Table des matières


DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 30 janvier 2001

- Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.

Nomination d'un rapporteur

La délégation a tout d'abord désigné M. Philippe Richert comme rapporteur du projet de loi n° 185 (2000-2001) relatif à la modernisation sociale, adopté par l'Assemblée nationale, à la suite de sa saisine par la commission des affaires sociales.

Examen du rapport d'activité 2000

Puis elle a examiné le rapport d'activité 2000 de la délégation, présenté par Mme Dinah Derycke, présidente.

Mme Dinah Derycke, présidente, a indiqué que ce rapport comprenait deux parties, la première retraçant l'examen des projets et propositions de loi dont la délégation a été saisie en 2000, la seconde rendant compte des travaux menés sur le thème particulier de la prostitution et proposant un certain nombre de recommandations en la matière.

Sans insister sur la première partie, elle s'est néanmoins félicitée des relations qui se sont établies entre la délégation et les commissions chargées de l'examen au fond des textes : les demandes de saisine émises par la délégation ont toujours été bien accueillies et les commissions ont systématiquement invité les rapporteurs de la délégation à venir leur présenter les recommandations que cette dernière avait adoptées.

S'agissant de la deuxième partie de son rapport, Mme Dinah Derycke, présidente, a déclaré à titre liminaire que la prostitution constituait l'une des pires formes possibles d'exclusion. Indiquant qu'elle pouvait faire l'objet de trois approches possibles -abolitionnisme, réglementarisme, prohibitionnisme-, elle a rappelé que la France avait fait le choix de l'abolitionnisme en 1960 en ratifiant la Convention de l'ONU du 2 décembre 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui.

Puis après avoir donné un aperçu de la prostitution actuelle -où coexistent des formes " traditionnelles " et un vaste trafic d'êtres humains à l'échelle internationale-, Mme Dinah Derycke, présidente, a abordé tour à tour l'approche de la police et de la justice (en soulignant que notre arsenal législatif de lutte contre le proxénétisme était l'un des plus sévères), le volet social de prévention de la prostitution et de réinsertion des prostituées (point faible de la politique française), le problème particulièrement délicat de la fiscalisation des revenus de la prostitution et les aspects internationaux du dossier.

Elle a ensuite proposé à la délégation les recommandations suivantes :

- doter la politique de lutte contre la prostitution des structures qui lui manquent et qui devraient la rendre plus cohérente : un observatoire qui permettrait de disposer tout à la fois d'un réel outil statistique, d'un instrument de recensement et de diffusion des actions mises en oeuvre et d'une capacité d'expertise des besoins ; un rapporteur national afin de faciliter l'échange d'informations sur la traite des femmes, conformément à la recommandation de la Conférence de " Pékin plus cinq " ;

- élargir le champ des politiques publiques, au-delà de la prostitution de rue, à l'ensemble des formes d'activité prostitutionnelle, y compris les moins visibles (salons de massage, bars à hôtesses) ;

- en ce qui concerne l'approche de la police et de la justice : augmenter les moyens de l'Office central de répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), faire de la lutte contre le proxénétisme une priorité de la police et renforcer la politique de coopération entre les différents pays ;

- s'agissant de la prévention et de la réinsertion, points faibles de la politique française : agir au niveau des politiques générales pour améliorer la situation de droit et de fait des femmes ; mettre l'accent sur l'information en organisant notamment des campagnes nationales et régulières, sensibiliser les jeunes dans le cadre de l'enseignement scolaire et les personnels éducatifs ; intégrer l'approche de la prostitution dans la formation des travailleurs sociaux et des agents des services publics qui ont en charge l'application de la législation et de la réglementation en la matière ; augmenter les crédits budgétaires accordés aux associations et assurer leur pérennité, en même temps que le contrôle de leur utilisation ; mettre en place les commissions départementales prévues par la circulaire du 25 août 1970 et obliger l'Etat à être un " acteur social " de la lutte contre la prostitution dans tous les départements, directement ou par voie conventionnelle ; tout mettre en oeuvre pour aider à quitter la prostitution, notamment en augmentant le nombre des foyers d'accueil, en créant un numéro vert pour orienter les prostituées vers les organismes publics et privés susceptibles de les aider dans leurs démarches de réinsertion, en mettant en place des dispositifs de formation adaptés, en accordant systématiquement un moratoire s'agissant des poursuites fiscales, dès lors que la volonté d'abandonner la prostitution a été manifestée, et en faisant bénéficier sans délai les prostituées qui amorcent une réinsertion des minima sociaux et d'un logement ;

- au même chapitre de la fiscalisation, et sans trancher immédiatement la question extrêmement délicate de l'opportunité d'imposer les revenus de la prostitution, exclure les produits de la prostitution et du proxénétisme de leurs catégories fiscales actuelles (bénéfices non commerciaux, voire traitements et salaires, pour la prostitution, et bénéfices industriels et commerciaux pour le proxénétisme) afin d'éviter de présumer, sur le plan fiscal, qu'ils constituent des professions ; renoncer à la perception de la TVA sur les revenus du proxénétisme pour la raison de principe que la valeur ajoutée est, dans le cas d'espèce, retirée de l'exploitation de la prostitution d'autrui, mais condamner systématiquement les proxénètes à verser des dommages-intérêts aux prostituées ;

- ratifier au plus vite la Convention sur la criminalité transnationale organisée et ses protocoles additionnels, en premier chef le protocole relatif à la traite des êtres humains, en particulier des femmes et des enfants, afin de donner une expression complète à la détermination dont la France a fait preuve lors des négociations de Vienne ;

- s'atteler à deux problèmes qui méritent une réflexion approfondie : celui du " client " de la prostitution (faut-il le responsabiliser par l'éducation ou la pénalisation ? il ne saurait en tout cas être plus longtemps ignoré) ; celui de la protection des victimes de la traite (notre position abolitionniste nous commande de prendre des mesures en leur faveur et les textes internationaux nous le recommandent désormais).

