Travaux de la délégation aux droits des femmes



DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 24 février 2004

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

Dans le cadre de ses auditions sur la mixité dans la France d'aujourd'hui, la délégation a entendu M. Bernard Brandmeyer, Grand Maître du Grand Orient de France, et Mme Marie-Françoise Blanchet, Grande Maîtresse de la Grande Loge féminine de France.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a d'abord présenté les personnalités auditionnées.

M. Bernard Brandmeyer, Grand Maître du Grand Orient de France, a rappeléque le Grand Orient de France, fédération de loges, était une obédience traditionnellement masculine depuis trois siècles. Il a néanmoins indiqué que, depuis 1982, le Grand Orient avait donné l'autorisation aux loges qui le composent d'accueillir des soeurs. A ce jour, cette obédience compte 1 067 loges, dont 150 qui n'ont pas choisi de faire usage de cette faculté. Les loges étant en effet souveraines, elles décident elles-mêmes de recevoir ou non des soeurs, mais il a estimé que le mouvement de féminisation allait s'amplifier dans les années à venir. Il a souligné que le Grand Orient avait conclu des conventions avec la Grande Loge Féminine de France qui permettent une tenue commune aux loges des deux obédiences. Il a insisté sur le fait que le Grand Orient avait été un précurseur en la matière.

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est interrogée sur les raisons de la faible féminisation des loges.

M. Bernard Brandmeyer a indiqué qu'il s'agissait d'un héritage historique, la franc-maçonnerie s'étant constituée comme une société d'hommes. Il a néanmoins noté que le vieillissement de la population imposait aux obédiences de rajeunir leur démographie. En outre, un nombre de plus en plus important de francs-maçons a connu la mixité à l'école. Il a noté qu'au Grand Orient de France, l'initiation des femmes ne constituait pas un problème prioritaire dans des circonstances exceptionnelles, trente femmes ayant été initiées dans cette obédience depuis 1830. Il a considéré que l'évolution des mentalités et de la société devait aller vers une féminisation des loges. Enfin, il a précisé que la mixité permettait de réfléchir de manière différente aux problèmes de société abordés.

M. Serge Lepeltier, notant l'existence d'obédiences non mixtes et d'autres mixtes, a voulu savoir ce qu'apporterait la généralisation de la mixité dans l'ensemble des loges.

M. Bernard Brandmeyer a rappelé que l'initiation était un parcours intime, propre à chaque maçon, mais s'est posé la question de savoir si elle devait être conduite de manière identique pour les hommes et pour les femmes. Il a jugé que recevoir des soeurs permettrait de mieux analyser certains thèmes et a rappelé que, si la question de l'avortement avait été discutée au sein des loges dès 1952, elle l'avait été uniquement par des hommes. Il a indiqué que si cette question était débattue aujourd'hui, elle le serait aussi nécessairement par des femmes. Il a noté que, si les obédiences étaient toutes mixtes, les apports spécifiques des obédiences masculines et féminines seraient perdus, alors que ces apports sont aujourd'hui complémentaires.

M. Serge Lepeltier a voulu savoir si lors des débats portant sur des questions de société organisés au sein des loges, les femmes étaient systématiquement reçues.

M. Bernard Brandmeyer a indiqué que les loges étaient libres d'organiser leurs travaux comme elles l'entendaient et qu'elles pouvaient donc recevoir des femmes, soit de façon systématique, soit de façon ponctuelle.

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est enquise des débats sur la laïcité au sein du Grand Orient de France.

M. Bernard Brandmeyer a expliqué que la laïcité était un thème essentiel pour le Grand Orient de France et qu'il intervenait dans un contexte très différent de celui du vote de la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat. C'est pourquoi le Grand Orient avait récemment pris position en faveur d'une loi pour réaffirmer le principe de laïcité. Il a ajouté que la question du voile à l'école ne constituait qu'un élément du débat qui est beaucoup plus large puisqu'il concerne aussi, selon lui, l'ensemble des signes religieux à l'école, l'application du concordat en Alsace-Moselle ou encore la polygamie à Mayotte. Il a considéré qu'il faudrait être très attentif aux modalités d'application de la loi, qui peut donner lieu à des interprétations différentes.

