COMPTE RENDU DES ENTRETIENS EN POLOGNE

Mercredi 4 avril 2007

I. Entretien avec des sénateurs polonais, membres du groupe parlementaire sur l’énergie : MM. Marek Waszkowiak, sénateur (PIS) de Konin, président du groupe, Władyłsaw Mańkut, sénateur (SLD) d’Elblag, Marcin Miłek, sénateur (Indép.) de Zielona Góra, Leslaw Podkański, sénateur (PSL) de Chełm, et Jacek Włossowicz, sénateur (PIS) de Kielce

A titre liminaire, M. Marek Waszkowiak, président, a souligné combien la question de la sécurité énergétique était importante pour le pays, dont les besoins d’investissements d’ici 2020 sont considérables, que ce soit pour reconstituer le parc de production et moderniser les réseaux de transports et de distribution, qui datent tous d’une quarantaine d’années, ou pour adapter l’offre d’électricité à une demande dont la croissance est estimée à 3 % par an sur la période. Aussi, a-t-il ajouté, dans le contexte communautaire fixé par le récent Conseil européen, la solidarité énergétique dans le cadre de l’Union européenne (UE) tout entière est indispensable.

Confirmant ces propos, M. Marcin Miłek a précisé les différents défis posés au système énergétique polonais : la nécessité d’avancer rapidement dans la technologie du charbon propre, compte tenu de la prépondérance du lignite et du charbon dans le mix énergétique national, en électricité comme en chaleur décentralisée (voire encore individuelle) - qui a d’ailleurs conduit la Pologne à être avertie par la Commission européenne en raison de ses émissions excessives de CO2 -, le développement de la cogénération, dont la loi sur l’énergie a fixé la proportion à 15 % en 2020, le renforcement des interconnexions, la mise en œuvre d’un programme nucléaire à la faveur de la disparition progressive du « syndrome Tchernobyl » dans l’opinion publique et des enseignements de la coopération internationale engagée avec les pays Baltes pour la construction de la nouvelle centrale d’Ignalina, en Lituanie, et enfin la montée en puissance des énergies renouvelables (ENR) pour respecter les objectifs du Conseil européen de 20 % en 2020, la question primordiale pour la Pologne étant de savoir si ce ratio est global pour l’UE ou s’il devra être national.

Pour sa part, M. Leslaw Podkański a évoqué la restructuration du secteur électrique polonais résultant de la privatisation, les perspectives en matière d’ENR et de cogénération, dont la proportion pourrait atteindre à terme 23 % de la production grâce à la biomasse, le commerce international de l’électricité, la Pologne étant exportatrice d’environ 10 térawatt-heures (TWh) par an, l’avenir des contrats d’approvisionnement à long terme, qui représentent encore aujourd’hui 70 TWh, c'est-à-dire presque 50 % de la production nationale, et enfin l’accroissement du coût de l’électricité supérieur à celui de l’inflation.

Quant à M. Władyłsaw Mańkut, il a relevé la nécessaire modernisation des réseaux de transport, l’élaboration d’un ambitieux programme d’efficacité énergétique, les perspectives de reprise de la production nucléaire et l’influence des prix de l’énergie sur la croissance économique.

Enfin, M. Jacek Włossowicz a estimé que la transposition des directives « Energie » en Pologne devra être précédée d’une définition précise des « infrastructures critiques » de génération et de transport/distribution.

Puis, un fructueux débat s’est instauré entre les sénateurs français et polonais, au cours duquel les membres du groupe parlementaire de l’énergie polonais ont notamment plaidé pour que :

- les objectifs de l’UE en matière d’ENR et de réduction des émissions de CO2 ne soient pas rigides et, surtout, qu’ils tiennent compte tant des caractéristiques géographiques des Etats-membres (la Pologne ne dispose d’aucune ressources hydrauliques réelles, et de bien moindres potentialités éoliennes que l’Allemagne ou la France) que de leur niveau de développement ;

- l’UE ait une approche solidaire et proportionnelle de la question énergétique, en particulier au regard des différents projets de nouveaux gazoducs qui ne doivent pas contourner la Pologne, et que l’intégration des systèmes baltes et polonais au réseau occidental soit adapté, s’agissant notamment de la mise en œuvre des principes libéraux de la concurrence, aux caractéristiques des structures existantes ;

