Actes du colloque : Tremplin Recherche - 2ème édition



Palais du Luxembourg - 21 février 2006

Témoignages et expériences vécues

Animateurs :

Philippe ADNOT , sénateur de l'Aube, Président du Conseil général

Virginie ROBERT , Chef du service « Les Echos Innovation » des Echos

Participants :

Pascal ZUNINO , Jean-Claude SABONNADIERE , INP Grenoble

Hany MOUSTAPHA , Directeur des programmes de technologie, Pratt & Whitney, Canada

Olivier COHEN , Professeur à l'Université Joseph Fournier, HC Forum, France

Gérard EUDE , Directeur délégué de la recherche, France Télécom R&D

Philippe ADNOT, sénateur et Président du Conseil général de l'Aube

Le sénateur Valade a présidé la commission transversale qui a étudié le projet de loi sur la recherche. Il vous en parlera et, si vous le désirez, en débattra avec vous.

Jacques VALADE, Président de la commission des affaires culturelles du Sénat,
Président de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi
de programme pour la recherche

Merci de me donner la parole ! Je suis très heureux de vous retrouver pour poursuivre nos échanges dans le cadre de cette nouvelle édition de Tremplin recherche. Avant que les intervenants prévus ne nous fassent part de leurs expériences, je souhaite évoquer, à la suite de François Goulard, le Ministre de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, le nouveau contexte dans lequel la recherche française se développera désormais.

J'ai eu l'honneur de présider la commission spéciale chargée d'examiner ce projet de loi. Ce texte a été présenté par le Ministre, discuté par la commission spéciale, amendé puis passé en séance publique à la fin de l'année 2005. Nous espérons que l'Assemblée Nationale trouvera rapidement un créneau pour en discuter et l'adopter.

1. L'élaboration du projet de loi

Ce projet de loi a été confié à une commission spéciale, et non à une commission compétente comme c'est généralement le cas, car il intéressait fortement les commissions des finances, des affaires économiques et des affaires culturelles. Une commission spéciale, regroupant des membres de ces trois commissions, a donc été créée. Elle est le reflet de la démographie politique. Un membre de la commission des affaires étrangères et de la défense l'a notamment rejointe car la défense investit fortement dans la recherche militaire.

La recherche constitue un défi majeur pour notre pays, son avenir, sa compétitivité et son positionnement sur la scène internationale. Une nation moderne ne peut en effet fonder son avenir que sur la recherche et ses résultats. Le Sénat a donc abordé le projet de loi en suivant les impératifs évoqués par le Ministre François Goulard : excellence, compétitivité nationale et internationale, moyens et structures.

Le Gouvernement a répondu au souhait exprimé par le Président de la République de faire du développement scientifique une priorité. Une rénovation ambitieuse du système national de recherche et d'innovation a donc été engagée, en étroite collaboration avec tous les acteurs concernés. Toutes les parties prenantes du monde de la recherche, notamment de la recherche industrielle, ont été auditionnées.

2. Un effort financier considérable

Ce pacte pour la recherche s'est traduit par un effort financier sans précédent. Une loi de programmation prévoit l'investissement de 24 milliards d'euros d'ici 2010. Le projet de loi d'orientation, que le Sénat a adopté à la fin du mois de décembre 2005, réforme en profondeur notre système de recherche. Dans le contexte actuel de stabilisation des dépenses publiques, cet effort financier est particulièrement significatif. Il vise à respecter l'objectif défini à Lisbonne en mars 2000, qui prévoit de porter les dépenses de recherche de chaque Etat membre à 3 % du PIB d'ici 2010. Cet objectif étant fixé, les moyens sont budgétisés pour l'atteindre. En raison de l'annualité budgétaire, nous resterons attentifs chaque année au versement des sommes promises. En 2006, le Gouvernement a d'ores et déjà tenu ses engagements.

3. Le partenariat entre recherche publique et privée

Cet effort financier ne suffira toutefois pas. Tous les acteurs doivent s'impliquer. La France ne pourra en effet combler son retard que si les industriels investissent beaucoup plus fortement. Le projet de loi prévoit donc diverses structures qui encourageront le secteur privé à investir dans la recherche. De même, le Gouvernement est intervenu pour inciter la recherche à se mobiliser autour de ses priorités en se dotant d'un nouveau dispositif de financement par projet, ceci avec la création de deux agences de moyens : l'Agence nationale pour la recherche (ANR) et l'Agence pour l'innovation industrielle (AII).

En 2005, l'ANR a retenu 1 400 projets qui ont bénéficié à 3 700 laboratoires publics et 800 laboratoires privés. Ces derniers ont reçu dans ce cadre 540 millions d'euros. L'AII devrait soutenir l'entrée des entreprises françaises sur des marchés innovants et, donc, à risques. Grâce à ces deux agences, la France renforcera ses liens scientifiques avec ses partenaires européens.

Par ailleurs, les pôles de compétitivité, définis durant le second semestre 2005, donnent un nouvel élan à la recherche sur l'ensemble du territoire. 67 pôles ont déjà été labellisés. Ils devraient bénéficier de 1,5 milliard d'euros sur 3 ans. Leur mise en place a suscité l'enthousiasme des acteurs publics et privés et les a ainsi fortement mobilisés.

Le projet de loi encourage donc les relations contractuelles entre les établissements publics et les structures privées. Or les encouragements à la recherche privée devraient contribuer à dynamiser la recherche nationale.

Les grands organismes de recherche bénéficieront également de moyens accrus puisqu'ils obtiendront 164 millions d'euros de crédits supplémentaires et que 1 000 des 3 000 postes créés pour l'ensemble de la recherche leur seront destinés.

4. Renforcer le pilotage et l'évaluation de la recherche

Le projet de loi renforce également le pilotage de la recherche avec la création d'un Haut conseil de la science et de la technologie. Composé de personnalités de haut niveau, ce Haut conseil regroupera l'ensemble des acteurs concernés, du prix Nobel au chercheur de laboratoire. Placés auprès du Président de la République, ses membres définiront les priorités nationales et éclaireront les décisions du Gouvernement dans le domaine de la recherche.

