Table des matières


Mardi 26 mars 2002

- Présidence de M. Gérard Larcher, président et de M. Pierre Hérisson, vice-président. -

Audition de M. Jacques Lemercier, secrétaire général de « FO communication » et de M. Michel Pesnel, secrétaire général adjoint, sur la situation de La Poste

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Jacques Lemercier, secrétaire général de « FO communication » et de M. Michel Pesnel, secrétaire général adjoint, sur la situation de La Poste.

M. Jacques Lemercier a d'abord évoqué le vote, le 14 mars 2002, par le Parlement européen, à une majorité de 82 %, du calendrier de libéralisation des services du courrier en Europe (2003 : monopole sur le courrier de 100 grammes, 2006 : de 50 grammes, 2009 : libéralisation totale), estimant que l'ouverture serait, en fait, plus rapide que cet échéancier.

Il a décrit les conséquences négatives qui en résulteraient pour le service public : fin de la péréquation tarifaire, accélération du rythme de fermeture des bureaux de poste non rentables en zones rurales, suppression -d'après une étude commandée par la Commission européenne- de 450.000 emplois en Europe sur un total de 1,6 million dans le secteur.

Il a jugé l'équilibre financier de La Poste fragile, car remis en cause par le coût des 35 heures, contrebalancé par l'apport ponctuel de ventes d'actifs (immobilier) et d'un jeu de reprise de provisions comptables, et estimé que, sans ces éléments exceptionnels, le déficit serait de 2 milliards de francs.

Sur l'avenir de La Poste, M. Jacques Lemercier a regretté que les débats aient lieu en dehors et non à l'intérieur de l'opérateur postal, par exemple pour l'évolution des services financiers et la création éventuelle d'une banque postale. A cette option, il a préféré un élargissement de la gamme des produits financiers postaux aux prêts sans épargne préalable (prêts à la consommation), suivant des modalités permettant à La Poste de fidéliser sa clientèle, sans entrer pour autant en concurrence frontale avec les banques.

Il a souligné que La Poste était -et devait rester- la « banque des pauvres », les publics précaires étant de facto exclus des circuits bancaires classiques. Plus généralement, il a jugé que les charges d'intérêt général supportées par La Poste (entretien du réseau, services financiers, ...) devaient être compensées par la solidarité nationale, et pas seulement départementale, hypothèse parfois envisagée pour le financement des charges du réseau.

M. Pierre Hérisson, président du groupe d'étude poste et télécommunications, a demandé quels produits financiers nouveaux La Poste devrait, selon FO-COM, commercialiser. Il s'est inquiété du phénomène de dématérialisation de flux importants de courrier (carte vitale) et a demandé s'il serait opportun, aux yeux de FO-COM, et compte tenu de la situation financière de La Poste, d'augmenter le prix du timbre -stable depuis 6 ans- de 46 à 50 centimes d'euros.

M. Jacques Lemercier a distingué les missions de service universel des missions d'intérêt général, indiquant que, si les premières étaient en général prises en compte, il convenait, pour les deuxièmes, de trouver des financements reposant sur la solidarité nationale. Il a estimé que La Poste n'avait rien à gagner à se banaliser et à adopter purement et simplement la réglementation bancaire. Quant à la dématérialisation du courrier, rappelant les erreurs d'estimation de rapports passés sur ce sujet, il a considéré qu'il était très difficile d'en chiffrer la portée, rappelant toutefois l'importance (92 % du total du chiffre d'affaire courrier) du flux « entreprise à entreprise », potentiellement concerné par cette dématérialisation.

M. Jean Boyer a demandé si La Poste serait à même de distribuer, demain, des prêts d'Etat bonifiés, et s'est interrogé sur la question de la distribution postale des journaux et périodiques professionnels.

M. Jacques Lemercier a répondu que La Poste était et devait rester un outil de solidarité et de redistribution au service de la Nation.

M. Yves Coquelle a confirmé le rôle irremplaçable des services financiers de La Poste auprès des personnes en situation de précarité et de chômage et s'est inquiété des conséquences de l'ouverture à la concurrence.

M. Jacques Lemercier a regretté que, contrairement aux autres Etats membres, la France n'ait pas débattu de l'enjeu postal dans le cadre de l'ouverture à la concurrence, déplorant la transposition subreptice -par amendement à la loi « Voynet »- de la première directive postale et rappelant que les modalités de transposition de la deuxième directive européenne seraient déterminantes pour le futur équilibre du secteur, s'agissant notamment de sa régulation et de l'attribution de « licences » aux opérateurs postaux.

Il a jugé que le contrat de plan en cours d'élaboration serait également décisif pour l'avenir de La Poste.

Mme Gisèle Gauthier a fait état des préoccupations des agents généraux d'assurance quant à un éventuel accroissement du portefeuille de produits assuranciels de La Poste.

M. Jacques Lemercier a rappelé que sa préférence allait vers des prêts à la consommation plutôt que vers une extension des activités financières de La Poste à l'assurance dommage.

M. Claude Saunier a critiqué les conséquences sociales de certaines doctrines économiques, citant les 15.000 suppressions d'emplois à la poste anglaise. Pour autant, il a estimé que le service public devait se poser la question de sa viabilité économique, l'immobilisme présentant un danger certain. A cet égard, il a considéré qu'un enrichissement des tâches -via des partenariats- des guichets postaux à faible activité était incontournable.

M. Jacques Lemercier a estimé qu'une saine gestion des services publics assurait, plus que la loi, leur pérennité.

Sur la hausse du prix du timbre, il a rappelé l'avoir proposée ces dernières années et s'est demandé si cette mesure, qui demeurait opportune, n'interviendrait pas trop tard.