- la question de l’indépendance énergétique nationale soit prise en compte dans les décisions nationales et internationales, qu’il s’agisse de l’engagement d’un nouveau programme nucléaire ou de la diversification des sources d’approvisionnement des énergies primaires, en particulier le gaz ;

- l’harmonisation des normes et principes directeurs en terme de sécurité applicables en Europe, comme le renforcement de la coopération des transporteurs et des régulateurs nationaux, soient effectués dans un triple objectif de solidarité entre les Etats-membres, de respect de leur souveraineté et de minimisation des coûts, ce qui rend inopportun un régulateur européen.

Jeudi 5 avril 2007

II. Réunion de travail autour de S.E. M. Pierre Ménat, Ambassadeur de France en Pologne, sur thème de l’énergie, avec M. Jean-Claude Nolla, premier conseiller à la Chancellerie diplomatique, M. Frédéric de Touchet, conseiller à la Chancellerie, M. Philippe Brunel, conseiller financier à la mission économique, Mme Laurence de Touchet, conseiller commercial à la mission économique, et Mme Claire Gasançon, élève de l’ENA en stage à la mission économique

Exposant la situation énergétique de la Pologne, Mme Laurence de Touchet a indiqué que le pays connaissait actuellement un débat sur la politique énergétique, en particulier la sécurité d’approvisionnement à travers la question des contrats gaziers avec l’Algérie et la Norvège d’une part, et la participation à la construction de la centrale nucléaire d’Ignalina, en coopération avec les Etats baltes, d’autre part.

Faisant ensuite état des défis énergétiques auxquels le pays est aujourd’hui confronté, elle a d’abord évoqué la reconstitution de la puissance énergétique polonaise afin d’endiguer le problème du vieillissement du parc de production, rappelant à cet égard que 90 % de l’électricité polonaise est encore issue du charbon, fortement émetteur de CO2. Elle a également souligné que les besoins nouveaux étaient significatifs, les prévisions d’augmentation de la consommation d’ici 2025 atteignant 93 %. Elle a indiqué que, dans ce contexte, la politique générale du gouvernement polonais était de consolider le secteur énergétique en créant des grands groupes intégrés verticalement, notamment pour répondre aux défis de la libéralisation, d’une part, et de l’assise financière permettant de supporter de très lourds investissements, d’autre part. Enfin, elle a observé que la Pologne rencontrerait un véritable problème pour respecter les objectifs de la Commission européenne en matière d’énergies renouvelables d’ici 2020 s’il s’avérait que le ratio de 20 % d’énergies renouvelables (ENR) dans le bouquet énergétique était applicable dans chaque pays.

Par ailleurs, S.E. M. Pierre Ménata précisé que les autorités polonaises, malgré les réticences de l’opinion encore marquée par la catastrophe de Tchernobyl, voudraient miser sur le nucléaire pour réduire les émissions de CO2 et diversifier leurs sources d’approvisionnement. A cet égard, il a souligné le caractère très particulier au regard de l’histoire, et actuellement très tendu, des relations entre la Pologne et la Russie, les autorités polonaises tenant à ce que leur pays reste un pays de transit pour l’énergie vendue par les Etats orientaux à l’Europe occidentale, s’inquiétant de l’après-Poutine et entendant miser sur l’ex-C.E.I.

Enfin, M. Philippe Brunel a fait valoir que si la Pologne était favorable à l’édification d’un marché libre, les autorités avaient néanmoins récemment bloqué les privatisations pour construire des champions nationaux.

