DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES


Table des matières


Mercredi 9 mai 2001

- Présidence de Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente, puis de M. Gérard Cornu.

Nomination d'un rapporteur

La délégation a tout d'abord désigné M. Philippe Nachbar comme rapporteur sur la proposition de loi n° 224 (2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, relative aux droits du conjoint survivant et sur la proposition de loi n° 211 (2000-2001) de M. Nicolas About visant à améliorer les droits et les conditions d'existence des conjoints survivants et à instaurer dans le Code civil une égalité successorale entre les enfants légitimes et les enfants naturels ou adultérins.

Audition de Mme Nicole Hervé, présidente de la FAVEC, et de M. Philippe Jamali, juriste

Puis elle a entendu Mme Nicole Hervé, présidente de la FAVEC (Fédération des associations de conjoints survivants) et M. Philippe Jamali, juriste.

Mme Nicole Hervé a déclaré que l'amélioration des droits des conjoints survivants était une demande de longue date de la FAVEC en soulignant qu'elle aurait préféré l'octroi, à ces derniers, d'une part réservataire.

Cette solution ne faisant pas l'unanimité, la FAVEC s'est ralliée, temporairement, à l'opinion majoritaire qui souhaite donner aux conjoints survivants les mêmes droits, dans la succession, qu'aux parents du défunt lorsqu'il n'y a pas d'enfants (solution qui, a souligné Mme Nicole Hervé, évite, pour le conjoint survivant, la création d'une obligation alimentaire à l'égard des parents du défunt ; en effet, s'il devait hériter la totalité de la succession, il devrait reprendre entièrement les droits et devoirs du défunt, et donc l'obligation alimentaire à l'égard de ses beaux-parents). Ainsi, en l'absence d'enfant, le conjoint survivant héritera la moitié de la succession si les deux parents sont vivants, 75 % de la succession si un des parents est prédécédé et la totalité si les deux le sont.

En présence d'enfants, la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale vise à donner au conjoint survivant une part équivalant à un quart de la succession en pleine propriété. Elle attribue également au conjoint survivant, tout en laissant au défunt la possibilité de s'y opposer, un droit au logement convertible, avec l'accord des héritiers, en un droit à une rente viagère. Il est, en effet, souhaitable que le conjoint survivant puisse bénéficier un jour d'une rente s'il est contraint, par exemple par la vieillesse, d'abandonner son logement.

M. Philippe Jamali a alors précisé que le conjoint survivant disposait d'un délai d'un an pour choisir entre le droit au logement et la rente viagère. Il a fait observer que s'il choisissait la rente viagère, il ne pourrait plus revenir sur son choix, alors qu'en optant pour le droit au logement il pourra, par la suite, avec l'accord des héritiers, le convertir en rente viagère. Il a, en outre, indiqué que le délai d'option de douze mois donné au conjoint semblait court pour lui permettre de réorganiser sa vie et que la FAVEC souhaiterait qu'un délai de dix-huit mois soit retenu. Par ailleurs, il a relevé le risque de confusion qui pourrait s'établir entre ce délai d'option et le droit qu'aurait le conjoint de se maintenir dans le logement conjugal pendant douze mois, y compris lorsque le défunt ne lui aura pas accordé le droit d'habitation.

Mme Nicole Hervé a ensuite souligné que les veuves n'étaient pas toujours des personnes âgées et que si le droit au logement sera l'option que privilégieront aussi vraisemblablement les personnes jeunes ayant encore des enfants à charge, il fallait maintenir la possibilité d'une évolution ultérieure. Elle a, de plus, insisté sur le fait qu'il était souhaitable que la nouvelle loi entre le plus tôt possible en application, en rappelant qu'aujourd'hui le conjoint survivant sans enfants n'arrivait qu'en quatrième position dans la succession.

Un débat s'est ensuite engagé.

M. Philippe Nachbar, rapporteur, a souhaité obtenir des précisions sur le nombre de veufs et de veuves et le profil moyen des conjoints survivants.

Mme Nicole Hervé a indiqué qu'il y avait en France près de 4 millions de conjoints survivants, soit approximativement 3,2 millions de femmes et 600.000 hommes. Si elle a confirmé que la proportion des veuves s'accroissait avec l'âge, elle a néanmoins indiqué que le nombre de femmes veuves de moins de vingt ans était en progression sensible, passant d'un millier en 1990 à 1.700 environ en 1999, en raison notamment des accidents de la circulation. Au sujet du niveau de vie des veuves, elle a expliqué qu'il était sensiblement inférieur à celui des couples de même âge toutes choses égales par ailleurs (si le coût de la vie est de 100 pour un couple, il ne s'établit pas à 50 à la mort de l'un des époux, mais à 70, en raison d'un certain nombre de charges fixes). Elle a, à ce propos, marqué l'opposition de la FAVEC à toute idée de suppression de la pension de réversion.

