Mardi 9 février 2010

- Présidence de M. Claude Birraux, député, président -

Nomination de rapporteur

L'Office a tout d'abord procédé à la nomination de M. Christian Gaudin, sénateur, comme rapporteur de la saisine de la Commission des Finances du Sénat concernant « l'évaluation des recherches et des coopérations internationales menées dans les terres australes françaises ».

Audition de M. Michel Rocard, ambassadeur chargé des négociations internationales relatives aux pôles arctique et antarctique, coprésident du comité de surveillance chargé du suivi et de l'évaluation des projets financés par l'emprunt national

Il a ensuite été procédé à l'audition de M. Michel Rocard, ambassadeur chargé des négociations internationales relatives aux pôles arctique et antarctique, coprésident du comité de surveillance chargé du suivi et de l'évaluation des projets financés par l'emprunt national. M. Claude Birraux, député, président, a rappelé les travaux de l'Office sur l'Arctique et l'Antarctique. Au début des années 1990, M. Jean-Yves Le Déaut, député, a, ainsi, publié un rapport d'évaluation des potentialités et des risques de l'exploitation minérale de l'Antarctique et a joué un rôle important dans l'action de la France pour protéger le « continent blanc ». Plus récemment, M. Christian Gaudin, sénateur, a publié un rapport d'évaluation de la recherche conduite aux pôles et a organisé les manifestations d'ouverture et de clôture de l'année polaire internationale, cette dernière en partenariat avec le Collège de France. Il a aussi initié une audition publique sur la possible création d'un observatoire scientifique de l'Arctique. Le sénateur Gaudin est en outre à l'origine de l'idée de nommer un ambassadeur pour représenter politiquement la France sur ces questions, proposition qu'il avait formulée dans son premier rapport.

M. Christian Gaudin, sénateur, a alors précisé que ses travaux lui avaient donné l'occasion de participer à deux missions aux pôles Nord et Sud, dont une de cinq semaines en Antarctique, et que cet intérêt avait pris forme à partir de la transposition dans le Code de l'environnement du protocole de Madrid dont il avait été le rapporteur pour le Sénat. Il s'est réjoui de l'opportunité d'entendre M. Michel Rocard tirer un premier bilan de son action comme ambassadeur.

M. Michel Rocard, a tout d'abord expliqué qu'il avait été appelé à ces fonctions à la demande de la communauté scientifique qui s'inquiétait de l'insuffisance de régulation en Arctique, et à la suite de son action avec le Premier ministre australien pour empêcher la ratification de la convention de Wellington et permettre la conclusion du protocole de Madrid qui a fait de l'Antarctique un continent réservé à la science et entièrement protégé de toute exploitation minière.

En Antarctique, se fondant sur le traité de Washington de 1959 et sur le protocole de Madrid, toute revendication de souveraineté a été gelée et la coopération scientifique internationale a pu se développer. Aujourd'hui, l'enjeu est plutôt de donner plus de compétences au secrétariat permanent du traité pour protéger l'Antarctique de l'afflux des touristes. L'augmentation du nombre des visiteurs pose en effet des problèmes de sécurité compte tenu des conditions de navigation, mais aussi de la concentration des allées et venues sur les quelques points de la côte où la faune peut être observée. La question une limitation de ces visites touristiques devrait, selon lui, être posée.

La situation de l'Arctique est diamétralement différente puisqu'il s'agit d'un océan glacé entouré de cinq pays, Etats-Unis, Canada, Groënland-Danemark, Norvège et Russie, et dont les rivages sont peuplés par des peuples autochtones mais aussi de plus en plus exploités économiquement.

L'Arctique est en pleine mutation en raison du recul des glaces. Pour la première fois en 2008, les passages du Nord-Est et du Nord-Ouest ont été ouverts simultanément, cette situation devant se reproduire de plus en plus fréquemment. Cette évolution peut avoir un impact très important sur le trafic maritime car elle offre la possibilité de réduire significativement les itinéraires, mais elle pose de nombreuses difficultés car aucun équipement n'est aujourd'hui disponible pour assurer la sécurité de la navigation et la protection de l'environnement.

