Mardi 15 avril 2008

- Présidence de Mme Annie Jarraud-Vergnolle, vice-présidente.

Audition de M. Laurent Chambaud, inspecteur général des affaires sociales

La mission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Laurent Chambaud, inspecteur général des affaires sociales.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle, présidente, a remercié M. Laurent Chambaud d'avoir répondu à l'invitation de la mission, dont elle a rappelé brièvement l'objet.

M. Laurent Chambaud a présenté les missions qui lui ont été confiées au cours des deux années écoulées, portant sur les questions de l'extrême précarité et des sans domicile.

Il a rappelé qu'au cours de l'été 2006, Mme Catherine Vautrin, alors ministre délégué à la cohésion sociale et à la parité, lui avait confié, ainsi qu'à Mme Agnès de Fleurieu, une mission sur l'hébergement des personnes sans-abri à Paris et en Ile-de-France, qui faisait suite à la crise déclenchée par l'installation de nombreuses tentes sur la voie publique. Après ce premier travail, une autre mission lui a été confiée sur le thème de la coordination de l'observation statistique des personnes sans abri en France.

M. Laurent Chambaud a ajouté qu'il avait par ailleurs assuré les fonctions de secrétaire du Comité national de suivi du plan d'action renforcée pour les personnes sans abri (PARSA), qu'il avait participé à une mission initiée par le préfet de Paris sur l'identification et la prise en charge des personnes sans abri atteintes de troubles du comportement ou de déséquilibres psychiatriques, et qu'il avait, enfin, coprésidé un groupe de la conférence régionale sur l'hébergement des personnes sans abri en Ile-de-France.

M. Laurent Chambaud a tiré de son expérience quatre enseignements principaux.

En premier lieu, il a souligné l'importance de pouvoir disposer d'éléments objectifs fiables afin d'établir des diagnostics précis. Dans cette optique, il a jugé nécessaire un rapprochement entre Etat, collectivités territoriales et associations.

Puis il a insisté sur la nécessité d'un affichage clair et d'une cohérence des politiques mises en oeuvre. Cette nécessité avait également été soulignée par la conférence de consensus, organisée par la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (FNARS) en novembre 2007, qui avait préconisé la mise en oeuvre de politiques claires et pérennes. M. Etienne Pinte, député, est parvenu à un constat similaire dans le cadre de sa mission sur l'hébergement et le logement des personnes sans abri ou mal-logées. Pour autant, les politiques ainsi affichées ne peuvent pas être identiques sur l'ensemble du territoire.

M. Laurent Chambaud a ensuite observé que la problématique de l'hébergement était étroitement liée à celle du logement, ainsi que l'avait souligné le dispositif du PARSA.

Enfin, mentionnant les cas particuliers des jeunes et des personnes en situation irrégulière, il a indiqué que les sans domicile ne constituaient pas un public homogène et qu'il fallait, par conséquent, envisager des solutions différenciées. Il a ajouté que la situation ne devait pas être considérée comme figée, en raison des phénomènes de flux qui modifiaient constamment les données du problème.

Pour conclure, il a mis l'accent sur les problématiques de santé publique, une attention particulière devant être portée aux questions de l'alcoolisme et de la santé mentale des personnes en grande précarité.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle, présidente, a ensuite souhaité savoir si M. Laurent Chambaud avait perçu une évolution des caractéristiques de la pauvreté en France au cours des 30 dernières années. Par ailleurs, concernant le problème du logement, elle s'est interrogée sur l'application de certains articles de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), les efforts des associations ne pouvant pallier l'insuffisance de constructions nouvelles.

M. Laurent Chambaud a indiqué qu'en dehors de simples estimations, la seule donnée précise sur l'extrême pauvreté remontait à une enquête de 2001, qui avait dénombré 86 500 personnes sans domicile. Il a plaidé pour la mise en place de moyens d'observation plus souples permettant, entre les enquêtes lourdes effectuées en principe tous les 10 ans, de disposer régulièrement d'indications sur les évolutions de la pauvreté. En tout état de cause, l'engorgement des structures d'hébergement en Île-de-France et la persistance évidente du problème des sans-abri dans les grandes agglomérations montrent qu'il n'y a pas de régression de la grande pauvreté. Il convient cependant de nuancer ce diagnostic selon les territoires : l'extrême pauvreté prend ainsi des figures différentes selon qu'on se trouve en Île-de-France, où de nombreux sans-abri sont d'origine étrangère, ou dans des territoires plus ruraux, où l'on observe un phénomène d'errance, en particulier de jeunes.

