Mercredi 5 avril 2006

- Présidence de M. Jean Puech, président -

Aménagement du territoire - Audition de M. Dominique Schmitt, directeur général des collectivités locales

L'Observatoire a procédé à l'audition de M. Dominique Schmitt, directeur général des collectivités locales.

M. Jean Puech, président, a tout d'abord demandé à M. Dominique Schmitt s'il pouvait lui indiquer quel impact la décentralisation avait sur l'organisation de l'administration centrale.

M. Dominique Schmitt a répondu que la direction générale des collectivités locales avait, à plusieurs reprises, dénoncé le fait que le mode d'organisation centrale était resté identique en dépit de la décentralisation.

M. Dominique Schmitt a déclaré que M. Jean-François Copé, ministre du Budget, avait lancé des audits d'inspection générale sur cette problématique. Selon M. Dominique Schmitt, deux types de problèmes se posent. D'une part, les processus se complexifient dans la mesure où du personnel de l'Etat continue d'intervenir dans le champ décentralisé -ce qui, en outre, a un coût pour l'Etat. D'autre part, et plus gravement selon M. Dominique Schmitt, se posent des problèmes en termes d'organisation, ayant fait naître un « climat de suspicion mutuelle », comme l'a appelé le rapport Pébereau.

D'après M. Dominique Schmitt, il existe en effet aujourd'hui, entre l'Etat et les collectivités, un climat qui n'avait jamais existé jusque là et qui n'est pas serein. En effet, se tient du côté de l'Etat un discours sur la gestion trop coûteuse par les collectivités, tandis que les collectivités tiennent, elles, un discours sur l'insuffisance de moyens par rapport aux charges transférées. Les positions se sont rigidifiées de part et d'autre.

M. Dominique Schmitt a déclaré que, pour sortir de ce climat, le Gouvernement avait assigné à la Conférence nationale des finances publiques trois objectifs.

Le premier consiste à donner aux collectivités de la lisibilité sur la maîtrise de leurs dépenses. Il s'agit notamment d'empêcher les services de l'Etat de prendre des décisions unilatérales ayant un impact sur les finances locales.

Deuxièmement, la Conférence nationale des finances publiques doit faire évoluer les concours. Ceux-ci représentent le deuxième poste de dépenses de l'Etat et constituent 20 % de son budget. Telle est la raison pour laquelle l'évolution des concours devra, quand les transferts de charges auront été achevés, suivre celle des dépenses de l'Etat. M. Dominique Schmitt a cependant ajouté qu'il faudrait distinguer entre les différents types de collectivités territoriales et procéder à des ajustements.

Enfin, les objectifs de dépenses devront être fixés conjointement par l'Etat et les collectivités. Le directeur général des collectivités locales a rappelé qu'ils étaient pour le moment fixés par l'Etat seul, dans le cadre des engagements triennaux de la France vis-à-vis de l'Union européenne.

L'enjeu est d'importance, a estimé M. Dominique Schmitt. Si l'on respecte la Constitution, a-t-il expliqué, on a, d'une part, une légitimité du législateur à fixer les ressources des collectivités, et, d'autre part, au nom du principe de libre administration, une légitimité des collectivités territoriales à déterminer librement leurs dépenses.

Au final, il faut qu'un espace de discussion évite que des évolutions se produisent, par lesquelles les dépenses seraient contraintes par les ressources -ce qui serait, selon M. Dominique Schmitt, très mauvais pour la relation entre l'Etat et les collectivités.

Dans ce contexte, les enjeux de la Conférence des finances publiques sont très importants : il s'agit en effet de retrouver un climat serein entre l'Etat et les collectivités.

M. Eric Doligé a attribué ce mauvais climat aux enjeux financiers, qui sont « considérables ». Il a fait état d'une progression nette des dépenses et de surcoûts, du côté tant de l'Etat que des collectivités, liés pour l'essentiel à des charges de personnels et à l'existence de doublons de services. Au regard du coût global qui en résulte pour la société, M. Eric Doligé a appelé de ses voeux un dialogue plus fort et une meilleure écoute mutuelle.

