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DELEGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'EGALITE DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 4 avril 2000

- Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.

Audition de Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle

La délégation a procédé à l'audition de Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle.

Mme Nicole Péry
a souhaité indiquer les raisons du soutien apporté, par le Gouvernement, à la proposition de loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, adoptée par l'Assemblée nationale le 7 mars dernier, et comment cette proposition se situait dans les travaux généraux menés par le Gouvernement en matière d'égalité entre les femmes et les hommes.

Elle a déclaré que lorsqu'elle avait reçu les droits des femmes dans ses compétences, en décembre 1998, elle avait procédé à un examen complet des dossiers à suivre et l'égalité professionnelle lui était incontestablement apparue comme un dossier prioritaire. Elle a observé que les difficultés qui existaient en ce domaine il y a une quinzaine d'années subsistaient toujours et rendaient nécessaire une nouvelle action en faveur de l'égalité professionnelle. Elle a rappelé qu'aujourd'hui 80 % des femmes âgées de 25 à 50 ans exerçaient une activité professionnelle.

Abordant les principales inégalités professionnelles, elle a tout d'abord insisté sur le très faible accès des femmes aux postes de décision, alors même que les jeunes filles ont désormais un niveau de formation initiale au moins égal à celui des jeunes hommes. Elle a ainsi indiqué que, seuls, 7 % des cadres dirigeants des 5.000 premières entreprises françaises étaient des femmes, cette faible représentation se vérifiant également au sein des postes de direction de la fonction publique.

Elle a ensuite indiqué qu'elle avait demandé une expertise sur les salaires. Les écarts entre hommes et femmes sont, dans ce domaine, pratiquement restés identiques depuis quinze ans, le salaire moyen d'une femme étant inférieur de 27 % à celui d'un homme, la différence se réduisant à 15 % lorsque les conditions (poste, qualification, entreprise, région...) sont strictement identiques.

Récapitulant l'action de son département ministériel, elle a déclaré que sa première préoccupation avait été de reprendre le dialogue avec l'éducation nationale de manière à améliorer, par l'information, l'orientation scolaire des jeunes filles pour leur permettre de s'insérer dans de meilleures conditions dans le monde du travail. Elle a souligné les faiblesses actuelles de cette orientation, 60 % des emplois féminins se concentrant dans six groupes socioprofessionnels ne représentant que 30 % de l'emploi total. Elle a indiqué qu'une convention avait été signée avec le ministère de l'éducation nationale pour analyser l'orientation des jeunes filles, sept filières ayant été retenues comme témoins, quatre d'entre elles représentant des filières d'avenir, comme l'informatique ou l'électronique, où les jeunes filles sont peu présentes et les trois autres étant des filières traditionnellement fortement féminisées et concernant des secteurs où les emplois sont peu qualifiés (comme le textile). Elle a précisé que le centre d'études et de recherche sur l'emploi et les qualifications (CEREQ) était chargé de suivre l'évolution des jeunes filles dans ces filières sur les trois années à venir.

Mme Nicole Péry a ensuite affirmé que son deuxième objectif était de renforcer la présence des femmes aux postes de responsabilité. Elle a indiqué l'existence, dans les ministères, de plans triennaux visant à nommer des femmes aux postes de direction. Elle a déclaré ne pas en mésestimer les difficultés, lesquelles tiennent notamment à l'étroitesse du vivier féminin de recrutement.

Elle a également indiqué qu'elle avait favorisé l'établissement d'un dialogue entre les partenaires sociaux en saisissant le conseil supérieur de l'égalité professionnelle de cette question. Celui-ci a créé des groupes de travail et il pourrait être en mesure de présenter d'ici la fin de l'année des propositions constructives pour renforcer la place des femmes dans les organismes professionnels et les organisations syndicales.

Evoquant un troisième axe de travail, Mme Nicole Péry a estimé que le bilan décevant de la loi " Roudy " de 1983 incitait à réfléchir à l'introduction de nouvelles contraintes législatives pour favoriser l'égalité professionnelle. Elle a considéré que ce bilan s'expliquait principalement de deux manières : le sujet de l'égalité professionnelle n'était pas apparu prioritaire aux partenaires sociaux dans un contexte de chômage élevé, la loi ne prévoyait aucune obligation.

Elle a alors jugé que la proposition de loi récemment adoptée par l'Assemblée nationale permettrait d'accroître significativement l'efficacité de la loi de 1983 en introduisant quelques contraintes supplémentaires.

S'agissant du rapport annuel de situation comparée des hommes et des femmes dans l'entreprise, elle a rappelé que les décrets d'application, qui devaient préciser les indicateurs permettant d'apprécier les inégalités professionnelles, n'avaient jamais été publiés. Elle a estimé que la proposition de loi permettrait d'améliorer l'utilité de ce rapport en prévoyant une liste d'indicateurs pertinents et en instituant une obligation d'affichage de ces indicateurs dans l'entreprise, ces deux dispositions correspondant à des demandes du conseil supérieur de l'égalité professionnelle.

