MISSION COMMUNE D'INFORMATION  "LA FRANCE ET LES FRANÇAIS FACE A LA CANICULE


Table des matières




Mercredi 10 décembre 2003

- Présidence de M. Jacques Pelletier, président.

Audition de M. Lucien Abenhaïm, ancien directeur général de la santé

La mission a d'abord procédé à l'audition deM. Lucien Abenhaïm, ancien directeur général de la santé.

M. Jacques Pelletier, président, a indiqué en préambule que cette audition était importante pour la mission d'information, dont l'objectif n'était pas de conduire « une chasse aux sorcières », mais de comprendre les réactions de la société et des institutions face à la canicule pour améliorer les dispositifs existants, au cas où une telle situation se reproduirait. Il a ajouté que les auditions et les déplacements déjà organisés avaient mis à jour les difficultés des acteurs concernés à prévoir les effets de la vague de chaleur de l'été dernier.

Après avoir rappelé qu'il avait démissionné de son poste de directeur général de la santé le 18 août dernier, M. Lucien Abenhaïm a précisé qu'il avait tenté d'analyser la gestion des conséquences sanitaires de la canicule dans un ouvrage récent afin d'expliquer son rôle pendant la crise et de contribuer au débat actuel sur la politique de santé publique. Notant que la littérature scientifique avait étudié de manière approfondie les vagues de chaleur d'Athènes et de Chicago, il a souligné que la canicule d'août 2003 constituait un phénomène climatique exceptionnel et sans précédent, tant par sa durée que par son intensité.

Il a déploré l'utilisation abusive du terme de canicule dans la presse dès le mois de juin pour évoquer l'élévation des températures et a qualifié la vague de chaleur de l'été dernier de canicule épidémique. Après avoir rappelé que le nombre de morts liés à la vague de chaleur de 1976 n'avait été évoqué qu'avec les travaux de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) publiés le 25 septembre dernier, il a constaté que tous les acteurs concernés avaient été surpris par l'ampleur de la canicule du mois d'août 2003.

Notant qu'aucun élément d'alerte n'avait été adressé à la direction générale de la santé (DGS) lors de la première semaine d'août, et que l'ingénieur météorologiste qui avait affirmé le contraire devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale avait rectifié ultérieurement ses propos, il a indiqué que le cabinet du ministre de la santé, Météo France et la direction générale de la santé avaient tardé à prendre la mesure et à comprendre un phénomène caniculaire inédit du 6 au 8 août.

Il a ajouté que les contacts pris par la DGS le 8 août avec les responsables du service d'aide médicale d'urgence (SAMU) de Paris, de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) n'avaient pas permis de détecter un nombre de décès en excès. Il a indiqué que les divers acteurs avaient d'abord cru faire face à l'augmentation d'une mortalité traditionnelle des personnes âgées en période estivale et que la prise en compte de l'encombrement des urgences médicales avait masqué la gravité de la catastrophe. Il a fait observer que l'Institut de veille sanitaire (InVS) n'avait donné aucune information permettant de déceler une situation anormale du 8 au 13 août, ajoutant que la prise de conscience de la catastrophe avait eu lieu le 13 août au vu des statistiques partielles des Pompes funèbres générales (PFG) sur les décès des premiers jours d'août, qui dépassaient largement les estimations. Il a rappelé qu'il avait annoncé à la télévision le jour même un nombre de 3.000 décès en excès liés à la canicule.

Il a ensuite insisté sur le caractère exceptionnel de la corrélation entre l'évolution de la température et celle de la surmortalité, constatée en particulier en Ile-de-France et en Picardie. Après avoir souligné que la stabilité de la température corporelle autour de 37°C était vitale et qu'une faible variation de cette température était suffisante pour mettre la vie en danger, M. Lucien Abenhaïm a précisé que la durée de la vague de chaleur, et particulièrement la persistance de températures nocturnes de l'ordre de 25°C pendant quelques jours, avaient empêché la récupération des organismes.

Il a noté que la durée et l'intensité de la canicule en France, exceptionnelles au regard de celles constatées dans le reste de l'Europe, avaient constitué le principal facteur de décès. Il a souligné l'efficacité de la climatisation des locaux pour limiter les conséquences sanitaires de la chaleur, ajoutant que le risque de mortalité était cinquante fois moindre dans les maisons de retraite ou les hôpitaux équipés que dans les établissements dépourvus de tout système de climatisation.