M. Charles Guéné a souligné qu'étaient parfois amalgamés service public et présence postale locale, cette dernière ne devant pas nécessairement, à son sens, être un monopole de La Poste.

M. Jacques Lemercier s'est déclaré favorable à une ouverture des bureaux de poste non rentables en zone rurale à d'autres activités notamment administratives, soulignant que ce débat, vieux de 20 ans, n'avançait guère, la réflexion restant morcelée faute de réelle synthèse au sein des administrations concernées.

M. Georges Gruillot a souligné la difficulté du maintien de La Poste dans le tissu local. Il a demandé si la libéralisation ne pourrait pas aussi constituer pour La Poste une opportunité. Il a demandé où en était la réflexion sur la constitution d'un service public postal européen.

M. Jacques Lemercier a jugé que, seule, une volonté politique forte, française et européenne, pourrait l'imposer.

M. Gérard Larcher, président, a indiqué que le rapport de la commission et du groupe d'étude « poste et télécommunications » de 1997 (« Sauver La Poste ») avait déjà proposé une « postalisation » européenne, mais que cette idée avait rencontré peu d'échos.

Alors qu'un deuxième rapport, en 1999, proposait une augmentation du prix du timbre, il a fait valoir que cette option présentait désormais, avec l'ouverture à la concurrence, le risque d'une perte de compétitivité de La Poste vis-à-vis de la clientèle « entreprises ». Il a rétrospectivement jugé que si cette hausse avait été mise en oeuvre à l'époque où le rapport le proposait, les financements des surcoûts de l'aménagement postal territorial, du service universel bancaire de fait assuré par La Poste et de sa croissance externe auraient pu être couverts par ce biais.

Il a mis en lumière les risques de dépérissement des services financiers liés au vieillissement de la clientèle de La Poste.

M. Jacques Lemercier a estimé que des solutions françaises, originales, étaient à mettre en place pour La Poste, autour d'un véritable projet d'entreprise, débattu en interne.

M. Gérard Larcher, président, a rappelé les propositions avancées par la commission, à la suite des rapports d'information sur La Poste qu'il lui avait présentés en 1997 et 1999, sur l'instauration d'un timbre unique européen et sur l'augmentation modérée du prix du timbre français. Il a exposé les effets qu'aurait pu avoir cette dernière mesure il y a trois ans et la prudence qu'elle imposait aujourd'hui dans une perspective concurrentielle où les tarifs pouvaient orienter les préférences des entreprises. En conclusion, il a réaffirmé la nécessité d'un débat national sur l'avenir de La Poste, citant l'exemple de la mutation récente de la poste italienne et rappelant que ce débat était demandé, de manière répétitive, par la commission depuis cinq ans.

Communication du Président

A la suite de l'audition de M. Jacques Lemercier, M. Gérard Larcher a fait part à la commission des débats tenus au sein de son Bureau sur les modalités de mise en oeuvre du principe retenu antérieurement visant à permettre une expression écrite des groupes minoritaires sur les rapports d'information de la commission après leur adoption ; les rapports relatifs à France Télécom et au bilan de la loi de réglementation apparaissent pouvoir constituer l'occasion d'une première expérimentation.

Après un large échange de vues au cours duquel sont intervenus MM. Claude Saunier, Yves Coquelle, Gérard César, Paul Raoult et Mme Marie-France Beaufils, il est apparu que l'absence de réunion régulière des groupes politiques pendant la période de suspension des travaux parlementaires ne favorisait pas l'instauration d'une procédure satisfaisante et il a été convenu de renvoyer la mise en oeuvre du principe à la prochaine législature, le Bureau de la commission étant appelé à formuler des propositions prenant en compte les préoccupations venant d'être exposées.

Poste et télécommunications - Bilan de la loi n° 96-659 de réglementation des télécommunications - Présentation du rapport d'information 

La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport d'information conjoint -de la commission et du groupe d'étude « Poste et télécommunications » - présenté parM. Pierre Hérisson sur le bilan de la loi n° 96-659 de réglementation des télécommunications.

M. Pierre Hérisson, rapporteur, a rappelé que la commission et le groupe d'étude « poste et télécommunications » l'avaient chargé de faire le bilan de la loi de réglementation des télécommunications, qui a libéralisé ce secteur il y a bientôt six ans. Il a indiqué que la discussion de ce texte, au Sénat, sur le rapport de M. Gérard Larcher, avait, parfois, opposé les groupes, l'introduction de la concurrence au coeur d'un monopole assurant un service public étant un pari impossible d'après l'opposition, mais réalisable selon la majorité de l'époque.

Il a dressé, après 5 ans de mise en oeuvre, le bilan de cette réforme.

Il s'est interrogé, d'abord, sur les conséquences, pour les consommateurs et l'économie, de l'introduction de la concurrence. Il a fait observer que les baisses du prix des communications avaient été importantes, sur tous les segments du marché (national, local, mobiles, Internet), seul l'abonnement ayant augmenté.

Au total, pour un panier moyen de consommation, incluant l'abonnement, il a indiqué que la baisse était comprise entre 10 % pour les ménages et 28 % pour les entreprises sur le téléphone fixe, avec des prix de communications mobiles et Internet divisés par deux, grâce au développement des forfaits. Il a affirmé que de nouveaux usages s'étaient développés, les services aux consommateurs ayant été étoffés, les horaires d'ouverture des agences élargis. Il a estimé que les entreprises avaient gagné en compétitivité et en souplesse d'offre de services.

