Travaux de la commission des affaires économiques



Mercredi 25 février 2004

- Présidence de M. Gérard Larcher, président. -

Commerce international - Audition de M. Philippe Gros, Délégué permanent de la France auprès de l'Organisation mondiale du commerce

La commission a tout d'abord auditionné M. Philippe Gros, Délégué permanent de la France auprès de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

Soulignant toute l'importance que revêtait l'investissement du politique dans les négociations commerciales internationales, M. Gérard Larcher, président, a rappelé la création, dans cette perspective, d'un groupe de travail chargé de suivre ces questions, commun à la commission des affaires économiques et à la délégation pour l'Union européenne.

Après avoir évoqué l'atmosphère « passionnée » suscitée par l'échec de la conférence de Cancùn, M. Philippe Gros a indiqué, en premier lieu, que les membres de l'OMC avaient très rapidement pris conscience de la nécessité de renouer les fils de la négociation et manifesté leur volonté de recréer un climat de confiance. Plusieurs facteurs, a-t-il précisé, ont contribué à cette évolution favorable.

Au premier rang de ces facteurs, M. Philippe Gros a évoqué la décision, prise à Cancùn, de fixer au 15 décembre 2003 la reprise des discussions. Au second rang, il a fait part de la volonté des différents grands acteurs d'effectuer une analyse réaliste de la situation :

- l'Union européenne a, dès le mois de novembre 2003, réexaminé ses positions, en confirmant sa proposition, formulée à Cancùn, de ne plus demander l'ouverture de négociation sur deux des quatre sujets de Singapour (investissement et concurrence) et en réaffirmant l'importance des efforts déjà consentis par ses agriculteurs en matière agricole ;

- après avoir, dans un premier temps, exprimé leur préférence pour le bilatéralisme, les Etats-Unis ont finalement décidé, devant les difficultés rencontrées dans les discussions pour créer la zone de libre-échange des Amériques et pour conclure des accords de libre-échange avec l'Australie, puis avec le Maroc, de s'impliquer de nouveau dans les négociations multilatérales (lettre de Robert Zoellick du 11 janvier à tous les membres de l'OMC) ;

- le « G20 » conduit par le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud a pour sa part souhaité la reprise des négociations le plus tôt possible ;

- le G90 (pays africains, ACP et pays les moins avancés), pourtant à l'origine de l'échec de Cancùn, s'est rapidement montré inquiet par le retard pris par les négociations et a lui aussi vite manifesté son souhait d'une reprise rapide de celles-ci.

Au troisième rang de ces facteurs, M. Philippe Gros a mentionné la réaffirmation rapide par les membres de l'OMC de leur attachement au multilatéralisme. Par ailleurs, a-t-il expliqué, l'habileté du Président du Conseil général de l'OMC a aussi largement contribué à dépassionner les débats et à créer un minimum de confiance entre les membres de l'OMC : il a en effet laissé à ces derniers le temps de la réflexion, a tenu à ne rien brusquer et, lors de la réunion du 15 décembre 2003, a réussi à faire approuver la réactivation des groupes de négociations et à faire émerger un consensus sur les modalités des discussions en 2004, afin de ne pas perdre cette année.

Enfin, M. Philippe Gros a cité l'expiration de la clause de paix agricole au 31 décembre 2003, et la non-utilisation à ce stade, par les pays demandeurs d'une libéralisation des échanges agricoles, de la possibilité de recourir aux contentieux, les deux panels en cours - sur le sucre et sur le coton - étant antérieurs à la fin de cette clause.

En second lieu, M. Philippe Gros a fait part de l'émergence d'un consensus minimum entre les membres sur les points suivants :

- les membres sont d'accord pour considérer qu'il existe, d'ici à l'été 2004, une période propice, une « fenêtre d'opportunité », pour relancer les négociations, avant le remplacement de la Commission européenne et les élections présidentielles américaines : ces deux échéances et le fait que l'administration américaine devra engager, au premier semestre 2005, un débat devant le Congrès pour obtenir la prorogation de la « fast track » qui s'achève en juillet 2005, devraient conduire à un gel de fait des discussions entre l'été 2004 et l'été 2005 ;

- si les membres ont admis tacitement qu'il faudra reporter d'un ou deux ans la date finale du cycle de Doha, ils sont d'accord pour essayer d'aboutir pendant cette « fenêtre d'opportunité » à la définition d'accords-cadre sur l'agriculture et l'accès au marché pour les produits non agricoles, et à un accord pour traiter des sujets de Singapour et des aides au coton : la définition des engagements précis et des chiffres n'interviendrait que dans un second temps ;

- les membres sont aussi d'accord pour mener l'essentiel des négociations sous la forme de rencontres bilatérales, entre pays et/ou groupes de pays, et non pas seulement au sein des groupes de travail de l'OMC, qui viennent d'être réactivés.

