COMPTE RENDU DES ENTRETIENS EN SUISSE

Mercredi 25 avril 

I. Entretien avec MM. Giovanni Leonardi, directeur général d’ATEL, et Stefan Aeschimann, direction des affaires publiques

Effectuant une brève présentation d’ATEL, M. Giovanni Leonardi a souligné qu’elle ne réalisait que 10 % de son chiffre d’affaires en Suisse, ses activités s’étendant de l’Espagne à la Pologne et de la Scandinavie à la Grèce. En Suisse, l’entreprise exploite un parc nucléaire et hydraulique, tandis qu’elle possède 20 % du capital d’Edipower en Italie, dispose de centrales thermiques en Hongrie et en République tchèque, et projette, d’ici 2010, de réaliser une centrale de cycle combiné à gaz (CCG) de 400 mégawatts (MW) en France, dans le Massif central. Ainsi, en 2006, ATEL a au total produit 116 térawattheures (TWh), échangé près de 202 TWh sur les marchés et réalisé un chiffre d’affaires de 11,3 milliards de francs suisses. Sa structure capitalistique va prochainement évoluer dans le but de constituer le premier électricien suisse au sein duquel Energie Ouest Suisse (EOS) possèderait 30 % du capital, EDF, qui constitue la référence industrielle stratégique de l’entreprise, 30 %, et un consortium d’actionnaires également 30 %. La réalisation de ce projet industriel permettra de développer une grande entreprise à vocation européenne.

Puis, M. Giovanni Leonardi a précisé que le mix énergétique actuel de la Suisse était performant au regard de la nécessité de réduire les émissions de CO2 : actuellement, 38 % de l’électricité suisse provient du nucléaire, 57 % de l’hydraulique et 5 % du thermique. Par ailleurs, notant que la Suisse devait être replacée dans son environnement européen puisqu’un flux d’électricité important transite par son réseau sans y être consommée, il a qualifié le pays de « plaque tournante » de l’électricité au service du système européen. A ce sujet, il a relevé que, dans la mesure où de nombreux moyens de production étaient directement raccordés aux réseaux à moyenne tension, la Suisse présentait d’importantes surcapacités de transport permettant à ces infrastructures de jouer un rôle de réserve de puissance. Dans ce cadre, le pays est importateur d’électricité pendant l’hiver et exportateur pendant l’été. Toutefois, alors que, globalement, il était un exportateur net d’électricité, cette tendance s’est inversée au cours des deux dernières années en raison, d’une part, du manque d’eau qui se répercute sur le productible des centrales hydrauliques et, d’autre part, de l’arrêt pendant six mois d’une des centrales nucléaires du pays.

En ce qui concerne le cadre législatif et réglementaire, tout en soulignant que la Suisse ne reprendrait pas l’acquis communautaire dans le domaine de l’électricité, il a indiqué que les autorités fédérales venaient d’élaborer une nouvelle législation - la loi sur l’approvisionnement en électricité - qui devrait entrer en vigueur en 2008 et dont les grandes lignes, qui s’inspirent très fortement des règles communautaires, prévoient :

– une ouverture du marché de l’électricité à la concurrence en deux temps, les clients consommant plus de 100 MWh par an étant concernés entre 2008 et 2013 et, à partir de cette date, tous les consommateurs devenant éligibles, l’entrée en vigueur de cette seconde étape étant toutefois susceptible d’être soumise à un référendum d’initiative populaire ;

– la constitution d’un gestionnaire de réseau de transport indépendant sur le modèle ISO (Independant System Operator), baptisé Swissgrid et qui, à l’issue d’un délai de cinq ans, deviendra propriétaire des réseaux, les électriciens actuellement propriétaires recevant en échange des actions ;

– la création d’une autorité de régulation ;

– l’obligation de compenser toute nouvelle émission de CO2 due à la production électrique, 70 % devant l’être grâce à des actions entreprises dans d’autres secteurs d’activité du pays et les 30 % restant, par le recours au marché d’échange des permis d’émissions de CO2 ;

– des objectifs de hausse de l’électricité d’origine renouvelable.

