MISSION COMMUNE D'INFORMATION CHARGEE DE DRESSER LE BILAN DE LA DECENTRALISATION ET DE PROPOSER LES AMELIORATIONS DE NATURE A FACILITER L'EXERCICE DES COMPETENCES LOCALES

Table des matières


Mercredi 3 novembre 1999

- Présidence de M. Joël Bourdin, vice-président, puis de M. Jean-François Humbert -

Audition de M. Guy Gilbert, Professeur à l'université Paris X Nanterre

La mission a procédé à l'audition de M. Guy Gilbert, Professeur à l'université Paris X Nanterre.

M. Joël Bourdin, président,
a invité M. Guy Gilbert à s'exprimer sur l'avenir du système de financement des collectivités locales dans la perspective d'une réforme de la fiscalité locale.

M. Guy Gilbert a tout d'abord souligné que le système de financement des collectivités locales se situait " à la croisée des chemins " dans la mesure où deux innovations majeures avaient été mises en place en 1999 : la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle par la loi de finances pour 1999 et le développement des formules de mutualisation des ressources fiscales par la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale.

Il a considéré que ces deux " avancées législatives " portaient chacune sur deux options concevables pour sortir du statu quo : soit entamer sérieusement l'autonomie financière et fiscale des collectivités locales, soit pallier les dysfonctionnements provenant du problème de l'émiettement territorial.

Il a rappelé la spécificité de la fiscalité locale en France en raison de l'importance de la répartition des bases d'imposition et du nombre élevé des collectivités territoriales.

Présentant un premier graphique sur lequel les pays de l'Union européenne étaient classés, verticalement, suivant leur degré d'autonomie fiscale et, horizontalement, selon la part des dépenses locales dans le produit intérieur brut (PIB), il a fait apparaître que deux pays " faisaient sécession " : les Pays-Bas et la France ; cette dernière se caractérise par une forte autonomie fiscale, c'est-à-dire une proportion importante des recettes fiscales dans les ressources locales, conjuguée à un poids relativement limité des dépenses des collectivités locales dans le PIB.

A partir d'un second graphique classant les pays en fonction de leur degré d'autonomie fiscale et de la population moyenne des " collectivités locales de base ", M. Guy Gilbert a fait apparaître que la France se singularisait par un fort degré d'autonomie fiscale apparente qui allait de pair avec un extrême fractionnement de la population dans les collectivités locales de base que sont les communes.

Il a estimé que les deux textes législatifs portant respectivement réforme de la taxe professionnelle et renforcement de l'intercommunalité allaient conduire la France à se rapprocher des caractéristiques majoritaires des pays membres de l'Union européenne, ce qui conduisait à retenir l'hypothèse d'une " relative normalisation " de la situation française au cours des prochaines années.

Evoquant les impôts locaux, M. Guy Gilbert a tout d'abord abordé la question du caractère adéquat ou obsolète des bases de la fiscalité locale.

Constatant l'impossibilité, ou tout au moins la difficulté, de la mise en oeuvre effective de la révision des bases, il y a vu le signe des obstacles à une remise en ordre de la fiscalité directe locale, tout en remarquant que certaines initiatives récentes, telles que l'instauration d'une taxe sur les logements vacants, n'avaient pas simplifié le dispositif.

Concernant la taxe professionnelle (TP), il a considéré que cet impôt avant 1999 ne pouvait pas être considéré comme un " impôt mal assis " du point de vue de l'économiste, dans la mesure où l'évolution des bases avait reflété celle du PIB.

Rappelant que la croissance des bases brutes de TP s'effectuait avant 1999 au même rythme que le PIB, avec deux ans de décalage, il a estimé que sur le plan macro-économique les bases de la TP n'étaient pas sensiblement éloignées de la notion de valeur ajoutée.

En revanche, il a considéré que la réforme de 1999 transformait véritablement la TP en un " impôt imbécile " au sens étymologique du terme, c'est-à-dire en un impôt affaibli structurellement, dans la mesure où l'exonération de la fraction salariale des bases générerait une forte distorsion macro-économique.

Il a envisagé le risque d'une disparition à terme de la taxe professionnelle en expliquant que la réforme de 1999 ne prenait pas en compte les demandes récurrentes des entreprises relatives à la déduction des amortissements et qu'elle générait un décalage entre l'imposition du capital et celle du travail qui serait difficile à maîtriser. Il a noté, à cet égard, que la réforme exacerberait les conséquences des disparités de répartition du potentiel fiscal de TP entre les entreprises.

