MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGÉE DE DRESSER LE BILAN DE LA DÉCENTRALISATION ET DE PROPOSER LES AMÉLIORATIONS DE NATURE À FACILITER L'EXERCICE DES COMPÉTENCES LOCALES

Table des matières


Mardi 22 juin 1999

- Présidence de M. Jean-Paul Delevoye, président. -

Audition de Mme Mireille Montagne, directeur de la vie sociale du département de la Savoie

La mission a tout d'abord procédé à l'audition de Mme Mireille Montagne, directeur de la vie sociale du département de la Savoie.

Après avoir rappelé qu'elle avait une expérience professionnelle à la fois dans les services de l'Etat et dans les services départementaux, Mme Mireille Montagne a souligné que le département de la Savoie pouvait être considéré comme un département favorisé dans la mesure où il n'était pas observé de graves fractures sociales et où les quartiers urbains sensibles étaient peu nombreux.

Elle a estimé que la décentralisation avait apporté un " plus " à l'action sociale en rappelant que cette réforme était rendue nécessaire par l'exigence accrue des citoyens en matière de " réactivité " des services publics.

Prenant l'exemple de la Savoie, elle a indiqué que la décentralisation avait permis une accélération de la programmation d'équipements nouveaux en particulier pour les personnes âgées et les personnes handicapées où un réel retard avait pu être rattrapé depuis 1983.

Elle a souligné la constance de l'effort financier engagée par les départements dans le domaine social malgré les inquiétudes qui avaient pu être émises en 1983 à propos de la volonté des élus de s'engager en faveur des populations handicapées âgées ou socialement défavorisées. Elle a observé que l'action innovante des départements s'était également traduite par un effort de mise à disposition de personnels qualifiés dans le domaine social auprès des publics concernés.

Puis Mme Mireille Montagne s'est inquiétée de la faiblesse du dispositif actuel pour évaluer les effets des politiques conduites d'une part, et anticiper sur les évolutions de la société, d'autre part.

Elle a observé que si les entreprises du secteur privé mettaient en oeuvre des moyens sophistiqués pour analyser les anticipations des comportements des consommateurs, les organismes de protection sociale se montraient encore " frileux " pour analyser l'évolution de phénomènes sociaux profonds liés à la modification des structures familiales ou à la réduction du temps de travail. Elle a estimé que l'accélération de ces phénomènes sociaux aurait un impact tangible sur la demande des citoyens d'ici dix ans.

S'agissant de la répartition des compétences, elle a estimé que le dispositif issu des lois de 1983 constituait globalement un progrès, tout en souhaitant que l'Etat recentre prioritairement son action sociale sur la politique de santé.

Elle a regretté que l'Etat intervienne de manière trop dispersée et que des dispositifs, tels que les fonds de solidarité pour le logement ou les fonds d'urgence sociale, soient trop faibles pour être réellement efficaces.

Elle a estimé que le rôle imparti à la région était satisfaisant tout en souhaitant que les publics en grande difficulté soient mieux pris en compte dans les programmes de formation qualifiante.

Elle s'est demandé si la répartition des compétences ne pourrait pas être améliorée au profit des régions dans les domaines de la formation initiale des assistantes maternelles et de la formation des personnels de proximité au service des personnes âgées.

Concernant le département, Mme Mireille Montagne a estimé que cette collectivité, dont la légitimité était reconnue par les principaux partenaires, avait la dimension requise pour avoir une vision globale des problèmes et des réponses sociales à leur rapporter.

Elle a regretté toutefois que l'organisation de l'action sociale des départements repose encore trop sur des filières organisées sur une base socioprofessionnelle et parfois trop cloisonnées.

Concernant la commune, elle a estimé que cet échelon gérait de manière satisfaisante les services de proximité et qu'il permettait de responsabiliser les habitants en matière d'action sociale.

Elle a souligné toutefois que la compétence qui avait été dévolue aux communes en matière d'observation des besoins sociaux pourrait être utilement transférée aux départements.

