Travaux de la délégation aux droits des femmes



DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 15 février 2005

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

Violences envers les femmes - Audition du Dr Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol

La délégation a tout d'abord procédé à l'audition du Dr Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol.

Mme Emmanuelle Piet, présidente du Collectif féministe contre le viol, a rappelé que le Collectif avait été créé en 1985 et avait été à l'origine de la mise en place, en mars 1986, de la première permanence téléphonique, dénommée « Viols femmes informations », destinée aux femmes victimes de violences. Le Collectif rassemblait à l'origine diverses associations féministes indignées par l'absence de réaction dans des cas de viols commis sur la voie publique. Elle a indiqué qu'au cours de la première année de fonctionnement de la permanence téléphonique, celle-ci avait reçu 4.000 appels, dont la moitié provenait de victimes de violences, en particulier de viols intra-familiaux au cours de l'enfance. Elle a insisté sur l'intérêt pour les femmes de bénéficier d'un lieu de parole, précisant que l'âge des appelantes était compris entre 7 ans et 80 ans. Elle a noté qu'aujourd'hui encore, 60 % des appels reçus, dont chacun donne lieu à l'établissement d'un compte rendu, proviennent de mineurs dénonçant des violences survenues dans leur cadre familial. Elle a également indiqué que 10 % des appelants étaient constitués d'hommes ou de garçons et a considéré qu'une ligne téléphonique spécifique pour les violences sexuelles envers les hommes devrait être créée.

Mme Emmanuelle Piet a estimé que les femmes demeuraient encore très mal protégées contre les violences et qu'elles éprouvaient encore des difficultés à en parler. Notant que le crime d'inceste était absent du code pénal, elle a fait part du souhait du Collectif d'incriminer spécifiquement les relations sexuelles entre un mineur et l'un de ses ascendants. Elle a en effet évoqué son expérience de certains procès au cours desquels les juges avaient estimé que la preuve de la menace, de la contrainte ou de la surprise, indispensable pour définir le viol, n'avait pas été apportée, en citant une affaire dont la victime était âgée de 5 ans.

S'agissant des violences sexuelles sur les enfants, elle a indiqué que le Collectif militait en faveur d'un allongement du délai de prescription, aujourd'hui de 20 ans, voire de l'imprescriptibilité de ces crimes. Elle a en effet cité l'exemple d'une femme de 48 ans, violée par sa mère pendant son enfance, qui n'est pas, psychologiquement, en mesure de porter plainte, car elle est toujours sous l'emprise maternelle, mais qui, même en cas de dépôt de plainte, se verrait opposée la prescription. Elle a noté que le délai de prescription des actes de mutilations sexuelles était actuellement de 10 ans après la majorité, en faisant observer que le code pénal distingue les mutilations des agressions. Elle a estimé que ces mutilations devraient faire l'objet d'un délai de prescription aligné sur celui des agressions.

Puis Mme Emmanuelle Piet a insisté sur les campagnes de dénonciation de la violence et d'information conduites par le Collectif. Elle a indiqué que celui-ci publiait tous les deux ans une analyse des appels reçus, dont elle a présenté les quatre principaux enseignements. Elle a ainsi rappelé qu'environ la moitié des prostituées avaient subi un viol pendant leur enfance et qu'un quart de ces femmes avaient été contraintes à la prostitution par leurs propres parents. Elle a ensuite indiqué que, lorsqu'une fille est violée par son frère, sa famille la considère souvent comme responsable de la dénonciation ou de l'incarcération du frère violeur. Elle s'est étonnée de ce qu'il était aujourd'hui impossible d'évaluer le coût des viols pour la société, qui est pourtant probablement très élevé en raison de ses conséquences, telles que le déménagement, le changement de travail, les traitements médicaux, l'invalidité... Enfin, elle a mis en évidence le décalage existant entre les chiffres des viols révélés par l'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (ENVEFF), selon laquelle 50.000 femmes âgées de 18 à 58 ans auraient été violées en 2000, et le nombre de plaintes pour viol déposées auprès de la police, qui n'excède pas quelques milliers. A ce sujet, elle a noté que si le nombre de plaintes pour viol avait sensiblement progressé depuis une dizaine d'années, ce phénomène demeurait sous-estimé, notamment en raison des fréquents classements sans suite des plaintes. Elle a également souligné la faiblesse des condamnations pour viol, environ un violeur sur cent étant condamné, ce qui illustre l'ampleur de l'impunité dont bénéficient les violeurs.

