MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGEE DE DRESSER LE BILAN DE LA DECENTRALISATION ET DE PROPOSER LES AMELIORATIONS DE NATURE A FACILITER L'EXERCICE DES COMPETENCES LOCALES

Table des matières


Mardi 27 juin 2000

- Présidence de M. Jean-Paul Delevoye, président -

Examen du rapport

La mission a examiné le rapport présenté par M. Michel Mercier, rapporteur.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a exposé que les conclusions proposées par le rapporteur étaient récapitulées dans une motion, distribuée aux membres de la mission d'information. Il a donc proposé de passer à l'examen de cette motion.

M. Michel Mercier, rapporteur, a précisé que le projet de rapport de la mission contenait, conformément au mandat qui avait été confié par le Sénat à la mission d'information, un bilan de la décentralisation, établi sous l'angle de l'efficacité de l'action publique, et des propositions visant à faciliter l'exercice des compétences locales. Il a rappelé que la mission d'information avait déjà publié, au mois de janvier 2000, un rapport d'étape sur le nécessaire renforcement de la sécurité juridique de l'action publique locale, ainsi que sur la rénovation du statut des élus. A cet égard, il s'est félicité de l'adoption prochaine, par le Parlement, de la proposition de loi d'origine sénatoriale tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, qui répond à la première de ces priorités.

Puis il a fait valoir qu'au terme de dix-huit mois de travaux, durant lesquels la mission a procédé à 75 auditions, d'une durée totale de 72 heures, quatre constatations pouvaient être faites sur l'état de la décentralisation dans notre pays :

·  La première d'entre elles souligne le caractère irremplaçable de la décentralisation pour parvenir à une pleine efficacité de l'action publique. Rappelant que le processus entrepris il y a près de 20 ans visait à redistribuer les compétences et les moyens au sein d'un Etat unitaire, pour rapprocher le lieu de décision des actions publiques de leur lieu d'application, M. Michel Mercier, rapporteur, a fait observer que la gestion décentralisée avait été caractérisée par la sagesse fiscale et la maîtrise de l'endettement. Il a relevé le caractère toujours actuel de la décentralisation pour préserver la cohésion sociale, ainsi que la nécessité d'insérer les territoires dans l'ensemble européen.

·  Le deuxième constat porte sur la complexité du paysage institutionnel local, notamment du fait que l'Etat, à la fois acteur et contrôleur de la vie locale, n'a pas encore tiré toutes les conséquences de la décentralisation dans sa propre organisation. M. Michel Mercier, rapporteur, a souligné que la réforme de l'intercommunalité avait introduit de forts éléments d'évolution dans l'organisation territoriale.

·  La troisième réflexion fait état de la substitution d'une logique de cogestion à la logique initiale de répartition des compétences par blocs.

Cette évolution aboutit à la multiplication des partenariats de toute sorte et engendre la complexité. Elle se traduit par la participation croissante des collectivités territoriales au financement des compétences de l'Etat, ou la tendance à une recentralisation des pouvoirs, qui apparaît notamment dans les dispositifs mis en place en matière d'exclusion, ou de logement social.

De surcroît, les contrats passés par les collectivités territoriales avec l'Etat sont de nature particulière, car l'Etat en maîtrise le contenu et le calendrier.

·  Enfin, M. Michel Mercier, rapporteur, a déploré l'inadéquation croissante des moyens dont disposent les collectivités territoriales au regard des missions qu'elles doivent assumer. S'agissant des moyens en personnel, il a estimé que le cadre juridique s'appliquant à la fonction publique territoriale restait inadapté aux besoins des collectivités locales, notamment en matière de recrutement et de mobilité. De surcroît, l'équilibre financier de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) n'est pas assuré.