Mme Hélène Luc a voulu connaître la date de création des premières loges féminines. Elle s'est interrogée sur les thèmes spécifiquement féminins abordés au sein des loges et si, dans ce cadre, des hommes étaient amenés à y participer. Enfin, constatant que l'égalité juridique ne permettait pas toujours de parvenir à l'égalité réelle, elle s'est demandé si l'absence de mixité au sein des loges n'était pas une source de problèmes.

Mme Marie-Françoise Blanchet, Grande Maîtresse de la Grande Loge Féminine de France, a indiqué que cette dernière avait été créée en 1945. Elle a rappelé que la maçonnerie était arrivée en France en 1725 et que, dès 1728, des femmes avaient été admises au sein de loges « para-maçonniques », puis dans des loges dites « d'adoption » en 1730. Elle a expliqué que tout débat de société pouvait être abordé dans les loges, soit entre loges d'une même obédience, soit entre loges d'obédiences différentes. Néanmoins, certains sujets ont été abordés uniquement par la Grande Loge Féminine de France, à l'exemple de la prostitution en 2000.

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est interrogée sur l'existence de débats proprement masculins et dans lesquels les femmes n'interviennent pas.

M. Bernard Brandmeyer a indiqué qu'aucun sujet n'était tabou pour le Grand Orient de France. Notant que, dans l'opinion publique, le secret entourait souvent la franc-maçonnerie, il a expliqué que cela tenait aux conséquences de la Seconde Guerre mondiale, rappelant que la France comptait 36 000 maçons en septembre 1939 mais moins de 6 000 en septembre 1944. Cette culture du secret a néanmoins aujourd'hui tendance à s'estomper.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a demandé s'il pouvait advenir que certains sujets soient écartés des débats au sein de la franc-maçonnerie.

Mme Marie-Françoise Blanchet a rappelé qu'être franc-maçon reposait avant tout sur un engagement au service de l'humanité et que cet engagement impliquait d'aborder tous les sujets sans aucune restriction, dans le respect absolu de la liberté de conscience. Elle a néanmoins fait observer que la réflexion s'élaborait mieux entre personnes du même genre et que ce cheminement préparait les confrontations ultérieures.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a interrogé les intervenants sur le rôle des francs-maçons et leur aptitude à faire passer des messages.

Mme Marie-Françoise Blanchet a rappelé que la franc-maçonnerie se fondait essentiellement sur une méthode de réflexion. S'agissant de l'influence des maçons sur la société, elle a estimé que chaque soeur, après avoir réfléchi, avait tout naturellement un rôle de rayonnement dans son entourage familial, professionnel ou social.

Mme Gisèle Gautier, présidente, évoquant la diversité des 360 loges qui se réunissent un peu partout dans le monde, y compris outre-mer et en Amérique du Sud, s'est interrogée sur les différences de pensées qui s'y manifestent.

Mme Marie-Françoise Blanchet a indiqué qu'à travers la diversité culturelle, la méthode de réflexion constituait un socle commun à toutes les loges. Puis elle a mentionné la réflexion spécifique conduite par les loges africaines et le chantier que constitue l'étude du statut de la femme sur ce continent. Elle a également évoqué l'importance de la maltraitance des femmes en cas de conflit et les difficultés de leur situation sanitaire.

Puis elle a analysé les raisons de certaines difficultés de communication qui se manifestent avec les soeurs d'Amérique du Nord, en particulier canadiennes, qui, malgré la parenté linguistique, ont des traditions culturelles et un mode de réflexion marqués par la mentalité nord-américaine. Elle a rappelé la fermeture de la loge située à New York et indiqué que les franc-maçonnes belges avaient rencontré le même type de difficulté.