S'agissant de l'introduction d'une obligation de négocier sur l'objectif de l'égalité professionnelle, Mme Nicole Péry a souligné que le conseil supérieur avait proposé d'aller plus loin que la proposition de loi initiale en incluant, au-delà de l'obligation de négocier tous les trois ans dans l'entreprise, une obligation de négocier dans chaque branche. Elle a également précisé que le conseil supérieur s'était prononcé en faveur de l'introduction d'une sanction pénale lorsque la négociation n'était pas ouverte.

Elle a également indiqué avoir proposé l'élargissement du dispositif concernant les contrats d'égalité professionnelle, car 34 contrats seulement ont été conclus depuis 1983 en raison de la lourdeur du dispositif.

Enfin, rappelant qu'à l'heure actuelle la majorité des pays réfléchissaient à des dispositions législatives en matière d'égalité professionnelle et jugeant les mesures prévues par la proposition de loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes à la fois réalistes et pragmatiques, Mme Nicole Péry a cependant souligné que ce texte ne pourrait être véritablement efficace que si les partenaires sociaux se saisissaient eux-mêmes du sujet. Puis elle a estimé que, si l'amélioration de la place des femmes dans la vie professionnelle nécessitait de multiples actions, la difficulté principale restait la gestion du temps et elle a invité tous les acteurs publics et privés à intervenir au niveau de leurs responsabilités.

M. Gérard Cornu, rapporteur, après avoir déclaré partager le constat qui venait d'être fait des inégalités persistantes entre les hommes et les femmes en matière professionnelle et souligné le bilan décevant de la loi de 1983, s'est interrogé sur la méthode retenue, estimant qu'il était préférable de laisser les partenaires sociaux négocier avant de légiférer. Il a fait également part de son interrogation quant à l'opportunité d'introduire une sanction pénale en cas de non-respect de l'obligation de négocier, considérant qu'une telle sanction était sans doute excessive. Il s'est enfin déclaré en faveur d'une meilleure représentation des femmes au comité d'entreprise, d'une amélioration de l'effort d'orientation des jeunes filles et de l'introduction d'une plus grande proportionnalité entre les sexes s'agissant de la composition des jurys de concours de la fonction publique.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, a rappelé que le thème de l'égalité professionnelle faisait l'objet de discussions dans le cadre de la " refondation sociale " initiée par le mouvement des entreprises de France (MEDEF). Elle a considéré que le choix de ce thème, par les partenaires sociaux, s'expliquait sans doute par l'action du conseil supérieur de l'égalité professionnelle qui avait permis de sensibiliser les partenaires sociaux.

S'agissant de la sanction pénale, elle a précisé qu'elle répondait à une demande des organisations syndicales.

Mme Nicole Péry a ensuite indiqué que les enquêtes montraient que les femmes de 25-40 ans ne demandaient pas de nouveaux droits pour mener parallèlement leur vie familiale et leur vie professionnelle, mais seulement l'application effective des droits existants et une aide matérielle. A cet égard, elle a insisté sur l'expérience " temps de vie, temps de ville " tentée en Italie et quelques villes en France et qui vise, sur la base du dialogue social (pour établir les horaires des services, des commerces, des transports, etc...), à favoriser une meilleure conciliation des " vies multiples ".

Revenant sur l'orientation des jeunes femmes, elle a constaté que la pénibilité du travail ne pouvait plus expliquer, sauf exception, la sous-représentation des femmes dans certains secteurs. Elle a alors estimé que les difficultés étaient désormais principalement d'ordre culturel et qu'il fallait en conséquence permettre aux mentalités d'évoluer. A ce propos, elle a rappelé qu'elle menait une action avec l'éducation nationale pour en finir avec les stéréotypes sexuels dans les manuels scolaires.

S'agissant des jurys de concours, elle a jugé que la faible place des filles dans les grandes écoles tenait en partie à la faible féminisation des jurys. Elle a indiqué qu'elle avait publié une circulaire visant à féminiser les jurys, mais que celle-ci avait été annulée par le Conseil d'Etat, ce qui justifiait l'introduction des mesures législatives incluses dans la proposition de loi.

Mme Annick Bocandé s'est interrogée sur les mesures annoncées le 8 mars dernier par le comité interministériel des droits des femmes et de l'égalité. Elle s'est également demandé si l'intervention législative en matière d'égalité professionnelle n'était pas trop précoce, les partenaires sociaux étant en négociation sur le sujet.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, a rappelé que la plate-forme gouvernementale présentée le 8 mars était le résultat d'un travail d'un an, le Gouvernement ayant choisi de faire progresser l'égalité entre les hommes et les femmes par une approche globale abordant tous les domaines de la vie politique, économique et sociale.

