Délégations et Offices

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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 10 octobre 2000

- Présidence de Mme Dinah Derycke, présidente.

Santé - Contraception d'urgence - Audition de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance, et de Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés

La délégation a, tout d'abord, procédé à l'audition de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance, et de Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, sur la proposition de loi n° 12 (2000-2001), adoptée par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relative à la contraception d'urgence.

En introduction, Mme Dominique Gillot, secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, a souhaité présenter le contexte global dans lequel était aujourd'hui examinée la question de la contraception d'urgence. Elle a ainsi rappelé la persistance, en France, malgré les lois Neuwirth de 1967 et Veil de 1975, d'un nombre important de grossesses non désirées et d'un taux élevé de recours à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) : on compte, chaque année, plus de 200 000 IVG, de 10 000 grossesses non désirées chez les mineures dont 7 000 aboutissent à une IVG, et plus de 5 000 femmes, au-delà du délai légal de 10 semaines, partent avorter hors de France. Ce constat, confirmé par les rapports des professeurs Uzan et Nizand, a conduit le Gouvernement à annoncer, en juillet 1999, un plan d'action destiné à faire progresser l'accès à la contraception et à l'IVG. Mme Dominique Gillot a précisé que ce plan d'action, bâti autour de trois axes, visait à développer une politique active en matière de contraception pour mieux prévenir les grossesses non désirées, à rendre plus effectifs les droits existant en matière d'IVG (information et accès à l'IVG, notamment à l'hôpital public) et enfin, à préparer une éventuelle révision de la loi Veil.

Dans ce cadre, une vaste campagne d'information sur la contraception, la première depuis près de 20 ans, a été lancée en janvier 2000, dont Mme Dominique Gillot a présenté les caractéristiques essentielles. Un budget de plus de 20 millions de francs lui a été consacré avec une cible privilégiée, les populations les plus vulnérables -les jeunes, les femmes en difficulté d'insertion sociale ou économique et les populations françaises d'outre-mer- et un message diffusé par les médias audiovisuels ("La contraception, à vous de choisir la vôtre"), signifiant que la contraception est désormais une évidence, et invitant à choisir le moyen adapté à chaque situation. Une déclinaison a été spécialement adaptée aux DOM compte tenu du déficit majeur d'information sur la contraception dans ces départements. En relais de la campagne médias, plus d'un millier d'initiatives locales ont été organisées sur toute l'année 2000 et un guide de poche sur la contraception a été diffusé à 12 millions d'exemplaires, notamment dans les collèges et les lycées. Selon la secrétaire d'Etat à la santé et aux handicapés, le bilan de cette campagne est globalement satisfaisant :

- le post-test réalisé par l'institut BVA démontre sa bonne visibilité d'ensemble et son fort taux de mémorisation : 40 % des Français interrogés (60 % chez les 15-25 ans et dans les DOM) déclarent avoir vu, lu ou entendu la campagne, les films ayant été jugés utiles par 91 % d'entre eux, compréhensibles par 81 % et informatifs par 76 % ;

- le guide de poche a rempli son rôle d'outil privilégié de la campagne : il a servi de support à la mobilisation des partenaires locaux et à l'organisation d'actions de proximité, dont beaucoup se sont avérées particulièrement innovantes et originales, tant en ce qui concerne leur public-cible (jeunes, gens du voyage, détenues, ...) que leur particulière adaptation à ces publics (théâtre-forum interactif, jeux de société, concours d'affiches, ...).

Une évaluation menée par une équipe de l'INSERM, a poursuivi Mme Dominique Gillot, indique cependant qu'au-delà de cette campagne médias, qui a permis de replacer la contraception au centre du débat public, et des actions de terrain qui l'ont relayée, l'utilisation efficace de la contraception -quelle contraception choisir à quel moment ?- suppose de mettre l'accent sur la formation des professionnels chargés de la prescrire et un changement de mentalité des personnels sociaux et éducatifs vis-à-vis des problèmes de responsabilité sexuelle et de contraception.