M. Michel Mercier, rapporteur, s'est également élevé contre une remise en cause insidieuse de l'autonomie financière des collectivités territoriales, qui voient leurs ressources dépendre, de façon croissante, des dotations budgétaires de l'Etat, au détriment de leurs ressources fiscales propres. Les transferts de charges qui découlent des transferts de compétences ne sont pas intégralement compensés par l'Etat. Les procédures de péréquation financière destinées à corriger les inégalités de richesse entre les collectivités territoriales se caractérisent par leur opacité.

M. Michel Mercier, rapporteur, a souligné pour conclure ce bilan l'incontestable efficacité de la gestion décentralisée, et les menaces qui pèsent cependant sur la poursuite de la décentralisation. Ces menaces tiennent, pour l'essentiel, à la tentation récurrente de l'Etat de recentraliser, à la complexité de la répartition des responsabilités entre l'Etat et les collectivités territoriales, qui tend à décourager les élus d'entreprendre, et prive les citoyens d'une juste compréhension de l'action publique, et enfin à la réduction des marges de manoeuvre fiscales des collectivités territoriales. M. Michel Mercier, rapporteur, a estimé que l'actuelle embellie économique masquait la fragilité financière structurelle des collectivités territoriales.

Abordant ensuite les propositions qu'il suggérait de formuler, M. Michel Mercier, rapporteur, a annoncé qu'elles tenaient en cinq points principaux :

·  L'Etat doit se recentrer sur ses missions essentielles, rénover les modalités de son contrôle sur les collectivités territoriales, mieux associer celles-ci aux décisions qui les concernent, et promouvoir une nouvelle approche de la déconcentration.

·  Chacun des niveaux décentralisés ayant sa légitimité, l'émergence de l'intercommunalité constituera un puissant facteur d'évolution de l'organisation administrative locale. L'identité de la commune, cellule de base de la démocratie locale, doit cependant être préservée, même en cas d'élection au suffrage universel direct des délégués intercommunaux. Les collectivités territoriales pourraient se voir reconnaître un droit à l'expérimentation institutionnelle, sur une base volontaire.

·  L'enchevêtrement actuel des compétences étant un facteur de confusion, une clarification doit être recherchée, conformément à la vocation principale de chaque niveau de collectivités. Les éventuels nouveaux transferts de compétences devront être accompagnés d'une compensation financière juste et évolutive.

L'exercice de compétences partagées entre collectivités territoriales devrait s'opérer en définissant, au cas par cas, une collectivité " chef de file ".

Pour approfondir la décentralisation, M. Michel Mercier, rapporteur, a notamment proposé de transférer les constructions universitaires à la région, la construction et l'entretien des routes nationales aux départements, et de démêler l'écheveau des compétences en matière d'aide sociale partagées par l'Etat et le département. Il a souligné qu'il ne s'agissait là que d'exemples ponctuels d'une vaste et nécessaire remise en ordre.

·  L'adaptation du statut des fonctionnaires territoriaux aux spécificités des collectivités territoriales devrait passer par un renforcement de la promotion interne pour encourager les compétences, par un maintien du recrutement contractuel, par une plus grande mobilité, et le recours accru aux concours sur titres pour les filières techniques, sociales et culturelles.

Le rapporteur a enfin considéré comme impérieuse la rénovation du système de financement local ; cette réforme, a-t-il souligné, devrait avoir pour objectif de préserver une part prépondérante de recettes fiscales dans les ressources des collectivités locales, de moderniser l'assiette des taxes d'habitation et professionnelle, de clarifier les modalités d'évolution du montant des concours financiers de l'Etat, tout en renforçant leur dimension péréquatrice.

M. Michel Mercier, rapporteur, a souligné tout l'intérêt de la proposition du Président du Sénat tendant à renforcer le principe de libre administration des collectivités territoriales en inscrivant dans la Constitution la garantie de leur autonomie fiscale.

Un large débat s'est alors ouvert.

M. Louis de Broissia a appuyé les remarques du rapporteur portant sur les difficultés pour les collectivités territoriales d'établir une relation contractuelle équilibrée avec l'Etat. Il a observé que leurs recettes fiscales n'étaient plus guère liées à la croissance, notamment depuis la réduction des droits de mutation.

