MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGEE DE DRESSER LE BILAN DE LA DECENTRALISATION ET DE PROPOSER LES AMELIORATIONS DE NATURE A FACILITER L'EXERCICE DES COMPETENCES LOCALES

Table des matières


Mercredi 7 juin 2000

- Présidence de M. Jean-Paul Delevoye, président -

Communication de M. Michel Mercier, rapporteur, et échange de vues sur les orientations du rapport final de la mission

La mission a entendu une communication de M. Michel Mercier, rapporteur, et procédé à un échange de vues sur les orientations de son rapport final.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a précisé que la mission devait achever ses travaux avant la fin de la session parlementaire.

M. Michel Mercier, rapporteur, a rappelé que la mission d'information avait déjà partiellement répondu aux objectifs qui lui avaient été assignés en publiant, en janvier, un rapport d'étape présentant des propositions sur la sécurité juridique des collectivités locales, d'une part, et la question du statut de l'élu, d'autre part. Il a estimé que ce rapport conservait toute son actualité, dans le cadre de l'examen, encore inachevé, de la proposition de loi déposée par M. Pierre Fauchon tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.

M. Michel Mercier, rapporteur, a indiqué que le débat autour de la décentralisation avait été particulièrement riche depuis le début des travaux de la mission. Il a fait référence aux nombreuses réformes législatives portant sur le paysage institutionnel local et les relations entre l'Etat et les collectivités territoriales, qu'elles soient d'origine gouvernementale ou parlementaire, aux Etats généraux des élus locaux réunis dans différentes régions par le Président du Sénat, ainsi qu'à la mise en place par le gouvernement d'une commission sur l'avenir de la décentralisation, présidée par M. Pierre Mauroy.

M. Michel Mercier, rapporteur, a présenté dans les grandes lignes un bilan de la décentralisation, établi sous l'angle de l'efficacité de l'action publique que la mission avait décidé de privilégier.

Il a indiqué, tout d'abord, que l'évolution du contexte général permettait de constater que la décentralisation restait un moyen essentiel, dans le cadre d'un Etat unitaire, de rechercher une meilleure efficacité de l'action publique dans le cadre de la démocratie de proximité, et que les collectivités locales s'étaient affirmées comme des acteurs économiques de premier plan.

Soulignant la complexité du paysage institutionnel, il a mis en évidence l'ambiguïté du double rôle de l'Etat, acteur et contrôleur de la vie locale, et la montée en puissance de l'intercommunalité, puissant facteur d'évolution.

S'agissant du partage des compétences entre l'Etat et les collectivités locales, le rapporteur a considéré que le passage de la logique initiale des blocs de compétences à une logique de cogestion rendait nécessaire une clarification des responsabilités. Il a souligné le caractère inégalitaire de la logique contractuelle et les tendances à la recentralisation.

M. Michel Mercier, rapporteur, a indiqué que deux chapitres du rapport seraient consacrés au bilan des moyens en personnel et financiers des collectivités locales.

Le rapporteur a ensuite présenté les recommandations, organisées autour de cinq orientations, que pourrait proposer la mission pour faciliter l'exercice des compétences locales. Il a précisé que ces recommandations répondaient à un double objectif : conjurer les menaces qui pèsent sur la décentralisation et la démocratie locale, retrouver l'esprit de la décentralisation.

Il a tout d'abord proposé de prendre acte des évolutions en cours de l'organisation institutionnelle locale, sous l'effet de la montée en puissance des nouvelles structures intercommunales qui modifiera les relations entre les différents niveaux de collectivité. Dans ce contexte, il a notamment recommandé de veiller à préserver l'identité de la commune, cellule de base de la démocratie locale, et de poursuivre la rationalisation de la coopération intercommunale.

Il a estimé que la mission devait ouvrir le débat sur deux questions essentielles : la légitimité démocratique des structures intercommunales et l'élection au suffrage universel de leurs conseils d'une part, et l'instauration de l'expérimentation dans l'organisation institutionnelle des collectivités territoriales, d'autre part.