L'accessibilité croissante de l'Arctique pose de manière de plus en plus aiguë la question de la régulation des activités nouvelles qui vont pouvoir s'y déployer et donc de son statut juridique. A cet égard, l'océan Arctique est régi par la convention internationale sur le droit de la mer, dite de Montego Bay, de 1982. Cette convention précise notamment les droits souverains des États riverains quand aux eaux adjacentes et précise les conditions dans lesquelles ils peuvent revendiquer, dans les dix années suivant leur ratification de la convention, une extension de leur zone économique exclusive jusqu'à 350 miles marins, s'ils prouvent la continuité géologique de cette zone avec le plateau continental. La Norvège et la Russie ont d'ores et déjà déposé des demandes auprès de la commission compétente, celle-ci ayant statué sur une partie de la demande norvégienne. Le Danemark pour le Groenland, le Canada et les Etats-Unis préparent également les leurs. Les Etats-Unis n'ont pas encore ratifié la convention de Montego mais pourraient le faire au cours du mandat du Président Obama. Si toutes ces requêtes allaient à leur terme, il n'y aurait plus que 8 à 9 % de la surface de l'océan Arctique, en deux parties séparées, qui seraient considérés comme relevant des eaux internationales.

La gouvernance de la région est aujourd'hui assurée par le Conseil arctique, instance politique qui a été préfigurée en 1996 à l'occasion d'un sommet russo-canadien pour rétablir les liens coupés par la guerre froide. Cercle de dialogue et de coordination, il n'a pas le pouvoir de prendre des décisions qui s'imposent aux États membres ou aux tiers. Il est composé des États riverains et de trois autres pays : l'Islande, la Suède et la Finlande. Il inclut également les peuples autochtones et quelques pays observateurs, dont la France. En 2009, les demandes de la Chine, de l'Union européenne et de l'Italie de devenir observateurs ont été rejetées.

Les menaces pesant sur l'Arctique sont tout d'abord liées au changement climatique et au recul des glaces. La biodiversité spécifique, comme l'ours blanc, est directement menacée. Cette évolution de l'environnement va provoquer un bouleversement profond des habitudes de vie des peuples autochtones.

L'exploitation des ressources minérales est d'autant plus problématique que les enjeux sont considérables. De premières estimations laissent penser que la région pourrait abriter un peu moins de 20 % des réserves mondiales de pétrole et 30 % environ des réserves de gaz. Les États riverains souhaitent donc pouvoir exploiter cette ressource qui fait de la zone un deuxième Moyen-Orient. Son extraction pose néanmoins des difficultés techniques et écologiques, alors même qu'au niveau global il nous faut maîtriser nos émissions de gaz à effet de serre et que nous aurons, dans les décennies à venir, à gérer le pic pétrolier. Dans ces conditions, ne devrions-nous pas nous s'interroger sur l'arrêt de cette « mine à effet de serre » ?

En matière de pêche, les ressources vont se déplacer plus au Nord, au fur et à mesure du réchauffement des eaux et de la disparition de la banquise. Cette activité va donc se développer dans l'Arctique en posant de nombreux problèmes de sécurité. La France souhaite contribuer à leur résolution notamment en promouvant un système inspiré de la Méditerranée auprès de l'Organisation maritime international (OMI). Celle-ci travaille à un code polaire de la navigation et, à plus brève échéance, à plusieurs directives sur le renforcement des coques des navires, la formation des équipages et les systèmes de transmission de données. Pour la gestion des ressources elles-mêmes, la création d'un organisme régional de pêche (ORP) spécifique à l'Arctique serait vraisemblablement trop longue. L'option privilégiée aujourd'hui est d'étendre la compétence géographique des ORP existants, notamment ceux de l'Atlantique du Nord-Est dont l'Union européenne est membre et du Nord-Ouest où la France est membre au titre de St-Pierre-et-Miquelon. Par ailleurs, notre pays a tenté de proposer un moratoire sur la pêche dans l'Arctique lors de l'Assemblée générale des Nations Unies, mais sans succès.

