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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mercredi 12 mars 2003

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

Echange de vues sur le thème de réflexion de la délégation pour l'année 2003

Mme Gisèle Gautier, présidente, a tout d'abord souhaité recueillir l'avis des membres de la délégation sur le choix du thème de réflexion pour l'année à venir.

Mme Françoise Henneron a souligné l'actualité et la gravité du problème de la violence envers les femmes.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a noté le caractère récurrent de ce sujet dans les instances nationales, européennes et internationales.

Mme Odette Terrade s'est demandé s'il ne conviendrait pas de cibler plus spécifiquement les violences conjugales, en rappelant qu'en France six femmes par mois décèdent dans ces circonstances. Elle a évoqué, par ailleurs, le sujet du cancer du sein, qui constitue un enjeu majeur de santé publique pour les femmes.

Mme Valérie Létard a manifesté son intérêt pour ce sujet médical, mais a constaté aussi l'importance de la problématique des violences envers les femmes dans certaines banlieues.

Mme Gisèle Printz a souligné la nécessité d'une éducation au respect des femmes et des jeunes filles dès l'école.

Mme Hélène Luc, après avoir rappelé que le thème de l'égalité salariale constituait la première préoccupation des femmes, a indiqué que le problème de la violence envers les femmes ne se limitait pas à la violence conjugale, et a donné, pour illustrer son propos, l'exemple d'événements survenus récemment dans le département du Val-de-Marne.

Mme Paulette Brisepierre, évoquant la dimension culturelle du problème de la violence dans les banlieues, a souligné la nécessité de faire évoluer la condition de certaines femmes d'origine étrangère.

Mme Gisèle Gautier, présidente, ayant suggéré d'étudier les implications, pour les droits des femmes, de l'élargissement de l'Union européenne, plusieurs intervenantes ont convenu de ce thème « transversal ».

Sur la base de son récent déplacement dans le cadre d'une mission d'information qui s'est rendue dans la Corne de l'Afrique, Mme Hélène Luc a par ailleurs souligné l'intérêt d'étudier le statut de la femme africaine. Elle a mis l'accent, notamment, sur la gravité des problèmes liés à l'épidémie de SIDA.

Mme Odette Terrade, après avoir relevé l'intérêt du thème de l'élargissement, a souhaité que certains sujets, comme le logement social, puissent aussi être abordés dans le cadre des travaux à venir de la délégation.

Mme Valérie Létard s'est associée à ce propos en rappelant l'importance numérique des familles monoparentales, et la nécessité de favoriser leur accès au logement social.

Mme Sylvie Desmarescaux a souligné l'intérêt et l'utilité, pour la délégation et pour ses membres, de faire valoir le point de vue spécifique des femmes en multipliant les interventions ponctuelles dans les divers travaux conduits au Sénat.

Mme Hélène Luc s'est déclarée favorable à un examen par la délégation du thème du logement des femmes élevant seules leurs enfants, qui pourrait déboucher sur une question orale avec débat.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a également manifesté son intérêt pour ce sujet, et a suggéré un rapprochement avec la commission des affaires sociales pour l'approfondir. Elle a ensuite souligné la nécessaire vigilance de la délégation en matière de réforme du mode d'élection des sénateurs, afin de veiller à la préservation du principe de parité.

Rapport annuel - Examen

Mme Gisèle Gautier, présidente, a ensuite présenté les grandes lignes du rapport d'activité de la délégation pour 2002.

Elle a, tout d'abord, rappelé qu'entre janvier 2002 et janvier 2003, la délégation avait adopté deux rapports d'information, le Parlement, compte tenu des élections présidentielle et législatives, n'ayant pas siégé entre février et juin 2002 : sur le rapport de Mme Janine Rozier, la délégation a examiné les articles relatifs à la prostitution du projet de loi pour la sécurité intérieure et émis des recommandations largement prises en compte par le Gouvernement ; il en a été de même - a-t-elle précisé - pour le rapport de Mme Sylvie Desmarescaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a également évoqué les rencontres internationales auxquelles la délégation a participé, et signalé l'organisation, le 31 mars prochain à Athènes, d'une réunion consacrée aux enjeux de la convention sur l'avenir de l'Europe.

