Travaux de la délégation aux droits des femmes



DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 2 novembre 2004

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

Violences envers les femmes - Audition de Mme Josèphe Mercier, présidente, et de Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale, de la Fédération nationale Solidarité Femmes

La délégation a entendu Mme Josèphe Mercier, présidente, et Mme Marie-Dominique de Suremain, déléguée nationale, de la Fédération nationale Solidarité Femmes.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a tout d'abord rappelé que la délégation avait décidé, dans le cadre de son rapport annuel, d'étudier les violences faites aux femmes et a estimé que la gravité de la situation constatée en France justifiait le choix de ce thème d'étude.

Elle a regretté que les associations puissent parfois éprouver un sentiment d'isolement et a souhaité que la délégation puisse relayer l'immense travail -largement bénévole- réalisé par ces organismes, et procéder à des recommandations concrètes, au besoin en s'inspirant d'expériences étrangères réussies. Elle a cité, à ce sujet, la nouvelle législation espagnole.

M. Jean-Guy Branger s'est associé à ce propos et a estimé que la réforme pénale espagnole pouvait être considérée comme un modèle.

Mme Josèphe Mercier, après s'être réjouie d'être entendue par la délégation, a tout d'abord exprimé un sentiment partagé. Elle s'est félicitée de l'intérêt porté aux violences conjugales ainsi qu'à leurs victimes et a manifesté, en même temps, son inquiétude à l'égard d'une éventuelle banalisation des violences conjugales. Elle a constaté que, pour les associations, la médiatisation des violences conjugales entraînait une augmentation du nombre de cas à prendre en charge et s'est dite préoccupée de la faiblesse des moyens mobilisables face à l'ampleur du phénomène et des sollicitations de toutes parts.

Mme Marie-Dominique de Suremain a ensuite présenté la Fédération nationale Solidarité Femmes, qui constitue un réseau national de 54 associations gérant 60 structures. Elle a précisé que la Fédération comprenait 480 salariés, 310 équivalents temps plein et plus de 200 bénévoles et actifs. Le réseau dispose de 1.148 places d'hébergement, ce qui permet de loger 2.500 femmes et 2.700 enfants par an.

Elle a insisté sur la caractéristique du réseau qui est de recevoir des femmes avec leurs enfants et fait observer que certains centres n'étant pas « labellisés » ne disposaient pas, en conséquence, de moyens pérennes. Elle a chiffré à 17 le nombre de lieux d'accueil sans hébergement et à 43 celui des centres comportant des lieux d'hébergement et précisé que la durée moyenne des séjours avait tendance à augmenter, ce qui manifeste une pénurie de logements sociaux.

S'agissant des lieux d'hébergement d'urgence, elle a estimé que l'allongement de la durée d'hébergement avait un aspect positif en permettant aux victimes de violences de prendre le temps de réfléchir avant de décider de la suite à donner à leur vie de couple.

En réponse à une question de Mme Christiane Kammermann sur la possibilité d'accueil des Françaises de l'étranger, Mme Marie-Dominique de Suremain a précisé qu'elles étaient prises en charge sans aucune discrimination, de même que toutes autres personnes s'adressant au réseau associatif.

Mme Josèphe Mercier a noté que les femmes accueillies présentaient fréquemment un ensemble de caractéristiques à effet cumulatif, en soulignant la fréquente insuffisance de ressources des victimes et une certaine image négative due à la dangerosité potentielle de leur conjoint.

Mme Janine Rozier a rappelé que la réforme du divorce comportait un dispositif d'éviction du conjoint violent hors du domicile conjugal.

Mme Josèphe Mercier a estimé nécessaire de veiller à ce que cette loi n'entraîne pas, par contrecoup, une diminution du nombre d'hébergements d'urgence.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a interrogé les intervenantes sur le schéma d'intervention concret des associations lorsqu'elles viennent en aide aux victimes.

Mme Marie-Dominique de Suremain a tout d'abord chiffré à 16.000 le nombre des appels, dont un tiers provient de l'entourage de la victime, et précisé que plus de la moitié de ces dernières appellent pour la première fois.