En ce qui concerne le logement, il résulte clairement des conclusions de la mission Pinte qu'une application plus stricte de la loi SRU serait un des éléments susceptibles d'améliorer la situation. Cependant, l'objectif de 20 % de logements sociaux ne doit pas masquer le fait que beaucoup de ces logements ne sont pas accessibles aux personnes défavorisées, seuls ceux en PLAI (prêt locatif aidé d'intégration) étant abordables. Il est ainsi nécessaire de favoriser les logements dits très sociaux. Par ailleurs, le développement des maisons-relais, dont tous les acteurs de l'insertion reconnaissent l'intérêt, serait sans doute souhaitable, sous réserve cependant de leur évaluation. En effet, ces maisons ne constituent souvent qu'une étape très brève dans le parcours des personnes mal-logées, alors qu'elles devaient permettre de les stabiliser plus durablement.

M. Bernard Seillier, rapporteur, s'est demandé s'il fallait remettre en cause l'approche globale de la loi de 1998, prévoyant l'égalité des droits fondamentaux pour tous et couvrant tous les secteurs (éducation, santé, logement, travail...), ou si la mise en oeuvre de cette loi par les collectivités territoriales suffisait à en assurer l'adaptation aux différents publics concernés. Il s'est également interrogé sur la possibilité d'améliorer la prévention de la pauvreté en traitant davantage les causes de ce phénomène. Il a enfin souhaité connaître l'opinion de l'intervenant sur l'utilité éventuelle d'une modification de la structure gouvernementale afin de mieux prendre en compte l'exclusion.

M. Laurent Chambaud a estimé que l'objectif d'un traitement global des divers aspects de la pauvreté restait valable du fait de l'imbrication des problèmes rencontrés par les personnes en situation précaire. En outre, il convient de ne pas séparer le traitement de la grande exclusion de celui de la pauvreté et des inégalités sociales, les personnes concernées ne devant pas être considérées comme enfermées dans la catégorie des exclus.

Par ailleurs, les travaux de la Cour des comptes et ceux menés dans le cadre de la révision générale des politiques publiques ont mis en exergue l'importance des rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales en cette matière. Même si, depuis la loi de 2004, les conseils généraux sont les acteurs majeurs de l'action sociale, l'Etat reste responsable de la prise en charge de la grande précarité et notamment de l'hébergement, alors que les personnes concernées sont souvent bénéficiaires du revenu minimum d'insertion et sont suivies par des travailleurs sociaux employés par les collectivités territoriales. Celles-ci disposant déjà d'un certain nombre d'outils comme les fonds de solidarité logement (FSL), il serait sans doute souhaitable, soit de leur confier entièrement la prise en charge de la pauvreté, en y incluant l'hébergement et le logement, soit de mettre en place de nouvelles modalités de collaboration entre l'Etat et les collectivités par le biais d'un aménagement des lois de 1998 et de 2004.

Concernant la prévention, la mission Pinte et le travail des associations en ont révélé la difficulté. M. Laurent Chambaud a souhaité à cet égard mettre en exergue quatre problèmes :

- de nombreuses personnes sortant du dispositif de l'aide sociale à l'enfance (ASE) ne sont prises en charge par aucune structure ;

- les détenus sortant de prison se retrouvent fréquemment sans domicile, la préparation à la sortie étant insuffisamment développée ;

- les personnes sortant d'hôpital, notamment psychiatrique, sont souvent livrées à elles-mêmes malgré l'existence d'équipes mobiles de psychiatrie de précarité, celles-ci n'intervenant qu'auprès des personnes déjà sans-abri. La politique hospitalière de réduction des lits, notamment en psychiatrie, menée depuis les années 80, a ainsi probablement accru le nombre de personnes sans logement ;

- le problème des expulsions, notamment pour motif économique et en particulier dans le parc privé, n'a pas trouvé de solution satisfaisante. Alors que les associations souhaitent unanimement un moratoire sur les expulsions, une telle mesure risquerait de nuire fortement à la confiance des propriétaires privés. Par ailleurs, la garantie des risques locatifs (GRL) et l'intermédiation sont encore peu développées, malgré une intéressante expérience à Rennes.