S'agissant de l'efficacité de l'action sociale, elle a souligné qu'il était important d'évaluer l'aptitude de la collectivité à créer des réseaux de soutien efficace en faveur des publics à soutenir au-delà de la stricte gestion d'un bloc de compétences.

S'agissant de l'aide à l'enfance, elle a souligné que le département offrait l'avantage d'une approche globale de la prise en charge des enfants en difficulté, même si dans les quartiers difficiles, les efforts des départements et des communes semblaient parfois dispersés.

Insistant sur le fait qu'il existait des jeunes en difficulté, et non pas une jeunesse à la dérive, elle a indiqué que les coûts de prise en charge étaient élevés dans ce secteur en rappelant qu'une mesure de placement d'enfant en établissement représentait 220.000 francs par an.

Concernant les personnes âgées, elle a souligné que l'intervention des départements avait permis une meilleure connaissance des besoins des personnes vieillissantes ainsi qu'un réel développement des services dont elles ont besoin.

En revanche, elle a estimé que la prise en charge de la dépendance était effectuée trop souvent au détriment des personnes issues des classes moyennes.

Estimant injustes les reproches adressés aux départements concernant la prestation spécifique dépendance, elle a souligné que celle-ci avait permis d'améliorer la perception du problème de la dépendance ainsi que la prise en charge des personnes en bénéficiant.

Envisageant les défis auxquels seraient confrontées les collectivités locales en matière sociale, Mme Mireille Montagne s'est inquiétée de l'affaiblissement du lien social traduisant le fait que les citoyens n'ont parfois plus le sentiment d'appartenir à une collectivité solidaire. Sur ce point, elle a souligné que le rôle des élus était essentiel. Elle a observé par ailleurs que l'offre de service en travail social était aujourd'hui suffisante et que l'objectif devrait être de réorienter cette offre pour conforter le lien social, en s'appuyant notamment sur les équipements collectifs tels que les crèches ou les haltes garderie.

Mme Mireille Montagne a vu dans la maîtrise des nouvelles techniques de l'information et de la communication un second défi d'avenir. Regrettant le décalage croissant entre les concepteurs des nouvelles technologies de communication et les travailleurs sociaux, elle s'est inquiétée des difficultés que leur développement pourrait entraîner pour les personnes inadaptées, âgées ou handicapées qui y seraient confrontées quotidiennement.

Elle a rappelé à cet égard que d'ores et déjà les assistantes sociales consacraient une partie non négligeable de leur temps de travail à faciliter l'accès au droit des personnes en difficulté.

S'agissant du problème des personnes handicapées vieillissantes, elle a estimé qu'il s'agissait d'abord d'un problème qualitatif qui pourrait être résolu en établissant des " passerelles " entre les travailleurs sociaux qui s'occupent des personnes handicapées et ceux qui ont en charge les personnes âgées afin de trouver une réponse adaptée à ce nouveau besoin social.

Concernant la coordination entre les services de l'Etat et les collectivités locales en matière de lutte contre les exclusions, elle a estimé que les différents services se connaissaient de mieux en mieux, tout en reconnaissant que l'empilement inévitable des dispositifs de coordination pouvait être difficile à gérer.

A propos des formes que la décentralisation pourrait prendre pour être approfondie, ou élargie, dans le domaine de l'action sociale et de la lutte contre les exclusions, Mme Mireille Montagne a estimé que trois points pouvaient être réexaminés et deux encouragés.

Premièrement, elle a considéré que le décret de 1995 " avait vu trop court " en confiant l'obligation d'analyser les besoins sociaux aux centres communaux d'action sociale (CCAS) et que peu de CCAS s'y étaient conformés. Elle a rappelé qu'il n'y avait pas de CCAS dans toutes les communes. Elle a estimé que le niveau départemental serait dans ce domaine plus efficace.

Deuxièmement, en matière de politique en faveur des adultes handicapés partagée entre l'Etat et le département, Mme Mireille Montagne a reconnu que le département jouait le rôle d' " amortisseur " et que par exemple quand les places manquaient en centre d'aide par le travail (CAT), on se reportait sur l'accueil de jour qui dépend du département ; elle a jugé que si l'Etat reprenait l'ensemble de la compétence " handicapés ", il en résulterait une plus grande clarté et, surtout, l'ensemble de la chaîne serait maîtrisée par un seul décideur et gagnerait en cohérence.