Elle a ensuite fait observer que la première tâche des associations consistait à leur permettre de « se reconnaître comme victime », en dépit des obstacles extrêmement sévères rencontrés par les femmes face à l'institution médicale, judiciaire ou policière, qui tend parfois à minimiser la gravité des faits de violence. A ce sujet, elle a souligné que la société française n'était pas suffisamment apte à recevoir et à entendre les victimes.

M. Jean-Guy Branger, après avoir rendu hommage à l'action de la Fédération, a regretté le retard de la France en matière d'hébergement des victimes de violences conjugales, et souligné la nécessité d'y remédier de manière énergique.

Evoquant son expérience en tant que rapporteur sur le thème des violences conjugales au sein du Conseil de l'Europe, il a évoqué les diverses facettes des violences subies par les femmes, qui sont, de manière générale, insuffisamment punies. Il a néanmoins cité une exception : la criminalisation des violences conjugales au Canada.

Il a ensuite évoqué l'augmentation des violences conjugales au cours des années récentes, à laquelle ont tenté de répondre certaines législations, espagnole en particulier. Il a enfin fermement appuyé l'idée de renforcer et de structurer les foyers d'hébergement.

Mme Marie-Dominique de Suremain a noté que toutes les violences ne nécessitaient pas de solution d'hébergement, certaines victimes pouvant aussi bénéficier d'une aide de leur entourage. Concrètement, elle a indiqué que les logements d'hébergement étaient partagés, ce qui permet une restructuration plus rapide des victimes dans des conditions de vie convenables, ceci dans un délai, en moyenne, de six mois.

Notant l'allongement de la durée moyenne d'hébergement, elle a également évoqué les difficultés de l'articulation avec le logement social qui fait l'objet de demandes concurrentes en dépit d'accords collectifs censés donner une priorité aux victimes de violences.

Mme Josèphe Mercier a précisé que les associations étaient confrontées à une exigence d'anonymat et à la nécessité d'éloigner les victimes pour les protéger.

Mme Marie-Dominique de Suremain a précisé que les victimes accueillies n'étaient pas nécessairement amenées à porter plainte pour diverses raisons, et, en particulier, par crainte d'éventuelles représailles.

Mme Isabelle Debré a évoqué son expérience en matière de lutte contre la maltraitance des enfants et s'est interrogée sur le sort des femmes mineures. Elle a ensuite interrogé les intervenantes sur le problème de l'accusation éventuelle d'abandon du domicile conjugal, qui peut entraîner des pertes de droits pour les victimes ayant décidé de s'éloigner de leur agresseur.

Mme Marie-Dominique de Suremain a indiqué que la Fédération ne pouvait accueillir que des femmes majeures et a signalé que, s'agissant des femmes accompagnées d'enfant, une déclaration au commissariat pouvait permettre de se prémunir contre une éventuelle accusation d'abandon du domicile conjugal. Elle a néanmoins signalé une recrudescence du phénomène de harcèlement juridique de la part des conjoints violentés et cité des exemples de cas de gardes alternées prononcées à la suite de faits de violences conjugales.

Mme Isabelle Debré a estimé que, la plupart du temps, le dépôt de main courante ne suffisait pas et qu'il convenait de porter plainte contre l'agresseur.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a évoqué certaines initiatives en matière de formation des personnels de police et souhaité obtenir des précisions à ce sujet.

Mme Marie-Dominique de Suremain a confirmé que les associations participaient à un certain nombre d'actions de formation de policiers. Elle a rappelé, s'agissant du problème de la plainte pénale, que la crainte des représailles pouvait conduire à des retraits de plainte de la part des victimes de violences, et fait observer que des dépôts de main courante avaient pour avantage de laisser une trace à la disposition, notamment, des procureurs.

En réponse à Mme Isabelle Debré qui s'est interrogée à la fois sur le caractère obligatoire et l'insuffisance de la « formation » des policiers dans ce domaine, Mme Josèphe Mercier a marqué sa préférence pour le terme de « sensibilisation » qui rend compte plus fidèlement des actions conduites.

Mme Muguette Dini a souligné la féminisation des cadres de la police et s'est interrogée sur la nature des formations souhaitables dans les écoles de police ainsi que sur l'opportunité d'une recommandation à ce sujet.

Mme Josèphe Mercier a estimé que la féminisation progressive de la police contribuait très largement à la nécessaire modification des mentalités.