M. Bernard Brandmeyer s'est associé à ce constat d'une différence de mentalité avec les Anglo-saxons. Puis il a rappelé l'autonomie des loges et estimé que le concept de laïcité permettait l'ouverture et la communication entre les différentes cultures. Il a chiffré à 13 500 le nombre de maçons et maçonnes en Allemagne et comparé ce chiffre avec les quelque 130 000 maçons de France.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a mentionné la résurgence, aux Etats-Unis, de l'idée d'une séparation scolaire des filles et des garçons pour favoriser leur réussite et interrogé les intervenants sur leur conception de la mixité scolaire.

M. Bernard Brandmeyer, évoquant son expérience d'enseignant, a souligné la difficulté d'orienter les jeunes filles vers certaines filières technico-commerciales. Il a ensuite estimé que la séparation des filles et des garçons n'améliorerait pas les conditions d'apprentissage.

M. Serge Lepeltier a demandé aux intervenants s'ils avaient reçu des femmes voilées et, le cas échéant, si elles pourraient être acceptées dans la franc-maçonnerie.

Mme Marie-Françoise Blanchet a répondu par la négative en affirmant que la Grande Loge Féminine mettait l'accent sur la liberté des femmes à l'égard de tout asservissement.

M. Bernard Brandmeyer s'est associé à ce propos.

Mme Hélène Luc s'est demandé si cette exclusion serait précédée d'un dialogue.

M. Bernard Brandmeyer a répondu par l'affirmative, avant de préciser que le port du voile est du domaine privé, tandis que la maçonnerie se situe dans le domaine public.

Mme Marie-Françoise Blanchet a également indiqué que le dialogue s'instaurerait hors du cadre de la loge.

En réponse à une question de Mme Gisèle Gautier sur les violences faites aux femmes comme la lapidation, Mme Marie-Françoise Blanchet a indiqué que les soeurs de la Grande Loge Féminine de France avaient manifesté devant l'UNESCO en janvier 2004 en faveur de la défense de la dignité et de la liberté de la femme.

M. Bernard Brandmeyer a rappelé que le Grand Orient avait adopté une position identique.

Mme Hélène Luc s'est interrogée sur la composition socioprofessionnelle des membres hommes et femmes de la maçonnerie française.

M. Bernard Brandmeyer a indiqué que toutes les catégories étaient représentées et a rappelé que le recrutement était essentiellement effectué par cooptation.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a évoqué les actions visant à ce que le principe d'égalité entre hommes et femmes soit intégré dans les valeurs et non pas seulement dans les objectifs de la future Constitution européenne.

Mme Marie-Françoise Blanchet a évoqué un colloque sur le statut de la femme organisé au niveau européen par diverses obédiences féminines, en 2003. Puis elle a indiqué qu'en conclusion de ce colloque, les femmes avaient décidé de promouvoir l'égalité des sexes en tant que valeur au niveau européen. Elle a cependant observé que les organisations masculines faisaient preuve d'une efficacité supérieure en matière de « lobbying ».

Mme Gisèle Gautier, présidente, a évoqué les limites et les difficultés d'application des lois sur l'égalité professionnelle et indiqué que la revendication de parité était parfois mal vécue et mal reçue.

Mme Marie-Françoise Blanchet s'est dite convaincue de la puissance symbolique de la loi et de son importance comme base juridique permettant aux femmes de défendre leurs droits en justice.

Elle a ensuite présenté un exposé issu de la réflexion d'un groupe représentatif des diverses sensibilités au sein de la Grande Loge Féminine de France.