Dans le troisième domaine, celui des personnes âgées, Mme Mireille Montagne a jugé que l'éclatement était encore plus manifeste. Elle a préconisé d'attribuer la prise en charge de la dépendance aux organismes de protection sociale et de confier aux départements des réponses de prévention et de maintien à domicile, considérant qu'ainsi chaque niveau recevrait la compétence qu'il sait le mieux assumer : gestion souple de proximité aux départements et aux communes, prise en charge de la dépendance par les systèmes d'assurance vieillesse et maladie.

Sur les deux points à encourager, pour améliorer l'efficacité de l'action sociale, Mme Mireille Montagne a reconnu d'abord que l'action sociale était nécessairement complexe parce qu'elle faisait intervenir de nombreux opérateurs et décideurs et qu'il fallait donc encourager le partenariat et le travail en réseau. D'autre part, elle a appelé de ses voeux une action sociale territorialisée qui incite les habitants à participer à la résolution de leurs difficultés et qui ne soit pas à la seule charge des professionnels, c'est-à-dire des travailleurs sociaux.

Interrogée sur le moyen de concilier le principe du respect de la libre administration des collectivités territoriales et un niveau de prestations égalitaire sur le territoire, Mme Mireille Montagne a considéré qu'il ne fallait pas tomber dans l'illusion d'un traitement social uniforme. Elle a rappelé que les actions des collectivités locales variaient nécessairement en fonction des réalités locales et des choix politiques. Elle a fait remarquer que même l'Etat ne délivrait pas la même qualité de services partout sur le territoire. Enfin, elle a demandé que l'on veuille bien admettre que les actions sociales doivent se construire à partir des besoins des personnes concernées et non à partir de normes nationales, même s'il convenait de s'appuyer sur les minimums légaux fixés par la loi.

Abordant ensuite le bilan des relations financières entre l'Etat et les collectivités territoriales, Mme Mireille Montagne a fait remarquer que la pratique de l'Etat consistait trop souvent à imposer des dépenses obligatoires aux départements et, ce faisant, ne respectait pas vraiment le principe de libre administration des collectivités locales.

M. Jean-Paul Delevoye, président, s'est interrogé sur le meilleur niveau pour un éventuel observatoire chargé d'anticiper les besoins sociaux.

Mme Mireille Montagne a confirmé que les besoins seraient mieux observés au niveau départemental, en liaison avec les caisses d'allocations familiales, en vue d'une synthèse nationale.

M. Jean-Paul Delevoye, président, ayant souligné le coût particulièrement élevé de la politique d'aide à l'enfance, Mme Mireille Montagne a appelé de ses voeux la mise en oeuvre d'actions de proximité associant les travailleurs sociaux, l'éducation nationale et le service de santé scolaire, afin de prévenir les placements en établissements, très onéreux.

M. Michel Mercier, rapporteur, a regretté que trop souvent les juges, poussés par les associations, ordonnent des placements dont le département doit assumer le coût sans être intervenu dans la décision.

Mme Mireille Montagne a observé que la grande majorité des cas faisant l'objet de décisions judiciaires avait été soumise au juge par les services départementaux. Elle a déploré le nombre inquiétant de situations familiales très lourdes, génératrices d'incestes et de violence, face auxquelles les travailleurs sociaux se trouvent d'autant plus perplexes qu'ils redoutent des poursuites pénales. Elle a estimé nécessaire de renforcer les moyens de la politique de santé mentale de proximité et de favoriser la collaboration des travailleurs sociaux avec les services d'hygiène mentale, tant pour les enfants que pour les adultes.

Audition de M. Xavier Dupont, directeur de la solidarité au conseil général d'Ille-et-Vilaine

Puis la mission a procédé à l'audition de M. Xavier Dupont, directeur de la solidarité au conseil général d'Ille-et-Vilaine.

