MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGEE DE DRESSER LE BILAN DE LA DECENTRALISATION ET DE PROPOSER LES AMELIORATIONS DE NATURE A FACILITER L'EXERCICE DES COMPETENCES LOCALES

Table des matières


Mardi 8 février 2000

- Présidence de M. Jean-Paul Delevoye, président.

Audition de M. Michel Ricard, directeur-adjoint de l'architecture et du patrimoine au ministère de la culture

La mission a procédé à l'audition de M. Michel Ricard, directeur-adjoint de la direction de l'architecture et du patrimoine au ministère de la culture, accompagné de M. Jean-Marie Vincent, chef du service de l'inspection générale de la direction.

M. Michel Ricard a tout d'abord rappelé que le domaine du patrimoine et de l'architecture se situait à la frontière de la question beaucoup plus vaste de l'action culturelle des collectivités publiques.

Il a souligné que les lois de décentralisation n'avaient touché qu'" à la marge ", le domaine culturel à travers le transfert des services des archives et des bibliothèques. Il a rappelé que la direction du patrimoine et de l'architecture (DPA) était de création relativement récente, dans la mesure où les services d'Etat relatifs à l'architecture avaient été longtemps rattachés au ministère de l'équipement avant d'être transférés à celui de la culture.

Il a indiqué que la politique du patrimoine faisait partie du domaine régalien de l'Etat pour des raisons historiques liées au droit de propriété sur les monuments classés qui se prêtaient mal à un mouvement de décentralisation ; il a mis en évidence néanmoins le développement de procédures de partenariat contractuel avec les collectivités locales.

M. Michel Ricard a estimé que les conseils d'architecture, d'urbanisme et d'environnement (CAUE) créés par la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture avaient permis de tisser de nouvelles relations institutionnelles entre l'Etat et les collectivités locales, fondées sur le rôle de conseil des services de l'Etat. D'une manière générale, il a souligné qu'en matière culturelle, les services déconcentrés de l'Etat s'efforçaient d'être des pôles de compétences et de savoir faire au service d'une " relation forte " avec les collectivités publiques décentralisées.

Abordant les compétences de la DAP, il a estimé que " peu de  portes " étaient ouvertes à la décentralisation, car il était difficile de transférer des compétences et les moyens financiers afférents sur les éléments du patrimoine classé.

Pour autant, il a noté que l'Etat n'avait pas une " conception monopolistique " de son droit de propriété, et que le patrimoine était considéré, en pratique, comme un champ de " compétences croisées " ouvert au partenariat volontaire avec les collectivités territoriales.

En outre, il a rappelé que la DAP était chargée de l'organisation, de la formation et du suivi de l'exercice des professions de l'architecture, en observant que ce domaine se prêtait mal à des interventions décentralisées, en raison du rôle important des ordres professionnels nationaux et régionaux, de la faible taille des cabinets d'architecture et de la part non négligeable des commandes internationales.

S'agissant des écoles d'architecture qui constituent un réseau de 22 établissements publics, M. Michel Ricard a indiqué que l'objectif prioritaire de la DAP était de rapprocher ces établissements des universités et des organismes de recherche et de mieux répartir les flux d'étudiants sur l'ensemble du territoire.

Il a estimé que la mise en oeuvre d'un transfert de compétences des écoles d'architecture aurait un coût excessif au regard des 17.000 étudiants et du millier d'enseignants concernés.

D'une manière générale, M. Michel Ricard a constaté que le ministère de la culture, qui apparaissait encore comme un ministère relativement jeune au moment de la préparation des lois de décentralisation, avait donné la priorité à la déconcentration de ses services plutôt qu'à la décentralisation de ses compétences.

Il a souligné, à cet égard, la difficulté de renforcer les services déconcentrés de l'Etat en matière culturelle face à des administrations centrales, parfois jalouses de leurs prérogatives. Sur ce point, il a souligné la complexité de la constitution des services départementaux de l'architecture et du patrimoine (SDAP) en rappelant que les directions régionales de l'environnement conservaient encore aujourd'hui certaines compétences en matière, notamment, de suivi de la profession des architectes. Il a noté par ailleurs la difficulté d'établir des liens de subordination entre les SDAP au niveau départemental et les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) dont la circonscription d'action était plus large.

M. Michel Ricard a souligné que le ministère de la culture avait privilégié les relations avec les villes sur la base du partenariat volontaire dans un contexte où la valorisation du patrimoine était perçue de plus en plus comme un élément d'attraction essentiel pour un territoire.

Evoquant le rôle croissant de l'agglomération en milieu urbain et du pays en milieu rural, il a indiqué que la DAP souhaitait développer un partenariat plus fort avec la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR) et la Délégation interministérielle à la ville (DIV).

M. Michel Ricard a indiqué que la DAP n'était pas une structure très lourde dans la mesure où l'on décomptait 340 personnes en administration centrale et 450 agents dans les SDAP.

Il s'est félicité que des éléments de coopération décentralisée, tels que le programme des villes et pays d'art et d'histoire, soient mis en place mais il a reconnu que la tendance majoritaire était de se fonder, en matière de patrimoine et d'architecture, sur l'intervention de l'administration centrale assortie de nombreux " correctifs " locaux.

Prenant l'exemple de la cité de l'architecture et du patrimoine de l'art de Paris du Palais de Chaillot, il a souligné l'importance du développement de grandes institutions nationales ainsi que de la coopération internationale qui pouvaient être des éléments d'enrichissement de la relation entre l'Etat et les collectivités locales.

M. Jean-Marie Vincent a souligné que le contenu des politiques du patrimoine et de l'architecture avait connu une forte évolution sous l'effet de l'élargissement de la notion de patrimoine. Alors que ce dernier correspondait autrefois à quelques monuments importants, il est composé aujourd'hui de multiples éléments architecturaux, archéologiques, urbains, paysagers et mobiliers, considérés à la fois comme porteurs de mémoire et support de mobilisation pour le devenir d'une collectivité.