Rappelant que la mission d'information s'était rendue au siège de Météo France à Toulouse, et que les communiqués de presse de cette institution en date des 1er et 7 août semblaient avoir été peu pris en compte par les services compétents, M. Jacques Pelletier, président, s'est interrogé sur la forme et le choix des destinataires de ces documents afin d'en permettre la diffusion à l'ensemble des acteurs concernés et de faciliter l'alerte.

Tout en rejoignant les propos du président, M. Lucien Abenhaïm a constaté l'insuffisance, en termes d'alerte, du bulletin de Météo France du 7 août et du communiqué de la DGS diffusé le lendemain à la presse.

Rappelant cependant l'existence d'une réflexion préalable sur les risques sanitaires liés aux phénomènes climatiques, avec les travaux de la commission santé biométéorologie du conseil supérieur de la météorologie qui avait organisé un colloque en mars 2002 au cours duquel M. Jean-Pierre Besancenot avait présenté les caractéristiques de la surmortalité liée aux précédentes vagues de chaleur, il a souligné qu'aucun expert n'avait contacté la DGS lors de la première semaine d'août pour signaler l'imminence d'une canicule exceptionnelle. Il a également observé que la consultation d'une centaine de scientifiques en 2002 et 2003 afin de dégager les cent objectifs prioritaires de la politique de santé publique, destinés à devenir la base de plans de prévention et d'intervention, n'avait pas retenu la prévention des risques liés à une canicule.

Il a rappelé que, selon l'étude de l'INSERM du 25 septembre dernier, 400 décès en excès liés à la canicule avaient été constatés pour la journée du 4 août et que 80 % des décès supplémentaires constatés à Paris avaient eu lieu à partir du 11 août. Comparant la canicule de l'été 2003 à une tornade, M. Lucien Abenhaïm a insisté sur l'impossibilité de prévoir une telle catastrophe. Ayant rappelé que les études comparatives sur les vagues de chaleur devaient prendre en considération les températures diurnes et nocturnes ainsi que la différence de celles-ci avec la moyenne constatée les années précédentes sur un lieu donné, il a indiqué que l'Italie du nord avait connu la même hausse brutale des températures que la région lyonnaise et une augmentation similaire de la mortalité de 108 %.

M. Lucien Abenhaïm a précisé que le communiqué de presse de la DGS du 8 août rappelant les bonnes pratiques en faveur des personnes âgées, avait été diffusé aux directions départementales de l'action sanitaire et sociale (DDASS), dont la mobilisation rapide avait permis de limiter les conséquences sanitaires de la canicule. Il a souligné que ces mesures d'alerte utiles n'étaient pas suffisantes pour lutter avec efficacité contre la surmortalité liée à cette canicule, ajoutant que les températures élevées avaient contribué à une augmentation importante des décès à l'hôpital et dans les maisons de retraite et que la climatisation des locaux devait être développée.

M. Jacques Pelletier, président, s'est interrogé sur la possibilité technique d'installer la climatisation dans l'ensemble des locaux des hôpitaux et des maisons de retraite dans les cinq années à venir, précisant que l'existence d'une pièce climatisée spécifique dans chaque établissement pourrait permettre de rafraîchir les personnes fragiles.

Tout en rejoignant ces propos, M. Lucien Abenhaïm a fait observer que les températures élevées et la durée de la canicule de l'été dernier avaient provoqué une surmortalité de 15.000 décès, mais que six millions de personnes pouvaient être considérées comme dépendantes. Il a précisé qu'un million d'individus, âgés de plus de 80 ans ou souffrant de cancers, de maladies cardiaques et respiratoires, pouvaient être qualifiés de très fragiles et qu'il convenait de les identifier rapidement pour les protéger en cas de crise, ajoutant que le développement de la climatisation pouvait être favorisé par son coût peu élevé et par d'éventuelles incitations fiscales.

Mme Françoise Henneron a noté que les nouveaux nés et les enfants en bas âge étaient également vulnérables lors d'une vague de chaleur et que la climatisation n'était pas autorisée dans certains services hospitaliers. Elle a constaté que dans son département, la vague de froid actuelle avait incité les services préfectoraux à multiplier les alertes, risquant de provoquer un sentiment d'inquiétude dans la population.

M. Lucien Abenhaïm a précisé que le rapport d'étape de l'INSERM n'avait pas constaté une surmortalité liée à la canicule parmi les nourrissons, ajoutant que leurs mères avaient parfaitement suivi les conseils élémentaires de prudence. Après avoir noté que la crainte de la légionellose avait pu entraver le développement de la climatisation, il a précisé que le risque de diffusion des légionelles était sérieusement pris en compte, mais qu'il était limité et concernait surtout les systèmes de climatisation collectifs des tours aéroréfrigérantes de conception ancienne.