M. Xavier Dupont a succinctement présenté le département de l'Ille-et-Vilaine, peuplé de 840.000 habitants, et son service d'action sociale, employant 700 agents, dont 500 travailleurs sociaux, répartis dans 20 unités distinctes appelées " centres départementaux d'action sociale ". Tout en soulignant leur analogie avec les centres communaux d'action sociale, il a noté que les centres départementaux agissaient dans un domaine où le département détenait la compétence de droit commun.

Il a estimé que la décentralisation avait renforcé l'efficacité et la performance de l'action publique en matière d'action sociale en contribuant à responsabiliser l'ensemble des acteurs de la filière sociale : secteur public, communes, établissements publics de coopération intercommunale, secteur associatif.

Observant les mutations de l'action sociale, il a souligné la nécessité du développement des services de proximité, afin que la prise d'initiatives et de responsabilités s'exerce le plus près possible des habitants, notamment grâce à la présence de travailleurs sociaux dans les quartiers en difficulté. Il a porté un jugement globalement positif sur le bilan de la décentralisation.

M. Xavier Dupont a ajouté que l'articulation des rôles respectifs impartis aux différentes catégories de collectivités locales, dans les domaines de l'action sociale et de la lutte contre les exclusions, était relativement aisée à mettre en oeuvre en Ille-et-Vilaine, le conseil général ayant développé un travail en commun avec les villes et les organismes de Sécurité sociale.

Citant l'exemple de Rennes et de Saint-Malo, il a indiqué que, si chacun des acteurs gardait son domaine de compétences, le regroupement en un même lieu des centres communaux d'action sociale, des services sociaux départementaux et des caisses d'allocations familiales avait permis la mutualisation des moyens humains et la simplification des formalités administratives pour les usagers.

M. Xavier Dupont a jugé que la protection et l'aide à l'enfance constituaient le domaine de compétences le plus homogène parmi ceux attribués au département en matière d'action sociale, par opposition avec la prise en charge des personnes âgées ou des personnes handicapées et le secteur de l'insertion.

En matière de prise en charge des personnes âgées, enjeu primordial pour les départements, il a indiqué que la répartition des rôles entre les différents intervenants tendait à s'infléchir, en particulier depuis la réforme de la tarification des établissements d'hébergement. Il a estimé que le département était la collectivité la mieux placée pour planifier les réponses en fonction des besoins, pour repérer l'acteur le plus efficient en fonction de l'action envisagée, et pour coordonner la prise en charge gérontologique sur le territoire départemental.

M. Xavier Dupont a estimé que le vieillissement de la population serait un des principaux défis auxquels seraient confrontées les collectivités locales dans les prochaines années.

Il s'est de plus inquiété de l'évolution des relations entre les services sociaux et les usagers, plus exigeants, connaissant mieux leurs droits et parfois plus revendicatifs. Constatant que les travailleurs sociaux n'étaient pas toujours préparés à ces nouvelles relations, il a souhaité que leurs méthodes de travail laissent davantage de place à la participation des usagers.

Il a évoqué l'émergence de difficultés sociales nouvelles auxquelles les services auront à faire face, en raison de la précarité de l'emploi, de la fragilité des relations familiales, de la fréquence croissante des situations temporaires de rupture dans la vie familiale et professionnelle.

M. Xavier Dupont a estimé que la loi relative à la lutte contre les exclusions était encore trop récente pour que l'on puisse apprécier ses résultats. Il a redouté que l'administration centrale ne cède à la tentation d'édicter des règles d'application de portée générale, établies par des fonctionnaires de l'Etat méconnaissant les réalités sociales dans leur diversité. Il a donné l'exemple d'une circulaire relative aux plans locaux pour l'insertion. Il a souhaité que la nécessaire coordination des actions de l'Etat et des collectivités locales soit adaptée aux besoins de chaque bassin d'emploi.

