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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 20 juin 2000

- Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.

Audition de Mme Malka Marcovich, présidente du Mouvement pour l'abolition de la prostitution et de la pornographie et de toutes formes de violences sexuelles et discriminations sexistes (MAPP)

Dans le cadre des auditions organisées sur le thème de la prostitution, la délégation a procédé à l'audition de Mme Malka Marcovich, présidente du Mouvement pour l'abolition de la prostitution et de la pornographie et de toutes formes de violences sexuelles et discriminations sexistes (MAPP).

Mme Malka Marcovich
a tout d'abord rappelé que le MAPP, qui existe depuis deux ans, est la branche européenne de la Coalition contre le trafic des femmes (CATW), organisation non gouvernementale bénéficiant d'un statut consultatif auprès de l'Organisation des Nations unies. Il appartient à la Fédération abolitionniste internationale (FAI) fondée en 1876 par Joséphine Buttler qui, en même temps qu'elle luttait pour la promotion des droits civiques, milita pour l'abolition du système des maisons de tolérance, à l'époque appelé " système français " et considéré comme une forme persistante de l'esclavage. Ce combat abolitionniste, a poursuivi Mme Malka Marcovich, a contribué à une prise de conscience internationale, à la signature au début du siècle de deux grands traités sur la traite des blanches et, à l'issue des enquêtes conduites par la Ligue des Nations durant l'entre-deux-guerres, à la Convention internationale de l'ONU du 2 décembre 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui.

Mme Malka Marcovich a souligné que ce texte était une des conventions sur les droits de l'homme, et qu'il avait été signé d'ailleurs un an seulement après la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Elle a indiqué qu'il était très attaqué aujourd'hui sur la scène européenne et internationale pour des raisons qu'elle a jugées " fallacieuses ". Reconnaissant cependant que la convention de l'ONU est en partie inopérante en l'absence de protocole contraignant, elle a précisé qu'elle avait été ratifiée par soixante-douze pays seulement, dont la France en 1960, mais que l'article 6 de la CEDAW (Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes), que 150 Etats ont ratifiée, reprenait sa formulation.

Mme Malka Marcovich a ensuite dénoncé les risques d'une banalisation de la prostitution et d'une légalisation du proxénétisme en raison des glissements sémantiques auxquels on assiste dans les négociations internationales à l'initiative de certains Etats, comme les Pays-Bas.

Puis, elle a regretté les incohérences de la politique française et le morcellement du traitement du phénomène de la prostitution dû à des approches ministérielles différentes. Elle a évoqué les négociations internationales en cours à Vienne depuis janvier 1999 sur le projet de convention de lutte contre la criminalité transnationale qui doit faire l'objet de trois protocoles distincts (trafic des armes, trafic relatif à l'immigration clandestine, traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants). Elle a, s'agissant du troisième protocole, vivement déploré les tentatives actuelles pour supprimer certains termes fondamentaux, comme l'expression " avec ou sans consentement " à l'exploitation sexuelle -qu'elle a qualifiée de " clause de protection "- et le fait qu'on ne parle que des modalités de la traite (y-a-t-il ou non coercition ?) et non du but.

Mme Malka Marcovich a indiqué que le MAPP s'intéressait aussi aux problèmes posés par Internet (également sous l'angle de l'incitation à la discrimination raciale), avant de déplorer le fait que la sexualité humaine puisse faire l'objet d'un commerce, alors que le Comité national d'éthique, s'agissant par exemple des mères porteuses, s'est prononcé contre la location ou toute forme de pratique commerciale ayant pour objet le corps humain.

Un débat a suivi.

Mme Dinah Derycke, présidente, a insisté sur le fait que les subtilités de vocabulaire dans les négociations internationales, apparemment anodines, pouvaient avoir des conséquences extrêmement lourdes. Elle s'est, par ailleurs, interrogée sur l'attitude des Pays-Bas en faveur d'une décriminalisation de la prostitution et ses conséquences concrètes pour les prostituées.

Mme Malka Marcovich a souligné que jusqu'à ces dernières années, on distinguait trois régimes à l'égard de la prostitution : le régime " prohibitionniste " qui condamne à la fois prostituées, proxénètes et clients, mais où, comme le montre l'expérience dans certains Etats américains, une distinction de fait s'opère au détriment des femmes qui sont les plus souvent pénalisées ; le " réglementarisme " pour lequel la prostitution est un " mal nécessaire " qu'il est préférable de contrôler : reconnaissance des maisons closes, mise en carte des prostituées, contrôle sanitaire ; enfin l'" abolitionnisme " qui criminalise l'exploitation de la prostitution, mais ni les femmes qui s'y livrent, ni leurs clients. Cette classification, a fait observer Mme Malka Marcovich, est aujourd'hui remise en cause en raison d'une " transformation du vocabulaire ". Ainsi, la résolution du Parlement européen du 18 mai dernier requalifie de prohibitionnistes les pays abolitionnistes qui, comme la France, ont ratifié la convention de 1949.

