MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE DE DRESSER LE BILAN DE LA DÉCENTRALISATION ET DE PROPOSER LES AMÉLIORATIONS DE NATURE À FACILITER L'EXERCICE DES COMPÉTENCES LOCALES

Table des matières


Mardi 11 mai 1999

- Présidence de M. Jean-Paul Delevoye, président.-

La mission d'information a procédé à l'audition de MM. Jean Bergougnoux, président du groupe d'études et de réflexion interrégional (GERI), Gérard-François Dumont, démographe, ancien recteur de l'Académie de Nice, professeur à l'Université de Paris Sorbonne, et Roger Brunet, géographe, directeur de recherche au centre national de la recherche scientifique.

Audition de M. Jean Bergougnoux, président du groupe d'études et de réflexion interrégional (GERI)

M. Jean Bergougnoux a tout d'abord rappelé que le GERI, créé en 1989 par M. Jacques Voisard, a pour rôle d'examiner les conditions de l'action publique sur les territoires, dans une optique de maintien de la cohésion sociale mais aussi d'amélioration de leur compétitivité.

Il a ensuite précisé que la démographie française était caractérisée par un nombre moyen d'enfants par femme inférieur à deux depuis près de 20 ans, ce qui pouvait donner l'impression d'un " suicide démographique ", même si la complexité de l'indice de fécondité utilisé par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) rendait impossible toute conclusion trop hâtive.

M. Jean Bergougnoux a présenté les taux de fécondité par tranche d'âge, en soulignant que si ce taux baissait pour les femmes âgées de 14 à 26 ans, il augmentait néanmoins pour celles qui avaient entre 27 et 38 ans, retardant à 29 ans l'âge moyen de la maternité.

M. Jean Bergougnoux a indiqué que l'espérance de vie à la naissance augmentait parallèlement, ce qui amènerait les courbes des naissances et des décès à se croiser vers les années 2030, date prévisible d'une stabilisation de la population française, avant une légère décrue, selon le scénario dit " central " de l'INSEE, basé sur un taux de fécondité de 1,8 enfant par femme. Il a estimé qu'il convenait d'ajouter à ces mouvements naturels le solde migratoire, dont l'évolution est toutefois très difficilement prévisible.

M. Jean Bergougnoux a affirmé que l'allongement de la durée de la vie conduirait à un vieillissement de la population, l'âge médian étant d'ailleurs en augmentation constante depuis 1980 et devant atteindre, à l'horizon 2050, un chiffre situé entre 42 et 51 ans. S'agissant de la population de 29 à 59 ans, en âge de travailler, après une augmentation de son nombre jusqu'en 2005-2010, M. Jean Bergougnoux a précisé qu'elle devrait décroître, les moins de vingt ans étant en diminution depuis les années 1980, et le nombre des plus de soixante ans en augmentation continue. Il a précisé que 2010 serait l'année charnière où il y aurait, dans notre pays, autant de moins de vingt ans que de plus de soixante ans.

M. Jean Bergougnoux a estimé que ces grandes tendances démographiques s'étaient manifestées de façon très contrastée sur le territoire national. Soulignant les difficultés méthodologiques liées à la nécessité d'extrapoler des tendances datant du recensement de 1990, il a commenté une carte des soldes migratoires intérieurs, qui montre un accroissement de la population du sud-est du pays ainsi que de l'Ile-de-France et un dépeuplement des régions situées à l'est et au nord-est de la France. Il a insisté sur la capacité d'attraction importante de l'Ile-de-France, région qui enregistre un solde migratoire net positif, malgré des départs, notamment vers la région Rhône-Alpes, le littoral méditerranéen, la Loire-Atlantique, la Gironde et le Nord.

Répondant à une interrogation de M. Jean-Paul Delevoye, président, M. Jean Bergougnoux a convenu qu'une partie des migrations vers le sud du pays était le fait de personnes atteignant l'âge de la retraite. Il a toutefois souligné l'existence d'un phénomène de mobilité d'actifs vers le littoral méditerranéen.

M. Jean Bergougnoux a relevé que les études supérieures constituaient également un motif de migration important entre régions.