Pour approfondir la décentralisation et renforcer la cohérence de l'action publique, il a appelé de ses voeux le transfert aux départements de l'ensemble des compétences concernant l'action sociale en faveur des handicapés tout en reconnaissant qu'une telle évolution se heurterait à la résistance des associations concernées. Il a suggéré en revanche que l'Etat soit chargé de toute la politique sanitaire, à l'exception de la protection maternelle et infantile maintenue au département.

Il a considéré que les inégalités constatées d'un département à l'autre en matière d'action sociale avant la décentralisation n'avaient pas été aggravées et qu'il appartenait à chaque conseil général de débattre du niveau de prestations équitable en fonction de l'offre et des besoins.

M. Xavier Dupont a souligné que le département d'Ille-et-Vilaine s'efforçait d'évaluer les bénéfices de la politique d'action sociale revenant à chaque commune et à chaque canton.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a relevé l'intérêt de M. Xavier Dupont pour l'évaluation des politiques publiques et l'a interrogé sur les méthodes.

Il a noté que M. Xavier Dupont préconisait la constitution d'un bloc homogène de compétences en matière de politique en faveur des handicapés au profit du département, d'autres proposant plutôt de confier cette responsabilité à l'Etat. Il a souhaité savoir si l'enchevêtrement des compétences en matière d'aide aux personnes âgées ou d'aide sociale à l'enfance lui paraissait également préjudiciable à l'efficacité de l'action publique.

Il a enfin demandé à M. Xavier Dupont si le cloisonnement des filières de travailleurs sociaux constituait un facteur de rigidité des structures et des actions.

M. Xavier Dupont a apporté les réponses suivantes :

- le conseil général d'Ille-et-Vilaine est très favorable à l'évaluation continue de l'action sociale conduite dans le département. L'observatoire mis en place à Rennes, commun à la caisse d'allocations familiales, à la ville et au département, permet d'échanger les expériences, de les analyser et d'adresser des recommandations à tous les services ainsi qu'aux instances politiques ;

- l'action sociale en faveur des personnes âgées relève d'un trop grand nombre d'intervenants pour faire l'objet d'un bloc de compétences homogène. La cohérence doit être recherchée par la mise en commun des expériences et l'harmonisation des pratiques ;

- la coordination des actions de l'Etat et du département en matière d'assistance à l'enfance en danger souffre de la tendance au désengagement des services judiciaires dans le domaine de la prévention ;

- le renforcement du caractère interdisciplinaire des formations contribuera à décloisonner les filières des travailleurs sociaux.

En réponse à M. Jean-Paul Delevoye, président, qui suggérait un travail préventif sur les familles susceptibles d'éviter des placements coûteux, M. Xavier Dupont a souligné les difficultés croissantes rencontrées par les travailleurs sociaux pour conduire des actions préventives, en raison notamment des risques de poursuites pénales. Il a reconnu que son département dépensait autant pour financer le placement de 2 000 enfants dans des familles d'accueil ou des établissements que pour l'insertion des attributaires du RMI, mais n'avait pas les moyens d'intervenir en amont auprès des enfants en danger.

En réponse à M. Michel Mercier, rapporteur, qui relativisait le coût de l'hébergement des personnes âgées, M. Xavier Dupont a observé que la collectivité ne prenait en charge que 10 à 20 % de ce coût, largement supporté par les intéressés eux-mêmes, à la différence du placement en établissement des handicapés ou des enfants.

M. Michel Mercier, rapporteur, a déclaré que l'aide à l'enfance lui paraissait constituer un bloc de compétences cohérent dévolu au département.

En réponse à une question de M. Michel Mercier, rapporteur, sur l'aide aux handicapés, M. Xavier Dupont a préconisé le transfert du secteur du travail protégé aux départements, à son avis mieux à même que l'Etat de connaître les besoins et d'y apporter une réponse adaptée, l'Etat gardant la maîtrise de l'allocation aux adultes handicapés.