Constatant que l'alerte sanitaire permanente tendait à devenir la règle, il a souligné que les acteurs de l'urgence n'avaient pu saisir immédiatement la gravité de la catastrophe lors de la première semaine d'août, rappelant que le nombre d'interventions du SAMU de Seine-Saint-Denis du 8 août était équivalent à ceux des 8 et 24 juin ou du 15 juillet. A titre d'anecdote, il a précisé que le SAMU de Paris avait indiqué à la DGS qu'il maîtrisait la situation le 8 août au matin et que le docteur Carli, son principal responsable, n'avait pris conscience de l'importance de l'épidémie que le soir même. Il a ajouté que la France manquait des moyens nécessaires pour élaborer une politique de prévention des risques efficace.

Après avoir insisté sur la nécessité de tirer pour l'avenir les leçons de la canicule estivale, Mme Gisèle Gautier a constaté que les premières auditions de la mission d'information semblaient révéler un « cloisonnement » excessif des administrations sanitaires. Rejoignant les propos de l'intervenant sur la protection offerte par la climatisation, elle a noté que l'installation d'équipements idoines pouvait se heurter, notamment en région parisienne, aux règles d'urbanisme en vigueur et a souligné l'urgence de la mise en place d'un système de veille et d'alerte sanitaires efficace.

M. Jacques Pelletier, président, a fait observer que la coordination des services compétents pour faire face à la canicule semblait avoir été tardive.

Soulignant le bilan positif de l'action des acteurs concernés au cours de l'été, M. Lucien Abenhaïm a indiqué que les relations entre la DGS et l'Institut de veille sanitaire avaient été permanentes, matérialisées par des réunions fréquentes et des messages électroniques ou avaient suscité le lancement d'études. Il a noté que la collaboration avec la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) avait pâti d'une erreur commune d'appréciation sur la gravité de la situation, et qu'il y avait eu des carences dans la coordination interministérielle au début de la crise. Il a insisté, à cet égard, sur les difficultés rencontrées par la DGS pour obtenir les statistiques relatives aux interventions quotidiennes de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris.

Il a rappelé que les services d'urgences hospitalières avaient été les premiers à détecter l'ampleur de la surmortalité, mais que ces difficultés, signalées par un appel téléphonique du docteur Patrick Pelloux à la DHOS en date du 7 août avaient d'abord été considérées comme des problèmes structurels d'organisation des soins en période de fermeture de lits. Il a rappelé que la DGS n'avait pas été informée de ces contacts ni de la mise en place d'un plan « chaleurs extrêmes » par l'AP-HP.

M. Alain Gournac a déploré la multiplication des messages d'alerte depuis la canicule et a remarqué qu'il ne semblait pas y avoir de liens dans son département entre l'importance des personnels présents dans les établissements spécialisés et le nombre de morts constatés. Indiquant que des conseils élémentaires de prévention des risques liés à la chaleur avaient été diffusés dans sa commune, à sa seule initiative, il a déploré l'absence de communication par les autorités sanitaires sur les bonnes pratiques et la limitation de certaines prescriptions médicales incompatibles avec la chaleur.

Notant que les propos tenus par l'ancien directeur général de la santé semblaient révéler une grande fragilité de la société française, M. Serge Lepeltier, rapporteur, s'est interrogé sur le bien-fondé des accusations portées contre les médecins libéraux et sur la coordination entre la médecine de ville et la médecine hospitalière pour répondre à la crise. Rappelant que son quotidien régional avait, dès le 7 août, annoncé huit décès liés à la canicule, il a estimé que l'erreur d'appréciation des administrations sanitaires, évoquée par le professeur Abenhaïm, s'était accompagnée d'erreurs de communication auprès de la population. Il a souligné qu'une analyse attentive des données constatées au plan local aurait permis de comprendre plus rapidement l'ampleur de la catastrophe et que ces difficultés trahissaient probablement certains travers de la culture administrative française.

M. Lucien Abenhaïm a constaté en effet que la prise de médicaments psychotropes et hypertenseurs constituait un facteur de risque important en cas de chaleur. Il a noté que les médecins libéraux s'étaient mobilisés pour faire face aux conséquences sanitaires de la canicule, mais que de nombreuses personnes étaient mortes sans appeler au secours. Il a déploré l'absence de données fiables venant confirmer éventuellement le rôle de la consommation de médicaments dans la surmortalité ainsi que la mise en cause trop rapide des médecins libéraux.

