MISSION COMMUNE D'INFORMATION  "LA FRANCE ET LES FRANÇAIS FACE A LA CANICULE


Table des matières




Mercredi 12 novembre 2003

- Présidence de M. Jacques Pelletier, président. -

Audition de Mme Dominique Dron , présidente de la mission interministérielle de l'effet de serre (MIES), et de M. Marc Gillet, directeur de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique

La mission d'information a tout d'abord procédé à l'audition de Mme Dominique Dron, présidente de la mission interministérielle de l'effet de serre (MIES), et de M. Marc Gillet, directeur de l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique (ONERC).

Après avoir précisé qu'il suivait les travaux du groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution des climats (GIEC), M. Marc Gillet a rappelé les caractéristiques du changement climatique observé au cours du dernier millénaire :

- une très légère décroissance des températures, d'un ou deux dixièmes de degré, de l'an mil jusqu'au début de l'ère industrielle ;

- depuis le début de cette période, une augmentation moyenne des températures du globe, par paliers, d'environ 0,6°C, avec une température annuelle moyenne plus faible près des tropiques et de l'équateur, plus importante vers les continents et les latitudes plus élevées ;

- en France, une hausse de la température de 1°C en moyenne depuis 1900 ;

- des températures minimales variant de façon plus importante que les températures moyennes (1,2 à 1,3°C), le contraire étant observé pour les températures maximales.

Analysant les causes de cette évolution depuis 1989, les experts du GIEC ont écarté les cycles astronomiques, dont les effets sur la température sont extrêmement lents, les variations de constantes solaires ainsi que les aérosols, dont les effets thermiques tendent à se compenser.

Il a indiqué que les recherches n'avaient pas permis de relever d'autres causes au réchauffement climatique que l'effet de serre dû aux activités humaines. Les modèles élaborés par le GIEC permettent d'extrapoler l'évolution du climat sur 100 à 200 ans en procédant à des simulations retenant différents scénarios d'évolution de la société. Ces scénarios prévoient tous une augmentation de la concentration de gaz carbonique (CO2), de 50 % à 300 %, soit entre 450 et 1.000 parties par million (ppm), contre 375 aujourd'hui et 280 avant l'ère industrielle.

M. Marc Gillet a, par ailleurs, indiqué que les modèles climatiques (qui prennent en compte l'interaction des océans, des forêts...) faisaient apparaître une augmentation de températures sur le globe de 1,5 à 6°C, correspondant à un scénario pessimiste d'une concentration de CO2 de 1.000 ppm : les températures moyennes devraient ainsi augmenter en France entre 2,5 et 10°C et pourraient s'accroître de 3°C d'ici 20 ou 30 ans, et 5°C en 2100.

M. Marc Gillet a estimé que de nouvelles canicules étaient susceptibles de se manifester dans les 50 ans à venir en rappelant que Météo France estimait auparavant que des canicules du type de celle de l'été dernier étaient tout à fait improbables.

M. Jacques Pelletier, président, a rappelé que notre planète avait connu par le passé des périodes de glaciation et de réchauffement qui ne s'étaient cependant pas accompagnées d'émissions de gaz à effet de serre, d'où l'interrogation de certains sur le rôle des activités humaines et industrielles.

Mme Dominique Dron a ensuite exposé les circonstances de la création du GIEC, en 1988-1989, à l'initiative du président Bush et de Mme Margaret Thatcher, ceux-ci ayant pris conscience du problème de l'augmentation de la consommation énergétique et de la vulnérabilité croissante des pays industrialisés, alors que les travaux des scientifiques américains soulignaient le rôle probable des émissions de CO2 dans le changement climatique.

Après avoir rappelé que le GIEC rassemblait les climatologues et les océanologues mondiaux les plus réputés, elle a insisté sur le caractère rigoureux de l'évaluation, par leurs pairs, de leurs travaux, dont les résultats sont désormais acceptés par l'ensemble des Etats, y compris les Etats-Unis (et leur Académie des sciences) et les membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP).

Mme Dominique Dron a ensuite évoqué les travaux concernant l'impact des gaz à effet de serre. Elle a expliqué que les variations de ces émissions et des températures évoluaient, depuis un siècle, selon une ampleur et une vitesse inédites et que notre planète entrait ainsi dans une ère inconnue. Aussi, les émissions entropiques de CO2 seront-elles déterminantes dans l'évolution du climat au cours du XXIe siècle. Elle a estimé tout à fait improbable qu'un événement naturel vienne contrebalancer la tendance au réchauffement, faute de perspectives glaciaires, étant rappelé que nous vivons une période interglaciaire extrêmement longue.