M. Giovanni Leonardi a souligné que les perspectives électriques à long terme laissaient apparaître le fait que la Suisse serait fortement déficitaire pour couvrir ses besoins à l’horizon 2030, des déficits commençant à apparaître dès 2020, et qu’en l’absence de décisions prochaines, le pays serait dans l’incapacité de couvrir la moitié de sa consommation en 2050. Jugeant que la Suisse ne pouvait raisonnablement compter sur un recours accru aux importations d’électricité, il a estimé indispensable que le pays se mette en mesure de produire entre 25 et 30 TWh supplémentaires à partir de 2035, cet objectif pouvant être atteint par la mise en service de capacités hydrauliques supplémentaires (5 TWh), de cinq nouvelles centrales à gaz (3 TWh) - même si leur construction sera difficile compte tenu de l’obligation de réduire les émissions de CO2 - et de deux nouvelles centrales nucléaires (20 TWh), le montant total de ces investissements étant compris entre 25 et 30 milliards de francs suisses.

Pour respecter ce calendrier, il sera nécessaire, avant la fin 2008, de constituer un consortium industriel pour planifier et réaliser ces capacités nucléaires supplémentaires. En tenant compte des délais liés à l’obtention des autorisations et à la tenue d’un référendum d’initiative populaire, qui ne manquera pas d’être organisé compte tenu de la sensibilité du sujet, la mise en service de ces centrales nucléaires ne pourra intervenir avant un délai compris entre 12 et 15 ans. ATEL est prêt à investir dans le nucléaire et cette stratégie semble avoir l’appui du Conseil fédéral qui estime qu’il s’agit de l’option la plus sérieuse pour répondre aux besoins en électricité du pays.

Sur la question des déchets nucléaires, M. Giovanni Leonardi a indiqué que les autorités fédérales avaient donné leur accord de principe à la solution d’enfouissement en couche géologique profonde. Au stade actuel de la procédure, trois sites ont été sélectionnés et il appartient aux autorités de déterminer le lieu définitif d’enfouissement. En outre, la Suisse a décidé un moratoire de 10 ans sur le retraitement à l’étranger de ses déchets nucléaires.

Enfin, interrogé sur les raisons du black-out italien du 28 septembre 2003, il a indiqué ne pas être en mesure d’expliquer les raisons de cet accident dans la mesure où le réseau suisse avait parfaitement respecté la règle du N-1 malgré la perte accidentelle d’un élément du réseau de transport.

II. Entretien avec M. Thomas Tillwicks, responsable de la gestion du réseau de transport électrique Swissgrid

M. Thomas Tillwicks a tout d’abord présenté les principales caractéristiques du réseau de transport d’électricité suisse qui se compose de 6.700 kilomètres de lignes à haute tension (1.780 km à 380 kilovolts et 4.920 km à 220 kilovolts) et présente une capacité d’échanges transfrontaliers de 26.000 MW, volume très élevé au regard de la production et de la consommation nationales. Par ailleurs, il a relevé que la Suisse consommait 2,6 % de l’électricité des pays membres de l’UCTE mais possédait 10 % des interconnexions utilisables.

Il a ensuite rappelé que Swissgrid, dont la création récente résulte de l’adoption de la loi sur l’approvisionnement électrique, dont le capital est détenu par sept entreprises, et qui possède 90 % des lignes à haute tension, succédait à ETRANS SA, qui n’était qu’une simple structure de coordination. Reprenant les 135 salariés de cette société, Swissgrid est au contraire un véritable gestionnaire de réseau, indépendant des propriétaires des infrastructures et bâti sur le modèle ISO, la majorité des membres du conseil d’administration étant par exemple indépendants. L’entreprise s’est ainsi vu confier les missions habituellement dévolues à un GRT : gestion et exploitation des lignes, dispatching, contrôle et surveillance, gestion des activités de trading d’électricité...

Puis M. Thomas Tillwicks a souligné que l’existence en Suisse d’un parc hydroélectrique important présentait une valeur considérable puisqu’il permet d’exporter de l’électricité vers les pays voisins en cas de période de pointe. En revanche, la Suisse importe de l’électricité pendant la nuit, notamment depuis la France, pour recharger les bassins supérieurs des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP). Par ailleurs, elle joue un rôle de réserve de puissance pour l’Allemagne quand l’électricité d’origine éolienne fait défaut dans ce pays.

Après avoir confirmé que Swissgrid entretenait des rapports très étroits avec les autres GRT européens et que l’entreprise était membre de l’UCTE et de l’ETSO, il a indiqué qu’elle coopérait plus particulièrement avec les GRT des quatre pays frontaliers, étant notamment liée par des accords de coopération avec les GRT allemand, autrichien et français (RTE). Interrogé sur la question de l’insuffisance des interconnexions en Europe, il a reconnu que certaines liaisons transfrontalières faisaient l’objet de fortes congestions et que l’ensemble du maillage européen devait être renforcé. Ayant également considéré qu’une vingtaine d’éléments du réseau suisse devait faire l’objet de renforcements, il a ensuite insisté sur la nécessité de favoriser une meilleure coordination en temps réel des informations détenues par les différents GRT, préconisant à cet égard la création d’un centre européen de contrôle des réseaux de transport.

