MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE DE DRESSER LE BILAN DE LA DÉCENTRALISATION ET DE PROPOSER LES AMÉLIORATIONS DE NATURE À FACILITER L'EXERCICE DES COMPÉTENCES LOCALES

Table des matières


Mardi 27 avril 1999

- Présidence de M. Jean-Paul Delevoye, président. -

Audition de M. Jean Puech, président de l'Assemblée des départements de France

La mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Jean Puech, président de l'Assemblée des départements de France (ADF).

M. Jean Puech
a considéré que la mondialisation, qui s'accompagne d'une prise de décision à un échelon de plus en plus élevé, suscite chez le citoyen le désir de mieux appréhender l'action publique. Il a jugé, en outre, que la mise en place de l'Euro permettrait une comparaison des modes de fonctionnement des différentes collectivités européennes. Dans un contexte où, particulièrement en France, les prélèvements et les dépenses publics sont élevés, il a estimé que le contribuable devenait de plus en plus exigeant quant à l'utilisation des deniers publics. Il a affirmé que la décentralisation, à son sens irréversible, permettait de satisfaire ces nouvelles exigences.

Il a rappelé que les lois de décentralisation ont mis en oeuvre une logique de transfert de blocs de compétences aux collectivités territoriales. Il a cité les propos du ministre de l'intérieur de l'époque, qui affirmait que la décentralisation simplifierait l'action publique, en s'appuyant sur l'exemple de l'attribution des écoles aux communes, des collèges aux départements, des lycées aux régions, des universités à l'Etat.

M. Jean Puech a estimé que la pratique de la décentralisation avait pourtant entraîné l'émergence de missions partagées entre collectivités, soit à la demande de l'Etat, qui a encouragé les logiques contractuelles permettant la mise en commun de moyens et de financements, soit à l'initiative des collectivités, qui ont souhaité mettre en oeuvre, avec des partenaires, de nouvelles politiques. Il a considéré que l'instauration d'un " chef de file " pour ces actions communes permettrait d'organiser et de clarifier ces partenariats. Il a souligné que le Sénat avait d'ailleurs proposé d'inscrire, au projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, une définition de cette notion, élaborée avec la participation des présidents de trois associations d'élus : l'Association des maires de France, l'Association des régions de France et l'Assemblée des départements de France.

M. Jean Puech a évoqué la possibilité de nouveaux transferts de compétences, suggérée lors d'un récent congrès de l'ADF. Il a estimé que le département disposait, dans le domaine social, d'un réseau efficace, dont l'organisation pourrait être mieux articulée avec les autres acteurs de la politique de la ville. Il a considéré, à cet égard, que ce dernier était qualifié pour traiter, de façon privilégiée, des questions de délinquance et de protection de l'enfance. Il a indiqué que le département, chargé de l'insertion, était désormais, à ce titre, un partenaire actif de la formation professionnelle, compétence régionale, les actions respectives des collectivités pouvant être organisées sous la forme d'un " chef de filat " régional.

En matière d'environnement, M. Jean Puech a jugé que, malgré le silence des lois de décentralisation, le département avait pris des initiatives importantes pour la collecte et le traitement des déchets.

Il a considéré que le département avait un rôle particulièrement actif pour la mise en oeuvre de la politique structurelle européenne, en collaboration avec la région.

S'agissant de l'enseignement, M. Jean Puech a indiqué que, dans l'éventualité où la gestion des universités serait transférée aux régions, les départements pourraient, le cas échéant, envisager de prendre en charge les lycées. Il a estimé que la gestion des collèges n'était pas facilitée par l'insuffisance de financement, par l'Etat, de postes d'ATOS (Personnel administratif, technicien, ouvrier et de service).

En matière d'interventions économiques des collectivités, il a souhaité rester dans le cadre d'une mission partagée entre les différents acteurs locaux. Souhaitant une complémentarité sur ce sujet, il a estimé que le département était mobilisé davantage sur la création et le développement des petites et moyennes entreprises, l'artisanat, l'octroi d'avances remboursables et l'aide à l'immobilier, les régions axant davantage leur action sur la recherche-développement et l'innovation.

