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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 25 novembre 2003

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

La mixité dans la France d'aujourd'hui - Audition de M. Michel Fize, sociologue, auteur de « Les pièges de la mixité scolaire »

Après quelques mots d'accueil de Mme Gisèle Gautier, présidente, qui a expliqué pourquoi la délégation avait choisi de s'intéresser au thème de la mixité dans la France d'aujourd'hui, M. Michel Fize a tenu à préciser que de nombreux articles parus dans la presse sur son ouvrage, « Les pièges de la mixité scolaire », avaient construit une polémique, leur contenu étant très éloigné de sa démarche. Il a réaffirmé comme citoyen son attachement à la mixité, aujourd'hui considérée comme une règle de l'école républicaine et de la démocratie plutôt que comme un grand principe, et a précisé qu'il n'avait, de toute façon, pas la qualité pour préconiser le retour au système antérieur. Il a ajouté que le terme d' « adoucissement » de la mixité n'était pas non plus conforme à sa pensée, les médias méconnaissant visiblement ce qu'est la sociologie, c'est-à-dire une science d'interrogation et d'interprétation des faits sociaux et non une force de propositions. Ainsi le sociologue émet-il un diagnostic sur des règles et des institutions, sans tenir compte d'un quelconque tabou ou opportunité pour étudier un phénomène social, sauf à accepter l'autocensure. A cet égard, la mixité est un objet d'étude scientifique, comme un autre.

Il a considéré, sur un mode ironique, que, pour éviter les reproches de ses détracteurs, il aurait dû faire une « double déclaration sur l'honneur » : déclarer son amour de la mixité d'une part, et proclamer sa détestation de la séparation des sexes dans l'éducation, d'autre part. Or, a-t-il reconnu, il s'est borné à des jugements de faits. Il a également indiqué que le titre de son ouvrage lui avait été reproché, mais a pu constater que le mot « piège » avait été souvent utilisé, y compris à propos de la décentralisation, ce qui ne veut pas dire que la décentralisation est considérée en soi comme un piège. Or, ce raccourci a été fait s'agissant de la mixité.

M. Michel Fize a souligné que le sens profond de son livre avait été, d'une part, de faire un rappel historique de la mixité scolaire en France, et, d'autre part, de présenter un état des lieux de cette question en France et dans les principaux pays européens ainsi qu'au Canada, au Québec en particulier, et aux États-Unis.

Il a d'abord rappelé des éléments historiques relatifs à la mixité en France. Il a pu observer que la mixité n'était pas une pratique récente et qu'il y avait toujours eu en France des écoles mixtes, y compris sous l'Ancien Régime. Au cours du premier tiers du XIXe siècle, il y avait plus d'écoles primaires mixtes que d'écoles séparées. Au début des années 1950, 40 % des collèges étaient mixtes. C'est la décennie 1960 qui a vu la généralisation, mais non l'invention de la mixité. Jusqu'à cette date, le principe majeur du fonctionnement des écoles était la séparation des sexes, au nom de la préservation morale et sexuelle des garçons et des filles. A partir du début des années 1960, on est passé à un autre système et il a fallu y sensibiliser les familles, encore favorables à la séparation, y compris dans l'enseignement public. La mixité n'a ainsi été introduite que prudemment, et les recteurs ont dû préciser qu'elle ne constituait pas un principe idéologique. Les événements de mai 1968, puis les courants féministes, ont banalisé l'idée de la mixité, mais ce n'est que la loi dite « Haby » de 1975 sur l'éducation qui a rendu la mixité obligatoire. Il a ainsi expliqué que la mixité avait été généralisée mais sans faire l'objet d'une réflexion préalable, sous l'influence de problèmes budgétaires et d'une pénurie de locaux et d'enseignants intervenant dans un contexte de massification de l'enseignement. Ce n'est qu'en 1982 qu'une circulaire du ministère de l'éducation nationale a, pour la première fois, associé la mixité et l'égalité des chances. Il a indiqué que la mixité avait été généralisée pour deux principales raisons. La première tient à l'épanouissement personnel : la mixité doit permettre une meilleure connaissance de l'autre et, donc, une meilleure compréhension incitant au respect. Cette raison aboutit à l'idée selon laquelle la mixité est bonne en soi, alors que les faits montrent que la réalité n'est pas si simple. La seconde raison est liée à l'objectif d'une meilleure réussite scolaire.