S’agissant des prix du transport d’électricité, M. Thomas Tillwicks a expliqué qu’ils seraient désormais fixés selon un principe de péréquation arrêtés par la loi sur l’approvisionnement électrique. Interrogé sur la pertinence du système tarifaire pour inciter à la réalisation des investissements nécessaires, il a estimé indispensable de garantir la neutralité et l’indépendance des GRT, jugeant que les producteurs d’électricité se préoccupaient plus du court terme que d’assurer le développement du réseau sur le long terme pour en garantir la viabilité. En ce qui concerne le système de mise aux enchères des capacités d’interconnexions, tout en le jugeant imparfait, il a considéré qu’il n’existait pas d’alternative satisfaisante.

Enfin, évoquant le black-out ayant frappé l’Italie le 28 septembre 2003 en replaçant cet incident dans son contexte, M. Thomas Tillwicks a tout d’abord souligné que le fonctionnement du réseau pouvait conduire à des mouvements importants et brutaux des flux d’électricité : ce sont parfois plus de 1.000 MW qui peuvent changer de sens de circulation en quelques instants. Observant que ces phénomènes rendaient d’autant plus délicate la gestion des réseaux et supposaient des échanges d’informations en temps réel entre les GRT puisque le temps de réaction en cas d’incident devient de plus en plus court, et expliquant que, le 28 septembre 2003, la charge sur le réseau était particulièrement forte, il a estimé qu’ETRANS SA avait réagi en respectant pleinement les règles de sécurité, notamment celle du N-1, après la perte d’un élément du réseau de transport suisse. Il s’est alors interrogé sur la réaction des autorités italiennes après qu’elles ont été prévenues de la situation sur le réseau suisse, relevant que l’Italie n’avait pas cherché à diminuer son volume d’importation alors qu’il couvrait environ 25 % de sa consommation.

III. Entretien avec M. Moritz Leuenberger, conseiller fédéral, chef du département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication

M. Moritz Leuenberger a déclaré que l’élaboration de la loi sur l’approvisionnement en électricité, dont l’entrée en vigueur est programmée en 2008, avait été guidée par le souhait de libéraliser le marché de l’électricité, afin d’ancrer pleinement le secteur énergétique suisse dans le marché européen, tout en maintenant des garde‑fous. Le rapprochement avec le droit communautaire s’opère par la création d’un régulateur, la création d’un GRT indépendant, la promotion des énergies renouvelables (ENR) et des incitations à l’amélioration de l’efficacité énergétique. L’ouverture du marché se fera en deux étapes avec, dans un premier temps, une libéralisation du marché pour les plus gros consommateurs. Estimant que cette initiative était délicate à mettre en œuvre dans la mesure où « la foi dans le marché » n’est pas immense en Suisse, il a souligné qu’une telle proposition de libéralisation du secteur énergétique, déjà discutée il y a cinq ans, avait été alors rejetée faute d’accord entre les partis politiques.

Puis, il a expliqué que la création d’une taxe sur les émissions de CO2 avait pour objectif de diminuer la consommation d’énergies fossiles et de renforcer les usages de l’électricité, notamment en développant les pompes à chaleur pour les systèmes de chauffage.

Relevant que la principale crainte des autorités était celle d’une pénurie d’énergie d’ici vingt ans, M. Moritz Leuenberger a indiqué que le Conseil fédéral avait décidé d’élaborer des perspectives énergétiques à long terme et à définir un programme d’actions s’appuyant sur quatre piliers : la promotion des ENR, l’amélioration de l’efficacité énergétique, le développement de centrales à gaz et une relance du programme nucléaire, ces deux derniers points faisant débat. En effet, la relance du programme électro‑nucléaire est loin d’être acquise dans la mesure où elle sera soumise à un référendum d’initiative populaire dont l’issue dépendra pour l’essentiel de la capacité à atteindre les objectifs en matière d’ENR et d’efficacité énergétique, et de la résolution de la question des déchets nucléaires. A cet égard, il a expliqué que les autorités suisses s’attachaient à trouver une solution durable à ce problème, notant que si le choix de procéder à leur enfouissement en couche géologique profonde avait été effectué, il convenait désormais de trouver un site d’accueil, qui sera sélectionné à l’issue d’une procédure démocratique.

