MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGEE DE DRESSER LE BILAN DE LA DECENTRALISATION ET DE PROPOSER LES AMELIORATIONS DE NATURE A FACILITER L'EXERCICE DES COMPETENCES LOCALES

Table des matières


Mardi 6 juillet 1999

- Présidence de M. Jean-Paul Delevoye, président -

Audition de M. Didier Lallement, directeur général des collectivités locales au ministère de l'intérieur

La mission a procédé à l'audition de M. Didier Lallement, directeur général des collectivités locales au ministère de l'intérieur, sur le thème des conditions d'exercice des mandats locaux.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a souligné que dans le cadre de la réflexion de la mission sur l'amélioration de la performance des services publics locaux, il était important de recueillir l'éclairage de la direction générale des collectivités locales sur les conditions d'exercice des mandats locaux, en relation avec la mise en cause de la responsabilité pénale des élus et l'équilibre des relations entre l'Etat et les collectivités locales dans l'exercice des compétences transférées.

M. Didier Lallement a rappelé que les conditions d'exercice des mandats locaux n'étaient que l'un des éléments à prendre en compte pour apprécier globalement la performance d'un système décentralisé.

Il a précisé que la loi n° 92-108 du 3 février 1992 relative aux conditions d'exercice des mandats locaux avait apporté des garanties nouvelles, sans rompre toutefois avec l'esprit du dispositif résultant des textes précédents.

Il a souligné également que la philosophie du dispositif sur le plan financier demeurait fondée sur le principe que le mandat était gratuit mais qu'il ouvrait droit à des indemnités pour l'exercice de la fonction.

Il a rappelé que la loi du 3 février 1992 portait sur deux aspects : la démocratisation de l'accès aux mandats locaux et la transparence des modalités d'indemnisation des élus.

Concernant la démocratisation de l'accès aux mandats locaux, le texte s'est efforcé d'améliorer la disponibilité en temps des élus par rapport à leurs employeurs en réglementant le régime des autorisations d'absence pour participation à des séances ou réunions de travail, ainsi qu'en prévoyant un crédit d'heures.

M. Didier Lallement a rappelé que le dispositif du crédit d'heures, forfaitaire et trimestriel, visait à permettre à l'élu local de disposer du temps nécessaire à l'administration de la collectivité et à la préparation des réunions. Il a observé sur ce point que la loi du 3 février 1992 avait modernisé le dispositif d'autorisation d'absence qui existait déjà.

Un autre volet de la loi a apporté certaines garanties accordées aux élus locaux pour l'exercice de leur activité professionnelle. Il s'agit du maintien du droit aux prestations sociales, de l'interdiction du licenciement, du déclassement ou des sanctions disciplinaires en cas d'absence de l'élu pour l'administration de la collectivité locale, du droit à suspension du contrat de travail et du droit à la réintégration dans l'entreprise sur le poste de travail à l'issue du mandat, en bénéficiant éventuellement d'un stage de remise à niveau.

M. Didier Lallement a indiqué que la loi avait prévu également un volet relatif au droit à la formation sous la forme d'un volume d'heures de formation, ne pouvant excéder 20 % des crédits ouverts au titre des indemnités de fonction versées par la collectivité, dans la limite d'un plafond de six jours de formation par élu et par mandat.

Puis, M. Didier Lallement a évoqué le volet relatif au droit à la protection sociale qui prévoit l'affiliation au régime général de la sécurité sociale pour tous les élus ainsi qu'un dispositif spécifique en matière de retraite à trois étages -un régime de base, un régime complémentaire géré par l'IRCANTEC et un régime de capitalisation par rente.

M. Didier Lallement s'est interrogé sur le fait que le régime complémentaire de retraite par capitalisation n'était pas ouvert, en droit, aux élus locaux qui renonçaient à toute activité professionnelle pour exercer leur mandat électif.

S'agissant de la transparence de l'indemnisation des élus, M. Didier Lallement a rappelé que la loi avait généralisé le champ des barèmes d'indemnisation, qui existaient auparavant de manière partielle, à l'ensemble des mandats électifs locaux.

