MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGEE DE DRESSER LE BILAN DE LA DECENTRALISATION

Table des matières


Mercredi 8 septembre 1999

- Présidence de M. Jacques Bellanger, vice-président.

Communication du rapporteur - Echanges de vues

La mission a entendu une communication de son rapporteur, suivie d'un échange de vues, sur le bilan et les perspectives de la situation financière des collectivités locales.

M. Michel Mercier, rapporteur, a tout d'abord rappelé que les problèmes rencontrés par les collectivités locales françaises existaient également, parfois de manière plus importante, dans d'autres pays occidentaux. Il a observé que les collectivités locales françaises avaient redressé leur situation financière au cours des années 90 et avaient amélioré leurs capacités de gestion. Il a notamment relevé que, il y a quinze ans, les élus étaient particulièrement passifs dans la gestion de leurs dettes. Il a souligné que l'exemple du désendettement des collectivités locales était révélateur de l'efficacité de la décentralisation. Il a également insisté sur le rôle joué par les collectivités locales dans le respect par la France des critères de convergence fixés par le traité sur l'Union européenne.

Toutefois, en dépit des progrès, M. Michel Mercier, rapporteur, a constaté que les capacités de gestionnaire des élus locaux étaient encore parfois mises en cause, et que les collectivités locales n'étaient pas en position d'envisager les années à venir de manière totalement sereine en raison, d'une part, de la conjugaison de charges nouvelles importantes et du tarissement des recettes et, d'autre part, des limites de leur système actuel de financement.

M. Michel Mercier, rapporteur, a déploré que les finances locales soient devenues progressivement la variable d'ajustement du budget de l'Etat. Il a remarqué que cette tendance ancienne était accentuée par le Gouvernement actuel. Il a illustré son propos en indiquant que la réforme de la taxe professionnelle, celle des droits de mutation, la création de la taxe générale sur les activités polluantes, ou encore la loi sur le renforcement et la simplification de la coopération intercommunale avaient en commun de permettre à l'Etat de faire des économies au détriment des collectivités locales.

Evoquant les charges nouvelles supportées par les collectivités locales, il a mis en évidence le poids pour les budgets locaux des accords salariaux dans la fonction publique, particulièrement pénalisants en raison de la structure du personnel de la fonction publique, principalement composé d'agents de catégorie C. Il a constaté que, dans certaines collectivités, les dépenses de personnel augmentaient parfois de 5 % par an en l'absence de toute embauche. Il a relevé que l'écart entre le taux d'évolution des dotations de l'Etat et celui des dépenses de personnel constituait une source de tensions financières.

Le rapporteur a également insisté sur les coûts de la mise aux normes des équipements, ainsi que sur les difficultés de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), dont les réserves seront épuisées en 2000.

M. Claude Domeizel a confirmé que les réserves de la caisse étaient épuisées et a rappelé que, malgré l'opposition de la caisse et du Sénat, la loi de finances pour 1999 avait autorisé la CNRACL à emprunter 2,5 milliards de francs pour faire face au versement des prestations. Il a indiqué que cet emprunt devait être remboursé avant la fin de l'année et que, en 2000, le besoin de financement s'établirait entre 3 et 4 milliards de francs.

M. Claude Domeizel a rappelé que le groupe de travail constitué au sein du comité des finances locales avait proposé de partager l'effort nécessaire pour rétablir l'équilibre financier de la caisse, l'Etat acceptant de baisser le taux de la surcompensation " en échange " d'une augmentation du taux des cotisations acquittées tant par les collectivités locales que par leurs agents. Il a signalé qu'il était difficile d'obtenir un effort de la part de l'Etat car le taux fictif des cotisations employeurs de la fonction publique d'Etat s'établit à environ 35 % alors que le taux appliqué aux collectivités locales n'est que de 25 %.

M. Claude Domeizel a cependant estimé que la situation était moins préoccupante qu'on ne le dit parfois et que, en 2007, le montant des prestations serait égal à celui des cotisations. Il a indiqué que les résultats de l'année 1998 seraient meilleurs que prévu, les augmentations de salaires induisant une augmentation des recettes de la caisse, et que, pour faire face aux difficultés à venir, il n'y avait pas d'autre solution que de baisser le taux de la surcompensation ou d'augmenter les cotisations.

