Mardi 7 février 2006

- Présidence de M. Gilbert Barbier, président-

Audition de M. Bernard Lemoine, vice-président délégué, Mme Catherine Lassale, directeur des affaires scientifiques, pharmaceutiques et médicales et M. Yves Juillet, conseiller du président du Leem (Les entreprises du médicament)

Au cours d'une première séance tenue dans la matinée sous la présidence de M. Gilbert Barbier, président, la mission d'information a procédé à l'audition de M. Bernard Lemoine, vice-président délégué, Mme Catherine Lassale, directeur des affaires scientifiques, pharmaceutiques et médicales et M. Yves Juillet, conseiller du président du Leem.

M. Bernard Lemoine, vice-président délégué du Leem, a précisé que le Leem est une structure qui regroupe trois cents laboratoires pharmaceutiques opérant en France, soit 99 % des industriels concernés. Ce secteur réalise un chiffre d'affaires cumulé de 22 milliards d'euros et emploie 100.000 personnes. L'ensemble des dépenses de médicaments réalisées par les entreprises françaises s'élève à 40 milliards : ce chiffre regroupe à la fois le chiffre d'affaires des industriels mais également celui de la distribution et de la vente des produits (intervention des grossistes répartiteurs et des pharmaciens d'officine). Le régime obligatoire d'assurance maladie et les assureurs complémentaires prennent en charge les deux tiers de cette dépense. Il a rappelé que le prix des médicaments est fixé par une convention signée entre les laboratoires pharmaceutiques et les pouvoirs publics, représentés par le comité économique des produits de santé (CEPS).

M. Bernard Lemoine a observé que notre société, dans son ensemble, manifeste une attitude paradoxale vis-à-vis des médicaments, attitude faite à la fois de méfiance et d'attente dans les progrès scientifiques.

Cette situation appelle la conduite d'une réflexion, dont l'urgence a été renforcée par des crises sanitaires récentes, sur l'évaluation de la balance bénéfice-risque des médicaments, sur l'indépendance des experts et sur l'efficacité des essais cliniques.

Le Leem participe à cette réflexion en tant que représentant de l'industrie. Il dispose à cet effet de prérogatives institutionnelles, dont ne sont pas dotés ses homologues européens, en siégeant au sein d'instances officielles.

Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, s'est interrogée sur les conséquences de la crise du Vioxx et sur la perte de confiance du grand public non seulement à l'égard de l'industrie pharmaceutique, mais encore des autorités publiques de tutelle qui en découlent.

M. Bernard Lemoine a indiqué que l'industrie pharmaceutique dans son ensemble a tenté de répondre aux attentes du public en matière d'information et de transparence. Plusieurs initiatives sont en cours, certaines classiques sous forme de colloques organisés pour analyser la notion de balance bénéfice-risque des médicaments, d'autres plus innovantes, comme la publication sur Internet des résultats des essais cliniques menés par les laboratoires pharmaceutiques.

La crise du Vioxx a fait apparaître la nécessité d'apprécier la vie des médicaments en aval de l'autorisation de mise sur le marché, au travers des essais cliniques plus élaborés mais également, et telle est la grande nouveauté de ces dernières années, après leur commercialisation avec le développement des études post-AMM.

M. Yves Juillet, conseiller du président du Leem, a confirmé que les informations relatives aux essais en cours sont disponibles sur un site internet. Elles sont rendues publiques vingt et un jours après l'inclusion d'un premier malade dans les essais cliniques. Par ailleurs, pour les produits ayant reçu une autorisation de mise sur le marché, les résultats définitifs sont mis en ligne un an après la conclusion des essais.

M. Bernard Lemoine a jugé que cette publication est une étape importante pour une meilleure information du public. Elle permet de favoriser le débat autour de la notion de bénéfice-risque.

Il a considéré qu'un médicament doit être évalué en prenant en compte les besoins du champ thérapeutique, mais également au regard du principe de précaution. L'évolution de l'opinion publique doit se traduire par un débat sociétal sur la place du médicament qui dépasse le seul cénacle des professionnels de santé.