Il a relevé que la transparence accrue était allée de pair avec l'intégration des indemnités dans le régime fiscal de droit commun, sous réserve du mécanisme de la retenue à la source.

Il a rappelé la création d'une dotation particulière aux communes de moins de 1.000 habitants, versée sous condition de potentiel fiscal, dont le montant global était fixé à 273 millions de francs, sur la base de l'évaluation des sommes reversées à l'Etat à la suite de la fiscalisation.

Evoquant ensuite les perspectives en matière de condition d'exercice des mandats locaux, M. Didier Lallement a constaté que la loi de 1992 n'avait pas rompu avec la spécificité française de la gratuité du mandat tout en améliorant les modalités d'indemnisation. Il a relevé qu'une professionnalisation accrue du mandat pourrait conduire à mettre en place un système de carrière de l'élu qui permettrait une " délocalisation " au fur et à mesure de son accession à des mandats de plus en plus importants, par analogie avec certains modèles étrangers. Evoquant les inconvénients de la professionnalisation, il a estimé préférable de rechercher l'amélioration de la loi du 3 février 1992.

Il a constaté qu'une revalorisation du barème indemnitaire serait aisée à mettre en place techniquement. A cet égard, il a rappelé que la revalorisation du barème d'indemnisation des maires prévue dans le projet de loi relatif au cumul des mandats actuellement en discussion, représenterait un surcoût de 800 millions de francs si elle était adoptée en l'état. Il a remarqué en outre que le dispositif proposé conduirait à mettre en place deux barèmes différents pour les maires et pour les adjoints, l'indemnisation de ces derniers demeurant inchangée.

Il a souligné que le dispositif de formation constituait l'une des principales carences du système actuel en constatant que dans les comptes administratifs pour 1996, le volume des crédits de formation s'élevait à 12,5 millions de francs, soit un montant bien inférieur à ce qu'il aurait pu être, si le montant maximum des crédits autorisés de l'ordre de 1,3 milliard de francs avait été consommé.

Il a observé que la procédure d'agrément des organismes de formation par le conseil national de la formation des élus locaux, dont les avis étaient généralement suivis par le ministre de l'intérieur, n'était pas en cause.

Rappelant que la formation était un investissement pour l'avenir, il s'est interrogé sur l'éventualité d'une mutualisation des coûts de formation selon l'importance des collectivités locales.

De même, s'agissant des risques liés à l'interruption de l'activité professionnelle, il s'est demandé si une réflexion ne devrait pas être engagée en matière de réinsertion des élus à l'issue de leur mandat, en prévoyant une mutualisation du financement à partir des indemnités versées, par analogie avec le dispositif existant pour les députés.

Concernant la responsabilité pénale et civile des élus locaux, il s'est demandé si la commune ne pourrait pas se substituer aux élus dans certaines hypothèses de mise en cause bien définies.

S'agissant du régime de retraite, il a souligné que le dispositif actuel donnait satisfaction et reposait sur une logique de mutualisation qui ne semblait pas critiquable. Il a rappelé toutefois l'existence de différences de situation résultant en réalité du régime dont relevait l'élu avant son mandat et notamment de la possibilité pour les fonctionnaires élus de cumuler le régime de la Préfon avec celui de la retraite par rente.

En conclusion, M. Didier Lallement a estimé que l'économie générale des principes de la loi de 1992 demeurait satisfaisante et qu'il importait d'engager une réflexion sur l'amélioration des moyens de gérer les collectivités locales.

Après avoir relevé les inégalités entre collectivités locales dans la conception et la mise en oeuvre des projets de développement, M. Jean-Paul Delevoye, président, s'est interrogé sur les moyens de moderniser le régime de la fonction publique territoriale. Il a souligné que l'augmentation du temps consacré aux réunions et à la concertation nécessitait de réfléchir sur le régime de délégations du maire. Il s'est interrogé sur le régime des frais de représentation.