Mme Dominique Gillot a conclu sur ce point en annonçant que l'effort serait continu, que le Gouvernement avait décidé de rediffuser, d'ici l'été 2001, les spots télévisés, de rééditer le guide de poche et de poursuivre la valorisation et le soutien aux initiatives locales, et que le Premier ministre, conscient de la nécessité de réitérer année après année l'information sur la contraception, notamment pour qu'elle puisse toucher de nouvelles générations d'adolescents, avait accepté le principe d'une campagne régulière.

Une autre priorité, a poursuivi Mme Dominique Gillot, est de faciliter l'accès de toutes les femmes à l'ensemble des contraceptifs disponibles sur le marché. C'est à ce propos qu'elle a abordé la question de la contraception d'urgence, laquelle est apparue il y a quelques mois avec les premières pilules du lendemain, le Tetragynon et le NorLevo. Elle a rappelé que Mme Ségolène Royal avait autorisé, au début de l'année 2000, les infirmières scolaires à administrer le NorLevo aux adolescentes qui s'adressaient à elles en situation de détresse et qu'après que la partie du protocole national sur l'organisation des soins et des urgences dans les écoles et les établissements publics locaux d'enseignement, où figurait cette autorisation, eut été annulée par le Conseil d'Etat le 30 juin dernier, le Gouvernement avait apporté son soutien à la proposition de loi de Mme Danièle Bousquet.

Elle a également mis en avant l'intervention de la ministre de l'emploi et de la solidarité, qui a convaincu le laboratoire qui commercialise le NorLevo de renoncer à la brutale hausse de 20 % du prix de vente en pharmacie qu'il avait décidée, et de rétablir le prix antérieur (55 francs par plaquette de deux comprimés). Elle a par ailleurs indiqué que le prix de vente du stérilet avait été fixé le 29 août dernier à un maximum de 144 francs, avec un taux de remboursement par la sécurité sociale de 65 % (100 % pour les bénéficiaires de la CMU), ce qui a permis de ramener à 50 francs environ le coût, pour les femmes, de ce moyen contraceptif, jusqu'alors pénalisé par son prix. Elle a enfin annoncé que le Comité économique des produits de santé avait entrepris les négociations nécessaires avec les laboratoires producteurs d'une pilule générique de troisième génération pour que son prix de vente soit compatible avec sa prise en charge par la sécurité sociale, et que sa mise sur le marché devrait intervenir au cours du premier trimestre de l'année 2001.

S'agissant de la proposition de loi relative à la contraception d'urgence, Mme Dominique Gillot a indiqué que son article unique introduisait, en faveur du NorLevo, trois exceptions à la législation actuelle sur la contraception.

La première exception conduit à dispenser la délivrance du contraceptif d'urgence de prescription médicale, ce qui correspond, a souligné Mme Dominique Gillot, à un début de démédicalisation de la contraception dans l'attente d'une révision d'ensemble de la loi de 1967, qui confère aux contraceptifs un statut particulier, devenu inutile avec la législation d'ensemble sur les médicaments. Rappelant que toutes les études démontrent que plus l'accès à la contraception est libre, plus les femmes s'approprient la responsabilité de son contrôle, moins il y a d'IVG, Mme Dominique Gillot a ajouté que l'intérêt de mettre en conformité avec le droit commun du médicament les conditions d'accès au NorLevo, contraceptif d'urgence ne présentant pas de contre-indication médicale, n'était pas seulement d'éviter les délais liés à l'obligation de prendre rendez-vous chez un médecin, mais aussi de rendre les femmes plus autonomes, et donc plus responsables vis-à-vis de la maîtrise de leur sexualité et de leur fécondité.