Abordant ensuite les principales questions que les négociateurs devront examiner dans les prochaines semaines sur le fond des dossiers, M. Philippe Gros a évoqué les éléments suivants :

- sur l'agriculture, les discussions porteront sur la réduction des aides internes ayant les effets les plus « distorsifs » sur les échanges (boîte orange et boîte bleue), l'élimination des subventions à l'exportation et l'accès au marché ;

- s'agissant du dossier du coton, un consensus s'esquisse pour que la discussion soit intégrée dans la négociation agricole, tout en envisageant, dans ce cadre, un traitement accéléré de ce dossier ;

- sur l'accès au marché des produits non agricoles, il s'agit de trouver un équilibre entre la réduction générale des tarifs en application d'une formule que les pays développés souhaitent unique, et des initiatives sectorielles complémentaires, par exemple, comme le souhaite l'Union européenne, sur le textile ;

- sur les sujets de Singapour, face au refus exprimé par la plupart des pays en développement, l'Union européenne a confirmé son accord pour n'engager des discussions que sur la facilitation du commerce et la transparence des marchés publics, mais le débat reste ouvert sur les autres sujets (investissement et concurrence).

En troisième lieu, M. Philippe Gros a indiqué que le mois de juin prochain pourrait donner lieu, en raison des réunions du G8, de l'APEC (Asia Pacific Economic Cooperation) et de la CNUCED XI (Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement) à Sao Paulo, à une intensification des discussions et à de fortes pressions sur le dossier agricole de la négociation, la préparation de la CNUCED XI montrant dès à présent la mobilisation des pays en développement pour obtenir des avancées, notamment en matière agricole.

Enfin, M. Philippe Gros a considéré que, malgré ces facteurs positifs, les risques de blocage demeuraient, ce qui rendait plus probable un manque de progrès en 2004. En effet, a-t-il souligné, d'une part, le rapport de force entre les principaux acteurs est inchangé :

- le G20 n'était solidaire que sur le dossier agricole, ses intérêts étant, dans les autres domaines, très divergents ;

- le G90, qui regroupe de nombreux pays bénéficiant de préférences commerciales, n'apparaît pas cohérent et a des difficultés à définir des positions uniques ;

- les Etats-Unis semblent vouloir prendre leurs distances vis-à-vis de l'accord agricole conclu en août 2003 avec l'Union européenne, en insistant à nouveau sur la réduction des subventions aux exportations, et en tentant de placer l'Union européenne dans une position défensive.

D'autre part, M. Philippe Gros a indiqué que la négociation agricole était toujours présentée par les partenaires de l'Union européenne comme un préalable à tout progrès sur le reste de l'Agenda de Doha et que les pistes de compromis sur le dossier agricole restaient difficiles à trouver. Les deux grands acteurs, a-t-il précisé, sont sous la pression des pays en développement qui, tout en réclamant un traitement spécial et différencié pour eux, demandent des concessions importantes à l'Union européenne sur les subventions à l'exportation et sur l'accès au marché, et aux Etats-Unis sur les soutiens internes.

En conclusion, M. Philippe Gros a craint que l'Union européenne ne soit finalement obligée de réduire ses ambitions initiales, qui étaient de parvenir, dans le cadre du cycle de Doha, à un équilibre entre l'ouverture des marchés et la recherche d'une meilleure maîtrise de la mondialisation grâce à l'établissement de nouvelles règles, l'Agenda de Doha risquant, in fine, de se limiter à une simple ouverture supplémentaire des marchés. Il a ajouté qu'il était également difficile de trouver un équilibre entre l'ouverture de l'ensemble des marchés et la volonté de beaucoup de pays en développement de se voir appliquer, conformément au principe du traitement spécial et différencié inscrit dans l'accord de Doha, des disciplines moins contraignantes. Si l'application d'un traitement différencié se justifie pleinement, a-t-il expliqué, pour certains pays en développement, il n'en va pas de même pour les grands pays émergents, que les pays développés voudraient différencier des pays les plus pauvres.