Interrogé par M. Michel Mercier, rapporteur, sur les relations entre départements et communes, M. Xavier Dupont a mis en avant le concept de subsidiarité : une commune peut recevoir compétence du département, assortie de moyens financiers, si elle est mieux placée pour l'exercer, ce qui suppose capacité technique et volonté politique. Il a donné l'exemple de quelques villes de l'Ille-et-Vilaine, notamment Rennes et Saint-Malo, auxquelles le département a dévolu l'insertion des attributaires du RMI, et il a évoqué les perspectives ouvertes par le développement de l'intercommunalité.

Audition de M. Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'ODAS (Observatoire national de l'action sociale décentralisée)

La mission a ensuite procédé à l'audition de M. Jean-Louis Sanchez, délégué général de l'ODAS (Observatoire national de l'action sociale décentralisée).

Après avoir rappelé les relations qu'entretient l'ODAS avec les collectivités locales, au premier rang desquelles les départements, M. Jean-Louis Sanchez a estimé que le bilan de la décentralisation de l'action sociale pouvait s'apprécier au regard des trois objectifs qu'avaient fixés les lois de décentralisation : un accroissement quantitatif, une optimisation de la gestion et une meilleure adaptation à la diversité des territoires.

M. Jean-Louis Sanchez a jugé que la décentralisation s'était incontestablement accompagnée d'un accroissement de la dépense publique consacrée à l'aide sociale. Il a souligné que la générosité des départements avait permis, ces quinze dernières années, d'accroître de 110 % le montant de cette dépense, cette hausse étant notamment causée par la montée en puissance de dépenses non obligatoires pour les départements mais assumées à titre volontaire. Le délégué général de l'ODAS a ainsi relevé que le soutien aux handicapés avait été notablement accru et que les disparités entre les départements avaient parallèlement été réduites au cours des quinze dernières années. M. Jean-Louis Sanchez a également observé que les dépenses d'accompagnement social -protection maternelle et infantile et travail social- avaient augmenté de 123 % en quinze ans, les départements n'étant pourtant pas non plus contraints de fournir un tel effort.

M. Jean-Louis Sanchez s'est inscrit en faux contre les reproches parfois adressés à l'encontre des départements au sujet de la gestion de l'allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP), dont il a souligné les effets pervers, les personnes les moins dépendantes contribuant davantage que les plus dépendantes, ce qui expliquait, à son sens, l'attitude restrictive de certains élus en la matière.

M. Jean-Louis Sanchez a estimé que la décentralisation avait aussi amélioré la performance de l'action sociale. Il a ainsi relevé que l'accès aux soins des plus démunis avait été engagé, par une grande majorité de départements, avant même l'adoption de la loi de 1992 généralisant les cartes familiales d'accès aux soins. Il a considéré que la décentralisation de l'action sociale avait donné lieu à une optimisation des réponses apportées, du fait de l'amélioration de la gestion et de la tarification. Il a constaté que certains départements avaient engagé une planification de l'action sociale décentralisée, une enquête menée en 1995 par l'ODAS montrant que des schémas en matière de gérontologie et de handicaps avaient été mis en place dans la plupart d'entre eux.

M. Jean-Louis Sanchez a toutefois estimé que la décentralisation de l'action sociale ne s'était pas accompagnée d'une adaptation suffisante à la diversité des territoires. Insistant sur la liberté des départements pour gérer certaines actions, comme le travail social ou les dépenses facultatives de prévention, il a regretté le nombre insuffisant de redécoupages des circonscriptions d'intervention sociale. Engagés tardivement durant la dernière décennie, ces redécoupages permettent en effet d'adapter les interventions aux espaces de vie réels, et aux évolutions sociales et démographiques, telles que la concentration urbaine ou la désertification rurale. Il a affirmé que, jusqu'à un terme récent, les réorganisations des circonscriptions menées par certains départements avaient eu un objectif gestionnaire plutôt que stratégique et ne correspondaient que peu à une vision renouvelée de la responsabilité des collectivités en la matière. Il a souligné que, depuis deux ans, un processus de territorialisation de l'action sociale décentralisée dans un but préventif semblait pourtant s'engager.