Le président du GERI a souligné que les projections sur l'évolution de la densité de la population dépendaient largement des hypothèses de départ, et qu'on ne pouvait parler en la matière que de scénario et non de prévision. Il a estimé que les femmes en âge d'avoir des enfants connaîtraient dans les vingt années à venir une croissance de leur nombre plus élevée dans le Languedoc-Roussillon et plus faible dans le nord, le centre et l'est du pays. Il a jugé que les différences de densité de population entre départements devraient s'aggraver d'ici à 2020, les régions à forte densité, comme l'Ile-de-France, la région Rhône-Alpes et le littoral méditerranéen continuant d'accroître le plus rapidement leur population, l'est et le centre du pays connaissant un taux d'accroissement plus faible.

Abordant la répartition par âge de la population sur le territoire, M. Jean Bergougnoux a considéré que, dès 1975, était apparue une distinction très nette entre le nord du pays, auquel il fallait ajouter la région Rhône-Alpes, qui bénéficiait d'une population plus jeune que la moyenne nationale, et le sud de la France. Il a indiqué que cette différence s'était accentuée depuis lors et qu'elle devrait encore s'amplifier d'ici à 2010, le Nord, l'Alsace et Rhône-Alpes ayant probablement, à cette date, une population plus jeune que la moyenne nationale. Il a indiqué que, si les moins de vingt ans seraient proportionnellement plus nombreux dans ces régions, cette tranche d'âge serait toutefois significativement représentée sur le littoral méditerranéen.

M. Jean Bergougnoux a affirmé que la part de la population active était supérieure, en Ile-de-France, en région Rhône-Alpes et en Alsace, à la moyenne nationale, alors que des régions comme la Bourgogne, l'Auvergne, Poitou-Charentes ou le Limousin avaient, quant à elles, une part plus importante que la moyenne nationale de personnes âgées dans leur population.

Le président du GERI a considéré que ces grandes tendances démographiques posaient des problèmes d'ampleur nationale. Il a souligné que l'augmentation jusqu'en 2005 de la population d'âge actif ne faciliterait pas la résolution du problème du chômage des jeunes. De plus, il a indiqué que l'accroissement à venir de la population à la charge des actifs poserait des problèmes, comme l'avaient d'ailleurs mis en lumière les travaux récents menés par le Commissariat général du Plan sur les retraites.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a observé que les déséquilibres prévisibles dépendaient en partie des hypothèses de calcul et, notamment, de l'âge de départ à la retraite.

M. Jean Bergougnoux a considéré que ces perspectives démographiques permettaient d'envisager toutefois un allégement des besoins quantitatifs en matière d'enseignement, le nombre de jeunes en âge de passer le baccalauréat décroissant depuis 1990 et devant se stabiliser jusqu'en 2015, le nombre de jeunes en âge de faire des études supérieures devant décroître de 1995 à 2005, puis se stabiliser. Il a relevé les différences entre certaines régions où les jeunes restaient pour faire leurs études et d'autres -comme la Bourgogne- où les études supérieures étaient pour les étudiants un motif de mobilité géographique. A cet égard, il a souligné la très forte attractivité de l'Ile-de-France, et singulièrement de la ville de Paris, vis-à-vis des départements limitrophes, Rhône-Alpes et l'Alsace attirant également des étudiants, contrairement aux régions de l'ouest du pays.

M. Jean Bergougnoux a souligné l'extrême concentration géographique des formations de troisième cycle sur le territoire.

Commentant la carte des fonds structurels européens, M. Jean Bergougnoux a indiqué que la France était, pour une grande partie de son territoire, éligible à l'objectif 2, dans seize départements pour les reconversions industrielles et dans quarante-neuf départements pour les reconversions rurales, certaines zones répondant, de surcroît, aux critères d'éligibilité, même au sein des départements non éligibles. Il en a déduit que des mutations très profondes étaient à l'oeuvre sur le territoire.

M. Jean Bergougnoux a estimé que ces évolutions, démographiques et économiques, entraînaient un risque de perte de cohésion sociale, déjà illustré, à son sens, par l'inégale densité des médecins sur le territoire, ou par les différences entre les régions pour le montant des dépenses de santé par personne.

En réponse à M. Paul Girod qui a souligné la relative faiblesse de ce ratio dans la région d'Ile-de-France, M. Jean Bergougnoux a fait valoir que cette région bénéficiait d'une population jeune.

M. Daniel Hoeffel a demandé si des différences de comportement pouvaient expliquer l'écart constaté entre les montants des dépenses de santé par personne entre les différentes régions françaises.