S'agissant des questions sociales, il a considéré que les départements avaient démontré leur efficacité dans la gestion de l'action sociale, dont les dépenses étaient désormais maîtrisées. Il a jugé que le projet de loi sur la couverture maladie universelle devrait simplifier l'accès des usagers à la protection sociale, l'ADF y étant en conséquence favorable. Il a indiqué que 80 départements avaient d'ailleurs déjà confié, par convention, aux caisses primaires d'assurance maladie la gestion de leur action en la matière. Il a évoqué la possibilité de supprimer le système des contingents communaux d'aide sociale, dont il a jugé l'organisation actuelle peu conforme à l'esprit des lois de décentralisation, les communes étant sollicitées alors que les départements décident.

M. Jean Puech a estimé que la définition arrêtée par le Sénat de la notion de " chef de file " permettrait de répondre à la demande de clarification et de responsabilisation s'agissant des actions communes à plusieurs collectivités.

En matière de fiscalité locale, il a jugé que, sans ressources propres, les collectivités n'auraient pas d'autonomie. Rappelant que le vote du budget est un acte politique majeur pour les élus locaux, il a considéré que l'accroissement de la part des dotations de l'Etat dans les ressources des collectivités nuirait à leur indépendance. Il a toutefois convenu que le système d'imposition actuel est peu lisible pour le contribuable local et appelé de ses voeux une clarification, déplorant que -au moyen parfois d'artifices de présentation- chaque niveau de collectivité soit tenté de se défausser sur les autres de la responsabilité de l'augmentation de la pression fiscale.

M. Jean Puech a ensuite qualifié de difficiles les relations entre l'Etat et les collectivités locales, en raison du non-respect par l'Etat, à plusieurs occasions, de sa parole. Citant des exemples de dénonciation unilatérale de ses engagements par l'Etat, il a déploré que ces décisions ne se soient même pas accompagnées d'une évaluation de leurs conséquences financières pour les collectivités.

M. Jean Puech a jugé que le département était un espace de solidarité, non seulement du fait de la péréquation départementale de la taxe professionnelle, mais également par le budget départemental, qui corrige certaines disparités entre les communes, en permettant par exemple l'équipement des communes rurales.

Il a estimé insuffisante la déconcentration de l'Etat. Il a déploré que le préfet soit un interlocuteur de moins en moins " décisionnaire " face aux élus locaux et qu'il se trouve trop souvent mis à l'écart par les administrations déconcentrées, au profit d'un dialogue direct avec leur administration centrale. Il a en outre regretté l'affaiblissement de la qualité des personnels de l'Etat depuis la décentralisation.

M. Jean Puech a ensuite abordé la question des disparités entre les départements en matière d'exercice par l'Etat du contrôle de légalité, liées à son sens au manque de personnel qualifié dans les préfectures pour traiter une masse importante d'actes. Il a toutefois jugé les services de l'Etat particulièrement mobilisés pour le contrôle des décisions touchant à la gestion du personnel territorial.

Abordant les relations conventionnelles entre l'Etat et les collectivités locales, M. Jean Puech a jugé ce système de cogestion parfois inefficace. Il a évoqué à cet égard les exemples du revenu minimum d'insertion et du fonds social logement (FSL). Il a estimé que les contrats locaux de sécurité pouvaient présenter un risque de confusion des responsabilités dans un domaine qui constitue une des missions essentielles de l'Etat.

M. Jean Puech a indiqué que les départements entretenaient de bonnes relations avec les décideurs locaux, et notamment les compagnies consulaires.

Abordant la question de l'organisation territoriale, M. Jean Puech s'est inscrit en faux contre une éventuelle spécificité française en la matière. Il a rapporté des propos récents du ministre de l'intérieur montrant que, tant que pour le niveau régional que pour les niveaux départemental ou communal, l'échelle territoriale des collectivités françaises était comparable à celle de ses consoeurs européennes, même si la France se distinguait par le nombre élevé de ses communes.