M. Laurent Chambaud s'est ensuite prononcé en faveur d'un pilotage interministériel de la lutte contre l'exclusion, avec par exemple la mise en place d'une délégation générale auprès du Premier ministre et l'unification des différentes structures de conseil et d'observation. Par ailleurs, il est fondamental de préserver l'aspect social du lien entre l'hébergement et le logement, en évitant que les problématiques propres à la construction prennent le pas sur cet aspect.

Mme Annie David a estimé que la création d'un pôle interministériel consacré à l'exclusion démontrerait une intention claire de lutter contre ce phénomène. Par ailleurs, elle s'est interrogée sur la possibilité même d'apporter une réponse adaptée à la grande pauvreté en l'absence d'éléments chiffrés. Concernant le logement, elle s'est inquiétée d'un abaissement du plafond pour accéder aux logements sociaux, et a souligné que seuls les PLAI, trop peu nombreux, offraient une réponse adaptée aux plus démunis.

M. Guy Fischer a souligné que les possibilités d'hébergement, malgré d'importants efforts financiers, restaient négligeables face à l'ampleur du problème, 8 à 10 % des logements sociaux construits seulement, étant sans doute vraiment accessibles aux personnes en difficulté. Il a également regretté l'absence de données récentes sur la grande pauvreté dans un contexte d'aggravation évidente de ce phénomène, auquel les collectivités, faute de moyens suffisants, ne peuvent remédier.

Concernant le manque de données, M. Laurent Chambaud a insisté sur la nécessité de regrouper, de préférence au niveau départemental, des informations collectées par l'État, les collectivités territoriales et les associations, afin d'établir un diagnostic partagé et d'améliorer ainsi les plans départementaux d'accès au logement des personnes défavorisées et les schémas d'accueil, d'hébergement et d'insertion. Une telle amélioration permettrait notamment de construire des maisons-relais en fonction des besoins. La problématique est quelque peu différente en Ile-de-France, où il s'agit de coordonner au niveau régional les moyens mis en oeuvre à Paris et dans les petite et grande couronnes.

M. Laurent Chambaud a par ailleurs confirmé l'insuffisance du parc public de logements sociaux et de PLAI dans les zones où le marché du logement est très tendu. Or, il est plus difficile de mobiliser le logement privé, les bailleurs étant parfois réticents à accueillir des personnes en difficulté. La gestion des risques locatifs et l'intermédiation ne peuvent constituer, du moins à court terme, des solutions suffisantes pour résoudre ce problème.

En outre, il est nécessaire de prendre davantage en compte les autres types d'habitat précaire, comme les campings, qui représentent une frange peu connue mais sans doute non négligeable de l'hébergement. Enfin, des personnes peuvent se retrouver dans des situations où l'hébergement est préférable au logement social, celui-ci étant, par exemple pour un travailleur pauvre à Paris, trop onéreux et souvent trop éloigné de son lieu de travail.

À une question de Mme Annie Jarraud-Vergnolle, présidente, sur l'analyse des besoins sociaux réalisée par les CCAS, M. Laurent Chambaud a répondu qu'il n'avait que récemment découvert cette pratique et qu'il était favorable à ce que les communes ou les communautés de communes réalisent cette analyse des besoins sociaux, celles-ci étant les acteurs historiques de la lutte contre la grande pauvreté.

Audition de MM. Claude Alphandéry, président, et Jacques Dughera, secrétaire général du conseil national de l'insertion par l'activité économique (CNIAE)

La mission commune d'information a ensuite procédé à l'audition de MM. Claude Alphandéry, président, et Jacques Dughera, secrétaire général du conseil national de l'insertion par l'activité économique (CNIAE).

M. Claude Alphandéry a tout d'abord rappelé que le conseil national de l'insertion par l'activité économique (CNIAE), placé auprès du Premier ministre, avait été créé par la loi du 3 janvier 1991. La délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle et la direction générale de l'action sociale en assument la vice-présidence. Le CNIAE assure :

- une fonction de conseil et de veille sur les politiques de l'emploi et de l'insertion des personnes durablement éloignées de l'emploi ;

- une fonction de concertation entre les acteurs du secteur de l'insertion par l'activité économique ;

- une fonction de représentation institutionnelle de l'IAE au conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, au conseil supérieur du travail social, au conseil supérieur de l'économie sociale, à l'observatoire économique de l'achat public ...