Le texte met, par ailleurs, l'accent sur l'évaluation globale de la recherche, évaluation qui était jusqu'à présent disparate et hétérogène, tant par ses acteurs que par ses méthodes. Chaque organisme possède en effet son propre système d'évaluation. Les projets ne sont, en outre, presque jamais évalués a posteriori . Or au Royaume Uni, en Finlande, au Japon et en Suisse, l'évaluation de la qualité des projets de recherche conditionne en partie l'affectation des crédits publics. Le Sénat a donc approuvé la création de l'Agence d'évaluation de la recherche (AER), qui permettra une évaluation de qualité, systématique et transparente car s'appuyant sur des critères connus de tous, et suivie d'effets. Les systèmes performants et utiles, qui se développent actuellement, ne seront pas abandonnés. Une norme de référence sera créée, par rapport à laquelle chacun pourra se positionner.

5. De nouvelles structures de coopération

Les acteurs de la recherche seront regroupés dans de nouvelles structures de coopération car les différents classements internationaux révèlent deux faiblesses :

· les universitaires français sont trop petits pour être visibles au niveau international et attirer les meilleurs enseignants, chercheurs et étudiants ;

· les acteurs travaillent de manière trop dispersée sur les grandes thématiques de recherche, notamment d'avenir.

Le Gouvernement a donc adopté deux mesures complémentaires :

· encourager la création des Pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) ;

· concevoir les Réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA).

Répondant à une logique de site, les PRES regrouperont les acteurs travaillant sur un même territoire pour renforcer l'efficacité de leur action et accroître leur visibilité internationale. Ils permettront aux grandes écoles, aux universités, aux centres de recherche publics et aux entreprises de collaborer. Les RTRA, quant à eux, mettent l'accent sur la recherche thématique. Les chercheurs se regrouperont, où qu'ils soient, souvent de manière virtuelle, pour étudier un grand thème de recherche capital pour la recherche internationale, notamment européenne. La réforme s'appuie d'abord sur la force des initiatives locales. Reposant sur le volontariat, elle devrait remporter un plein succès. La loi fournira des outils et des cadres souples favorisant les regroupements.

Le projet de loi compense également l'une des faiblesses du système universitaire français. L'enseignement supérieur n'occupe pas dans notre pays la place qui devrait être la sienne en matière de recherche. De plus, il ne peut être de qualité qu'en s'appuyant en parallèle sur une recherche de haut niveau. En France, la recherche s'est construite différemment du modèle anglo-saxon, qui a fait ses preuves. Les grands organismes spécialisés ; comme le CNRS, l'INSERM ou l'INRA ; assurent les activités de recherche spécifiques. L'université, quant à elle, exerce surtout une mission d'enseignement, que la massification de l'enseignement public et l'absence de sélection à l'entrée des facultés ont rendue plus nécessaire encore. Le projet de loi opèrera un rééquilibrage, en accroissant l'autonomie des universités et en faisant évoluer leur système de gestion actuel. La création des PRES et des RTRA constitue une première avancée dans ce domaine. Leurs résultats devraient permettre d'envisager une nouvelle gouvernance des universités françaises.

Ce projet pour la recherche se construit par étapes. Certaines mesures ont déjà été adoptées. D'autres le seront, pour accroître l'attractivité de notre territoire, aider nos jeunes chercheurs à rester ou à revenir en France et attirer les chercheurs étrangers. La mobilisation de tous les acteurs, qui est nécessaire à la réforme, se manifeste d'ailleurs déjà sur le terrain. Les participants français de la table ronde le montreront.

Philippe ADNOT

Merci ! Quelqu'un souhaite-t-il poser une question au sénateur Valade ?

De la salle

Nous ne pouvons que nous féliciter de ce texte de loi. L'avenir m'inquiète toutefois. Ce matin, lors d'une table ronde, un participant a déclaré que de nombreuses sociétés de technologie étant rachetées par les Américains, nous n'avions pas la capacité d'être les meilleurs dans le domaine des nouvelles technologies. Qu'en pensez-vous ? Comment pouvez-vous y remédier ?

Jacques VALADE

En tant que législateurs et responsables politiques, nous pouvons agir en valorisant les découvertes, en rendant possible le développement du fruit des recherches des chercheurs, au niveau de leurs propres entreprises, de plusieurs entreprises, ou même en utilisant les dispositifs universitaires qui se développent.

L'Etat et le monde français de l'entreprise doivent par ailleurs réagir convenablement. Des pans entiers de la recherche, comme l'imagerie médicale, ont été abandonnés alors que les Français y excellaient, et ce pour des raisons politiques et industrielles. Les dispositifs existent, un état d'esprit doit les accompagner. Nous pourrons ainsi faire face au niveau national et européen aux difficultés que vous venez d'évoquer.

De la salle

L'accumulation de structures, comme les pôles de compétitivité, les PRES ou les RTRA, ne risque-t-elle pas de recouvrir les structures et les territoires existants ? Par ailleurs, François Goulard a affirmé que la majorité des financements irait aux pôles mondiaux à vocation mondiale. Les 67 pôles de compétitivité ne poseront-ils alors pas problème en termes de répartition des moyens ?

Vous avez également déclaré qu'environ 50 % des 3 000 postes créés le seraient dans ces nouvelles structures. Dans ces conditions, qu'adviendra-t-il des chercheurs qui n'en feront pas partie ?

De la salle

67 pôles ont été créés en France, contre 5 ou 8 aux Etats-Unis. Une réflexion plus approfondie n'aurait-elle pas été nécessaire, les pôles se situant à l'articulation entre la demande d'un territoire et les besoins de la recherche ? Ne faudrait-il pas instaurer une dynamique du type MIT en France ?

Jacques VALADE

Lors de notre réflexion sur les pôles de compétitivité, nous avons hésité sur le nombre de ces pôles qui devaient voir le jour : nous avons songé à en créer 10 comme 60. En outre, l'aménagement du territoire est politique et répond à un souci d'homogénéité. Nous avons donc retenu 67 pôles. Parmi eux, figure au Sud-Ouest le pôle aéronautique (Airbus/Dassault), aérospatiale (EADS) et systèmes embarqués, qui regroupe Midi-Pyrénées et l'Aquitaine.

Ces pôles ne sont pas incohérents avec les pôles de recherche universitaire car ils faciliteront la communication entre unités académiques, que la sectorisation de l'enseignement supérieur en 1968 a rendue difficile. L'Institut politique de Bordeaux a adhéré au PRES de sa ville car il a pris conscience qu'il est nécessaire de se regrouper pour agir.