M. Michel Fize a ensuite abordé l'état des lieux de la mixité. Sur ce point, il a constaté qu'elle faisait l'objet d'aménagements partout en Europe. On retrouve de tels aménagements dans certaines disciplines, en particulier l'éducation physique et sportive, y compris en France, ainsi que pour l'éducation sexuelle. De ce point de vue, il s'est étonné de ce que certains intellectuels ou responsables politiques français se disent favorables à la séparation dans de telles disciplines ou au réfectoire, alors qu'elle existe déjà. Il a observé qu'en Allemagne, l'aménagement de la mixité concerne davantage de disciplines, notamment dans les collèges, telles que les sciences de la vie et de la terre, la physique, l'informatique ou encore l'éducation manuelle et technique.

Il a rappelé que le numéro de janvier 2003 du magasine « Le Monde de l'Éducation » avait lancé une enquête intitulée « Faut-il sauver les garçons ? », sur la base d'une double observation : d'une part, la meilleure réussite des filles à tous les niveaux de l'enseignement, à l'exception des mathématiques de haut niveau où les garçons dominent largement, et, d'autre part, l'existence de violences sexistes, voire sexuelles dans certains établissements. Sur ce dernier point, il a estimé que, si les agressions sexuelles ne représentent que 1,6 % des violences répertoriées par le ministère de l'éducation nationale, les violences sexistes ne sont pas inventoriées en tant que telles, à la différence de certains pays comme la Finlande. Ce constat a ainsi conduit à certaines propositions de séparation des garçons et des filles dans les écoles des « cités ». Il a néanmoins considéré que la violence était partout présente dans la société et n'était pas cantonnée au milieu scolaire. De ce point de vue, la séparation ne changerait guère le niveau de violence sexiste. En outre, il a estimé que la séparation devait toujours être consentie, sauf à aboutir à un échec, et a rappelé que les jeunes filles fréquentant l'école non mixte de East Harlem à New York, dont la réussite est souvent citée en exemple, étaient volontaires.

M. Michel Fize a expliqué que la mixité n'était pour rien dans le succès des filles et l'échec des garçons et qu'il convenait, une fois de plus, d'interroger les stéréotypes sexuels pour expliquer ces phénomènes. Ainsi, les filles seraient « formatées » pour la réussite scolaire et seraient aussi plus conscientes que les garçons des enjeux de celle-ci, en particulier l'émancipation, comme le montre la réussite des jeunes filles maghrébines. Il a indiqué que les élèves accueillies dans les écoles non mixtes en France appartenaient aux milieux sociaux favorisés, à la différence de ce que l'on peut observer aux États-Unis.

Il s'est ensuite interrogé sur l'échec des garçons. Il a fait part de son désaccord avec les conclusions de certains chercheurs selon lesquelles les garçons réussiraient moins bien car ils seraient soumis à la pression de la réussite des filles. Il a, quant à lui, estimé que l'échec des garçons tenait au « décrochage » croissant, pas uniquement dans les quartiers défavorisés, entre les valeurs de l'école et les réalités sociales, et entre la « culture jeune » et la culture scolaire, qui fonctionnent de façon très différente. Ainsi, si les règles promues à l'école sont celles du silence et de l'immobilité, la culture des adolescents valorise le bruit et la nécessité de bouger. Dès lors, certains garçons perçoivent l'école comme un lieu d'ennui et un facteur de démotivation. Or, a-t-il constaté, il n'existe aucun lien de causalité entre la mixité et ce phénomène. Il est ainsi impossible, dans ce cas, de parler d'un échec de la mixité.

M. Michel Fize a néanmoins expliqué qu'il n'en allait pas de même de la mixité dans ses rapports à l'égalité. En effet, si l'objet de la mixité était de parvenir à l'égalité entre les hommes et les femmes, alors on peut dire que c'est un échec, l'égalité effective des sexes n'étant toujours pas assurée, bien qu'il ne soit pas certain que la séparation aurait eu de meilleurs résultats. Il a indiqué que le véritable combat ne portait pas sur la mixité mais sur l'égalité des sexes et que son livre constituait un plaidoyer en ce sens. Il a conclu en rappelant que la réussite scolaire des filles devait également devenir une réussite professionnelle, ce qui est loin d'être toujours le cas.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a observé que le contenu de l'ouvrage de M. Michel Fize était effectivement très différent de la présentation qu'en avait faite la presse. Elle a souhaité savoir si la mixité était une pratique ou un principe.

M. Michel Fize a expliqué que l'école moderne était fondée sur deux principes : la laïcité et l'égalité. De ce point de vue, la mixité ne constitue pas un grand principe de l'éducation nationale, mais plutôt une modalité de son fonctionnement.