Abordant la question du viol collectif, elle a regretté que, dans bien des cas, la sécurité des victimes ne soit pas assurée et que les violeurs restent en liberté. Elle a jugé que les agresseurs devraient à tout le moins être éloignés de leurs victimes jusqu'au début du procès. En effet, entre le moment du dépôt de plainte et le procès, il peut s'écouler de longs mois pendant lesquels les victimes sont mises en danger, faute de vigilance de la police et de la justice. Elle a également noté que l'aide juridictionnelle était financièrement moins intéressante pour l'avocat d'une victime que pour l'avocat d'un agresseur. En dépit des progrès accomplis depuis une vingtaine d'années, elle a formé le voeu que les droits des victimes et ceux des agresseurs soient, au minimum, placés dans une situation d'égalité. Rappelant que la Cour de cassation reconnaissait le viol au sein du couple depuis 1990, elle a indiqué que ce sujet avait été peu traité jusqu'à présent par le Collectif, mais que sa permanence téléphonique recevait de plus en plus d'appels de femmes se disant victime de viol dans leur couple.

Mme Emmanuelle Piet s'est félicitée de l'amélioration de la formation des policiers, mais s'est montrée beaucoup plus réservée sur l'attitude de certains magistrats qui, selon elle, proposent trop souvent aux victimes de violences une solution de médiation, alors que la victime et l'agresseur ne sont précisément pas en situation d'égalité. Elle a illustré les dangers de la médiation pénale en matière de lutte contre les violences au sein du couple, le juge proposant souvent aux femmes victimes le retrait de leur plainte et aux agresseurs la « renonciation à leurs actes involontaires ». Elle a même cité un cas où le médiateur, par la décision qu'il avait préconisée, reconnaissait implicitement la polygamie en France.

Elle a également fait part des appels reçus par des femmes qui veulent protéger leurs enfants de leur conjoint, en insistant sur un possible renversement de situation qui devient préjudiciable à ces femmes. Ces dernières peuvent en effet être accusées de manipuler leurs enfants ou de refuser de les présenter à leur père. Elle a dès lors dénoncé certaines des expertises effectuées, qui tendent à disqualifier systématiquement la parole de l'enfant. Elle a émis le souhait d'une meilleure formation des avocats et des experts, estimant qu'il convenait de préparer la prévention des violences de demain.

Elle a ensuite estimé que les mariages forcés pouvaient s'apparenter dans bien des cas à un viol. Elle a indiqué qu'ils étaient beaucoup plus nombreux qu'on ne voulait bien le dire, en évoquant notamment des pratiques en cours dans la communauté turque. Rappelant que le ministère de la parité et de l'égalité professionnelle avait mis en place un groupe de travail sur les mariages forcés, qui doit rendre ses conclusions le 8 mars prochain, elle a d'ores et déjà estimé qu'il était nécessaire de relever l'âge du mariage pour les filles de 15 à 18 ans et de dénoncer les conventions internationales conclues avec les pays indulgents à l'égard des mariages forcés. De même, elle a souhaité qu'une circulaire soit adressée aux procureurs de la République pour leur demander de ne plus classer systématiquement les affaires de mutilations sexuelles.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a souligné le grand intérêt de cette audition, en s'inquiétant du niveau extrêmement alarmant de violence dénoncé par la présidente du Collectif féministe contre le viol.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a jugé indispensable que la délégation se mobilise en faveur d'un retardement de l'âge légal du mariage des filles. Elle a relaté une récente visite au consulat de France à Rabat, où le nombre de mariages de jeunes femmes françaises d'origine marocaine transcrits avait été multiplié par vingt en quelques années. Elle a également insisté sur le rôle des médias dans la dévalorisation de l'image de la femme.