III. Entretien avec M. Krzysztof Tchόrzewski, sous-secrétaire d’État chargé de l’énergie,M. Andrzej Kania, directeur du département de l’énergie, Mme Halina Gołębicka, vice-directrice du département de la coopération internationale, et M. Maciej Zieliński, expert principal au département des relations internationales bilatérales 

M. Krzysztof Tchόrzewski, sous-secrétaire d’État chargé de l’énergie,a d’abord rappelé qu’après 1989, confrontée au mauvais état du système productif et de transport de l’électricité et aux problèmes écologiques, le nouveau régime avait engagé une reconstitution du potentiel énergétique qui s’était avérée extrêmement coûteuse pour le pays. Il a indiqué que les contrats à long terme, auxquels est opposée la Commission européenne, avait permis de supporter ces coûts et que pour poursuivre le programme d’investissements d’ici 2020, une consolidation du secteur avait été entreprise en 2006 afin de réduire l’émiettement de la propriété tant de la production que du transport et de la distribution. Il a ajouté que le gouvernement préparait actuellement un projet de loi portant sur la résolution des contrats à long terme et visant à financer la nouvelle étape par la privatisation et le développement de la bourse, qui concerne déjà 20 % de l’activité, soulignant les effets sociaux de cette restructuration et rappelant que la séparation des activités de production et de distribution (unbundling) devrait être effective en juillet 2007.

Puis MAndrzej Kania, directeur du département de l’énergie, a présenté les trois objectifs énergétiques de la Pologne pour les années à venir. Il a d’abord évoqué la sécurité d’approvisionnement, soulignant que la Pologne était en situation d’autosuffisance électrique mais que les besoins d’investissements étaient considérables afin de répondre aux exigences environnementales, et précisant que si l’abondance des matières premières (charbon et lignite) participait à la sécurité des approvisionnements polonais, des efforts devaient être entrepris pour diversifier les sources et sortir d’un schéma énergétique unidirectionnel. Il a ensuite évoqué l’édification d’un marché compétitif, estimant qu’en dépit de quelques défaillances, le marché polonais répondait plutôt bien au « paquet énergie » de la Commission européenne, et jugeant prématurée l’idée d’un régulateur européen unique. Abordant enfin la problématique du développement durable, il a considéré que les objectifs de la Commission européenne en matière d’énergies renouvelables (ENR) et d’émission de CO2 étaient irréalistes pour la Pologne, sauf à brider son développement. Rappelant à cet égard que plus de 90 % de l’électricité nationale était produite à partir de houille et de lignite, il estimé que le véritable défi pour la Commission était de répartir les obligations des différents Etats-membres selon leurs capacités.

M. Krzysztof Tchόrzewski a ensuite rappelé que la Pologne était encore marquée par la catastrophe de Tchernobyl qui avait conduit le gouvernement, à la fin des années 1980, sous la pression de l’opinion, à abandonner le programme nucléaire. Il a observé que le Premier ministre, M. Jaroslaw Kaczynski, était récemment revenu sur ce sujet en annonçant un projet de coopération nucléaire avec la Lituanie, cette démarche ayant pour objectif de gagner l’opinion publique, qui reste opposée au nucléaire à plus de 50 %, à l’idée de reprendre un programme national dans cette filière. Il a ajouté que le gouvernement polonais suivait avec attention les démarches françaises visant à faire reconnaître le nucléaire comme une voie possible pour satisfaire aux obligations environnementales, puisque la Pologne est très handicapée en ce qui concerne les ENR en raison de la quasi inexistence d’hydroélectricité et du manque d’expérience sur l’éolien. Enfin, après avoir noté que l’avantage comparatif du pays résidait exclusivement dans le charbon et souligné, dans ce contexte, l’intérêt de développer des unités de cogénération de moyenne taille, il a précisé les orientations retenues pour la restructuration à venir des groupes énergétiques polonais, indiquant notamment que la privatisation, indispensable pour mobiliser les capitaux nécessaires aux investissements, ne signifiait pas l’éviction de l’Etat, dont le rôle demeure important, en particulier pour assurer la sécurité énergétique.

M. Andrzej Kania a ensuite observé que la consommation électrique en Pologne était deux fois moins élevée que la moyenne européenne mais qu’elle devrait presque doubler d’ici à 2020. Il a ajouté que le prix apparemment faible de l’électricité au regard des moyennes européennes était en réalité, après prise en compte des taux de change et de la parité des pouvoirs d’achat, le plus élevé de toute l’Union européenne pour les consommateurs. A cet égard, il a dit craindre les conséquences sur les prix de la mise en œuvre du « Paquet énergie », d’autant qu’il n’existe pas de tarif social en Pologne. Puis, après avoir indiqué que le pays avait affronté des problèmes sur les réseaux de transport pendant l’été 2006 en raison de fortes chaleurs auxquelles les opérateurs n’étaient pas préparés, il a insisté sur la solidarité européenne que devait permettre le renforcement des connexions transfrontalières. A ce sujet, il a estimé que la position géographique de la Pologne nécessitait, au-delà du raccordement du réseau balte au réseau occidental dans une perspective essentiellement politique, des efforts particuliers sur les frontières ouest et sud du pays, pour des raisons économiques.