En réponse, M. Jean Bergougnoux a estimé que ces dépenses étaient déterminées non seulement par l'âge et le niveau de revenu des populations concernées, mais également par leur comportement.

Il a noté une autre disparité territoriale, relative au taux d'encadrement de la population, c'est-à-dire à la proportion de cadres et de professions intellectuelles supérieures, plus élevée dans la région d'Ile-de-France, la région Rhône-Alpes, le littoral méditerranéen ainsi qu'en Haute-Garonne.

S'agissant de la criminalité, M. Jean Bergougnoux a indiqué que, si le nombre de crimes et délits constatés avait été multiplié par six de 1950 à 1996, le taux de criminalité était, en outre, directement lié au degré d'urbanisation, certains délits étant exclusivement urbains, comme la destruction et la dégradation de biens publics et privés ou les délits à la police des étrangers, par exemple. Il a toutefois relevé que les zones de criminalité moyenne connaissaient actuellement une croissance supérieure du nombre de crimes et délits et rattrapaient, en quelque sorte, les grandes métropoles.

En réponse à M. Jean-Paul Delevoye, président, M. Jean Bergougnoux a jugé qu'un effort particulier des pouvoirs publics expliquait vraisemblablement le recul de la criminalité observé dans le Var et les Alpes-Maritimes.

Il a relevé la baisse de la participation aux consultations électorales ces vingt dernières années, en ce qui concerne, dans une moindre mesure, l'élection présidentielle, les élections législatives et, surtout, les élections européennes. Il a jugé que l'abstention était surtout un phénomène urbain.

Répondant à M. Jean-Paul Delevoye, président, qui s'est interrogé sur l'impact de la sociologie de la population urbaine sur ce phénomène, M. Jean Bergougnoux a convenu que les villes avaient, en général, une population plus jeune, et donc moins encline à voter.

Abordant le sujet des moyens financiers dont disposaient les collectivités locales, M. Jean Bergougnoux a indiqué que les recettes tirées des quatre grandes taxes de la fiscalité directe locale représentaient en 1997 295 milliards de francs, dont 146 milliards pour la taxe professionnelle, soit 49,5 % du total, 78 milliards de francs pour la taxe sur le foncier bâti, soit 26,6 % du total, 66 milliards de francs pour la taxe d'habitation, soit 22,2 % du total et 5 milliards de francs pour la taxe sur le foncier non bâti, soit 1,7 % du total.

Il a indiqué que les communes recevaient 55,6 % du produit de la fiscalité directe locale, les départements 27,9 %, les groupements à fiscalité propre, 8,5 % et les régions 8 %. Il a souligné que ces quatre taxes avaient vu leur produit multiplié par deux en quinze ans, la fiscalité d'Etat n'ayant pas diminué dans les mêmes proportions.

Le président du GERI a affirmé que la fiscalité directe locale représentait une part croissante du produit intérieur brut, qui était passée de 2,4 % en 1979 à 3,4 % en 1995. Il a indiqué que la taxe professionnelle avait connu une croissance de 82 % entre 1980 et 1995, l'évolution des bases étant le principal facteur explicatif. Il a cité les croissances respectives des autres impôts locaux : 194 % pour la taxe sur le foncier bâti, 68 % pour la taxe d'habitation et 35 % pour la taxe sur le foncier non bâti.

M. Jean Bergougnoux a relevé que le produit de la taxe professionnelle par habitant variait de un à cinq selon les départements. Il a indiqué, en outre, que le montant par habitant du produit des quatre taxes directes locales augmentait avec le taux d'urbanisation des départements.

En matière d'aide sociale, il a considéré que l'augmentation des dépenses s'accompagnait d'une diversité, entre les départements, des montants consacrés, par habitant, à l'aide sociale. Il a relevé que les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de Seine-Maritime, du Calvados et des Bouches-du-Rhône, par exemple, consacraient une part prépondérante à l'aide sociale dans leur budget.

M. Jean Bergougnoux a estimé que les investissements localisables de l'Etat avaient baissé après 1977, puis augmenté à la fin des années 1980, au bénéfice d'un soutien plus sélectif à certaines régions ; parallèlement, l'investissement direct des collectivités locales s'est accru, passant d'un indice 100 en 1977 à un indice 125 à la fin des années 1980, pour s'établir aujourd'hui autour de 77. Il a relevé les disparités existant entre les régions en matière d'investissement.

