Mardi 5 février 2008

- Présidence de M. Claude Birraux, député, premier vice-président. -

Santé - Pesticides - Présentation de l'étude de faisabilité

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a été saisi, le 16 octobre 2007, par la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale, en application de l'article 6 ter de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958, sur l'effet des pesticides sur la santé humaine.

MM. Claude Gatignol, député, et Jean-Claude Etienne, sénateur, rapporteurs, ont présenté leur étude de faisabilité.

M. Claude Gatignol, député, rapporteur, a souligné le caractère important et socialement sensible du sujet.

Il a estimé que, si le domaine d'étude était centré sur l'environnement et la santé humaine, on ne saurait rester insensible à la santé animale, en particulier la faune sauvage.

Renvoyant au document établi à l'appui de l'étude de faisabilité, qui définit et classifie les différents pesticides, M. Claude Gatignol, rapporteur, a rappelé que l'usage des pesticides comportait des bénéfices évidents en termes de rendements agricoles et donc de maîtrise des ressources alimentaires humaines. D'ailleurs, il est intéressant de noter que les agriculteurs parlent souvent de « médicaments des plantes » pour désigner les pesticides.

De 1945 à 1985, la consommation de pesticides a doublé tous les dix ans. La France est le premier producteur agricole européen et le premier consommateur de pesticides. Cependant, en termes de consommation moyenne de pesticides par hectare, la France se place dans une position moyenne.

Aujourd'hui utilisés dans tous les types de cultures, pour lutter contre les prédateurs, animaux, végétaux ou assimilés, les pesticides présentent aussi des risques et l'étude de faisabilité a essayé de faire une première distinction entre les risques démontrés et ceux supposés ou controversés.

M. Jean-Claude Etienne, sénateur, rapporteur, s'est félicité de la saisine de l'Office, à un moment où les questions environnementales sont au centre des débats de société, en rappelant que récemment, lors d'une réunion parlementaire, la formule selon laquelle « les OGM sont aux pesticides, ce que l'énergie nucléaire est à l'effet de serre » avait été employée.

L'effet des pesticides sur la santé humaine est un sujet qui doit être traité de la manière la plus scientifique possible, car c'est un sujet devenu très sensible dans une société qui est passée d'un état d'inquiétude à un état de confusion. On constate aujourd'hui que l'information sur les bénéfices n'est pas suffisante et qu'une forme d'anxiété s'est installée dans la population.

Pour étudier les effets des pesticides sur la santé humaine, il convient d'examiner les attendus toxicologiques, y compris sur le plan nutritionnel, mais aussi prendre en compte l'environnement de l'homme, dans ses différents éléments, l'air, la terre et l'eau, et ses effets sur la santé de l'homme.

Il faut donc d'une part, établir le relevé le plus exhaustif possible des connaissances scientifiques avérées dans ce domaine et d'autre part, confronter la réalité de l'acquis scientifique aux préoccupations très diverses du monde socio-économique.

M. Claude Gatignol, député, a indiqué que la vocation première du rapport était de proposer des recommandations.

Trois pistes de réflexion se dégagent :

- faire un état des lieux des connaissances acquises et de celles qu'il reste nécessaire d'acquérir ou d'approfondir, certaines études épidémiologiques faisant actuellement défaut ou n'ayant pas encore produit de résultats ;

- analyser le cadre réglementaire, national, européen et international, en s'interrogeant sur les considérations pouvant justifier le retrait de certaines substances du marché ;

- recenser les moyens alternatifs possibles, reposant par exemple sur de nouvelles méthodes agronomiques, le développement de nouvelles molécules, le recours à des produits phytosanitaires classés « naturels » ou les biotechnologies.

M. Claude Gatignol, député, a indiqué qu'une telle étude, en dépit de la pression de l'actualité, exigeait du temps, de l'exhaustivité et de la rigueur.

MM. Claude Gatignol et Jean-Claude Etienne, rapporteurs, ont alors suggéré d'étendre le champ de l'étude et proposé l'intitulé suivant : « Pesticides, environnement et santé de l'homme : état des lieux et perspectives ».