Seule ombre au tableau relevée par le rapporteur : l'environnement est désormais plus complexe pour les consommateurs, en particulier dans les mobiles, où les modalités de tarification sont opaques et parfois pénalisantes. Il a indiqué que les études montraient un « degré d'ignorance » élevé des consommateurs quant aux tarifs et aux contenus de leurs contrats, les Français surestimant le prix des communications fixes et ne connaissant pas bien les clauses de leur contrat mobile.

Au plan économique, il a jugé que l'innovation avait été stimulée, 15.000 emplois directs étant créés entre 1997 et 2000 et les investissements du secteur ayant doublé sur cette période.

Observant qu'avec le retournement des marchés financiers en 2001, ces effets économiques positifs de la période 1997-2000 seraient sans doute revus à la baisse, il a affirmé que les experts ne pensaient pas qu'ils seraient annulés, à cause de la croissance à deux chiffres ( + 13 % en France en 2001) du marché. Le rapporteur s'est félicité d'un autre effet de cette ouverture à la concurrence : la « régulation » par une autorité indépendante, initialement contestée, étant désormais reconnue, l'ART ayant acquis une réelle légitimité et ayant servi de modèle à la Commission de régulation de l'électricité. Il a relevé qu'un renforcement de ses pouvoirs était majoritairement souhaité par les personnes auditionnées dans le cadre de la préparation du rapport.

M. Pierre Hérisson, rapporteur, s'est ensuite demandé si la France avait fait mieux ou moins bien que ses voisins européens pour l'ouverture à la concurrence, si cette dernière était équitable, ou si au contraire France Télécom avait été privilégié.

Indiquant avoir posé la question à près de 50 acteurs du secteur, le rapporteur a fait état de réponses extrêmement diverses : France Télécom et les syndicats considèrent que le choc concurrentiel a été très rude, alors que les concurrents estiment que la France est un pays « exotique » en matière de concurrence, cette dernière n'y étant pas économiquement viable, tant France Télécom est protégé. D'ailleurs, 36 opérateurs sur 100 sont actuellement en difficulté ou en voie d'être rachetés.

Pour être le plus objectif possible dans son analyse, le rapporteur a indiqué avoir sollicité deux concours extérieurs, celui de la Commission européenne et celui d'un cabinet d'experts indépendants, l'IDATE, qui ont comparé le degré concurrentiel du marché des télécommunications en France et dans les principaux pays de l'Union européenne. Il a résumé leurs conclusions de la façon suivante : s'il existe, en France, des « points noirs » où la concurrence ne s'est pas encore développée (les communications locales et l'ADSL -asynchronous digital subscriber line-, où France Télécom a 95 % du marché), la France est dans la moyenne de l'Union européenne, seuls les pays nordiques et le Royaume-Uni étant en avance dans l'ouverture du marché. Il a estimé que la France était presque à égalité avec l'Allemagne, également concernée par les procédures d'infraction entamées par la Commission européenne sur le dégroupage.

Au total, M. Pierre Hérisson, rapporteur, a estimé que le Gouvernement qui avait mis en oeuvre, à compter de 1997, la loi de 1996, avait correctement rempli le premier objectif de ce texte, à savoir la concurrence, même si plusieurs modifications apparaissent nécessaires pour relancer la dynamique concurrentielle :

- pour les consommateurs, mettre en oeuvre la « portabilité des numéros » (numéro à vie malgré déménagements et changements d'opérateurs) prévue par la loi de 1996 mais toujours inexistante ;

- pour la concurrence, renforcer l'ART, par une autonomie financière accrue, en lui donnant des pouvoirs d'injonction, pour mettre en oeuvre ses décisions, et des pouvoirs de contrôle comptable de France Télécom, confirmer son coeur de compétence en mettant fin au double régime juridique d'autorisation des réseaux câblés (CSA et ART) en confiant la régulation de tous les types de réseaux à l'ART et le contrôle des contenus au CSA ;

- enfin, par souci de simplification, le rapporteur a proposé de rénover la procédure d'homologation des tarifs de France Télécom, assez lourde, par un système mixte : des objectifs pluriannuels seraient fixés et vérifiés pour les prix du service universel, l'autorisation préalable par l'ART ne subsistant que pour les services où il n'existe pas de concurrence.

M. Pierre Hérisson, rapporteur, a ensuite dressé le bilan du deuxième volet de la loi de 1996 : le service public.

Il a rappelé qu'en 1996, les opposants à la concurrence prédisaient la fin du service public et que des grèves étaient menées au nom de sa défense. Il a estimé que le choix de 1996 (un service universel fixe abordable délivré en tous points du territoire, assuré par France Télécom mais financé par tous les opérateurs), avait montré sa pertinence, les acquis du service public ayant été préservés, en particulier la péréquation géographique des tarifs, ce dernier étant financé, à hauteur de 415 millions d'euros en 2001, par tous les opérateurs (à 30 % par les concurrents de France Télécom, au prorata du volume de trafic total).

Il a considéré que les récentes directives européennes, adoptées le 14 février, avaient pérennisé son existence et son financement dans le droit communautaire, et que le récent arrêt de la cour de justice européenne du 6 décembre 2001 avait condamné certains aspects de la mise en oeuvre du fonds de service universel, à revoir, mais avait validé, sur le fond, sa compatibilité avec les directives et les traités européens.

Eu égard aux ambitions de la loi de 1996, le rapporteur a jugé que la mise en oeuvre du service universel avait été décevante à trois égards :

1) les tarifs téléphoniques sociaux pour les publics en situation de précarité ont mis presque trois ans à entrer en vigueur ;

2) l'annuaire et les services de renseignements universels prévus par la loi n'existent toujours pas : le décret qui les organise doit « incessamment » paraître depuis des années ;

3) le contenu du service universel n'a pas été élargi. Il a fait valoir que la loi de 1996 avait prévu une « clause de rendez-vous » pour l'enrichir, avec la parution d'un rapport avant juillet 2000. Ce rapport, paru en février 2002, a jugé prématuré un élargissement du service universel, alors qu'il y a plus d'usagers du mobile (37 millions) que du téléphone fixe (34 millions) !