M. Eric Doligé a ensuite demandé ce que signifiait concrètement l'annonce selon laquelle l'évolution des concours de l'Etat doit suivre celle des dépenses publiques.

M. Dominique Schmitt a expliqué qu'il n'était pas tenable que 20 % du budget continuent de suivre une norme d'évolution différente des 80 autres pour cent. Mais, selon lui, c'est seulement quand l'on disposera d'une bonne visibilité sur la compensation des transferts et que les problèmes de péréquation auront été discutés au sein du comité des finances locales que les concours de l'Etat pourront suivre le reste de la masse budgétaire de l'Etat.

M. Dominique Schmitt a précisé que les audits en cours porteront uniquement sur la réorganisation de l'administration centrale, et non sur les services déconcentrés. Il s'agit de voir si tous les postes se justifient et, éventuellement, de s'efforcer de supprimer les doublons. MM. Jean Puech, président, et Eric Doligé ont salué cette initiative.

M. Eric Doligé a ensuite abordé la question des transferts de personnels aux conseils généraux, s'appuyant sur les exemples de l'Equipement et des Maisons départementales du handicap. Il a regretté que, dans l'hypothèse où les agents ne désirent pas être transférés, ils se retrouvent en surnombre dans les services de l'Etat, sans toutefois que ce dernier ne transfère les fonds correspondants, la charge incombant dès lors aux départements.

Le Directeur général des collectivités locales a affirmé que le transfert du personnel était obligatoire et que les textes étaient clairs : une fois que la « photographie » du personnel sera faite, les décrets de transfert seront appliqués. Les personnels ont, certes, un droit d'option entre le détachement et l'intégration à la fonction publique territoriale, mais, dans l'hypothèse où ils n'auraient pas choisi dans le délai qui leur est imparti, ils se verront mis d'office en détachement de longue durée.

M. Dominique Schmitt a annoncé que le ministère de l'Equipement souhaitait arrêter les dispositions cet été et que le décret devrait être publié à l'automne, si possible dans le consensus.

M. Jean Puech, président, s'est alors étonné de ce que l'Etat, qui n'a plus dans son patrimoine que 10 000 kilomètres de routes, n'ait pas « allégé » la Direction nationale des routes. A titre de comparaison, M. Jean Puech a précisé que l'Aveyron gérait 6 200 kilomètres de routes avec, à la Direction départementale des routes, des effectifs réduits. Il a regretté qu'il n'y ait pas eu, sur les routes, les transferts de personnels d'encadrement nécessaires aux conseils généraux.

M. Dominique Schmitt a alors précisé que l'objectif des audits budgétaires était de récupérer des postes en administration centrale. Ces audits seront, selon M. Dominique Schmitt, très rapides : ce seront en effet des audits à deux/trois mois. Ils seront rendus publics et mis en ligne sur le site du ministère.

Pour M. Eric Doligé, il serait judicieux que les auditeurs écoutent également les élus sur le terrain.

M. Eric Doligé a demandé à M. Dominique Schmitt si les audits s'étendraient aux administrations déconcentrées.

M. Dominique Schmitt a rappelé que ces audits cherchaient à mesurer l'adaptation de l'administration centrale à l'issue de la décentralisation, mais il a convenu qu'il serait utile de mener un audit sur le champ déconcentré.

M. Jean Puech, président, a approuvé en constatant que les administrations centrales donnaient des instructions directement aux directions départementales en « court-circuitant » les préfets.

M. Eric Doligé a ensuite mentionné un autre problème lié au transfert du personnel des directions départementales de l'Equipement. Jusqu'à présent, les DDE travaillaient avec les Centres d'études techniques de l'équipement (CETE), qui leur apportaient une assistance technique gratuite. Le transfert des personnels des DDE ne s'étant pas accompagné de celui des CETE, les études élaborées par les CETE auront un coût pour les collectivités.

M. Jean Puech, président, a alors déclaré qu'il serait difficile de retrouver un climat serein dans le contexte de contrainte budgétaire qui, pesant sur l'État, se répercute sur les collectivités territoriales.