Elle a précisé les conséquences de cette évolution : une probabilité de 90 à 99 % que les latitudes tempérées connaissent des régimes de précipitations de plus en plus intenses et variables, et des épisodes (en particulier nocturnes) de forte chaleur, caractérisés par leur fréquence, leur durée et leur intensité. Il faut également s'attendre à une violence croissante des cycles hydrologiques se traduisant par une sècheresse et des inondations dans des pays tempérés. Il a indiqué que la température moyenne de 2003 ne devrait être supérieure que d'un demi-degré par rapport à 2002, alors même que les températures extrêmes de l'été ont dépassé de quatre degrés celles de l'année précédente.

Mme Dominique Dron a ensuite insisté sur le fait que la variation des températures dépendait pour moitié des politiques qui seront mises en oeuvre. Elle a déclaré que ce risque n'était donc pas irrémédiable et que ces politiques devraient viser les secteurs les plus concernés par les émissions de gaz à effet de serre, à savoir par ordre décroissant : les transports, le secteur résidentiel tertiaire, les secteurs industriel et énergétique. A cet égard, elle a rappelé que si 80 % de l'électricité française était d'origine nucléaire, non émettrice de CO2, ceci ne représentait que 30 % de l'énergie consommée, et que le pétrole constituait le principal problème. Cette situation est d'autant plus préoccupante que l'appareil de production énergétique est de plus en plus sollicité du fait de l'augmentation de la consommation, en particulier pour les transports.

Elle a souligné que les pays industrialisés disposaient d'ores et déjà des technologies permettant de maîtriser cette évolution et avaient vocation à servir de modèle à l'ensemble de la planète pour modifier les comportements.

Elle a rappelé que la gestion des aléas climatiques devrait s'effectuer dans des conditions très différentes du passé, les contraintes en termes d'espace étant désormais bien supérieures, compte tenu de la démographie mondiale, toutes les terres « vivables » étant occupées.

Répondant ensuite à M. Serge Lepeltier, rapporteur, qui l'interrogeait sur les perspectives d'évolution des courants marins, et sur leur éventuelle influence en termes de refroidissement du climat, M. Marc Gillet a indiqué que, si certaines modifications du cours du Gulf Stream avaient été observées dans le passé, en raison de l'apport d'eau douce lié à la fonte des glaciers, ceci était peu probable pour ce siècle, la fonte des glaciers du continent antarctique étant insuffisante et compensée par des chutes de neige. Il a ajouté que certains scientifiques estimaient que le climat européen serait davantage modifié par les courants atmosphériques qu'océanographiques.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, a ensuite demandé dans quelle mesure les politiques mises en oeuvre en France permettraient de réduire l'incertitude quant à l'évolution du climat.

Mme Dominique Dron a précisé que les deux facteurs principaux de variabilité pour le GIEC tenaient, d'une part, aux politiques mises en oeuvre et, d'autre part, au degré de réactivité de l'atmosphère aux émissions de gaz à effet de serre pondérées.

M. Marc Gillet a ajouté que le GIEC avait pour objectif prioritaire de réduire l'incertitude dans les modèles climatiques.

Répondant à M. Serge Lepeltier, rapporteur, qui s'interrogeait sur les préconisations de la MIES, Mme Dominique Dron a jugé que les dix années à venir étaient cruciales pour infléchir nos politiques. Il importe de commencer dès aujourd'hui dans la mesure où la mise en oeuvre de décisions structurantes est très lente dans les secteurs des transports et du bâtiment. Les mesures devraient concerner notamment le parc de logements existant, puisque celui-ci représentera encore 50 % du parc en 2050. Il convient également de tenir compte du fait que le parc des véhicules ne sera renouvelé que trois fois dans les cinquante ans à venir.

Elle a ajouté que le dérèglement climatique recouvrait à la fois des épisodes extrêmes, sur lesquels il convient de ne pas se focaliser, et une évolution continue affectant les précipitations et les récoltes. Cette situation nécessite la mise en place d'un réseau d'observation (l'ONERC en particulier) et une analyse de la vulnérabilité sectorielle à ces évolutions afin de déterminer ce qui mérite d'être sécurisé. En effet, l'Europe ayant connu jusqu'à maintenant des conditions climatiques tempérées, celle-ci a optimisé en conséquence l'organisation de son économie, de ses technologies, de ses transports et de ses pratiques agricoles.