M. Jean-Louis Sanchez a jugé que les départements avaient privilégié dans un premier temps l'action sociale en faveur de l'enfance, de la jeunesse et de l'insertion, au détriment du nécessaire accompagnement du vieillissement de la population. Il a relevé qu'un souci de rééquilibrage expliquait l'engagement actuel de ces collectivités en faveur de la prestation spécifique dépendance (PSD). Il a regretté que la mise en place de la PSD n'ait pas été l'occasion d'une véritable prise de conscience par les départements, dont la compétence est pourtant reconnue en matière de gérontologie, de l'enjeu que représente le vieillissement d'un nombre croissant de personnes dans la solitude et dans la pauvreté. Il a observé que des études menées aux Etats-Unis montraient que la progression de l'espérance de vie était plus rapide que celle de l'espérance de vie sans handicap, à cause de l'augmentation du nombre de handicaps psychiques chez les personnes âgées, liée à l'absence de lien social.

M. Jean-Louis Sanchez a conclu à un bilan positif de la décentralisation en matière de gestion et d'adaptation de l'action sociale, qui démentait, selon lui, les craintes initiales. Il a toutefois souligné le manque de vision prospective et territorialisée de l'action sociale décentralisée, particulièrement frappant en matière de vieillissement.

M. Jean Paul Delevoye, président, reprenant certains propos de l'orateur, l'a interrogé sur l'approfondissement prévisible du rôle de l'action sociale dans notre société au cours des années à venir.

M. Jean-Louis Sanchez a estimé que les dépenses d'action sociale s'accroîtraient dans les trois à quatre prochaines années, principalement à cause du vieillissement de la population et du financement inéluctable, par les départements, de la prestation sociale dépendance à domicile. Considérant, en outre, que le relâchement actuel du lien social entraînerait une augmentation significative du besoin de soutien public des familles et de l'enfance, le délégué général de l'ODAS a jugé que la prévention devrait voir son rôle sensiblement accru. Il a observé que la mobilisation des élus locaux en faveur de la restauration du pacte social mettrait sans doute à l'ordre du jour la question de la responsabilité individuelle, et que des actions tendant à développer la citoyenneté seraient, en conséquence, probablement mises en place.

Pour faire face à cet accroissement prévisible du besoin d'action sociale, M. Jean-Louis Sanchez a jugé qu'une mobilisation des travailleurs sociaux était nécessaire, qui devait, à son sens, s'accompagner d'une réduction des tâches administratives effectuées par ces derniers, au profit du " travail social communautaire ", sur le modèle anglo-saxon. Il a jugé qu'il serait nécessaire de mettre en place, dans chaque collectivité locale, des " chartes éthiques " entre travailleurs sociaux et élus locaux, précisant que le travail social ne doit être ni un contre-pouvoir, ni un instrument au service d'une tactique politicienne. Il a souhaité que l'action sociale territorialisée s'inspire des principes du préambule de la Constitution, qui fonde le consensus national français.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a demandé au délégué général de l'ODAS s'il estimait que la politique en faveur des handicapés devait être transférée en totalité à l'un ou l'autre des deux intervenants en la matière, l'Etat et le département.

M. Jean-Louis Sanchez a répondu que la décentralisation était à son sens nécessaire dès qu'une réponse territorialisée était requise. Il a, en conséquence, jugé que l'octroi de prestations relevait du niveau national, mais que la mise en oeuvre de politiques adaptées relevait du niveau décentralisé. Il a donc estimé que la politique en faveur des handicapés devait être entièrement décentralisée, jugeant absurde qu'une personne handicapée puisse relever, selon le moment de la journée, de l'Etat ou du département. Il a estimé que les politiques de l'enfance et des personnes âgées nécessitaient également une mise en oeuvre entièrement décentralisée.

M. Jean-Louis Sanchez a relevé que les départements de taille intermédiaire (de 500 000 à 1 million d'habitants) obtenaient en général de meilleurs résultats en matière d'action sociale, qu'il s'agisse de leur capacité à adapter les solutions aux besoins de populations, de la gestion administrative, de leur savoir-faire pour la mise en oeuvre ou de leur réflexion stratégique.