M. Dominique Schmitt a estimé que les incompréhensions mutuelles pouvaient également s'expliquer par le fait que les administrations d'Etat sur le terrain subissent des contraintes budgétaires énormes depuis plusieurs années, alors que les collectivités territoriales en ont moins l'habitude.

M. Dominique Schmitt a considéré que les collectivités devraient entreprendre une démarche de recherche d'économies structurelles.

M. Michel Mercier a répondu que cette démarche n'était possible qu'à condition de bénéficier aussi de davantage de libertés sur les dépenses. Il a demandé s'il y avait vraiment eu besoin d'élaborer, pour les techniciens, ouvriers et personnels de service (TOS) venant de l'Education nationale, un cadre spécifique, ou si un cadre départemental ou régional n'aurait pas suffi.

M. Dominique Schmitt a alors annoncé que, dans le mouvement enclenché par la Conférence des finances publiques, le comité des finances locales serait saisi d'une série de propositions allant vers plus de liberté pour les collectivités et empêchant l'état de prendre des décisions qui entraînent une augmentation des dépenses locales.

M. Dominique Schmitt a ensuite affirmé que l'existence d'un cadre spécifique pour les collectivités permettait aux employeurs de TOS de les gérer plus librement. En outre, ce cadre spécifique permet aux salariés de garder un lien avec l'Education nationale.

Après que M. Michel Mercier eut souhaité un peu plus de liberté pour organiser la durée du travail des personnels transférés, M. Dominique Schmitt a assuré que le projet de loi relatif à la fonction publique territoriale devait redonner complètement les commandes aux collectivités, notamment par la mise en place de concours sur titres, et par une marge de liberté considérablement accrue sur l'avancement, qui ne tiendra plus seulement compte de l'ancienneté.

Ainsi, à la fin de l'année 2006, les textes législatifs et réglementaires auront redonné aux collectivités un pouvoir multiplié sur la gestion des ressources humaines.

M. Michel Mercier a évoqué la question de la responsabilité dans les collèges et les lycées. Il a décrit à ce sujet un système très complexe, ne permettant pas toujours de savoir qui, entre le chef d'établissement, le gestionnaire et le département, est responsable.

M. Jean Puech, président, a ensuite abordé les problèmes de l'intercommunalité. Il a interrogé M. Dominique Schmitt sur la question de la pertinence des périmètres. Il lui a demandé quel était selon lui le périmètre pertinent.

M. Dominique Schmitt a affirmé que la politique de l'intercommunalité était une réussite sur le plan quantitatif, puisqu'il y a à ce jour environ 2 500 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre, mais que, sur le plan qualitatif, l'intercommunalité était largement perfectible. Ainsi, les périmètres ne sont pas toujours pertinents : il existe des périmètres défensifs, des périmètres alibis, des périmètres d'aubaine...

Pour expliquer les raisons de ces périmètres insatisfaisants, M. Dominique Schmitt a avancé la suppression des schémas de coopération intercommunale par la loi Chevènement. Ces schémas avaient, selon M. Dominique Schmitt, le mérite de permettre une réflexion entre tous les acteurs sur la carte idéale de l'intercommunalité dans chaque département. Depuis leur suppression, la réflexion globale sur les intercommunalités n'est d'ailleurs plus systématique.

Il est cependant nécessaire que les élus se mettent d'accord sur une stratégie de l'intercommunalité. Les propositions qu'élaboreront les préfets dans le cadre des commissions de coopération intercommunale, donc en concertation avec les élus, devraient aller en ce sens et donneront peut-être lieu à une correction législative, a annoncé M. Dominique Schmitt.

La Direction générale des collectivités locales a voulu éviter de déterminer par avance des périmètres pertinents et s'est refusée à fixer tout seuil démographique. Des chiffres prédéterminés n'ont en effet, selon M. Dominique Schmitt, pas de pertinence dans certaines zones, comme en montagne. S'il peut être logique que les intercommunalités soient, en taille, à peu près équivalentes aux cantons, le mécanisme doit conserver suffisamment de souplesse pour que des configurations tout à fait différentes puissent être prévues.

