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DÉLÉGATION DU SÉNAT AUX DROITS DES FEMMES ET À L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES

Mardi 20 janvier 2004

- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente.

La mixité dans la France d'aujourd'hui - Auditions de M. Philippe Guittet, secrétaire général, Mmes Anne Berger, secrétaire générale adjointe, et Annie Prévot, chargée de mission communication du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN)

La délégation a procédé à l'audition de M. Philippe Guittet, secrétaire général, et de Mmes Anne Berger, secrétaire générale adjointe, et Annie Prévot, chargée de mission communication du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN), dans le cadre des auditions qu'elle organise sur le thème de la mixité dans la France d'aujourd'hui.

Mme Gisèle Gautier, présidente
, après avoir accueilli les intervenants et rappelé l'actualité brûlante du thème de la mixité, a invité les membres de la délégation à poser brièvement leurs questions, afin de ménager aux personnalités entendues, le temps de préciser leur point de vue.

M. Philippe Guittet a présenté les divers intervenants, en précisant qu'outre leurs fonctions syndicales, ils étaient tous en poste en tant que chef d'établissement. Il a rappelé que la mixité s'était progressivement généralisée à partir de 1959 et que la loi dite « Haby » du 10 juillet 1975 avait introduit l'obligation de mixité dans les établissements publics d'enseignement. Au titre des exceptions à la mixité, il a cité l'exemple des cours d'éducation physique et d'éducation sexuelle. Il a cependant fait observer que la mixité pouvait, dans certains cas, être maintenue dans ces disciplines. Il a par ailleurs indiqué que les classes médico-sociales étaient presque totalement féminisées et qu'à l'inverse celles de sciences et technologie industrielle (STI) ainsi que les brevets d'études professionnelles (BEP) industriels étaient surtout fréquentés par les garçons.

Répondant à une interrogation sur les risques de remise en cause de la mixité, il a souhaité que celle-ci soit imposée dans les écoles au même titre que la laïcité.

Estimant que la mixité à l'école n'était pas en danger, M. Philippe Guittet a cité comme exemple de texte utile la convention du 25 février 2000 pour la promotion de l'égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif, qui évoque des thèmes comme la place des femmes enseignantes dans le système éducatif et l'orientation, qui reste sexuée. Il a précisé que peu de jeunes filles s'orientaient vers les filières technologiques et vers les filières scientifiques de l'enseignement général. Il a également indiqué que cette circulaire traitait de sujets importants, comme la prévention de la violence sexiste et la formation des maîtres, les enseignants ayant tendance à véhiculer, malgré eux, un certain nombre de stéréotypes sur les rôles féminins et masculins. Il a enfin insisté sur la nécessité d'une meilleure valorisation des femmes dans les programmes scolaires.

Il a ensuite noté qu'en dépit de la réussite globale du modèle d'intégration à la française, un certain nombre de difficultés économiques, sociales et religieuses se traduisent, notamment dans les quartiers sensibles, par une domination qui s'exerce sur les filles. Il a estimé que celles-ci réussissaient en général mieux leur intégration, ce qui suscitait parfois, par contrecoup, une volonté de les ramener à certaines normes de domination masculine.

S'agissant du projet de loi relatif au port des signes, il lui a paru avant tout essentiel de rappeler que l'école ne devait pas être soumise au religieux. Après s'être dit conscient du fait que certains enseignants ou chefs d'établissement véhiculaient des stéréotypes, il a indiqué que les parents s'autocensuraient en matière d'orientation et avaient souvent plus d'ambition pour les garçons que pour les filles.

S'agissant des contestations par les familles de sanctions appliquées par les femmes enseignantes, il a indiqué ne pas avoir eu connaissance de cas précis et estimé, sur le fond, que le principe de laïcité devait être appliqué sans faille et dans toutes ses conséquences.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a demandé des précisions chiffrées sur la proportion de femmes dans les personnels enseignants et de direction.