Un débat a suivi.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a estimé, au travers d'une série de remarques sur le plan sémantique, que le rapport de Mme Dinah Derycke, présidente, jugeait peut-être un peu trop sévèrement les politiques publiques conduites pour faire face au problème de la prostitution.

En réponse, Mme Dinah Derycke, présidente, a insisté sur le fait que le rapport de la délégation sur la prostitution était un rapport attendu, en soulignant que c'était la première fois qu'une institution se penchait sur le problème. Elle a justifié la relative sévérité de son analyse, tout en précisant que celle-ci ne visait aucun gouvernement en particulier. L'Etat, a-t-elle dit, n'a pas fait, à l'égard de la prostitution, " le minimum du minimum " et, lorsqu'on a, par l'abolitionnisme, rompu avec toute réglementation en matière de prostitution, " on n'a pas su inventer des politiques au diapason des ambitions ". Il faut, a-t-elle poursuivi, " une parole assez forte " si l'on considère que la prostitution est une atteinte à la dignité humaine. Le problème, lorsqu'on l'examine sous l'angle des droits de l'Homme, est intolérable et ne peut être considéré comme secondaire. Il est donc indispensable de pointer ce qui n'a pas été fait. Il faut souligner aussi les avancées positives, comme notre législation en matière de lutte contre le proxénétisme ou l'attitude de la France dans les négociations internationales comme, récemment, à Vienne.

Puis Mme Dinah Derycke, présidente, est revenue sur la fiscalisation des revenus de la prostitution. Elle a dit qu'elle ne proposait pas à la délégation de trancher la question délicate de son opportunité au stade de ce rapport conçu comme un rapport d'étape, mais elle a posé les termes du débat qu'elle souhaite voir ouvrir : certaines associations dénoncent l'imposition en faisant valoir que la prostitution constitue un esclavage moderne, cependant que d'autres font observer que la prostitution est une activité légale et que, si l'on considère le principe de l'égalité des citoyens devant l'impôt, il n'est pas anormal que les prostituées soient imposables.

Si l'on ne tranche pas aujourd'hui le débat, a-t-elle déclaré, il faut en revanche dénoncer les incohérences fiscales et, s'agissant de l'impôt sur le revenu, créer une nouvelle catégorie fiscale afin d'éviter de présumer la profession, dans le cas et de la prostitution et du proxénétisme.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a estimé qu'il serait plus moral de saisir la totalité des produits retirés de la prostitution et de condamner à de lourdes amendes.

Insistant sur sa préoccupation de ne pas voir la prostitution fiscalement assimilée à une profession, Mme Dinah Derycke, présidente, a indiqué que certaines prostituées souhaitaient précisément être imposées afin d'être reconnues comme " travailleuses du sexe " et Mme Odette Terrade a précisé que, pour d'autres, il s'agissait de pouvoir disposer d'un certificat d'imposition ou de non-imposition réclamé dans diverses démarches.

M. Michel Dreyfus-Schmidt soutenant, en évoquant le cas de Cuba, que la prostitution peut disparaître dès lors qu'on la déclare illégale, Mme Dinah Derycke, présidente, a fait observer qu'une telle proposition conduisait à abandonner l'abolitionnisme au profit du prohibitionnisme, avant d'indiquer qu'aucun pays au monde, quel que soit son choix de système, n'avait réussi à supprimer la prostitution et qu'à Cuba, le fait que celle-ci était moins perceptible dans la rue signifiait simplement qu'elle était davantage cachée.

M. Jean-Louis Lorrain a insisté sur les liens entre prostitution et drogue et sur le contexte médical, notamment l'endémie du SIDA, en estimant que la réflexion sur la prostitution devait en tenir le plus grand compte.

Mme Dinah Derycke, présidente, a précisé que les rapports entre prostitution et drogue " jouaient dans les deux sens " : certaines personnes recourent à la prostitution pour financer l'achat de drogue, mais il est fréquent aussi que les prostituées recourent à la drogue, et plus souvent encore à l'alcool, pour supporter leur condition. Quant à l'argument sanitaire, elle a rappelé qu'il avait été utilisé, avec la syphilis, pour justifier la création des maisons closes.

Après que M. Jacques Machet eut évoqué le cas des prostituées qui vieillissent et que Mme Odette Terrade eut fait observer que les propositions de recommandations de Mme Dinah Derycke, présidente, traduisaient fidèlement les préoccupations exprimées lors des auditions de la délégation et du colloque organisé le 15 novembre 2000, ces propositions ont été adoptées à l'unanimité.