Appelant ensuite de ses voeux un changement d'attitude de l'Etat, M. Michel Mercier, rapporteur, a plaidé pour l'instauration de relations de confiance avec les collectivités locales. Il a souligné que l'Etat n'avait pas le monopole de l'intérêt général, auquel participaient également les collectivités territoriales, et que la recherche de l'équité dans la diversité pouvait être plus efficace, au regard du principe d'égalité, qu'un traitement uniforme des citoyens sur l'ensemble du territoire.

Le rapporteur a prôné le renoncement aux mesures centralisatrices, qui révèlent la défiance de l'Etat à l'égard des acteurs locaux, une meilleure association des collectivités locales aux décisions ayant une incidence sur leurs charges ou leurs ressources et, enfin, une nouvelle approche de la déconcentration.

M. Michel Mercier, rapporteur, a proposé une troisième orientation tendant à clarifier les responsabilités. Il a souligné que toute nouvelle décentralisation de compétences de l'Etat aux collectivités locales devrait être subordonnée à deux conditions substantielles : une réelle liberté d'organisation accordée aux acteurs locaux, et une compensation financière juste et évolutive des charges transférées. Il a préconisé le recours à l'expérimentation sur la base du volontariat.

Le rapporteur a alors présenté des exemples de clarification de la répartition des compétences susceptibles d'être envisagés dans les domaines de l'éducation, de la formation professionnelle, de l'équipement, de l'action sanitaire et sociale et de la culture. Il a évoqué d'éventuels transferts aux régions dans les domaines du tourisme et de l'environnement et aux communes en matière de sécurité publique.

M. Michel Mercier, rapporteur, a également proposé de favoriser les transferts de compétences entre collectivités jusqu'au niveau de proximité le plus adéquat, sur la base de l'appel à compétence, notamment dans le domaine social.

Enfin, s'agissant de l'exercice en partenariat des compétences partagées, le rapporteur a estimé nécessaire de promouvoir en droit et en fait la notion de collectivité chef de file, et de clarifier la nature juridique des contrats de plan. Il a proposé de prévoir des sanctions financières en cas de non respect de ses engagements par l'Etat.

M. Michel Mercier, rapporteur, a dessiné une quatrième orientation tendant à mieux adapter la fonction publique territoriale aux besoins des collectivités locales. Il a évoqué l'assouplissement des modalités de recrutement, des quotas d'avancement et des seuils, ainsi qu'une meilleure prise en compte de la mobilité et des expériences dans le secteur privé pour le déroulement des carrières. Il a souhaité que les organismes de gestion fournissent un service plus " personnalisé " aux collectivités locales, et que la mission s'interroge sur les moyens d'assurer l'équilibre des comptes de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL).

M. Michel Mercier, rapporteur, a proposé une cinquième orientation portant sur la rénovation du système de financement local. Il a souhaité que la mission commune d'information réaffirme le principe d'impôts dont les taux sont votés par les collectivités locales, en soulignant qu'il s'agissait d'une spécificité inaliénable du système français et d'une condition substantielle du principe de libre administration. Il a estimé indispensable d'interrompre le mouvement de réforme actuel qui tend à restreindre l'autonomie fiscale locale.

Il a proposé que les impôts locaux soient mieux adaptés aux besoins des différentes catégories de collectivités locales. Il a évoqué la modernisation de l'assiette de la taxe d'habitation par la mise en place d'un système déclaratif pour l'évaluation de la valeur locative. Il a envisagé une assiette sur la valeur ajoutée nette pour la taxe professionnelle. Il a estimé possible le remplacement de certains impôts existants, soit par de nouveaux impôts, soit par la possibilité de voter des taux ou des centimes additionnels aux impôts d'Etat dans des limites posées par la loi.