Evoquant l'émergence des pays et des agglomérations, il a précisé que les départements avaient, de longue date, favorisé tant l'intercommunalité que la reconnaissance de bassins de vie ou d'emploi, parfois par la mise en place de syndicats mixtes. Il a précisé que l'ADF était favorable au pays en tant qu'espace de projet. Il a en revanche refusé que le pays devienne un nouvel échelon territorial, première étape vers un regroupement forcé de communes, à son sens contraire à la culture et à l'histoire de notre pays.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a interrogé M. Jean Puech sur son approche en matière de répartition des collèges et des lycées entre les départements et les régions, ainsi que sur l'idée, exprimée par l'orateur, d'une plus grande complémentarité entre insertion et formation professionnelles.

M. Jean Puech a évoqué l'existence d'établissements scolaires regroupant à la fois un collège et un lycée, pris en charge conjointement par un département, avec un financement régional pour le lycée. Il a jugé l'expérience satisfaisante et considéré que, dans la mesure où il serait proposé de transférer les universités aux régions, une prise en charge des lycées par les départements pourrait être envisagée. Soulignant la complémentarité entre l'insertion et la formation professionnelles, il a cité des exemples d'actions communes entre collectivités, le département devenant un relais indispensable pour la région dans le cadre de l'exercice de ses compétences en matière de formation.

M. Louis de Broissia a souhaité savoir s'il était envisagé de mettre en place, par secteur d'activité, une évaluation des actions menées par les départements, afin de faire ressortir les expériences les plus réussies. Il a préconisé, en cas de " cogestion " avec l'Etat d'une action commune, d'en confier la responsabilité à l'acteur le mieux à même de la mener à bien.

M. Jean Paul Delevoye, président, a souligné que le grand public n'était souvent informé que de façon négative de la vie des collectivités locales, qu'il s'agisse des procédures judiciaires en cours, ou d'éventuelles erreurs de gestion des responsables locaux, les réussites, pourtant nombreuses, n'étant pas mises en avant.

M. Jean Puech a convenu qu'il faudrait renforcer l'évaluation afin de présenter aux citoyens un bilan équilibré au terme de quinze ans de décentralisation.

Répondant à une question de M. Jean Paul Delevoye sur l'interdépartementalité, M. Jean Puech a rappelé que de nombreuses expériences avaient lieu en la matière. Il a cité l'exemple de la vallée du Lot, projet regroupant un nombre important de départements, régions et communes.

M. Jean Paul Delevoye a abordé la question du partage des compétences en matière de transport scolaire et de traitement des déchets. M. Jean Puech a estimé que ces dossiers nécessitaient une bonne coordination entre les différents niveaux de collectivités, au bénéfice de l'usager.

Audition de M. Marc Censi, président de l'Assemblée des districts et communautés de France

La commission a ensuite procédé à l'audition de M. Marc Censi, président de l'Assemblée des districts et communautés de France.

M. Marc Censi a estimé que la décentralisation poursuivait à l'origine deux objectifs : d'une part, améliorer l'efficacité de la gestion publique en responsabilisant les élus locaux ; d'autre part, améliorer l'efficience de la démocratie participative en rassemblant les élus locaux et les citoyens.

Concernant le premier objectif, il a considéré que la décentralisation était globalement une réussite même si quelques réserves étaient émises sur la répartition des compétences.

En revanche, il a considéré que le second objectif de la décentralisation appelait un bilan plus nuancé en évoquant la diminution constante de la participation aux élections locales, notamment en milieu urbain, au cours de ces dernières années.

D'une manière générale, il a estimé que la décentralisation procédait du postulat que l'Etat était au centre de la vie publique et que des compétences accrues devaient être transférées " du centre vers la périphérie ", c'est-à-dire vers les divers cercles concentriques de collectivités publiques d'autant plus proches du citoyen qu'elles sont moins importantes en taille.