Après avoir rappelé que l'OMC avait enregistré, avec l'accord sur l'accès aux médicaments, un succès important, M. Jean Bizet a exprimé le souhait que les efforts fournis par l'Union européenne en matière agricole continuent à être pris en compte dans une négociation dont la variable d'ajustement sera précisément l'agriculture. Insistant sur l'importance pour les politiques de s'investir dans les négociations commerciales, il a interrogé M. Philippe Gros sur les conséquences d'un échec des négociations et la nécessité éventuelle, dans ce scénario, d'une réforme de l'OMC.

Après avoir qualifié le discours du Délégué permanent de « très optimiste », M. Marcel Deneux a exprimé ses doutes quant à la possibilité de parvenir à un quelconque accord en 2004, notamment en raison des perspectives électorales américaines. Insistant sur l'importance du rôle du G8, il s'est interrogé sur la possibilité de négocier de façon groupée et cohérente sur l'ensemble des dossiers internationaux.

M. Claude Saunier a déclaré partager le point de vue de M. Jean Bizet sur l'importance pour les politiques de « reprendre en main » les dossiers de l'OMC, déplorant que beaucoup de décisions soient prises en dehors de toute considération politique, alors même qu'elles ont des conséquences très importantes. Après avoir rappelé qu'une proposition de loi visant à mieux associer les Parlements aux négociations commerciales avait été déposée par le groupe socialiste, il a demandé à M. Philippe Gros s'il existait un lien mécanique entre une « libéralisation forcenée » et la reprise de la croissance mondiale.

M. Philippe Gros a apporté les éléments de réponse suivants aux différents intervenants :

- aucune certitude réelle ne peut être dégagée sur un lien mécanique entre la croissance et la libéralisation des échanges ;

- les conséquences d'un échec des négociations seraient probablement variables : pas forcément très lourdes pour les milieux d'affaires, qui paraissent, notamment en raison de l'importance des échanges intra-firmes, peu mobilisés sur les négociations commerciales, celles-ci ne couvrant en fait que 40 à 50 % des échanges mondiaux, mais beaucoup plus graves, en revanche, pour les pays en développement les plus pauvres qui, certes, pâtiraient d'une ouverture trop grande de leurs marchés, mais qui ont néanmoins impérativement et rapidement besoin d'un meilleur accès pour leurs produits, notamment agricoles, aux marchés des pays riches ; en outre, un échec durable à l'OMC pourrait menacer la démarche multilatérale et donner par ailleurs un rôle trop important au mécanisme de règlement des différends ;

- si l'on souhaite appréhender tous les scénarios possibles, on ne peut exclure la possibilité d'une avancée d'ici à l'été prochain, même s'il s'agit, aujourd'hui, du scénario le moins probable, compte tenu des divergences qui demeurent entre les acteurs de la négociation ;

- la France a déjà manifesté sa volonté de voir progresser simultanément tous les chapitres de la négociation, et refuse que soient établis des préalables comme le dossier agricole, mais cette position est loin d'être partagée par de très nombreux membres de l'OMC ;

- l'OMC fonctionne bien, notamment par rapport à beaucoup d'autres institutions internationales, et dispose encore de la capacité de conclure des accords, mais aussi d'un organe de règlement des différends qui fonctionne bien et dont la jurisprudence pourrait suppléer à l'absence de nouveaux accords si les négociations étaient durablement bloquées ;

- le fait même qu'à Cancùn les pays en développement et en particulier les quatre pays à l'origine de l'initiative sur le coton aient réussi à bloquer complètement les négociations, atteste du caractère démocratique de l'OMC ;

- l'importance d'une meilleure association des politiques est d'autant plus grande qu'elle doit permettre de répondre à l'action menée par les organisations non gouvernementales, dont beaucoup sont certes responsables, mais dont la représentativité peut néanmoins être mise en question : à cet égard, certains pays européens, comme l'Allemagne, se caractérisent par un contrôle plus étroit du Parlement sur l'action menée par leurs représentants à l'OMC.

Après avoir regretté le manque d'informations de la commission sur le déroulement des négociations à l'OMC, Mme Marie-France Beaufils a déploré que beaucoup de pays n'aient pas profité de l'ouverture des échanges commerciaux, et se soient vu parfois imposer, par le Fonds monétaire international, des accords dommageables pour leurs économies. Elle a également exprimé des craintes et des interrogations sur l'état d'avancement des négociations relatives à la libéralisation de l'accès aux services.