M. Claude Birraux, député, premier vice-président, a remercié les rapporteurs pour la qualité de leurs travaux et souligné l'intérêt pour le Parlement de se tenir informé des connaissances acquises sur les effets des pesticides sur la santé et des recherches engagées dans ce domaine.

Puis il a formulé quatre observations sur :

- la nécessaire coordination des travaux des rapporteurs chargés de la présente étude et de celle concernant l'emploi des pesticides aux Antilles, afin d'éviter des chevauchements ;

- la complexité du sujet découlant notamment de la notion de « pesticide » qui recouvre des domaines variés ne se limitant pas à la production agricole ;

- l'intérêt d'étudier les solutions présentées comme alternatives, alors qu'il est parfois difficile de donner un contenu précis à certaines technologies ou pratiques agronomiques ;

- la nécessité de tirer les enseignements des évaluations conduites à propos des OGM, tel que le principe du cas par cas, ou la prise en compte des effets de l'utilisation des pesticides sur la biodiversité, alors que les produits utilisés visent à détruire des organismes vivants nuisibles.

Il a demandé à ce propos à M. Jean-Claude Etienne, en sa qualité de représentant de l'Office au sein de la Commission du génie biomoléculaire, puis au sein du comité qui lui a succédé, quels étaient, à son avis, les enseignements généraux que l'on pouvait tirer de leurs travaux.

M. Jean-Claude Etienne, sénateur, a tout d'abord rappelé qu'il avait été désigné par l'Office pour siéger à la Commission du génie biomoléculaire, dont tous les membres avaient été nommés en raison de leurs compétences scientifiques, mis à part lui-même qui, à travers le Parlement, représentait la société, et qu'à ce titre on lui avait demandé de siéger dans le comité de préfiguration de la Haute autorité sur les OGM.

Puis il a indiqué qu'au sein de la Commission du génie biomoléculaire, les travaux sur le dossier MON 810 avaient débouché sur une demande visant à approfondir l'étude toxicologique produite par l'industriel, en augmentant le nombre de rats sur lesquels était pratiquée l'expérimentation et la durée de l'exposition pour atteindre le seuil de 3 mois, seuil habituel en toxicologie.

M. Jean-Claude Etienne, sénateur, a regretté qu'un an et demi après cette demande, l'étude de toxicologie en question n'ait pas été réalisée.

Au sein du comité de préfiguration, aux interrogations subsistant sur ce point, s'en sont ajoutées d'autres, portant sur les effets du produit sur la taille des lombrics et les conditions de dispersion de particules de la protéine.

Or, dans le débat sur les OGM, les données scientifiques fournies par les industriels doivent être les plus rigoureuses possibles afin de lever toute ambiguïté.

Dans un tel débat, où les préjugés et les idées reçues ont tendance à prévaloir, où deux camps s'opposent, la vérité doit se mesurer à l'aune de la réalité scientifique, et dans une société où tout devient confus, il est nécessaire de faire connaître les éléments scientifiquement établis, puis intégrer ces éléments dans une analyse bénéfices/risques.

C'est cette démarche qui sera retenue pour l'étude des pesticides, afin de répondre à la question suivante : comment disposer d'une alimentation et d'un environnement bénéfiques à l'homme et éviter de lui faire courir des risques qui n'en vaudraient pas la peine.

M. Claude Birraux, député, premier vice-président, après avoir rappelé que 14 des 18 scientifiques du comité de préfiguration s'étaient désolidarisés de l'expression publique du président du comité, lequel avait fait état de doutes sérieux quant à l'innocuité du MON 810, a souligné les risques liés à une instrumentalisation médiatique d'attendus scientifiques, ainsi qu'à une généralisation hâtive jetant l'opprobre sur une technologie et contraire au principe du cas pas cas, en insistant sur la nécessité de préserver les activités de recherche et les compétences dans ce domaine, compétences qui, fondées sur la connaissance, sont indispensables pour mener les évaluations demandées.