M. Philippe Guittet a indiqué que plus on s'élève dans la hiérarchie de l'éducation nationale, plus la proportion d'hommes est forte. Il a cependant noté que de plus en plus de femmes devenaient chef d'établissement. Il a rappelé que la fonction enseignante comportait une majorité de femmes, et que leur part relative était d'environ 35 % parmi les personnels de direction, tout en faisant observer, par exemple, que les professeurs de classes préparatoires sont plus souvent des hommes. Il a ensuite rappelé les efforts consentis pour promouvoir les femmes dans les postes de direction.

Mme Gisèle Gautier, présidente, prenant acte de ces proportions, a demandé si la mobilisation était suffisante en matière de rééquilibrage de l'orientation et de la mixité professionnelle.

M. Philippe Guittet a indiqué que la proportion de filles en terminale S était récemment passée de 41,1 % à 43,2 %, mais qu'en revanche certaines filières restaient essentiellement fréquentées par les garçons. Il a également fait observer que, par exemple, dans les filières de sciences et technologie industrielle (STI), il était difficile, pour une jeune fille, de se retrouver seule dans une classe de garçons et qu'il était préférable de procéder à d'éventuels regroupements. Il a, en revanche, chiffré à 98 % la proportion de filles dans les filières de sciences médico-sociales (SMS) et souhaité des campagnes d'information nationales en faveur de la mixité des métiers.

Mme Hélène Luc a tout d'abord souligné l'importance du rôle des chefs d'établissement et salué leur esprit de responsabilité avant de rappeler la pénurie de candidats à ces postes qui comportent de nombreuses contraintes et exigent un grand dévouement. Elle a ensuite estimé que la féminisation du corps enseignant n'était pas sans lien avec la faiblesse des salaires des maîtres.

S'agissant du port du voile, et plus généralement de la mixité scolaire, elle s'est interrogée sur les expériences pouvant être conduites pour améliorer l'attitude et le comportement des garçons à l'égard des filles. Elle a rappelé, à cet égard, les actions menées dans son département pour mieux aménager la vie et les installations scolaires.

Elle s'est enfin demandé si le vote d'une loi sur le port des signes pourrait avoir un rôle protecteur.

M. Philippe Guittet a fait mention de l'existence d'un vrai problème d'égalité des sexes posé par le phénomène du port du voile. Il a indiqué que jusqu'à la fin des années 1980 très rares étaient les jeunes filles voilées et qu'il convenait de porter un coup d'arrêt à l'évolution des pratiques qui se sont développées depuis. Il s'est demandé si le personnel politique avait fait preuve de suffisamment de fermeté sur ce point au cours des quinze dernières années.

Il a ensuite souligné l'importance de l'aménagement des lieux d'accueil dans les établissements pour permettre de concilier la mixité avec le respect des sexes.

M. Philippe Guittet a rappelé qu'il s'était publiquement prononcé en faveur d'une loi interdisant le port de signes. Il a indiqué que les modalités d'application de la laïcité étaient très diverses à travers les établissements et estimé que la jurisprudence du Conseil d'Etat autorisant les signes religieux, sauf cas de prosélytisme, lui semblait trancher avec les convictions laïques qui avaient inspiré la législation de 1905. Il a estimé nécessaire, en conséquence, de rappeler clairement le principe d'interdiction du port des signes, à la fois pour aider les établissements d'enseignement public dans leur gestion quotidienne et pour préserver les valeurs de la République.

M. Philippe Guittet s'est également dit convaincu qu'il convenait d'aller jusqu'au bout de la démarche qui a été initiée et de ne pas reculer face à certaines objections qui se manifestent. Profondément convaincu de l'importance de l'enjeu, il a fait état d'un grand nombre de témoignages de soutien d'enseignants qui ne s'expriment pas dans les médias.