M. Michel Ricard a souligné que la création de la DAP avait permis de croiser la notion de conservation de la mémoire avec du patrimoine à celle de promotion et d'accompagnement de la qualité architecturale et urbaine du patrimoine en formation. Il a indiqué que la création des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) par la loi de 1982-1983 permettait de promouvoir une relation plus équilibrée entre l'Etat et les collectivités locales en matière d'urbanisme. Il a rappelé que le mouvement était ancien puisque la création des secteurs sauvegardés par André Malraux en 1962 avait déjà permis l'intervention complémentaire de l'Etat et des collectivités locales.

D'une manière générale, il a estimé que l'Etat était compétent en matière de conservation du patrimoine, qu'il s'agisse de la protection des monuments historiques, de l'étude ou de la promotion du patrimoine archéologique ou du suivi des architectes des Bâtiments de France et des architectes des monuments historiques, mais qu'en revanche, l'Etat concevait son intervention en complémentarité de celle des collectivités locales en matière d'usage et de transformation du patrimoine.

M. Jean-Marie Vincent a souligné le rôle des ZPPAUP pour assurer de manière globale et coordonnée la gestion d'un patrimoine porteur de la mémoire et de l'identité culturelle d'une ville ou d'un village. Il a discerné une évolution des documents d'urbanisme, notamment du POS, dont le rôle tendait à s'étendre à la protection du patrimoine, en évoquant la modulation de la circonférence des espaces protégés aux abords des monuments historiques prévue dans le cadre du projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbain.

Pour l'avenir, il a estimé souhaitable une diversification des outils afin de faciliter la collaboration entre l'Etat et les collectivités locales. Il a souligné, à cet égard, que les collectivités décentralisées pourraient intervenir dans le domaine de l'inventaire du patrimoine architectural du XXème siècle à conserver ainsi que de la protection et la promotion des éléments non classés du patrimoine mobilier.

Se prononçant en faveur d'une déconcentration plus importante des procédures et de leur mise en oeuvre, il a souligné que les SDAP devaient devenir l'échelon d'une politique de proximité, d'échange, d'accompagnement et de croisement des décisions au niveau local.

S'agissant du rôle des diverses catégories de collectivités locales, il a indiqué que la commune demeurait incontestablement un " lieu fort " en termes de gestion de l'urbanisme quotidien et de proximité, mais qu'il était parfois nécessaire, en termes qualitatifs, de concevoir une politique à un échelon plus élevé.

M. Jean-Paul Delevoye, président, s'est demandé si la DAP était favorable au développement de procédures contractuelles permettant à l'Etat ou à une collectivité locale d'être " chef de file " d'une politique. Il a jugé encourageante la volonté du Gouvernement de faire du document d'urbanisme un objectif plutôt qu'un catalogue de normes. Il s'est interrogé sur le rôle de l'Etat en matière de définition du patrimoine classé en soulignant la nécessité d'une procédure d'appel en cas de divergence avec une collectivité locale. Il a souhaité que les décisions des architectes des Bâtiments de France ou des architectes des monuments historiques soient mieux adaptés à la situation locale.

M. Michel Ricard a rappelé l'existence des conventions de villes pour la qualité architecturale qui étaient mises en place sous l'impulsion des communes.

M. Jean-Marie Vincent a souligné qu'il était important de constituer un inventaire du patrimoine, afin de permettre à la collectivité de hiérarchiser ses choix en matière de protection. Il a rappelé que la loi du 28 février 1997 avait institué une procédure d'appel des décisions des architectes des bâtiments de France, ce qui allait dans le bon sens.

M. Philippe Richert a constaté que les représentants du ministère se bornaient à proposer le maintien du statu quo actuel fondé sur la compétence de droit de l'Etat en matière culturelle, assortie d'un cofinancement toujours plus important demandé aux collectivités locales. Il a estimé que l'apport financier des collectivités territoriales en matière de patrimoine était devenu plus important que celui de l'Etat sans, pour autant, que soit acceptée la mise en oeuvre d'un véritable principe de subsidiarité.

M. Guy Vissac a regretté que les collectivités territoriales soient en " situation de tutelle " plutôt que de partenariat avec l'Etat en matière de patrimoine et d'architecture et il a souhaité des avancées en termes de décentralisation. Il a observé toutefois que les charges liées à l'entretien du patrimoine architectural pouvaient être excessives pour des communes rurales.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a souhaité un retour au principe classique en matière de compétence qui veut que " la collectivité qui paie commande ".

M. Philippe Richert a souligné que les collectivités locales pouvaient conduire, en matière de patrimoine, des politiques ambitieuses, par elles-mêmes, sans impulsion ni contrôle de l'Etat.

M. Michel Ricard a réaffirmé que les administrations centrales du ministère de la culture n'étaient pas " jacobines " et que les transferts de compétence en matière de patrimoine entraîneraient des transferts financiers difficiles à mesurer, notamment en milieu rural.

M. Jean-Paul Develoye, président, s'est interrogé sur la création d'une procédure " d'appel à responsabilité " qui permettrait à une collectivité locale d'avoir sa propre politique du patrimoine.

M. Jean-Marie Vincent a indiqué que les procédures contractuelles entre l'Etat et les collectivités locales avaient vocation à évoluer dans le sens d'une collaboration plus étroite.

Audition de Mme de Mme Maryvonne de Saint Pulgent, Conseiller d'Etat

La mission a ensuite procédé à l'audition de Mme Maryvonne de Saint Pulgent, Conseiller d'Etat.

Mme Maryvonne de Saint Pulgent a rappelé que les transferts de compétence dans le domaine de la culture étaient restés très modestes en raison de la conception centralisatrice du ministre de l'époque. Elle a estimé que ce choix pouvait être au moins partiellement expliqué par la relative " jeunesse " du ministère de la culture à l'époque des lois de décentralisation.