Rappelant que les bases de la TP avant 1999 étaient assises à 40 % sur des éléments liés au travail et à 60 % sur des éléments liés aux immobilisations, il a estimé que d'un strict point de vue macro-économique, il eût été opportun d'alléger la part du capital dans les bases au lieu de l'alourdir afin de refléter plus fidèlement la proportion relative des facteurs de production dans le PIB.

Du point de vue économique, M. Guy Gilbert a estimé que seuls deux impôts étaient efficaces : les redevances perçues auprès des usagers des services publics locaux et l'impôt foncier assis sur la valeur vénale des immeubles.

Evoquant les systèmes, dits de partage fiscal (" tax-sharing "), appliqués à l'étranger et consistant à répartir entre plusieurs niveaux de collectivités locales une ressource fiscale commune, il a souligné, prenant l'exemple de l'Allemagne, que ces systèmes étaient " déresponsabilisants " sur le plan fiscal. Il a ajouté que se posait la question du choix des impôts nationaux à répartir en rappelant que les pays d'Europe du nord avaient privilégié le partage de l'impôt sur le revenu alors que l'Allemagne et le Royaume-Uni, qui avaient choisi des solutions moins tranchées, étaient aussi les pays dans lesquels les ressources locales étaient moins " robustes ".

D'une manière générale, il a souligné qu'en 2004, les deux tiers des ressources des collectivités locales françaises proviendraient des dotations de l'Etat, ce qui constituait un déplacement du centre de gravité par rapport à l'équilibre traditionnel entre dotations et recettes fiscales respecté dans notre pays.

Concernant le système de péréquation, M. Guy Gilbert a considéré que celui-ci était complexe et qu'il ne faisait pas l'objet d'évaluation permettant d'apprécier réellement et globalement la " performance redistributrice " du dispositif.

Il a observé que si l'on disposait d'éléments relativement précis sur l'effet péréquateur de la dotation globale de fonctionnement (DGF), aucune statistique ne portait sur la péréquation au sein de l'ensemble des concours aux collectivités locales et notamment sur l'effet des dotations versées à titre de compensation.

Il a estimé que ce manque d'instrument d'évaluation poserait problème dans la perspective d'une augmentation de la part relative des transferts budgétaires de l'Etat dans les ressources locales.

Il a souligné que le développement de l'intercommunalité était la dernière chance de sauver l'autonomie fiscale des collectivités locales.

Il a considéré que beaucoup de dispositions de la loi du 12 juillet 1999 précitée allaient dans le bon sens en observant toutefois que ce dispositif faisait " mauvais ménage " avec celui de la réforme de la TP prévue par la loi de finances pour 1999.

Il a remarqué que si la fiscalité locale était une incitation à l'intercommunalité, la diminution de la part relative des ressources de TP réduirait mécaniquement le caractère attractif de cette incitation ; en revanche, si on considère que la fiscalité locale est une barrière à la création de structures intercommunales, il y a lieu de penser que l'allégement de la TP faciliterait la constitution de structures intercommunales à fiscalité unique.

S'interrogeant sur la possibilité, à terme, d'une cohérence entre les deux dispositifs, il a estimé envisageable d'assister à l'avenir soit à une " nationalisation de la TP ", soit à un développement " furieux et désordonné " des regroupements à fiscalité unique.

M. Michel Mercier, rapporteur, tout en évoquant le caractère " décapant " de cette approche globale à laquelle les gestionnaires locaux, habitués aux aménagements à la marge, sont peu familiarisés, s'est interrogé sur les voies de réforme de la fiscalité locale.

En réponse, M. Guy Gilbert a tout d'abord estimé que les dotations de l'Etat devaient continuer à abonder de manière significative les ressources des collectivités locales et qu'il convenait de ne pas avancer trop fortement sur la voie de l'autonomie fiscale, afin d'éviter les risques de concurrence entre des collectivités locales se traduisant soit par une surenchère des services, soit par la recherche du mieux-disant fiscal.

Il s'est prononcé ensuite en faveur d'une meilleure évaluation de l'impact des dotations aux collectivités locales en insistant sur l'importance d'un contrôle accru du citoyen.

Il a estimé par ailleurs souhaitable que les marges de manoeuvre financières des collectivités locales, au-delà du versement des dotations de base, soient exclusivement dégagées par le recours à des ressources fiscales, l'objectif devant être de rétablir le lien entre la notion de contribuable local et celle d'électeur.