M. Pierre Hérisson, rapporteur, a, en conséquence, craint un dépérissement de la notion de service universel des télécommunications.

Il a considéré que l'application de la loi de 1996 n'avait pas été à la hauteur de ses ambitions pour le service public des télécommunications, ce dernier étant certes préservé, mais des dispositions importantes n'étant pas appliquées et son élan n'étant pas renouvelé.

 Sur le volet « service public », le rapporteur a jugé souhaitable un élargissement du service universel, à deux niveaux : au plan européen, à l'occasion du réexamen de la directive « service universel » prévu en 2004, une extension au haut débit ; au niveau français, l'inclusion de prestations mobiles de base dans le service universel, suivant un cahier des charges national, couvrant tous les lieux d'habitation et les principaux axes de circulation, mais avec des découpages régionaux, et suivant un principe de « pay or play » : soit les opérateurs participent, soit ils financent.

Le rapporteur a avancé d'autres propositions : mettre en oeuvre l'annuaire universel, retoucher le mode de fonctionnement du fonds de service universel et ses modalités de versement.

Enfin, sur le dernier volet de la loi de 1996, consacré à l'aménagement du territoire, M. Pierre Hérisson, rapporteur, a estimé que la péréquation géographique des tarifs de raccordement, d'abonnement et de communication, quels que soient la localisation et les coûts engendrés, était un acquis essentiel. Il a rappelé que la loi de 1996 avait mis en place une méthode pour accroître la couverture géographique des mobiles, qui n'avait été mise en oeuvre que tardivement, lors du comité interministériel d'aménagement du territoire (CIADT) de Limoges le 9 juillet dernier.

Il a déploré que son application n'ait pas empêché le creusement d'un fossé numérique territorial, 20 % du territoire n'étant pas couvert par la téléphonie mobile et entre 25 et 30 % risquant de n'être couvert par aucune autre technologie haut débit que le satellite.

Parallèlement, il a affirmé que l'Etat avait un rôle ambigu, puisqu'il pousse les collectivités locales à financer l'équipement des zones « d'ombre » du territoire, à l'opposé de la logique de la péréquation entre collectivités à haut potentiel fiscal, qui sont déjà pourvues en technologies, et les autres. Il a estimé que ce transfert de charge était massif : pour les pylônes mobiles environ 43 millions d'euros et, pour les infrastructures haut débit, 1,5 milliard d'euros, déboursés par 18 régions, 35 départements et 60 agglomérations ou communautés de communes dans le cadre des prêts bonifiés de la Caisse des dépôts.

Il a jugé qu'il s'agissait, en quelque sorte, d'une décentralisation déguisée, qui ne respectait pas le principe d'un transfert de ressource en même temps que d'un transfert de charge.

Au total, il a dressé un bilan critique du volet « aménagement du territoire », estimant que l'Etat avait parlé, mais laissé les collectivités locales agir et financer.

Il a fait les propositions suivantes :

- clarifier un environnement confus : un décret est nécessaire pour préciser les conditions d'intervention des collectivités. D'autre part, une cartographie de l'existant doit être établie par l'Etat pour éviter des redondances et des gaspillages ;

- assumer la décentralisation de l'équipement numérique du territoire, ce qui impliquerait un transfert de ressources équivalant aux transferts de charge, et la mise en place d'une coordination institutionnelle, par exemple via l'instauration d'un « chef de file » par projet ;

- reconnaître aux collectivités des droits plus en rapport avec leur engagement financier : par exemple, pourquoi ne pas leur donner la possibilité d'imposer l'itinérance entre les trois réseaux, dans les zones dont elles auront partiellement financé la couverture, ce qui permettra à tous les abonnés d'être couverts ?

- enfin, le rapporteur a proposé de normaliser la fiscalité locale de France Télécom, héritage désuet du passé puisqu'elle est acquittée à l'Etat et non aux 15.000 collectivités locales concernées par les établissements de France Télécom. Cette normalisation s'accompagnerait d'une préservation de la part (un tiers) qui va au fonds national de péréquation de la taxe professionnelle, au moyen d'un écrêtement des hausses de produit les plus fortes.

En conclusion, le rapporteur a estimé que le bilan -paradoxal- de l'application de la loi de 1996 par le Gouvernement était un satisfecit mesuré pour l'ouverture à la concurrence, un « peut mieux faire » pour le service public et un blâme pour l'aménagement de territoire. Il s'est quand même réjoui que cette loi, votée en 1996, un temps remise en cause, ait finalement été appliquée, faisant preuve de sa résistance à l'alternance. Il a espéré que sa révision soit abordée dans un contexte pacifié, d'ici un an, lors de la transposition des nouvelles directives « télécom ».

M. Gérard Larcher, président, a souligné l'importance de la question de l'élargissement du service universel et a rappelé les conséquences du 9e alinéa du préambule de la Constitution de 1946 (disposant que tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert le caractère d'un service public national doit devenir la propriété de la collectivité) sur le régime de propriété du capital de France Télécom, exigence qui pourrait être levée si la prestation du service universel était élargie, notamment sur une base régionale, à d'autres opérateurs, par exemple mobiles.

