Table des matières




DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mercredi 5 décembre 2001

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, vice-présidente.

Bilan du programme TRACE - Audition de Mme Hélène Mignon, députée, rapporteur d'une mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'application de la loi du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions

La délégation a entendu, sur le bilan du programme TRACE (Trajet d'accès à l'emploi), Mme Hélène Mignon, députée, rapporteur d'une mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'application de la loi du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions.

Mme Gisèle Gautier, vice-présidente, a d'emblée souligné un paradoxe : le public féminin, qui est aujourd'hui majoritaire dans le programme TRACE, et qui est le plus motivé, est pourtant celui qui éprouve le plus de difficultés à s'insérer sur le marché du travail.

Après avoir rappelé que, dès le départ, femmes et hommes avaient intégré le programme en nombres à peu près identiques, Mme Hélène Mignon a indiqué qu'effectivement on trouvait, à la sortie, moins de jeunes femmes que d'hommes dans les secteurs marchands. Elle a déploré que l'insertion par l'économie reste encore figée par la reproduction des métiers typiquement masculins ou féminins, avant de relever que lorsque les opérateurs du programme TRACE travaillent sur l'élargissement des métiers l'insertion des jeunes filles est meilleure. Elle a souhaité que cette orientation soit dynamisée.

Mme Gisèle Gautier, vice-présidente, a demandé si les différences d'orientation entre garçons et filles étaient imputables aux propositions de formation qui étaient faites aux jeunes filles ou relevaient de leur propre choix.

Mme Hélène Mignon a d'abord fait observer que les jeunes qui intègrent le programme TRACE sont généralement des jeunes très défavorisés qui n'ont aucun projet professionnel. Evoquant ensuite la demande des jeunes filles pour les métiers de service aux personnes (personnes âgées et enfants notamment), elle a estimé qu'elle traduisait peut-être en partie la nécessité, pour les intéressées, de compenser des manques affectifs dont elles avaient souffert. Elle a souhaité, à ce propos, que la mise en place de l'allocation personnalisée à l'autonomie (APA) offre de nouvelles possibilités d'emploi pour les jeunes du programme TRACE, qu'ils soient de sexe féminin ou masculin.

Mme Gisèle Gautier, vice-présidente, a constaté qu'il existait une relative méconnaissance des métiers et souligné l'intérêt des visites d'entreprises pour faire connaître et valoriser certaines professions.

Mme Hélène Mignon a estimé qu'une revalorisation du travail manuel, qui dépasse largement le cadre du programme TRACE, était indispensable en France. Elle a fait observer que les jeunes du programme ne maîtrisaient pas souvent les apprentissages élémentaires, et que les métiers du bâtiment, qui sont plus immédiatement accessibles, n'attiraient pas les jeunes, pas plus ceux du programme TRACE que les autres. Elle a jugé impératif qu'on oeuvre auprès de ces jeunes à une reconnaissance du travail, car, dans leur milieu, ce dernier est souvent dévalorisé et perçu comme beaucoup moins rémunérateur que le commerce de drogue par exemple. Elle a souhaité que l'on offre aux jeunes du programme TRACE la possibilité de quitter leur milieu familial où le chômage est depuis longtemps installé, et s'est félicitée à ce propos de la création pour ces jeunes d'une bourse d'accès à l'emploi destinée à leur assurer un revenu (2.000 francs) entre les périodes d'emploi ou de formation rémunérée, en soulignant que l'allocation jeune qui était servie jusqu'alors donnait lieu à de très grandes disparités entre les départements.

Revenant sur la forte présence des femmes dans les secteurs sociaux, et relevant ainsi une sorte de phénomène culturel, Mme Josiane Mathon a fait observer que dans les municipalités, aussi, les affaires sociales étaient souvent confiées à des femmes.

Mme Hélène Mignon a souhaité qu'on oeuvre pour que les femmes, à tous les échelons, ne soient pas cantonnées au secteur social.

Mme Gisèle Gautier, vice-présidente, après avoir dit son approbation, a déploré que le public féminin du programme TRACE soit victime d'une plus grande précarité dans l'emploi.

Mme Hélène Mignon a fait observer qu'il s'agissait d'une réalité qui dépassait le cadre du programme TRACE, tout en soulignant que le nombre de femmes bénéficiaires de contrats à durée indéterminée avait cependant augmenté ces derniers mois. Elle a estimé que les femmes étaient plus nombreuses à accepter un travail à temps partiel que les hommes, parce que leur salaire est traditionnellement considéré comme un appoint par rapport à celui de l'homme, jugé responsable du foyer.

Elle a ensuite indiqué que les jeunes qui ont intégré au départ le programme TRACE faisaient partie, le plus souvent, du « stock » des missions locales d'insertion et que les jeunes qui ont encore plus de difficultés qu'eux étaient davantage repérables par le biais des associations caritatives, car ils ont souvent besoin d'être « apprivoisés » avant d'être conduits vers une structure d'insertion. Aussi bien s'est-elle félicitée du projet d'allonger de six mois l'accompagnement mis en place dans le cadre du programme TRACE afin d'intégrer l'éventuelle intervention des associations en amont.