Mme Malka Marcovich a ensuite évoqué l'action des Pays-Bas en faveur de la décriminalisation du proxénétisme et de la réglementation des conditions de travail des prostituées qualifiées de " travailleuses du sexe ". Elle a déploré cette approche fondée sur l'individualisme qui occulte la réalité du proxénétisme moderne dont les ramifications dépassent de loin le cadre étatique et posent des enjeux économiques transnationaux. Elle a déclaré qu'il n'existait pas de consensus en Europe, contrairement à ce qu'affirment les Pays-Bas, et estimé que la France, avec la Belgique et la Finlande, avait su jusqu'alors se montrer assez ferme dans les négociations menées à Vienne, qui s'achèveront en décembre prochain. Elle a indiqué que, dans ces négociations, trente-trois pays avaient affirmé leur attachement à la convention de l'ONU de 1949 et une dizaine seulement, notamment les pays de l'Europe du Nord, leur opposition.

Mme Annick Bocandé a souhaité davantage d'informations sur les incohérences de la politique française face au problème de la prostitution.

Mme Malka Marcovich a tout d'abord rappelé que, prévue en 1960 lors de la ratification de la convention de 1949, la création dans chaque département d'un service de prévention et de réinsertion était pratiquement restée sans suite, laissant l'initiative dans ce domaine aux associations, pour la plupart confessionnelles.

Elle a ensuite indiqué que les prostituées, qui, " dans l'esprit de 1960 " ne payaient pas d'impôt, avaient commencé à être imposées sur le revenu dans les années soixante-dix et qu'on avait assisté dans le même temps à une recrudescence des contraventions pour racolage.

Elle a précisé que les crédits budgétaires de la politique menée à l'égard de la prostitution étaient alloués aux Directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), que les subventions aux associations étaient gérées par le Service des droits des femmes et qu'en matière de santé et de lutte contre le SIDA, les crédits allaient aux associations " réglementaristes " comme le " Bus des Femmes " à Paris ou " Cabiria " à Lyon.

Elle a souligné l'importance du travail des associations sur le terrain, mais estimé qu'en leur laissant les tâches de prévention et de réinsertion, l'Etat se dispensait d'une réflexion globale sur le sujet ; elle a fait observer par ailleurs que les associations n'étaient pas habituées à travailler avec les prostituées d'origine étrangère, alors que la prostitution en provenance notamment des pays de l'Est est en forte augmentation. Enfin, elle a déploré l'absence de communication entre les différents ministères concernés, l'information entre eux passant souvent par les organisations non gouvernementales (ONG).

Mme Janine Bardou s'est interrogée sur l'approche française de la prostitution et du proxénétisme en doutant que la perspective d'une reconduite à la frontière soit pour les prostituées étrangères une incitation à porter plainte contre les proxénètes.

Mme Malka Marcovich est revenue sur les risques de glissement sémantique, certains ayant souhaité à Vienne remplacer le mot " victimes " par ceux de " personnes trafiquées ", avant d'indiquer que la législation belge protégeait les prostituées pendant quarante-cinq jours si elles décidaient de porter plainte, la législation italienne, quant à elle, offrant la même protection lorsque les associations portent plainte es-qualité. Tout en jugeant la seconde solution préférable à la première, elle a qualifié de telles dispositions de " choquantes " dans la mesure où elles subordonnent la protection au dépôt d'une plainte, système qui n'a pas d'équivalent dans d'autres domaines et qui est contraire aux libertés fondamentales des victimes.

Mme Janine Bardou a estimé que le premier devoir des pouvoirs publics était quand même de protéger les personnes.

Mme Malka Marcovich a ensuite fait valoir que les lois sur l'immigration étaient un élément important du dispositif de lutte contre la prostitution, en soulignant l'importance en ce sens des discussions menées à Vienne sur le second protocole consacré au trafic des immigrants clandestins.

Mme Janine Bardou demandant si la politique des Pays-Bas était suivie par d'autres pays, Mme Malka Marcovich a cité les exemples de l'Australie, de l'Allemagne et de la Nouvelle Zélande et, soulignant aussi le " silence " de nombreux pays sur la question, elle a évoqué les intérêts économiques sous-jacents, notamment avec les ramifications de l'industrie du sexe et de la pornographie.