Egalité salariale entre les hommes et les femmes - Examen du rapport d'information

La présidente a ensuite présenté la seconde partie du rapport annuel consacrée aux inégalités salariales entre les hommes et les femmes.

Elle a indiqué, tout d'abord, s'être efforcée de dresser un panorama suffisamment général et précis des normes internationales applicables en France, ainsi que du contentieux relatif à l'égalité salariale. Elle a ensuite précisé que la délégation se devait de fonder ses recommandations sur une mesure aussi exacte que possible de l'évolution des écarts de salaires entre les sexes et que, plus globalement, les inégalités de salaires devaient préoccuper la délégation en tant que révélateur de la place respective des hommes et des femmes dans le monde du travail, tout en stimulant la réflexion sur les enjeux et les voies d'un rééquilibrage.

Au travers des auditions et des travaux conduits par la délégation, il est apparu, a-t-elle estimé, un ralentissement de la réduction des écarts de salaires entre les sexes au cours des dix dernières années qui manifeste :

- d'une part, le maintien de la part prépondérante des femmes dans l'accomplissement des tâches ménagères, l'éducation des enfants et les soins aux personnes âgées, ainsi que la difficulté de concilier, en pratique, ces activités avec la vie professionnelle ;

- et, d'autre part, le décalage entre certains clichés passéistes et la réalité d'une main-d'oeuvre féminine aujourd'hui plus diplômée et plus motivée par l'accès à l'emploi et l'indépendance financière.

Au moment où l'équilibre des régimes de retraites est au centre des débats, elle a jugé particulièrement opportun de souligner que les capacités et les aspirations à l'emploi des femmes étaient en harmonie avec la nécessité de maintenir, en France, un taux d'activité suffisamment élevé.

Au-delà, elle a fait observer qu'une répartition des salaires plus équitable était de nature à stimuler la mobilisation des talents féminins et à apporter à notre pays le nouveau dynamisme dont il a besoin. Elle a, en même temps, souligné qu'une politique efficace, en la matière, devait se faire avec les entreprises, et non pas contre elles.

Elle a ensuite présenté la partie du rapport qui analyse en détail le cadre juridique aujourd'hui favorable à l'égalité salariale, et qui comprend trois séries de normes : internationales, européennes et nationales.

A propos des trois conventions internationales conclues dans le cadre de l'Organisation des Nations unies, et qui affirment le principe d'égalité de rémunération, elle a fait observer qu'en participant à des rencontres internationales, les membres de la délégation sénatoriale aux droits des femmes avaient pu prendre la mesure de l'importance, à la fois juridique et symbolique, de ces accords et traités.

S'agissant du droit européen qui englobe une deuxième série de règles qui vont du principe d'égalité des rémunérations à l'aménagement d'un régime probatoire favorable aux victimes de discriminations, elle a noté qu'une très récente directive du 23 septembre 2002 comportait une recommandation concrète : la désignation dans chaque Etat membre d'un ou plusieurs organismes chargés de promouvoir et de surveiller l'égalité de traitement entre toutes les personnes sans discrimination fondée sur le sexe, à laquelle la France doit satisfaire au plus tard le 5 octobre 2005.

A propos du droit français de l'égalité salariale, qui apparaît très largement conforme aux exigences internationales et européennes, Mme Gisèle Gautier, présidente, a noté que le bilan des lois du 13 juillet 1983 et du 9 mai 2001 sur l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes avait été qualifié de mitigé et en retrait par rapport aux espoirs qu'elles avaient pu faire naître, les partenaires sociaux n'ayant, jusqu'à présent, qu'imparfaitement intégré le thème de l'égalité professionnelle dans le dialogue social, alors que la loi les y incitait fortement.

S'agissant de la jurisprudence, elle a indiqué qu'il n'existait pas de données statistiques précises sur le nombre de contentieux relatifs à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, mais que, par recoupements, on pouvait estimer qu'un nombre significatif de décisions de première instance étaient intervenues sur ce thème.

Elle a enfin rappelé que certains juristes estimaient que le développement de nouvelles pratiques, telles que le test de discrimination ou « testing », donneraient peut-être lieu, dans l'avenir, à l'essor d'actions contentieuses.