Le CNIAE, dont la permanence et la coordination des travaux sont assurées par un bureau qui se réunit mensuellement, est composé de 42 membres désignés pour trois ans par le Premier ministre :

- 10 représentants des ministères concernés par l'IAE ;

- 12 personnes qualifiées et représentants des réseaux nationaux dont ceux de l'insertion par l'activité économique ;

- 10 élus, dont 5 élus proposés par les ministres chargés de l'emploi et de l'action sociale et 5 élus proposés par les associations d'élus ;

- 10 représentants des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles.

Le CNIAE, avec le soutien financier de l'Etat, du fonds social européen et de la caisse des dépôts et consignations, à travers l'agence de valorisation des initiatives socio-économiques, met en oeuvre un programme triennal d'actions, composé de trois volets :

- un volet « territorialisation » : deux études d'impact de l'IAE ont été réalisées dans les Pays de la Loire et en Aquitaine, avec la participation des salariés en insertion. Deux autres études sont en cours dans les régions PACA et Franche-Comté avec l'aide des collectivités territoriales. L'impact de l'IAE est apprécié dans toutes ses dimensions (macroéconomique, mais également apport au développement local), et pas seulement en termes de coût pour la collectivité. Chaque étude participative comprend en outre des objectifs territoriaux en lien avec la redynamisation des conseils départementaux de l'IAE. Ces études ont alimenté le rapport du CNIAE intitulé « Lever les obstacles aux promesses de l'IAE ». Par ailleurs, une mutualisation des pratiques des réseaux intervenant en milieu rural doit conduire à des préconisations, permettant de mieux faire participer les institutions de l'agriculture à l'IAE ;

- un volet de lutte contre les discriminations : le CNIAE collabore avec l'agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, anciennement FASILD (fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations) pour sensibiliser les acteurs de l'insertion aux discriminations, notamment des employeurs, et accompagner les structures dans la prise en charge de ces questions. Un état des lieux a permis de définir un plan d'actions concerté et de réaliser un premier recueil d'expériences ;

- un volet européen : le conseil national a organisé deux séminaires de travail sur les relations entre l'IAE et les institutions et réglementations européennes. Ce travail a donné lieu à un « kit pédagogique » en direction des acteurs de l'IAE et a une meilleure prise en compte des questions posées par les services sociaux d'intérêt général (SSIG) dans la transposition de la directive « services ».

Par ailleurs, le Grenelle de l'insertion est, selon M. Claude Alphandéry, un événement très positif malgré plusieurs incertitudes, concernant notamment le fonctionnement du nouvel opérateur issu de la fusion ANPE/UNEDIC et l'évolution de l'organisation des services déconcentrés de l'Etat du fait de la RGPP (révision générale des politiques publiques). En outre, alors que le plan de cohésion sociale avait été accompagné d'une enveloppe financière, ce n'est pas le cas pour le Grenelle, le financement du RSA étant notamment toujours débattu. Enfin, il a regretté l'absence dans la négociation des grandes associations de collectivités territoriales. Le CNIAE propose ainsi dans le cadre du Grenelle :

- une généralisation et un renforcement de l'agrément des publics de l'IAE ;

- la définition, sur la base du travail accompli par la DGTEFP, d'un socle réglementaire national, comprenant les missions de base de l'IAE et qui serait intégré aux conventions signées par les structures de l'IAE et le préfet dans chaque département après avis du CDIAE (conseil départemental de l'insertion par l'activité économique) ; il conviendrait également d'établir dans chaque région une convention signée par l'Etat et les départements et fixant objectifs, moyens, outils et méthodes d'évaluation pour l'IAE ;

- un vote du Parlement portant sur l'architecture générale et la répartition des charges de l'IAE entre l'Etat et les collectivités.

M. Claude Alphandéry a enfin souligné la nécessité de préserver un lien fort entre l'économique et le social, lien actuellement mal assumé selon lui par les pouvoirs publics. Il a regretté à cet égard la séparation des ministères de l'emploi et de la cohésion sociale et l'absence de délégation interministérielle pour pallier cette séparation.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle, présidente, a évoqué le rapport que M. Claude Alphandéry avait publié en 1990 sur les structures d'insertion par l'économique, portant sur la territorialité, la mixité, le partenariat local et l'innovation, et comportant des réflexions sur le différentiel de coût entre un contrat de droit commun et un contrat d'insertion, ainsi que sur les dépenses que l'insertion par l'activité économique permettent d'éviter.