Il est en revanche impératif, selon M. Dominique Schmitt, de mettre un terme à l'existence d'EPCI défensifs ou d'EPCI qui ne soient que des coquilles vides, et de définir parallèlement l'intérêt communautaire. A ce propos, le rapport élaboré par les préfets et remis en juin fournira les éléments pour procéder aux ajustements législatifs éventuels et aux corrections financières nécessaires. Ce chantier sera réalisé conjointement avec le comité des finances locales.

M. Jean Puech, président, a ensuite demandé à M. Dominique Schmitt comment il envisageait les relations entre l'intercommunalité et les pays.

M. Dominique Schmitt a répondu que la Direction générale des collectivités locales avait dans un premier temps envisagé leur suppression pure et simple. Mais ayant constaté que les élus s'étaient parfois fortement impliqués dans les pays et leur étaient attachés, la DGCL a décidé qu'il fallait plutôt rechercher une bonne adéquation entre le pays et l'intercommunalité, notamment en cantonnant le pays dans sa mission de « signature de contrats ».

M. Dominique Schmitt a précisé que M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, avait donné aux préfets des consignes en vue d'un contrôle de légalité sur les pays qui soit extrêmement strict. L'on ne saurait par exemple autoriser un pays à faire de la maîtrise d'ouvrage. Il est en outre illégal pour une région de passer par la structure du pays pour octroyer une subvention. Devrait prochainement paraître au Journal Officiel la réponse à une question écrite posée par M. Josselin de Rohan à ce sujet.

M. Dominique Schmitt a, pour finir, commenté un certain nombre de documents élaborés par la DGCL sur les aspects financiers et sociaux de la décentralisation, ainsi que sur les perspectives de l'intercommunalité. Ces documents laissent apparaître un surcoût de l'intercommunalité, entre 2003 et 2004, de l'ordre d'un milliard d'euros, ce qui, selon M. Dominique Schmitt, est « relativement raisonnable » eu égard à ce qu'a apporté l'intercommunalité, notamment en matière de création d'équipements de services publics, surtout en milieu rural.

Mais si la dépense globale reste raisonnable, les dépenses de personnel ont pour leur part fortement évolué, a expliqué M. Dominique Schmitt. Il y a en effet eu des doublons, la loi de 1999 n'ayant pas fourni les outils pour les éviter. La loi du 13 août 2004 et le projet de loi sur la fonction publique territoriale sont venus pallier les carences en la matière.

Sur la fiscalité de l'intercommunalité, M. Dominique Schmitt a déclaré que les intercommunalités à taxe professionnelle unique n'avaient pas été facteurs d'inflation fiscale, ayant rarement augmenté les taux. Cette faible augmentation des taux s'est en outre accompagnée d'une diminution de la dispersion des taux de taxe professionnelle.

M. Michel Mercier a, enfin, demandé au Directeur général des collectivités locales s'il estimait que la carte de l'intercommunalité ne devrait pas être rationalisée, eu égard notamment au maintien de nombreux syndicats malgré le développement de l'intercommunalité à fiscalité propre.

Ce dernier a répondu que directive avait été donnée aux préfets d'apporter une attention particulière à cette question. Le Directeur général des collectivités locales a considéré qu'un périmètre plus large que celui des EPCI à fiscalité propre lui paraissait être le plus pertinent pour la gestion de l'eau, de l'assainissement ou le traitement des ordures ménagères, mais que, bien souvent, rien ne justifiait que les syndicats qui traitaient d'autres compétences soient maintenus.

Sur la question, abordée par M. Michel Mercier, des dotations communales restées intouchées malgré l'intercommunalité, M. Dominique Schmitt a rappelé que M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales, avait évoqué la possibilité d'une dotation consolidée au niveau communautaire. Selon le Directeur général des collectivités locales, il est possible d'imaginer un montant territorialisé, mais à la condition qu'il y ait consentement tant de l'intercommunalité que de chacune des communes concernées.