Rappelant, à titre d'exemple, que l'examen des causes de suicide et l'élaboration de réponses pratiques adaptées avait permis de diminuer sensiblement le nombre de suicides au Royaume-Uni, il a insisté sur la nécessité de connaître avec précision les circonstances du décès des victimes de la canicule afin d'élaborer une politique de prévention pragmatique et efficace, estimant sur un plan général que la société française était vulnérable face aux nouveaux risques sanitaires. Evoquant les multiples informations recueillies par le docteur Yves Coquin pour la DGS auprès des acteurs concernés lors de la vague de chaleur, il a constaté que la veille sanitaire n'avait pas été satisfaisante.

Après avoir rappelé que l'Institut de veille sanitaire avait été créé en 1998 alors que le Center for Disease Control and Prevention (CDC) d'Atlanta était en place depuis 1951 et que l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE) était dotée de 25 personnes contre plus de 2 000 pour son équivalent américain, il a souligné l'urgence d'un renforcement de la politique de sécurité sanitaire et des moyens qui y sont consacrés.

En réponse à M. Jacques Pelletier, président, qui l'interrogeait sur les propos tenus par M. Patrick Pelloux devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, M. Lucien Abenhaïm a indiqué que ce dernier n'avait jamais appelé la DGS pendant la crise, que ses appels quotidiens à la DHOS à partir du 28 juillet ne signalaient que des difficultés structurelles d'organisation des soins et que certaines des déclarations du médecin urgentiste constituaient des « contre-vérités ».

Audition de Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale au ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action sociale.

Avant de l'inviter à exposer comment la direction générale de l'action sociale (DGAS) avait fait face à la canicule, M. Jacques Pelletier, président, a rappelé que M. Jean-Jacques Trégoat n'avait pris ses fonctions qu'au début du mois de juillet et qu'il était resté à son poste pendant toute la durée de la crise.

M. Jean-Jacques Trégoat a tout d'abord déclaré qu'il avait été profondément affecté par les conséquences dramatiques de la crise sanitaire de cet été. Après avoir confirmé qu'il n'avait pris ses fonctions que le 10 juillet 2003, il a souligné que, jusqu' au dimanche 10 août, aucune information n'avait laissé supposer que notre pays traversait une crise sanitaire de grande ampleur. Il a précisé que la première information reçue par ses services avait été un message transmis dans l'après midi du 10 août, par une maison de retraite de Suresnes, suite à plusieurs décès intervenus parmi les résidants, et faisant état d'un manque de place en chambre funéraire. Il a indiqué que la permanence de sa direction, qui avait été également contactée le même jour par un journaliste du « Parisien» signalant un afflux de personnes âgées dans les services d'urgence des hôpitaux franciliens, avait alors immédiatement pris contact avec le cabinet du secrétaire d'État aux personnes âgées.

Soulignant que, dès le lundi 11 août, une réunion de travail s'était tenue avec le cabinet, il a précisé qu'une première circulaire avait été adressée le jour même aux services déconcentrés, tandis qu'un communiqué de presse était publié le lendemain, suivi d'une nouvelle circulaire adressée aux directions départementales des affaires sanitaires sociales (DDASS) le 14 août. Il a également insisté sur les recommandations visant à prévenir la déshydratation et l'isolement des personnes âgées, qui avaient été diffusées avant la crise, avec les circulaires des 12 juillet 2002 et 27 mai 2003, tout en notant que les conseils pratiques et de bon sens qu'elles contenaient avaient trop souvent été jugés inutiles dans les établissements d'hébergement.

M. Jean-Jacques Trégoat a estimé que, dès que la nature de la crise sanitaire a été perçue, les DDASS ont fait preuve d'une grande réactivité, tandis que les centres locaux d'information et de coordination (CLIC) apparaissaient comme des structures particulièrement utiles. Il a précisé qu'une première étude réalisée auprès des foyers logement et des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EPHAD) avait mis en évidence une forte surmortalité, alors évaluée à 43 %, accompagnée de grandes disparités entre les régions et même à l'intérieur de celles-ci. Rappelant que la réunion du 19 août 2003 avait rassemblé, outre les représentants du cabinet du secrétaire d'État et de la DGAS, un nombre important de professionnels des établissements d'hébergement et de l'aide à domicile, il a souligné que les participants s'étaient accordés sur deux points : une forte mobilisation de chacun des acteurs, mais une mauvaise perception de l'évolution du nombre des décès en temps réel.