Mme Dinah Derycke, présidente, a insisté sur l'importance des problèmes posés par les nouvelles technologies dans la diffusion de la prostitution à l'échelle mondiale.

Audition de Mme Colette Villey et de M. Jacques Millard, du Mouvement du Nid

Puis la délégation a procédé à l'audition de Mme Colette Villey et de M. Jacques Millard, du Mouvement du Nid.

Mme Colette Villey
a tout d'abord retracé l'évolution du Mouvement du Nid depuis 1937, date de sa création par le Père Talvas. Ses préoccupations sont triples : dialogue avec les prostituées et accompagnement des démarches de réinsertion ; information de l'opinion et des pouvoirs publics sur le phénomène prostitutionnel, sur ses causes qui ne sont pas simplement individuelles mais aussi collectives, sur la prostitution en tant qu'organisation financière aux dimensions nationales et internationales ; réflexion sur les questions que pose la prostitution, qui est une négation des droits de l'homme, en ce qui concerne les rapports hommes/femmes, les inégalités, la sexualité, les conceptions de la vie et de la mort.

Mme Colette Villey a ensuite insisté sur la banalisation de la prostitution, perceptible à travers les différents glissements sémantiques qui tendent à présenter les prostituées comme des " travailleuses du sexe " et les proxénètes comme des " managers d'entreprise ", à travers aussi l'insertion dans le champ économique et social par le biais de la fiscalisation. Les prostituées, a-t-elle précisé, sont imposées sur les bénéfices non commerciaux, ce qui entraîne un assujettissement à la TVA, à la taxe professionnelle et à l'URSSAF. Leurs dettes fiscales atteignent parfois le million de francs.

Puis elle a dénoncé un certain désengagement des pouvoirs publics : les services départementaux de prévention et de réinsertion prévus en 1960 lors de la ratification de la convention de l'ONU de 1949 n'ont jamais dépassé la dizaine et ont été supprimés. Dans le même temps, la répression fiscale aboutit à une reconnaissance de la prostitution par l'Etat.

M. Jacques Millard, après avoir estimé que la prostitution était " le symptôme d'une maladie personnelle " et rapporté que certaines prostituées avaient évoqué devant lui un " suicide de tous les jours ", a insisté à son tour sur l'entrave que constitue la fiscalisation pour la réinsertion.

Mme Colette Villey a parlé de l'enfermement des prostituées dans un " premier discours " de légitimation, dans lequel toute soumission à d'éventuels proxénètes est occultée (" il n'y a pas de proxénètes, mais des amis de coeur "), et estimé que le dépassement de ce premier discours, que les interlocuteurs des prostituées cherchent à aider, constituait la première étape d'un retour à une vie normale.

Un débat s'est ensuite instauré.

M. Alain Gournac a demandé si les chances de sortie de la prostitution, notamment féminine, évoluaient.

M. Jacques Millard a souligné qu'il était difficile de quantifier et que le processus de réinsertion était long. Il s'agit, a-t-il dit, de tout un " réapprentissage ", les prostituées " ne croyant plus en elles ". Il a estimé que la prostitution était un " passage " dans lequel la fiscalité enfermait les prostituées.

Après que Mme Colette Villey eut souligné qu'il fallait pour la réinsertion " du temps, de la patience et une série de rencontres ", M. Jacques Millard a déclaré que, sans sous-estimer les problèmes financiers, il s'agissait surtout pour les prostituées d'apprendre à reprendre contact avec la société.

Renchérissant sur ce point, Mme Colette Villey a déclaré que pour quitter la prostitution, il fallait, comme le lui avait dit une prostituée, " avoir un but à sa vie ", et que l'argent, objectif immédiat des prostituées, ne soit plus ce but.

M. Alain Gournac a fait valoir que le rapport à l'argent ne saurait expliquer le fait que certaines personnes, qui bénéficient par ailleurs d'une situation matérielle plus que confortable, s'adonnent à la prostitution dite " de luxe ".

S'agissant de la prostitution de luxe, M. Jacques Millard a rappelé que les personnes concernées n'échappaient pas au proxénétisme, comme l'ont montré certaines affaires judiciaires récentes, et il a souligné la nécessité de se méfier des apparences.

M. Jean-Louis Lorrain a suggéré de parler non pas de la prostitution mais des prostitutions, tant les motivations sont diverses, et demandé s'il ne convenait pas, dans ce cas, d'avoir des approches différenciées.