Elle a précisé que cette plate-forme se fondait principalement sur des actions en partenariat entre les différents ministères, autour de huit axes différents, citant notamment le soutien à la création culturelle, la place des femmes dans le sport et l'accès à la formation professionnelle. Elle a souligné à ce propos qu'une femme de 35 ans avait aujourd'hui deux fois moins de chance qu'un homme d'accéder à la formation tout au long de sa vie.

S'agissant du calendrier, elle a indiqué que le Gouvernement faisait des propositions parallèlement aux discussions engagées par les partenaires sociaux dans le cadre de la refondation sociale. Elle a précisé que, si le futur projet de loi de modernisation sociale n'abordait pas directement la question de l'égalité professionnelle, il prévoyait certaines mesures en faveur de celle-ci, qu'il s'agisse du dispositif de lutte contre les discriminations ou des nouvelles possibilités de validation des acquis professionnels.

Mme Janine Bardou a insisté sur la nécessité de sensibiliser les familles à l'orientation professionnelle des jeunes filles et de mieux prendre en compte la situation des femmes en milieu rural.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, s'est alors déclarée ouverte à une contractualisation avec les collectivités rurales, notamment les conseils généraux, reconnaissant que les expériences actuelles de contractualisation ne concernaient pour l'instant que les villes.

M. Alex Türk est revenu sur la proposition de loi, s'interrogeant sur l'opportunité d'introduire des sanctions pénales et sur son application aux petites entreprises. Il s'est également interrogé sur les moyens utilisés pour aboutir à l'objectif d'égalité des chances, précisant qu'il était préférable de retenir une obligation de moyens, et non une obligation de résultat. A cet égard, il s'est interrogé sur l'utilité de campagnes d'information visant à favoriser l'orientation des jeunes filles vers des filières où elles sont sous-représentées.

Rappelant que 80 % des ouvriers et des employés sont des femmes, Mme Nicole Péry a estimé que cette sous-qualification manifeste résultait en grande partie d'une mauvaise orientation des jeunes filles. Elle a alors jugé nécessaire de mener une action volontariste en matière d'orientation afin de prendre en compte les réalités économiques, considérant qu'il n'était pas possible de laisser les jeunes filles s'orienter vers des secteurs aux faibles débouchés. Elle s'est par ailleurs déclarée en faveur d'une certaine mixité professionnelle, estimant par exemple qu'il n'était pas forcément souhaitable pour l'épanouissement de l'enfant que 80 % des enseignants soient des femmes.

Mme Dinah Derycke, présidente, a précisé que le marché du travail n'était pas en mesure d'accueillir toutes les femmes qui ont suivi certaines orientations, notamment des études littéraires. Regrettant cette inadéquation entre la formation initiale des jeunes femmes et les besoins du marché du travail, elle a estimé qu'elle débouchait sur une sous-qualification préjudiciable des femmes, celles-ci étant contraintes à des " reconversions " vers des postes moins qualifiés. Elle a conclu à l'importance de l'information en matière d'orientation.

Mme Janine Bardou a, à son tour, déploré la trop faible présence des femmes dans les secteurs techniques créant beaucoup d'emplois, et appelé de ses voeux une meilleure action d'orientation.

Mme Dinah Derycke, présidente, a rappelé qu'il y a une vingtaine d'années, on avait pu penser que l'informatique était un secteur qui allait s'ouvrir très fortement aux femmes, n'exigeant pas des travaux pénibles. Elle a constaté qu'il n'en avait rien été et s'est alors interrogée sur la faible attractivité de ce secteur pour les jeunes femmes.

Déclarant partager l'analyse de M. Alex Türk, M. Jean-Guy Branger a estimé que la féminité devait pouvoir s'exprimer dans la vie professionnelle. Puis s'interrogeant sur la place de la femme en milieu rural, il a jugé que les contrats de plans Etat-régions ou les contrats de territorialité devaient mieux prendre en compte la place de la femme dans la ruralité.

Mme Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits des femmes et à la formation professionnelle, précisant que le taux de chômage des femmes était de 12,5 % contre 9 % pour les hommes, a déclaré que cette inégalité face à l'emploi justifiait une politique volontariste permettant d'assurer la qualification des femmes pour les nouveaux métiers. Elle a rappelé qu'elle avait signé une convention avec l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) visant à doubler la proportion de filles dans les filières d'avenir et que les programmes nationaux d'action pour l'emploi (PNAE) pour 1999 et pour 2000 fixaient comme objectif de réserver 35 % des contrats d'apprentissage à des jeunes filles.

S'agissant de la place de la femme dans la ruralité, elle a estimé qu'il y avait effectivement matière à contractualiser, en particulier dans le cadre des contrats de plan Etat-région avec les Pays.

M. Gérard Cornu, rapporteur, a constaté que la progression du nombre de familles monoparentales tendait bien souvent à maintenir l'enfant dans un univers exclusivement féminin. Il a jugé nécessaire d'étudier les conséquences d'un tel phénomène.