Il a noté que les mesures destinées à favoriser le retour, à leur domicile ou dans les EPHAD, des personnes hospitalisées en raison de la canicule avaient été prises très rapidement, en liaison avec la direction de l'hospitalisation et de l'offre de soins (DHOS) et qu'une enveloppe financière de 40 millions d'euros, dont 13 millions consacrés aux services d'aide à domicile et 27 millions aux EPHAD, avait été débloquée à cet effet.

M. Jean-Jacques Trégoat a ensuite rappelé qu'après la réunion du 28 août 2003 avec le Premier ministre, les ministères de la santé, des affaires sociales et de l'intérieur avaient constitué, le 2 septembre, six groupes de travail thématiques qui ont rendu leurs conclusions dès le 25 septembre. Il a observé que ce travail préparatoire avait largement inspiré les dispositions du plan « vieillissement et dépendance », présenté le 6 novembre par M. Jean-Pierre Raffarin.

Évoquant les conséquences qui doivent être tirées de la crise de la canicule, il a insisté, d'une part, sur la nécessité, pour la DGS, la DHOS et la DGAS de travailler en commun et, d'autre part, sur la nécessaire amélioration de la circulation et de la « remontée » des informations. Il a précisé que les trois directions avaient, d'ores et déjà, entrepris de renforcer les liens personnels et administratifs existants.

Il a déclaré qu'il avait demandé à se voir transmis directement un maximum de données et qu'il veillait lui-même à communiquer à ses collègues de la DGS ou de la DHOS les informations se situant à la marge de son propre champ de compétences. S'agissant de la problématique de la gestion et du traitement des informations, il a souligné que les services des DDASS étaient désormais particulièrement sensibilisés à l'impératif de faciliter et d'accélérer la remontée des informations. Il a estimé, toutefois, que ce problème était général et concernait tout autant les collectivités locales que les administrations centrales. Au-delà de l'enchevêtrement des compétences des différents acteurs, il a également mis l'accent sur le grand nombre des services de soins infirmiers à domicile (1.700) et des maisons de retraite (plus de 10.000), ainsi que sur la diversité des statuts juridiques de ces dernières. Il a jugé que ces caractéristiques étaient de nature à ralentir la circulation de l'information, mais que les moyens modernes de télécommunications devraient permettre d'améliorer la situation. S'agissant du recensement des personnes fragiles, il a souligné que les impératifs de la veille sanitaire devaient également prendre en compte le nécessaire respect de la liberté individuelle de ces personnes.

M. Jean-Jacques Trégoat a également fait observer qu'il n'avait reçu, pendant la crise de la canicule, aucune information émanant des DDASS, des maisons de retraite ou des structures d'aide à domicile, ces services n'ayant pas eu, sur le moment, le sentiment de traverser une crise sanitaire majeure.

Après avoir noté que M. Jean-Jacques Trégoat avait été, sans doute, l'un des rares responsables à ne pas être en congé lors de la crise de la canicule, M. Jacques Pelletier, président, s'est félicité des initiatives déjà prises pour renforcer la coordination entre les différentes administrations concernées. Revenant sur le faible impact des communiqués de presse du mois d'août, il s'est interrogé sur les méthodes à employer pour faire en sorte que ces informations soient largement reprises par la presse et portées à la connaissance du grand public.

M. Jean-Jacques Trégoat a reconnu que la démarche qui prévalait jusqu'alors, consistant à envoyer un communiqué à l'Agence France Presse, apparaissait insuffisante. Il a estimé qu'il convenait d'aller à la rencontre des médias et d'organiser notamment de véritables points de presse, tout en renforçant les liens avec Météo France, au-delà du seul dispositif du plan « grand froid ».

M. Jacques Pelletier, président, a demandé des précisions sur les obstacles juridiques susceptibles de s'opposer à un recensement de l'ensemble des personnes fragiles, qui peuvent, à l'avenir, être victimes d'une crise du type de celle de la canicule.

M. Jean-Jacques Trégoat a considéré qu'il s'agissait d'un problème difficile et que la rédaction du projet de loi relatif au dispositif de solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes dépendantes, actuellement en cours d'élaboration, devra tenir compte des travaux de la commission nationale informatique et libertés (CNIL). S'agissant des relais devant permettre d'identifier et d'atteindre les personnes âgées, il a cité les caisses d'allocations familiales, les centres communaux d'action sociale et les caisses primaires d'assurance maladie.