Mme Emmanuelle Piet a estimé que les violences envers les femmes trouvaient leur origine essentiellement dans la cellule familiale, les fils voyant leur père battre sa femme en toute impunité. Elle a expliqué qu'une telle situation entraînait bien souvent une reproduction mimétique de la violence et signalé l'existence d'une violence des grands fils à l'égard de leur mère.

Mme Christiane Kammermann a insisté sur l'urgence de la formation des avocats et des magistrats, puis a souhaité qu'une campagne d'information d'ampleur nationale, visant notamment les écoles, soit entreprise.

Mme Emmanuelle Piet a relevé la difficulté de former les magistrats à cette problématique, car ils n'acceptent bien souvent d'être formés que par leurs pairs. Elle a ainsi indiqué que les magistrats, à la différence des policiers, n'avaient pas participé aux sessions de formation organisées par des travailleurs sociaux.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a noté le mauvais accueil parfois réservé aux victimes de violences dans les commissariats et gendarmeries. Elle a également estimé que les femmes devraient être informées de ce qu'une mention sur la main courante n'a pas les mêmes conséquences judiciaires qu'un dépôt de plainte.

Mme Gisèle Printz s'est demandé si la médiation pénale en matière de violences contre les femmes ne devrait pas être proscrite. Elle s'est également interrogée sur les effets de l'alcool sur les violences conjugales.

Mme Emmanuelle Piet a indiqué que le Collectif était favorable à ce que la médiation pénale, qui concerne normalement les petits délits, ne soit plus proposée comme solution alternative dans les cas de violences conjugales. Elle a considéré que le recours à l'alcool devrait constituer une circonstance aggravante, les hommes intempérants sachant souvent très bien que l'alcool leur donnera le « courage » de violenter leur femme. D'une manière générale, elle a considéré que les violences conjugales relevaient d'une stratégie préméditée destinée à conserver le pouvoir sur les femmes, un homme violent pouvant être comparé à une « araignée tissant sa toile ». Elle s'est dite tout à fait favorable à la conduite de campagnes d'information qui doivent viser, selon elle, à déconsidérer les hommes qui frappent leur femme, comme on a déconsidéré, avec des résultats tangibles, les hommes qui commettent des excès de vitesse.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a fait observer que les violences envers les femmes existaient dans toutes les sociétés et a rappelé que les petites filles étaient parfois victimes d'inceste dans certaines campagnes françaises, il y a quelques décennies encore.

Mme Emmanuelle Piet a confirmé que les violences envers les femmes étaient un phénomène universel trouvant sa source dans ce qu'elle a appelé la volonté de « contrôler le ventre des femmes ». Elle a indiqué qu'il suffit de lire certains ouvrages, tel « Une vie » de Maupassant, pour se rendre compte de ce qu'était la réalité de la vie des femmes françaises au siècle dernier. De même, la violence envers les femmes concerne tous les milieux sociaux. Elle a noté que, si le viol collectif est appelé « tournante » dans les « cités », on parlait plus pudiquement du « bizutage » dans les grandes écoles, qui recouvre parfois la même réalité. Enfin, elle a insisté sur la difficulté à régler le problème de la violence au sein du couple, précisément parce qu'elle traverse tous les milieux, et a appelé de ses voeux une volonté politique réelle, qui peut porter ses fruits, comme l'a montré la lutte contre l'insécurité routière.

Violences envers les femmes - Audition de Mme Isabelle de Rambuteau, présidente du Mouvement Mondial des Mères-France, accompagnée de Mmes Latefa Belarouci, psychologue, et Violaine Guéritault, psychologue, auteur du livre « Le burn out maternel », membres du Mouvement

Puis la délégation a entendu Mme Isabelle de Rambuteau, présidente du Mouvement Mondial des Mères-France, accompagnée de Mmes Latefa Belarouci, psychologue, et Violaine Guéritault, psychologue, auteur du livre « Le burn out maternel », membres du Mouvement.