Par ailleurs, la recherche thématique, comme la recherche contre le cancer, ne doit pas être centrée sur un lieu géographique. De nombreux instituts existent partout en France, qui méritent d'être fédérés, grâce entre autres aux liaisons immatérielles.

Si l'attribution des crédits se fonde sur la compétition et l'évaluation des projets et des résultats, elle devrait bénéficier aux chercheurs français. Une véritable émulation doit exister pour que le meilleur gagne.

Philippe ADNOT

Merci Jacques !

Nous allons à présent engager notre dernière série d'échanges. Virginie Robert animera la table ronde à mes côtés. Journaliste aux Echos , elle est spécialiste de l'innovation et est dotée d'une forte sensibilité internationale. Je laisse tout d'abord la parole à Gérard Eude, qui représente France Télécom.

Gérard EUDE, Directeur délégué de la recherche chez France Télécom R&D

L'activité recherche et développement (R&D) de France Télécom a une longue histoire. Elle découle du Centre national d'études en télécommunications (CNET), créé en 1945 et dont les travaux ont en partie permis la naissance du numérique. Compagnie historique de télécommunications aujourd'hui soumise à la concurrence, France Télécom met l'accent sur la recherche et l'innovation.

En interne, elle regroupe sur ses différents sites 260 doctorants en CDD de formation avec des salaires d'entrée équivalents à ceux des ingénieurs débutants. Ces doctorants font intégralement partie de l'entreprise, ce qui est rare, et sont fortement intégrés aux activités de recherche. La R&D regroupe trois phases : la recherche en amont, l'anticipation et l'innovation, ainsi que le développement. Le travail des doctorants est essentiel pour la première et la deuxième phase dans la mesure où ceux-ci sont jeunes et riches d'idées. Ils contribuent ainsi à la création de valeur et de propriété intellectuelle de l'Entreprise, sans que leur formation soit négligée. France Télécom tient en effet à ce que tous ses doctorants internes qui ont accumulé des compétences puissent les valoriser en passant des thèses ou des habilitations à diriger des recherches.

Les doctorants sont accompagnés par des universitaires sous contrat. Nous finançons à hauteur de 30 millions d'euros les travaux d'environ 300 doctorants externes pour qu'ils contribuent à nos programmes de recherche. L'innovation et la recherche sont donc essentielles pour assurer l'avenir d'une compagnie comme la nôtre, dans un contexte concurrentiel.

Virginie ROBERT, Chef du service « Les Echos Innovation » des Echos

Pouvez-vous nous indiquer le nombre de brevets de R&D déposés chaque année par votre entreprise ? La valorisation de la recherche s'effectuant in house mais s'externalisant également, combien de sociétés sont-elles créées à partir de France Télécom R&D ?

Gérard EUDE

Cette question est fort complexe car les entreprises mènent des politiques très diverses, notamment dans le temps. Ainsi, EHP a fortement investi dans un centre de recherche puis a cessé de le financer, car l'objectif d'une entreprise est d'abord de faire de la recherche pour son propre développement interne.

J'ai certes déposé des brevets sur la télévision numérique, grâce auxquels mon entreprise touche des royalties , et c'est essentiel. L'objectif du chercheur reste néanmoins d'innover pour l'entreprise elle-même, de lui conférer des avantages compétitifs au niveau international.

Virginie ROBERT

C'est exact. Pourtant les 3 000 brevets qu'IBM dépose chaque année dégagent des bénéfices.

Gérard EUDE

France Télécom détient également environ 4 000 brevets. Son ancien dirigeant, Thierry Breton, connaissait bien la thématique de la propriété intellectuelle. Nous déposons chaque année environ un brevet par chercheur, soit près de 600 au total, et presque un brevet par doctorant et année de thèse. Nous exploitons donc la source de valorisation que constituent les brevets. Nous sensibilisons également les doctorants à l'importance de la protection intellectuelle, qui est créatrice de valeur.

La question de l'essaimage des technologies dépend, cependant, des moments et des politiques. Nous ne lançons jamais de projet de recherche en sachant qu'il ne servira pas au groupe et en prévoyant de l'externaliser. Il nous arrive en revanche de nous apercevoir que des activités de recherche déjà engagées ne seront finalement pas utiles à l'entreprise. Nous les externalisons alors, car des compétences ont été investies. Nous avons notamment créé des start-up autour du format MPEG4, de la télévision numérique, de la reconnaissance de la parole et de la fibre optique.

La recherche doit néanmoins accroître notre compétitivité internationale, et donc créer des emplois et de la richesse. Telle est l'orientation principale de notre politique de R&D.

Virginie ROBERT

Vous avez évoqué le chiffre de 30 millions d'euros de contrats par an avec les universités. Cherchez-vous à développer cette relation avec le monde universitaire ou préférez-vous travailler de manière isolée ?

Gérard EUDE

Il est pour nous hors de question d'effectuer de la recherche, notamment de la recherche avancée, de manière isolée. Il est aujourd'hui nécessaire d'atteindre l'excellence internationale et donc de travailler avec les meilleurs pour bénéficier de leurs avancées. Nous passons donc des contrats en France, mais aussi à l'international dans un quart des cas, en particulier avec les Etats-Unis, la Chine, l'Angleterre et l'Europe.

Le groupe France Télécom partage tout à fait la stratégie de Lisbonne, notamment l'objectif visant à porter à 3 % du PIB les efforts consacrés à la recherche d'ici 2010. Or cet objectif ne peut être atteint que si les synergies entre recherche publique et privée sont favorisées. De son côté, la recherche publique a pour but principal la connaissance. Elle peut nous apporter un certain nombre de résultats nous permettant de progresser. Il est donc dans notre intérêt d'être attentifs à ses activités. La recherche publique a tout autant intérêt à disposer d'un terreau applicatif, grâce auquel elle puisse éventuellement reconsidérer ses objectifs de recherche.

Travailler avec les meilleurs laboratoires académiques est également intéressant du point de vue du recrutement car ils nous fourniront en retour les meilleurs doctorants, post-doctorats et ingénieurs.

Notre volonté de conjuguer notre travail de recherche avec celui des laboratoires académiques est donc très forte, en France (75 % du budget de R&D) mais aussi à l'international.

De la salle

Comment France Télécom gère-t-elle la propriété intellectuelle pour les chercheurs qui travaillent dans des laboratoires universitaires ?