Mme Evelyne Didier a observé que l'organisation du système sanitaire et social français était très hiérarchisée et s'est demandée si les échelons intermédiaires faisaient « remonter » toutes les mauvaises nouvelles jusqu'au sommet de la pyramide administrative. Observant que les différents intervenants de la crise de la canicule avaient tous souligné les limites de leur champ de compétences, elle s'est demandée si les problèmes se situant aux frontières des zones d'intervention des uns et des autres pouvaient être traités efficacement. Elle a considéré qu'il convenait d'éviter de se trouver en situation d'être submergé par des informations écrites, alors même que les messages transmis verbalement aux personnes fragiles constituent le mode d'action le plus facilement utilisable et le plus efficace.

M. Alain Gournac a insisté sur la nécessité de ne pas limiter la réflexion engagée aux seules personnes âgées, mais de prendre en compte l'ensemble des personnes fragiles et, notamment, les handicapés. Il a jugé que la priorité devait être accordée aux conseils pratiques, sans pour autant s'exposer au risque de « surmédiatisation ». S'agissant du débat entre le besoin de recenser les personnes fragiles et le respect des libertés individuelles, il a considéré que l'impératif de sauver les personnes en danger devait primer.

Mme Françoise Henneron a déclaré partager cette opinion. Elle a, par ailleurs, précisé qu'il convenait, notamment en milieu rural, d'utiliser les centres communaux d'action sociale, ainsi que les bulletins municipaux, comme autant de relais efficaces pour toucher les personnes âgées.

S'agissant de la nécessité d'améliorer la circulation de l'information dans l'appareil administratif, M. Serge Lepeltier, rapporteur, a estimé qu'il convenait, non pas d'attendre passivement que des données soient transmises, mais, à l'inverse, de rechercher ces informations, au besoin en adoptant une démarche intuitive. Il a également mis en garde contre le risque, pour les décideurs, de « crouler sous les statistiques », en estimant qu'un fonctionnement en réseau devrait permettre d'éviter ce risque de « suradministration ».

Répondant à ces interventions, M. Jean-Jacques Trégoat a rappelé qu'il n'avait reçu aucune information des échelons intermédiaires témoignant de l'émergence d'une crise de cette ampleur. Sur la question du croisement des champs de compétences des différentes administrations centrales, il a estimé que la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances permettra de favoriser le travail en commun. Il a également estimé que l'absence de culture d'évaluation dans le service public permettait difficilement d'apprécier l'efficacité du circuit de l'information.

M. Alain Gournac a rappelé sur ce point que la maîtrise de l'information impliquait non seulement de diffuser un message, mais également de s'assurer qu'il était bien reçu et bien compris.

M. Jean-Jacques Trégoat a également précisé qu'il convenait d'avoir une approche de l'action sociale dans le cadre d'un territoire bien défini et que l'analyse de la précarité en milieu rural n'était pas assez développée. Il a considéré qu'il ne fallait pas que les décideurs se trouvent submergés par un flux d'informations devenues inexploitables. Il a noté que les contacts avec les personnes âgées, handicapées ou fragiles devaient intervenir au niveau des structures de proximité, c'est-à-dire des communes, mais qu'il fallait également mieux utiliser deux relais fréquemment oubliés : les gardiens d'immeuble et, en zone rurale, les facteurs. Il a reconnu que la DGAS n'avait pas encore une culture de crise, qu'elle devait désormais acquérir, et a souligné qu'il avait mis en place une cellule de veille qui n'existait pas jusqu'alors.

Audition de M. Pierre-Olivier Drège, directeur général de l'office national des forêts (ONF)

La mission a ensuite entendu M. Pierre-Olivier Drège, directeur général de l'office national des forêts (ONF).

M. Pierre-Olivier Drège
a tout d'abord rappelé que la forêt française couvrait 28 % du territoire métropolitain et que cette forêt a été significativement affectée par les deux phénomènes de la canicule et de la sécheresse de l'été dernier.

Il a noté à cet égard que les forêts du sud de la France ont subi, au cours de l'été, de nombreux incendies, et que les dommages ainsi occasionnés ont été trois fois supérieurs à ceux des dernières années, avec 63.000 hectares touchés ; ces dommages sont toutefois très inférieurs à ceux enregistrés au Portugal (400.000 hectares) et au Canada (4 millions d'hectares). Il a indiqué que les 3.000 départs de feu avaient été maîtrisés, pour la plupart d'entre eux, dans les minutes ayant suivi l'alerte, par les équipes d'intervention rapide composées de pompiers et de forestiers.