Cette exigence de transparence doit également s'étendre à la question de l'indépendance des experts, aux débats précédant les autorisations de mise sur le marché et au suivi post-AMM.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a souligné la contradiction qui existe entre les préoccupations de la population en matière de sécurité sanitaire et son attente en matière de nouvelles thérapeutiques. Elle s'est interrogée sur la validité du modèle de connaissance qui régit la recherche pharmaceutique et a voulu savoir si l'apparition de produits à prescription longue a modifié les règles de surveillance des patients. Par ailleurs, elle s'est souciée de la survenance de risques médicamenteux à l'occasion d'un élargissement de la prescription d'un médicament au-delà des recommandations de l'AMM.

M. Yves Juillet a précisé que l'apparition des prescriptions applicables sur plusieurs années est prise en compte par les laboratoires pharmaceutiques et les autorités sanitaires. Deux réponses ont été apportées à cette situation : d'une part, l'accroissement des populations participant aux essais cliniques, d'autre part, le développement des études post-AMM. Afin de suivre un médicament tout au long de sa vie, les laboratoires ont également développé des plans de gestion de risques qui rassemblent toutes les procédures de contrôle.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, s'est interrogée sur l'opportunité d'allonger la durée des essais cliniques de certains médicaments afin de renforcer la sécurité des futurs patients. Elle a voulu savoir si les produits de santé faisant l'objet de prescriptions longues font systématiquement l'objet d'études de suivi.

M. François Autain a voulu savoir si l'allongement des essais cliniques menés pour le développement de médicaments innovants permet d'éliminer les effets indésirables.

Mme Catherine Lassale, directeur des affaires scientifiques, pharmaceutiques et médicales du Leem, a indiqué que les plans de développement établis par les laboratoires pharmaceutiques sont validés sous l'autorité des agences sanitaires. Les exigences exprimées par les autorités divergent selon les médicaments visés. Par exemple, le recours à des essais comparatifs ne sera pas possible pour un médicament orphelin ou un médicament innovant, et dans ces cas il faut avoir recours à des essais versus placebo. En revanche, lorsque plusieurs produits sont disponibles sur le marché, le recours à des tests comparatifs prend alors une place prépondérante.

Ces règles, et le modèle de connaissance qui les régit, seront amenées à évoluer avec l'apparition des médicaments préventifs et l'identification des biomarqueurs permettant une meilleure évaluation des effets d'un produit de santé.

M. François Autain a fait remarquer que cette recherche est encore balbutiante.

Mme Catherine Lassale a reconnu que la complexité du vivant est telle que ces recherches avancent moins vite que ne le souhaitent les chercheurs. La France occupe une place importante dans le domaine de la recherche biomédicale et le Leem contribue à la mise en oeuvre d'une plate-forme de recherche européenne consacrée à ces thèmes.

M. Gilbert Barbier, président, s'est interrogé sur la finalité des études post-AMM et sur le recours fait à ces études à l'occasion du dépôt de demandes de modification d'une autorisation de mise sur le marché, notamment en cas d'extension de la prescription médicamenteuse.

M. Bernard Lemoine a précisé que les études post-AMM ont pour vocation d'étudier en vie réelle les populations auxquelles s'adresse un médicament. Le recours à ce genre d'étude se systématise depuis cinq ans.

Il a souligné la propension des médecins à élargir la prescription d'un médicament au-delà des recommandations de l'AMM. Cette pratique se traduit par une prescription à une population plus large que la population initialement visée par le médicament concerné et non pas par une prescription dans le cadre de pathologies connexes.

M. Gilbert Barbier, président, a fait valoir que la prescription d'antibiotiques illustre cette situation.

M. Bernard Lemoine a observé que cette tendance est vérifiable dans les autres grands pays européens et qu'elle n'entraîne pas d'effets indésirables particuliers. Il a souligné que les dépenses de médicaments pris en charge par l'assurance maladie croissent au même rythme en France, en Italie ou en Allemagne.

Faisant état du rapport de la commission « Santé » de la Chambre des communes britannique, intitulé « The influence of the pharmaceutical industry », qui souligne la part prépondérante du marketing dans l'industrie pharmaceutique, Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a interrogé les représentants du Leem sur le montant des dépenses consacrées chaque année à la promotion par les laboratoires et la part de la visite médicale dans ces dépenses. Elle a demandé combien de visiteurs médicaux sont actuellement en exercice en France, comparativement à la Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et à l'Allemagne.

M. Bernard Lemoine a indiqué que les dépenses de marketing représentent 12 % à 13 % du chiffre d'affaires des laboratoires, soit l'équivalent des sommes consacrées à la recherche et au développement. 80 % des dépenses de marketing sont dévolues à la visite médicale, dont le but est de diffuser une information sur les produits pour inciter les médecins à les prescrire.