Puis Mme Gisèle Gautier, présidente, a présenté la partie du rapport consacrée à la mesure des inégalités salariales.

En dépit d'un cadre juridique devenu, au cours des dix dernières années, très favorable à l'égalité des salaires, elle a constaté un ralentissement des écarts de rémunération entre hommes et femmes, le salaire moyen des femmes restant globalement inférieur de 27 % à celui des hommes dans l'ensemble de l'Union européenne.

Elle a précisé que les études portant spécifiquement sur la situation en France chiffrent les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes à un pourcentage de l'ordre de 27 %, et que, si l'on écarte l'influence des facteurs « extérieurs » (durée du travail, qualification, etc.), un écart irréductible et non justifiable perdure à hauteur de 4 à 6 %, « toutes choses égales » (du point de vue statistique) par ailleurs.

Elle a rappelé que le contexte général traduisait pourtant une augmentation du niveau de formation et des taux d'activité féminins. Observant que les femmes sont aujourd'hui plus diplômées que les hommes, elle a cependant constaté la persistance des phénomènes de ségrégation dans les filières de formation avec, par exemple, une proportion de 23 % de jeunes femmes parmi les effectifs des écoles d'ingénieurs en 2001.

Elle a ensuite indiqué qu'en France, selon certaines études sur la décomposition des inégalités de rémunération, la plus grande partie de l'écart salarial entre les sexes était imputable, à parts égales, tout d'abord à la concentration des femmes dans les emplois les moins qualifiés et dans un petit nombre de métiers, et, ensuite, au travail à temps partiel qui concerne 30 % des femmes, contre à peine 5 % des hommes.

Elle a évoqué le prolongement des inégalités de salaires après la vie active : les femmes perçoivent des pensions de retraite inférieures de 42 % à celles des hommes.

Dans le but de réduire les inégalités de salaire qui manifestent aujourd'hui, en France, une sous-utilisation des capacités intellectuelles et de l'esprit d'initiative des femmes, ainsi qu'un certain décalage avec l'exigence d'équité de la société française, Mme Gisèle Gautier, présidente, a ensuite présenté à la délégation les huit séries de recommandations suivantes :

1. Compléter le cadre juridique existant, mais surtout mieux le faire connaître.

a) Afin de mettre en conformité le droit français avec la directive européenne 2002/73/CE du 23 septembre 2002, créer une autorité indépendante ou une cellule rattachée à une autorité existante chargée de la surveillance de l'égalité salariale entre les sexes et d'apporter une aide concrète aux victimes de discriminations.

b) Intensifier l'effort d'information sur la panoplie de textes internationaux européens et français qui sanctionnent les discriminations salariales et facilitent les démarches des personnes qui apportent des éléments pouvant établir une présomption de discrimination.

2. Pour brosser un tableau exact et complet des différences de rémunération entre les sexes, valoriser les données existantes en construisant une banque de données fiable et opérationnelle permettant de prendre connaissance d'informations qui restent, à l'heure actuelle, dispersées.

3. Mieux impliquer les partenaires sociaux dans la lutte contre les discriminations de rémunération.

a) Encourager le progrès de la mixité au sein des organisations syndicales et professionnelles pour favoriser la mobilisation des partenaires sociaux sur le thème de la réduction des inégalités de rémunération entre les hommes et les femmes.

b) Localiser, à l'échelon plus pertinent des bassins d'emploi ou de certaines professions, le dialogue social sur l'égalité des rémunérations pour le rendre plus concret.

4. Revaloriser les métiers à forte présence féminine.

Revaloriser certains secteurs professionnels comme celui des services aux personnes : prendre en considération, dans le cadre des conventions collectives, la pénibilité des emplois ainsi que la responsabilité qu'ils impliquent. Utiliser, pour ce faire, la validation des acquis de l'expérience.