Enfin, il s'est prononcé en faveur d'un renforcement de la dimension péréquatrice de la répartition des dotations de l'Etat, en estimant qu'il fallait supprimer les dispositifs de péréquation " forcée " entre les collectivités locales au niveau local.

Il a souhaité que le taux de croissance du PIB soit mieux pris en compte dans l'indexation de l'enveloppe normée des dotations de l'Etat, que les collectivités locales soient mieux associées aux décisions financières les concernant et que ces décisions fassent l'objet d'un débat d'orientation spécifique au Parlement.

Enfin, M. Michel Mercier, rapporteur, s'est interrogé sur l'éventualité d'une modification de la Constitution pour mieux garantir l'autonomie fiscale des collectivités locales et les principes financiers de la décentralisation.

Un débat s'est ouvert à l'issue de l'exposé du rapporteur.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a estimé que les collectivités territoriales devaient accepter que les concours de l'Etat soient indexés sur l'évolution, positive ou négative, du produit intérieur brut (PIB). Il a déploré l'existence d'une fracture " numérique " croissante entre les territoires français, suivant qu'ils sont ruraux ou urbains.

M. Jacques Bellanger a souligné la difficulté d'apprécier l'impact territorial des licences de télécommunications actuellement concédées par le gouvernement, et a souhaité qu'elles soient accompagnées d'un cahier des charges, strict et lisible, qui intégrerait cet aspect.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a estimé que l'inégale desserte du territoire par le nouveau réseau Internet à haut débit pénaliserait durement les petites et moyennes entreprises situées en zone rurale. Il a également évoqué la responsabilité morale et financière de l'Etat face aux collectivités territoriales en cas de dégâts imprévisibles, citant en exemple l'impact économique très négatif affectant les zones littorales touchées par le naufrage de l'Erika.

M. Jacques Oudin a rappelé qu'en préalable à tout débat sur la décentralisation, il fallait souligner la qualité globale de la gestion assumée par les collectivités territoriales, et donc affirmer que l'Etat n'avait pas de leçon à leur donner sur ce point.

Il a souligné qu'une nette priorité devait être donnée à la décentralisation, processus fondé sur la légitimité démocratique de l'élection, plutôt qu'à la déconcentration, que l'Etat ne parvient pas à organiser. L'Etat doit donc se recentrer sur ses fonctions régaliennes, et permettre aux collectivités territoriales d'assumer leurs compétences dans les meilleures conditions.

Abordant le nombre de niveaux, excessif à son sens, de collectivités territoriales, il a souhaité qu'une nouvelle simplification soit entreprise, en déterminant des échelons majeurs, et d'autres mineurs ou associés.

Il a jugé bénéfique le recours à la " contractualisation " entre l'Etat et les collectivités territoriales, à la condition que des sanctions financières pénalisent l'Etat lorsqu'il n'honore pas ses engagements, ce qui est fréquent.

Favorable à l'affirmation du droit à l'expérimentation, il a estimé nécessaire que les collectivités territoriales puissent embaucher des personnels contractuels.

M. Philippe Richert a déploré la " rupture de légitimité " entre les actes de l'Etat, qui bénéficient d'une présomption d'efficacité et de régularité, et ceux des collectivités territoriales, soumis à un contrôle tâtillon, même pour les plus minimes d'entre eux.

Il a souligné qu'au contraire de cette idée reçue, l'ensemble des collectivités territoriales fonctionnaient, au moins autant que l'Etat, au bénéfice de l'intérêt public.

Rappelant qu'il importait de raisonner sur ce point en termes d'efficacité, il a souligné le rôle irremplaçable des départements.

Evoquant l'organisation territoriale allemande, qui compte, comme en France, quatre niveaux de décision, mais dont les responsabilités sont beaucoup mieux définies que dans notre pays, il a dénoncé le maintien des effectifs des services de l'Etat, même dans les secteurs dont la responsabilité a été déléguée aux collectivités territoriales, comme les collèges et les lycées.