Mme Dominique Dron a indiqué que la Grande-Bretagne accordait une attention toute particulière aux conséquences de l'évolution climatique, qui est plus facile à cerner du fait de sa position géographique, et notamment aux inondations qui sont susceptibles de menacer 10 % de son patrimoine bâti.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, s'est interrogé sur la nécessité d'une mise en cohérence des diverses structures administratives concernées, notamment au regard de leurs propositions et de leur communication respective.

Mme Dominique Dron a indiqué que la MIES et l'ONERC travaillaient en partenariat avec les ministères concernés et avec les professionnels en vue de proposer des mesures pour le « plan climat 2003 » du Gouvernement.

Elle a rappelé que si le XXe siècle avait profité d'un pétrole abondant et bon marché, encourageant l'explosion des transports et ses corollaires (étalement urbain, spécialisation du commerce mondial, économie à flux tendus...), tel ne serait pas le cas du XXIe siècle. Elle a souligné que les schémas culturels devraient en être profondément modifiés et qu'il fallait élaborer de nouveaux modèles de croissance plus adaptés et moins émetteurs de CO2, car ce n'est qu'après 2050 qu'apparaîtront des technologies non émettrices de carbone.

Répondant ensuite à M. Serge Lepeltier, rapporteur, sur le rôle de la MIES en matière de communication, Mme Dominique Dron a insisté sur l'urgence d'une vision prospective relative à l'évolution de notre société et de notre économie pour les vingt ans à venir. Selon elle, il convient à la fois de développer la communication et la « co-construction participative », tant l'adhésion de tous à cette modification des représentations est indispensable.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, a ensuite demandé quel pourrait ou devrait être le rôle des élus face aux phénomènes climatiques.

Mme Dominique Dron a jugé ce rôle fondamental dans la mesure où les décisions de proximité ont un impact déterminant notamment dans le domaine des transports, des énergies décentralisées et de la gestion des déchets. La moitié des émissions de gaz à effet de serre résultant de la vie quotidienne des ménages, elle a estimé essentiel que les élus participent à la mise en cohérence de l'ensemble des décisions.

Mme Evelyne Didier s'interrogeant sur les pics de froid que la France pourrait connaître à l'avenir, M. Marc Gillet a indiqué qu'on ne pouvait écarter cette éventualité. Cependant, la France devrait connaître moins de gelées, mais celles-ci produiront probablement davantage de dégâts sur les récoltes, en raison de la fragilité de la végétation. En outre, les hivers devraient être plus humides.

Mme Evelyne Didier a ensuite demandé des précisions sur la politique menée par les Etats-Unis et les pays arabes.

Mme Dominique Dron a souligné les grandes différences entre la politique fédérale (opposée au multilatéralisme) et celle engagée par de nombreux Etats américains. Elle a souligné l'inquiétude des entreprises américaines face à l'attentisme du gouvernement fédéral, dans la mesure où la forte consommation d'énergie (2,5 fois supérieure à celle des Européens) risque de porter atteinte à leur compétitivité. Elle a relevé que deux voix seulement avaient manqué au Sénat américain pour l'adoption d'une loi relative au changement climatique, alors que 80 % des sénateurs s'y étaient opposés quelques années auparavant.

S'agissant des pays arabes, elle a évoqué l'Arabie Saoudite, qui connaît un problème de politique intérieure, la rente pétrolière lui permettant de contenir les extrémismes. Sur le moyen terme, il est cependant probable que ce pays préfèrera gérer cette rente de manière plus satisfaisante, en vendant à un prix plus élevé de moindres quantités de pétrole.

Evoquant le rôle des élus, Mme Monique Papon a demandé comment recueillir l'adhésion de la population sans l'affoler.

Mme Dominique Dron a estimé que les citoyens étaient en mesure de prendre leurs responsabilités, à condition que la vérité leur soit expliquée, que les arbitrages nécessaires leur soient clairement exprimés et que l'équité dans les efforts à fournir soit garantie.

En conclusion, elle a insisté sur le risque d'appropriation du changement climatique et de son instrumentalisation par des groupes d'intérêt.

Audition de Mme Françoise Lalande, inspecteur général des affaires sociales

La mission a ensuite procédé à l'audition de Mme Françoise Lalande, inspecteur général des affaires sociales.