5. Favoriser une plus grande mixité dans les filières d'éducation et de formation.

a) Éliminer, notamment par une politique d'orientation scolaire non sexiste, les formes existantes de ségrégation professionnelle et sensibiliser l'ensemble de la communauté éducative aux questions d'égalité.

b) Recenser, dans les manuels scolaires et les livres destinés à la jeunesse, les stéréotypes liés au sexe et sanctionner, en milieu éducatif, les atteintes au respect mutuel entre garçons et filles.

c) Mobiliser les conseillers d'information et d'orientation (CIO) et les enseignants sur le thème de la mixité professionnelle et de l'égalité salariale par la création d'un module de formation intégré dans leur cursus et, pour ceux déjà en poste, intégrer ces modules dans les cycles de formation continue.

d) Inciter, par voie contractuelle, les centres de formation d'apprentis (CFA) à prendre une part active dans la diversification de l'emploi féminin.

e) Établir un bilan des actions menées par les branches au cours des dix dernières années pour en faire connaître et généraliser les bonnes pratiques.

6. Adapter aux contraintes professionnelles des familles la politique d'accueil de la petite enfance.

a) Permettre aux parents de mieux articuler famille et carrière, en allégeant la « contrainte de temps » qui pèse sur les femmes actives.

b) Assouplir les modes de garde des enfants et l'accueil périscolaire. Favoriser les passerelles entre les différentes structures en les adaptant à la demande des familles (et non l'inverse).

c) Faire participer l'entreprise à la politique d'accueil de la petite enfance et définir les conditions de mise en place des crèches interentreprises.

d) Faire évoluer le concept de crèche pour mieux répondre aux besoins des Français, en milieu urbain comme en milieu rural.

7. Favoriser le déroulement des carrières des femmes.

a) Encourager les entreprises à renforcer les compétences des salariés absents pour congé de maternité ou congé parental, afin d'éviter une rupture dans la progression professionnelle.

b) Définir des mesures spécifiques pour les « familles monoparentales », dont le chef est une femme dans une écrasante majorité des cas. Inciter les employeurs à les recruter et à adapter l'organisation de leur travail.

8. Mobiliser l'opinion sur le thème de l'égalité professionnelle.

a) Recenser et stimuler la généralisation des expériences réussies en matière de conciliation des contraintes familiales et professionnelles en s'appuyant, notamment, sur l'organisation, au niveau européen, de compétitions en vue de désigner « les 100 meilleurs lieux de travail dans l'Union européenne ».

b) Diffuser dans les medias des messages de nature à faire évoluer les images de comportements qui contribuent à assigner des rôles spécifiques à chaque sexe. Utiliser, à ce titre, les possibilités de financements européens dans le cadre du programme Equal, qui permet d'expérimenter de nouveaux moyens de lutte contre les discriminations en matière d'emploi.

Un débat s'est ensuite instauré.

Mme Sylvie Desmarescaux a fait observer la baisse du taux de participation des femmes de 30 à 45 ans à des activités associatives ou caritatives.

Mme Janine Rozier a évoqué la trop faible orientation des jeunes filles vers les filières scientifiques, y compris parmi celles qui ont de bons résultats scolaires dans les disciplines qui y prédisposent. Elle a, au demeurant, rappelé la nécessité de valoriser certains métiers spécifiquement féminins, notamment dans l'artisanat, pour qu'ils ne tombent pas en désuétude.

Mmes Janine Rozier et Gisèle Printz ont insisté sur les inégalités de retraite entre les hommes et les femmes.

Mme Gisèle Printz s'est interrogée sur les difficultés d'application de la loi relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Mme Sylvie Desmarescaux s'est ensuite déclarée favorable à l'élargissement des horaires d'ouverture des structures de garde d'enfants, mais a estimé nécessaire de lutter contre une dérive qui consiste pour certains parents, indépendamment de leurs contraintes professionnelles, à ne pas s'occuper suffisamment de leurs enfants. Elle a également souligné la nécessité de s'attacher à une mise en oeuvre effective des recommandations formulées par la délégation.

En réponse aux divers intervenants, Mme Gisèle Gautier, présidente, a notamment fourni quelques précisions sur le bilan d'application de la législation relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, appelé à nouveau à une mobilisation des pouvoirs publics et de l'ensemble des partenaires sociaux sur le thème de l'égalité salariale.

Puis la délégation a adopté le rapport annuel et les recommandations sur les inégalités salariales entre les hommes et les femmes.