Mme Maryvonne de Saint Pulgent a rappelé que les collectivités locales n'avaient pas attendu les lois de décentralisation pour investir le secteur culturel, constituant dès le 19e siècle un tissu important d'institutions culturelles. Elle a indiqué que l'intervention culturelle des collectivités locales, freinée par les besoins de la reconstruction, avait retrouvé son plein essor dès le milieu des années soixante-dix. Elle a ajouté que les collectivités locales, d'abord influencées par les orientations définies par l'Etat, avaient rapidement développé des politiques culturelles autonomes.

Mme Maryvonne de Saint Pulgent a observé que les collectivités territoriales avaient renforcé leurs efforts en faveur de la culture, devenant le premier financeur public dans ce domaine, avec un budget plus de deux fois supérieur à celui du ministère de la culture.

Mme Maryvonne de Saint Pulgent a ensuite analysé l'impact des lois de décentralisation. Elle a observé qu'il n'y avait pas eu de décentralisation effective dans le domaine de la culture, les transferts de compétence se limitant aux archives et aux bibliothèques. Elle a constaté que ce choix avait abouti à une mise en concurrence des différents niveaux de pouvoirs publics, central et territoriaux, dans le domaine de la culture, malgré le développement de formules de coopération.

Mme Maryvonne de Saint Pulgent a constaté que les tentatives du ministère de la culture pour clarifier la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales dans différents secteurs culturels n'avaient jamais abouti, ainsi qu'en témoignaient les échecs des projets de réforme de l'enseignement artistique. Elle a ajouté que le ministère de la culture, conscient des remises en cause de son action, avait tenté de légitimer sa politique en développant la déconcentration de ses services, proposée comme une alternative à la décentralisation.

Mme Maryvonne de Saint Pulgent a estimé que le ministère de la culture était toujours opposé à la décentralisation. Elle a rappelé à cet égard que sa proposition de décentraliser l'inventaire des richesses archéologiques, architecturales et patrimoniales, lors de la préparation de la loi d'orientation du 4 février 1995 relative à l'aménagement et au développement du territoire n'avait pas été retenue. Elle a jugé que la position du ministère nuisait à la crédibilité de sa politique culturelle, par trop " jacobine ".

Mme Maryvonne de Saint Pulgent a indiqué que la réticence du ministère de la culture à développer la décentralisation s'appuyait à la fois sur des raisons historiques et sur la méfiance du milieu culturel à l'égard des collectivités locales. Elle a noté qu'à cela s'ajoutait l'attachement des services centraux à leurs compétences.

Mme Maryvonne de Saint Pulgent a estimé qu'il était désormais nécessaire que la répartition des compétences culturelles évolue afin de répondre aux souhaits des élus locaux de développer un nouveau type de relation avec l'Etat. Elle a rappelé que le système actuel était d'une grande complexité et a dénoncé l'instrumentalisation des financements croisés par l'Etat. Elle a observé qu'au titre d'une participation financière très minoritaire, les services centraux s'octroyaient la direction des projets culturels, notamment dans le domaine de l'enseignement musical spécialisé.

Considérant le dysfonctionnement des fonds régionaux pour l'art contemporain (FRAC), qui auraient dû être le lieu d'un partenariat équilibré entre l'Etat et les régions, Mme Maryvonne de Saint Pulgent a estimé que l'Etat suscitait fréquemment de faux partenariats, impliquant des contributions financières des collectivités locales, alors qu'il conservait la maîtrise de la politique culturelle menée dans ce cadre.

Mme Maryvonne de Saint Pulgent a estimé que la centralisation excessive de la définition de la politique culturelle risquait de favoriser l'hégémonie de certaines valeurs artistiques aux dépens de la diversité culturelle que la France défendait par ailleurs lors des négociations de l'organisation mondiale du commerce (OMC). Elle a indiqué que ce danger disparaîtrait si les décideurs publics territoriaux pouvaient être libérés de la tutelle culturelle étatique.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a souhaité savoir quelle pouvait être la répartition optimale des compétences entre l'Etat et les collectivités locales dans le domaine de l'enseignement artistique.

Mme Maryvonne de Saint Pulgent a considéré que le Gouvernement ne devait intervenir que dans la définition des programmes et la gestion de l'enseignement artistique supérieur, tel qu'il était dispensé par le conservatoire national supérieur de musique, l'école supérieure des Beaux-Arts et les écoles d'architecture. Elle a souhaité que les autres niveaux d'enseignement artistique soient placés sous l'entière responsabilité des collectivités locales lesquelles étaient d'ailleurs à l'origine de leur création. Elle a estimé qu'une compensation financière appropriée devait accompagner cette nouvelle répartition des compétences.

Afin de répondre à certaines inquiétudes que pouvait susciter la décentralisation dans le domaine de la culture, Mme Maryvonne de Saint Pulgent a proposé deux solutions originales. Pour apaiser les craintes du milieu culturel relatives au risque d'instrumentalisation de la culture par les collectivités locales, elle a recommandé la création d'une autorité de médiation nationale indépendante. Enfin, pour éviter que les inégalités en matière d'offre culturelle ne se creusent entre les collectivités locales, elle a suggéré de confier aux régions la mission de régulation et de redistribution que remplit actuellement l'Etat. Elle a noté que les régions avaient commencé spontanément à jouer ce rôle.

Audition de M. Alain Van der Malière, directeur de la DRAC d'Ile-de-France

Puis la mission a entendu M. Alain Van der Malière, directeur de la DRAC d'Ile-de-France.