M. Jacques Pelletier, président,
a rappelé que Mme Françoise Lalande était l'auteur du rapport de la mission d'expertise et d'évaluation sur la crise sanitaire liée à la canicule de l'été dernier, rédigé à la demande du ministre de la santé, et qui avait mis à jour certains dysfonctionnements des administrations sanitaires. Il a en outre précisé que la mission d'information n'avait pas à effectuer une « chasse aux sorcières » quant aux éventuelles négligences dans la gestion de la canicule, mais qu'elle avait pour objectif de comprendre les réactions de la société et des institutions face à un tel phénomène en vue d'améliorer les dispositifs existants.

Mme Françoise Lalande a rappelé que la mission d'expertise et d'évaluation, qu'elle avait coordonnée, composée également du professeur Sylvie Legrain, chef du service de gériatrie de l'hôpital Bichat, du professeur Alain-Jacques Valleron, épidémiologiste à l'hôpital Saint-Antoine et du professeur Dominique Meyniel, chef du service des urgences médicales de l'hôpital Tenon, avait rempli sa tâche dans des délais très courts, ajoutant que sa création avait été décidée par lettre du ministre de la santé en date du 20 août 2003 et que ses conclusions avaient été rendues publiques au début du mois de septembre.

Elle a indiqué que ce rapport de synthèse devrait permettre au ministre de la santé de disposer des principales données sur la réponse du système de santé français à la canicule, en vue d'informer le Parlement et constituait un préliminaire aux travaux d'enquête ultérieurs. Précisant que la mission avait en conséquence procédé à l'audition des principaux acteurs impliqués dans les différentes étapes de la crise et que certaines polémiques sur le rapport final avaient pu résulter de ce choix de méthode, elle a souligné que les problèmes de l'alerte et de l'anticipation des services concernés, de l'organisation des soins et de la prise en charge sanitaire des personnes âgées avaient fait l'objet d'un examen tout particulier.

Elle a noté que l'établissement d'une chronologie de la crise et des réponses des administrations avait permis de conclure à une impossibilité, pour les services compétents, de déceler l'ampleur du phénomène caniculaire jusqu'au 6 août 2003. Elle a ajouté qu'en dépit de multiples indices concordants « sur le terrain » après cette date, la réaction des différents échelons administratifs impliqués avait été tardive et décalée. Notant qu'une littérature scientifique de qualité sur les vagues de chaleur existait dans les revues spécialisées de nombreux pays, en particulier aux Etats-Unis, en Espagne ou en Italie, elle a regretté les retards français en la matière ainsi que l'absence d'étude par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) sur les expériences étrangères de Chicago, Saint-Louis, New-York, Toronto, Athènes ou Londres.

Evoquant la surmortalité constatée à partir d'une température relativement modérée lors de la vague de chaleur de Londres et les 700 morts constatés à Chicago en 1995, Mme Françoise Lalande a rappelé que les conséquences sanitaires de la canicule étaient variables selon les pays. Elle a ensuite précisé que la conception des grands ensembles urbains, la solitude et l'isolement social, la consommation de médicaments tels que les diurétiques ou les neuroleptiques ainsi que certaines pathologies, à l'exemple des troubles neurologiques ou des insuffisances cardiaques et rénales, constituaient des facteurs de risque pour la population lors de fortes chaleurs. Elle a souligné, à l'inverse, la protection apportée pour les personnes dépendantes par la climatisation des locaux en période de canicule et s'est interrogée sur les réticences de notre pays à l'égard de son développement.

Elle a évoqué l'expérience des spécialistes du Center for disease Control and Prevention (CDC) d'Atlanta en matière d'alerte sanitaire, en indiquant que des programmes spécifiques élaborés avec les entreprises privées permettaient le repérage des personnes isolées, l'amélioration de l'habitat, la généralisation de l'accès à la climatisation au moins une fois par jour, l'ajustement des traitements médicaux en fonction des besoins ainsi que l'hydratation des personnes fragiles lors des épisodes caniculaires. Elle a déploré l'absence de diffusion de ces bonnes pratiques en France, à l'exception des dispositions prises à l'initiative du professeur San Marco, qui ont permis de limiter la surmortalité dans l'agglomération marseillaise, malgré des températures élevées et un niveau de pollution très important.

Evoquant l'exemple de Montpellier, Mme Françoise Lalande a toutefois remarqué que certaines villes, où aucun programme spécifique n'avait été mis en oeuvre, mais où la population avait une connaissance certaine des pratiques efficaces pour supporter les effets de la chaleur, n'avaient pas été touchées par un phénomène de surmortalité.

