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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mercredi 14 mai 2003

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

Parité hommes/femmes en politique - Audition de M. le professeur Dominique Chagnollaud, directeur du Centre d'études constitutionnelles de l'Université de Paris II

La délégation a procédé à l'audition de M. le professeur Dominique Chagnollaud, directeur du Centre d'études constitutionnelles de l'Université de Paris II.

Mme Gisèle Gautier, présidente
, a tout d'abord évoqué les informations successives qui avaient circulé sur le contenu de la réforme relative au nombre, à la durée du mandat et à l'élection des sénateurs, annoncée par le Gouvernement en mars dernier, et a indiqué que la délégation s'intéressait aux incidences d'une telle réforme sur le principe de parité et sur l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux.

M. Dominique Chagnollaud a indiqué que, selon la presse, le mode d'élection des sénateurs prévu par cette éventuelle réforme comportait :

- un scrutin majoritaire à deux tours pour les départements élisant trois sénateurs et moins ;

- un scrutin majoritaire à un tour avec liste unique bloquée, afin de préserver la parité, pour les départements élisant quatre sénateurs ;

- et un scrutin proportionnel à partir de cinq sénateurs.

Il a précisé l'une des conséquences majeures de ces indications au regard de la parité : dans les 26 départements qui désignent chacun trois sénateurs, soit 78 sénateurs au total, le mode de scrutin de liste proportionnel en vigueur serait remplacé par le scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Or, le scrutin de liste comporte l'obligation d'appliquer la règle dite « chabada-bada » de l'alternance des candidats de chaque sexe.

Mme Danièle Pourtaud s'est interrogée sur l'existence d'une quatrième modalité envisagée pour ce scrutin, avec la possibilité de fusionner les listes entre les deux tours dans les départements élisant cinq sénateurs et plus.

S'agissant de l'interprétation de cette éventuelle réforme au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, M. Dominique Chagnollaud s'est efforcé d'évaluer la portée de « l'effet cliquet », qui se définit par l'obligation, pour le législateur, de préserver les garanties existantes en matière de droits et libertés ou de les remplacer par des garanties équivalentes ou supérieures. Il a souligné la nécessité de concilier la règle de l'égal accès des sexes aux mandats électoraux avec d'autres principes de valeur constitutionnelle comme la liberté du suffrage universel, l'intelligibilité de la loi ou l'objectif d'intérêt général poursuivi par le législateur.

Il s'est ensuite interrogé, dans ce cas précis, sur le but poursuivi pour modifier le mode d'élection des sénateurs et sur la compatibilité de l'adoption de trois ou quatre modes de scrutins différents avec le principe d'intelligibilité.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a fait remarquer que, s'agissant d'un scrutin au suffrage indirect, les grands électeurs étaient mieux à même de faire face à cette relative complexité des modes de scrutins.

M. Dominique Chagnollaud s'est ensuite interrogé sur la question de savoir si un tel projet se rattachait à un objectif de rapprochement de l'électeur et de l'élu et sur la conciliation éventuelle de cet objectif avec le principe de parité.

Il a en outre estimé que « l'effet cliquet » comportait un certain nombre de limites et lui paraissait ne pas interdire au législateur de revenir en arrière au nom d'un objectif clairement identifié et consensuel.

Mme Danièle Pourtaud a contesté le caractère consensuel de cette éventuelle réforme et a indiqué que les forces de gauche ne l'accepteraient pas selon les modalités aujourd'hui évoquées.

Mme Sylvie Desmarescaux s'est interrogée sur la nature exacte de l'objectif « clairement identifié » justifiant la réforme de l'élection des sénateurs.

Mme Danièle Pourtaud a souligné l'importance croissante de la parité aux yeux de l'opinion et s'est demandé s'il n'y avait pas là un fondement pour d'autres modalités de la réforme de l'élection sénatoriale.

M. Dominique Chagnollaud a évoqué, à titre de compensation à la diminution des garanties en matière de parité, la possibilité d'adopter la règle de la suppléance par une personne de sexe opposé.

En réponse à une interrogation de Mme Gisèle Gautier, présidente, sur l'introduction d'une éventuelle obligation de suppléance de sexe opposé en matière d'élection des conseillers généraux, M. Dominique Chagnollaud a indiqué, qu'à son sens, une telle mesure ne contredisait aucune règle de valeur constitutionnelle.

Mme Danièle Pourtaud s'est interrogée sur l'élargissement des sanctions financières pour non-respect de la parité entre hommes et femmes, qui pourraient être fondées non plus sur la base de la parité des candidatures mais sur celle des résultats électoraux.

M. Dominique Chagnollaud a estimé qu'un tel dispositif, parce qu'il tend à présumer l'expression du suffrage et à fixer une obligation de résultat aux électeurs, était sans doute contraire à la Constitution.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a indiqué que les sanctions financières ou les « primes » évoquées par Mme Danièle Pourtaud étaient peu dissuasives pour les grands partis politiques, M. Dominique Chagnollaud rejoignant ce propos.

Mme Odette Terrade a rappelé que les listes dissidentes pouvaient également faire perdre des sièges aux formations politiques dont les candidats adoptent une telle stratégie et a souligné la nécessité de continuer à mobiliser les femmes sur le thème de la parité.

Mme Danièle Pourtaud a rappelé que beaucoup de grands électeurs de certains départements urbains, comme en région parisienne, étaient désignés par les partis.

Mme Sylvie Desmarescaux a rappelé que les femmes étaient, le plus souvent, pénalisées par le système des listes dissidentes où elles figurent en seconde place.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé l'importance du « vivier » des femmes ayant accédé à des responsabilités d'élus locaux. Elle a ensuite regretté que la loi sur la parité n'ait pas été au bout de sa logique en imposant l'alternance hommes/femmes au sein des exécutifs locaux et s'est enfin interrogée sur la compatibilité d'une telle mesure avec les exigences constitutionnelles.

Prenant l'exemple des élections municipales, M. Dominique Chagnollaud a estimé qu'il n'y avait pas de contrariété majeure.

Il a plaidé pour une conception « positive » de la parité et a enfin insisté sur la nécessité de bien identifier, s'agissant des élections sénatoriales, le motif -qui peut être légitime- pouvant justifier un « recul » du respect du principe de parité au moment où celui-ci tend à progresser dans l'ensemble des autres systèmes électoraux.