Abordant les deux autres exceptions introduites par la proposition de loi - l'accès libre des mineures au NorLevo et son administration par les infirmières en milieu scolaire -, Mme Dominique Gillot a présenté les arguments au nom desquels le Gouvernement les approuve. L'objectif prioritaire est de faire reculer le nombre des grossesses non désirées chez les jeunes adolescentes, particulièrement vulnérables en raison de leur grande fertilité et de leur faible connaissance des risques encourus, lors de leurs premières relations sexuelles. Elle a justifié la faculté accordée aux infirmières d'administrer le NorLevo aux adolescentes dans les établissements scolaires par les conditions relatives à l'efficacité de ce contraceptif, laquelle est d'autant plus grande qu'il est pris précocement après un rapport sexuel non protégé (95 % de succès dans les 24 premières heures, 58% entre la 48e et la 72e heure). Mme Dominique Gillot a ensuite fait valoir, comme autre argument à l'appui de l'initiative parlementaire, les insuffisances de la politique d'éducation à la santé et à la sexualité, qui ne reconnaît pas suffisamment aux adolescents le droit à une sexualité et à une information sur cette dernière. Or, a-t-elle ajouté, les enquêtes des experts et les témoignages montrent que les adolescents ont souvent moins de difficulté à nouer un dialogue autour de ces questions avec les infirmières, au collège ou au lycée, qu'avec leurs parents. Elle a estimé que la délivrance de la pilule du lendemain, par les infirmières scolaires, pouvait servir de vecteur à l'éducation sexuelle et à l'information sur la contraception.

Mme Dominique Gillot a conclu en indiquant que le Gouvernement renforcerait le dispositif de la proposition de loi par un plan de soutien à l'éducation à la sexualité et, plus généralement, à l'éducation à la santé, dans le cadre de sa politique globale en faveur d'une plus grande citoyenneté et responsabilité de chacun dans le domaine de la santé.

Un débat s'est ensuite instauré.

Mme Janine Bardou, rapporteur, a souligné que le nombre important des IVG montrait que la contraception n'était pas encore suffisamment intégrée dans la culture des femmes et elle a estimé que la campagne d'information sur la contraception devait être poursuivie sur le long terme afin de toucher les générations de femmes successives. Elle a fait observer que la pilule du lendemain avait pu effrayer en raison d'un risque de surconsommation, avant d'insister sur le manque de dialogue entre les adolescents et leurs familles, que traduisait sans doute le chiffre élevé des grossesses non désirées et des avortements chez les jeunes filles, et appelé à une responsabilisation des parents. A cet égard, elle a interrogé la ministre déléguée à la famille et à l'enfance sur le bilan des six mois d'application du protocole national sur la délivrance du NorLevo dans les établissements scolaires, en lui demandant en particulier comment, compte tenu de la nécessité d'administrer très rapidement ce contraceptif pour qu'il soit efficace, les infirmières scolaires prenaient néanmoins contact avec les familles des adolescentes.

En réponse, Mme Ségolène Royal a tout d'abord rappelé que le protocole national concernait tous les soins administrés en milieu scolaire et qu'il répondait au souci de pallier l'absence jusqu'alors de base légale, laquelle avait conduit à des pratiques très diverses selon les rectorats. Elle a indiqué que le protocole, qui détaille de manière très précise les procédures de délivrance des divers médicaments dans tous les établissements publics scolaires et qui s'applique sur l'ensemble du territoire, prévoyait l'information systématique des familles, pour le NorLevo comme pour les autres médicaments, conformément d'ailleurs à la déontologie des infirmières scolaires.

Elle a ensuite dressé le bilan des six mois d'application du protocole : 1 618 plaquettes de NorLevo ont été délivrées (317 en collège, les autres au lycée), 7 074 élèves, dont 4 720 mineures, ayant été reçues par les infirmières, lesquelles ont dans tous les cas cherché à établir le contact entre l'adolescente et sa famille ou un centre de planning familial. Cette attitude très responsable, a-t-elle ajouté, s'exprime également par la forte demande de formation à la prévention et à l'éducation à la sexualité exprimée par les infirmières scolaires.

Après avoir rappelé que l'obligation d'une prescription médicale pour la délivrance des contraceptifs chimiques avait été imposée par la loi de 1967 dans le souci de préserver la santé des femmes, les pilules étant, à cette époque, très fortement dosées, M. Lucien Neuwirth, rapporteur de la proposition de loi pour la commission des affaires sociales, a insisté à son tour sur la demande de formation des infirmières scolaires en matière d'éducation à la santé et à la sexualité, en suggérant que cette formation soit assurée dans les IUFM, afin qu'un discours identique soit tenu aux élèves par les infirmières et les enseignants chargés de cette éducation.