M. Jean-Pierre Vial est revenu sur la question de l'insuffisante couverture mobile de certains départements, en particulier montagneux, et sur les problèmes liés à l'absence de disponibilité de raccordements à haut débit dans certaines zones du territoire. Il a fait état de la rapidité d'évolution de la réalité sur le terrain, les collectivités se trouvant confrontées à un nouvel enjeu -la fracture numérique territoriale- non pris en compte par la loi.

M. Jacques Bellanger a jugé les propositions du rapporteur particulièrement denses. Il s'est interrogé sur la notion de « collectivité chef de file ». Il a estimé que la couverture des services de télécommunications ne pourrait pas atteindre l'objectif irréaliste de 100 % du territoire. Il a jugé l'actuel « duopole » entre SFR et Orange, pour la couverture des actuelles zones d'ombre, incompatible avec les exigences concurrentielles.

M. Daniel Raoul a souligné l'importance de la question de la portabilité des numéros de téléphone pour le développement de la concurrence et s'est interrogé sur la définition qui pouvait être faite du « haut débit ».

Mme Marie-France Beaufils s'est interrogée sur les propositions formulées par le rapporteur en matière de téléphonie mobile. Elle a souligné les problèmes de maîtrise budgétaire rencontrés par certains ménages économiquement fragiles au regard de la consommation en téléphonie mobile. Elle a souligné que les offres actuelles de raccordement à haut débit de France Télécom n'étaient pas satisfaisantes et constituaient un handicap pour leur diffusion dans le public.

Elle a fait valoir que, si les syndicats intercommunaux d'électrification avaient financé l'électrification des campagnes, ils avaient bénéficié pour ce faire du produit d'une taxe d'électrification, ce qui n'était pas actuellement le cas pour les réseaux de télécommunications.

M. Claude Saunier s'est opposé à une vision trop caricaturale de l'application de la loi de 1996, une bonne loi, mais mal appliquée. Il a reconnu que la concurrence n'avait pas eu les effets catastrophiques annoncés par certains. Il a, lui aussi, souhaité que le service universel soit élargi pour lutter contre les discriminations territoriales et sociales.

Sur l'aménagement du territoire, il a jugé qu'il convenait d'être plus nuancé sur l'action du Gouvernement, ce dernier ayant pris l'initiative, en 2001, d'élargir les conditions juridiques d'intervention des collectivités locales. Il a jugé dangereux que l'Etat se dessaisisse de la compétence fondamentale de l'aménagement numérique du territoire, mais a souligné les apports importants, aujourd'hui comme par le passé, de l'intervention des collectivités locales.

Au sujet de la taxe professionnelle de France Télécom, il a estimé que les ressources affectées à la péréquation devaient être préservées.

M. Pierre Hérisson, rapporteur, a précisé ses propositions sur l'instauration d'une collectivité chef de file et est revenu sur les problèmes posés par l'inégale couverture territoriale des services de télécommunications.

M. Daniel Raoul a exposé certains problèmes rencontrés pour la mise en place de boucles locales par des collectivités locales lorsque certaines des collectivités concernées par le projet s'y opposaient.

M. Jean-Pierre Vial a précisé qu'en Savoie cette question avait été résolue par l'instauration d'un guichet unique pour ce type de projets.

Puis la commission a approuvé le rapport d'information, les groupes socialiste et communiste républicain et citoyen s'abstenant.

Poste et télécommunications - Bilan de la loi n° 96-660, relative à l'entreprise nationale France Télécom - Présentation du rapport d'information

Puis la commission a procédé à l'examen du rapport d'information conjoint de la commission et du groupe d'étude « Poste et télécommunications» présenté par M. Gérard Larcher sur le bilan de la loi n° 96-660 relative à l'entreprise nationale France Télécom.

En introduction, le rapporteur a mis en évidence que les débats actuels sur la privatisation de France Télécom démontraient que la loi de 1996 précitée n'avait pas procédé à une telle opération et que cela confirmait la pertinence du concept de « sociétisation » qu'il avait forgé à l'époque pour désigner la transformation d'un établissement public en société anonyme au capital à majorité publique.

Puis il a indiqué que le rapport s'articulait autour de quatre assertions centrales :

- la sociétisation de France Télécom est l'histoire d'une réforme politique courageuse et d'une volte-face profitable à la France ;

- le bilan de cette sociétisation est au total positif, la tempête actuelle ne devant pas faire oublier la navigation déjà effectuée ;

- la privatisation de France Télécom serait une erreur si elle était effectuée maintenant ;

- cette privatisation ne devrait pas pour autant être considérée comme un tabou, mais si elle avait lieu, elle aurait à être soumise à trois conditions impératives.

Traitant du premier point, il a estimé que la loi « Fillon » de 1996 avait réalisé une réforme politique courageuse car cette réforme se heurtait à une contestation convaincue de la plupart des syndicats de l'entreprise et de l'opposition d'alors, qui, pour manifester son rejet du projet de loi, avait déposé une motion de censure contre le Gouvernement. En outre, cette réforme ne faisait pas l'objet d'un consensus au sein du Gouvernement, le ministre de l'industrie ayant même fait part publiquement de son hostilité à une présentation du projet de loi avant les élections législatives prévues pour 1998. A cela s'ajoutait le fait que la réforme rencontrait plutôt une indifférence teintée de craintes de la part de l'opinion publique.

Le rapporteur a rappelé que l'arbitrage d'Alain Juppé ayant été favorable à François Fillon, la réforme avait eu lieu et que, paradoxe de l'histoire, c'étaient ses opposants déclarés qui l'avaient achevée.

Il a souligné qu'au moment de la dissolution de 1997, France Télécom, devenue société anonyme, n'était pas encore ouverte à d'autres actionnaires que l'Etat et que, pendant la campagne législative, la transformation effectuée avait d'abord été refusée, Lionel Jospin déclarant à propos de France Télécom : « c'est la seule entreprise que nous renationaliserons ».