M. André Vallet a fait remarquer que, pour la conception des locaux des établissements scolaires, les architectes ne prenaient pas toujours en compte les implications de la mixité. Il s'est félicité de ce que le SNPDEN ne remettait pas en cause la mixité, rappelant qu'aucun des acteurs de l'éducation nationale que la délégation avait auditionnés jusqu'à présent ne souhaitait un retour en arrière sur ce point. Il a néanmoins noté que beaucoup restait à faire. Il a voulu savoir si les chefs d'établissement disposaient des prérogatives suffisantes pour faire fonctionner la mixité. Il a interrogé le responsable du syndicat sur son souhait d'obtenir un statut particulier pour les principaux et proviseurs et un renforcement de l'autonomie des établissements. Soulignant la présence aujourd'hui très importante des femmes dans le corps enseignant, il s'est demandé si un meilleur équilibre entre les sexes ne serait pas souhaitable pour les élèves. Il s'est dit favorable au projet de loi sur la laïcité, mais n'a pas caché son embarras devant le mot « ostensiblement » et les difficultés d'interprétation que ce dernier ne manquera probablement pas de susciter, tant de la part des chefs d'établissement que des juges qui seront sans doute amenés à se prononcer sur l'application de la loi. Constatant la percée actuelle de l'intégrisme religieux, il s'est interrogé sur les causes de ce phénomène, se demandant notamment s'il s'agissait d'une façon pour les jeunes de s'affirmer ou si ces derniers étaient manipulés. Enfin, il a voulu connaître l'opinion du SNPDEN sur la question du port des signes politiques à l'école.

M. Philippe Guittet a rappelé que l'adverbe « ostensiblement » signifiait à la fois « clairement » et « visiblement » et a considéré que le choix de ce terme permettait de revenir au droit républicain traditionnel, selon lequel les signes religieux sont interdits à l'école, sauf s'ils sont suffisamment discrets, ajoutant que ce mot s'inscrivait dans la jurisprudence européenne. Il a estimé que le terme « ostentatoire » aurait suscité davantage de difficultés d'application. Quant aux signes politiques, ils relèvent, selon lui, des circulaires, toujours en vigueur, de Jean Zay, ministre de l'instruction publique en 1936 et 1937. Il a souligné l'existence de pressions grandissantes s'exerçant sur les jeunes, en particulier les jeunes filles, qui rencontrent un écho du fait de l'acuité des problèmes sociaux actuels, bien que les religions ne soient pas seules à prospérer sur ce terreau, comme le montre le phénomène sectaire. Il a estimé qu'il convenait de parler, plutôt que de religion, d'associations politico-religieuses, qui cherchent à encadrer, voire encadrent déjà les jeunes filles, selon des méthodes différentes en fonction du milieu dans lequel elles agissent. Il a également noté que ces pressions étaient beaucoup mieux organisées que par le passé et a cité l'exemple du recours à des avocats par ce type d'associations.

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est demandé si l'on assistait à un retour de la spiritualité ou à une affirmation de l'intégrisme religieux.

M. Philippe Guittet a jugé qu'il s'agissait davantage d'une affirmation de l'intégrisme, liée au contexte international, en particulier la situation en Algérie au cours des années 1990 ainsi que le conflit israélo-palestinien. Il a rappelé que le statut de chef d'établissement existait depuis 1988, mais que le SNPDEN souhaitait que les chefs d'établissement voient leur profession recentrée sur les tâches de direction proprement dites, alors qu'ils sont de plus en plus accaparés par des tâches administratives diverses depuis la réduction du nombre d'emplois des personnels administratifs, techniques et de services. Il a indiqué que l'organisation syndicale dont il est le responsable était opposée à l'expérimentation concernant l'autonomie des établissements, même si elle est, bien entendu, favorable à des évolutions relatives, par exemple, à la place du chef d'établissement dans l'animation pédagogique, au recentrage du conseil d'administration sur ses tâches essentielles, ou à l'amélioration de l'expression démocratique de l'autonomie, dans le cadre d'un pilotage national.

Mme Hélène Luc a indiqué que, s'agissant de la conception des locaux, il était souvent nécessaire de mener une large discussion avec les architectes, de manière à prendre en compte les implications de la mixité dans les établissements.