M. Michel Mercier, rapporteur, a souligné que la relation contractuelle, définie dans la sphère du droit privé, ne correspondait guère aux rapports établis entre les collectivités territoriales et l'Etat, qui est doté de prérogatives régaliennes.

M. Jacques Bellanger a relevé les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales en matière de délai de paiement de leurs débiteurs, citant l'exemple d'hôpitaux qui acquittent leurs dettes plus de 18 mois après l'échéance. Il a rappelé que les règles strictes imposées par la comptabilité publique avaient contraint les collectivités territoriales à l'équilibre financier, et que les services de l'Etat devraient se plier dans les faits -car ils y sont soumis en droit- à ces règles pour parvenir aux mêmes résultats.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a rappelé que l'excédent budgétaire des collectivités territoriales avait contribué à permettre à notre pays de satisfaire aux critères requis par le traité de Maastricht. Il s'est interrogé sur les moyens les plus efficaces pour contraindre les administrations à respecter la norme des délais de paiement en vigueur dans le secteur privé.

M. Jean-Claude Peyronnet a considéré que l'équilibre financier des collectivités territoriales était à la merci d'un retournement, même modeste, de la conjoncture, particulièrement en matière de taux d'intérêt. Il a souligné que la situation de la CNRACL était compromise par le mécanisme de la surcompensation au profit des autres régimes spéciaux de retraite, ce qui posait le problème du financement des retraites des fonctionnaires territoriaux. Il s'est interrogé sur l'impact de la réduction du temps de travail. En réponse à M. Louis de Broissia, il a indiqué que les recettes tirées de la vignette, ou de la taxe sur les cartes grises, avaient pour effet de maintenir un lien entre la fiscalité locale et la croissance.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a rappelé que la négociation sur le temps de travail dans la fonction publique avait été engagée par M. Michel Sapin sur la base d'un forfait de 1 600 heures travaillées par an. Il a estimé à environ 1,5 point de fiscalité supplémentaire le coût, pour les collectivités territoriales, de l'extension d'un accord sur cette base, du fait des créations d'emplois qui en seraient induites.

M. Michel Mercier, rapporteur, a souligné " l'explosion " des charges assumées par les collectivités territoriales, qui ne sont plus en rapport ni avec les compétences transférées par les lois de décentralisation, ni avec les mécanismes de compensation.

M. Guy Vissac a fortement appuyé la rupture entre déconcentration et décentralisation préconisée par le rapporteur, soulignant que, jusqu'à présent, la déconcentration s'était surtout traduite par un fractionnement et une multiplication des services de l'Etat.

M. Jean-Claude Peyronnet a relevé que le regroupement des services déconcentrés n'était pas toujours efficace, citant en exemple un tel regroupement opéré dans son département en matière de gestion des eaux, qui n'avait pas été concluant.

La perspective de l'élection au suffrage universel direct des délégués intercommunaux a donné lieu à une discussion à laquelle ont participé MM. Jean-Paul Delevoye, président, Michel Mercier, rapporteur, Guy Vissac, Jacques Bellanger et Jean-François Humbert.

M. Jean-Paul Delevoye, président,
a fait valoir que le suffrage indirect pouvait être un atout pour faire aboutir certains projets nécessaires mais pas toujours populaires. Rappelant que l'intercommunalité procédait des communes, il a estimé que l'élection au suffrage universel direct des délégués intercommunaux devrait s'inscrire dans le respect de l'identité de la commune, par une élection conjointe avec celle des conseils municipaux, par exemple.

M. Jacques Bellanger a estimé que cette élection au suffrage universel direct constituait une perspective à la fois nécessaire et inéluctable, compte tenu des missions désormais assumées par les structures intercommunales.

M. Michel Mercier, rapporteur, a fait valoir que les citoyens contribuables devaient pouvoir se prononcer sur l'utilisation de leurs impôts par les instances intercommunales. Il a considéré que la diversité des régimes électoraux municipaux rendrait délicate l' élection des instances intercommunales parallèlement aux élections municipales.