Affirmant qu'en effet, les infirmières scolaires étaient soucieuses d'être mieux intégrées aux équipes pédagogiques des établissements, Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et à l'enfance, a également préconisé le recours à des personnels médicaux extérieurs aux établissements (sages-femmes et médecins hospitaliers notamment). Elle a indiqué que ces "personnes-ressources" présentaient le double intérêt, en matière d'éducation à la santé et à la sexualité, d'être des praticiens dont le témoignage suscite l'intérêt des adolescents et d'être étrangers aux relations entre les élèves et les professeurs, que la notation rend parfois délicates, sinon ambiguës. A cet égard, elle a avancé l'idée, actuellement en cours d'examen, de faire de la participation aux modules d'éducation à la santé et à la sexualité dans les collèges une obligation de service des médecins hospitaliers ou des étudiants en médecine. Elle a également fait part d'un projet d'exposition itinérante sur la sexualité et la contraception qu'abriterait un car stationnant devant les collèges et les lycées et qui pourrait être relayée par les conseils généraux. Cette initiative a notamment suscité l'approbation de Mme Dinah Derycke, présidente, de Mme Janine Bardou et de M. Lucien Neuwirth, rapporteurs, qui y ont vu un excellent moyen de favoriser l'éducation à la sexualité tant des filles, qui y sont naturellement réceptives, que des garçons, qui doivent également être formés, et de contourner les réticences des conseils d'administration de certains établissements scolaires à organiser cette éducation, réticences qui viennent tout aussi bien des enseignants que des parents d'élèves.

Après que Mme Gisèle Printz eut félicité Mme Ségolène Royal d'avoir pris l'initiative d'autoriser la distribution du NorLevo dans les établissements scolaires et réclamé un accroissement du nombre des infirmières scolaires pour qu'elles puissent assumer efficacement leur rôle, en particulier en matière d'information sur la contraception, M. Lucien Neuwirth, rapporteur pour la commission des affaires sociales, a fait observer que la mise en vente libre du NorLevo a été critiquée, car on a cru, à tort, qu'elle portait atteinte à l'autorité parentale, alors que c'est de responsabilité éducative qu'il s'agit.

Soulignant que l'éducation sexuelle a toujours fait l'objet d'un tabou culturel pour de nombreux parents, Mme Dinah Derycke, présidente, a estimé que des progrès avaient été accomplis dans certaines familles, mais que toutes ne bénéficiaient pas du même niveau de culture et d'information. A cet égard, elle a jugé particulièrement nécessaire l'information en direction des populations des DOM. Rappelant que la délégation s'était penchée sur la situation des femmes de ces départements à l'occasion de l'examen par le Sénat du projet de loi d'orientation pour l'outre-mer, elle a fait état de leurs statistiques relatives aux IVG des mineures, qu'elle a qualifiées d'effarantes, et appelé de ses voeux la mise en place, dans les DOM, de campagnes d'information sur la contraception, non pas seulement régulières, mais permanentes.

Mme Ségolène Royal ayant pour sa part ajouté que de telles campagnes devraient également avoir pour objectif, par l'éducation des garçons et de leurs mères, de changer l'état d'esprit des hommes en matière d'image de la femme et de rapports entre les hommes et les femmes, Mme Dinah Derycke, présidente, a fait valoir, à l'appui de ce propos, que les mesures destinées à faciliter l'accès à la contraception dans les DOM ne devaient pas avoir pour conséquence d'y renforcer l'attitude condamnable et irresponsable de certains hommes, rappelant en particulier que, dans le cadre des travaux de la commission sénatoriale d'enquête sur les prisons, il était apparu que dans des prisons d'outre-mer, la moitié de la population carcérale avait été condamnée pour viol ou pour inceste. Elle a estimé, en conséquence, que l'éducation à la sexualité devait être plus large que la simple délivrance de la pilule.