Mme Isabelle de Rambuteau, présidente du Mouvement Mondial des Mères-France, a, tout d'abord, remercié la délégation de donner l'occasion de s'exprimer à une Organisation non gouvernementale (ONG) qui représente les mères, en rappelant que, selon une étude de l'Institut national d'études démographiques (INED) de 2003, celles-ci constituent un des groupes sociaux les plus importants, avec 17,6 millions de mères. Elle a indiqué que le Mouvement Mondial des Mères-France (MMMFrance) était la seule association de femmes à but familial et qu'elle rassemblait des mères de cultures, de situations familiales et professionnelles extrêmement variées, mais ayant comme point commun de mettre au monde des enfants et d'en faire des citoyens. Elle a précisé que les deux principaux objectifs du Mouvement étaient, d'une part, de créer des solidarités entre les mères, grâce à des échanges de savoir-faire comme des groupes de parole interculturels, et, d'autre part, d'être le porte-parole des mères dans les lieux de prises de décisions.

Au plan historique, elle a rappelé que le Mouvement Mondial des Mères avait été créé par des mères qui voulaient promouvoir la paix au lendemain de la seconde guerre mondiale et que le Mouvement était la première ONG internationale de femmes à avoir eu un statut consultatif à l'ONU en 1949.

Abordant le thème des violences faites aux femmes, elle a tout d'abord fait observer que le sujet n'était plus occulté. Elle a, en revanche, indiqué que la violence faite aux mères demeurait un sujet tabou, notamment parce que, dans l'inconscient collectif, la femme qui donne la vie ne peut faire l'objet d'un quelconque acte de violence. Elle a ensuite précisé que les violences faites aux mères présentaient une double particularité. Il s'agit, tout d'abord, de violences directes prenant des formes très variées, qu'elle a classées en quatre catégories : les violences physiques perpétrées par le conjoint et également par les enfants ; les violences verbales, morales, psychologiques, qui se traduisent par l'humiliation, ou le harcèlement à l'égard des mères ; la violence économique, avec essentiellement le manque de ressources financières et les violences administratives que l'on peut, par exemple, illustrer par le refus de fournir les documents nécessaires pour régler un problème administratif. Elle a noté que ces violences sont d'autant plus pernicieuses qu'elles ne laissent pas de traces apparentes et donc pas de preuves des violences subies. Détruites de l'intérieur, honteuses, isolées, et parfois traitées d'affabulatrices, les mères supportent plus que de raison ce type de souffrance, a-t-elle précisé, tout particulièrement parce qu'elles protègent avant tout leurs enfants, ce qui leur donne une capacité d'endurance exceptionnelle.

A ces violences s'ajoute un stress quotidien lourd à supporter : elle a évoqué à ce sujet la double journée de travail, la difficulté à faire preuve d'autorité vis-à-vis des enfants, surtout lorsque celle du père disparaît, la pression de la réussite scolaire et l'intrusion des écrans omniprésents dans la famille.

Mme Isabelle de Rambuteau a ensuite analysé la violence sociale, indirecte et plus subtile, que subissent les mères en raison de leur non-reconnaissance dans leur statut et leur rôle. Les actions éducatives qu'elles mènent au sein de la famille en fixant des limites et en initiant les enfants au rôle de citoyen ne sont en effet pas suffisamment reconnues.

Puis elle a regretté l'absence des mères dans le discours politique alors que dans le même temps, il est fait de plus en plus référence, officiellement, au rôle et à la place des femmes dans la société.

Mme Isabelle de Rambuteau a ensuite cité deux lois comportant des dispositions défavorables aux mères avec, tout d'abord, en matière de divorce, la séparation automatique après deux ans d'interruption de la vie commune. De ce point de vue, elle s'est demandé ce que pouvait devenir la mère qui a dû renoncer à sa carrière pour se consacrer à sa famille et s'est inquiétée des chances de retrouver un emploi pour les femmes d'âge avancé. En matière de retraite, elle a rappelé que 57 % des mères ont des carrières incomplètes et que 11 % d'entre elles n'ont jamais travaillé : pour une carrière complète, les femmes perçoivent une pension de 945 € en moyenne par mois et les hommes 1.433 €.