Enfin, après avoir souligné la modernité du système polonais de tarification de l’électricité, M. Krzysztof Tchόrzewski a mentionné l’existence d’une fiscalité énergétique appelée sur les employeurs pour alimenter un fond national et des fonds régionaux de protection de l’environnement, qui accordent des subventions et des bonifications d’intérêt aux nouveaux projets, notamment dans la gestion des eaux et dans le développement des ENR.

IV. Entretien avec M. Leszek Juchniewicz, président de l’Autorité de régulation pour le secteur énergétique (URE), M. Bogdan Zalewski, directeur du département « Intégration européenne et études comparatives », et Mme Mariola Juszczuk, membre de ce département

Après avoir indiqué qu’il exerçait sa fonction depuis dix ans et que son opinion n’était pas forcément celle du gouvernement, M. Leszek Juchniewicz a précisé que le droit et la sécurité énergétiques relevaient de la responsabilité du ministre de l’économie. Il a expliqué que la loi relative au droit énergétique d’avril 1997, qui avait créé l’URE, avait prévu pour son président un mandat de cinq ans non révocable, ce qui lui conférait une réelle indépendance dans ses compétences de régulation du secteur énergétique, notamment en matière de concessions, de tarifs, de plan de développement et de sanctions. Il a toutefois ajouté que cette loi avait été depuis lors modifiée trente-sept fois et que l’indépendance du président de l’URE, qui est désormais un haut fonctionnaire révocable par son ministre, en avait été constamment diminuée.

Il a ensuite indiqué que l’URE était un membre à part entière de l’ERGEG depuis l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne et qu’elle participait régulièrement à ses travaux. Estimant que les difficultés européennes se concentraient sur les interconnexions transfrontalières, il a envisagé la perspective d’un régulateur unique à l’échelle de l’Union dès lors qu’existerait un marché du gaz et de l’électricité communautaire soumis à une législation établie en commun. Puis, rappelant que la Pologne s’était largement conformée aux directives communautaires, il a observé que la séparation patrimoniale (unbundling), qui nécessite la privatisation des entreprises énergétiques polonaises, allait susciter des difficultés sociales et ne semblait pas avoir la faveur de son gouvernement, qui souhaiterait faire émerger des champions nationaux intégrés verticalement.

Puis, expliquant que les activités de production, transport, distribution et commercialisation de l’électricité faisaient l’objet d’un régime de concessions attribuées par l’URE, M. Leszek Juchniewicz a précisé que ce régime était applicable indifféremment aux entreprises publiques et privées, soumises au dépôt de garanties tant financières (dépôts de fonds, police d’assurance) que de capacités (preuves d’un personnel et d’un patrimoine suffisants au regard du niveau d’activité déclarée). Il a indiqué qu’environ 300 concessions étaient actuellement en vigueur pour des entreprises de production d’électricité assurant le plus souvent aussi la distribution. Il a ajouté que si, initialement, les entreprises concessionnaires devaient présenter à l’autorité de régulation les tarifs qu’elles comptaient pratiquer, à fin d’approbation sur la base des « coûts justifiés », c’est-à-dire les coûts incompressibles (commerciaux, entretien, développement, protection de l’environnement) pour livrer l’électricité au consommateur final, cette obligation avait été levée en 2001 pour les producteurs d’électricité et en 2003 pour les centrales à cogénération, ne demeurant en vigueur que pour les tarifs d’accès aux réseaux de transport et de distribution.