Puis à la suite de la remise, le 5 septembre 1997, du rapport confié à M. Michel Delebarre qui concluait à la mise sur le marché d'une partie du capital de l'opérateur public, le 8 septembre 1997, MM. Dominique Strauss-Kahn et Christian Pierret annonçaient l'ouverture rapide du capital de France Télécom et sa cotation en Bourse.

Faisant valoir que, depuis, trois tranches du capital de France Télécom avaient été mises sur le marché (en octobre 1997, en novembre 1998 et en décembre 2000 à l'occasion du rachat d'Orange, l'Etat détenant désormais 55,5 % du capital), M. Gérard Larcher, rapporteur, a mis en exergue que près de quatre millions de petits porteurs avaient participé à ces opérations, qui restent les plus massivement souscrites de l'histoire boursière française, 1,5 million d'entre eux et 92 % des salariés étant aujourd'hui encore actionnaires de France Télécom.

Il a également chiffré à plus de 12 milliards d'euros ce que l'Etat avait retiré de ces ouvertures du capital, sans compter les dividendes qu'il avait reçus en tant qu'actionnaire de l'entreprise (environ 650 millions d'euros chaque année) et les 619 millions d'euros, versés en 2001, pour l'attribution d'une licence UMTS (13,2 milliards d'euros, soit plus de 100 milliards de francs, au total).

M. Gérard Larcher, rapporteur, a fait valoir que, grâce aux premières recettes et à la soulte « de retraites » versée par France Télécom, la France avait pu satisfaire aux critères de Maastricht, et il en a conclu que la volte-face opérée par les opposants de 1996 avait été profitable à la France.

Il a alors jugé que le bilan pouvant être dressé de cette sociétisation était au total positif. A l'appui de cette position, il a fait valoir qu'en cinq ans :

- le chiffre d'affaires du groupe avait presque doublé (de 23 milliards à 43 milliards d'euros) ;

- la part réalisée à l'international avait été multipliée par 18 (de 2 % à 36 % du total) ;

- les investissements avaient été multipliés par 3,5 (de 4 milliards à 14 milliards d'euros) ;

- le résultat net atteignait trois milliards d'euros en 2000 contre 554 millions en 1992 et 321 en 1996, le résultat opérationnel 2001 étant de 5,2 milliards d'euros avant provisions exceptionnelles.

Le rapporteur n'a toutefois pas dissimulé que France Télécom avait été happé dans un piège à « double mâchoire » : la bulle boursière et la folie Universal Mobil Telecommunication System (UMTS).

Selon lui, la dégradation actuelle des comptes de l'exploitant public s'explique par la conjonction de trois phénomènes.

Le premier est la défection -d'aucuns parlant d'abandon, voire de trahison- de Deutsche Telekom à laquelle il était lié par un partenariat qui reposait sur une participation croisée en capital de 2 %, le choc psychologique et stratégique créé par cette rupture et le risque d'enfermement dans l'Hexagone qui en résultait ayant imposé à partir de 1999 une politique de croissance externe hors des frontières au moment où le « délire UMTS » faisait flamber les cours des sociétés de télécommunications et où les acquisitions s'effectuaient au prix fort.

Le deuxième facteur expliquant la situation actuelle de France Télécom est le « délire UMTS », résultant d'une programmation européenne précipitée (au 1er janvier 2002) et par là-même déraisonnable du déploiement de cette nouvelle technologie -avant même que les investissements opérés sur le GSM aient été entièrement amortis-, mais aussi d'un coût très élevé de l'installation des réseaux ajouté à des prix faramineux d'obtention des licences en Grande-Bretagne, en Allemagne (90 milliards d'euros au total pour ces deux pays) et, pendant un temps, en France ; la sagesse du grand Nord où, en Suède, ces licences étaient gratuites, n'a pas servi d'exemple.

Pour le rapporteur, la « folie » européenne de l'UMTS a découlé à la fois d'un excès et d'une insuffisance d'intervention de l'Union européenne : excès de précipitation car rien n'imposait que la troisième génération de téléphonie mobile soit introduite de manière aussi précoce ; insuffisance de coordination des politiques nationales, car les gouvernements ont été laissés à eux-mêmes et les moins lucides, en laissant grimper le prix des licences à des sommets vertigineux, ont contribué à faire gonfler artificiellement la bulle financière des valeurs de télécommunications, à assécher les moyens financiers mobilisables par les opérateurs et à alourdir leur endettement.

La folie européenne de l'UMTS a, selon le rapporteur, rendu exsangue la plupart des grands opérateurs du continent. Sur ce dossier majeur, il a regretté l'absence d'expression du Gouvernement et sa participation à l'aveuglement du plus grand nombre.

Enfin, troisième phénomène à l'origine des mécomptes de France Télécom : l'explosion en 2001 de « l'illusion » boursière entourant les valeurs technologiques, qui en réduisant la valeur des actions et des filiales européennes de France Télécom, a accru le ratio dettes sur fonds propres et amplifié, sans doute à l'excès, la correction boursière appliquée à l'entreprise.

M. Gérard Larcher, rapporteur, a achevé cette analyse en jugeant que « l'anarcho-libéralisme » de la gestion du dossier de la téléphonie mobile de 3e génération avait considérablement contribué à l'anarchie des marchés et aux actuelles difficultés de l'opérateur.

Puis il a considéré que la politique d'expansion à crédit de France Télécom avait eu un prix, l'endettement, et que le dégonflement de la bulle Internet et le « schuss historique » des valeurs de télécommunications avaient eu un coût, la dépréciation des acquisitions effectuées dans les années 1999/2000.