Il a noté toutefois que " l'onde de la décentralisation " avait eu tendance à s'amortir en partant du centre et que les instances de décision les plus " périphériques " -les communes, voire les citoyens- n'en avaient pas suffisamment bénéficié.

Il a souligné en outre deux faiblesses de la décentralisation : le centralisme de l'Etat a parfois été remplacé par un " absolutisme local " fortement démobilisateur ; la décentralisation n'est pas toujours allée de pair avec la déconcentration comme le montrait l'absence de diminution sensible du nombre de fonctionnaires de l'Etat.

Appelant de ses voeux un renversement de perspectives qui permettrait de renforcer le rôle du citoyen et de la commune, il a souhaité la généralisation du " principe de subsidiarité ". Admettant que l'histoire et la tradition juridique de la France n'étaient pas favorables au principe de subsidiarité, il a souligné qu'il s'agissait d'un outil d'analyse pertinent déjà utilisé au niveau européen.

Dans cette perspective, il a souligné que l'intercommunalité était en fait la seule construction institutionnelle française fondée sur le principe de subsidiarité puisque les structures intercommunales avaient vocation à prendre en charge des compétences qui ne pouvaient être assumées par les communes seules.

Puis M. Marc Censi a abordé les diverses questions transmises par le président et le rapporteur.

Concernant la répartition des compétences, M. Marc Censi a considéré qu'il était illusoire de délimiter des frontières nettes, dans la mesure où l'aménagement du territoire, l'organisation de l'espace, la lutte contre l'exclusion et l'intervention économique étaient par nature des domaines " à responsabilité partagée ". Aussi, il a estimé essentiel d'améliorer en priorité l'organisation des relations, notamment contractuelles, entre les différents partenaires.

Il a rappelé que les maires des villes moyennes, qui rencontraient des problèmes liés à l'incivisme ou à la délinquance, n'étaient pas compétents en ce domaine. Il a estimé qu'il importait d'essayer de réguler et de coordonner le jeu des acteurs, qu'il s'agisse des travailleurs sociaux, de la police ou de la justice, plutôt que de créer de nouvelles institutions.

S'agissant de la notion de collectivité " chef de file ", M. Marc Censi a souhaité que cette notion ne soit pas utilisée pour confier la responsabilité de certains types d'opérations à un même niveau de collectivité. Il a estimé important de choisir comme " chef de file ", non pas la collectivité locale la plus large sur le plan territorial, mais celle qui serait la plus apte à faire face sur le terrain aux problèmes posés. Il a remarqué que les structures intercommunales représentaient souvent un échelon de décision plus adéquat que le niveau départemental.

S'agissant de la fiscalité locale, il a considéré que le maintien d'une fiscalité propre était une condition indispensable de l'autonomie des collectivités territoriales, tout en rappelant qu'il convenait d'assurer également une solidarité entre les collectivités locales par des mécanismes de péréquation.

A cet égard, il a considéré que le système actuel, qui faisait reposer les ressources des collectivités locales pour moitié sur des ressources fiscales propres et pour moitié sur des dotations de l'Etat, assurait un équilibre satisfaisant.

Concernant la péréquation en matière de taxe professionnelle (TP), M. Marc Censi a estimé que le risque d'une concurrence déloyale entre les collectivités locales était plus grave que celui de la démotivation des élus résultant d'un abaissement de leurs ressources fiscales de TP.

M. Marc Censi a souhaité le développement de la taxe professionnelle unique intercommunale en rappelant que la taxe professionnelle à caractère communal était incontestablement un obstacle à la bonne gestion de l'espace.

Concernant la spécialisation de l'impôt par catégorie de collectivité locale, il a estimé que ce principe pourrait être mis en oeuvre entre les régions, les départements et les communes mais qu'il ne serait pas pertinent de spécialiser les ressources fiscales respectives des structures intercommunales et des communes qui ont vocation à rendre les mêmes services. Il a estimé que les communes devaient demeurer compétentes pour choisir le régime fiscal applicable au sein d'une structure intercommunale.