Estimant que ce rapport devrait à présent être réalisé à l'échelle européenne pour montrer que les entreprises d'inclusion active existent dans presque chaque Etat membre et y bénéficient de législations favorables, M. Jacques Dughera a dit voir dans l'Union européenne à la fois un atout, le fonds social européen (FSE) ayant fortement soutenu le secteur de l'insertion, mais également une source d'incertitude, du fait de réglementations communautaires entravant son développement. Citant, à cet égard, la directive « Services », il a regretté, comme l'avait observé le rapport du Sénat sur ce texte, que les professionnels, et notamment le CNIAE, n'aient pas été consultés préalablement à son adoption. Indiquant que ce dernier travaillait actuellement sur le mandatement, l'agrément et les aides publiques aux entreprises afin d'éviter les contraintes communautaires, il a dit espérer des progrès en ces domaines sous la présidence française de l'Union.

S'agissant des coûts évités grâce à l'insertion, il préfère adopter une approche en termes d'investissements. La mise au point d'une méthode de calcul a ainsi permis de chiffrer à 47 millions d'euros ceux réalisés par 201 structures d'insertion économique en Aquitaine en 2004.

Evoquant enfin la question de l'évaluation, il l'a jugée insuffisante, faisant référence à cet égard au récent rapport de deux députés, MM. Gaëtan Gorce et Frédéric Lefebvre, sur l'évaluation des politiques de l'emploi. Notant que n'est évalué que le retour à l'emploi, il a jugé indispensable de mettre les salariés au centre des dispositifs de l'insertion par l'activité économique.

Mentionnant le programme d'évaluation examiné dans le cadre du groupe 4 du Grenelle de l'insertion, M. Bernard Seillier, rapporteur, s'est demandé comment l'insertion par l'activité économique identifiait ses publics et tenait compte de leur diversité.

M. Claude Alphandéry a indiqué que l'agence nationale pour l'emploi (ANPE) travaillait dans ce but avec les demandeurs d'emploi et les prescripteurs, au niveau local. Convenant toutefois que seuls les publics en mesure de chercher un emploi se présentaient à ses guichets, il a souligné l'importance du diagnostic en vue de déterminer l'orientation la plus adaptée individuellement. Souhaitant que l'agrément soit accompagné d'un bilan et d'un suivi, les parcours individuels étant parfois très chaotiques, il s'est prononcé en faveur d'un agrément généralisé.

Faisant remarquer que certaines personnes sans emploi ne se signalaient même pas à l'ANPE, mais étaient heureusement parfois prises en charge par des structures d'insertion, il a souligné leur fonction transitoire, qui est de préparer les chômeurs à retourner à terme sur le marché du travail. Relevant la fréquence des rechutes, il s'est interrogé sur le traitement des dossiers de ces chômeurs, mentionnant une possible prolongation de la période d'insertion ou un renouvellement de l'agrément, ainsi que la mobilisation d'autres débouchés que l'économie marchande, problématique selon lui insuffisamment traitée.

Observant que la notion de parcours d'insertion, comme celle de parcours résidentiel, se mettait peu à peu en place, M. Bernard Seillier s'est demandé si elle correspondait à la notion d'« architecture générale » à laquelle M. Claude Alphandéry avait fait référence.

Notant que le diagnostic était à la base du parcours individuel, et faisant remarquer que le problème pouvait être analysé en termes de stock comme de flux, M. Claude Alphandéry s'est interrogé sur la capacité de l'opérateur national à gérer les stocks actuels, que ce soit en faisant appel à des prestataires extérieurs ou en étant plus strict sur les bénéficiaires des agréments.

Notant que la question du parcours posait celle des données, M. Jacques Dughera a déploré l'absence d'informations sur le cursus des chômeurs avant leur entrée et après leur sortie des dispositifs d'insertion. Pointant l'insuffisance d'études sur le sujet, les dernières ayant eu lieu en 1993 et en 2003, il a souligné l'importance de l'échelle locale dans les parcours individuels, jugeant à cet égard insatisfaisant le travail réalisé avec les plans locaux d'insertion par l'emploi (PLIE). Mettant en exergue une stratégie de l'offre déficiente car segmentant les publics selon des statuts, et non selon les personnes, il a regretté la perte de substance due à l'absence de gestion stratégique des conventions.