Elle a également évoqué l'image dégradante des femmes dans la publicité et insisté sur l'image dévalorisée de la mère qui n'a pas d'activité professionnelle en donnant des exemples concrets de déconsidération de celles qui s'entendent dire qu'elles « ne travaillent pas » et ont bien du mal à situer leur rôle dans la société. Elle a noté les différences de traitement entre les mères « qui travaillent » et celles qui n'ont pas d'activité professionnelle, ces différences étant vécues comme autant d'injustices. Elle a cité un certain nombre d'exemples parmi lesquels : les places à la cantine ou à l'étude le soir.

Puis elle a présenté plusieurs propositions du Mouvement Mondial des Mères-France, en suggérant :

- une meilleure reconnaissance dans le discours politique du rôle fondamental des mères en tant qu'éducatrices des jeunes générations à la vie en société et créatrices de liens sociaux. Valoriser de manière officielle ce rôle des mères équivaut à donner des repères aux enfants et prévenir les violences qu'ils peuvent faire subir aux femmes une fois arrivés à l'âge adulte ;

- la création d'espaces où les mères peuvent se retrouver et échanger afin de lutter contre l'isolement qui les frappe et particulièrement les jeunes mamans, les épouses d'immigrés et un million de mères qui élèvent leurs enfants seules, l'objectif étant de leur permettre de retrouver une estime de soi souvent battue en brèche par le regard extérieur ;

- la préparation des jeunes à la conjugalité par la sensibilisation au respect des différences entre hommes et femmes ;

- le contrôle plus strict des images dégradantes des femmes dans la publicité ;

- une plus juste accessibilité des mères au foyer aux services collectifs offerts aux mères qui ont une activité professionnelle, comme les cantines, les études du soir et les haltes-garderie... ;

- l'élargissement de l'offre d'emplois à temps partiel choisi afin d'atténuer le stress des doubles journées.

Mme Isabelle de Rambuteau a enfin indiqué que des groupes de paroles avaient été mis en place dans des quartiers « sensibles », notamment à Colombes et qu'une fois valorisées, les mères étaient beaucoup plus épanouies.

Mme Latefa Belarouci s'est ensuite présentée comme psychologue de culture algérienne résidant depuis quelques mois en France. Tirant les conclusions de ses premières observations, elle a manifesté son étonnement à l'égard du sentiment de solitude qu'éprouvent les mères en France et a estimé de ce point de vue que la situation des mères françaises et algériennes était plus comparable qu'elle ne l'avait pensé a priori. Elle a également insisté sur le sentiment de « non-existence » des mères qui sont insuffisamment « nommées » dans le discours. Puis elle a évoqué son expérience en Algérie auprès des enfants, puis auprès des mères en détresse dont les maris ont été victimes d'exactions, ce qui a orienté son savoir-faire autour de la re-création des liens au sein d'une communauté déstructurée.

Mme Violaine Guéritault, psychologue, auteur du livre « Le burn out maternel », a ensuite présenté ses travaux menés durant 15 ans aux Etats-Unis sur la protection des femmes contre la violence domestique et a relevé, comme caractéristique dans ce pays, une certaine focalisation sur le statut des femmes en tant que victime, alors que la situation des mères ne fait pas l'objet d'analyses à une échelle comparable.

Elle s'est dite surprise d'avoir trouvé, à son retour en France, une situation d'épuisement physique et émotionnel des mères qui les conduit à la dépression, parfois à la maltraitance d'enfant et, de façon générale, à des difficultés dans la cellule familiale. Elle a indiqué que son livre avait précisément pour but de remédier à l'occultation de cette problématique du « burn out maternel » et a enfin analysé et contesté l'idée reçue selon laquelle être une mère constitue un processus « naturel » ne méritant pas d'être analysé plus avant.

Elle a mis en évidence le contraste entre l'attente, de la part des mères, d'une performance exemplaire, notamment en matière d'éducation des enfants, et le caractère minime des ressources mises à leur disposition.

Mme Gisèle Gautier, présidente, après avoir rendu hommage aux intervenantes, s'est demandé si l'indifférence à l'égard des mères avait des incidences sur leur autorité à l'égard de leurs enfants et de leur mari.