S'agissant des concours financiers de l'Etat, M. Marc Censi a jugé difficile de modifier significativement l'équilibre entre l'autonomie, garantie par la fiscalité directe, et la solidarité entre collectivités locales, favorisée par les dotations de l'Etat, tout en regrettant que les mécanismes de péréquation au sein de la dotation globale de fonctionnement (DGF) ne compensent pas suffisamment les inégalités en termes de potentiel fiscal par habitant.

Concernant la déconcentration de l'Etat, M. Marc Censi a constaté, prenant l'exemple de la création de places en maison d'accueil spécialisée pour handicapés et de l'aménagement routier, que celle-ci n'avait pas beaucoup progressé, sinon peut-être en matière de procédures financières, et il a regretté qu'il faille trop souvent remonter jusqu'à l'administration centrale pour régler des problèmes locaux.

S'agissant du développement des conventions entre l'Etat et les collectivités locales, il a souligné que, pour les contrats portant mise à disposition des services de l'Etat, ce dernier était à la fois juge et partie, ce qui pouvait avoir des conséquences fâcheuses.

A propos des contrats de plan entre l'Etat et les régions, il a regretté que l'Etat ait " manqué de parole ", soit en modifiant l'échéance de ces contrats, soit en ne respectant pas les délais de réalisation de certains équipements, notamment routiers. Il a insisté sur l'importance du respect des engagements de l'Etat.

Concernant l'organisation territoriale, M. Marc Censi a souligné qu'il fallait distinguer entre le besoin d'administrer un territoire en recourant à des circonscriptions administratives pérennes et celui de " manager " le territoire au sens " entrepreneurial " du terme qui pouvait justifier de définir des zones d'action mouvantes et variables dans le temps.

S'agissant des incitations financières à l'intercommunalité, il a souhaité que la dotation globale de fonctionnement (DGF) des groupements soit modulée à partir de critères multiples définissant le degré d'intégration du groupement. Il a regretté que le projet de loi sur la coopération intercommunale prévoie des écarts importants entre la DGF par habitant des communautés d'agglomération de plus de 50.000 habitants et celle des communautés à taxe professionnelle unique n'atteignant pas ce seuil démographique. Il s'est félicité des avancées sur ce point lors du débat au Sénat.

Concernant l'élection au suffrage universel des syndicats intercommunaux, M. Marc Censi a indiqué que l'Assemblée des districts et communautés de France, longtemps réticente, avait évolué, près de la moitié des membres de l'association étant maintenant favorables à cette idée. Il a envisagé l'hypothèse de l'élection des membres des conseils des communautés sur des " listes associées ", lors de l'élection des conseillers municipaux dans les communes de plus de 3.500 habitants.

Concernant les conditions d'exercice des mandats locaux, il a souligné que la situation financière des maires devant exercer leur activité à temps plein était aujourd'hui incontestablement difficile et il a souhaité des améliorations en termes de retraite et de couverture sociale.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a souligné la qualité de l'intervention de M. Marc Censi et a mis l'accent sur la revalorisation du statut de l'élu local.

Audition de M. Jean Auroux, président de la Fédération des maires de villes moyennes

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Jean Auroux, président de la Fédération des maires de villes moyennes, accompagné de MM. Bruno Bourg-Broc, Bernard Murat et Antoine Rognard, membres du conseil d'administration de cette association.

M. Jean Auroux a souligné, en préambule, que les lois de décentralisation, rapidement mises en oeuvre par rapport à d'autres réformes, avaient été bien acceptées, même par ceux qui les avait combattues.

Se déclarant peu favorable à de nouveaux transferts de compétences, il a jugé cependant nécessaire de clarifier les responsabilités ainsi que l'organisation fiscale de la décentralisation. Les villes moyennes, a-t-il précisé, ne souhaitent pas se voir attribuer de nouvelles compétences, car elles supportent des charges propres aux villes-centres déjà très lourdes. Ces charges de centralité posent un véritable problème dans la mesure où les villes se dépeuplent et perdent leur population aisée au profit de la périphérie.