M. Michel Mercier, rapporteur, s'est ensuite interrogé sur les perspectives à moyen terme du système actuel du financement des collectivités locales. Il a mis en évidence un mouvement de recentralisation des ressources locales, accentué par la réforme récente de la taxe professionnelle, qui place les collectivités en situation de dépendance par rapport à l'Etat, lequel peut modifier unilatéralement le montant de ses concours financiers. Il a expliqué ce mouvement de recentralisation par les doutes persistant sur la capacité de gestion des collectivités locales, par les contraintes budgétaires imposées par l'Union européenne et par la volonté de réduire les écarts de richesse entre collectivités. Il a regretté à ce sujet que le Gouvernement décide de faire de la péréquation en supprimant une partie du pouvoir fiscal des collectivités locales au lieu de renforcer le caractère péréquateur des dotations de l'Etat.

Il a considéré que, aujourd'hui, la question de l'avenir de la fiscalité locale était posée. Il a rappelé que, lors de son audition par la mission, le ministre de l'intérieur avait déclaré que l'autonomie des collectivités locales n'avait pas nécessairement pour corollaire le recours à la fiscalité directe locale. Il a jugé que la question était légitime en raison des graves défauts dont souffrent les impôts directs locaux, et particulièrement du caractère inadapté de leurs bases. Il a illustré son propos en rappelant le coût financier très important pour l'Etat de la prise en charge des différents dégrèvements et compensations. Il a jugé nécessaire de remédier à cette rupture du lien entre les prescripteurs de l'impôt local et ses contribuables.

M. Michel Mercier, rapporteur, a toutefois constaté que les réformes étaient de plus en plus difficiles à mettre en oeuvre en raison de la complexité du système et de l'imbrication des dispositifs. Il a rappelé que la révision des bases était sans cesse repoussée, et que la loi créant une taxe départementale sur le revenu avait été votée mais jamais appliquée.

Malgré tout, le rapporteur a considéré que la fiscalité directe restait un élément essentiel de l'autonomie des collectivités locales. Il a estimé que la situation française, celle d'un Etat unitaire, ne pouvait être comparée à celle de l'Allemagne, où l'autonomie des collectivités locales tirait ses fondements de l'organisation même de l'Etat.

M. Jean-Claude Peyronnet a partagé l'analyse du rapporteur. Il a estimé que les arguments de ceux qui prônent la suppression des impôts locaux seraient plus pertinents si les impôts perçus par l'Etat étaient plus justes. En effet, il a constaté que ni la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), ni la taxe intérieure sur les produits pétroliers, qui sont souvent considérées comme susceptibles d'être partagées entre l'Etat et les collectivités locales, n'étaient des impôts progressifs.

M. Michel Mercier, rapporteur, a insisté sur le fait que la fiscalité locale était particulièrement impopulaire, et que la suppression de la part " salaires " de la taxe professionnelle, aussi bien que la baisse des droits de mutation, avaient été bien accueillies. Il a préconisé la mise en place d'un nouveau cadre pour les relations entre l'Etat et les collectivités locales fondé sur la confiance et non plus sur la méfiance.

Dans l'attente des nécessaires réformes de structures, M. Michel Mercier, rapporteur, a considéré que pour améliorer la confiance, le Gouvernement pourrait faire un effort dans quatre domaines. En premier lieu, il a jugé nécessaire que le Gouvernement procède, dans la loi de finances pour 2000, à un abondement de la dotation globale de fonctionnement, de manière à éviter que la prise en compte du recensement ne pénalise les dotations de solidarité. En deuxième lieu, il a estimé qu'il faudrait modifier les mécanismes d'indexation de la compensation de la suppression de la part " salaires " de la taxe professionnelle et faire évoluer celle-ci en fonction d'un indicateur évoluant en fonction de l'activité économique (le PIB, les recettes fiscales ou la masse salariale) et non de la dotation globale de fonctionnement (DGF). En troisième lieu, il a déclaré qu'il était temps que le Gouvernement procède à la réforme de la fiscalité locale de France Télécom, et que cette ressource bénéficie enfin aux collectivités locales. Enfin, il a estimé urgent que le Gouvernement annonce des mesures en faveur de la CNRACL.

Après avoir fait part de son accord avec le diagnostic et les pistes de réflexion présentés par le rapporteur, M. Daniel Hoeffel a souhaité une meilleure articulation entre les évolutions en matière de finances locales et les réformes institutionnelles relatives aux collectivités territoriales. Prenant l'exemple de la taxe professionnelle, il a constaté que la suppression de la fraction de l'assiette de cet impôt assise sur les salaires, qui réduit les ressources et l'autonomie des collectivités locales, était contradictoire avec les orientations de la loi sur le renforcement et la simplification de la coopération intercommunale, qui érige le régime fiscal de la taxe professionnelle unique en pilier de l'intercommunalité.

