à la même problématique de sortie et de valorisation en amont. Une évolution est-elle constatée en matière d'éventuels co-investissements, entre des sociétés de capital risque et des investisseurs individuels ?

Yvan-Michel EHKIRCH

Un nombre important de nos sociétés dispose de business angels en tant qu'actionnaires, qu'ils soient apparus avant nous ou au même moment. Toutefois, la problématique est celle du nombre. Personnellement, je ne suis pas favorable à une multiplication des actionnaires au départ car l'entreprise est faite de rapprochements dans les premiers temps, d'actions resserrées et de vie collaborative ; il ne faut donc pas que les intervenants soient trop nombreux.

Frédéric MASCRE

Je vous remercie.

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