En d'autres termes, à la suite de sa rupture avec Deutsche Telekom, et pour assurer son développement international, France Télécom a acheté, en s'endettant très fortement, des sociétés (Orange, NTL, MobilCom, ...) dont la valeur a, depuis, fondu sous l'orage boursier. L'entreprise se trouve en conséquence confrontée au remboursement d'une dette considérable (environ 65 milliards d'euros qu'il est prévu de réduire, par des cessions d'actifs, dans une fourchette de 44/58 milliards d'euros fin 2003) avec un patrimoine déprécié dont la valeur affichée début 2002 n'avait plus grand chose à voir avec sa valeur réelle.

Ces dépréciations d'actifs, provisionnées à hauteur de 10 milliards d'euros dans les comptes 2001, ont entraîné une perte historique sur l'exercice de 8,3 milliards d'euros, alors que jamais de toute son histoire administrative ou sociétale France Télécom n'avait enregistré de pertes.

Le rapporteur s'est alors demandé si on était maintenant fondé à considérer que la purge a dissipé toutes les inquiétudes. Il a fait observer que l'endettement restait très lourd et que, si par exemple l'affaire MobilCom -qui semblait maintenant trouver une solution satisfaisante- connaissait à nouveau des rebonds défavorables, France Télécom pourrait être amenée soit à renoncer à sa présence en Allemagne -le premier marché européen- dans les mobiles, soit à engager de nouvelles dépenses importantes.

Il s'est, en revanche, refusé à sombrer dans l'excès de pessimisme, les marchés ayant réagi positivement aux décisions de provisionnement des actifs dépréciés. Surtout, il a souligné que France Télécom -qui paye aussi aujourd'hui le prix de sa fulgurante croissance- demeurait structurellement une « moissonneuse de profits » sur des marchés à la fois sûrs (la téléphonie fixe) et porteurs (le mobile, l'Internet, les prestations « sans coutures » aux grandes entreprises multinationales, ...).

Il a ensuite posé la question de la responsabilité du Gouvernement, tuteur et actionnaire majoritaire de l'entreprise, dans cet atterrissage douloureux. Il a jugé qu'elle était celle d'un actionnaire sans suffisante vision d'entreprise et n'ayant pas fait preuve de beaucoup de lucidité dans l'affaire UMTS où des réflexes de prédation budgétaire avaient eu tendance à prédominer.

Mais il a fait observer que la logique folle des marchés avait eu sa part et qu'on ne devait pas le nier.

Au plan social, M. Gérard Larcher, rapporteur, a attiré l'attention sur le fait que la baisse indéniable de la conflictualité au sein de l'entreprise ne devait pas cacher l'inquiétude de certains salariés face au « yoyo » du cours de l'action et aux discours équivoques de l'actionnaire majoritaire sur le futur de l'entreprise, ni masquer la persistance de problèmes ponctuels mais aigus (la question persistante des « reclassés » de la réforme statutaire de 1990 par exemple).

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le rapporteur a exprimé la conviction que privatiser aujourd'hui France Télécom serait une erreur pour l'entreprise, pour l'Etat et pour la France.

Ce serait contraire à l'intérêt de l'entreprise car l'Etat joue un rôle stabilisateur dans son capital, il est garant de la dette et protecteur contre les prises de contrôle hostiles.

Ce serait une mauvaise décision patrimoniale pour l'Etat, dont la part qu'il détient au capital de France Télécom, si elle ne « vaut » probablement pas les 140 milliards d'euros où elle a été, un temps, valorisée, se situe certainement au-delà des quelque 17 milliards de sa cotation actuelle.

Il a relevé que les plus grands opérateurs européens étaient aujourd'hui privatisés (avec une part publique oscillant entre 0 et 30 % pour Deutsche Telekom, BT, Telecom Italia et Telefonica, notamment), en considérant qu'une telle constatation posait une interrogation sans pour autant tracer de trajectoire obligatoire pour France Télécom.

Il a reconnu que l'appartenance au secteur public présentait des inconvénients :

- pour l'opérateur : acquisition en cash d'Orange contribuant à alourdir l'endettement, silence de France Télécom sur le prix exorbitant un temps exigé par l'Etat pour les licences UMTS -cinq milliards d'euros-, impossibilité d'une participation à de grands regroupements sectoriels souhaitable) ;

- mais aussi pour ses concurrents, l'Etat étant en quelque sorte juge et partie du jeu concurrentiel.

Il a néanmoins insisté sur les avantages que présentait le caractère majoritairement public du capital : l'Etat constitue un pôle de stabilité dans un environnement boursier chahuté, garant de l'indépendance de l'entreprise, socle sur lequel s'appuie le statut public du personnel.

Puis M. Gérard Larcher, rapporteur a développé la position selon laquelle la question de la privatisation de France Télécom devrait être abordée sans tabou si le développement de l'entreprise exigeait un jour que la place de l'Etat au capital soit revue. Par exemple, quand les marchés financiers seront revenus à des niveaux de valorisation « post dépressifs », cette présence pourrait devenir un obstacle à la réalisation d'un projet stratégique tel qu'une acquisition d'envergure, réalisée par échange de papier. Le rapporteur a considéré qu'au moment où un grand projet d'entreprise le demanderait, il faudra peut-être envisager une évolution.

Cependant, dans cette hypothèse, le cadre juridique d'une éventuelle privatisation serait clair : une loi aurait à intervenir. Le rapporteur a affirmé qu'elle devrait respecter les exigences constitutionnelles relatives au service public, ce qui ne serait d'ailleurs pas sans poser la question du service public des télécommunications et de ses modalités d'exercice. Ainsi, l'analyse juridique qu'il a conduite aboutit à la conclusion que si le maintien en l'état d'un service public des télécommunications en passe de devenir obsolète conforterait l'obstacle constitutionnel à la privatisation, la modernisation de ce service public en ouvrirait l'option.