M. Jacques Bellanger, président, a jugé que le rapporteur n'avait pas assez insisté sur les liens entre le renforcement du contrôle de l'Etat sur les ressources locales et la politique de maîtrise des dépenses publiques poursuivie depuis dix ans. Il a souscrit à l'idée de M. Daniel Hoeffel, selon laquelle il convient de ne pas traiter séparément le statut financier des collectivités locales et leur régime institutionnel. Il a mis en avant les inconvénients de l'éparpillement des collectivités locales qui conduit, d'une part, à déposséder les maires de leurs pouvoirs au profit de structures intercommunales à la légitimité démocratique moindre et, d'autre part, à l'impossibilité pour les collectivités locales d'établir un véritable rapport de force avec l'Etat. Il a douté que, dans un avenir proche, un Gouvernement accorde une véritable liberté fiscale aux collectivités locales.

M. Jean-Claude Peyronnet a souhaité que le rapporteur procède à un examen plus approfondi du lien entre autonomie fiscale et libre administration des collectivités locales. A cet égard, il a estimé qu'un exercice de droit comparé serait utile.

M. Michel Mercier, rapporteur, a considéré que l'existence de 36.000 communes, principal facteur d'éparpillement fiscal, résultait en grande partie de la tradition jacobine française. Il a jugé que la fiscalité locale était aussi figée que les structures territoriales de la République. Il a souligné le caractère traditionnel de la loi sur le renforcement et la simplification de la coopération intercommunale, qui encourage le regroupement des communes dans le respect de leur identité. Il a partagé l'analyse selon laquelle la réforme de la taxe professionnelle fragilisait la volonté du Gouvernement de promouvoir la taxe professionnelle unique à l'échelle de l'agglomération.

M. Bernard Murat s'est inquiété des conséquences du développement de l'intercommunalité sur le pouvoir de décision des maires, qui sont jugés par leurs électeurs à l'aune de leurs réalisations. Il a souhaité que les documents fiscaux présentent séparément les prélèvements votés par les communes de ceux perçus par les conseils généraux et régionaux, de manière à assurer une visibilité aux efforts des maires qui limitent la pression fiscale. Il a suggéré qu'un collège de conseillers généraux siège au sein de chaque conseil régional, afin de favoriser la concertation et la péréquation entre régions et départements. Évoquant la négociation des contrats de plan Etat-régions, il a préconisé un approfondissement de la péréquation en faveur des régions les plus pauvres.

M. Jean-Claude Peyronnet a souligné la nécessité d'informer les électeurs du poids croissant de la fiscalité perçue par les structures intercommunales.

M. Bernard Murat a mis en évidence une lacune de la loi relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, qui ne prend pas en compte les cas des communes dont la taille est très supérieure à celle de ses voisines, et pour lesquelles l'intercommunalité n'est pas forcément source d'efficacité.

M. Daniel Hoeffel, constatant que l'accroissement de la fiscalité intercommunale s'accompagnait très rarement d'une baisse des impôts perçus par les communes, a jugé opportun de mettre en évidence les liens entre les architectures institutionnelles et financières.

M. Claude Domeizel a souhaité que le rapporteur insiste sur le poids croissant du financement de l'élimination des déchets des ménages et de l'assainissement. Il a estimé que le problème financier posé par ces politiques était plus grave que celui de la CNRACL.

M. Jacques Bellanger, président, a également insisté sur la nécessité d'analyser le rôle des structures intercommunales, qui gèrent de manière parfois obscure des services intéressant directement la vie quotidienne des citoyens, tels que les transports collectifs ou le ramassage des ordures.

M. Claude Domeizel a indiqué que, à cet égard, la loi sur l'intercommunalité constituait un progrès puisque, dorénavant, seuls des élus pourront siéger dans les conseils des structures intercommunales.

M. Michel Mercier, rapporteur, a redouté que l'éparpillement des structures intercommunales ne s'ajoute à l'éparpillement communal. Il a signalé que le département du Rhône comptait désormais plus d'établissements publics de coopération intercommunale que de communes.

Le rapporteur a ensuite rappelé que la communication prononcée au début de la réunion n'avait pour objectif que d'introduire le débat, et a annoncé la tenue prochaine d'auditions consacrées au thème des finances locales.