S'interrogeant sur le degré d'applicabilité directe du rapport des intervenants, Mme Annie Jarraud-Vergnolle, présidente, a jugé très favorablement le fait que l'ANPE ne soit plus la seule à pouvoir réaliser des diagnostics sur l'employabilité. Appelant à fonder les conventionnements, désormais pluriannuels, sur l'année civile, et non calendaire, elle s'est demandé comment les collectivités territoriales pourraient être encouragées à mettre en place la clause de promotion de l'emploi afin que les personnes en insertion puissent intégrer des chantiers publics.

Saluant le travail réalisé à ce sujet par M. Jean-Baptiste de Foucault, M. Claude Alphandéry a dit regretter que l'Etat et les collectivités territoriales connaissent et utilisent mal les clauses sociales. Il a indiqué que le CNIAE tentait d'informer et de conseiller les donneurs d'ordre, et construisait un site Internet ayant pour objet d'une part d'expliquer les modalités d'utilisation aux fins d'insertion du dispositif de réduction de l'impôt sur la fortune (ISF) prévu par la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite « loi TEPA », et d'autre part de donner aux donneurs d'ordre de commandes publiques la liste des entreprises qu'ils peuvent solliciter.

Insistant sur les inconvénients des ruptures et modifications des politiques publiques, il a proposé de remplacer les contrats aidés par des aides au poste généralisées, de telles aides aux structures permettant une plus grande fongibilité. Enfin, il a appelé à recourir davantage aux expérimentations à l'échelle régionale.

Faisant le lien avec le contrat d'accompagnement généralisé qu'il avait lui-même proposé, M. Bernard Seillier, rapporteur, a interrogé les intervenants sur la façon dont le revenu de solidarité active (RSA), s'il était mis en place, pourrait profiter à l'insertion par l'activité économique.

Réservant son avis sur ce dispositif, M. Claude Alphandéry a en revanche estimé qu'il ne devrait, en tout état de cause, pas être limité aux seuls titulaires de minima sociaux, mais s'appliquer également aux travailleurs pauvres.

Audition de MM. Olivier Berthe, président, et Michel de Vorges, responsable du volet insertion des Restos du coeur

La mission commune d'information a enfin procédé à l'audition de MM. Olivier Berthe, président, et Michel de Vorges, responsable du volet insertion des Restos du coeur.

M. Olivier Berthe a tout d'abord présenté son association. Fondés en septembre 1985 à l'initiative de Coluche, les Restos du coeur rassemblent 51.000 bénévoles, 2.000 centres d'activité et 117 associations locales ou départementales. En 2007, ils ont servi 82 millions de repas à 700.000 personnes. 80 % des 122 millions d'euros du budget de l'association sont consacrés à l'aide alimentaire, le solde permettant de financer plusieurs types d'activités sociales : aide au retour à l'emploi, à travers 83 chantiers d'insertion occupant 1.300 personnes ; logement de plus de 1.500 personnes dans 17 résidences sociales et hébergement de plusieurs centaines d'autres ; lutte contre l'illettrisme et accompagnement scolaire ; loisir et culture ; aide aux gens de la rue, avec 4.000 sans-abris approchés quotidiennement ; recherche dans les domaines de la santé et de la nutrition.

Par ailleurs, les Restos du coeur assurent un rôle de veille et d'alerte des pouvoirs publics sur des sujets d'actualité sociale tels que :

- la flambée des prix agricoles. Elle a été ressentie dès juin 2007 par l'association, qui s'est heurtée à des difficultés d'achat de produits alimentaires pour la campagne 2007, leur prix ayant aujourd'hui augmenté de 25 à 100 % par rapport à mars 2007. Les produits achetés directement, qui représentent les trois-quarts de ceux acquis par l'association, ont en moyenne vu leur prix doubler. Des entreprises ont, au mois de juin 2007, dénoncé des appels d'offre passés dans le cadre du programme européen d'aide aux plus démunis (PEAD) initié par Coluche en 1986 et porté, outre les Restos du coeur, par le Secours populaire, les banques alimentaires et la Croix-Rouge française. L'enveloppe financière consacrée à ce programme ne permet, du fait de l'inflation accrue, que d'acquérir un moindre volume de produits alimentaires. Son augmentation a été faible, de 294 à 302 millions d'euros, dont 52 reviennent à la France et 13 à 14 aux Restos du coeur, et doit bénéficier à deux nouveaux Etats membres. Elle risque ainsi d'empêcher le financement de 14 millions de repas dès l'hiver prochain ;