Il a déploré l'insuffisance de la formation médicale continue en France et a estimé que peu de progrès ont été réalisés dans ce domaine ces dix dernières années.

M. Gilbert Barbier, président, s'est interrogé sur les raisons du retard français en matière de formation médicale continue.

M. Bernard Lemoine a estimé que la volonté politique n'est pas à la hauteur des enjeux, ce qui explique que les décrets relatifs à la réforme de la formation médicale continue ne sont pas encore publiés.

Il a indiqué que la France se situe dans la moyenne européenne pour le rapport entre le nombre de visiteurs médicaux et le nombre de praticiens.

M. Gilbert Barbier, président, a demandé quelle part du salaire des visiteurs médicaux varie en fonction de leurs résultats.

M. Bernard Lemoine a indiqué que 25 % de leur rémunération dépendent de la réalisation des objectifs, qui ne sont pas uniquement fondés sur des critères de vente de médicaments. Il a fait valoir que de nombreux laboratoires disposent en leur sein d'une structure de contrôle de la déontologie de la visite médicale et que certains visiteurs médicaux sont licenciés lorsqu'il apparaît que l'information diffusée aux médecins est fausse ou incomplète.

M. Gilbert Barbier, président, s'est interrogé sur le nombre élevé de visiteurs médicaux en France. Il a demandé si certains laboratoires font appel à des prestataires extérieurs pour la visite médicale tout en affichant un équilibre entre les dépenses de marketing et celles de recherche et développement.

M. Bernard Lemoine a indiqué que, sur 24.000 visiteurs médicaux en activité en France, 4.000 seulement sont employés par des sociétés prestataires de services.

M. Yves Juillet a précisé que ce nombre décroît progressivement, les laboratoires choisissant de plus en plus souvent d'intégrer leurs prestataires extérieurs aux équipes commerciales.

Il a estimé par ailleurs que la surconsommation médicamenteuse s'explique, en France, par une médicalisation globale de la société qui favorise la consultation des professionnels de santé, entraînant automatiquement un accroissement des prescriptions.

M. Bernard Lemoine a fait valoir que le champ très large des produits remboursés par l'assurance maladie malgré les récentes vagues de déremboursement, joue également un rôle majeur dans la consommation de médicaments par les Français. La consommation de médicaments est moins importante en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Italie, mais l'espérance de vie y est inférieure en moyenne d'un an et demi pour les femmes et de neuf mois pour les hommes. En Italie, par exemple, certaines opérations, comme celles de la cataracte ou la pose de prothèse, nécessitent un délai d'attente de plusieurs mois, tandis que le traitement du cancer du sein ne bénéficie pas des technologies les plus récentes en raison de leur coût.

Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a demandé pour quelles raisons la remise d'échantillons aux médecins est autorisée dans les départements et les territoires d'outre-mer, alors que la charte de la visite médicale la déconseille strictement en métropole.

M. Bernard Lemoine s'est étonné de l'existence d'une telle dérogation au droit commun.

M. Gilbert Barbier, président, a demandé quelle est la proportion de médecins qui refusent de recevoir des visiteurs médicaux.

M. Bernard Lemoine a indiqué qu'environ un tiers des médecins sont dans cette situation et que cette proportion reste stable. Il a estimé qu'il serait intéressant d'étudier les caractéristiques et l'efficacité de leurs prescriptions.

M. Yves Juillet a considéré que les médecins français sont plus enclins à prescrire des médicaments nouveaux que leurs voisins européens, ce qui contribue à la qualité des traitements dans notre pays.

M. Gilbert Barbier, président, a interrogé les représentants du Leem sur les moyens dont disposent les laboratoires pour contrôler l'activité de leurs visiteurs médicaux.