Mme Hélène Luc a estimé que le débat sur la mixité permettait de contourner le véritable débat qui porte sur l'égalité entre les sexes, notamment dans la vie professionnelle, toutes les femmes sachant qu'elles doivent travailler plus que les hommes pour obtenir la même situation. Elle a également souligné la très grande féminisation de la profession enseignante et s'est demandé si une profession très féminisée n'était pas le signe d'une dévalorisation sociale.

M. Michel Fize a considéré qu'ouvrir ce débat pourrait aboutir à jouer un « mauvais tour » à la mixité, mais seulement s'il était question de la remettre en cause, ce qui, selon lui, n'est absolument pas le cas aujourd'hui. Il a néanmoins souligné l'utilité d'un tel débat qui révèle l'absence de solutions apportées par l'école à la question essentielle des inégalités persistantes entre les sexes. Il a constaté que les sociologues de l'école n'abordaient jamais ce problème, à l'exception de quelques chercheurs femmes.

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est interrogée sur les facteurs déclenchants qui engendraient aujourd'hui un débat sur la mixité.

M. Michel Fize a indiqué que cette réflexion trouvait son origine dans l'enseignement catholique qui s'est interrogé sur les modes de fonctionnement de la mixité. Selon lui, il faudrait introduire davantage de mixité à l'école élémentaire. Au collège, à un âge où les élèves présentent un niveau de maturité très différent, la séparation pourrait être envisagée, uniquement sur la base du volontariat, dans quelques situations d'urgence, notamment pour éviter d'éventuelles agressions physiques.

Mme Gisèle Printz a voulu savoir pourquoi l'auteur avait voulu écrire ce livre. Elle s'est demandé si l'aménagement de la mixité ne constituait pas une porte ouverte aux revendications des fondamentalistes de tous bords. Enfin, elle a appelé de ses voeux une plus grande « masculinisation » de la profession enseignante.

M. Michel Fize a rappelé que les aménagements de la mixité qu'il avait suggérés étaient limités et que, selon lui, une séparation motivée, par exemple, par le port du voile islamique était irrecevable. Il a indiqué que la question de la mixité pouvait constituer un angle d'entrée intéressant dans le cadre du débat actuel sur l'école.

Mme Anne-Marie Payet a interrogé l'auteur sur l'existence, dans son ouvrage, d'éventuelles propositions permettant de tendre vers l'égalité entre les sexes. Elle s'est également interrogée sur la nécessité de légiférer afin d'assurer l'égalité professionnelle. Puis elle a noté que, dans le département de la Réunion, le principe de laïcité s'appliquait sans véritables problèmes.

M. Michel Fize a indiqué qu'il était en désaccord avec le principe qui permettait, par le versement de pénalités monétaires, de se soustraire à la loi sur la parité politique et a aussi cité l'exemple de l'obligation des entreprises d'embaucher un nombre minimum de personnes handicapées, bafouée par la possibilité de s'en exonérer de cette manière.

Mme Odette Terrade a observé que certaines personnes réclamaient des horaires séparés dans les piscines ou refusaient que leurs filles participent aux cours d'éducation physique, ces exemples illustrant, selon elle, la fragilité du consensus sur la mixité. Elle a considéré, elle aussi, que l'égalité des sexes constituait le véritable combat.

M. Michel Fize a insisté sur la nécessité d'éviter l'amalgame. Les propositions qu'il suggère visant uniquement à « faire respirer la mixité », rien de plus. Il a constaté qu'aux Etats-Unis, les jeunes filles séparées (des garçons) n'étaient plus l'objet d'agressions sexuelles et qu'elles réussissaient leur scolarité. Selon lui, la question du voile est aspirée dans une tourmente médiatique liée au débat sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001. Il a, dès lors, attiré l'attention sur les risques d'une loi mal rédigée et conçue dans la précipitation, en dépit des bonnes intentions qui pourraient la sous-tendre.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a insisté sur les dangers potentiels d'instituer des horaires séparés dans les piscines, comme c'est le cas dans plusieurs grandes villes.

M. Michel Fize a indiqué que cette mesure avait été « désislamisée », les horaires séparés ayant été institués pour toutes les femmes qui le souhaitaient pour des raisons de pudeur. Il a estimé que cette question soulevait moins un problème d'intégration qu'un problème de conditions de vie et d'habitat. Rappelant que la laïcité était un principe d'ouverture et non de fermeture, il s'est prononcé, à titre personnel, pour l'autorisation de tous les signes religieux à l'école.