Gérard EUDE

La gestion de la propriété intellectuelle dans le cadre de contrats de recherche avec des laboratoires, notamment avec le CNRS, est une question délicate. Nous avons donc signé, avec l'INRA, le CNRS, Supélec et les écoles du GET, des contrats-cadres qui nous permettent d'être soit totalement propriétaires, soit co-propriétaires des résultats des recherches, selon le mode de financement que nous adoptons. Cet accord-cadre prend en compte l'intérêt du monde académique et le nôtre.

De la salle

J'ai entendu parler du lancement de jeux vidéo multimédias massivement parallèles au sein de votre entreprise. Les sommes en jeu sont considérables, tant pour France Télécom en termes de plus-value, que pour la société française en termes d'impôts. Ce projet a-t-il toujours cours ?

Gérard EUDE

Des activités de recherche portent effectivement sur les jeux vidéos, mais j'ignore quels produits vont paraître. Je ne puis vous répondre car ce domaine n'est pas ma spécialité, contrairement à la vidéo, la télévision numérique, la parole et le multimédia (hors jeux vidéo).

Les pôles de compétitivité constituent par ailleurs un enjeu important pour France Télécom, qui en a rejoint un grand nombre. Ces pôles nationaux ne doivent néanmoins pas prendre le pas sur la coopération internationale. Il est essentiel d'établir un lien avec les clusters européens, voire internationaux.

Virginie ROBERT

Merci infiniment ! Je n'ai pas encore présenté nos intervenants. Ce sont des industriels, comme Monsieur Eude ou Monsieur Moustapha, qui représente l'entreprise canadienne Pratt & Whitney, mais aussi des entrepreneurs, comme Monsieur Cohen, professeur d'université qui a créé sa propre entreprise, ou Pascal Zunino qui a fabriqué un drone en étroite collaboration avec l'INP de Grenoble. La parole est à présent à Jean-Claude Sabonnadière, conseiller du président de cet Institut.

Jean-Claude SABONNADIERE, INP Grenoble

Bonjour. La recherche est fortement partenariale à Grenoble car cette agglomération de 400 000 habitants possède un environnement exceptionnel, un passé et un présent industriel important ainsi qu'un bassin technologique excellent avec de nombreux investissements dans le domaine de la R&D. Depuis 5 ou 6 ans, un incubateur très performant a donné naissance à de nombreux projets. Une cinquantaine des sociétés qui y ont incubé leurs projets, se sont installées dans la région. Sous l'impulsion du Ministère de la Recherche, cinq grands organismes de recherche et universités du bassin grenoblois se sont par ailleurs unis pour mutualiser la valorisation de la recherche.

Grenoble participe également à deux pôles de compétitivité, Minalogic (ou micro nanotechnologies et logiciels), qui est mondial, et Enerrdis, qui arrive en tête des pôles de compétitivité.

L'INP regroupe 5 000 étudiants et 600 doctorants. Il accueille environ 170 thèses et diplôme 1 100 ingénieurs par an. La pédagogie de l'Institut est centrée sur la créativité des élèves. Depuis 7 ou 8 ans, les étudiants de seconde année qui le désirent sont sensibilisés à la création d'entreprise. 150 élèves élaborent chaque année des projets de création d'entreprise. La vie associative est en outre très développée à l'INP, avec plus de 35 associations d'étudiants dans des domaines très variés. Les élèves sont donc incités dès la première année à mener des projets personnels et collectifs qui leur apprennent à se manager et à travailler ensemble.

L'Institut valorise également la recherche. Une filiale lui est intégrée et il dégage 11,3 millions d'euros de CA par an. Un guichet unique valorisation permet au chercheur qui a une idée de savoir immédiatement à qui s'adresser. 12 personnes travaillent dans le domaine de la valorisation.

Nous entretenons également des liens très étroits avec le monde industriel et les sociétés de technologie de l'agglomération, de Schneider, la plus importante, aux start-up récemment créés. Nous figurons parmi les fondateurs des deux pôles Enerrdis et Minalogic.

La création d'entreprise est fondamentale pour l'INP. Les étudiants de seconde année sont souvent porteurs de projets très intéressants. Pascal a ainsi conçu un drone avec d'autres étudiants. Son projet a été récompensé par l'Office national d'études et de recherche aérospatiales (Onera) et soutenu par la Direction générale pour l'armement (DGA).

Pascal ZUNINO

Je suis diplômé depuis juin 2005. Initié il y a deux ans, le projet de drone a regroupé huit étudiants d'une école d'ingénieurs de Grenoble. Il a aussi été soutenu par une autre école d'ingénieurs de Grenoble, ainsi que par de nombreux chercheurs et professeurs. Quatre laboratoires y ont enfin collaboré.

Un concours lancé il y a deux ans est à l'origine du projet. Il a été organisé par l'Onera et financé par la DGA, qui a également subventionné la réalisation du prototype. Le drone devait pouvoir voler à une hauteur inférieure à celle des toits dans un environnement urbain pour effectuer des missions de reconnaissance.

Doté de quatre moteurs électriques, l'appareil est symétrique. C'est en faisant varier la vitesse de rotation de ses moteurs que l'on contrôle ses déplacements. Dépourvue de parties mobiles, la structure mécanique de l'avion est très simple et très solide. Elle peut affronter des turbulences. L'appareil est pliable. Il se range dans un cylindre très robuste qui le protège. Une personne peut donc facilement le transporter. Cet aspect ergonomique et opérationnel était essentiel pour le concours. Au centre de l'appareil, un système électronique stabilise et corrige son assiette sans intervention humaine.

La structure du drone est intégralement en fibres de carbone et sa propulsion, électrique. Une caméra motorisée permet la prise de vues. Un système GPS localise l'appareil dans l'espace et géolocalise chaque photographie. L'environnement dans lequel l'avion se déplace peut donc être cartographié. Des capteurs ultrasons permettent par ailleurs d'éviter les obstacles de l'environnement urbain.

En ce qui concerne l'aspect station au sol, un pilote dirige l'appareil comme s'il était à bord grâce à des lunettes de vision. Quant au contrôle, un dispositif de commande ergonomique permet de déterminer les zones à observer. L'assistant de mission est muni d'un tablet PC , doté d'un système de cartographie qui lui indique exactement où se situe l'appareil. Un flux vidéo permet de contrôler en permanence le déroulement de la mission et d'effectuer des relevés.