Il a souligné que l'été dernier a été marqué par une sécheresse importante, bien que non exceptionnelle, en raison de la reconstitution des nappes et des réserves résultant de la pluviométrie abondante de l'hiver précédent, et par une canicule d'une intensité et d'une durée sans précédent.

Il a ensuite détaillé les conséquences de cette crise sur les massifs forestiers français : les arbres ont réagi normalement à cette situation, en s'y adaptant, même si des individus ont dépéri, sans que cela constitue pour autant une menace pour la forêt ; des difficultés plus importantes ont toutefois été enregistrées pour certaines essences peu adaptées : 40 % des plantations ont enregistré des dégâts contre 15 % des massifs à régénération naturelle, soit 1.200 hectares pour les forêts domaniales et 13.500 hectares pour les forêts à régénération naturelle, étant rappelé que la forêt française compte 13 millions d'hectares.

M. Pierre-Olivier Drège a considéré que les dégâts immédiats de la canicule ont donc été limités, mais que des initiatives publiques seront nécessaires pour encourager le renouvellement des plantations. Il n'a toutefois pas écarté le risque que des sujets affaiblis dégénèrent progressivement, cette interrogation ne pouvant être levée qu'au printemps prochain. Il a indiqué que, contrairement à l'Allemagne, la forêt française n'avait été que peu touchée par les attaques de scolytes, qui sont des insectes coléoptères se développant sous l'écorce des arbres, en y creusant de nombreuses galeries.

Il a ensuite évoqué les conséquences à plus long terme de la canicule, estimant probable la dégénérescence d'un nombre non négligeable d'arbres en 2004. A cet égard, si le dépérissement d'un certain nombre d'individus participe à un éclaircissement bienvenu des peuplements, il impose aussi une vente rapide du bois concerné. En outre, cet élément risque de peser sur les prix du marché du bois, qui commence à peine à sortir de la crise liée à la tempête de décembre 1999.

M. Pierre-Olivier Drège a ensuite évoqué l'évolution du climat qui est susceptible d'avoir des conséquences sur certains massifs forestiers, dont l'équilibre pourrait être menacé. Il a indiqué que, si la production de bois en volume était médiocre en 2003, le réchauffement climatique avait un impact positif pour les forêts. L'Inventaire forestier national a constaté à cet égard, depuis 10 ans, une augmentation de la production de bois par rapport à celle enregistrée il y a 25 ans. Il s'est toutefois inquiété des conséquences de la répétition éventuelle d'épisodes climatiques extrêmes et brutaux, qui pourraient affecter l'équilibre entre les essences, dans certaines zones géographiques.

Il a évoqué les recherches menées par l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) sur la résistance des essences aux à-coups climatiques, ainsi que la mise en place d'un observatoire de la santé des forêts.

M. Pierre-Olivier Drège a ensuite indiqué que l'année 2004 présenterait un risque d'incendie supérieur à la normale, même avec des conditions climatiques habituelles, en raison de l'accumulation de broussailles dans les sous-bois pouvant favoriser les démarrages de feux. Il a indiqué que les différents ministères concernés (intérieur, agriculture, écologie et développement durable) préparaient à cet égard un dispositif adapté, prévoyant deux types d'actions préventives : le débroussaillage des zones limitrophes des forêts accueillant des activités humaines (25 mètres pour les axes de circulation et 50 mètres pour les habitations), ainsi que le renforcement des patrouilles légères d'intervention rapide.

Il a indiqué, par ailleurs, qu'un certain retard avait été pris dans la mise en oeuvre des plans de prévention des incendies de forêts et que les préfets avaient été chargés de solliciter les maires à ce sujet, l'ONF ayant pris les dispositions nécessaires pour mettre ses services à la disposition des collectivités territoriales.

Il a ensuite évoqué le risque d'érosion des sols fragilisés par les incendies et le fait que tous les travaux de lutte contre cette érosion n'ont pas été réalisés. Il a souhaité que les dotations budgétaires prévues à cet effet soient rapidement mobilisées par l'Etat et les collectivités territoriales.

M. Serge Lepeltier, rapporteur, s'est enquis de l'évolution des massifs forestiers des pays étrangers et du rôle joué par la forêt au regard de la pollution atmosphérique. Il s'est interrogé sur les conséquences de la canicule sur la qualité des bois et sur la résistance des arbres situés en ville et en milieu rural. Après avoir noté que les experts semblaient ne plus avoir de doute sur la réalité du réchauffement climatique, il a demandé quelles étaient les réflexions de l'ONF sur l'évolution de la politique forestière et de plantation, selon les régions. Il s'est enfin interrogé sur les conséquences de ce réchauffement et des replantations sur la biodiversité de l'espace forestier.