Elle a constaté que les systèmes d'alerte et les institutions qui auraient dû prévoir le déclenchement de la canicule, à l'exemple de l'institut national de veille sanitaire (INVS), avaient été défaillants. Elle a ajouté que l'organisation de l'institut lui avait permis dans le passé de se montrer très efficace dans la détection des maladies infectieuses mais qu'il avait échoué dans ses missions d'alerte, de veille et d'information, l'été dernier, réagissant seulement aux demandes des différentes administrations concernées. Elle a également noté que le dispositif de garde avait été défectueux en particulier lors du week-end des 9 et 10 août 2003. Elle a souligné l'urgence de créer au sein de l'institut un véritable système de veille quotidienne à partir des statistiques des services des urgences médicales des hôpitaux et des certificats de décès, ainsi qu'une cellule de prospective susceptible de tirer les leçons des expériences étrangères.

Elle a ensuite insisté sur le caractère trop tardif de l'alerte donnée par les urgences médicales des hôpitaux et par la brigade des sapeurs-pompiers de Paris en précisant que ces services n'avaient pas été en mesure d'évaluer l'étendue de la situation et qu'ils s'étaient efforcés avant toute chose de remplir, coûte que coûte, leur mission de sauvetage et d'assistance, conformément à leur vocation, avec les moyens dont ils disposaient, sans requérir d'assistance extérieure.

Mme Françoise Lalande a indiqué que l'absence de coopération entre les ministères compétents et le cloisonnement des administrations sanitaires avaient aggravé les dysfonctionnements du système de santé, estimant par ailleurs que le cabinet du ministre de la santé n'était pas la structure adéquate pour assurer la coordination permanente des acteurs concernés. Elle a observé que les hôpitaux, les funérariums et les maisons de retraite avaient dû trouver des solutions dans l'urgence pour limiter les conséquences sanitaires de la canicule. Elle a rappelé que la mortalité avait été forte dans certains établissements accueillant des personnes âgées en situation de grande dépendance, touchés par des problèmes de personnels et de locaux, mais que d'autres institutions, à l'exemple de la maison de retraite Oasis à Paris, avaient su anticiper la crise en procédant à des traitements contre la déshydratation par perfusions massives de leurs pensionnaires dès le mois de juin.

Elle a ajouté que la canicule avait provoqué des situations de crise dans les hôpitaux des régions Centre et Ile-de-France qui ne disposaient pas des personnels médicaux et para-médicaux nécessaires en raison des congés, de la diminution du temps médical disponible, liée à l'application de la réduction du temps de travail, d'une démographie médicale préoccupante ainsi que des difficultés récurrentes dans la répartition géographique et professionnelle des infirmières. Elle a ajouté que le départ en vacances de nombreux médecins libéraux avait favorisé un afflux massif de personnes âgées vers les services d'urgence, de réanimation et d'anesthésie fragilisés par des fermetures de lits mais elle a reconnu que la mise en place du « plan blanc » avait permis un redéploiement efficace des personnels.

Mme Valérie Létard, rapporteur, s'est demandée si certains éléments portés à la connaissance de la mission d'expertise et d'évaluation, mais non incorporés dans son rapport, pouvaient éclairer les réflexions du Sénat. Elle s'est interrogée sur les critiques émises par le rapport à l'encontre du contenu du communiqué de presse envoyé par la direction générale de la santé (DGS) le 8 août, sur les moyens d'améliorer la diffusion dans les médias de tels communiqués et sur l'efficacité de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) pendant la crise. Elle s'est demandé si les liens entre les directions du ministère de la santé et l'Institut de veille sanitaire étaient suffisants, si la création d'une structure opérationnelle placée auprès du Premier ministre n'était pas nécessaire et si la prévention et l'information sur les bonnes pratiques ne pouvait pas être facilitée à travers l'action des « réseaux villes-hôpitaux » et des centres locaux d'information et de coordination gérontologique (CLIC). Elle a ajouté que les annonces récentes du Gouvernement relatives à la mise en place d'un plan spécifique en faveur des personnes dépendantes semblaient tenir compte des enseignements du rapport.