M. Bernard Lemoine a rappelé que la charte constitue un outil efficace pour encadrer la visite médicale. Il s'agit d'un effort qualitatif considérable souhaité par les laboratoires, tant sur le contenu des visites et leur fréquence que sur les argumentaires utilisés et leur perception par les médecins. Il a estimé que la certification de la visite médicale par la Haute Autorité de santé (HAS) sera déterminante dans les mois à venir, même si d'autres éléments de la qualité de la prescription, qui ne sont pas du ressort des laboratoires, demeurent problématiques, notamment la relation des médecins et des pharmaciens avec l'assurance maladie. Il a considéré, à cet égard, que le rôle des pharmaciens doit être mieux reconnu au niveau de la prescription des médicaments. Il a fait valoir qu'il serait anormal que les médecins obtiennent les revalorisations d'honoraires qu'ils demandent, alors qu'ils n'ont pas respecté les objectifs d'économies qui leur ont été assignés par la réforme de l'assurance maladie, objectifs que l'industrie pharmaceutique a elle-même satisfaits. Il a souhaité que les accords entre l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) et les médecins soient mieux respectés et que la prescription des génériques par les pharmaciens soit accélérée.

Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a demandé si l'amélioration de la sécurité des patients réside essentiellement dans le développement des études post-AMM et s'il revient aux laboratoires pharmaceutiques de les conduire et de les financer.

M. François Autain a demandé combien d'études de ce type sont en cours ou terminées et quand seront publiés les résultats de l'étude Cadeus (étude post-AMM consacrée aux Cox-2 et aux anti-inflammatoires classiques entamée après la crise du Vioxx).

Mme Catherine Lassale a estimé que la sécurité des patients ne dépend pas uniquement des études post-AMM. Les progrès majeurs proviennent de la recherche et des études pré-AMM, même si les panels utilisés dans ce cadre sont plus artificiels. Plusieurs types d'études permettent de suivre le médicament en vie réelle : l'étude des prescriptions, l'extension des études d'AMM à d'autres types de patients comme les enfants et les personnes âgées, les études comparatives et les études pharmaco-épidémiologiques sur des cohortes de malades. Elle a regretté le retard de la France dans ce dernier type d'études, en raison de l'absence de bases de données nécessaires pour constituer les cohortes. Elle a rappelé que les études post-AMM sont demandées par la commission de la transparence et suivies par un conseil scientifique indépendant du laboratoire. Elle a reconnu que le financement de ces études entre l'Etat et l'industrie pharmaceutique est plus équilibré dans d'autres pays. Une centaine d'études ont été demandées dont une quarantaine sont en cours. Elle a considéré que le retard pris dans la publication des résultats de l'étude Cadeus prouve que la recherche publique ne constitue pas une garantie de transparence par rapport aux laboratoires.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a interrogé les représentants du Leem sur le débat récurrent relatif à l'indépendance des experts par rapport à l'industrie pharmaceutique. Elle a demandé pour quel type de mission les laboratoires font le plus souvent appel à des praticiens hospitaliers ou à des chercheurs travaillant dans des structures publiques. Elle a également souhaité savoir si les laboratoires ont recours à des outils de gestion des conflits d'intérêts des experts indépendants et comment la rémunération de ces experts est calculée.

M. Bernard Lemoine a estimé que l'indépendance totale d'un expert est le gage de son incompétence.

Mme Catherine Lasale a précisé que les meilleurs professionnels sont toujours amenés à travailler avec l'industrie. Elle a estimé que ces conflits d'intérêts doivent en revanche être connus et gérés de manière transparente, domaine où l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments (EMEA) et l'Afssaps sont très en avance sur les autres agences nationales. Elle a rappelé que, si l'avis des experts est essentiel, la décision d'AMM est prise in fine par le directeur de l'agence en lien avec les experts internes.

Elle a indiqué ne pas disposer d'informations sur le niveau de rémunération des experts.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé si les experts sont recrutés également en fonction de leur école de pensée.

Mme Catherine Lassale a estimé que la qualité de l'expertise nécessite l'apport des différentes écoles de pensée et que ce principe est bien respecté dans les groupes de travail de l'Afssaps.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé si l'éparpillement de l'expertise entre la commission de la transparence et l'Afssaps nuit à l'évaluation des médicaments.

Mme Catherine Lassale a fait valoir que les laboratoires tiennent essentiellement à ce que la décision d'AMM ne soit pas remise en cause par les autres instances et que, pour le reste, ils sont indifférents aux questions institutionnelles.

Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a demandé s'il est possible que les experts donnent un avis négatif à une AMM et que celle-ci soit malgré tout accordée par le directeur de l'agence.

Mme Catherine Lassale a indiqué ne pas avoir connaissance de tels cas. Elle a considéré que la publicité des débats de l'Afssaps évitera, s'il en est besoin, ce type de situations.