M. Alain Van der Malière a d'abord rappelé que sa propre carrière illustrait parfaitement la fin du système pyramidal et centralisateur puisqu'il avait été successivement Directeur régional des affaires culturelles du Nord-Pas-de-Calais, puis Directeur d'administration centrale, puis Directeur régional des affaires culturelles d'Ile-de-France. Il a reconnu que la décentralisation n'avait pas évolué depuis 1982-83 dans le sens où aucun nouveau secteur de compétence culturelle n'avait été confié aux collectivités locales autres que ceux transférés alors (archives, bibliothèques). Mais il a fait valoir que grâce à la montée en puissance des DRAC, la déconcentration menée par le ministère avait transformé le paysage local autant que l'administration centrale.

M. Alain Van der Malière a souligné qu'en choisissant une déconcentration régionale, le ministère avait montré que la région était l'échelon pertinent dans le domaine culturel. Il a ajouté que cette prédominance du niveau régional ne nuisait pas aux autres collectivités locales puisqu'aussi bien la plupart des objectifs et des projets concrets faisaient l'objet de concertation et de coopération entre tous les partenaires (Etat, région, département, communes) grâce à un outil majeur : le contrat.

M. Alain Van der Malière a déclaré que, devant le succès de cette coopération, on pouvait sans crainte, à propos de la culture, parler " d'une responsabilité publique partagée " et soutenir que la décentralisation culturelle avait fait d'énormes progrès. Il s'est également réjoui que le dialogue avec les élus ait conduit l'administration déconcentrée à mieux appréhender le réel et il a reconnu que les agents déconcentrés étaient plus en phase avec les élus et les acteurs locaux qu'avec leur administration centrale. Pour M. Van der Malière, le facteur essentiel de renouveau décentralisateur depuis quinze ans réside dans le succès des DRAC et la position du ministère ne peut que s'infléchir sous leur influence, même si, aujourd'hui encore, l'administration culturelle souffre de cette opposition entre Paris et les régions qu'il a qualifiée d'opposition entre une " fixité verticale et une transversalité dynamique ".

Soulignant que la réflexion sur l'expérimentation en matière de décentralisation devait être approfondie, M. Jean-Paul Delevoye, président, s'est interrogé sur les effets durables et bénéfiques d'une décentralisation qui se faisait en dehors des textes. Il a rappelé que la déconcentration n'avait pas empêché que l'Etat, moindre contributeur, restait toujours le pilote de tous les projets auxquels il participait.

M. Alain Van der Malière a reconnu que la pratique l'emportait sur les textes, mais qu'il était difficile de demander à un ministère encore jeune mais héritier de 350 ans de centralisme de se défaire brutalement de toutes ses prérogatives. Il a fait valoir que l'administration centrale conservait le désir et les moyens d'une gestion directe des dossiers culturels et que la pratique était plus nuancée selon les régions. Il a jugé nécessaire de permette la diversité des pratiques dans le respect de certains grands principes.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a estimé que, dans la mesure où les collectivités locales payaient la plus grande part de l'action culturelle, elles ne pourraient pas toujours se soumettre aux injonctions des DRAC.

M. Alain Van der Malière a admis que les DRAC se trouvaient parfois dans une situation inconfortable, mais que cela ne justifiait pas de se détacher totalement d'une administration centrale dont le rôle devait être de conceptualiser, d'évaluer, d'expertiser et d'inspecter. Il s'est déclaré favorable à un recours à l'expertise de l'administration centrale mais à une mise en oeuvre déconcentrée des actions culturelles. Il a rappelé avec force que la gestion des crédits déconcentrés avait fait d'énormes avancées dans le sens souhaité par les collectivités locales.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a ensuite interrogé M. Alain Van der Malière sur la politique de sensibilisation du public à la culture.

M. Alain Van der Malière s'est réjoui des progrès considérables accomplis par l'éducation nationale et son ministère dans leur coopération sur ce secteur sensible. Il existerait aujourd'hui plus de 1 800 accords entre les deux ministères. Il a souligné l'effort consenti par les collectivités locales en matière d'enseignement artistique tout en rappelant que l'intervention normative de l'Etat dans ce domaine se justifiait au nom des garanties qu'il fallait offrir aux usagers du service public.

Mercredi 9 février 2000

- Présidence de M. Jean-Paul Delevoye, président.

Audition de M. René Rizzardo, directeur de l'Observatoire des politiques culturelles

La mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. René Rizzardo,directeur de l'observatoire des politiques culturelles.

Après avoir constaté le succès des deux seuls transferts de compétences opérés dans le domaine culturel par les lois de décentralisation, qui concernaient les archives et les bibliothèques, M. René Rizzardo a formulé trois remarques liminaires. En premier lieu, il a insisté sur le fait que la décentralisation de ces compétences avait été réalisée en près de dix ans car les lois de décentralisation avaient prévu que les équipements devaient être mis aux normes par l'État avant d'être transférés. Il a considéré que cette procédure constituait l'une des clef de la réussite des transferts de compétences.

En deuxième lieu, s'agissant des domaines de l'action culturelle qui étaient restés en dehors du champ des lois de décentralisation, le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a estimé que le mode actuel de relations entre l'État et les collectivités locales, fondé sur le partenariat contractuel, atteignait ses limites en raison de sa complexité.

En troisième lieu, M. René Rizzardo a observé un tassement des dépenses culturelles des collectivités locales. Après avoir rappelé que les collectivités dépensaient environ 50 milliards de francs par an en faveur de la culture, contre 15 milliards de francs pour le ministère de la culture, il a indiqué que le tassement des dépenses concernait moins les services publics culturels que les autres activités. Il a souligné que, compte tenu du poids du financement des institutions culturelles dans les budgets locaux, les marges de manoeuvre des collectivités locales pour développer des activités nouvelles étaient réduites.

Le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a ajouté que, selon lui, les collectivités locales aspiraient à plus d'autonomie et que, après avoir pris une part importante au développement des services publics culturels de bases sur le territoire, elles étaient aujourd'hui en mesure d'apporter des réponses aux aspirations des populations, jeunes notamment, d'une manière différente de celle de l'Etat qui, pour sa part, semblait avoir du mal à adapter ses interventions aux évolutions de la société.