M. Leszek Juchniewicz a ensuite indiqué que le contrôle de l’URE portait aussi sur les opérations d’achat et de vente d’électricité, tout opérateur souhaitant vendre de l’électricité devant avoir une concession. Il a précisé que les contentieux, notamment en cas de rupture d’approvisionnement de la part d’un fournisseur, étaient également tranchés par l’URE. Expliquant qu’une bourse de l’électricité (POLPEX) existait en Pologne mais que le volume échangé ne représentait que 1 000 mégawattheures (MWh), soit 1 % du volume total consommé, il a souligné que 70 % du marché étaient représentés par les contrats à long terme entre producteurs et grandes entreprises, dont certains n’expireront qu’en 2025. Relevant que, paradoxalement, le prix de l’électricité dans ces contrats (160 zlotys le MWh) était 30 % plus cher que le prix de marché (120 zlotys le MWh), il précisé qu’un projet de loi allait prochainement les supprimer, conformément aux souhaits de la Commission européenne qui estime que ces contrats constituent une aide publique illégale.

S’agissant enfin de la sécurité d’approvisionnement, il a estimé que la Pologne n’était pas menacée, au moins à court terme, mais qu’à plus long terme, la vétusté des réseaux et la croissance de la demande d’électricité, de l’ordre de 3 % par an, rendra nécessaire d’investir pour moderniser les installations et construire de nouvelles capacités, notamment nucléaires. A cet égard, observant que le gouvernement avait décidé de réactiver cette énergie, mais hors du territoire en raison du traumatisme de la catastrophe de Tchernobyl encore présent dans l’opinion, en participant au financement d’une centrale nucléaire en Lituanie, il s’est inquiété du coût potentiel du renforcement de l’interconnexion avec ce pays devant en résulter.

V. Entretien avec M. Jacek Socha, président de PSE SA (gestionnaire du réseau de transport de l’électricité), et M. Paweł Urbański, vice-président

Présentant les principales caractéristiques de la situation polonaise dans le domaine électrique, M. Jacek Socha a notamment indiqué que l’harmonisation progressive des prix en Europe avait conduit à une importante croissance des prix polonais, quand bien même ils sont encore largement inférieurs à la moyenne européenne exprimée en euros (54 contre 72 euros), que l’écrasante suprématie du charbon et du lignite dans le bouquet électrique national (96 %, alors que la moyenne européenne est de 25 %) rendrait les évolutions nécessaires longues et onéreuses, voire douloureuses, notamment au regard des nouvelles exigences de l’Union européenne (UE) (qui imposeraient théoriquement une réduction de plus de 40 % des émissions de CO2 entre 2003 et 2008), et que la modernisation des installations existantes, dont 40 % datent de plus de 30 ans et 34 % de 20 à 30 ans, ajoutée à la création de capacités de génération supplémentaires pour répondre à la croissance de la demande, nécessiterait d’installer chaque année entre 0,8 et 1,5 gigawatts d’ici 2025. Dans ce contexte, il a expliqué que les besoins de financement prévisibles d’ici 2015 étaient de l’ordre de 11 à 17 milliards d’euros, dont entre 6 et 9 pour la génération, 2 et 4 pour la protection environnementale, et 3 et 4 pour les réseaux de transport et de distribution. Il a conclu en soulignant la fragmentation du système électrique polonais dans le domaine de la production (où une dizaine de sociétés se partage le marché, dominé à 70 % par des entreprises publiques, dont la plus importante, BOT SA, détient 40 %) comme dans celui de la distribution (neuf sociétés, dont deux privées qui ne détiennent que 14 % du marché), et en observant que le réseau de transport était totalement détenu par l’opérateur public PSE.

M. Jacek Socha a ensuite rappelé que le plan gouvernemental visant à améliorer la compétitivité du marché de l’électricité, décidé en 2006, s’appuyait sur quatre piliers : la consolidation du secteur, la privatisation, la restructuration et l’élimination des contrats à long terme. Il a précisé que l’objectif de la consolidation était de créer quatre groupes énergétiques verticalement intégrés sur toute la chaîne de valeur, dont un « champion national » qui sera Polish energy group (PEG), que la privatisation des deux groupes les plus importants sera assurée dans le cadre boursier et non par l’introduction d’actionnaires de référence, et que la restructuration conduira à l’achèvement de la séparation patrimoniale des réseaux de transport et de distribution, le Trésor polonais devant à terme détenir directement le capital de PSE.