Mme Anne-Marie Payet, rapporteur, a interrogé les représentants du Leem sur l'estimation réalisée par les centres régionaux de pharmacovigilance faisant état d'un bilan annuel de 10.000 à 18.000 victimes imputables aux effets secondaires des médicaments.

M. Bernard Lemoine a estimé que le système français de pharmacovigilance est exemplaire et a rappelé qu'il sert régulièrement de modèle, notamment aux derniers pays entrants dans l'Union européenne.

M. Yves Juillet a rappelé que le système français repose sur la déclaration spontanée des médecins suivie, en cas de besoin, d'une enquête du centre régional de pharmacovigilance. En fonction des résultats de cette enquête, un rapport est transmis à la commission nationale de pharmacovigilance, qui peut décider de modifier l'information sur le médicament, de préciser les contre-indications, voire de retirer l'AMM.

Il a indiqué que 60 % des effets indésirables sont liés à un mésusage des médicaments par les patients eux-mêmes et à des réactions allergiques. 80 % de ces effets sont signalés directement aux laboratoires par les délégués médicaux, ce qui constitue une fonction essentielle de la visite médicale. En outre, un tiers des médecins choisissent d'appeler directement le laboratoire concerné sans passer par le centre de pharmacovigilance dont ils dépendent. Il a rappelé, à cet égard, que les laboratoires pharmaceutiques doivent obligatoirement disposer d'un département de pharmacovigilance.

M. Gilbert Barbier, président, a demandé si le contournement de la procédure officielle par les médecins est lié à la complexité de la notification des effets indésirables aux centres régionaux.

M. Yves Juillet a considéré qu'il s'agit plutôt d'une réaction de défiance des médecins qui ne veulent pas être accusés d'une mauvaise prescription. Il a rappelé que les fiches de notification utilisées par les laboratoires sont identiques à celles des centres.

M. Gilbert Barbier, président, a demandé si le développement des génériques a accentué l'automédication et le mésusage des médicaments.

M. Yves Juillet a déclaré ne pas disposer d'études sur cette question.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé en quoi la directive 2004/24/CE et le règlement 726/2004 du 31 mars 2004 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain sont de nature à améliorer l'examen et le suivi de l'AMM des médicaments en France et en Europe.

Mme Catherine Lassale a souhaité une mise en place rapide de cette législation qui permettra une révision quinquennale des AMM, une évaluation permanente du rapport bénéfice/risque et le développement de la procédure de dépôt centralisé des AMM auprès de l'Agence européenne du médicament (EMEA).

M. François Autain a voulu connaître les critères en vertu desquels les laboratoires pharmaceutiques choisissent de recourir à l'une ou l'autre des procédures d'AMM autorisées par la législation européenne, c'est-à-dire entre la procédure centralisée, la procédure de reconnaissance mutuelle ou la procédure nationale.

Mme Catherine Lassale a précisé que la procédure centralisée s'impose pour un nombre de plus en plus grand de produits de santé et notamment les médicaments les plus innovants. Elle a rappelé que, même dans le cadre de cette procédure centralisée, l'EMEA confie l'instruction des dossiers aux agences nationales. Ainsi, au cours de la dernière année écoulée, cinquante dossiers d'AMM centralisée ont été déposés et dix ont été instruits par les experts de l'Afssaps. Elle a jugé que le recours à la procédure nationale, dont le maintien était nécessaire dans un premier temps, allait tomber en désuétude rapidement.

M. Bernard Lemoine a observé que ce choix de l'Afssaps comme rapporteur d'un nombre significatif de dossiers illustre la qualité et l'indépendance de son expertise.

M. François Autain s'est interrogé sur la capacité des pays nouvellement membres de l'Union européenne à remplir les exigences de qualité et d'expertise demandées par l'EMEA.

Mme Catherine Lassale a précisé que la procédure de reconnaissance mutuelle nécessite un accord de l'ensemble des pays membres. En cas de réponse négative de l'un des membres de l'agence, on recourt à la procédure centralisée pour l'instruction du dossier. Elle a précisé que les pays d'Europe centrale et orientale disposent d'un niveau de recherche élevé et réalisent des essais cliniques de grande qualité.

M. François Autain a voulu savoir dans quelles conditions les laboratoires pharmaceutiques ont recours à des essais comparatifs.