M. Moritz Leuenberger a ensuite insisté sur l’absolue nécessité pour la Suisse de voir honorer les contrats à long terme de livraison d’électricité conclus avec EDF, les jugeant indispensables pour assurer la sécurité d’approvisionnement du pays et soulignant qu’il s’était récemment entretenu de cette question avec le Président de la République française, lequel lui avait donné des assurances sur ce point.

A une question de la délégation portant sur les objectifs de la Suisse en matière de réduction des émissions de CO2, il a enfin répondu que le Parlement helvétique avait, à l’occasion de la discussion de la loi sur l’approvisionnement en électricité, introduit l’obligation de compenser toute nouvelle émission de CO2 due à la production électrique, ce qui risquait d’obérer les projets de développement des cycles combinés à gaz. S’agissant des perspectives d’amélioration du potentiel hydroélectrique du pays, il a estimé que l’augmentation de la puissance des installations existantes était envisageable mais que la création de nouveaux ouvrages hydrauliques se heurterait aux conflits d’usage de l’eau et aux contraintes écologiques, notamment celles liées à la préservation de la vie aquatique.

IV. Entretien avec MM. Walter Steinmann, directeur de l’Office fédéral de l’énergie, et Jean-Christophe Füeg, représentant spécial pour les affaires énergétiques internationales 

M. Walter Steinmann a tout d’abord expliqué que l’élaboration de la nouvelle législation suisse sur l’électricité avait été rendue obligatoire par la libéralisation des marchés énergétiques décidée par l’Union européenne. Ce nouveau corpus juridique, qui rend le droit suisse compatible avec le droit communautaire, prévoit l’ouverture à la concurrence des deux tiers du marché électrique national en 2008, la création d’un GRT indépendant ainsi que d’un régulateur, et la promotion des énergies renouvelables (ENR).

Puis, rappelant que la Suisse est la « plaque tournante du réseau européen d’électricité », il a indiqué que ses capacités d’interconnexion s’élevaient à 26 000 MW, ce qui représente 20 % du total des pays membres de l’UCTE, et que les flux physiques transfrontaliers s’élevaient à 50 TWh par an (10 % des échanges UCTE), soit à peu près autant que les 60 TWh annuels de la consommation d’électricité intérieure (2,5 % du total UCTE). Exposant ensuite d’un déficit de production apparaîtrait dès 2020 et excluant toute solution fondée sur un accroissement des importations, il a évoqué les pistes suivies pour tenter de répondre à ce défi :

– la promotion des ENR afin accroître la production de 1 à 5,4 TWh par an, la rétribution couvrant les surcoûts de production de l’électricité verte, qui est financée par un prélèvement sur le tarif d’utilisation des réseaux, passant en conséquence de 28 à 320 millions de francs suisses ;

– la préparation d’un plan d’action très volontariste de renforcement de l’efficacité énergétique pour assurer la maîtrise de la demande d’énergie face à la croissance tendancielle de la consommation d’électricité de 2 % par an ;

– la mise en place rapide de centrales à gaz, en dépit des interrogations pesant sur les avantages apportés par ces installations en termes de sécurité d’approvisionnement, compte tenu des réalités géopolitiques de la fourniture en gaz, et de la contrainte résultant de l’obligation de compenser intégralement les émissions supplémentaires de CO2 qu’elles généreront ;

– la relance du programme électro-nucléaire, même si des incertitudes entourent cette stratégie. D’une part, l’acceptation politique est un préalable nécessaire puisque, même dans le cas où l’autorisation serait accordée par le gouvernement et entérinée par le Parlement, un référendum d’initiative populaire pourrait être organisé ; or, le choix de l’énergie nucléaire reste contesté au sein de la population. D’autre part, la question du stockage des déchets n’a pas encore trouvée de solution définitive, la Suisse ayant pour l’instant simplement voté un moratoire de dix ans sur le retraitement des déchets à l’étranger.

En conclusion, M. Walter Steinmann a souligné que la mise en place de centrales à gaz était absolument nécessaire pour assurer une transition sûre avant la construction de nouvelles centrales nucléaires.

Enfin, interrogé sur l’intérêt de la libéralisation du marché de l’électricité pour la Suisse, il a indiqué que le pays avait procédé à la libéralisation de plusieurs autres types de marchés avec succès et qu’il était important de s’aligner sur le droit communautaire. En effet, les Suisses ne peuvent être présents dans l’ERGEG et leurs entreprises ne peuvent exporter aisément dans certains pays de l’Union si le marché helvétique n’est pas libre. Il a aussi estimé que des gains de rationalisation de l’activité pourraient éventuellement en être retirés.