Répondant à M. Gérard Cornu qui l'interrogeait sur les critères régissant le versement d'une telle pension, Mme Nicole Hervé a rappelé que ce dernier était soumis à une appréciation des ressources, dans lesquelles était injustement incluse, depuis la loi de finances pour 1999, la majoration de 10 % pour les personnes ayant élevé au moins trois enfants.

M. Philippe Nachbar, rapporteur, a ensuite évoqué le débat entre droit d'usufruit et pleine propriété et s'est interrogé sur les moyens d'information qu'il conviendrait de développer pour sensibiliser les familles au problème des droits du conjoint survivant.

Mme Nicole Hervé a indiqué qu'elle souhaitait le maintien des possibilités de choix pour faire face aux différentes situations de veuvage. Elle a également souhaité que les familles soient mieux informées afin d'éviter des prises de conscience trop tardives et des situations personnelles difficiles.

M. Philippe Jamali a précisé que la proposition de loi n'empêcherait en aucun cas les couples de prendre des dispositions juridiques visant à protéger le dernier vivant, notamment par une donation, ce qui serait déjà le cas, selon les notaires, dans près de 80 % des successions. Il a indiqué que ce chiffre apparaissait toutefois supérieur à la réalité à la FAVEC, avant de souligner qu'elle orientait systématiquement les personnes concernées vers des notaires qui restent les principaux conseillers des familles.

M. Jean-Guy Branger s'est alors inquiété d'une éventuelle volonté de supprimer la pension de réversion, car il lui semblait injuste que le décès du conjoint entraîne la baisse du niveau de vie de la famille.

Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente, tout en relevant que la question de la pension de réversion n'était pas l'objet direct des présentes propositions de loi, a indiqué qu'elle intéressait directement la délégation, car elle touchait aux conditions de vie des femmes. Sur ce point, elle s'est par ailleurs inquiétée des inégalités de traitement existant en défaveur des hommes chez les conjoints de fonctionnaires.

M. Philippe Jamali a fait remarquer qu'il fallait prendre garde à ce que l'égalisation des droits entre les hommes et les femmes ne conduise à la réduction des droits des femmes, comme ce fut plusieurs fois le cas dans le passé, Mme Nicole Hervé ayant, quant à elle, précisé qu'une femme dont le mari est fonctionnaire touchait effectivement 50 % de la pension de son mari, sans conditions d'âge ni de ressources, tandis qu'un homme dont l'épouse est fonctionnaire devait attendre d'avoir 60 ans et disposer d'un revenu modique pour prétendre à la réversion.

Mme Danièle Pourtaud, vice-présidente, a souhaité qu'il soit mis fin à cette situation, qui se fonde sur une vision passéiste de la société, où l'homme est censé avoir la situation professionnelle la plus favorable.

Mme Nicole Hervé a toutefois attiré l'attention sur le fait qu'aujourd'hui la plupart des femmes arrivant à l'âge de la retraite n'ont pas encore effectué une carrière complète ou occupé des postes avec d'importantes responsabilités.

M. Gérard Cornu s'est ensuite interrogé sur la possibilité de concilier le délai d'option de douze ou dix-huit mois avec la nécessité de régler rapidement les successions.

M. Philippe Jamali a précisé que l'hypothèse dans laquelle le défunt refuserait d'accorder à son conjoint le droit au logement pris sur le quart de la succession en pleine propriété serait exceptionnelle. Toutefois, dans une telle situation, le conjoint pourra garder son logement pendant un an et l'éventuelle charge d'un loyer sera assurée par la succession. Il a, par ailleurs, à nouveau souligné que le délai d'un an lui semblait court pour permettre au conjoint survivant de réorganiser sa vie après le décès en optant entre le droit d'habitation et d'usage et une rente viagère.

M. Michel Dreyfus-Schmidt s'est interrogé sur la manière de prendre en compte les droits des enfants si l'héritage est constitué du seul logement.

M. Philippe Jamali a indiqué que le droit au logement, s'il était accordé par le défunt, était un droit à vie, en soulignant une fois encore que la conversion en rente viagère était un choix irréversible.

M. Gérard Cornu a alors demandé des précisions sur la situation du conjoint, selon que le couple était propriétaire ou locataire, et selon que le conjoint était usufruitier ou non du logement.

Mme Nicole Hervé a rappelé que le droit des successions s'était longtemps fondé sur la transmission du patrimoine des parents aux enfants, mais que l'évolution de la société conduisait à améliorer la situation du conjoint survivant qui a souvent contribué, au même titre que le défunt, à la constitution du patrimoine.

M. Michel Dreyfus-Schmidt s'est demandé si l'évolution du nombre des divorces et des remariages ne conduisait pas à modifier la question des droits du conjoint survivant par rapport à ceux des enfants.