Mme Catherine Lassale a précisé que le plan de développement d'un médicament est défini selon une réglementation précise. Ces règles rendent le recours à des essais comparatifs obligatoire lorsqu'il existe déjà un ou plusieurs produits comparables sur le marché. Le recours à ces essais comparatifs doit conclure à la supériorité ou à la non-infériorité du produit testé. Bien entendu, à l'occasion du développement d'une nouvelle classe thérapeutique, la comparaison est faite avec un produit placebo.

M. Yves Juillet a précisé que des codes de bonne conduite internationaux encadrent le recours aux essais comparatifs.

M. François Autain s'est étonné de recevoir des réponses divergentes en fonction des intervenants auditionnés par la mission. Il a fait remarquer que les représentants des laboratoires pharmaceutiques ont toujours défendu le recours systématique aux essais comparatifs, tandis que les représentants des autorités publiques se sont plaints de ne pas toujours disposer de ces essais.

Mme Catherine Lassale a précisé que le dossier d'AMM est déposé auprès de l'Afssaps et que son contenu est transmis à la commission de la transparence de la Haute Autorité de santé. Elle a rappelé qu'il ne peut pas être procédé à des essais comparatifs pour les produits innovants. Elle a indiqué que les produits nécessaires à la comparaison ne sont pas toujours disponibles dans l'ensemble des pays européens. Il peut arriver, dans le cadre d'une procédure de reconnaissance mutuelle, que le dossier soit validé sans recours à des essais comparatifs parce que des produits de la même classe thérapeutique ne sont pas commercialisés dans le pays chargé de l'instruction de la demande, alors qu'ils sont commercialisés en France par exemple.

M. François Autain a voulu savoir si les règles relatives au droit de propriété intellectuelle produisent des effets sur la durée des études cliniques.

M. Bernard Lemoine a rappelé que la législation relative aux brevets est harmonisée au niveau européen. Les essais cliniques sont réalisés simultanément dans plusieurs pays à la fois et les laboratoires définissent leurs stratégies de recherche autour de trois grandes zones géographiques qui sont l'Amérique du Nord, le Japon et l'Union européenne. Leur intérêt n'est pas de brusquer la commercialisation d'un produit de santé au détriment de la sécurité sanitaire des patients. Il a souligné qu'en France, les procédures de négociation des prix sont plus longues que dans les autres pays européens.

M. François Autain s'est interrogé sur le rôle des laboratoires pharmaceutiques en matière de formation médicale continue (FMC).

M. Bernard Lemoine a indiqué que les industries du médicament souhaitent jouer un rôle dans la détermination de cette politique et contribuent à son financement.

Mme Catherine Lassale a précisé que les laboratoires pharmaceutiques sont favorables à la mise en oeuvre d'un dispositif de formation médicale continue validante. Ils souhaitent participer au développement de la FMC dans le respect des règles de transparence et de non-promotion.

M. François Autain s'est interrogé sur les raisons pour lesquelles, la France, à l'instar du Portugal, interdit les importations de médicaments.

M. Bernard Lemoine s'est déclaré favorable à la pérennité de cette situation et a rappelé que le commerce parallèle de médicaments peut avoir des effets négatifs sur les investissements en recherche et développement.

M. François Autain a souligné que, selon les chiffres publiés par le Leem pour l'année 2004, les dépenses de promotion ont augmenté de 19 %, tandis que les dépenses de recherche et développement ont reculé de 13 %. Il s'est interrogé sur les raisons qui poussent les laboratoires à développer des efforts considérables pour commercialiser leurs produits.

M. Bernard Lemoine a rappelé que l'industrie pharmaceutique est soumise à un régime fiscal de plus en plus lourd et que, dans ce contexte, les laboratoires sont amenés à accroître leurs efforts de promotion. Cette situation nuit à l'attractivité de la France dans le domaine de la recherche et du développement.

Audition de M. Lionel Benaiche, vice-président du tribunal de grande instance de Nanterre

Au cours d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, sous la présidence de M. Gilbert Barbier, président, la mission d'information a procédé à l'audition de M. Lionel Benaiche, vice-président du tribunal de grande instance de Nanterre.