M. Jacques Millard a reconnu qu'il y avait plusieurs formes de prostitution, mais estimé que le fond de la prostitution était toujours le même : une atteinte à la dignité, une désespérance.

Mme Colette Villey a appuyé ce propos en admettant que l'on puisse parler éventuellement de la prostitution et de ses différentes formes, mais pas de prostitutions au pluriel.

Evoquant le développement, ces dix dernières années, du trafic de personnes en provenance des pays de l'Est et d'Afrique, Mme Dinah Derycke, présidente, a demandé si les approches étaient différentes, notamment en matière de réinsertion. Elle s'est ensuite interrogée sur l'attitude qu'il convient d'avoir à l'égard du client, sur sa responsabilisation par l'éducation ou la sanction.

Mme Danièle Pourtaud a évoqué l'existence d'une responsabilité collective dans l'image qui est donnée de la prostitution dans la littérature ou au cinéma, image " déculpabilisante " pour la société et le client.

Mme Colette Villey a estimé que la prostitution bafouant le corps des femmes, l'éducation était en la matière indispensable. Elle a indiqué que le Mouvement du Nid était hostile à la pénalisation du client, qui est une " fausse solution ", et invité plutôt à s'interroger sur les motivations de ce dernier et à progresser dans l'approche globale du phénomène prostitutionnel.

Mme Dinah Derycke, présidente, a fait observer qu'il n'y avait plus aujourd'hui de " proxénétisme de proximité ", mais une mafia mondiale dans laquelle les proxénètes ne connaissent plus personnellement les prostituées.

Mme Colette Villey a résumé les buts à poursuivre : pénaliser le proxénétisme et refuser la prostitution, comme on avait refusé l'esclavage. Même si l'esclavage a existé encore après Victor Schoelcher, a-t-elle souligné, " on lui avait dit non dans la conscience collective ".

Après que M. Jacques Machet eut insisté sur le rôle de la famille en matière de prévention, M. Jacques Millard a enfin rappelé que certaines prostituées n'avaient pas eu accès, dès leur enfance, à certains droits fondamentaux.

Audition de Mme Marie-Victoire Louis, chercheur au CNRS

Puis la délégation a reçu Mme Marie-Victoire Louis, chercheur au CNRS.

Mme Marie-Victoire Louis
a annoncé qu'elle ne pouvait séparer son travail de chercheur sur la prostitution de son engagement militant en faveur du combat féministe et abolitionniste, qui constituent deux éléments indissociables de son action.

Elle a rappelé les enjeux, déterminants selon elle, de l'adoption, le 19 mai dernier au Parlement européen, d'un texte considérant comme " inappropriée " la convention de l'ONU de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui. Elle a indiqué que le Conseil de l'Europe avait, le même jour, adopté une position similaire.

Elle a constaté qu'il s'agissait là d'une avancée décisive de la politique libérale, prônée notamment par les Pays-Bas, envers la prostitution. Cette politique libérale n'a cessé de progresser dans les instances internationales depuis le début des années 1990.

Mme Marie-Victoire Louis a rappelé que la Convention de 1949 -qui n'a été ratifiée par la France qu'en 1960- avait certes vieilli, mais qu'elle posait des principes déterminants, acquis au terme d'un siècle de lutte en faveur de l'abolition de la prostitution. Ainsi, son préambule constitue-t-il le premier texte international à porter un jugement de valeur négatif sur la prostitution, elle considère la traite comme une conséquence de la prostitution, et ses articles 1 à 4 pénalisent le proxénétisme.

Ce texte doit, certes, être actualisé, a-t-elle estimé, notamment pour prendre en considération l'innovation de la Suède, qui pénalise désormais les clients.

Mme Marie-Victoire Louis a conclu en soulignant l'impérieuse nécessité de lutter contre la politique libérale, qui présente de nombreuses failles qu'une action résolue devrait permettre de mettre à jour, et de " reconceptualiser un nouvel abolitionnisme " sur la base d'une révision de la convention de 1949.

Un débat a suivi.

M. Alain Gournac s'est interrogé sur le contenu de l'abolitionnisme, et sur les moyens concrets à mettre en oeuvre pour réduire la prostitution. Il a cité l'exemple de la Suède, où il s'est rendu, et qui est loin d'être débarrassée de cette activité.

Mme Marie-Victoire Louis a rappelé que la nouvelle législation suédoise a été mise en place il y a seulement deux ans, ce qui constitue un délai trop bref pour qu'elle ait atteint tous ses effets.