Mme Françoise Lalande a indiqué que la faiblesse de la communication entre le ministère de la santé et le ministère de l'intérieur, ainsi que le manque de temps laissé à la mission pour rendre son rapport, n'avaient pas permis d'analyser les circonstances de décès lors de la période de canicule, alors que l'augmentation soudaine des demandes de certificats de décès, l'engorgement des chambres mortuaires, la réquisition de personnels et de locaux en urgence ainsi que l'instauration de délais supplémentaires pour les inhumations avaient mis en évidence un problème majeur.

Concernant le communiqué de presse précité de la direction générale de la santé, Mme Françoise Lalande a souligné qu'il aurait dû préciser les consignes minimales de santé publique, en particulier en matière d'hydratation des personnes, d'accès à la climatisation, d'évolution des traitements médicaux et inciter les familles à être attentives aux besoins de leurs personnes âgées comme elles ont su le faire à l'égard des très jeunes enfants.

Elle a constaté que l'action de la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) avait été relativement satisfaisante et que la forte mobilisation de l'assistance publique hôpitaux de Paris (AP-HP) avait contribué à limiter l'impact sanitaire de la vague de chaleur. Elle a noté que la faible communication entre l'Institut national de veille sanitaire et les directions du ministère de la santé, ainsi que la restructuration permanente de la direction générale de la santé, n'avaient pas facilité la réactivité du système de santé. Elle a rappelé que le Premier ministre et les ministres avaient plus vocation à faire face à une crise sanitaire majeure qu'une structure interministérielle spécifique sans autorité.

Elle a souligné le rôle essentiel des maires dans l'anticipation des crises et l'information des populations ainsi que l'intérêt de la coopération croissante entre Météo-France et les administrations sanitaires en matière d'alerte comme en témoignait la diffusion de cartes de vigilance en cas d'intempérie. Elle a ajouté que le réseau des centres locaux d'information et de coordination gérontologiques devait être encore développé.

Mme Gisèle Gautier a souligné la responsabilité de l'ensemble des institutions et des individus s'agissant des carences constatées dans la réponse apportée l'été dernier au phénomène caniculaire et la nécessité de tirer les enseignements de la crise, insistant sur la nécessité de diffuser les bonnes pratiques. Elle s'est interrogée sur l'ampleur réelle de la surmortalité due à la canicule au regard des taux de mortalité éventuellement relevés en septembre et en octobre ainsi que sur les raisons d'une mortalité plus faible en Belgique et au Royaume-Uni pendant la période estivale.

M. François Fortassin et Mme Evelyne Didier ont estimé que la mission d'information, sans procéder à une « chasse aux sorcières », devrait établir les responsabilités de chacun dans les dysfonctionnements constatés dans la gestion des conséquences de la canicule.

M. François Fortassin a souligné que le nombre de décès attribués à la canicule était exceptionnel et qu'il justifiait une analyse attentive des réponses apportées à la crise. Il a ajouté que le département des Hautes-Pyrénées avait su anticiper le déclenchement de la vague de chaleur en diffusant des informations simples concernant les gestes essentiels pour lutter contre les effets des fortes températures et qu'il avait aussi bénéficié d'une réelle solidarité intergénérationnelle qui avait dû certainement faire défaut dans les grandes villes. Il a enfin stigmatisé les défaillances de l'Institut national de veille sanitaire.

Mme Sylvie Desmarescaux s'est interrogée sur les raisons pour lesquelles certaines maisons de retraite parisiennes, à l'inverse d'autres, avaient pu mettre en place un dispositif efficace.

Mme Françoise Lalande a indiqué que « l'effet de moisson » connu des spécialistes, selon lequel une crise sanitaire de grande ampleur accélère la mortalité d'individus fragiles, n'avait pas été identifié pour le moment, ajoutant que le décès de nombreuses personnes âgées bien portantes avait été constaté pendant les quinze premiers jours du mois d'août. Elle a rappelé que la surmortalité de l'été dernier avait été provoquée par une vague de chaleur sans précédent depuis le début des mesures météorologiques en France, en 1873. Elle a ajouté que l'insuffisance des dispositifs de garde de certaines institutions sanitaires en raison des départs en vacances, constatée par une étude de la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), et la surconsommation médicamenteuse de certaines personnes âgées avaient certainement accru le risque pour ces dernières. Elle a noté que la solidarité intergénérationnelle dans les familles était réelle, mais qu'elle n'avait pas été assez sollicitée l'été dernier et que la capacité d'anticipation de la maison de retraite Oasis avait été facilitée par l'expérience individuelle passée des médecins de l'établissement.