- les contrats aidés. Ils font l'objet de réflexion actuellement, qu'il s'agisse par exemple du contrat unique ou du revenu de solidarité active (RSA). En attendant leur mise en oeuvre, il importe que les dispositifs existants et fonctionnant de façon satisfaisante continuent d'être financés. Ainsi en va-t-il de l'insertion par l'activité économique, 26 % des 1.300 personnes en insertion aux Restos du coeur retrouvant ensuite un emploi ;

- le logement. Un cinquième des personnes fréquentant les Restos du coeur sont mal ou non logées. Les propositions du député Etienne Pinte sur l'hébergement et le logement des personnes sans abri ou mal-logées sont insuffisantes.

En conclusion, M. Olivier Berthe a fait part de ses préoccupations quant aux sources de financement de son association, dont les deux tiers proviennent de dons du public, ainsi qu'à l'évolution des populations aidées, en stagnation depuis l'année 2007.

M. Bernard Seillier, rapporteur, l'a alors interrogé sur les politiques publiques qu'il serait opportun d'activer, ainsi que sur les dysfonctionnements systémiques des sociétés occidentales, notamment en France, aboutissant à la pauvreté et à l'exclusion.

Insistant longuement sur l'importance fondamentale d'une véritable continuité dans les politiques publiques, M. Olivier Berthe a souligné combien les modifications de législation étaient difficiles à intégrer pour les bénévoles et pouvaient les décourager. Précisant toutefois que les Restos de coeur ne souffraient pas d'une crise du bénévolat, il s'est inquiété, pour les publics les plus fragiles, de la réduction des périodes de contrats aidés. Il a également appelé à un recours accru à l'expérimentation de dispositifs nouveaux.

M. Michel de Vorges a indiqué que les chantiers d'insertion, outre leurs aspects bénéfiques en termes de réduction du chômage de masse et de contribution au développement de l'économie solidaire, permettaient surtout à des personnes en difficulté de revenir à l'emploi grâce à des contrats aidés, et d'enclencher ainsi un cercle vertueux dans leur parcours individuel. Le dispositif des Restos du coeur offre à ces publics un cadre favorable à leur insertion, celle-ci ne pouvant venir in fine que des individus eux-mêmes. Commencé historiquement avec les jardins d'insertion, il s'est étendu au secteur de la distribution alimentaire, où l'association dispose d'une solide expérience du contact avec la personne.

M. Jean Desessard, lui ayant demandé des précisions sur les secteurs plus particulièrement concernés par les réinsertions, M. Michel de Vorges a cité l'entretien des espaces verts, le maraîchage, le travail de cariste en entrepôt, la logistique et la réhabilitation de logements en second oeuvre.

Citant également les secteurs de la restauration et de la cuisine, M. Olivier Berthe a déploré que 20 à 25 % des personnes en centre d'hébergement, qui exercent un emploi, ne devraient normalement pas s'y trouver. Ces places pourraient être libérées si le parc social était correctement sollicité ou si des dispositifs d'incitation étaient proposés. Il serait alors possible d'y héberger des personnes aujourd'hui à la rue, ainsi que de moderniser les structures d'hébergement. Par ailleurs, le versement, aux personnes ayant besoin d'un logement, d'un différentiel compensant l'écart entre le prix des locations de marché et celui du secteur social serait beaucoup moins coûteux que le paiement par les pouvoirs publics de nuits d'hôtel.

A M. Bernard Seillier, qui le questionnait sur les nouveaux secteurs sur lesquels les Restos du coeur envisageaient de s'investir, ainsi que sur les raisons de la notoriété de l'association, M. Olivier Berthe a apporté les éléments de réponse suivants :

- des actions de soutien scolaire et de lutte contre la fracture numérique ont été récemment initiées, en vue de répondre à des inégalités qui apparaissent de plus en plus tôt dans les parcours individuels, et ont tendance à se cumuler chez une même personne. L'accompagnement scolaire se fait en liaison avec les parents, de préférence dans le cadre de l'école ;

- les principes régissant les Restos du coeur expliquent leur succès auprès du public : une action concrète dans le secteur social, doublée d'un témoignage de terrain ; une absence de modèle imposé au profit d'une diversité d'expériences adaptées aux circonstances particulières ; une prise en compte de la personne avec pour objectif de redonner à chacun une chance de réinsertion ; un ancrage sur le bénévolat et un souci permanent de l'économie et de l'efficacité.