Prenant acte des nouveaux transferts de compétences proposés par le rapporteur, M. Jacques Bellanger a souligné que les transferts de compétences aux collectivités locales avaient pour effet d'augmenter les besoins exprimés, les compensations versées par l'Etat ne couvrant pas les charges induites.

M. Jean-François Humbert a appuyé cette remarque, citant l'exemple récent de la décentralisation des transports ferroviaires.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a estimé que l'Etat ne consentait à décentraliser que les compétences qu'il ne peut plus lui-même assumer, opérant ainsi un transfert de charges du contribuable national sur le contribuable local.

M. Jean-François Humbert s'est interrogé sur la répartition des compétences en matière d'environnement, d'énergie et de sport.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a observé que les compétences dans ces domaines étaient très mal définies, particulièrement en matière de gestion de l'eau et des déchets. Tout en considérant qu'il n'était pas nécessairement souhaitable de prévoir, dans les domaines, des blocs de compétences très identifiés, il a néanmoins estimé que le financement de la gestion de l'eau, les limites territoriales de compétence pour la gestion des déchets et l'énergie, constituaient des questions importantes.

M. Michel Mercier, rapporteur, a précisé que la décentralisation dans le domaine du sport était traitée dans son rapport.

M. Jean-Claude Peyronnet, évoquant les propositions formulées par le rapporteur sur la fonction publique territoriale, a souligné les garanties de recrutement offertes par la voie du concours et préconisé le développement de la promotion interne.

M. Michel Mercier, rapporteur, a indiqué qu'il préconisait la possibilité pour les collectivités territoriales d'organiser, comme l'Etat, des concours sur titres pour des métiers spécifiques, comme les ingénieurs des travaux publics, ou les assistantes sociales.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a précisé que la promotion interne devait sanctionner une compétence.

M. Michel Mercier, rapporteur, ayant évoqué l'éventualité d'une modification du mode d'élection des conseils généraux, M. Jacques Bellanger a souligné la nécessité d'adapter les structures territoriales actuelles et leurs modes d'élection aux nouveaux impératifs de population et d'organisation.

M. Michel Mercier, rapporteur, s'est déclaré, à titre personnel, favorable à une profonde réforme du mode d'élection des conseils généraux, passant par un renouvellement intégral de ces instances tous les six ans, et par un mode de scrutin de liste majoritaire assurant une représentation du territoire, mais fondée sur des circonscriptions infra-départementales plus vastes que les actuels cantons.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a estimé que la mission n'avait pas à se prononcer sur cette question, qui trouverait probablement sa place sans un débat sur les régimes électoraux à la suite de la réforme constitutionnelle du quinquennat.

Revenant au système de financement local, M. Jean-Paul Delevoye, rapporteur, a considéré que l'Etat n'avait pas su assumer son rôle péréquateur pour corriger les inégalités entre les collectivités locales. Il a distingué les inégalités de richesse fiscale des inégalités résultant de l'ampleur des besoins à couvrir.

M. Jacques Bellanger a considéré que l'Etat ne pourrait assurer, à lui seul, cette nécessaire péréquation, et que les ressources des collectivités territoriales les mieux pourvues financièrement devraient être sollicitées.

M. Michel Mercier, rapporteur, a estimé que le mécanisme de la dotation globale de fonctionnement (DGF), conçu pour assurer la satisfaction des besoins financiers des collectivités territoriales, avait désormais atteint ses limites.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a conclu en rappelant qu'en matière de finances locales, deux options majeures se présentaient : soit le maintien de la levée de l'impôt local dans un cadre territorial, soit le financement des collectivités locales par des dotations de l'Etat couvrant la totalité de leurs besoins.

La mission d'information a adopté la motion présentée par le rapporteur, modifiée pour tenir compte des observations exprimées, ainsi que l'ensemble du rapport.