Mme Violaine Guéritault a estimé que le manque de respect et de reconnaissance se traduit par des comportements dégradants des conjoints à l'égard des mères qui, après des journées particulièrement chargées, se voient reprocher leur « inactivité » quotidienne. Evoquant ensuite la force du mimétisme comportemental au sein de la famille, elle a indiqué que les enfants témoins de ces comportements dégradants à l'égard des mères intériorisaient ces attitudes comme « normales » et avaient tendance à les reproduire par la suite.

Mme Latefa Belarouci, à son tour, a souligné l'extrême difficulté pour les mères d'être à la hauteur des responsabilités qui pèsent sur elles, notamment dans leur rôle d'éducation des enfants. Elle a cité une étude faite en Allemagne où un pourcentage important de femmes interrogées ne souhaitaient pas devenir mères, avant de souligner à nouveau le caractère essentiel de la reconnaissance des mères.

Mme Isabelle de Rambuteau, rejoignant ce propos, a illustré par des exemples vécus combien une mère valorisée et soutenue dans ses actions pouvait se transformer et devenir rayonnante, même après avoir subi une phase dépressive.

Mme Latefa Belarouci a, pour sa part, ajouté que, du point de vue psychologique, il était particulièrement important que des mères puissent exister en tant que sujets parlant et soient enfin capables de dire « JE », contrecarrant ainsi leur tendance à placer l'intérêt de leur famille bien avant le leur.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga s'est dite un peu troublée par le discours des intervenantes. Elle a rappelé que, dans les années 50, les femmes avaient lutté pour pouvoir ne plus être considérées uniquement comme des mères, tout en admettant que, par un effet de balancier, le statut des mères était peut-être aujourd'hui parfois trop dévalorisé.

Mme Isabelle de Rambuteau, rejoignant ce constat d'un renversement de tendance, a observé qu'aujourd'hui bien des femmes s'efforcent de cacher leur grossesse en allant travailler dans leur entreprise avant de souligner l'insuffisance dans le discours politique de la référence aux mères.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga a qualifié d'ambivalent le discours politique sur les femmes et pris comme exemple le traitement de leur situation à l'occasion des débats sur la réforme du divorce ou des retraites, au cours desquels rares ont été les parlementaires à défendre l'intérêt des épouses et à souligner la faiblesse des pensions perçues par les femmes.

Mme Isabelle de Rambuteau a souligné que le discours politique ne reconnaissait pas suffisamment les mères en tant qu'acteurs essentiels de la cohésion sociale.

Mme Annie David a exposé son expérience de mère et d'élue pour faire observer qu'un certain partage des rôles au sein de la famille était nécessaire. Elle a indiqué que l'évolution du rôle des pères devait être encouragée et conçue sur un plan plus égalitaire entre les conjoints.

Mme Isabelle de Rambuteau a précisé que son rôle consistait avant tout à être le porte-parole des mères. Elle a ensuite jugé important de préparer les jeunes gens à la conjugalité, ce qui contribue efficacement à prévenir les violences conjugales.

Mmes Latefa Belarouci et Violaine Guéritault ont évoqué, à l'aide d'exemples, la difficulté de faire évoluer les préjugés fondés sur une conception inégalitaire du rôle des pères et des mères faisant peser l'essentiel des tâches sur les femmes.

Mme Violaine Guéritault, rappelant que l'absence de reconnaissance et de soutien étaient les deux principaux facteurs de stress en milieu professionnel, a indiqué que le comportement des mères obéissait également à cette même loi psychologique selon laquelle le « renforcement positif » est nécessaire pour maintenir un équilibre harmonieux de la personnalité. Elle a fait observer qu'à la différence d'une personne occupant un emploi, une mère est en permanence « sur le pont » et n'a pas la possibilité de démissionner.

Mme Christiane Kammermann, tout en admettant la difficulté d'être mère de famille, a enfin tenu à rappeler les joies et l'épanouissement de certaines d'entre elles, en citant notamment sa propre expérience en la matière.