Mme Annie Jarraud-Vergnolle, présidente, a interrogé l'intervenant sur la formation des bénévoles de l'association et sur l'existence de partenariats avec d'autres acteurs de l'insertion.

Evoquant à son tour la formation des bénévoles, M. Yannick Bodin l'a également interrogé sur les moyens de réévaluer le budget du PEAD consacré à l'aide alimentaire, les activités de distribution alimentaire à partir du printemps, les catégories socioprofessionnelles auxquelles appartiennent les bénévoles, les dispositifs fiscaux en faveur des donateurs non soumis à l'impôt et des bénévoles, les résultats des collectes réalisées à l'entrée des supermarchés, les recettes générées par la tournée des Enfoirés, ainsi que sur les nationalités des personnes aidées.

A ces questions, M. Olivier Berthe a apporté les éléments de réponse suivants :

- 600.000 euros sont consacrés chaque année à la formation des bénévoles, dont le profil de compétences est orienté en fonction des besoins ;

- de nombreux responsables politiques et administratifs, tels que le ministre en charge de l'agriculture, le Premier ministre, le directeur général de l'agriculture à la Commission européenne et le président de la commission « agriculture » du Parlement européen, ont été sollicités en vue de réévaluer le budget du PEAD. Une proposition de révision de ce dernier avait été transmise, il y a trois ans, au ministre en charge de l'agriculture. Le Président de la République s'est engagé à faire de l'aide alimentaire une des priorités de la présidence française de l'Union. Parallèlement à ces actions européennes ou nationales, sont prises de nombreuses initiatives au niveau local ;

- plus de la moitié des centres d'activité de l'association continuent de fonctionner au-delà du mois de mars, durant l'inter-campagne ;

- si une majorité de bénévoles est recrutée parmi des personnes retraitées, l'association fait appel également à des actifs et des étudiants, et cherche à maintenir un minimum de diversité parmi ses membres ;

- l'amendement Coluche prévoit un dispositif d'incitation fiscale aux dons à des associations humanitaires sous forme de crédit d'impôt, et la plupart des donateurs sont soumis à l'impôt sur le revenu, et donc en mesure de bénéficier de ce mécanisme. Par ailleurs, si le principe même du bénévolat s'oppose à la perception par les bénévoles d'une contrepartie à leur activité, il est en revanche légitime de faire en sorte qu'ils n'aient pas à débourser de frais pour l'exercer ;

- la collecte à l'entrée des supermarchés à permis d'obtenir 2.300 tonnes de produits alimentaires, soit quatre millions de repas. En hausse tendancielle, ces dons en nature ne sont pas comptabilisés dans le budget de l'association ;

- la tournée des Enfoirés a rapporté 26 millions d'euros, soit plus de 20 % du budget des Restos du coeur, les dons du public en constituant quant à eux un peu plus de 40 % ;

- aucune statistique en termes de nationalité n'est tenue auprès des populations accueillies, l'aide humanitaire étant par principe inconditionnelle. Il faut par ailleurs veiller à ne pas désinciter les populations en difficulté à s'adresser aux associations humanitaires, auquel cas elles risqueraient de se tourner vers des alternatives dangereuses, telles que le recours à des « marchands de sommeil » ou à des formes de travail clandestin. En tout état de cause, la nationalité des personnes accueillies varie fortement selon les territoires.

M. Michel de Vorges a indiqué que les partenariats avec les entreprises du secteur privé, tels qu'il en existe notamment avec la plus grande chaîne de restauration française, couvrent tous les secteurs, mais peuvent être difficiles à gérer lorsqu'elles sont éloignées des centres. Une connaissance plus détaillée des partenariats réalisés au niveau local serait nécessaire. Les encadrants techniques ou sociaux des chantiers d'insertion sont les mieux à même d'orienter, en concertation avec les autres acteurs locaux, les personnes soutenues vers les débouchés les plus adaptés, et de veiller à ce que leur dossier soit correctement traité.