M. Jacques Pelletier, président, a enfin souligné les graves carences dans l'organisation du système de garde de l'Institut national de veille sanitaire.

Audition de M. Marcel Deneux, sénateur, auteur du rapport « Les changements climatiques à l'horizon 2025, 2050, 2100 » de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

La commission a enfin procédé à l'audition de M. Marcel Deneux, sénateur, auteur du rapport « Les changements climatiques à l'horizon 2025, 2050, 2100 » de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

M. Jacques Pelletier, président
, l'a invité à exposer et éventuellement à actualiser le contenu de son rapport, qu'il a qualifié de prémonitoire.

M. Marcel Deneux a tout d'abord expliqué les conditions dans lesquelles avait été élaboré le rapport. Il a rappelé que le Président Poncelet avait à l'origine saisi l'OPECST à la demande de M. Jacques Oudin, sénateur, pour rédiger un rapport sur l'eau. Ayant accepté d'être nommé rapporteur, il a indiqué qu'il s'était rendu compte au cours de l'étude de faisabilité que le sujet méritait d'être étendu et qu'il avait alors déposé une demande d'autosaisine élargie auprès de l'Office, peu avant que les présidents respectifs de l'Assemblée nationale et du Sénat de l'époque ne déposent à leur tour une demande de saisine en ce sens.

Il a précisé que l'OPECST s'était entouré d'un conseil scientifique de haut niveau dès le début des travaux, afin d'analyser avec un maximum d'objectivité les évolutions climatiques. Il a observé que l'extrême prudence des scientifiques sur le sujet n'avait pas empêché le déclenchement à l'époque de polémiques dans l'opinion publique comme chez les décideurs politiques. Il a toutefois précisé que la publication en 2001 d'un rapport du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution des climats (GIEC) avait largement confirmé les analyses du conseil scientifique. Il a ajouté que les systèmes de modélisation scientifique utilisés pour l'étude des climats avaient significativement gagné en fiabilité ces dernières années en effectuant des carottages dans les glaces des lacs jurassiques ou du Groenland.

Il a exposé ensuite les principaux constats du rapport, indiquant que l'on se trouvait actuellement en fin de période glaciaire, que la température était susceptible d'augmenter de 1,5 à 4° d'ici la fin du siècle et que les océans, qui représentent 72% de la surface terrestre et jouent le rôle de régulateurs de l'atmosphère, se « dilateraient » et risqueraient de submerger certaines régions. Il a souligné que si une pollution à l'ozone existait parallèlement à celle à l'oxyde de carbone, la première était relativement circonscrite et n'avait pas d'influence directe sur l'effet de serre. Remarquant que sur les 12 gaz à effet de serre identifiés, seuls 6 avaient été intégrés dans le protocole de Kyoto à la convention cadre des Nations-Unies sur les conditions climatiques, il a estimé que la résorption des gaz actuellement émis n'aurait lieu que d'ici 70 à 80 ans et qu'il serait donc difficile de satisfaire aux engagements dudit protocole, c'est à dire de revenir en 2010 à un niveau d'émission de gaz à effet de serre comparable à celui de 1990.

Relevant que les quatre pics de chaleur enregistrés au XXe siècle avaient été enregistrés en 1976 et durant les années 90, puis rappelant que l'année 2003 avait connu des records de chaleur historiques, il a souligné que l'action de l'homme sur l'environnement, par le rejet de gaz à effet de serre, était responsable d'un réchauffement à l'échelle planétaire dont les épisodes de canicule étaient les manifestations les plus visibles et dont on ne savait pas actuellement s'il s'arrêterait ni à quel moment.

Insistant sur un manque d'anticipation vis-à-vis de la canicule qu'il a estimé surprenant pour un pays développé, il a regretté que les acteurs concernés n'aient pas pris conscience du fait que le climat se déréglait en raison de l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Rappelant que 80% de la population habitait aujourd'hui dans des villes et n'avait plus de réelle connaissance des éléments naturels, il a déploré que l'opinion publique ne soit pas davantage sensibilisée à l'ensemble de ces phénomènes. Il s'est interrogé à cet égard sur l'usage qui était fait des 18 000 CD-rom accompagnant son rapport, dont 4 600 exemplaires ont été envoyés dans des lycées : en effet, ceux-ci semblent sous-utilisés alors qu'ils sont agréés pour les travaux personnels encadrés (TPE) des classes de première et de terminale.