M. René Rizzardo a jugé que le champ des interventions des collectivités locales dans le domaine culturel avait évolué depuis les lois de décentralisation et qu'il convenait, au-delà des actions dans les domaines traditionnels tels que le spectacle vivant ou les arts plastiques, de favoriser le développement de nouvelles disciplines. Il a notamment insisté sur le fort développement depuis quinze ans des pratiques en amateur et de l'éducation artistique et culturelle. A ce sujet, il a regretté la complexité des modalités du partenariat entre les collectivités locales, le ministère de l'éducation nationale et le ministère de la culture.

Le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a souligné que les collectivités locales assumaient l'essentiel des dépenses en matière de culture scientifique, technique et industrielle. Dans ce domaine, il a constaté que, si l'Etat avait mis en place avec succès la cité des sciences et de l'industrie à Paris, ses projets dans les régions avaient du mal à être pérennisés. Il a également insisté sur le rôle moteur des collectivités locales dans le soutien aux musiques actuelles amplifiées et à la musique traditionnelle ainsi que dans le secteur du multimédia.

S'agissant de l'audiovisuel et du cinéma, M. René Rizzardo a indiqué que, à la suite du rapport établi en 1982 par le député Jean-Jack Queyranne, l'État avait cherché à développer un partenariat avec les régions à travers les conventions de développement culturel. Il a constaté que ce type de production cinématographique contractualisée avait disparu aujourd'hui mais que les conseils régionaux développaient des aides directes à la production. Il a fait valoir l'importance de la question de la diffusion des oeuvres cinématographiques et, à cet égard, a mis en avant une contradiction apparente entre la volonté des élus d'encourager la diversité des productions et leur intérêt financier à l'implantation de multiplexes sur leur territoire. Il a également observé que les projets de coopération avec France 3 continuaient d'être considérés comme des solutions envisageables, sans pour autant donner lieu à des initiatives concrètes.

En tout état de cause, le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a insisté sur le fait que de nombreux élus considéraient que leurs projets de développement de territoire devaient nécessairement comporter une dimension culturelle, notamment en raison de l'atout que le développement de ces activités représentait dans les décisions d'implantation des entreprises et des pôles universitaires.

M. René Rizzardo a estimé que les transferts de compétences opérés par les lois de décentralisation avaient été trop limités mais a rappelé que les partisans de transferts plus poussés étaient rares au début des années 80. Il a fait observer que les milieux artistiques étaient alors fortement demandeurs d'une intervention de l'Etat et que le ministre de la culture de l'époque n'était pas partisan d'un transfert de crédits aux collectivités locales. Il a évoqué les difficultés rencontrées lors de la création du fonds spécial de développement culturel, doté de 500 millions de francs dont 350 étaient consacrés aux collectivités locales.

Evoquant les transferts possibles aux collectivités locales, le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a jugé que rien ne s'opposait au transfert des orchestres, de l'enseignement artistique, que l'Etat finançait à hauteur de 10 % seulement, et du patrimoine rural non protégé. Il a indiqué que la protection et l'entretien du patrimoine constituaient aujourd'hui le deuxième poste de dépense des départements.

M. René Rizzardo a cependant remarqué que, en 1982, les élus locaux n'avaient pas demandé des transferts supplémentaires de compétences en matière culturelle. Il a estimé que, compte tenu de la complexité des relations contractuelles entre l'Etat et les collectivités locales, une augmentation des moyens dégagés par l'Etat n'améliorerait pas forcément l'efficacité des politiques publiques mais que, en revanche, la plus grande proximité entre le décideur et le citoyen à laquelle aboutiraient de nouveaux transferts de compétences serait un facteur d'une plus grande efficacité.

M. René Rizzardo a relevé que la ministre de la culture avait compté la décentralisation parmi ses priorités mais que cette déclaration n'avait pas été suivie d'effet. Il a cependant signalé la création d'un conseil des collectivités locales pour le développement culturel, mis en place pour élaborer des propositions susceptibles d'alimenter les réflexions de la commission sur la décentralisation présidée par M. Pierre Mauroy. Il a ajouté que la faible mobilisation du ministère de la culture en faveur de la décentralisation pouvait s'expliquer par les difficultés rencontrées par ce ministère dans la mise en oeuvre du processus de déconcentration.

Le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a considéré que l'organisation territoriale actuelle de la France était globalement adaptée à la mise en oeuvre des politiques culturelles mais a néanmoins déploré l'absence de transferts de postes entre l'administration centrale et les directions régionales de l'action culturelle (DRAC). Il a considéré que cette insuffisance de transferts de moyens freinait l'action des DRAC, notamment dans le domaine des musées et du cinéma.

M. René Rizzardo a également évoqué le rôle de l'échelon départemental en préconisant la mise en place dans les préfectures d'un chargé de mission qui assurerait la liaison avec les DRAC. Il a précisé que les seuls services de l'Etat présents au niveau du département dans le domaine culturel étaient les services départementaux de l'architecture, qui avaient récemment été rattachés au ministère de la culture.

Le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a estimé qu'il serait utile de faire dépendre du ministère de la culture les services de la direction de la jeunesse et de l'éducation populaire, aujourd'hui intégrés au ministère de la jeunesse et des sports. Il a mis en avant les effets positifs potentiels d'une telle réforme dans les domaines des pratiques amateurs, de la jeunesse et de l'action dans les quartiers.