M. Jean Bergougnoux a noté le renforcement du poids des fonds structurels européens dans le financement des investissements publics, soulignant l'importance de la modulation, en fonction des régions, des crédits européens, dans le cadre du financement des contrats de plan Etat-régions.

A ce sujet, M. Jean Bergougnoux a estimé que, si les contrats de plan Etat-régions étaient encore dans une phase d'apprentissage, ils constituaient toutefois un instrument important de cohésion et de cohérence entre l'Etat et la région. Evoquant certaines critiques sur le caractère parfois léonin de ces contrats, il a jugé qu'ils n'en restaient pas moins un outil indispensable. Bien que le caractère réellement contractuel de cet instrument juridique puisse être discuté, eu égard, d'une part, à la nature de l'Etat et, d'autre part, au fait que les régions s'engageaient, parfois, au nom des autres collectivités, il a jugé que le contrat de plan permettait une meilleure coordination des actions des différentes collectivités. Il a toutefois estimé que les contrats de plan seraient plus cohérents si l'Etat avait une vision globale de l'aménagement du territoire et de la planification. Il a toutefois estimé qu'ils étaient un " appel à la réflexion prospective ".

Enfin, le président du GERI a souligné qu'une évaluation a posteriori des contrats de plan permettrait de mieux vérifier l'efficacité de l'action publique.

Abordant le sujet de l'organisation territoriale française, M. Jean Bergougnoux a souligné la grande diversité des solutions retenues par les Etats membres de l'Union européenne en la matière, phénomène qui, renforcé par le principe de subsidiarité, place l'Etat comme l'interlocuteur principal pour les actions communautaires. Il a toutefois insisté sur le dialogue qui s'était instauré, entre les régions et la Commission, pour la mise en oeuvre de la politique structurelle.

Le président du GERI a relevé que les pays et les agglomérations bousculaient l'organisation territoriale traditionnelle. Il a jugé que nombre de communes rurales étaient trop petites et qu'il était nécessaire pour elles d'avoir un projet intercommunal, ce qui n'affaiblissait pas, à son sens, le département.

Abordant la question de la suppression éventuelle d'un niveau d'administration en France, M. Jean Bergougnoux a indiqué que le GERI avait entrepris une étude comparative des différentes structures locales. Il a estimé qu'il n'existait pas, en la matière, de solution évidente et que toute modification devait être envisagée avec la plus grande prudence, compte tenu de ses éventuelles conséquences. Il a jugé qu'il convenait plutôt d'organiser le bon fonctionnement des différents niveaux d'administration.

Audition de M. Gérard-François Dumont, démographe, ancien recteur de l'académie de Nice, professeur à l'université de Paris-Sorbonne

M. Gérard-François Dumont, démographe, ancien recteur de l'académie de Nice, professeur à l'université de Paris-Sorbonne, a d'emblée souligné le caractère spécifique de la France, où la décentralisation semble s'être arrêtée, au sein d'une Europe où ce mouvement progresse, comme l'illustraient les exemples de l'Espagne, de la Suisse ou du Royaume-Uni.

Il a relevé les insuffisances de l'outil statistique à disposition des démographes, et a redouté que l'écart de neuf ans séparant les deux derniers recensements généraux menés en France (1990, puis 1999), n'ait induit une perte de savoir-faire parmi les responsables chargés de cette opération.

A ses yeux, l'évolution démographique actuelle de la France reflète la poursuite des grandes orientations constatées depuis le début des années 1980, qui tiennent à une concentration des emplois et du peuplement, à un allongement des distances entre lieux de travail et de résidence, à une émigration industrielle aussi intense que l'avait été, en son temps, l'émigration rurale, à un héliotropisme qui touche toutes les classes d'âge, et pas seulement les personnes retraitées, et à un vieillissement général de la population.

M. Gérard-François Dumont a fait observer que ces éléments avaient un impact divergent selon les régions ; trois d'entre elles -l'Auvergne, le Limousin et le Poitou-Charentes- sont en déclin démographique, mais l'ensemble du territoire français est marqué par une accentuation des diversifications spatiales et sociales, qui peuvent, si elles se poursuivent, menacer la cohésion nationale.