S'agissant du principe des indemnités, il s'est prononcé contre l'idée d'une professionnalisation de la fonction d'élu en considérant que cela irait à l'encontre de l'éthique du mandat électif général. Il s'est interrogé toutefois sur les désavantages relatifs subis par les élus des communes de 10.000 à 25.000 habitants.

Rappelant que le programme de formation " Mairie 2000 ", organisé par l'association des maires de France, avait accueilli 14.000 élus, il s'est demandé si la sous-consommation du droit à formation n'était pas due aux coûts trop importants demandés par les organismes spécialisés.

Concernant le régime des retraites, il a regretté que l'élu local perde la protection sociale complémentaire dont il bénéficiait en cas de cessation de son activité professionnelle pour se consacrer à son mandat électif.

Enfin, il s'est interrogé sur la conduite à adopter face aux demandes de nouvelles règles indemnitaires pour l'exercice de fonctions dans des organismes tels que les conseils économiques et sociaux régionaux (CESR) ou les présidences des conseils d'administration des services départementaux d'incendie et de secours.

En réponse, M. Didier Lallement a tout d'abord observé que la " réunionnite " n'affectait pas seulement les élus locaux mais qu'il s'agissait d'un phénomène inhérent à la transformation d'une administration fondée sur l'édiction d'actes unilatéraux à une administration privilégiant des interventions contractualisées.

Concernant les collaborateurs des élus locaux, il a constaté que les services de l'Etat reconnaissaient la valeur et la capacité d'initiative des administrateurs territoriaux même s'il demeurait exact que les petites communes n'avaient pas les moyens d'établir un vrai dialogue administratif avec les grandes collectivités locales ainsi qu'avec l'Etat.

M. Michel Mercier, rapporteur, s'est alors interrogé sur les disparités de rémunération dans la fonction publique territoriale.

S'agissant des frais de représentation, M. Didier Lallement arappelé que le dispositif de l'article L. 2123-9 du code général des collectivités territoriales, issu de la loi du 5 avril 1884, était applicable aux maires sur décision du conseil municipal, mais qu'il n'avait pas été étendu par la loi aux conseils généraux, aux conseils régionaux et aux conseils des établissements publics de coopération intercommunale (EPIC).

Il a souligné que la récente disposition adoptée à l'article 46 quindecies du projet de loi relatif au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, portant sur les frais de représentation des titulaires des emplois fonctionnels des départements, des régions, des communes ou du poste de directeur d'un EPIC, pourrait conduire à remettre en cause la doctrine, parfois admise, aux termes de laquelle l'absence de dispositions législatives en ce domaine ne faisait pas obstacle aux délibérations prises par les collectivités locales autres que les communes.

M. Jacques Oudin s'est interrogé sur les conséquences de la disposition relative aux frais de représentation, incluse dans la loi précitée, et a souhaité que le dossier des frais de représentation soit traité globalement.

M. Didier Lallement a estimé, à titre personnel, qu'un accord préalable sur le barème des frais de représentation pourrait être de nature à faciliter la recherche d'une solution dans ce dossier et a rappelé que la disposition introduite dans la loi précitée n'avait pas été prise à l'initiative du Gouvernement.

M. Jacques Oudin, soulignant le rôle accru demandé aux collectivités locales en matière de développement économique et d'aménagement du territoire, a regretté que celles-ci ne puissent recruter plus facilement des " chefs de projet ", dotés d'une rémunération appropriée, pour l'exercice de fonctions de courte durée et très spécialisées.

M. Jean-Paul Delevoye, président, a souligné qu'il serait préférable de faciliter le recrutement de personnels sous contrat à durée déterminée pour des opérations ponctuelles plutôt que d'inciter, comme c'est le cas actuellement, à la passation de conventions de prestations de service avec des cabinets d'études. Il a estimé que la question de la réglementation des frais de représentation pourrait être traitée sans nécessairement heurter l'opinion publique. Il a déploré l'absence d'une clarification des responsabilités au sein de la chaîne de commandement public qui conduisait, par exemple, à ce que le maire ne soit jamais déchargé de sa responsabilité quelle que soit la nature des délégations accordées.

