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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 21 mars 2000

- Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.

Programme de travail - Echange de vues

La délégation a tout d'abord procédé, à l'initiative de Mme Dinah Derycke, présidente, à un large échange de vues sur l'organisation et les thèmes de ses travaux auquel ont également participé Mmes Annick Bocandé, Anne Heinis, Maryse Bergé-Lavigne, Gisèle Printz, MM. Patrice Gélard et Lucien Neuwirth, Mme Odette Terrade et M. André Ferrand.

Nomination d'un rapporteur

Puis, saisie le 15 mars 2000 par la commission des affaires sociales de la proposition de loi n° 258 (1999-2000), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, elle a désigné M. Gérard Cornu en qualité de rapporteur.

Audition de M. Jean Delmas, président de l'Union professionnelle artisanale (UPA) et de Mme Dany Bourdeaux, présidente de la commission des conjoints au sein de l'UPA

La délégation a ensuite procédé à l'audition de M. Jean Delmas, président de l'Union professionnelle artisanale (UPA), et de Mme Dany Bourdeaux, présidente de la commission des conjoints au sein de l'UPA.

Mme Dinah Derycke, présidente, a rappelé que l'attention de la délégation sur la situation des conjoints d'artisans avait été notamment attirée par un amendement déposé par M. Lucien Neuwirth à l'occasion de l'examen par le Sénat du projet de loi tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.

M. Jean Delmas a souhaité insister sur les difficultés que pouvaient rencontrer les conjoints d'artisans dans l'exercice de leur activité professionnelle.

Mme Dany Bourdeaux a observé que le secteur de l'artisanat ne connaissait pas de discrimination particulière liée au sexe. Elle a précisé que la proportion de femmes chefs d'entreprise y était passée de 11 % en 1977 à 17 % en 1998, celles-ci étant présentes dans tous les secteurs, même si ceux du textile et de l'habillement sont surreprésentés.

Elle a souligné que la représentation des femmes d'artisans dans les organismes professionnels s'était améliorée. Elle a ainsi indiqué que quatre femmes présidaient actuellement des chambres de métiers, que 126 femmes étaient administratrices de caisses de sécurité sociale (mais elles sont peu nombreuses, 54 sur 600, dans la gestion de l'assurance vieillesse) et que 44 femmes avaient été élues aux élections prud'homales.

Elle a cependant déploré que les conjoints collaborateurs ne puissent être ni électeurs, ni éligibles à ces dernières élections, à l'inverse des élections aux chambres de métiers et aux caisses de sécurité sociale.

Elle a rappelé que les conjoints d'artisans pouvaient être soumis à trois statuts : le conjoint salarié, le conjoint associé et le conjoint collaborateur.

Abordant les limites du statut de conjoint collaborateur introduit par la loi du 10 juillet 1982, elle a regretté que la loi de 1985 sur les régimes matrimoniaux ait réduit la protection du conjoint collaborateur en posant de nouvelles règles d'obligation au passif portant sur les biens communs du couple. Elle a alors exprimé le souhait d'un renforcement de ce statut dans le cadre de l'entreprise en bien commun.

Elle a également souligné les importantes difficultés nées du recours systématique des banques à la pratique du cautionnement solidaire pour garantir les dettes de l'entreprise artisanale.

S'agissant du conjoint salarié, elle a relevé l'existence d'une injustice fiscale : ses cotisations sociales sont entièrement déductibles lorsque le régime matrimonial est celui de la séparation de biens, elles le sont sous plafond dans le cas du régime de la communauté.

Mme Dinah Derycke, présidente, s'est interrogée sur les raisons pouvant expliquer que seuls 6 % des conjoints d'artisans aient choisi le statut de conjoint collaborateur.

Mme Dany Bourdeaux a évalué à 30 ou 40 % la proportion des femmes d'artisans placées en dehors de chacun des trois statuts. Elle a jugé que le choix d'un statut relevait plus d'une décision du couple au regard des intérêts et des possibilités de l'entreprise que d'une seule décision du conjoint. Elle a alors estimé que les campagnes de communication sur les différents statuts avaient sans doute trop visé le seul conjoint, ignorant cette dimension de couple.

Elle a aussi observé que le choix du statut dépendait du secteur et de la taille de l'entreprise. Prenant l'exemple du bâtiment, elle a déclaré que 48 % des conjoints étaient salariés dans les entreprises comptant 10 à 20 salariés, mais 12 % seulement dans les entreprises de moins de 10 salariés.

M. Patrice Gélard a demandé si l'on notait une évolution dans l'accès des femmes aux métiers de l'artisanat -notamment dans le bâtiment- et dans l'offre des formations proposées.

Mme Dany Bourdeaux a reconnu que les femmes s'orientaient aujourd'hui plus facilement vers les métiers du bâtiment, car la pénibilité du travail y était devenue moindre. Elle a également observé un plus fort accès des jeunes filles dans les centres de formation des apprentis et dans les lycées professionnels spécialisés dans le bâtiment.

Mme Dinah Derycke, présidente, s'est interrogée sur la capacité des conjoints d'artisans à accéder à une formation.

Mme Dany Bourdeaux a indiqué que les chambres de métiers et les organisations professionnelles avaient mis en place des formations qualifiantes de niveau IV spécifiques aux conjoints collaborateurs, notamment dans le secteur du bâtiment. Elle a ainsi cité la formation à la gestion de l'entreprise artisanale du bâtiment (GEAB) et le brevet de conjoint collaborateur d'entreprise artisanale (BCCEA). Elle a ajouté que les conjoints qui le souhaitaient pouvaient approfondir leur formation en préparant un diplôme universitaire de gestion.