Rappelant que la gestion de l'eau, qui constitue l'essentiel de la politique de l'environnement, est assumée par les départements, il en a conclu que ceux-ci pourraient opportunément se voir confier l'ensemble de cette politique.

Il a conclu en rappelant l'absolue nécessité de poursuivre la décentralisation des compétences, qui permettra seule d'améliorer l'efficacité publique.

M. Jean-François Humbert s'est rallié à cette dernière observation, rappelant que l'incapacité de l'Etat à se réformer lui-même rendait impératif ce transfert de nombreuses compétences aux collectivités territoriales capables d'assurer un meilleur service au moindre coût. Estimant que la déconcentration n'était qu'un moyen pour l'Etat de reprendre le contrôle des compétences qui avaient été décentralisées, il a plaidé pour une clarification rapide de celles-ci, suivant un critère d'efficacité.

Il a ainsi évoqué la possibilité de confier aux régions l'ensemble des compétences en matière d'enseignement et de formation professionnelle, et rappelé la dimension adéquate de cet échelon pour exercer de nouvelles autres compétences.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a appuyé le jugement selon lequel l'Etat n'arrivait plus à assumer ses charges, notamment en matière d'investissements immobiliers dans les universités ; il a souhaité que l'extension des compétences dévolues aux collectivités territoriales s'opère, non selon un schéma uniforme, mais par des procédures expérimentales diversifiées.

M. Philippe Richert a exprimé sa réserve face à la perspective, évoquée par M. Jean-François Humbert, de confier l'ensemble de la formation, initiale et continue, aux régions.

M. Michel Mercier, rapporteur, a précisé qu'il ne lui semblait pas opportun de privilégier un échelon décentralisé au profit d'un autre, mais d'opter pour une logique de cohérence consistant, par exemple, à confier la formation à la région, qui est également compétente en matière de développement économique. Il a relevé que, tout comme l'Etat, les collectivités décentralisées peuvent être guettées par le conservatisme en matière de répartition des compétences.

M. Bernard Murat a déploré le fort mouvement observé récemment vers une recentralisation des pouvoirs, citant en exemple le projet de loi sur la solidarité et le renouvellement urbains (SRU). Il a critiqué la multiplicité des zones administratives qui ne se recouvrent pas, la dernière en date étant la carte des " pays ".

En matière de sécurité publique, il s'est déclaré favorable à un renforcement du pouvoir des maires face à certaines carences de l'Etat.

M. Guy Vissac a souligné que la déconcentration n'était en rien une priorité, surtout à une période marquée par une recentralisation des pouvoirs.

Il a estimé nécessaire de remettre de l'ordre dans la fiscalité locale et s'est inquiété des moyens à utiliser pour parvenir à une meilleure péréquation pour corriger les inégalités de richesse entre les différentes collectivités territoriales.

M. Jean-Paul Delevoye, président, l'a rejoint pour constater que la décentralisation s'accompagnait inéluctablement d'une croissance des inégalités en fonction des potentiels de ressources, différents suivant les territoires. L'Etat devrait donc effectuer une meilleure péréquation, et mettre en place de nouveaux fonds à cet effet. Il a évoqué la possibilité de faire bénéficier les collectivités locales du produit des amendes perçues par leurs agents.

M. Jean-François Humbert s'est déclaré favorable au transfert de la voirie nationale au département. Il a souligné l'impérieuse nécessité de renforcer l'autonomie fiscale des différentes collectivités territoriales ; il a ainsi rappelé que près de 50 % des ressources fiscales des régions provenaient de l'Etat, ce qui était nocif à tous égards.

M. Michel Mercier, rapporteur, a conclu cet échange de vues en rappelant la nécessité, pour une collectivité territoriale qui sollicitait une nouvelle compétence, de l'assumer entièrement.

Il s'est félicité de l'accord unanime exprimé, au sein de la mission d'information, pour rompre le lien entre déconcentration et décentralisation, seule cette dernière pouvant être l'expression de l'entière confiance accordée par l'Etat aux collectivités territoriales.