Après avoir rappelé que la Constitution de la Ve République instituait, dans son préambule, l'égalité entre les femmes et les hommes, Mme Marie-Françoise Blanchet a indiqué que, contrairement à certaines société dominées par les intégrismes religieux, la nôtre était mixte tout au long de la vie, de la petite enfance au grand âge. Elle a pourtant estimé que la composante féminine de la société, quelle que soit la catégorie à laquelle les femmes appartiennent, rencontrait un réel problème de mixité, et a résumé la problématique par la formule « Mixité, certes, égalité à parité : non ». Puis elle a fait observer que, pendant longtemps, le partage social avait réservé aux hommes l'espace public extérieur et aux femmes l'espace domestique, l'espace public ayant été pensé, organisé, investi par les hommes selon leurs intérêts. Au XXe siècle, avec le travail des femmes hors de la maison, ce partage des territoires a évolué et l'espace public semble ouvert à tous, alors qu'en réalité l'espace public est, selon elle, un territoire captif, annexé de toute éternité par la composante masculine de la société. L'arrivée des femmes dans l'espace public ne constitue pas pour autant la mixité : on reste toujours en territoire masculin, où les femmes sont admises à condition de ne pas se singulariser, de se « neutraliser » le plus possible.

Mme Marie-Françoise Blanchet a ensuite présenté un large panorama de la mixité dans un certain nombre de domaines. Elle a, en particulier, évoqué :

- le domaine social qui, quelles que soient les avancées visant à imposer l'égalité des chances entre les sexes, reste un modèle masculin plutôt sexiste, avec des familles monoparentales majoritairement féminines et des statistiques sur la répartition des tâches domestiques qui demeurent éloquentes ;

- le monde professionnel, dans lequel les femmes sont écartées des postes à responsabilité et de direction par ce qu'il est convenu de désigner sous le nom de « plafond de verre », barrage invisible mais efficace ;

- le cinéma et la télévision, en faisant observer la rareté des productions dans lesquelles les femmes ont un rôle aussi valorisant que les hommes et la persistance de clichés dévalorisant les femmes diffusés auprès des jeunes ;

- la publicité, qu'elle a qualifiée de « lieu de l'horreur sexiste », regrettant que l'agressivité soit présentée comme modèle masculin normal, tandis que l'image de la femme est avilie, dégradée, réduite à des « corps sans tête ».

Elle a évoqué le parcours d'obstacles de toutes natures dressés devant les femmes, si bien qu'à chances au départ égales, à formation initiale identique, le nombre de chances de voir une femme arriver au bout de ce parcours était infinitésimal.

Pour examiner de façon plus précise la réalité de la mixité dans notre société, Mme Marie-Françoise Blanchet s'est attachée tout particulièrement à deux domaines significatifs : l'enseignement et la politique.

Elle a rappelé que la mixité avait été imposée dans le milieu scolaire, sans avoir été réfléchie en tant que telle. A la création des écoles de filles, a-t-elle souligné, un enseignement différencié était destiné à former de bonnes ménagères et des employées, éventuellement des institutrices, le contenu des programmes était différencié selon les sexes, les examens distincts, les grandes écoles séparées. Elle a noté que c'étaient des impératifs économiques qui avaient donné naissance à l'école mixte, et a cité une circulaire de 1957 du ministre de l'éducation nationale : « la crise de croissance de l'enseignement secondaire ... nous projette dans une expérience que nous ne conduisons pas au nom de principes -par ailleurs fort discutés- mais pour servir les familles au plus proche de leur domicile ». Ainsi, la création de l'école mixte a eu pour effet de proposer aux enfants les mêmes programmes, le contenu des savoirs transmis devenant indifférencié.

Elle a fait observer que, si aujourd'hui certains remettent en cause l'enseignement mixte au nom de la protection des garçons, plus nombreux que les filles à « décrocher » avant la fin de leurs études, la proportion de filles dans les filières scientifiques allait en diminuant et les choix de professions étaient toujours faits selon de vieux clichés sexistes, souvent inconscients chez les enseignants et les conseillers d'orientation. Elle a qualifié d'« hypocrite » le discours sur la modification de la mixité, les filles les plus brillantes renonçant aux carrières scientifiques alors que des garçons moins brillants y sont poussés.