Il a relevé que la formule souvent utilisée d' " exode rural " était à la fois inexacte et fataliste, alors que les emplois induits par l'agriculture avaient crû ces dernières années et n'étaient pas forcément de nature agricole.

Il a observé que l'aménagement du territoire n'opposait plus, comme dans les années 1960, Paris et la province, mais l'ensemble des espaces compétitifs de même niveau au sein de l'Europe.

M. Gérard-François Dumont a jugé qu'en France, tous les niveaux territoriaux d'administration étaient, à leur mesure, pertinents : ainsi, les 36.000 communes de notre pays sont-elles les héritières des 45.000 paroisses que comptait la France alors qu'elle était le pays le plus peuplé d'Europe, au XVIIe siècle. Cette structure de base demeure, selon lui, indispensable au maillage démocratique de notre territoire. Il en a conclu qu'il fallait, certes, faciliter l'intercommunalité, mais sans s'inquiéter du grand nombre de communes. Il a rappelé que, contrairement à une idée reçue, l'Allemagne avait un nombre de niveaux et une variété de collectivités territoriales analogues à la France.

Les différences les plus marquées entre les collectivités françaises tiennent, selon lui, à ce que certaines s'appuient sur une identité historique marquée, comme la région de Bretagne, ou le département de l'Aveyron, alors que d'autres n'ont pas cette base identitaire. Il a estimé qu'une réforme globale de nos structures territoriales n'était pas un impératif, et que seules des modifications de détail pouvaient s'imposer, à la demande des collectivités intéressées.

Quant à la délimitation de territoires pertinents de compétences, elle repose, selon M. Gérard-François Dumont, sur trois principes de base : la démocratie, qui implique une clarification des compétences entre collectivités territoriales, la subsidiarité, pour situer le bon niveau de décision, et l'efficacité, qui rend impérative la poursuite de la décentralisation.

M. Gérard-François Dumont a fait valoir que le recours à ces trois principes permettrait de situer le bon niveau de décision suivant les secteurs de compétence évoqués : ainsi, ce qui touche à la sécurité locale doit-il être décidé au plus près du terrain, tout comme l'action sociale, gérée efficacement par le département, alors que la formation professionnelle relève, à l'évidence, d'un niveau plus vaste, comme la région. Il a estimé qu'en matière d'éducation, décentraliser l'enseignement technique et professionnel favoriserait l'adaptation des formations aux besoins des entreprises.

En conclusion, M. Gérard-François Dumont a mis en exergue trois éléments de réflexion : les réformes structurelles n'assurent pas, en elles-mêmes, l'amélioration de la gestion du territoire ; la France doit améliorer ses outils de connaissance des mouvements migratoires ; elle doit prendre conscience que la possession d'un vaste territoire est un atout, et non un handicap.

En réponse aux questions de M. Daniel Hoeffel, portant sur l'opportunité d'expérimenter des réformes institutionnelles, et sur les freins existant à la coopération transfrontalière entre régions, M. Gérard-François Dumont a reconnu la nécessité d'un recours à une logique d'expérimentation, qui permettrait d'éviter le risque, bien réel, de sur-réglementation. Quant à la coopération transfrontalière, elle continue à susciter la méfiance de la capitale française.

M. Jean-Paul Delevoye, président, s'est inquiété de l'incidence des évolutions démographiques sur les distorsions entre l'évolution des dépenses, affectant plus fortement les collectivités les plus démunies, comme en matière sociale, et celle des recettes, dont la pérennité n'était pas garantie.

Audition de M. Roger Brunet, géographe, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique

M. Roger Brunet a indiqué que les principales caractéristiques françaises étaient, du point de vue du géographe, que notre pays était le plus étendu d'Europe, peu dense, très centralisé, et quelque peu décentré par rapport au coeur économique de l'Europe, lequel était situé sur l'axe rhénan. Selon lui, les évolutions principales résident dans la croissance des territoires situés au sud, mais aussi le long des littoraux, dans le développement des chefs-lieux -et, a-t-il souligné, le département n'a jamais eu une réalité géographique aussi forte qu'aujourd'hui-, dans la " métropolisation " des emplois, dans l'étalement des villes, dans le rétrécissement des espaces en déclin, dans une tendance à l'uniformisation des activités économiques et des emplois sur tout le territoire, et dans l'accroissement des différences sociales à l'intérieur des villes, plus qu'entre les villes elles-mêmes. Ce dernier élément conduit à la naissance, au sein d'une même cité, de " ghettos " de riches et de pauvres, à l'image des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne. A ces éléments, s'ajoute une " nouvelle idéologisation " de la croissance de la région parisienne.