M. Lucien Neuwirth, rapporteur pour la commission des affaires sociales, a ensuite fait part de sa préoccupation quant à la délivrance du NorLevo aux adolescentes pendant les vacances scolaires et à la gratuité d'accès à ce contraceptif pour les jeunes filles pendant la même période. Il a estimé qu'il faudrait compléter la proposition de loi pour résoudre ce double problème. Ayant rappelé que le NorLevo était en vente libre en pharmacie et qu'il pouvait d'ores et déjà être obtenu gratuitement dans les centres de planning familial, Mme Ségolène Royal a fait observer que le problème de la gratuité concernait l'ensemble des méthodes contraceptives et qu'il ne pouvait être limité au seul NorLevo. S'agissant de la période, considérée comme "à risques", des vacances scolaires, un débat s'est instauré auquel ont pris part, outre la ministre déléguée, Mme Dinah Derycke, présidente, qui a suggéré d'autoriser les directeurs des centres de vacances à délivrer, à l'instar des infirmières scolaires, le NorLevo, M. Lucien Neuwirth, rapporteur pour la commission des affaires sociales, qui a évoqué l'idée d'une convention entre les pharmaciens et les établissements scolaires ou l'Etat pour permettre la délivrance gratuite en toute période du NorLevo aux jeunes filles scolarisées, et M. Jean-François Picheral, qui s'est interrogé sur l'opportunité de faire délivrer le NorLevo gratuitement par les services d'urgence hospitalière qui, s'ils ne sont pas présents sur tout le territoire, sont cependant ouverts 24 heures sur 24, y compris en période de vacances scolaires.

Qualifiant de réconfortante l'évolution du débat public sur cette question de l'administration du NorLevo aux adolescentes, après les réactions initiales qu'avait suscitées sa décision d'autoriser les infirmières scolaires à y procéder, Mme Ségolène Royal s'est engagée à réfléchir aux dispositions à prendre pour faciliter la délivrance de ce contraceptif pendant les vacances scolaires, non sans avoir au préalable indiqué qu'à partir du moment où la vente du NorLevo était libre en pharmacie, prévoir légalement qu'il puisse être administré aux jeunes filles par tel ou tel responsable n'était pas en réalité indispensable. En outre, et répondant à une dernière question de M. Lucien Neuwirth, rapporteur pour la commission des affaires sociales, sur l'opportunité d'une référence explicite dans la loi au protocole national, elle a affirmé que la légalité de ce protocole ne faisant aucun doute, une telle mention n'était pas utile.

Prostitution - Audition de Mme Martine Schutz-Samson, directrice et fondatrice de Cabiria, et de Mme Françoise Guillemaut, sociologue, cofondatrice

La délégation a ensuite procédé, sur le thème de la prostitution, à l'audition de Mme Martine Schutz-Samson, directrice et fondatrice de Cabiria, et de Mme Françoise Guillemaut, sociologue, cofondatrice.

Mme Dinah Derycke, présidente, a tenu à rappeler dans quel esprit la délégation travaillait sur la prostitution, sujet qu'elle a qualifié de difficile : en dehors de toute démarche idéologique, il s'agit pour elle d'examiner concrètement si les politiques publiques mises en oeuvre sont conformes à la position abolitionniste de la France, de repérer les " manques " pour éventuellement suggérer des voies d'amélioration.

Mme Françoise Guillemaut a présenté l'association Cabiria. Située à Lyon, cette association a été créée en 1993 dans le contexte de la lutte contre le SIDA et ses crédits proviennent pour l'essentiel de la Direction générale de la santé (mais elle reçoit divers autres crédits de prévention et notamment des subventions au titre de la politique de la ville). Elle est présente 52 heures par semaine dans la rue, le jour et la nuit, et 20 heures dans un local d'accueil. Association de très grande proximité, elle a pour autre caractéristique la parité avec les prostituées dans les structures et les équipes de terrain.

S'exprimant ensuite sur la politique française face à la prostitution, Mme Françoise Guillemaut a déclaré que Cabiria était convaincue de la nécessité de la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains et qu'elle estimait que la France avait en la matière une des politiques les plus intéressantes d'Europe, même si l'arrivée de réseaux en provenance des pays de l'Est " compliquait les choses " et rendait nécessaires des accords transnationaux.

Mais il s'agit aussi, a-t-elle poursuivi, d'être attentif aux droits des personnes et de veiller à leur protection, laquelle ne se limite pas au domaine sanitaire. Il faut assurer aux prostituées en tant que personnes la sécurité, l'autonomie et la dignité, " être à leur écoute et leur permettre de prendre la parole sur leurs conditions de vie ".