A propos de la complémentarité souhaitable entre les différents niveaux de collectivités locales en matière d'interventions économiques, M. Jean Auroux a reconnu que la situation actuelle pâtissait d'un flou juridique dangereux auquel le projet de loi préparé par M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, apporterait un vrai remède. Il a rappelé que sur ce sujet, deux écoles s'affrontaient : les partisans d'un acteur unique (la région) et les partisans de la pluralité (intervention de toutes les collectivités territoriales). Il a estimé plus réaliste de permettre à toutes les collectivités d'intervenir, tout en imaginant une répartition des rôles selon qu'il s'agit du foncier, de l'immobilier ou des aides à l'emploi. Il a préconisé le doublement du seuil de subventions autorisé par Bruxelles, actuellement fixé à 650.000 francs.

S'agissant de l'action sociale, M. Jean Auroux a estimé que les communes étaient peu désireuses de prendre en charge cette compétence traditionnelle du département, tout en préconisant une meilleure coordination des services offerts au citoyen.

M. Bernard Murat a souligné tout l'intérêt de mettre en place un " guichet unique " auquel le citoyen puisse s'adresser au niveau de la municipalité.

M. Jean Auroux a confirmé qu'il convenait d'offrir un service à taille humaine capable de répondre vite à la demande sociale, plutôt que de rechercher des solutions institutionnelles. Il a ajouté que les communes étaient favorables à la suppression des contingents d'aide sociale.

M. Jean Auroux s'est déclaré favorable au concept de " collectivité chef de file ", à la condition qu'il s'applique à des compétences déterminées.

Il a estimé que la fiscalité locale directe était indispensable pour garantir l'autonomie des collectivités. Selon lui, la disparition de la fiscalité locale directe transformerait les élus locaux en fonctionnaires chargés de gérer des subventions. Il s'est déclaré intéressé par une spécialisation des impôts locaux, à condition d'an avoir évalué toutes les conséquences concrètes sur la liberté de manoeuvre financière des collectivités.

M. Jean Auroux a indiqué que la Fédération des maires de villes moyennes était favorable à doter les groupements de communes d'une fiscalité propre. Il a estimé cependant que la superposition de lignes de prélèvement obligatoire sur l'avis d'imposition risquait de décourager le contribuable local.

A propos des concours financiers de l'Etat aux collectivités locales, M. Jean Auroux a insisté sur la nécessité d'en assurer la stabilité, la croissance ainsi que la transparence. Il a estimé que les mécanismes de péréquation entre Etat et collectivités locales, trop complexes, mériteraient d'être établis sur la base de principes clairs.

M. Jean Auroux a considéré que la déconcentration de l'Etat n'avait guère progressé au cours des années récentes ; il a observé que les services déconcentrés continuaient à faire remonter à Paris la prise de décisions même sur des problèmes secondaires. Il a souligné la nécessité de préserver des centres de décision au niveau des villes-centres, tant dans le secteur administratif que des activités privées.

M. Jean Auroux a appelé plus de clarté dans les dispositifs conventionnels liant l'Etat aux collectivités locales, source de confusion des responsabilités. Il a indiqué que M. Claude Bartolone, ministre délégué à la ville, se proposait de simplifier les contrats de ville, ce dont il s'est félicité.

M. Bruno Bourg-Broc a regretté que la politique contractuelle soit trop souvent mise en oeuvre par l'Etat, en fonction de ses intérêts financiers, et non dans le but de répondre aux besoins des collectivités territoriales, le contrat apparaissant comme un moyen " élégant " d'organiser des transferts de charges. Il a précisé que la multiplicité des objectifs poursuivis par les contrats de ville avait entraîné une complexité nuisible à l'efficacité.