La réalisation du projet a demandé deux années de travaux menés par des étudiants, des chercheurs et des universitaires. Nous avons présenté notre modèle en septembre 2005 et avons démontré ses capacités opérationnelles lors du concours. Nous avons reçu le premier prix ex æquo , ce qui a constitué un vrai tremplin pour nous.

Pascal Zunino projette une vidéo du drone en vol. Il sort ensuite un drone de son cylindre pour montrer à l'assemblée à quel point la manipulation est aisée et rapide.

Virginie ROBERT

Aujourd'hui, le prototype est prêt. Avez-vous déjà créé votre société ?

Pascal ZUNINO

Nous créons actuellement la société Novadem et nous rapprochons d'un laboratoire du CNRS. Nous développons deux types d'applications. Le premier sera militaire. Le second, civil, sera utilisé pour le contrôle des ouvrages d'art, des chaussées et des ponts. Il permettra également aux pompiers de réaliser des missions de surveillance d'urgence lors de cataclysmes (tremblements de terre, inondations...) et d'identifier les personnes à secourir.

Virginie ROBERT

Vous avez été étroitement soutenus par l'INP et par d'autres laboratoires pour créer le prototype. Avez-vous bénéficié d'aides pour la création d'entreprise ?

Pascal ZUNINO

Nous déposons actuellement des dossiers dans ce sens. Nous allons notamment participer au concours OSEO Anvar organisé par le Ministère de la Recherche et de l'Enseignement pour obtenir une subvention et passer du démonstrateur technologique au vrai prototype. Nous demandons également des aides. Etre incubés nous permettra d'obtenir une avance remboursable pour financer nos travaux pendant deux ans.

Virginie ROBERT

Serez-vous « incubés » à l'INP de Grenoble ?

Pascal ZUNINO

Nous avons choisi l'incubateur de Marseille car il nous permettra de mener notre projet plus loin. Nous avons en outre identifié des partenaires à Marseille, comme le laboratoire du CNRS ou dans la région PACA.

De la salle

Quelle est l'autonomie du drone et la distance maximale à laquelle il peut être manipulé ?

Pascal ZUNINO

La propulsion électrique du drone est peu bruyante. Son rayon d'action est d'un kilomètre. Son autonomie d'environ 45 minutes est adaptée à sa fonction : effectuer en milieu urbain des missions de repérage précises, donc peu longues.

De la salle

Résiste-t-il au feu ?

Pascal ZUNINO

Les matériaux sont composites. Ils devraient donc résister au feu. Nous n'avons toutefois pas encore effectué de tests.

De la salle

En dehors du concours, le drone a-t-il été montré, notamment à l'étranger ? Envisagez-vous de le miniaturiser ? Avez-vous imaginé de l'équiper de plaques photovoltaïques pour la récupération d'énergie ?

Les applications militaires de votre projet semblent par ailleurs fortes, par exemple au niveau géographique, pour explorer des terrains sensibles. La DGA vous a-t-elle proposé des incubateurs ?

Pascal ZUNINO

Le concours nous a permis d'établir un contact privilégié avec la DGA. Nous envisageons actuellement la signature de contrats d'études avec elle, parallèlement à la recherche d'autres partenaires. Le laboratoire où nous incuberons notre projet a par ailleurs signé des contrats avec elle, nous bénéficions donc des financements qui en découlent.

Nous travaillons actuellement sur la miniaturisation. Nous avons créé un prototype démonstrateur non-opérationnel de 11 centimètres d'envergure (contre 70 centimètres actuellement). Nous n'avons pas retenu la solution photovoltaïque, mais privilégions un système de batteries.

Le concours universitaire était international. Des acteurs étrangers ont donc vu le drone, qui n'a toutefois jamais quitté la France.

Virginie ROBERT

Vos contacts avec l'étranger sont donc encore peu développés.

Jean-Claude SABONNADIERE

Concernant la miniaturisation, Pascal a collaboré avec le Laboratoire d'Electrotechnique de Grenoble (LEG), dont une équipe travaille sur les micro-systèmes et développe des systèmes volants miniatures.

De la salle

Toutes mes félicitations pour la bonne idée que vous avez eue ! Un réseau de business angels existe depuis juin 2005 à Grenoble, vous pouvez donc vous rapprocher de la Chambre de commerce grenobloise. Isère Entreprendre réalise également des prêts d'honneur au porteur. Lorsque vous serez en phase de création, contactez cette association pour compléter vos fonds propres.

Virginie ROBERT

Merci pour ces précisions et pour ce brillant exposé ! Monsieur Moustapha va à présent décrire trois expériences dans le domaine de l'aérospatiale canadienne et évoquer les clusters . Je vous conseille le site de Michael Porter. Ce dernier dénombre 300 clusters aux Etats-Unis. Il souligne que le revenu par habitants des régions dotées de clusters est deux fois plus élevé qu'ailleurs. Posséder un ancrage local, avec des activités à forte valeur ajoutée et très innovantes, est donc très intéressant, car cela élève le niveau de vie des régions.

Hany MOUSTAPHA, Pratt & Whitney, Canada

C'est un plaisir et un honneur que d'être parmi vous aujourd'hui ! Je remercie le Sénat de son invitation ! Je complèterai la présentation qu'ont effectuée mes collègues québécois ce matin.

6. L'industrie aérospatiale canadienne

L'industrie aérospatiale canadienne occupe le quatrième rang mondial derrière les Etats-Unis, l'Angleterre et la France. Le Québec arrive en sixième position. Au Canada, les ventes annuelles s'élèvent à 25 milliards de dollars, dont 80 % d'exportations. Environ 70 % de l'industrie aérospatiale sont concentrés au Québec et 90 % de l'activité de R&D s'effectuent dans la région de Montréal. Au Québec, les employés de l'aérospatiale représentent 0,49 % de la population. Dans la région de Montréal, ce pourcentage s'élève à 3 %.

Pratt & Whitney occupe le premier rang mondial dans le domaine des moteurs destinés à de petits avions (moins de 90 passagers). L'entreprise a conçu le petit moteur qui commande les quatre gros moteurs depuis la queue de l'Airbus A480, ainsi que plusieurs applications pour Dassault et Cesta. Elle est également numéro 1 au Canada dans le domaine de la défense, de la R&D, et de l'aérospatiale. Elle consacre 450 millions de dollars chaque année, soit 10 millions de dollars par jour, à la R&D. Ce montant considérable représente 20 % de son chiffre d'affaires (2 milliards de dollars). Pratt & Whitney est la seule compagnie au monde à avoir produit 45 moteurs certifiés dans les dix dernières années, soit quatre par an, ce qui constitue un record.