M. Philippe Guittet a insisté sur les efforts de formation à réaliser sur ce point, y compris auprès des enseignants.

Mme Gisèle Gautier, présidente, observant les fluctuations actuelles de l'opinion publique quant à l'opportunité du projet de loi sur la laïcité, a exprimé ses craintes sur le devenir du projet de loi, d'autant plus que les responsables de certaines associations politico-religieuses ont entrepris un travail sournois de manipulation de l'opinion. Elle s'est demandé si la France ne courait pas le risque d'une « pseudo-loi » qui serait très difficilement applicable, notamment par les enseignants. Elle a également souligné, pour la regretter, la régression actuelle du statut des femmes -liée, en particulier à l'intégrisme religieux- et a cité l'exemple de certaines jeunes filles portant aujourd'hui le voile alors que leurs mères ne le portaient pas.

M. Philippe Guittet, soulignant que la remise en cause de la laïcité n'était pas le fait de la seule religion musulmane, a noté que, lors d'une récente émission télévisée, la seule personne à avoir répondu qu'elle privilégierait la loi républicaine sur la loi religieuse était un rabbin. Il a également regretté qu'un grand journal du soir ait mené une campagne systématique et permanente contre le dépôt d'un projet de loi sur la laïcité. Il a considéré que la loi de 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat ne suffisait plus pour régler les problèmes actuels, car les conditions de la laïcité ont beaucoup changé depuis cette époque. Il a estimé que le renoncement au vote d'une loi sur la laïcité constituerait un mauvais signal envoyé à tous les intégrismes qui veulent remettre en cause les valeurs républicaines.

M. André Vallet a exprimé ses craintes quant à d'éventuelles dérives provocatrices, à la suite, par exemple, d'alliances politiques de circonstance, lors des débats parlementaires sur l'examen du projet de loi. Il a considéré que la volonté d'étendre l'interdiction du port de signes religieux à d'autres catégories d'établissements scolaires que ceux prévus par le projet de loi serait, selon lui, une erreur.

Mme Gisèle Gautier, présidente, a constaté que certains arguments entendus actuellement, notamment le fait que cette loi renforcerait les intégristes ou qu'elle conduirait à un développement des écoles privées confessionnelles, déstabilisaient beaucoup de gens.

M. Philippe Guittet a rappelé que l'enseignement privé sous contrat lui-même avait estimé que son caractère propre ne l'empêcherait pas d'appliquer certaines dispositions de la loi. Si des provocations ne sont pas à négliger à la rentrée 2004, il a jugé que l'éducation nationale saurait gérer d'éventuels problèmes, comme elle l'a toujours fait, la loi sur la laïcité n'étant pas incompatible avec un dialogue soutenu avec les élèves et leurs parents. Il a surtout affirmé que céder sur ce point à l'école conduirait à céder dans l'ensemble des services publics.

M. André Vallet s'est dit étonné de ce que tous les mouvements laïques ne soient pas favorables à ce projet de loi, contrairement à ce qu'il avait cru, certains lui étant même franchement hostiles.

M. Philippe Guittet a fait observer que beaucoup de gens craignaient qu'une loi ne stigmatise la population de confession musulmane et ne renforce donc les tensions. Il a regretté que l'on mélange trop souvent le racisme et l'existence d'un débat critique sur les religions, lequel, selon lui, est normal dans une société démocratique.

Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est interrogée sur la valeur juridique du règlement intérieur des établissements scolaires.

M. Philippe Guittet a rappelé que M. Jean-Paul Costa, vice-président de la Cour européenne des droits de l'Homme, lors de son audition par la commission Stasi, avait expliqué qu'en vertu de l'article 9 de la convention européenne des droits de l'Homme, la limitation de l'exercice de la liberté religieuse ne pouvait être opérée que sur la base d'une législation, et sûrement pas sur celle d'un règlement intérieur. Enfin, il a considéré que le fait de savoir si le voile était ou non un précepte du Coran n'était finalement, au regard de la laïcité de l'école, qu'un problème secondaire.