M. Roger Brunet a estimé que la croissance économique se nourrissait de la proximité géographique d'une région dynamique, d'une métropole ou d'un axe de circulation -ainsi, la France de l'Est bénéficie-t-elle du dynamisme rhénan-, de la concentration des agréments de vie, qui regroupe les populations les plus riches et les plus développées dans les mêmes cités, et des différences croissantes en matière de fiscalité locale.

Evoquant l'avenir, M. Roger Brunet a jugé qu'une politique de " laisser-faire ", comme celle qui résulterait de l'actuel projet de loi sur l'aménagement du territoire, accentuerait l'opposition entre villes et campagne, bénéficierait aux plus grandes cités au détriment des villes moyennes, ou situées en périphérie du territoire français, et inverserait les priorités d'investissement du Sud vers le Nord.

M. Roger Brunet a estimé que les différences de densité démographique entre la France et les pays qui l'entourent, conduiront inévitablement à des migrations et qu'il fallait s'attendre à voir les étrangers remplir nos territoires dépeuplés. Il a récusé l'idée d'une désertification du territoire qui n'existe qu'au centre de la France, et aux limites de certains départements.

M. Roger Brunet a estimé inopportun d'opposer l'agglomération au " pays ", celui-ci permettant d'associer une ville et son espace environnant, donc le rural et l'urbain. Il a souligné l'émergence de nouvelles solidarités de bassins de vie, espaces adéquats pour la mise en oeuvre de projets communs confortés par une solidarité fiscale, qui dans la réalité correspondent souvent au territoire de l'arrondissement.

M. Roger Brunet a estimé que la faiblesse des villes périphériques et les déficiences en matière de voies de circulation, notamment aux frontières, constituaient des obstacles à une bonne insertion du territoire dans l'espace européen. Il a regretté que la France, pays de passage entre la péninsule ibérique et l'Europe du Nord, n'ait pas su organiser ce transit.

Notant que l'organisation institutionnelle du territoire était indépendante de la géographie, il a estimé que l'organisation traditionnelle -commune, département, région, Etat- ne présentait pas de caractère aberrant par rapport aux pays voisins. Il a souligné tout l'intérêt de l'intercommunalité et de la promotion des pays. Il a jugé en outre nécessaire de prendre en compte la diversité des situations.

En conclusion, il a souligné le rôle indispensable de l'Etat comme instance de régulation pour assurer la cohésion sociale.

Après l'intervention du président Jean-Paul Delevoye, soulignant que les trois exposés avaient en commun de rappeler le rôle nécessaire de l'Etat, et de mettre en évidence l'accentuation des inégalités sociales, M. Louis de Broissia a évoqué les difficultés spécifiques aux zones péri-urbaines qui sont souvent aussi des zones " périrurales " regroupant des habitants marqués par l'individualisme, dans lesquelles il est souvent difficile de promouvoir des projets cohérents.

Le président Jean-Paul Delevoye a appuyé cette remarque, en soulignant que ces espaces concentrent les problèmes de sécurité, de transports et de rupture des liens sociaux, sans disposer des moyens adéquats pour y faire face.

M. Roger Brunet a souligné que les solidarités étaient plus difficiles à organiser dans les zones péri-urbaines situées à la périphérie des grandes agglomérations.

M. Gérard-François Dumont a jugé nécessaire de répondre aux besoins spécifiques des habitants de ces zones péri-urbaines qui souhaitent bénéficier tout à la fois des avantages de la ville et de la campagne.

M. Daniel Hoeffel a rappelé que la politique d'aménagement du territoire devrait viser à réduire les inégalités les plus flagrantes, objectif que permettait de prendre en compte le schéma national d'aménagement et de développement du territoire dont il a regretté l'abandon. Il a en outre fait valoir que cette politique devait permettre de mieux insérer le territoire national dans l'espace européen, ce qui impliquait qu'elle prenne en compte les impératifs de développement et de création d'infrastructures adaptées.

M. Roger Brunet a conclu cet échange en rappelant que le développement devait concilier équité et performance.