M. Gérard Cornu s'est également inquiété de la conciliation des droit des enfants et du conjoint survivant en cas de remariage, avant de revenir, avec M. Philippe Jamali et M. Jean-Guy Branger, sur le problème du délai d'option de douze mois ouvert au conjoint survivant s'agissant du droit d'habitation et d'usage.

Audition de M. Jacques Combret, du Conseil supérieur du notariat, rapporteur général du congrès sur la famille, accompagné de M. Jean-François Péniguel du service des affaires juridiques et de Mme Aude de Chavagnac, chargée des relations avec le Parlement

La délégation a ensuite entendu M. Jacques Combret du Conseil supérieur du notariat, rapporteur général du congrès sur la famille, accompagné de M. Jean-François Péniguel du service des affaires juridiques et de Mme Aude de Chavagnac, chargée des relations avec le Parlement

M. Jacques Combret a tout d'abord dit la satisfaction du Conseil supérieur du notariat de voir le législateur entreprendre d'améliorer les droits du conjoint survivant, la réforme étant attendue depuis près de vingt ans. Il a ensuite qualifié la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale de « globalement positive » et « empreinte d'une vision d'avenir » en ce qu'elle tient compte du développement des familles recomposées.

Soulignant qu'il était nécessaire de protéger le conjoint survivant en même temps que les autres membres de la famille, il a indiqué que si la priorité donnée au conjoint dans l'ordre successoral par rapport aux collatéraux et aux ascendants paraissait faire l'unanimité, le débat restait vif quant aux droits qu'il convient de lui accorder par rapport aux descendants. Il a estimé que le choix de la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale d'attribuer un quart de la succession en pleine propriété et un droit au maintien dans le logement conjugal paraissait bien correspondre au souhait de protéger le conjoint, sans pour autant déshériter les enfants.

M. Jacques Combret a toutefois regretté que la réforme envisagée se cantonne au seul domaine des droits du conjoint survivant, d'autres éléments du droit des successions ayant besoin d'être revus. Il a plaidé en faveur d'une réforme globale.

M. Michel Dreyfus-Schmidt a souhaité savoir si la proposition de loi s'appliquerait quelle que soit la durée du mariage, si le droit du conjoint survivant au logement serait indéfini, et il a demandé comment prendre en compte le cas où le conjoint survivant avait une faible différence d'âge avec les enfants d'un premier lit et où le logement était le seul bien de la succession.

M. Jacques Combret a indiqué que la loi s'appliquerait quelle que soit la durée du mariage, car la vocation successorale du conjoint survivant était un effet direct de ce dernier. Le droit au logement, lorsqu'il sera accordé par le défunt, sera acquis à vie par le conjoint survivant. Il s'imputera sur ses droits héréditaires (sans ouvrir de récompense à la succession s'il dépasse, en valeur, le quart de la succession en pleine propriété). Même si le conjoint survivant se remarie, il conservera la jouissance du quart de la succession en pleine propriété.

M. Jacques Combret a par ailleurs fait observer que, d'ores et déjà, près de huit personnes sur dix prenaient des dispositions pour permettre à leur conjoint de rester dans le domicile conjugal et qu'il était de plus en plus fréquent de chercher, par des dispositions testamentaires spécifiques, à assurer dans le même temps la sécurité de son conjoint et celle de ses enfants.

M. Gérard Cornu a interrogé M. Jacques Combret sur les délais d'option s'agissant du droit d'habitation et d'usage et sur leur durée.

M. Jacques Combret a expliqué qu'il y avait dans le délai d'un an le souci d'une harmonisation avec les délais prévus aux articles 1481 et 207-1 du Code civil. L'article 1481 accorde le logement, la nourriture et les frais de deuil pour une durée de neuf mois au conjoint survivant marié sous le régime de la communauté légale et l'article 207-1 donne à tous les époux, quel que soit leur régime matrimonial, un an pour demander à bénéficier d'aliments lorsqu'ils se trouvent dans le besoin. Il a ajouté qu'il ne paraissait pas opportun de prolonger le délai d'option prévu par la proposition de loi au-delà d'un an, car la déclaration de succession doit être normalement déposée dans un délai de six mois.

M. Michel Dreyfus-Schmidt et M. Gérard Cornu ont souhaité obtenir des précisions sur les modalités de conversion du droit au logement en rente viagère.

M. Jacques Combret a indiqué que ces droits étaient de nature différente. Le droit au logement s'impute sur les droits héréditaires du conjoint survivant. La rente viagère visée par l'article 207-1 du Code civil relève, elle, des aliments. Le conjoint peut l'obtenir en cas de besoin, si sa situation s'est dégradée en raison du décès de son époux et un délai d'un an semble suffisant pour faire la démarche.