Evoquant la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités locales dans le domaine culturel, M. René Rizzardo a estimé que l'on avait atteint les limites de la contractualisation et que le système actuel aboutissait à une mauvaise adéquation entre la nature des activités, leur mode de financement et le niveau territorial qui en était responsable. Il a cité l'exemple des orchestres, qui dépendaient de la région mais qui étaient principalement financés par les communes, et de l'inventaire qui était une compétence de l'Etat majoritairement financée par les départements, qui l'utilisaient dans le cadre de leurs politiques touristiques. Dans ce dernier domaine, il a considéré qu'un transfert de la compétence et des ressources aux départements permettrait une meilleure lisibilité et une plus grande proximité entre le décideur et l'expression des besoins.

Le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a signalé que certaines compétences étaient difficilement transférables en raison de la difficulté de déterminer le niveau territorial le plus approprié pour bénéficier du transfert. Il a cité l'exemple des écoles de musiques, qui assuraient des enseignements qui relevaient aussi bien du premier cycle, du deuxième cycle que de l'enseignement supérieur. Pour remédier à cette difficulté sans renoncer à rapprocher du terrain l'exercice de la compétence, il s'est déclaré partisan de la création d'établissements publics culturels, qui seraient financés par les différents niveaux de collectivités.

Evoquant la notion de " collectivité chef de file ", M. René Rizzardo a indiqué que l'observatoire qu'il dirigeait venait de réaliser un bilan de la régionalisation culturelle en Corse. Il a rappelé qu'une loi de 1991 prévoyait le transfert des crédits d'État à la collectivité territoriale de Corse en matière de politique culturelle et que, de ce fait, la collectivité territoriale devenait progressivement chef de file dans ce domaine en pilotant la plupart des projets structurants, dans le cadre d'un partenariat avec les communes. Il a constaté que ce changement institutionnel avait conduit au retrait des départements en matière culturelle. A titre d'exemple, le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a indiqué que la région, et non plus l'Etat, était désormais maître d'ouvrage pour l'entretien des monuments historiques classés en cas de défaillance de leur propriétaire.

M. René Rizzardo a considéré que l'exemple corse, sans être directement transposable en l'état, pouvait contribuer à enrichir la réflexion sur le rôle de l'Etat en matière culturelle. Il a rappelé que, dans sa décision relative à la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995, le Conseil constitutionnel avait précisé que seule une loi pouvait placer un niveau territorial en situation de " chef de file " et, en conséquence, avait exclu le renvoi au contrat ou à la convention.

M. Jean-Paul Delevoye, président, s'est interrogé sur la possibilité de concilier la diversité culturelle qui serait encouragée par une plus grande décentralisation, et le principe de l'unité de la République.

M. René Rizzardo a estimé qu'il convenait de clarifier la situation actuelle marquée par une inadéquation entre les financements et l'exercice de la compétence. Il a cependant considéré que, dans cette perspective, rien n'empêcherait l'État de continuer à intervenir pour préserver l'égalité des citoyens devant la culture s'il estimait que les collectivités locales ne répondaient pas à l'ensemble des besoins. Il a cependant observé que la très grande majorité des collectivités locales s'impliquaient dans le domaine culturel.

Le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a ajouté qu'il convenait de distinguer les services publics culturels qui devaient être identiques sur l'ensemble du territoire, tels que la carte scolaire ou le contenu des programmes, et les domaines qui relevaient de la libre initiative des acteurs locaux. Il a rappelé que les fondements les plus solides de la politique culturelle en France étaient issus du mouvement associatif et des initiatives locales. Il a cité l'exemple des centres dramatiques nationaux, qui s'étaient implantés en s'appuyant sur les mouvements d'éducation populaire.

M. René Rizzardo a indiqué que le succès des politiques culturelles reposait sur quatre orientations, la sensibilisation, l'éducation, la diffusion et l'encouragement de la créativité, et que, de son point de vue, les collectivités locales étaient aujourd'hui les plus à même de les mettre en oeuvre.

M. Jean-Paul Delevoye, président, s'est interrogé sur les modalités techniques d'un éventuel transfert aux départements de la compétence en matière d'inventaire.

Le directeur de l'observatoire des politiques culturelles a considéré qu'il serait possible de transférer le personnel et de renforcer les services départementaux. Il a précisé que la direction de l'architecture et du patrimoine réalisait actuellement une évaluation de ces services. Il a estimé que l'Etat pourrait garder la direction scientifique de l'inventaire, tandis que les départements en assureraient la mise en oeuvre. S'agissant du patrimoine classé, il a observé que l'exemple de la Corse était intéressant et que, à terme, la décentralisation de cette compétence était nécessaire, les collectivités locales pouvant la combiner avec leurs actions en matière de développement et de tourisme.

Audition de M. Didier Duraffourg, président du syndicat national des secrétaires généraux et des directeurs généraux des collectivités locales

La mission a procédé à l'audition de M. Didier Duraffourg, président du syndicat national des secrétaires généraux et des directeurs généraux des collectivités locales, accompagné de M. Michel Camy-Peyret, secrétaire général de la ville de Créteil.

M. Didier Duraffourg, président du syndicat national des secrétaires généraux et des directeurs généraux des collectivités locales, a estimé que la décentralisation ne pouvait être envisagée sans réorganisation et déconcentration des services de l'État. Il a indiqué que l'organisation territoriale de l'État, pour des raisons historiques, n'était adaptée ni à l'évolution démographique actuelle tendant à ce que 80 % des Français vivent désormais en milieu urbain, ni au développement de l'intercommunalité.

S'agissant des rapports financiers entre les collectivités territoriales et l'État, M. Didier Duraffourg a fait valoir que le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales impliquait que les élus disposent d'une liberté financière. Il a regretté la tendance récente à globaliser les concours financiers attribués par l'État aux collectivités territoriales. Illustrant son propos par la réforme fiscale en matière de taxe professionnelle et de taxe d'habitation, il a noté que l'État, attaché au principe de solidarité, répartissait de plus en plus les moyens financiers sur l'ensemble du territoire à travers des concours financiers globalisés, sans possibilité pour les collectivités locales de lever leurs impôts.