Après avoir confirmé la réalité du réchauffement climatique, M. Pierre-Olivier Drège a rappelé que la forêt française métropolitaine était en expansion (elle est deux fois plus étendue qu'à la fin du XVIIIe siècle) et n'était donc pas menacée, à la différence de certaines forêts tropicales qui font l'objet de déboisement. Il a indiqué que cette évolution était appelée à s'accélérer en raison de la réduction des activités agricoles et de l'évolution de la démographie dans certaines zones rurales, et que la réduction des activités humaines dans les massifs forestiers conduirait à une disparition des clairières et à une « fermeture » de ces massifs, notamment dans la zone méditerranéenne et, plus particulièrement, dans le Haut Var, ce phénomène étant de nature à porter atteinte à la biodiversité.

Il a ensuite regretté les insuffisances de la recherche française concernant le rôle de la forêt au regard de la pollution atmosphérique et il a souhaité que ce sujet soit intégré dans la problématique du développement durable. Il a rappelé que les forêts contribuaient à la lutte contre les gaz à effet de serre, dans la mesure où elles fixent le carbone, et que leur expansion permettait d'amplifier cet effet. Il a, par ailleurs, insisté sur la sous-utilisation du bois comme source d'énergie, alors qu'il pourrait se substituer, en partie, aux énergies fossiles pour le chauffage individuel ou collectif d'immeubles ou de constructions de petites dimensions.

Il a précisé que les handicaps du bois comme source de chauffage tenaient, d'une part, à l'investissement initial -qui peut cependant être réduit par une participation financière de l'Etat ou des collectivités territoriales- et, d'autre part, au coût de mobilisation de la matière première. Ce coût est lié à la distance entre le massif forestier et le lieu d'utilisation, le seuil de rentabilité se situant en deçà d'une dizaine de kilomètres.

Après avoir souligné tout l'intérêt de ce type d'énergie en termes de développement local et d'emploi rural, M. Pierre-Olivier Drège a précisé que les difficultés techniques liées à l'utilisation du bois comme énergie de chauffage étaient aujourd'hui levées, notamment avec l'utilisation de « plaquettes » de copeaux permettant de traiter cette ressource quasiment « comme un fluide ». Un tel dispositif suppose cependant une organisation rigoureuse et une continuité d'approvisionnement, qui se heurtent au morcellement de la forêt privée, laquelle représente 75 % des massifs forestiers, qui ne sont que peu ou pas exploités. Il a déclaré que l'ONF était prêt à s'impliquer dans des opérations associant acteurs publics et privés et il a insisté sur les avantages de cette solution énergétique très déconcentrée, techniquement justifiée et dont le coût supporterait aisément la comparaison avec celui d'autres sources d'énergie renouvelable plus médiatisées. Il a cité à cet égard l'exemple des éoliennes, dont la rentabilité n'est assurée qu'en raison du prix d'achat élevé de ce type d'électricité, fixé par EDF.

Il a par ailleurs indiqué que les arbres des forêts étaient plus résistants que les arbres urbains et que le département « arbres-service » de l'ONF -à la disposition des maires- était notamment spécialisé dans la santé des arbres en ville.

Mme Françoise Henneron a demandé si l'ONF avait étudié les dégâts causés par la canicule selon les régions.

M. Pierre-Olivier Drège a précisé que l'observatoire récemment créé publierait, à la fin du premier semestre 2004, des statistiques plus complètes que les données dont dispose actuellement l'ONF, qui ne prennent en compte que les conséquences immédiates de la canicule. Il a noté que les régions qui avaient enregistré les températures les plus élevées n'étaient pas celles où les forêts avaient le plus souffert, compte tenu de l'adaptation de leurs essences. Il a insisté sur les précautions à prendre avant tout changement d'essences, qui peuvent se révéler moins inflammables, mais plus sensibles au gel, tel l'eucalyptus dans les collines de l'arrière-pays méditerranéen.

Après avoir observé, sous forme de boutade, que le réchauffement climatique pouvait être susceptible de permettre l'exploitation des bois tropicaux sous nos climats, M. Jacques Pelletier, président, a remercié l'orateur pour la précision de son intervention et ses indications plutôt optimistes sur l'avenir de la forêt française.