Mme Gisèle Gautier, vice-présidente, a demandé si l' « absentéisme » féminin dû aux congés de maternité et aux contraintes familiales était dissuasif pour les employeurs, et si, dans le cadre du programme TRACE, des actions d'accompagnement existaient quant à la prise en charge des enfants.

Mme Hélène Mignon a estimé que le programme TRACE s'adressait plutôt aux femmes sans enfants, les autres relevant d'un autre dispositif, celui du RMI, accordé par dérogation aux moins de 25 ans quand ils sont chargés de famille. Elle s'est émue de l'augmentation du nombre de jeunes femmes parmi les SDF et a déploré l'absence de structures d'accueil pour les couples de SDF.

Mme Gisèle Gautier, vice-présidente, a fait observer qu'un questionnaire adressé par la délégation aux missions locales d'insertion dans le cadre du bilan qu'elle effectue du programme TRACE indiquait bien la présence de jeunes femmes avec enfants dans les effectifs suivis par certaines missions locales d'insertion. Mme Hélène Mignon a alors estimé que la responsabilité d'enfants pouvait être un frein à l'insertion, mais aussi un moteur. Elle a souhaité que l'on réfléchisse aux modes de garde d'enfants pour ceux qui touchent les minima sociaux.

Répondant à Mme Gisèle Gautier, vice-présidente, elle a ensuite indiqué que les jeunes les plus nécessiteux étaient repérés par les associations, les organismes de HLM ou les Centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) plus que par les Centres communaux d'action sociale (CCAS).

Mme Josiane Mathon a fait remarquer que, par définition, les personnes exclues ignoraient l'existence du programme TRACE et qu'elles étaient souvent sans illusions quant à leurs possibilités d'insertion.

Mme Hélène Mignon a évoqué l'instabilité des jeunes du programme TRACE, leur difficulté à se projeter à plus de deux mois, alors que le programme dure dix-huit mois (et sera bientôt porté à deux ans).

Mme Gisèle Gautier, vice-présidente, a estimé que la mise en oeuvre de l'autonomie était difficile à gérer sur le plan matériel et souhaité que l'on augmente le nombre des foyers de jeunes travailleurs et qu'on en prévoie pour les jeunes couples.

M. Jean-Guy Branger a jugé la démarche humaine primordiale dans le processus d'insertion, soulignant qu'avec un « bon conseiller référent on pouvait réparer des situations avec peu de moyens matériels ».

Comme Mme Gisèle Gautier, vice-présidente, Mme Hélène Mignon a partagé cette opinion. Elle a insisté sur l'importance pour les jeunes du programme TRACE de voir changer le regard de la société sur eux, et inversement. Elle a estimé à environ un tiers des effectifs les jeunes qui souffraient de problèmes psychologiques ou psychiatriques et estimé qu'il faudrait repérer très tôt, dès le stade scolaire, voire en maternelle, les comportements violents en prenant comme exemple le Canada, où l'on apprend aux enseignants à détecter les violences.

Mme Josiane Mathon a déploré que dans sa commune les centres de psychiatrie qui étaient susceptibles d'intervenir dès la maternelle aient disparu, faute de moyens, et relevé que, pour les jeunes très violents, même le suivi d'une activité sportive pouvait s'avérer difficile.

Mme Gisèle Gautier, vice-présidente, et Mme Hélène Mignon ont évoqué la nécessité et les difficultés rencontrées pour réunir les différents partenaires compétents en la matière, la première faisant valoir l'existence des Conseils communaux de prévention de la délinquance (CCPD) et la seconde souhaitant voir décliner leurs compétences à un échelon plus local.

M. Jean-Guy Branger a estimé que le point le plus important était de détecter les problèmes au plus tôt, tout en déplorant le manque de structures de prise en charge à partir du moment où les problèmes sont détectés.

A une question de Mme Gisèle Gautier, vice-présidente, sur la participation des centres d'information sur les droits des femmes au programme TRACE, au stade des comités de pilotage ou comme opérateur externe, Mme Hélène Mignon a répondu que les organisations féminines avaient une place dans l'ensemble des dispositifs de lutte contre les exclusions.

M. Serge Lagauche a souligné le paradoxe consistant à déplorer que les femmes soient concentrées dans les secteurs sociaux et à insister, simultanément, sur le fait qu'il était important que les intéressées se sentent utiles.

M. Jean-Guy Branger a déploré que trop de familles soient incapables de faire face à l'éducation de leurs enfants par manque de rigueur et de sens de l'effort.

Mme Hélène Mignon a estimé que ces familles acceptaient plus l'aide des associations que celle des institutions, Mme Gisèle Gautier, vice-présidente, renchérissant en évoquant la peur de ces familles d'être mal jugées.

M. Jean-Guy Branger a salué la capacité des femmes à réagir, supérieure, selon lui, à celle des hommes.

Répondant enfin à Mme Gisèle Gautier, vice-présidente, sur les résultats actuels du programme TRACE, Mme Hélène Mignon a déclaré que les objectifs quantitatifs étaient atteints, qu'en revanche on était un peu en dessous du taux qui a été assigné au programme de 50 % de remise au travail, mais que les résultats obtenus n'étaient pas négligeables, et même encourageants, si l'on considère que les jeunes auxquels le programme TRACE s'adresse sont des jeunes en très grande difficulté.