M. Bernard Murat a confirmé que l'objectif de la politique de la ville, à savoir l'assistance et l'intégration des personnes en difficulté, avait été perdu de vue dans les contrats de ville.

M. Jean Auroux a indiqué que le Gouvernement, conscient de ces difficultés, avait l'intention de recentrer les contrats de ville sur les objectifs sociaux.

M. Jean Auroux a estimé que les problèmes de sécurité touchaient directement les villes moyennes, 350 sur les 750 quartiers y étant localisés. Il a déclaré que la Fédération des maires de villes moyennes était favorable aux contrats locaux de sécurité, mais veillait à éviter à cette occasion de nouveaux transferts de charges sur les communes ; c'est avant tout à l'Etat, c'est-à-dire à la police, à la gendarmerie et à l'éducation nationale, qu'il appartient d'assurer ses responsabilités dans ce domaine.

M. Jean Auroux a considéré que l'organisation territoriale actuelle était sans doute trop compliquée, trop lourde et trop onéreuse pour le contribuable. Il a estimé peu probable que " le pays " devienne un échelon de collectivité supplémentaire.

Réfutant l'idée que la promotion respective des pays et des agglomérations puisse conduire à une remise en cause des solidarités entre ville et campagne, il a indiqué que bien des villes moyennes se trouvaient intégrées au centre de leur " pays ".

Evoquant ensuite l'insécurité juridique qui menace les élus locaux dans l'exercice de leurs fonctions, M. Jean Auroux a souligné que la stricte application des normes existantes grèverait aujourd'hui les budgets locaux de plus de 140 milliards de francs. Il a ensuite émis le voeu que les associations représentatives d'élus locaux soient associées à l'élaboration des normes. Il a souhaité qu'un équipement mis en place par une collectivité ne puisse pas être remis en cause par de nouvelles normes avant la fin de son amortissement. Il a par ailleurs appelé de ses voeux une réforme des règles de responsabilité civile et de responsabilité pénale pour les élus locaux, ainsi qu'un renforcement des moyens des préfectures en personnel qualifié.

Pour faciliter les conditions d'exercice de leurs mandats par les élus locaux et prévenir leur découragement, il a préconisé une meilleure rémunération des maires qui se consacrent à plein temps à leur fonction.

M. Bruno Bourg-Broc a jugé excessivement " tatillon " le contrôle de légalité effectué par les préfectures.

M. Antoine Rognard a souligné que l'insécurité juridique résultait de la pluralité des contrôles, qui s'exercent à des moments très différents selon qu'il s'agit du contrôle de légalité ou de celui des chambres régionales des comptes. Il a rappelé que le contrôle de légalité n'apportait pas une garantie juridique, la justice pouvait être mise en action à tout moment, sur intervention du citoyen ou sur requête de la chambre régionale des comptes, et que la nouvelle définition du délit d'imprudence à l'occasion de la réforme du code pénal de 1993 constituait un facteur d'insécurité juridique supplémentaire.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a regretté que la loi adoptée en 1996 à l'initiative du Sénat pour inviter les juges à apprécier le délit d'imprudence " in concreto " n'ait pas encore porté tous les effets espérés.

MM. Bernard Murat et Jean-Paul Delevoye, président, ont donné plusieurs exemples de poursuites engagées à l'encontre d'élus locaux pour des délits involontaires.

M. Jean Auroux a rappelé les difficultés auxquelles donne lieu la réglementation en matière de passation de marchés publics que le Gouvernement envisage de réformer.

M. Antoine Rognard a souligné la nécessité de renforcer les moyens juridiques des collectivités locales.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a estimé inéluctable la " professionnalisation " de la fonction de maire, et redouté un alourdissement des dépenses des collectivités rendues nécessaires pour prévenir les risques juridiques ou faire face aux frais de justice.

Il a enfin appelé de ses voeux une évolution de la justice et des médias afin, pour les élus locaux, de " passer de l'ère du soupçon à l'ère de la confiance ".