M. Lionel Benaiche, vice-président du tribunal de grande instance de Nanterre ,a rappelé que le système de déclarations d'intérêts a été mis en place dès 1993 à l'Agence du médicament et qu'en 1996, l'agence a souhaité disposer de la compétence d'un magistrat pour la gestion des conflits d'intérêts pouvant apparaître dans le cadre des missions d'expertise. Cette initiative a conduit l'agence à réfléchir sur la notion de conflits d'intérêts, absente du droit positif jusqu'en 1998. Il s'agit, en effet, d'une notion subjective si l'on n'y associe pas des critères précis. Il a fallu convaincre les experts externes du bien-fondé du dispositif de déclaration des liens d'intérêts, ce qui a nécessité un long dialogue sur leur mission et la nature de leurs relations avec les laboratoires. Il a regretté que la succession de directeurs et les changements d'équipe fréquents depuis 1998 n'aient pas facilité la mise en place de ce dispositif ; il a considéré que le croisement des expertises internes et externes constitue aujourd'hui un atout majeur pour l'agence.

Il a observé que les liens d'intérêts peuvent être financiers mais aussi matériels. Tel est le cas lorsqu'un laboratoire de recherche public finance une recherche grâce aux contributions d'un laboratoire pharmaceutique. Il a estimé que les experts sont souvent pragmatiques dans leurs relations avec les laboratoires. Aussi bien ne doivent-ils pas être stigmatisés.

M. Gilbert Barbier, président, a demandé si l'administration fiscale est intervenue dans la mise en place des procédures de déclarations d'intérêts.

M. Lionel Benaiche a indiqué que les services fiscaux ont été contactés pour proposer des modules de formation aux experts mais que cette initiative n'a pas eu de suite du fait des nombreux changements de direction.

Il a constaté que le taux de dépôt des déclarations d'intérêts est croissant depuis la mise en place de cette procédure même si certains experts, souvent mal informés, continuent à ne pas respecter la réglementation. Même en accentuant le contrôle, le système actuel ne peut pas mieux garantir l'indépendance des experts, dans la mesure où leurs fonctions les obligent à être en contact avec les laboratoires pharmaceutiques.

M. Gilbert Barbier, président, a demandé si l'expertise externe est vraiment nécessaire pour l'évaluation des médicaments et s'il existe suffisamment d'experts indépendants et compétents auxquels l'agence peut faire appel.

M. Lionel Benaiche a estimé que l'expertise externe est indispensable mais que le système doit être refondu.

M. Gilbert Barbier, président, a déclaré que l'expertise doit être mieux reconnue dans la carrière des médecins hospitalo-universitaires.

M. Lionel Benaiche a rappelé qu'il s'agit d'un débat récurrent depuis vingt ans au ministère de la santé, puis à l'Afssaps.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, a demandé si la publicité des débats peut constituer un moyen de renforcer l'indépendance des experts et de mieux prendre en compte leur opinion.

M. Lionel Benaiche a indiqué que l'agence a déjà rendu publics certains débats sur des sujets très médiatiques, comme l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), mais que la question sur l'indépendance des experts comprend bien d'autres aspects. Il a constaté que les débats et les procédures de la Food and drug administration (FDA) sont bien plus solennisés.

M. François Autain a déploré que l'obligation de déclarer les liens d'intérêts n'existe pas pour les experts de la HAS.

M. Lionel Benaiche a fait valoir que les experts internes de l'agence n'ont qu'une influence réduite sur la décision d'AMM. Il a souhaité la création d'un statut plus clair pour les experts externes sur le modèle des experts de la FDA, notamment en matière de recrutement et de cumul des mandats afin de les rendre indépendants des réseaux et des changements politiques. Il a estimé que les règles de procédure doivent être renforcées et qu'une formation sur leur mission doit être proposée aux nouveaux experts.

Il a indiqué qu'en 1998, il a mis en place une base de données à l'Agence du médicament rassemblant les liens d'intérêts positifs et négatifs avec l'industrie et retraçant le parcours professionnel de chaque expert. Il a regretté que cette base n'ait pas été tenue à jour et que la cellule de veille ait aujourd'hui disparu.

Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur, s'est interrogée sur les moyens dont disposent l'agence pour gérer la question des conflits d'intérêts. Elle a voulu savoir si des conflits d'intérêts peuvent survenir en raison de divergences théoriques entre les experts.

M. Lionel Benaiche a estimé que la question doit être abordée de façon plus globale au travers du développement d'une expertise interne plus importante. Cela passe par le recrutement, pour une durée déterminée, d'experts de haut niveau qui, durant leur passage à l'agence, devront se détacher de tous leurs liens d'intérêts financiers ou matériels. Cette solution est celle retenue par la FDA.