En réponse, M. Gérard Larcher, président, a rappelé, outre le travail de suivi effectué par le groupe de travail sur l'OMC, la parution dès le début octobre 2003 d'un rapport sur la conférence de Cancùn signé par MM. Jean Bizet, Michel Bécot et Daniel Soulage, ainsi que, quelques semaines plus tard, la discussion, en séance publique, d'une question orale avec débat sur cette même conférence.

M. Philippe Gros a expliqué, quant à lui, que l'accord sur les services suivait un calendrier très différent des autres sujets, ainsi que des modalités différentes. Il a souligné que la France avait, en la matière, des intérêts offensifs très importants à faire valoir, qui devaient constituer un atout dans le cadre d'une négociation globale.

Communication

La commission a ensuite pris connaissance de trois communications du président Gérard Larcher.

Celui-ci a tout d'abord annoncé la récente nomination de M. André Ferrand, sénateur représentant les Français établis hors de France et membre de la commission, comme parlementaire en mission auprès de MM. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, et Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, afin de proposer des moyens de financement complémentaires à ceux du budget de l'Etat pour les écoles françaises à l'étranger. Il a souligné l'importance de cette question, dont il a pu être le témoin direct, en tant que président du groupe d'amitié France-Hongrie, en ce qui concerne l'extension du lycée français de Budapest.

Logement - Logements locatifs sociaux - Contingent préfectoral - Communication

Puis M. Gérard Larcher, président, après s'être félicité que le Premier ministre ait annoncé la tenue, à l'automne prochain, d'un grand débat national sur le logement social qui permettra à la représentation nationale, et notamment à la commission, de s'exprimer sur un sujet fondamental pour la vie quotidienne des Français, a abordé la question ducontingent préfectoral de logements locatifs sociaux. Il a ainsi indiqué qu'à l'initiative du Premier ministre, le gouvernement allait demander, à l'Assemblée nationale, de revenir sur le transfert du contingent préfectoral aux maires qu'avait décidé le Sénat à l'occasion de la première lecture du projet de loi relatif aux responsabilités locales, dispositif sur lequel M. Dominique Braye, comme lui-même, avait émis des réserves en précisant qu'un tel transfert au profit des élus locaux ne pouvait s'envisager que s'il était assorti de fortes garanties pour le logement des personnes défavorisées.

A cet égard, M. Dominique Braye a précisément rappelé que ses objections ne portaient pas sur le principe de la délégation aux élus locaux, mais sur les modalités du mécanisme envisagé qui :

- en prévoyant le transfert aux maires, et non aux intercommunalités ou aux départements, ne semblait pas privilégier le meilleur échelon territorial ;

- en n'imposant pas l'existence préalable d'un plan local de l'habitat devant respecter les prescriptions, tant de la loi relative à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville que de la loi contre les exclusions, ne permettait pas la définition d'une politique de l'habitat cohérente ;

- en ne prévoyant pas la signature de chartes de peuplement par tous les représentants locaux, ni de commissions de coordination assurant le contrôle de la mise en oeuvre desdites chartes en amont des commissions d'attribution, ne favorisait pas une politique de peuplement concertée.

Aussi bien, a-t-il conclu, les amendements qu'il avait proposés avaient-il pour objet de permettre un meilleur traitement des contingents préfectoraux au niveau local, en garantissant la bonne prise en compte des objectifs de logement des populations précarisées.

Après que M. Daniel Reiner fut intervenu pour souligner le risque que présentait, selon lui, la formalisation législative de pratiques de délégation informelle ayant actuellement cours, Mmes Odette Terrade et Marie-France Beaufils ont également fait part de leur crainte qu'un tel transfert, même sous la forme et avec les garanties préconisées par M. Dominique Braye, ne fasse perdre à la politique du logement social le caractère national qu'elles jugent indispensable de maintenir.

Bureau de la commission - Compte rendu

Enfin, à l'issue de ce bref débat, M. Gérard Larcher, président, a rendu compte des principales décisions du Bureau de la commission, réuni la semaine précédente, notamment s'agissant de l'agenda de travail qui, en raison du nombre et de l'importance des textes devant être examinés par la commission au deuxième trimestre de l'année, nécessitait l'organisation de deux réunions lors de la suspension des travaux parlementaires du mois de mars :

- le mercredi 24 mars, pour auditionner, sur le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, à 15 heures, M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, et à 16 heures, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable ;

- le mardi 30 mars, à 9 h 30, pour auditionner sur ce même projet de loi M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement du territoire, et à 10 h 30, pour examiner le rapport de MM. Pierre Hérisson et Bruno Sido sur le projet de loi « paquet télécoms ».