Répondant à Mme Gisèle Printz qui s'interrogeait sur les contacts existant entre les artisans et l'éducation nationale, elle a annoncé la signature prochaine d'une convention avec l'éducation nationale destinée à favoriser l'orientation des jeunes vers l'artisanat.

M. Jean Delmas a regretté que les chefs d'entreprises artisanales rencontrent fréquemment des difficultés pour recruter des jeunes en contrat d'apprentissage. Il a estimé nécessaire de mieux convaincre les jeunes -et leurs parents- du caractère attrayant des métiers de l'artisanat, rappelant qu'un accord de partenariat avec le ministère de l'emploi et de la solidarité et avec l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) avait été signé sur ce sujet.

Mme Gisèle Printz a estimé, sur ce point, que de meilleures rémunérations renforceraient l'attractivité de l'artisanat.

M. Jean Delmas a rappelé que les conventions collectives prévoyaient une égalité des salaires entre l'industrie et l'artisanat, soulignant ainsi que le problème venait de l'insuffisante rémunération des métiers manuels en France.

Mme Janine Bardou a, à ce propos, insisté sur la nécessité de valoriser l'image des métiers manuels non seulement auprès des jeunes, mais aussi auprès de leur famille.

Observant une évolution sensible des mentalités, favorable à l'accès des femmes à la formation et à l'emploi, M. Jean-Guy Branger s'est interrogé sur les facilités concrètes offertes aux femmes actives pour s'engager dans la vie publique.

M. Jean Delmas a indiqué que l'UPA était favorable à une meilleure représentation des femmes dans les organismes professionnels ou consulaires. S'agissant des élections aux chambres de métiers, il a estimé que la mise en oeuvre de la parité était difficile pour l'élection des membres du collège des professions, dans la mesure où la représentation des femmes était très variable selon la profession. Il s'est en revanche prononcé en faveur d'une plus grande mixité pour les élections des membres du collège des organisations syndicales, cette mixité devant cependant être le fruit d'une démarche collective.

Il a toutefois observé que, lors des dernières élections professionnelles, les femmes représentaient 20 % des élus, soit proportionnellement plus que leur présence effective dans l'artisanat.

Mme Annick Bocandé s'est interrogée sur l'état d'avancement des travaux du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle en matière d'amélioration de la représentation des femmes aux élections professionnelles.

Mme Dany Bourdeaux a reconnu que les travaux du conseil n'avaient pour l'instant débouché sur aucune proposition.

Puis, Mme Dinah Derycke, présidente, l'interrogeant sur la possibilité pour les conjoints d'être électeurs et éligibles aux chambres des métiers au regard de leur statut, elle a apporté les précisions suivantes : mentionné au répertoire des métiers, le conjoint collaborateur est électeur et éligible, le conjoint associé l'est à condition d'avoir lui-même le statut d'artisan, le conjoint salarié ne l'est pas.

Mme Dinah Derycke, présidente, a exprimé le souhait que chaque conjoint d'artisan puisse être couvert par un statut et s'est demandé si des considérations spécifiques pouvaient conduire à choisir tel ou tel statut.

Tout en se déclarant en accord avec les propos de la présidente -la nécessité d'un statut se révèle notamment dans les situations dramatiques, la femme devant pouvoir prouver, après le décès de son mari ou un divorce, qu'elle a travaillé dans l'entreprise- Mme Dany Bourdeaux a observé que l'acquisition d'un statut devait relever d'une démarche volontaire et ne pas être imposée. Elle a notamment souligné les difficultés liées à l'existence possible d'un double statut, les conjoints d'artisans pouvant exercer une activité professionnelle hors de l'entreprise artisanale. Une meilleure information des intéressés est nécessaire, a-t-elle déclaré.

Elle a estimé que le choix d'un statut pouvait être lié à des considérations financières, précisant que, si l'entreprise artisanale dégageait un revenu suffisant, le conjoint avait le plus souvent le statut de conjoint salarié. A cet égard, après avoir déploré que les ASSEDIC aient parfois refusé de considérer le conjoint comme un salarié en contestant le lien de subordination existant entre l'artisan et son conjoint, elle a indiqué qu'un récent arrêt de la cour de cassation avait levé cette ambiguïté.

En réponse à Mme Dinah Derycke, présidente, qui s'interrogeait sur l'opportunité de favoriser la reprise de l'entreprise par le conjoint survivant en cas de décès, Mme Dany Bourdeaux a rappelé que le statut de conjoint collaborateur ouvrait droit à une reprise préférentielle de l'entreprise et estimé que le problème qui se posait dans un tel cas était davantage celui de la formation du conjoint.

Revenant sur les principales attentes de l'UPA, M. Jean Delmas a, une nouvelle fois, jugé nécessaire qu'une intervention législative permette aux conjoints collaborateurs d'être électeurs et éligibles aux élections prud'homales.

Mme Dany Bourdeaux a, quant à elle, déploré à nouveau le recours systématique aux cautions solidaires, qui place les conjoints d'artisans dans des situations souvent très délicates, et ne se justifie pas, dans la mesure où il existe d'autres solutions : nantissement, hypothèque.

Enfin, répondant à une question de Mme Dinah Derycke, présidente, sur les prêts bancaires accordés aux femmes dans le secteur de l'artisanat, M. Jean Delmas a estimé qu'il n'y avait pas de discrimination et que le critère retenu était celui de la viabilité de l'entreprise, avant d'insister, à son tour, sur les problèmes de cautionnement rencontrés.