L'entreprise possède des clients partout dans le monde, puisqu'elle exporte 80 % de sa production et vend 60 000 moteurs par an. Toutes les 2 secondes, un avion décolle avec un moteur Pratt & Whitney.

7. Le partenariat entre université et industries

a) Un partenariat évident

Les industries réalisent des produits pour dégager des bénéfices. Les universités ont pour priorité la formation des étudiants. Les entreprises souhaitent embaucher cette main d'oeuvre hautement qualifiée pour générer de la richesse. Le partenariat entre universités et industries est donc évident, en dépit de cultures différentes, les facultés privilégiant la recherche et le dépôt de brevets, les industries se concentrant sur le développement et leurs clients.

Numéro 1 dans le domaine de la collaboration avec les universités, Pratt & Whitney y consacre environ un milliard de dollars canadiens par mois. 17 des 25 facultés du Canada collaborent avec le centre de recherches de l'entreprise. D'un effectif de 13 millions de salariés, cette dernière accueille entre 250 et 300 étudiants stagiaires, qui participent à un certain nombre de projets, entre 200 et 250 chaque année. Elle a également créé des centres universitaires pour collaborer plus étroitement avec les facultés.

Au Canada, et surtout au Québec, ces dix dernières années, la collaboration a mûri avec un fort réseautage, de nombreux programmes gouvernementaux et des partenariats dans le domaine de l'éducation. Pratt & Whitney dispense notamment des cours qui sont ouverts aux étudiants et professeurs, ainsi qu'à ses clients et partenaires. A l'instar de l'Association industrielle de l'Eurospace du Canada, elle organise des forums de collaboration.

b) Le Consortium de recherche et d'innovation en aérospatiale du Québec (CRIAQ)

Créé en 2002, le CRIAQ regroupe l'ensemble de l'industrie aérospatiale du Québec, tous les grands maîtres d'oeuvre (Pratt & Whitney, Bombardier, Bell Helicopter, CAE), la plupart des fournisseurs des PME et les 7 universités du Québec. Les industries fournissent 25 % de son budget et le Gouvernement 75 %. L'objectif du CRIAQ est d'effectuer de la recherche très compétitive. Il vise :

· l'innovation ;

· le transfert de technologies ;

· la formation des chercheurs, du premier au troisième cycle ;

· la promotion de l'aérospatiale au Cegep, dans les écoles secondaires et les universités ;

· la collaboration nationale et internationale.

31 projets sont en cours. Deux phases de présentation des projets ont eu lieu, pour un montant d'environ 25 millions de dollars. La troisième phase débutera en mars et prévoit l'investissement de 25 millions sur trois ans. De nombreux chercheurs et industries sont impliqués.

Un projet composite s'est s'achevé récemment. Il impliquait Bombardier, Bell Helicopter, Pratt & Whitney, l'université de Concorde, l'école polytechnique de Montréal et une PME.

Le CRIAQ se généralise actuellement au Canada. Ses fonds vont à l'université qui dirige le projet. Des fonds additionnels proviennent du niveau fédéral, par exemple du Conseil national de recherches du Canada (CNRC) qui finance la recherche des universités ou du Programme d'aide à la recherche industrielle (PARI) destiné aux PME.

c) Les instituts aérospatiaux

Des instituts aérospatiaux se sont créés au sein des universités. Ils regroupent 250 à 300 étudiants de premier cycle et de nombreuses entreprises. Ces formations constituent un apprentissage par projet sur une année. Elles sont rémunérées par l'université, qui est elle-même financée par l'industrie.

Après avoir achevé leurs projets de recherche, les étudiants peuvent soit être embauchés, soit continuer une maîtrise et un doctorat dans l'université de leur choix. De très bon niveau, ils travaillent soit chez eux, soit dans leur faculté. Un environnement industriel sécurisé a ainsi été recréé en 2000 au sein de l'université Concordia et les étudiants, qui y travaillent à temps-partiel, perçoivent un salaire horaire très compétitif de 17 dollars canadiens.

Virginie ROBERT

Avez-vous pu évaluer ces dispositifs ?

Hany MOUSTAPHA

Ils ont été mis en place car certains programmes de recherche n'étaient pas traités à l'université, par les étudiants en maîtrise ou doctorat, et n'intéressaient pas les employés seniors des grandes entreprises aérospatiales. Les étudiants de premier cycle font désormais avancer ces recherches efficacement.

Ces dispositifs permettent en outre de former les étudiants avant de les recruter. Chaque année, j'envoie environ 20 étudiants à l'international, en Russie, Italie ou Allemagne, travailler avec nos clients et partenaires. Nous les embauchons à leur retour. Ces deux dernières années, nous avons effectué environ 50 recrutements grâce à ce programme, dont la mondialisation accroît l'intérêt. La proportion de femmes s'élève à 40 %, contre 15 à 20 % habituellement dans l'industrie aérospatiale.

Virginie ROBERT

Votre groupe d'industriels s'organise pour effectuer le meilleur recrutement possible et former les étudiants à ses standards dès le début de leurs études. Or en France, cette étroite collaboration ne se développe-t-elle pas de plus en plus dans les écoles d'ingénieurs et de commerce ?

Jean-Claude SABONNADIERE

Dans les écoles d'ingénieurs, les étudiants participent dès la première année à des projets personnels, qui sont souvent menés par des industriels et favorisent les contacts. Les industriels français, qui n'ont pas l'habitude de se regrouper, ne proposent toutefois pas de formation. J'espère que les pôles de compétitivité le leur permettront.

Hany MOUSTAPHA

Là est la différence ! Au Canada, l'industrie se partage les étudiants, qui se forment dans telle et telle entreprise et vont travailler dans une autre. Avant la mise en place de ce système, les entreprises se disputaient les meilleurs étudiants.

8. Les technology clusters

Capitale de l'aérospatiale, Montréal est la seule ville au monde qui peut concevoir et fabriquer un avion de A à Z. Elle regroupe de grandes entreprises, comme Bell Helicopter, Bombardier, Pratt & Whitney, Rolls Royce, CAE ou Thales, toutes les PME produisant les composants des avions, l'Agence spatiale canadienne, 4 universités et 160 000 étudiants. Nous avons donc créé une grappe aérospatiale dans la région de Montréal.