Mme Marie-Françoise Blanchet a ensuite émis des réserves sur les manuels scolaires et les livrets d'évaluation des connaissances à l'entrée de la classe de 6e, dont certains donnent de la femme une image dévalorisée et dégradée. Elle a fait part de sa surprise devant un état de fait dénoncé depuis plus de trente ans dans l'éducation nationale, milieu pourtant très féminisé, mais qui n'évoluait pas. Elle a estimé qu'il était sans doute nécessaire de prendre en compte le besoin de motricité des jeunes garçons et de l'encadrer plutôt que de l'empêcher de s'exprimer, ajoutant que cela passe peut-être par des activités physiques différenciées dans lesquelles ils pourraient dériver leur énergie.

Elle a appelé de ses voeux une plus grande diversification des enseignements. Par ailleurs, la représentation des métiers de l'éducation est paradoxale : s'ils sont très féminisés, on oublie souvent que seulement 30 % des professeurs de philosophie sont des femmes. De même, il n'y a plus aujourd'hui de femmes dans le corps des inspecteurs généraux de l'éducation nationale, et les grands lycées ont de plus en plus à leur tête des hommes, alors que de nombreuses femmes, il y a encore peu d'années, dirigeaient de grands lycées parisiens.

Mme Marie-Françoise Blanchet a ensuite abordé la question de la mixité en politique, et a rappelé, en citant divers chiffres, la faible représentation des femmes dans les instances dirigeantes des partis politiques et dans les institutions politiques, nationales et locales. Elle a formé le voeu d'efforts importants pour développer l'instruction civique, pas seulement à l'école, revaloriser le statut de l'élu et imposer aux partis politiques, à travers le financement de l'Etat, de faire réellement une place aux femmes.

Puis elle s'est intéressée au « sexe des mots ». Considérant que la mixité ne voulait pas dire disparition du masculin ni du féminin, avec création d'un neutre, mais coexistence harmonieuse des deux genres, elle a constaté que la mise en mots tardait à traduire cette mixité. Elle a ainsi rappelé le rôle des féministes au cours des trente dernières années pour tenter de faire respecter la règle du féminin pour les noms de métiers, parce que le langage structure la pensée : les choses n'existent que lorsqu'elles sont nommées et ce qu'on ne peut nommer ne peut s'imaginer. A cet égard, elle a rappelé que les métiers étaient, au Moyen Age, désignés par des mots qui variaient selon le genre de la personne qui les exerçait sans que l'appellation au féminin soit réductrice. Elle a estimé que l'utilisation des noms de métiers au masculin pour les postes de direction, alors que le féminin est plus facilement utilisé dans les postes d'exécution, donnait à penser que l'inconscient de certaines personnes ne pouvait admettre que des femmes accèdent légitimement à des postes de responsabilité et de décision. Elle a donc appelé au respect de la circulaire de 1986 sur les noms de métiers.

Puis Mme Marie-Françoise Blanchet a évoqué le choix « monogenre » retenu par la Grande Loge Féminine de France. Précisant que cette dernière était inscrite dans la tradition française de la franc-maçonnerie, c'est-à-dire une tradition de liberté absolue de conscience, elle a indiqué que le respect de cette tradition conduisait à admettre toutes les femmes, quelle que soit leur appartenance religieuse ou politique, leur origine culturelle ou ethnique, pour permettre une libre confrontation des idées et le développement de la connaissance de l'autre.