Estimant qu'il revenait aux décideurs politiques et économiques de prendre eux-mêmes conscience et de faire prendre conscience des enjeux en matière d'évolution climatique, il a regretté que les responsables politiques soient plus enclins à agir en direction des industriels qu'en direction des particuliers, alors que les comportements individuels concernant le transport, notamment, avaient une incidence significative sur les concentrations de gaz à effet de serre. Expliquant à cet égard que les constructeurs automobiles français avaient les capacités techniques de produire des véhicules plus légers et économes en carburant, il a déploré que les consommateurs ne soient pas plus réceptifs à ce type de progrès.

Convenant que les décideurs économiques prenaient peu à peu conscience des enjeux environnementaux, comme en témoignait par exemple l'organisation par le MEDEF en juillet 2002 de journées d'étude consacrées à l'environnement, il a jugé nécessaire de discuter du modèle de développement économique et du type d'énergie à retenir pour les années à venir. Soulignant que les ressources en pétrole montreraient bientôt leurs limites, il a appelé à un travail à long terme sur les différents types d'énergie, regrettant que le rapport d'orientation sur l'énergie de la ministre déléguée à l'industrie, Mme Nicole Fontaine, ne développe pas davantage ce sujet.

Il a ensuite détaillé certaines des mesures préconisées dans son rapport pour limiter les changements climatiques : renforcement de la veille sanitaire, recherche d'éléments de comparaison avec les départements d'outre-mer, multiplication des indicateurs prenant en compte la vie quotidienne de la population, diffusion de mesures hygrométriques, rédaction de bulletins d'information médico-météorologiques, prise en compte d'aspects de sécurité civile en relation avec les évolutions météorologiques, intégration d'éléments bioclimatiques dans la conception ou la rénovation des bâtiments (formation des architectes, choix de couleur n'absorbant pas la chaleur, pose de volets, renforcement de l'isolation, mise en place de systèmes de rafraîchissement, plantation d'arbres autour des maisons ...).

Evoquant les préconisations qui avaient fait l'objet de mises en application, il a regretté que le dispositif consistant à colorer les cartes météorologiques en fonction du degré d'alerte prévisible ne soit par davantage connu de la population. Il a par ailleurs déploré qu'une circulaire ait prévu l'envoi de bulletins régionaux d'alerte météorologique (BRAM) aux centres interrégionaux de coordination des opérations de sécurité civile (CIRCOSC) dépendant des zones de défense, alors que certains de ces centres n'avaient pas été créés, ajoutant qu'il était prévu dans ce cas que ces bulletins soient communiqués aux services départementaux d'incendie et de secours (SDIS), alors que certains d'entre n'en étaient pas informés.

Affirmant pour conclure que les répercussions sanitaires de la canicule pouvaient être évitées à condition de s'en donner les moyens, il a appelé à renforcer les mesures en faveur de la recherche, notamment en augmentant les crédits y étant consacrés et en incitant les épidémiologistes à s'intéresser aux problèmes climatiques. Il a également évoqué un programme d'étude sur les océans actuellement en cours afin de mieux connaître l'évolution des courants marins, dont il est acquis qu'ils ont des effets sur le climat.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, a souligné le bien fondé des propos de l'intervenant, considérant qu'ils ne pouvaient qu'inciter les élus à agir. Il a estimé que le rapport de l'OPECST sur les changements climatiques constituait une véritable « bible » regroupant l'ensemble des connaissances et réflexions sur le sujet. Il a insisté sur la qualité des modèles scientifiques servant de base aux prévisions climatiques, rappelant qu'ils avaient notamment prévu les tempêtes de 1999.

Mme Gisèle Gautier, relayée par M. Jacques Pelletier, président, s'est étonnée à titre d'anecdote significative que les bureaux des sénateurs ne soient pas climatisés.

Mme Evelyne Didier a noté que la forte participation des sénatrices aux travaux de la mission témoignait de leur intérêt pour les questions liées à l'environnement.

En réponse à M. Jacques Pelletier, président, qui le questionnait sur les effets néfastes éventuels de la climatisation et sur l'opportunité de réserver dans chaque hôpital ou maison de retraite une pièce en bénéficiant, M. Marcel Deneux a observé que l'Académie de médecine était effectivement réservée sur les effets de la climatisation, tout en reconnaissant que l'idée d'en faire bénéficier certaines salles dans les bâtiments collectifs était opportune.

Enfin, Mme Desmarescaux a déclaré avoir reçu dans son département, durant la canicule, des bulletins d'alerte météo provenant de la préfecture.