Il a souligné que les collectivités locales ne préserveraient pas leur marge de manoeuvre sans accepter une mutualisation volontaire de leurs ressources fiscales dans le cadre de structures intercommunales à fiscalité substitutive, et non pas additionnelle comme on le constate trop souvent.

Il s'est prononcé pour une fiscalité locale plus transparente et un accroissement des responsabilités des élus locaux, l'objectif étant d'éviter que certaines collectivités locales, dont les charges sont faibles, n'accroissent leur pression fiscale plus fortement que les collectivités dont les charges et les budgets sont plus importants. Il n'a pas exclu le recours à une fiscalité spécialisée par catégorie de collectivités, " à la marge ", tout en soulignant la difficulté de l'exercice.

M. Joël Bourdin, président, s'est interrogé sur les possibilités de moderniser les bases de calcul des impôts locaux qui reposent largement sur le principe ancien de l'imposition de valeurs foncières et immobilières. Il s'est demandé s'il fallait développer la péréquation à l'échelon territorial entre collectivités locales à l'instar de la région d'Ile-de-France. Il s'est interrogé sur la pertinence des multiples systèmes de zonage mis en place dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire.

M. Guy Gilbert a rappelé que la spécificité d'un impôt local était constituée par son enracinement sur un territoire. Un impôt local ne peut taxer que des éléments susceptibles d'être immobilisés et rattachés à une fraction du territoire.

Il a considéré que le résident devait rémunérer par le paiement d'une redevance les services publics locaux auxquels il avait accès ou, lorsque la tarification était impossible, verser un impôt assis sur la valeur vénale du bien immobilier qui mesure en fait la valeur capitalisée de l'utilité relative des services publics offerts par la collectivité locale.

S'agissant de la péréquation au niveau départemental ou régional, il a estimé que celle-ci pouvait répondre à un objectif d'équité tout en soulignant qu'il fallait éviter de l'instaurer sur des zones trop disparates en termes de richesse relative.

M. Guy Gilbert a rappelé qu'il était important de restaurer des conditions de concurrence normales entre les collectivités locales en égalisant " le pouvoir d'achat des impôts locaux " afin que les services rendus dans une commune qui connaît des charges structurelles importantes, le soient au même prix que ceux assurés par une commune bénéficiant d'une situation naturelle plus avantageuse.

Dans cette perspective, il a souligné que le choix du niveau de péréquation dépendait de l'étendue du territoire sur lequel les collectivités locales se faisaient concurrence en termes d'offre de services.

Concernant la politique de zonage, il a estimé que d'un point de vue micro-économique, les aides fiscales étaient théoriquement positives puisqu'elles favorisaient un développement économique de la zone qui était ainsi en mesure de créer de la richesse et de rejoindre le niveau moyen des autres collectivités locales, ceci jusqu'au moment où l'incitation devenait inutile.

En revanche, du point de vue macro-économique, il a estimé que les politiques de zonage constituaient un jeu à somme " au moins nulle " dans la mesure où ce que gagnait une collectivité locale était souvent perdu par les autres. A la limite, ces systèmes de zonage peuvent générer des inégalités que l'on cherchera paradoxalement à combler par une péréquation renforcée au sein des dotations de l'Etat au risque d'alourdir encore le système.

Puis, la mission a procédé à l'audition de M. Joël Bourdin, en sa qualité de rapporteur de l'Observatoire des finances locales.

M. Joël Bourdin a présenté les grandes lignes de son rapport sur l'état des finances locales en 1999. Il a tout d'abord constaté que l'accord salarial dans la fonction publique de février 1998 avait conduit en 1998 et 1999 à une augmentation de plus de 10 % des charges de personnel des collectivités locales. Il a rappelé que les charges de personnel constituaient environ 35 % des charges de fonctionnement des collectivités locales, et que cette proportion était de 40 à 50 % pour les villes. Il a relevé que, depuis le début des années 90, les charges de personnel avaient toujours augmenté d'au moins 4 % par an.

M. Joël Bourdin a indiqué que les ressources des collectivités locales évoluaient à un rythme moins rapide que leurs charges. Il a constaté que les dotations de l'Etat augmentaient plus vite que l'inflation, mais moins que les salaires, tandis que la croissance des produits fiscaux était atténuée par la volonté des collectivités locales de limiter le poids de la pression fiscale. Il a précisé qu'en matière fiscale les régions avaient été les plus vertueuses en 1998.

M. Joël Bourdin a signalé que la décrue des charges d'intérêt supportées par les collectivités locales se poursuivait, et que cette baisse atteignait parfois 9 % par an. Il l'a attribuée à la baisse des taux d'intérêt mais également à un moindre recours à l'emprunt.