Puis, en réponse aux questions des sénateurs, il a indiqué que l’objectif européen « des quatre 20 » apparaissait très ambitieux pour la Pologne, qui est un pays encore peu riche, qui croît rapidement, que la structure de production assise sur le charbon et le lignite rend très dépendant des progrès technologiques réalisables dans le domaine de la captation et du stockage du CO2, ainsi que du coût des installations en découlant, et qui ne dispose pas des ressources naturelles lui permettant de parier sur les énergies renouvelables (le pays est plat, peu venteux et peu ensoleillé). Il a ajouté qu’une rapide renonciation au charbon et au lignite pour diminuer drastiquement les émissions de CO2 pourrait poser des problèmes en matière de prix, puisque le coût de « l’électricité verte » est deux à trois fois supérieur à celui de l’énergie carbonée, et de sécurité d’approvisionnement, puisque le gaz pouvant être substitué serait pour l’essentiel russe. Dans ce contexte, et compte tenu du temps nécessaire à la mise en œuvre d’un programme nucléaire une fois qu’il est décidé, M. Jacek Socha a souhaité qu’un « juste milieu » soit trouvé entre les attentes de l’UE et les possibilités effectives des Etat membres, et suggéré de rendre les objectifs plus indicatifs qu’obligatoire ou, à défaut, que la Commission européenne répartisse la charge de manière différente selon les pays.

Par ailleurs, il a considéré que le système de transport polonais était satisfaisant et non discriminant, observant qu’aucune plainte n’avait été émise concernant l’accès au réseau. En revanche, il a souligné les difficultés que connaissait la Pologne avec certains de ses voisins, citant notamment la République tchèque, qui aurait résilié un contrat de manière illégale, et l’Allemagne, qui refuserait deux projets de nouvelles interconnexions.

VI. Entretien avec M. Antoni Pietkiewicz, membre du conseil d’administration de BOT SA, exerçant les fonctions de président

A titre liminaire, M. Antoni Pietkiewicz a rappelé qu’en 2006, la production d’électricité en Pologne avait été de 162 térawattheures (TWh) et la consommation de 150 TWh, soulignant la croissance rapide de celle-ci intervenue depuis l’adhésion du pays à l’Union européenne (UE) et la transformation des modes de vie qui en a résulté, et observant que les importations avaient représenté 4,7 TWh et les exportations 15,8 TWh. Il a précisé que le groupe BOT était le premier producteur d’énergie polonais, représentant un tiers de la production nationale avec 48 TWh, dont 27 vendus dans le cadre de contrats à long terme, que les trois centrales qu’il possède sont les plus modernes du pays, et qu’il compte 22 000 salariés, estimant que les évolutions actuelles du marché de l’électricité, notamment la libéralisation, avaient des répercussions sociales majeures pour ceux-ci. Enfin, il a indiqué que la puissance installée au niveau national étaient essentiellement assise sur le charbon et le lignite, le solde de la production étant assuré par l’hydroélectricité, le gaz et les énergies renouvelables (ENR).

Faisant ensuite référence aux pannes systémiques d’importance, M. Antoni Pietkiewicz a reconnu la fragilité des réseaux polonais, indiquant que s’ils étaient suffisants pour répondre à la demande à court terme, d’importants investissements seraient nécessaires à long terme pour les renforcer. Puis, s’agissant des objectifs européens en matière d’émission de gaz à effet de serre (GES), il a observé que si la Pologne était signataire du Protocole de Kyoto, le respect des contraintes européennes en matière d’émissions de CO2 viendrait brider sa croissance, et jugé injuste une telle entrave au développement pour un pays dont la consommation d’électricité par tête d’habitant est déjà deux fois moindre que la moyenne européenne des quinze. Aussi, après avoir souligné que le potentiel national pour les ENR ne pourrait certainement pas dépasser 10 %, il a considéré que l’absence de précision dans les documents de la Commission européenne sur la répartition de l’objectif général des 20 % d’ENR permettait d’espérer que les prescriptions nationales soient fonction des capacités naturelles et géographiques de chaque Etat membre.

Puis, rappelant que la construction d’une centrale nucléaire avait été interrompue dans les années 1980 sous la pression de l’opinion publique polonaise, il a indiqué que celle-ci évoluait sur l’appréciation du nucléaire grâce à des campagnes gouvernementales d’information, avant de considérer que le pays n’aurait pas d’autre choix que le nucléaire si les exigences en matière de réduction d’émission de CO2 étaient maintenues.