Tous les programmes que j'ai présentés (CRIAQ, instituts aérospatiaux, grappe de Montréal, technology clusters ) sont soutenus par le Gouvernement provincial, municipal ou fédéral. Les industries les financent également et possèdent un secrétariat.

Virginie ROBERT

Existe-t-il d'autres grappes semblables à celle de Montréal ?

Hany MOUSTAPHA

Une dizaine de grappes existent dans la région de Montréal, mais la plus importante est celle de l'aérospatiale.

Virginie ROBERT

La salle souhaite-t-elle poser des questions à notre ami qui, comme tous les Canadiens, possède un sens pragmatique extraordinaire ?

De la salle

Le fait qu'une personne prénommée « Moustapha » puisse réussir au Canada démontre la réussite de ce pays ! Cela aurait été impossible en Europe.

Hany MOUSTAPHA

D'origine égyptienne, je suis né en Angleterre mais j'habite au Canada depuis 35 ans. Dans ce pays, mérite égale réussite.

Christian PICORY

Le programme que vous avez décrit a pour objectif le recrutement des étudiants, mais aussi de faciliter la recherche et le développement. En France, les entreprises viennent recruter les meilleurs étudiants dans les universités, mais elles ne considèrent pas les missions de l'enseignement supérieur dans leur globalité. Or votre dispositif s'articule autour de ces missions (enseignement, recherche et dissémination).

Philippe ADNOT

Excellente remarque !

De la salle

Les entrepreneurs français effectuent tout de même des expériences. Le MEDEF intervient en amont dès le lycée puis dans les grandes écoles et les universités. Combien de temps a demandé la mise en place du dispositif, dont vous avez suivi toutes les étapes ?

Hany MOUSTAPHA

J'ai effectué ma maîtrise et mon doctorat chez Pratt & Whitney et j'y travaille depuis plus de 30 ans. Je suis donc moi-même un produit de la collaboration, dont je m'occupe depuis 25 ans. Etant également très impliqué dans le Gouvernement fédéral et provincial, j'ai suivi toutes les phases de l'élaboration du dispositif de collaboration de l'industrie aérospatiale. Ce projet a surtout progressé depuis 1996/1997, grâce à la forte volonté des industriels. La géographie a également joué un rôle très important. Efficace à Montréal, le dispositif fonctionne en effet moins bien dans le reste du Canada, qui est très vaste.

Virginie ROBERT

Monsieur Cohen, professeur à l'université Joseph Fournier de Grenoble, vous avez profité de la loi sur l'innovation pour créer votre entreprise.

Olivier COHEN, HC Forum

Je vous remercie de m'avoir invité. Je suis très heureux de pouvoir restituer le fruit de ma démarche aux acteurs qui en sont à l'origine. Je souhaite souligner qu'il est possible d'interagir extrêmement positivement avec le milieu académique dans un continuum harmonieux et conformément aux besoins de l'économie.

Mon parcours est pluridisciplinaire. Médecin de formation, je suis aussi généticien médical et j'ai été nommé professeur en informatique médicale. La génétique ne constituait pas une spécialité médicale quand j'ai commencé à l'étudier. Comme l'informatique et les technologies en réseau, elle s'est développée peu à peu. En 1988, quand je me suis intéressé à ces domaines, l'absence totale de recours à des outils informatiques pour gérer l'information génétique, notamment le dossier patient, m'a étonnée. Nous en avons discuté au sein de l'UMR CNRS. Nous avons dû aborder de manière pluridisciplinaire les forts verrous éthiques, juridiques et technologiques qui existaient. L'UMR CNRS a favorisé le développement de 6 ou 7 entreprises, dont la mienne. Je tiens à rendre hommage à son directeur, le professeur Jacques Demongeot.

En 2000 et 2001, une plate-forme informatique très sécurisée a été développée en milieu universitaire. Des premières demandes pour l'utiliser me sont parvenues. Elles ont constitué mon premier contact avec le marché potentiel existant. En 2001, nous avons commencé à répondre à ces demandes, qui sont rapidement devenues trop importantes pour y faire face. J'ai développé mon entreprise en étroite collaboration avec la structure universitaire, puisque des étudiants de DESS, d'abord stagiaires puis en CDD, ont participé au projet. Je leur rends hommage.

Le problème de la valorisation de leur travail et du retour sur investissement se posait. Soutenu par Floralis, la cellule de valorisation de l'université, j'ai donc suivi un programme d'aide à la création d'entreprise à l'Ecole de Management de Lyon pour structurer mon projet. J'ai rédigé un business plan, que j'ai présenté à l'Ecole pour validation. La société a été créée en avril 2005. Je connaissais bien le marché grâce à ma formation, au cheminement du projet et à mon implication dans de nombreuses solutions informatiques. Ces dernières sont aujourd'hui proposées dans le cadre d'une offre commerciale et du dossier médical du patient, et mettent l'accent sur la dimension familiale et la génétique. Cette dimension familiale de la génétique médicale prendra progressivement le pas sur la structuration de l'informatique médicale autour de l'individu pris isolément.

Notre activité est très soutenue. Nous développons des réseaux centrés sur des maladies ou conjuguant recherche clinique et pratique médicale. Nous en avons créé une dizaine en France et trois au niveau européen. Le Canada, très pragmatique et réactif, m'a d'ailleurs demandé de m'associer à une demande au Fonds d'innovation du Canada. Ce fonds financera la mise en place d'une plate-forme réunissant 18 hôpitaux pour fédérer les cas cliniques.

Voici, en quelques mots, comment un hospitalier universitaire est devenu créateur d'entreprise.

Virginie ROBERT

Avez-vous travaillé seul ou en équipe ?

Olivier COHEN

J'ai travaillé avec des étudiants stagiaires. J'ai conservé les plus valeureux, d'abord en CDD puis, une fois la société créée, en CDI.

Virginie ROBERT

Votre société a-t-elle déjà été financée ?

Olivier COHEN

J'ai souhaité financer cette entreprise sur des fonds propres et je n'ai pas encore ouvert le capital.

Virginie ROBERT

Quels sont vos clients ? Des hôpitaux, des centres de recherche médicaux ?