M. Didier Duraffourg a ensuite estimé que la décentralisation devait s'accompagner de l'évaluation des politiques publiques, qu'elles soient nationales ou locales. Il a regretté l'absence de critère d'évaluation, constatant que les tentatives actuelles d'évaluation des politiques publiques accordaient davantage de place au pragmatisme qu'à des méthodes objectives et scientifiques.

Enfin, sur la question des liens entre administration et politique, il a souligné la nécessité de faire respecter sur le terrain le principe de neutralité de la fonction publique.

Puis M. Didier Duraffourg a fait part de sa réflexion sur les ressources humaines. Il a indiqué que les élus avaient besoin à leurs côtés de fonctionnaires territoriaux de direction expérimentés, porteurs d'expertise, qu'ils auraient librement choisis. Il a noté que la création d'une direction générale dans une collectivité territoriale nécessitait de clarifier les responsabilités et les compétences imparties à cette direction générale. Il a jugé paradoxale la situation des directions générales depuis une dizaine d'années. D'une part, il lui a semblé que la définition statutaire des emplois de direction des collectivités territoriales, se contentait d'indiquer que les secrétaires généraux étaient chargés, sous l'autorité du maire, de diriger l'ensemble des services de la commune et d'en coordonner l'organisation. D'autre part, il a relevé que l'évolution jurisprudentielle abondante tendait de plus en plus à définir les responsabilités des titulaires de la direction générale.

M. Didier Duraffourg a estimé que le législateur et le pouvoir réglementaire devaient clarifier les compétences dévolues aux directions générales, plutôt que de laisser la jurisprudence en décider.

M. Didier Duraffourg a insisté sur les efforts de formation dont devraient, selon lui, bénéficier les emplois de direction, soulignant l'expertise demandée et le risque d'un défaut de compétence. Il a estimé que la formation actuellement dispensée ne prenait pas en compte les besoins spécifiques des directions générales, hormis les efforts du Centre national de la fonction publique territoriale en ce sens.

Il a estimé que la formation professionnelle dans la fonction publique territoriale ne pouvait être envisagée sans référence à celle des services de l'État. Il a noté que l'effort de formation de l'État employeur était de 3 à 6 % de la masse salariale contre 1 % dans les collectivités locales.

S'agissant de la gestion de la fonction publique territoriale, M. Didier Duraffourg a souhaité un nouvel effort de la part du Gouvernement afin de laisser aux élus un espace de liberté. Il a estimé que la fonction publique territoriale devait reposer sur un statut national fixant des droits et obligations, mais que la gestion du personnel d'une collectivité locale n'avait rien à voir avec la gestion d'un ministère. Il a donc plaidé en faveur d'une souplesse pour la gestion du personnel territorial dans le cadre du statut national. Il a regretté que le Gouvernement ait adopté pour principe de calquer les règles applicables à la fonction publique territoriale sur celle de l'État. A titre d'exemple, il a souhaité un assouplissement des seuils démographiques, estimant que les élus étaient enfermés dans le carcan des strates démographiques.

Interrogé par M. Jean-Paul Delevoye, président, sur la répartition des compétences entre État et collectivités territoriales, M. Didier Duraffourg a émis des réserves sur la répartition actuelle des compétences en matière d'enseignement, en particulier la dichotomie artificiellement opérée entre collèges et lycées. Il a noté que les collectivités territoriales avaient largement été mises à contribution financièrement pour remettre à niveau les équipements scolaires et accompagner les politiques d'enseignement lancées par l'État, seul responsable par ailleurs de la gestion des personnels enseignants. En application du principe de subsidiarité, il a jugé qu'il n'était pas aberrant que les collectivités, en contrepartie de leurs apports financiers, participent davantage à la vie des établissements d'enseignement, y compris pour l'enseignement supérieur. Il lui a semblé que l'attractivité et le développement économiques d'un territoire ne pouvaient s'envisager indépendamment de la politique d'enseignement.

M. Didier Duraffourg a noté que la première partie de la décentralisation avait été marquée par la mise en place de politiques contractuelles entre l'État et les régions principalement, celles-ci contractant ensuite avec les départements et les communes. Il a jugé que les politiques contractuelles étaient intéressantes pour éviter le dérapage des compétences croisées qui compliquaient la réalisation des projets. Cependant, il a émis la crainte que les politiques contractuelles n'incitent certaines collectivités à contrôler les actions des collectivités situées à l'échelon territorial dit " inférieur ".

M. Michel Camy-Peyret, secrétaire général de la ville de Créteil, a appelé de ses voeux un bilan des normes applicables, en particulier des normes d'origine européenne, les jugeant actuellement impossibles à connaître et à mettre en oeuvre, cette question étant directement liée à celle de la responsabilité pénale des élus et des fonctionnaires. Il a souhaité un " toilettage " des normes et la création d'un organisme d'évaluation.

Tout en relevant la tradition administrative française favorable à l'uniformité de l'organisation institutionnelle sur l'ensemble du territoire, il s'est néanmoins prononcé en faveur d'organisations distinctes selon les territoires, en fonction des pratiques, en particulier en fonction de l'état d'avancement de l'intercommunalité.

M. Didier Duraffourg a souhaité que soit reconnu aux collectivités territoriales un droit à l'expérimentation, notamment en matière de répartition des compétences, dans la mesure où certaines solutions, adoptées avec succès dans telles régions, pouvaient ne pas être adaptées aux autres.

Audition de M. Michel Garnier, directeur de la programmation et du développement au ministère de l'éducation nationale

M. Michel Garnier a tout d'abord décrit les missions de la direction de la programmation et du développement : mise en place d'un système d'information permettant notamment une meilleure connaissance des effectifs ; prévision sur leur évolution et sur celle des disciplines enseignées ; négociation et suivi de l'exécution des contrats de plan Etat-région en matière de construction d'établissements d'enseignement ; évaluation des compétences des élèves ; analyse des besoins du monde économique afin d'orienter l'offre de formation.