En réponse, M. Didier Lallement a précisé qu'en principe le statut de la fonction publique territoriale n'interdisait pas le recrutement d'agents contractuels pour des tâches spécifiques à durée déterminée, rappelant toutefois que le recours des collectivités territoriales, par le passé, à des personnels contractuels pour des fonctions correspondant à des emplois permanents avait soulevé de multiples contentieux qui n'étaient pas encore aujourd'hui complètement réglés.

S'agissant du régime des indemnités non prévues par les textes, il a estimé que des solutions législatives pourraient être mises en place pour les membres des comités économiques et sociaux régionaux ainsi que pour les présidents de conseil d'administration des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) dont les responsabilités sont importantes. En revanche, il a émis des réserves sur l'idée d'une généralisation de l'indemnisation des fonctions exercées dans les établissements publics locaux dont il a souligné le nombre et la variété.

Concernant la " chaîne des responsabilités publiques ", M. Didier Lallement a admis l'imprécision de la jurisprudence et il a estimé que ce dossier mériterait un examen approfondi en vue de remettre à jour les textes sur les délégations de pouvoir.

M. Jacques Oudin s'est interrogé sur les limites concrètes apportées à l'exercice du pouvoir hiérarchique des élus locaux sur les fonctionnaires territoriaux. Il a souhaité une clarification du cadre juridique en matière de recrutement de personnel contractuel de haut niveau par les collectivités locales.

M. Didier Lallement a rappelé que les collectivités locales étaient autorisées à recruter des personnels sous contrat à durée déterminée pour l'exercice d'une activité qui ne relevait pas d'un cadre d'emploi statutaire et il a estimé que les difficultés d'interprétation actuelle pouvaient être résolues pragmatiquement dans le cadre d'un dialogue franc entre les services de collectivités locales et ceux du contrôle de légalité sur la nature des postes ainsi pourvus.

M. Michel Mercier, rapporteur, a considéré qu'il faudrait distinguer les personnels statutaires, chargés de la gestion courante, et les personnels contractuels recrutés pour assurer la réalisation d'un projet déterminé dans l'esprit d'une " administration de mission ".

M. Jacques Bellanger a regretté que le débat ait été plus centré sur les problèmes des collaborateurs des élus que sur ceux des élus eux-mêmes. Rappelant que pour les communes de plus de 20.000 habitants, le maire devait être en fonction en permanence, il a déploré les inégalités d'accès aux fonctions électives, en soulignant les difficultés que rencontraient les membres des professions libérales ainsi que les salariés des petites et moyennes entreprises qui abandonnaient leur emploi pour exercer les fonctions de maire.

S'interrogeant sur le contrôle du cumul des rémunérations, il a souligné les insuffisances du barème actuel de l'indemnisation tout en reconnaissant les contraintes inhérentes à l'existence de plus de 36.000 communes en France.

M. Jacques Oudin a souligné que les " préretraités " ou les " jeunes retraités " devenaient désormais la catégorie de la population la plus susceptible d'assumer les fonctions de maire. Il a souhaité une clarification générale des textes en vue de faciliter l'accès aux fonctions électives locales.

En réponse, M. Didier Lallement a rappelé que les conditions financières d'exercice des mandats faisaient de la France un pays " à mi-chemin " entre le principe de la gratuité des mandats et celui de la professionnalisation du métier politique.

Il a souligné que le dispositif actuel pouvait être amélioré sur certains points mais que si le " curseur " était poussé trop loin dans le sens d'une professionnalisation accrue, la France basculerait dans un nouveau système dont les inconvénients mériteraient d'être complètement analysés, notamment du point de vue de la démocratie locale. Il a souligné la difficulté inhérente à l'existence de près de 40.000 collectivités locales différentes en France, d'importance très variable.

S'agissant de la fonction publique territoriale, il a rappelé les avantages d'un système unitaire qui apporte les mêmes garanties à une petite commune qu'à une grande collectivité locale de taille européenne.

S'agissant de la perception du statut financier des élus par l'opinion publique, il a estimé que la faible consommation des crédits de formation était vraisemblablement révélatrice d'une prudence des élus locaux sur ce sujet.