Il a estimé que l'objectif du maintien d'une influence significative de l'Etat pourrait être atteint par la pérennisation d'une participation minoritaire, assortie de droits préférentiels (golden share) pour les grandes orientations stratégiques.

Il a affirmé que la poursuite d'un véritable projet social, incluant le respect de la parole donnée aux personnels sous statut public en 1996 -maintien du statut, et en particulier des droits à pension- serait une condition sine qua non. Des solutions juridiques nouvelles devraient être élaborées pour satisfaire à cette exigence si France Télécom devait être à capital majoritairement privé. Les précédents historiques examinés par le rapport (ORTF, SEITA, Caisse nationale du crédit agricole, Caisse nationale de prévoyance, Caisse des dépôts et consignations...) soit éclairent les voies à ne pas emprunter, soit tracent des pistes qui devraient, en tout état de cause, être mieux balisées, ces pistes à explorer dégageant plusieurs perspectives : détachement ou mise à disposition des fonctionnaires auprès de l'entreprise France Télécom privatisée, par voie législative, pour une longue durée (18 ans à proroger), avec organisation d'un droit à retour dans une structure publique à définir.

Cependant, pour le rapporteur, un dialogue social préalable devrait, en tout état de cause, précéder une éventuelle privatisation de l'entreprise.

Il a conclu son propos en répétant que privatiser France Télécom aujourd'hui serait une erreur majeure pour l'entreprise, ses personnels et la collectivité nationale.

A la suite de cet exposé, M. Claude Saunier a relevé une certaine modération dans le propos, ce qui lui est apparu positif. Il a regretté que l'évolution qu'avait connue l'opérateur depuis 1996 l'ait amené à passer du rôle d'entreprise industrielle à celui de groupe financier car, selon lui, France Télécom n'assure plus la mission économique qui devrait être la sienne, notamment quant au soutien à la recherche-développement et cela risque de se payer un jour. Il a rappelé quel avait été l'impact du centre national d'études des télécommunications (C.N.E.T.) au cours des années 1960-1970 dans l'invention de nouvelles technologies qui ont fait depuis le succès de France Télécom et du secteur français des télécommunications.

Il a rappelé que la réglementation en vigueur imposait à France Télécom de consacrer une part de ses investissements à la recherche-développement mais que l'entreprise orientait désormais davantage ses efforts vers la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale et que c'était là une conséquence négative de la loi de 1996.

Il a, en conséquence, exprimé la crainte qu'un nouveau désengagement de l'Etat n'aggrave de telles dérives.

Il a ensuite critiqué la présentation qu'avait faite le rapporteur de la gestion du dossier de l'Universal mobile telecommunication system (UMTS) par le Gouvernement et estimé que, demain, le marché UMTS serait européen ou ne fonctionnerait pas.

En réponse, M. Gérard Larcher, rapporteur, a fait valoir que les débats sur la place de France Télécom dans la recherche publique avaient été tenus lors de la discussion de la loi relative à l'entreprise nationale France Télécom et qu'il était difficile de considérer qu'il incombait à un opérateur en situation concurrentielle de financer la recherche fondamentale. Selon lui, la fonction d'impulsion en ce domaine relève de l'Etat.

S'agissant de l'UMTS, il a estimé que ses propos n'étaient pas différents de ceux figurant dans le rapport rendu sur ce sujet par le Conseil d'analyses économiques, établi auprès de lui par le Premier ministre, et il a souligné que d'autres pays que la France, telle la Suède, n'avaient pas participé à l'engouement irrationnel qu'avait suscité l'UMTS. Il a précisé que le reproche qui pouvait être fait sur ce dossier à ceux qui en avaient la charge était que la France n'avait pas joué un rôle pondérateur au sein du Conseil des ministres européen, ayant décidé le déploiement rapide des réseaux UMTS sans organiser une coordination entre les Etats membres.

Il a également rappelé que lui-même avait publiquement critiqué, dès le mois de mai 2000, les orientations alors arrêtées par le Gouvernement et conduisant à réclamer 32,5 milliards de francs pour l'attribution d'une licence UMTS.

M. Paul Raoult a, quant à lui, souligné qu'un certain nombre de membres de l'opposition au Gouvernement avait publiquement souhaité des prix de licences UMTS encore plus importants que ceux qu'avait, un moment, envisagé le Gouvernement, et que bien peu, à l'époque, avaient critiqué des orientations sur lesquelles le Gouvernement était d'ailleurs revenu.

M. Gérard Larcher, rapporteur, a alors souligné qu'il y avait eu une sorte de folie collective sur l'UMTS à laquelle il ne s'était pas associé, même si d'autres y avaient participé.

M. Claude Saunier a jugé que s'il y avait une folie UMTS, il existait actuellement une « folie européenne » de libéralisation parce que d'inspiration financière et spéculative.

M. Gérard Larcher, rapporteur, lui a répondu que l'observation de ce passage d'une logique industrielle à une priorité financière figurait dans le rapport mais que la concurrence avait beaucoup apporté. Il a estimé que s'il y avait une logique industrielle à reconstruire, elle devait l'être au niveau des conseils des ministres européens.

M. Jean-Pierre Vial a alors indiqué que les questions qu'il se posait sur l'UMTS avaient reçu leur réponse au cours de ce débat.

Puis la commission a approuvé le rapport d'information, les groupes socialiste et communiste républicain et citoyen s'abstenant.