Il a en effet souligné que, malgré la baisse, les taux d'intérêt réels étaient toujours positifs et que par conséquent, les collectivités locales, disposant à présent d'une capacité d'autofinancement, s'endettaient moins que par le passé.

M. Joël Bourdin a insisté sur le fait que l'amélioration de l'épargne des collectivités locales reposait principalement sur l'évolution des taux d'intérêt et que ce facteur ne serait pas forcément favorable dans l'avenir. Il a ajouté que le taux d'épargne des collectivités locales allait certainement se dégrader sous l'effet de la reprise de l'investissement.

Il a estimé que la situation financière des collectivités locales en 2000 serait plus tendue que les années précédentes en raison de la conjonction de la reprise de l'investissement, de la faible progression des concours de l'Etat et de l'augmentation des charges. Il a remarqué que, outre l'augmentation des salaires, celle-ci serait alourdie par le relèvement du taux de cotisation employeurs à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL).

M. Joël Bourdin a ensuite observé que la réforme de la taxe professionnelle introduisait un biais entre les entreprises de main d'oeuvre et les entreprises plus capitalistiques. Il a constaté que des distorsions de concurrence pourraient apparaître, d'une part, au sein d'un même secteur d'activité et, d'autre part, entre les collectivités locales, selon le type d'entreprise qu'elles accueillent.

M. Joël Bourdin a rappelé que les collectivités locales n'avaient pas été associées à la négociation de l'accord salarial dans la fonction publique de février 1998 et s'est interrogé sur la légitimité de l'automaticité de l'application aux fonctionnaires territoriaux des décisions du Gouvernement relatives à la fonction publique d'Etat.

Le rapporteur de l'Observatoire des finances locales a regretté que les principaux concours de l'Etat aux collectivités locales évoluent en fonction d'indices qui tiennent compte du taux d'inflation. Il a considéré que ce taux n'était pas représentatif de l'évolution des charges des collectivités locales et a souhaité la création d'un " panier des charges des collectivités ". Il a estimé qu'un tel indice serait au moins trois fois supérieur à celui de l'évolution prévisionnelle des prix.

M. Joël Bourdin a indiqué qu'il ne disposait d'aucun élément relatif à la mise en place des 35 heures dans les collectivités locales, mais qu'il avait décidé de traiter ce thème dans son prochain rapport au nom de l'Observatoire des finances locales.

M. Michel Mercier, rapporteur, a considéré que, puisque les décisions de l'Etat en matière de rémunération des agents publics s'appliquaient à la fonction publique territoriale et que les collectivités locales n'étaient pas consultées à l'occasion de leur négociation, il convenait de prendre en compte les conséquences des accords salariaux signés par l'Etat dans le calcul des dotations aux collectivités locales.

M. Joël Bourdin a estimé que l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) devrait pouvoir élaborer un indicateur d'évolution des charges des collectivités locales. Il a considéré qu'un indice synthétique représentatif devrait tenir compte des éléments favorables aux collectivités locales, tels que l'évolution des salaires, mais pourrait également jouer dans l'autre sens, en cas de baisse des charges d'intérêt par exemple.

Envisageant d'autres réformes possibles du système de financement des collectivités locales, M. Joël Bourdin a jugé nécessaire de parvenir à une évaluation réaliste des bases des impôts locaux. Il a estimé que la valeur locative des immeubles pourrait être déterminée et actualisée de manière efficace par un panel de notaires et d'agents immobiliers, et que son mode d'évaluation actuelle occupait inutilement un nombre important d'agents du ministère de l'économie et des finances.

M. Michel Mercier, rapporteur, a estimé qu'il convenait d'en finir avec le système indiciaire de détermination de l'assiette des impôts locaux.

M. Jean-François Humbert, président, a jugé indispensable une évaluation des conséquences des 35 heures sur les budgets locaux, question qui préoccupait légitimement de nombreuses collectivités locales.

Programme de travail

A l'issue de cette audition, M. Michel Mercier, rapporteur, a indiqué que, lors de la réunion de la mission du jeudi 18 novembre, il présenterait une communication sur la sécurité juridique des actes des collectivités locales, les conditions d'exercice des mandats locaux et les perspectives du système de financement local. Précisant que cette communication serait suivie d'un échange de vues, il a fait valoir qu'elle permettrait à la mission de définir un certain nombre d'orientations sur ces trois thèmes essentiels et de faire le point sur l'état d'avancement de ses travaux, à la veille du congrès de l'Association des Maires de France.