S’agissant du marché de l’électricité, M. Antoni Pietkiewicz a estimé que les prix étaient grevés par de trop nombreuses taxes (environnementales, droits d’accises, TVA) qui brident la modernisation du secteur énergétique, lequel ne dispose pas des capacités financières suffisantes pour investir. Il a en revanche considéré que la régulation du marché était satisfaisante, le ministère de l’énergie devant élaborer tous les quatre ans un plan de développement des capacités énergétiques, les opérateurs devant réaliser chaque année un plan de satisfaction de la demande et, en cas d’insuffisance, l’autorité de régulation pouvant organiser des appels d’offre pour rééquilibrer le marché.

Estimant que la Commission européenne se préoccupait trop peu des nouveaux États-membres en matière d’interconnexions, qu’il a pourtant jugées nécessaire, M. Antoni Pietkiewicza considéré indispensable de standardiser les normes techniques au niveau européen, soulignant que si l’idée d’un régulateur unique européen méritait réflexion, il fallait dans un premier temps instituer une coordination plus forte des opérateurs de réseaux. Quant à la séparation patrimoniale, il s’est déclaré favorable aux propositions de la Commission dans le domaine du transport, mais a trouvé excessives celles concernant la distribution.

Vendredi 6 avril 2007

VII. Petit-déjeuner de travail avec Mme Françoise Pépin, directrice de Dalkia Polska, et M. Jean-Pierre Corbin, directeur général adjoint, Mme Alfreda Switek, directeur financier d’Electrabel Polska, et M. Philippe Vavasseur, président d’EDF Polska

Mme Françoise Pépin a souligné que le système électrique polonais allait être fortement affecté par la législation européenne en matière environnementale, qui ne prend pas suffisamment en compte la situation des PECO, dont les infrastructures sont vieillissantes et, s’agissant de la Pologne en particulier, très dépendantes du charbon et du lignite. Confirmant cette observation, M. Philippe Vavasseur a estimé qu’avec la croissance attendue de l’économie polonaise, la surcapacité du pays allait disparaître. Il a ensuite évoqué l’intérêt environnemental et économique de la cogénération, domaine dans lequel EDF Polska est bien positionné, et attiré l’attention sur l’importance de mettre en place un système qui répartisse de manière rationnelle les droits à émission de CO2 entre les secteurs économiques. Il a enfin relevé les coûts colossaux d’adaptation des unités de production existantes aux nouvelles normes communautaires, venant après ceux déjà consentis pour satisfaire aux obligations imposées sur la période 2004-2008.

Après que Mme Alfreda Switek a estimé que la diminution de 29 % du total d’allocation de droit d’émission envisagé pour la période 2008-2012 allait en effet poser des problèmes considérables aux électriciens polonais, M. Philippe Vavasseur a expliqué que le futur projet de loi sur la suppression des contrats à long terme allait également créer un certain nombre de difficultés en remettant en cause les conditions d’entrée des opérateurs sur le marché. Puis, il a estimé que, compte tenu des enjeux de croissance et de renouvellement du parc électrique polonais, toutes les options de production devaient être envisagées, y compris le nucléaire et le charbon propre, puisque cette dernière ressource, très abondante en Pologne, est un atout pour le pays et contribue à son indépendance énergétique.

M. Jean-Pierre Corbin a ensuite abordé le double discours des autorités polonaises qui, tout en déclarant bienvenus les investisseurs étrangers, stigmatisent les « voleurs » qui viendraient piller l’économie du pays à la faveur des privatisations. Indiquant que des demandes d’investissements dans des capacités de production avaient été récemment refusées, il en a trouvé la cause dans la volonté récente du gouvernement de créer, par son projet de restructuration du secteur, un champion national, tout en observant que les capitaux polonais ne semblaient pas en mesure de satisfaire aux besoins potentiels.

Mme Alfreda Switek a enfin considéré que la consolidation envisagée du secteur électrique, par la constitution de quatre grands groupes nationaux présents tant dans la génération que la distribution, était positive.