Mme Martine Schutz-Samson a souligné, à ce propos, l'ambivalence des ordonnances de 1960 qui ont, certes, permis de lutter contre le proxénétisme, mais pas d'entendre les prostituées en tant que personnes, les services de prévention et de réadaptation sociale ayant notamment conduit à infirmer " l'idée d'un traitement de leur activité par le droit commun ".

Elle a par ailleurs indiqué qu'il y avait actuellement à Lyon environ 800 prostituées dont 30 % étaient d'origine étrangère, et venaient notamment d'Afrique de l'Ouest (du Cameroun en particulier) et d'Europe de l'Est . Elle a précisé qu'il était difficile d'entrer en contact avec les prostituées qui venaient d'Europe de l'Est et souligné que, contrairement à une idée reçue, toutes n'étaient pas " trafiquées ". Il y a, en provenance du Kosovo, a-t-elle déclaré, de réelles réfugiées politiques qui trouvent dans la prostitution sur notre territoire des moyens de survie et une oppression moins grande que dans leur pays. S'agissant de celles qui font l'objet d'un trafic, elle a estimé que les contraindre, en échange de papiers, à dénoncer leur proxénète n'était pas une bonne solution et elle a plaidé pour que ces femmes soient protégées dès leur arrivée par une autorisation de séjour.

Mme Janine Bardou ayant insisté sur les risques de reconduite à la frontière encourus par les prostituées qui dénoncent leurs proxénètes, Mme Françoise Guillemaut a souligné à son tour que la meilleure protection de ces personnes serait la délivrance immédiate, à titre humanitaire, d'une autorisation de séjour temporaire, sans conditions, notamment de dénonciation de réseau. Elle a ajouté que la préoccupation de sécurité des personnes prostituées s'entendait aussi de la protection contre les violences dans la rue, qui doit être un autre axe de travail.

Elle a ensuite affirmé que Cabiria n'était pas une association réglementariste, en estimant au passage que dans les pays réglementaristes la lutte contre les réseaux était inefficace et la protection des personnes non garantie. Cabiria, a-t-elle déclaré, n'a pas de solution idéale au problème de la prostitution et se situe dans un " registre de questionnement ". Ce qu'elle propose est d'élargir le débat et elle serait ainsi favorable à un collectif de réflexion qui réunirait pouvoirs publics, prostituées et associations pour mener un travail de fond sur les problèmes posés par la prostitution.

Mme Françoise Guillemaut a ensuite évoqué trois aspects actuels de la prostitution. La prostitution, tout d'abord, s'est diversifiée depuis une dizaine d'années, avec l'apparition de nouvelles formes de travail sexuel (salons, minitel rose...) où les salaires sont très bas et les cadences souvent infernales mais qui s'accompagnent de contrats de travail et, pour l'inspection du travail, d'un respect apparent de la législation, privant ainsi les associations d'une quelconque voie de recours, à l'exception des cas de harcèlement moral. Il faut, a plaidé Mme Françoise Guillemaut, éviter la stigmatisation de la prostitution de rue et mener une réflexion sur le phénomène dans sa diversification. La migration et la mobilité des personnes doivent ensuite être soulignées, et notamment la migration économique des femmes, qui est aujourd'hui plus fréquente que celle des hommes et sur l'origine de laquelle il conviendrait de s'interroger. Le dernier aspect est l'augmentation de la prostitution masculine, laquelle représente jusqu'à 30 % de la prostitution dans les grandes villes et mériterait d'être étudiée de plus près.

Mme Dinah Derycke, présidente, après avoir rappelé que la délégation travaillait essentiellement sur la prostitution féminine en ce qu'elle reflète le rapport de force hommes/femmes, a demandé ce qu'il fallait entendre par " traitement de l'activité des prostituées par le droit commun " et si, en particulier, une telle approche signifiait de reconnaître, comme les Pays-Bas, que la prostitution était un travail comme les autres, ce qui conduisait au réglementarisme.