Il a précisé que ces experts sont valorisés par le travail qu'ils fournissent pour le compte de cette agence et que, contrairement à ce qui se passe en France, cela est pris en compte pour le déroulement de leur carrière.

M. Gilbert Barbier, président, a rappelé que les experts, notamment dans le milieu hospitalier, ne travaillent pas seuls mais sont rattachés à un laboratoire de recherche au sein duquel ils travaillent en équipe. Il s'est interrogé sur les risques d'isolement scientifique que ferait courir aux experts le fait de se détacher de leurs projets de recherches pour se consacrer uniquement à l'expertise.

M. François Autain s'est étonné que le représentant de l'académie de médecine soit le seul membre de la commission d'AMM à ne pas avoir de conflits d'intérêts.

M. Lionel Benaiche a estimé que les mesures visant à renforcer la procédure ne produisent plus d'effets suffisants pour renforcer l'indépendance des experts. Il est donc nécessaire de dépasser les règles de fonctionnement en vigueur.

Il a observé que les fonctions d'évaluateur, menées pour le compte des agences sanitaires, ne nécessitent pas uniquement une connaissance scientifique pointue mais également des compétences juridiques ou procédurales qui sont insuffisamment prises en compte lors du recrutement des experts.

Il a rappelé que les experts les plus éminents n'interviennent pas systématiquement pour le compte des agences.

M. Gilbert Barbier, président, a souligné qu'au-delà des problèmes soulevés par le recrutement des experts, l'intervention d'au moins trois structures indépendantes les unes des autres (la commission d'AMM, la commission de la transparence et le comité économique des produits de santé) fait de la procédure conduisant à la commercialisation d'un nouveau médicament un parcours complexe. Il s'est interrogé sur les effets bénéfiques à attendre d'une unification de cette procédure.

M. Lionel Benaiche a estimé qu'il existe des problèmes de transmission de l'information entre ces instances et qu'il conviendrait probablement de rationaliser les structures en charge des produits de santé.

M. François Autain s'est interrogé sur les raisons pour lesquelles la cellule déontologique de l'Afssaps a été supprimée. Il a voulu savoir si cette suppression traduit une moindre volonté de clarifier la situation des experts et une détérioration de la gestion des conflits d'intérêts.

M. Lionel Benaiche a jugé qu'il est impossible de recruter des experts dont l'indépendance sera totale. Il a rappelé que, parmi les réflexions engagées au sein l'Afssaps, l'hypothèse de faire présider les différentes commissions de l'agence par des non-scientifiques a été étudiée, le président étant alors un arbitre, un médiateur entre les différents experts. Finalement, cette solution n'a pas été retenue.

Il a considéré que la suppression de la cellule de déontologie pose un problème de structure car elle prive les experts d'un interlocuteur unique. Or, ces derniers ont besoin d'informations pour les aider à identifier les conflits d'intérêts dont ils sont porteurs ainsi que cela se fait au sein de la FDA.

A titre personnel, il s'est déclaré favorable à la création d'une autorité indépendante chargée de gérer les questions relatives à l'indépendance des experts. Il a considéré que ces questions ne doivent pas être traitées au sein des agences sanitaires, mais par une structure ad hoc composée de magistrats des ordres judiciaire et administratif.

M. François Autain a voulu savoir si des règles particulières d'indépendance s'imposent aux présidents des différentes commissions de l'Afssaps.

M. Lionel Benaiche a précisé qu'en 1998, le ministre chargé de la santé avait souhaité que les présidents de commissions de l'Afssaps se détachent de tous leurs liens d'intérêts pendant la durée de leur mandat et qu'en contrepartie, il leur soit versé une rémunération. Cette recommandation n'est pas entrée en vigueur et les règles qui président à la nomination des présidents et des membres de la commission ne font pas l'objet de publicité.

Il a jugé qu'il devient indispensable de renforcer une procédure de nomination que les experts eux-mêmes ne maîtrisent pas et qui les place dans une situation de fragilité notamment au moment des renouvellements de mandats. Cette procédure doit fixer des règles en termes de durée et de cumul des mandats et préciser le rôle de chacun des participants aux travaux d'une commission, à l'instar de ce qui se passe devant un tribunal où le ministère public, la défense, les témoins ou le greffier voient leurs rôles encadrés par une procédure écrite. Cette ritualisation est de nature à faciliter le travail des experts et elle constitue une mesure préalable à la publicité des travaux.