Olivier COHEN

Mes clients sont des hôpitaux, des centres de recherche et des laboratoires privés de génétique. Nous souhaitons également conquérir l'industrie pharmaceutique car nous pouvons lui apporter des avantages concurrentiels pour les essais thérapeutiques. Notre technique permet en effet de faire émerger de nouvelles connaissances et technologies.

La dimension familiale a par ailleurs provoqué de fortes difficultés, notamment en ce qui concerne l'anonymat des dossiers. Pour y remédier, nous avons élaboré une procédure brevetée en France et en Europe et validée par la CNIL, en collaboration avec l'université de Bourgogne, en particulier avec le professeur Catherine Quentin. C'est aujourd'hui la seule procédure au monde qui permet de concilier anonymat des dossiers et dimension familiale. Elle offre de fortes potentialités pour les essais cliniques et l'extraction de nouvelles connaissances sur les facteurs familiaux qui déterminent la susceptibilité à l'émergence de nouvelles maladies, mais aussi pour les réponses thérapeutiques.

Virginie ROBERT

Vous vous situez très en amont car la thérapie génique n'en est qu'à ses débuts. Conserver l'anonymat est très important, tout comme partager les données. Vous êtes toutefois tellement en avance que le marché risque de ne pas être demandeur avant un certain temps.

Olivier COHEN

Nous avons défini différents segments. Certains sont aujourd'hui totalement matures. Nous y avons pénétré. Nous sommes même leaders dans le domaine des réseaux nationaux européens sur les maladies génétiques. Nous intervenons également dans le secteur de l'informatisation des laboratoires génétiques, qui débute à peine. Certains champs sont certes plus en aval, comme l'essor de la pharmacogénomique. Trouver des thérapeutiques pour les maladies génétiques est toutefois d'actualité.

De la salle

Pourquoi vous limiter exclusivement à la génétique ? Pourquoi ne pas vous diversifier dans d'autres pathologies ? Un logiciel en cardiologie a été sponsorisé par les laboratoires Pfizer.

Olivier COHEN

Le symbole de notre société est une marguerite pour signaler que la génétique a une approche perpendiculaire par rapport aux spécialités d'organes. Elle intervient tout aussi bien dans le domaine de la périnatalité (maladies génétiques de l'enfant), de la cardiologie (cardiogénétique), de la neurologie (neurogénétique), etc. Nous avons développé plusieurs réseaux, dont certains sur la cardiogénétique, le retard mental ou les maladies métaboliques, pour porter un autre regard sur l'ensemble de la médecine.

Virginie ROBERT

Des problèmes éthiques doivent se poser. S'il est normal que les médecins se partagent l'information, il est très délicat, lorsqu'on découvre une maladie génétique chez un patient, d'aller avertir les membres de sa famille. Comment déterminer qui est en droit de le faire ? L'accès au dispositif que vous proposez est-il réservé aux médecins ?

Olivier COHEN

La meilleure manière de traiter les problèmes éthiques et juridiques est de les prendre en compte dès le début. Telle a été notre démarche. Etant généticiens, nous connaissons l'importance d'une démarche posée, guidée non par les possibilités technologiques, mais par les besoins du patient et ceux de la société. Dans ce cadre, le généticien sait parfaitement dissocier l'information qui revient au patient de celle qui doit parvenir à la famille. L'information revient d'ailleurs essentiellement au patient et ne peut être transmise à sa famille sans son contentement. C'est d'ailleurs généralement lui qui la transmet à ses proches.

Deux problèmes se posent aujourd'hui. L'information individuelle est tout d'abord souvent perdue bien qu'il existe une volonté familiale de la transmettre. La recherche clinique et la prise en charge médicale sont de surcroît souvent dissociées pour un même patient. L'originalité de notre approche est de prendre d'emblée l'ensemble de ces besoins en compte. Cela permet aux acteurs de la recherche clinique et de la pratique médicale de dialoguer ensemble autour de dossiers communs, structurés avec traçabilité. Ainsi nous établissons, dans le respect des règles éthiques et juridiques, un pont entre deux acteurs de la santé aux activités-métiers distinctes.

Virginie ROBERT

Quels sont les freins à l'adoption de ce type de plate-forme ? Sont-ils financiers ou proviennent-ils de la difficulté qu'ont les spécialistes de secteurs différents à partager l'information ?

Olivier COHEN

L'activité clinique et de recherche s'émancipe de plus en plus des structures géographiques, comme le démontrent les instituts sans murs pour les instituts de recherche et les réseaux ville hôpital pour l'activité médicale. Depuis la loi de 2002 sur les droits du patient, les avancées juridiques vont dans ce sens, tout comme la loi qui officialise l'identifiant patient permanent. Ces mesures facilitent la collaboration. En raison de la compétition internationale, les chercheurs français ont par ailleurs compris qu'ils devaient s'associer pour travailler plus rapidement et efficacement. Les réseaux n'ont donc pas eu besoin de l'informatique pour se constituer. La technologie que nous apportons formalise peut-être simplement des pratiques antérieures.

De la salle

Hormis le logiciel d'anonymisation des dossiers, d'autres applications pratiques découlent-elles de vos recherches ?

Olivier COHEN

Oui. De l'anonymisation découlent deux applications. La première établit un lien entre pratique médicale, où le nom du patient doit être connu, et recherche clinique, où le malade doit rester anonyme. La seconde application exploite toutes les données générées au quotidien au bénéfice de la santé publique, car elle permet la constitution d'observatoires en toute sécurité pour les patients. Ce système d'anonymisation pourrait également déboucher sur la création de cartes de patients, grâce auxquelles les malades pourraient rentrer des données sur leur vécu quotidien de maladies chroniques ou leurs réponses thérapeutiques.

Ce système d'anonymisation pourrait entraîner d'autres applications. Il utilise les mêmes données que l'Etat civil, qu'il encrypte si bien qu'il est impossible de retrouver le nom du patient à partir du numéro d'indemnisation. Il pourrait être utilisé dans le domaine de l' e -administration car un patient est un citoyen et un citoyen est un patient potentiel. Les conditions de sécurité devront alors être très élevées pour empêcher le croisement de fichiers car ce qui appartient au domaine médical doit y rester.

Philippe ADNOT

Avant de laisser la parole au sénateur Henri Revol, président de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, je tiens à remercier les intervenants, ainsi que Virginie Robert. Les médias jouent un rôle essentiel dans la valorisation de la recherche. Merci également à nos amis canadiens d'être venus nous aider à progresser !

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