M. Jean-Claude Etienne, sénateur, s'est rangé aux propos de M. Claude Birraux, en insistant sur l'impérieuse nécessité pour les industriels de répondre avec rigueur aux interrogations auxquelles il est aisé d'apporter des réponses. À défaut, ces interrogations restées sans réponse suscitent une inquiétude qui risque de se transformer en confusion. C'est pourquoi il convient de prendre en compte, à côté de la science, la dimension humaine de la connaissance scientifique.

M. Alain Gest, député, a souligné que tous les sondages réalisés sur le sujet des OGM indiquaient que 65 à 80 % des Français sont hostiles aux OGM ou en ont peur. On ne peut pas faire comme si de tels chiffres n'existaient pas. Il y a un réel phénomène de défiance de l'opinion à prendre en compte.

S'agissant de l'étude engagée par l'OPECST sur l'effet des pesticides sur la santé humaine, M. Alain Gest s'est interrogé sur les délais de publication du rapport, le Parlement devant voter, au printemps, une loi d'orientation, suite aux conclusions du Grenelle de l'environnement.

M. Claude Birraux, député, premier vice-président, a rappelé que l'OPECST n'avait pas vocation à informer le Parlement dans l'urgence et sous la pression de l'actualité politico-médiatique, mais que les rapporteurs pouvaient organiser une audition publique ouverte à la presse à leur convenance.

M. Jean-Claude Etienne, sénateur, rapporteur, a observé que, sur ce sujet des pesticides, l'obscurantisme pouvait régner, quelquefois relayé par les médias, et qu'il lui semblait nécessaire que l'Office, modestement, présente les connaissances établies avec certitude, afin de susciter une prise de conscience des lacunes restant à combler, soit parce qu'aucune recherche n'a été effectuée, soit parce que les résultats des recherches réalisées n'ont pas encore été produits. Le docteur Eilestein, responsable du département santé-environnement à l'InVS, a indiqué, lors d'une audition devant les rapporteurs, qu'en matière de lien entre pesticides et pathologies chez l'homme, « la seule chose dont on soit certain est notre ignorance ».

L'effet des pesticides sur la santé humaine est, par nature, difficile à évaluer, mesurer et vérifier car, dans ce domaine, on est à l'interface entre la génétique et l'environnement.

M. Claude Gatignol, député, rapporteur, a observé que les lois examinées sous la pression de l'actualité n'étaient pas les meilleures lois votées par le Parlement et qu'il ne fallait pas oublier que toute innovation technologique vient heurter une partie de l'opinion.

Pour les pesticides, la controverse tient à la difficulté à peser les bénéfices et les risques liés à leur usage. Leur efficacité est prouvée mais leur efficacité même est liée à leur toxicité vis-à-vis de certains organismes vivants.

Donnant l'exemple du DDT, M. Claude Gatignol, député, a rappelé que ce produit avait été considéré comme un remède miracle avant d'être remis en cause dans les années 1970, en raison de sa persistance dans l'environnement et de ses effets délétères sur les organismes vivants. Or, en 2006, l'Organisation mondiale pour la santé (OMS) a recommandé sa pulvérisation à grande échelle, afin de détruire les moustiques à l'origine du paludisme.

Après avoir rappelé que les plantes génétiquement améliorées produisaient elles-mêmes les pesticides dont elles avaient besoin, M. Claude Gatignol, député, a souligné l'incertitude actuelle sur les risques liés à une exposition aux pesticides à faible dose, les avis étant très partagés. Cependant, le rapport sur les causes du cancer en France, publié en septembre 2007 conjointement par l'Académie nationale de médecine, l'Académie des sciences, l'Institut de France, le centre international de recherche sur le cancer, la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, avec le concours de l'Institut national du cancer et de l'Institut national de veille sanitaire, indique en conclusion que « le lien putatif entre pesticides et cancer ne repose sur aucune donnée solide ».

Après que M. Claude Birraux, député, premier vice-président, eut souligné l'intérêt de constituer un comité de pilotage, les conclusions de l'étude de faisabilité ont été adoptées et l'Office a approuvé la préparation d'une étude devant aboutir à la rédaction d'un rapport sur le thème « Pesticides, environnement et santé de l'homme : état des lieux et perspectives ».