Sur ce dernier point, il a observé que la reprise économique mettait en évidence la nécessité d'adapter les formations aux besoins de l'économie.

En réponse à M. Jean-Paul Delevoye, président, qui s'interrogeait sur les possibilités d'approfondir la déconcentration et la décentralisation, M. Michel Garnier a précisé qu'un correspondant de la mission formation-emploi avait été mis en place dans les rectorats.

Puis M. Michel Garnier a estimé que si le partage actuel des compétences entre l'Etat et les collectivités locales en matière d'enseignement n'était sans doute pas totalement figé, il convenait toutefois de garder la plus grande prudence s'agissant d'un éventuel transfert des compétences pédagogiques aux collectivités. Il a jugé nécessaire de préserver le caractère national des diplômes et estimé, par ailleurs, qu'une évaluation uniforme des formations était nécessaire, seul l'Etat pouvant garantir une telle égalité.

Répondant à M. Jean-Paul Delevoye, président, M. Michel Garnier a estimé que si les évolutions devaient être progressives, elles n'en demeuraient pas moins possibles, comme l'avait montré la récente implication des régions, au travers des contrats de plan, dans le domaine de la vie étudiante. Il a jugé, à titre personnel, envisageable un recentrage de l'Etat sur ses compétences pédagogiques.

M. Michel Garnier a considéré que le plan " Université 2000 " répondait avant tout à une urgence démographique, compte tenu du fort accroissement, sur la période concernée, du nombre d'étudiants. Tout en convenant que ce plan avait fait appel à la générosité des régions, il a néanmoins fait valoir qu'il avait été par la suite intégré dans les contrats de plan Etat-région. S'agissant du plan " U3M ", il a relevé qu'il avait été intégré dès l'origine aux négociations des contrats de plan, la logique contractuelle impliquant nécessairement, à son sens, des financements croisés dans des matières qui relevaient des compétences de l'une ou l'autre partie.

Répondant à une question de M. Jean-Paul Delevoye, président, sur la spécialisation territoriale des formations universitaires, M. Michel Garnier a jugé que, s'il était irréaliste de vouloir permettre la délivrance de DEUG partout sur le territoire, le premier cycle de l'enseignement supérieur devait toutefois demeurer une formation de proximité, alors qu'une spécialisation territoriale paraissait plus indiquée pour les deuxième et troisième cycles, en fonction du tissu économique et des particularités locales.

Après une observation de M. Jean-Paul Delevoye, président, sur les crédits nécessaires à l'entretien et à l'équipement des locaux universitaires, M. Michel Garnier a détaillé les quatre volets du plan " U3M " :

- la vie étudiante -résidences, bibliothèques, équipements sportifs- à laquelle 25 % des crédits devaient être consacrés ;

- la réhabilitation et la restructuration des établissements universitaires ;

- le développement de la recherche et le renouvellement des équipements de recherche, pour 25 % des financements ;

- la mise en réseau des universités et des organismes de recherche.

M. Michel Garnier a noté que les régions se mobilisaient peu, dans le cadre de la négociation contractuelle en cours, sur le thème de la réhabilitation des locaux universitaires.

Répondant à M. Jean-Paul Delevoye, président, qui l'interrogeait sur l'opportunité d'un transfert de compétences aux régions en matière universitaire, M. Michel Garnier a considéré qu'une telle hypothèse ne susciterait sans doute pas beaucoup d'enthousiasme de la part de ces dernières, quelque peu échaudées par leur expérience en matière de gestion du patrimoine immobilier des lycées.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a souligné l'importance de l'existence de pôles universitaires pour certains territoires et fait état des différentes initiatives des collectivités en matière de coopération décentralisée, par le biais notamment de l'allocation de bourses à des étudiants étrangers.

M. Michel Garnier a estimé que ces initiatives déjà nombreuses pouvaient se développer dans le cadre légal actuel.

En matière de formation des maîtres, il a rappelé que cette compétence, dévolue depuis Jules Ferry aux collectivités locales, était désormais, depuis 1989, du ressort de l'Etat.

En ce qui concerne l'éventualité de sous-traiter au secteur privé certaines activités relevant de l'éducation nationale, M. Michel Garnier a estimé que la pédagogie et la recherche devaient, en tout état de cause, être exclues de tout éventuel transfert. Il a considéré, par ailleurs, que la création d'emplois-jeunes au profit des établissements d'enseignement s'était avérée une expérience très positive.

Abordant la question du bilan, en matière éducative, des contrats de plan Etat-régions, il a regretté que les règles de délégation et d'engagement des crédits de l'Etat n'aient pas permis, pour la génération arrivant à échéance, une évaluation aussi fine qu'il serait souhaitable. Il a précisé que la génération en cours de négociation s'accompagnerait de la mise en place d'outils informatiques permettant de dresser des tableaux de bord plus détaillés de la nature des crédits engagés par l'Etat.

En réponse à M. Jean-Paul Delevoye, président, qui jugeait que les départements et territoires d'outre-mer étaient confrontés à une situation démographique justifiant, à son sens, un traitement particulier en matière d'équipements scolaires. M. Michel Garnier a corroboré cette analyse et souligné que l'Etat finançait d'ailleurs, dans ces collectivités, la construction de nouveaux équipements.

Evoquant le coût pour la collectivité de la fermeture d'écoles rurales, M. Michel Garnier a fait état d'une analyse établie sur un canton, mettant en évidence que cette mesure accompagnée de l'extension, en contrepartie, des transports scolaires, avait permis une optimisation de l'action publique éducative.

Il a, enfin, estimé, en matière de programmation de l'offre d'enseignement, que les critères démographiques globaux étaient insuffisants et devaient s'accompagner, dans le cadre d'une contractualisation avec les établissements, d'une nécessaire adaptation aux réalités locales.