Mme Dinah Derycke, présidente, a souhaité obtenir des précisions sur le contenu de l'avancée " libérale " dénoncée par Mme Marie-Victoire Louis.

En réponse, celle-ci a indiqué que toutes les instances internationales -Organisation des Nations unies, Bureau international du travail, Union européenne, notamment- étaient le lieu d'une " déferlante libérale " qui s'emploie à faire sauter le verrou éthique que constitue la conception abolitionniste, qui pénalise le proxénétisme. La législation suédoise, qui devrait être bientôt adoptée également par la Finlande, a pour intitulé " loi pour la paix des femmes ", ce qui souligne bien ses intentions.

M. Jean-Louis Lorrain a salué l'objectif poursuivi par ce texte, mais s'est interrogé sur son caractère réaliste.

Mme Marie-Victoire Louis a estimé qu'il s'agissait d'une utopie mobilisatrice, de nature à réunir les aspirations citoyennes et à changer le regard sur la prostitution. Elle a qualifié la pénalisation du client en Suède d' " acquis politique fondamental ".

Mme Danièle Pourtaud a demandé si la pénalisation du client impliquait la dépénalisation de la prostituée, et a estimé que la violence contre l'être humain que constitue la prostitution rejoignait celle engendrée par l'esclavage.

En réponse, Mme Marie-Victoire Louis a estimé que l'esclavage était un système spécifique, ne serait-ce que parce que l'esclave naît et meurt dans cette condition diminuée. Elle a reconnu la forte valeur symbolique que constituait la référence à l'esclavage, mais a remarqué que la pratique esclavagiste consistant à aliéner la force de travail faisait l'objet d'un système juridique rigoureux et spécifique, distinct de celui qui permettait de lutter contre la prostitution. Elle s'est donc déclarée réservée devant l'équivalence de ces deux notions.

Elle a ajouté que la prostitution ne pouvait se comprendre que si on l'analysait comme une conséquence perverse du système patriarcal ; en effet, la quasi-totalité des clients sont des hommes et les femmes proxénètes -elles sont peu nombreuses- ne sont que des prête-noms.

Mme Dinah Derycke, présidente, s'est interrogée sur l'origine du courant libéral qui mène actuellement des offensives victorieuses contre la convention de 1949.

Mme Marie-Victoire Louis a souligné que les Pays-Bas se trouvaient à la pointe de cette mouvance, qui comprend également l'Allemagne et la Belgique ; elle a déploré que l'Europe entière soit progressivement gagnée par les thèses hollandaises, qui avancent en l'absence de tout débat démocratique. Estimant que les diverses mafias sont loin d'être les seuls promoteurs de la libéralisation du marché du sexe, elle a relevé que la seule stigmatisation du trafic d'êtres humains, sans que soit également dénoncé le proxénétisme, revient à nier la nature criminelle de la prostitution, et à en privilégier la seule approche économique, réduisant ainsi cette activité à un contrat passé entre clients et prostituées.

Mme Danièle Pourtaud a rappelé qu'en tant que membre de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, elle avait constaté les efforts déployés par la France pour éviter l'adoption du texte évoqué par Mme Marie-Victoire Louis. Elle a souligné la nécessité, pour les membres de cette assemblée, de rechercher un accord susceptible de rallier la majorité des voix, faute de quoi l'échec de tels efforts était assuré, et a donc souhaité que Mme Marie-Victoire Louis précise les éléments qui lui semblent le plus condamnables dans le texte récemment adopté par le Conseil de l'Europe.

Mme Marie-Victoire Louis a jugé que la seule définition liminaire du trafic d'êtres humains contenue dans ce texte était déjà trop réductrice pour constituer un élément efficace de lutte contre la prostitution ; elle a également déploré que les Pays-Bas et l'Allemagne se soient réservés une possibilité éventuelle de ne pas appliquer ce texte. Elle a reconnu que les conférences internationales ne constituaient pas de bons lieux de débat, car les textes mis en discussion étaient déjà " bouclés ", ce qui rendait toute modification très difficile.

Elle a considéré comme très regrettable que le texte adopté le 19 mai 2000 par le Conseil de l'Europe accepte qu'une logique de contrat puisse s'instaurer entre prostituées et clients, et passe sous silence l'existence du proxénétisme.

En conclusion, Mme Dinah Derycke, présidente, a souligné combien le sujet était difficile à traiter et déploré l'offensive actuellement menée pour présenter la prostitution comme une activité économique comparable à d'autres, ce qui tend à en banaliser le caractère oppressif.