M. Guy Cabanel ayant lui-même souhaité savoir comment Cabiria jugeait la légalisation de la prostitution aux Pays-Bas, qui l'a beaucoup surpris, Mme Françoise Guillemaut a estimé qu'on touchait là à une question très difficile, en réalité à " la " question, et redit que Cabiria n'avait pas de réponse définitive. Quant au traitement de l'activité des prostituées " par le droit commun ", elle a indiqué qu'il signifiait d'abord l'accès aux droits de base auxquels tout citoyen peut prétendre, accès que rien dans la loi n'interdit aux prostituées, mais qui se heurte, au quotidien, à de nombreuses difficultés administratives. Le problème de savoir si, au-delà, la prostitution doit être considérée comme un travail comme un autre se pose notamment en termes de retraite et d'assujettissement à l'impôt. Soulignant qu'on ne pouvait être insensible à la question de la retraite, elle est revenue sur la disparité de traitement existant entre les diverses formes de travail sexuel, les employées de salon bénéficiant d'un contrat de travail et des accessoires qui lui sont attachés, comme la retraite, alors que les prostituées de rue ne tirent guère parti de leur travail pour préparer leur avenir.

Mme Martine Schutz-Samson s'est déclarée défavorable à la solution hollandaise, synonyme pour les prostituées de perte d'autonomie, de soumission à des gérants, donc de plus grande exploitation et, pour celles qui restent en dehors du système légal, d'exclusion et de clandestinité. Elle a souhaité que puisse être trouvée en France une solution novatrice, au-delà de l'abolitionnisme et du réglementarisme, une solution qui soit discutée avec les personnes intéressées et où le problème de la prostitution ne soit pas mêlé à celui des migrations liées aux trafics.

Mme Dinah Derycke, présidente, a fait observer que donner des droits aux prostituées risquait de ne pas jouer en faveur des sorties de la prostitution, et pouvait même favoriser les entrées, et a interrogé l'association Cabiria sur le problème de la réinsertion.

Mme Françoise Guillemaut a déclaré que Cabiria mettait en oeuvre les processus de réinsertion dès qu'elle le pouvait, mais préférait parler de " réorientation de carrière ", formule qui respecte mieux la dignité des personnes concernées. Le souhait de Cabiria est de laisser aux personnes prostituées le maximum de marge de manoeuvre, de les valoriser, et de travailler avant tout à renforcer leur autonomie.

Mme Gisèle Printz ayant souligné que la prostitution devait sans doute être aussi abordée sous l'angle de la " demande ", Mme Martine Schutz-Samson a reconnu qu'on parlait peu des clients, mais également estimé que leur pénalisation, comme en Suède, avait comme effet de déplacer les lieux de prostitution et de rejeter les prostituées dans la clandestinité avec, pour elles, une augmentation des risques de violence et d'insécurité.

S'agissant de la France, elle a insisté, en demandant qu'on le clarifie, sur le paradoxe qu'il y a à interdire par le biais du racolage la prostitution, sans déclarer celle-ci illégale.

Mme Françoise Guillemaut a fait observer que la question du client renvoyait à celle de l'éducation du petit garçon et de l'homme, la prostitution n'étant que " le miroir grossissant du problème de l'appropriation des femmes par les hommes dans notre société ". Si le stigmate retombe sur les prostituées, surtout celles de la rue, a-t-elle estimé, c'est en raison de ce miroir grossissant. Il faut, a-t-elle poursuivi, changer le regard sur la prostituée et voir aussi en elle une " stratégie d'autonomie dans un système très contraint ".

Mme Janine Bardou s'interrogeant sur les priorités de Cabiria, -protection des prostituées dans leur activité ou sortie de la prostitution-, Mme Françoise Guillemaut a justifié la protection des prostituées dans l'organisation de leur activité dans la mesure où il s'agit, par là, d'accroître leur autonomie.

Mme Martine Schutz-Samson a déclaré que le but de Cabiria était que les prostituées accèdent elles-mêmes à leurs propres décisions, qu'il s'agisse de sortir ou de rester dans la prostitution. Il faut, a-t-elle dit, respecter aussi celles qui choisissent d'y rester.

Mme Dinah Derycke, présidente, a conclu le débat en retenant l'idée qui avait été émise d'une table ronde regroupant les différents acteurs concernés par le problème de la prostitution, mais en disant sa préférence pour l'échelon local, souvent plus efficace que l'échelon national.