Mme Marie-Dominique de Suremain a précisé que les formations auxquelles participaient les associations se déroulaient sur la base du volontariat.

Mme Christiane Kammermann s'est inquiétée du sort des femmes mineures victimes de violences.

Mme Marie-Dominique de Suremain a précisé que la Fédération était centrée sur l'accueil des femmes adultes et que l'hébergement des femmes mineures relevait de l'aide sociale à l'enfance.

Mme Sylvie Desmarescaux a évoqué, sur la base de son expérience professionnelle, les précautions à prendre pour l'écoute et l'aide des femmes victimes de violences.

Mme Josèphe Mercier a souligné les mesures d'accompagnement concrètes permettant aux femmes de bénéficier d'une aide matérielle, notamment pour retourner au domicile conjugal en l'absence du conjoint violent et faciliter leur déménagement.

Interrogée par Mme Gisèle Gautier, présidente, sur la réalité statistique des chiffres publiés sur les violences conjugales, Mme Marie-Dominique de Suremain a rappelé que selon l'Enquête nationale sur les violences envers les femmes -ENVEFF-, présentée en décembre 2000, 10 % des femmes de 20 à 59 ans sont victimes de violences. Elle a estimé que ces grandeurs étaient pertinentes, tout en précisant que les violences physiques sont, la plupart du temps, accompagnées de violences psychologiques et sexuelles.

Elle a ensuite fait observer que les chiffres cités par le rapport Henrion de février 2001, « Les femmes victimes de violences conjugales - Le rôle des professionnels de santé », représentaient une première évaluation, faite par le ministère de l'intérieur, du nombre de meurtres et fait observer qu'un certain nombre de suicides de femmes devraient aussi être pris en compte.

Elle a souhaité qu'un effort de recensement plus précis des violences soit entrepris : en particulier, elle a estimé que les formulaires administratifs devraient traduire la spécificité des faits de violences conjugales et plus généralement, qu'il conviendrait de mobiliser l'appareil statistique pour identifier tous les cas venant à la connaissance des interlocuteurs judiciaires, médicaux et policiers des victimes.

Mme Sylvie Desmarescaux a évoqué la tendance de certaines victimes à retourner au domicile conjugal en dépit du renouvellement des faits de violences.

Mme Muguette Dini s'est associée à ce propos, tout en évoquant la nécessité, dès le collège, de former les élèves pour leur permettre de prendre pleinement conscience du caractère anormal de la violence à l'intérieur des familles.

Mme Josèphe Mercier a tenté d'expliquer ce type de comportement, a priori paradoxal, par le fait qu'une femme isolée devait faire face à un véritable « parcours du combattant ».

Mme Marie-Dominique de Suremain a conclu par un certain nombre de remarques.

S'agissant du « Guide des bonnes pratiques » présenté conjointement par le ministre de la justice et la ministre de la parité, elle a regretté que le principe de la médiation n'ait pas été écarté pour le traitement des situations de violences conjugales. Elle a insisté sur la nécessité de différencier les conflits susceptibles de médiation et les violences qui relèvent de la sanction pénale et civile.

Elle a souhaité, en outre, la progression des financements alloués à l'hébergement des victimes.

A propos des difficultés pour certains magistrats à prendre pleinement la mesure de la réalité des violences conjugales, elle a souligné la nécessité d'une sensibilisation de l'institution judiciaire.

Après avoir évoqué l'importance des dispositifs de prévention des violences conjugales, elle a mentionné le cas spécifique des femmes immigrées victimes de violences qui peuvent être mises en difficulté en raison de l'allongement à deux ans du temps de vie commune requis pour maintenir le droit au séjour en cas de séparation. Elle a cependant noté que les préfets pouvaient, au cas par cas, régulariser leur situation.

Elle a enfin indiqué que la Fédération était en cours de transformation et avait pour vocation de devenir non plus seulement une plate-forme d'écoute et d'aide mais également un véritable observatoire des violences conjugales et un centre de formation, tout en veillant soigneusement à préserver la sécurité des personnes.

Mme Josèphe Mercier s'est associée à ces propos et, à partir d'exemples constatés d'enfants qui battent leur mère, a évoqué le processus général de fabrication de la violence au sein de la famille, violences qu'il convient d'éradiquer par des mesures d'ensemble.