Elle a expliqué que les femmes entrées en franc-maçonnerie féminine avaient senti que la connaissance d'elles-mêmes se ferait dans des conditions plus convenables pour elles en termes d'authenticité : ainsi dans un environnement spécifiquement féminin, elles sortent des rôles de filles, épouses et mères et entrent dans une nouvelle compréhension de leurs comportements. Du reste, certaines des soeurs qui viennent d'obédiences mixtes ont bien souvent constaté que les défauts de la société extérieure s'y retrouvaient, à savoir que, si la base est majoritairement féminine, la proportion s'inverse au sommet de la pyramide et que les questions relatives aux femmes n'étaient pas une préoccupation première. Elle a ajouté que la Grande Loge Féminine de France se situait dans la tradition du respect du droit du pays qui permet aux femmes d'être des francs-maçonnes, l'évolution donnant aujourd'hui aux femmes, en France, une égalité juridique en tant que citoyennes, composante féminine de la Nation, et non en vertu de quotas catégoriels. Tout ce qui est régi par le droit public doit donc être mixte.

Elle a indiqué que, dans une société pluraliste, il était souhaitable que soit offert le choix de la mixité ou de la non-mixité pour ce qui ressort de l'ordre du privé, de l'intime, et plus particulièrement lorsqu'il s'agit d'une démarche initiatique. Elle a précisé que le choix d'appartenir à une association exclusivement féminine était un choix fait en toute liberté par chacune et n'avait rien à voir avec un désir de séparation ou d'exclusion des hommes ailleurs qu'au sein de l'association, ce choix étant d'ailleurs limité dans le temps des réunions et dans l'espace de l'association.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a salué la lucidité et le réalisme de l'intervention de Mme Marie-Françoise Blanchet. Puis elle s'est interrogée sur le sens général de l'évolution de la mixité.

Mme Marie-Françoise Blanchet a estimé que la mixité faisait du « sur place » et s'est inquiétée du déclin de la militance en faveur du droit des femmes au sein des générations nouvelles. Puis elle a souligné la nécessité de l'enseignement de l'histoire du droit des femmes, notamment pour faire prendre conscience aux jeunes du caractère récent de la conquête du droit de vote et de citoyenneté par les femmes.

Mme Gisèle Gautier, présidente, est revenue sur les difficultés d'application des lois sur la parité professionnelle.

Mme Marie-Françoise Blanchet a affirmé la nécessité de défendre la cause des femmes dans tous les domaines et indiqué que l'engagement maçonnique n'était pas exclusif d'autres engagements politiques ou syndicaux. Elle s'est ensuite dite préoccupée par la prostitution et a défendu, dans ce domaine, l'idée d'une pénalisation des clients.

Mme Hélène Luc, à propos du suffrage féminin, a rappelé la liberté du vote et estimé que certains élus hommes étaient parfaitement capables de défendre les intérêts des femmes.

Mme Marie-Françoise Blanchet a regretté le déficit de candidatures féminines et s'est dite convaincue de l'importance de l'occupation du pouvoir par les femmes, conformément à une logique « d'appropriation du territoire politique ».

Mme Gisèle Gautier, présidente, a posé le problème de la compatibilité de la vie politique et de la vie familiale.

Mme Marie-Françoise Blanchet a estimé nécessaire de promouvoir un véritable statut de l'élu pour permettre aux femmes qui s'engagent d'avoir une aide logistique pour s'occuper de leur famille.

Mme Hélène Luc a rejoint ce propos en souhaitant une aide de l'Etat aux élues dans ce sens.

En réponse à une observation de Mme Gisèle Gautier, Mme Marie-Françoise Blanchet a reconnu que certains hommes participaient aujourd'hui plus volontiers aux tâches domestiques.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a conclu les débats par un encouragement à poursuivre le long combat en faveur des droits des femmes, y compris au niveau international.

Puis, évoquant la suite des travaux relatifs à la mixité dans la France d'aujourd'hui, elle a indiqué qu'elle adresserait un questionnaire au recteur de l'académie de Paris afin d'obtenir des informations sur la mixité telle qu'elle est vécue au sein des établissements de cette académie.