M. Claude Birraux, député, président, a alors voulu savoir quelle était la place de la science dans ces réflexions, quelles étaient les coopérations internationales et comment les avis des experts étaient pris en compte.

M. Michel Rocard a souligné que la science était la clef de ce processus et que les coopérations scientifiques étaient des moteurs importants de dialogue entre les États, certaines coopérations bilatérales ne semblent pas, cependant, appelées à s'étendre à de nouveaux partenaires.

M. Christian Gaudin, sénateur, après avoir rappelé l'importance des deux calottes glaciaires dans l'équilibre et le fonctionnement du climat et les différences entre l'Arctique et l'Antarctique, a appelé de ses voeux la création effective d'un observatoire international multidisciplinaire dans l'Arctique afin de servir de base à la concertation internationale et à développer autour des riverains un partage des connaissances. A la différence de l'Antarctique où la coopération s'impose d'elle-même pour des raisons logistiques, dans l'Arctique, c'est un acte de volonté. Il s'est donc interrogé sur l'accueil fait à cette idée au Conseil arctique.

M. Michel Rocard a relevé tout l'intérêt de ce projet de mise en réseau mais aussi exposé qu'il suscitait une certaine méfiance : les riverains craignent une ingérence et favorisent la coopération entre eux au risque d'un certain repli. La France elle-même avait jusqu'alors une position peu visible. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

M. Claude Birraux, député, président, a alors proposé d'aborder le second thème de l'audition, c'est-à-dire la place de la recherche et des nouvelles technologies dans le « Grand emprunt ».

M. Michel Rocard en a souligné les grandes orientations : le choix du nucléaire comme énergie de demain, le refus d'y faire figurer des infrastructures pour éviter les querelles géographiques, mais, au contraire, le soutien à la recherche et aux unités productrices de savoir, notamment par l'attribution d'importants fonds à 6-8 campus universitaires d'excellence mondiale. Il s'agit aussi d'apporter un soutien décisif à la création et au développement de PME innovantes et pouvant constituer une base dynamique d'exportation. Ensuite, le Grand emprunt servira à apporter un soutien au développement des sciences du vivant, aux énergies décarbonées, notamment les réacteurs nucléaires de 4e génération à neutrons rapides, la ville de demain - les nouveaux modes de vie mais également la rénovation des HLM -, la mobilité du futur et le numérique à très haut débit. A cet égard, l'équipement de l'ensemble du territoire en fibre optique a été écarté comme trop onéreux ; il est convenu de mener des études complémentaires pour évaluer les solutions alternatives, tel le satellite, pour les zones moins densément peuplées.

M. Claude Birraux, député, président, s'est alors interrogé sur la pertinence d'une évaluation uniquement décennale de la mise en oeuvre du Grand emprunt alors qu'une évaluation intermédiaire bisannuelle pourrait être pertinente.

M. Michel Rocard a estimé qu'au-delà du temps de latence administratif nécessaire à la mise en place des outils, il était partisan d'une évaluation fréquente. Il a souligné que deux points étaient à ses yeux très importants : la responsabilisation des campus qui doivent pouvoir être gestionnaires de la dotation en capital qui leur sera faite, et ainsi changer culturellement, et la sélection effective des campus d'excellence en évitant l'écueil de l'égalitarisme.

M. Jean-Claude Etienne, sénateur, 1er Vice-président, tout en approuvant l'objectif de viser l'excellence, a craint que la taille critique ne fût pas atteinte par le seul regroupement géographique et a appelé de ses voeux une véritable nouvelle gouvernance unifiée qui se traduirait également au niveau des laboratoires.

M. Michel Rocard a approuvé cette remarque soulignant pour sa part qu'il fallait favoriser la diffusion informelle de savoir entre la recherche et l'industrie à l'exemple de Nokia qui avait fait le choix d'installer systématiquement ses usines sur des campus universitaires.

Puis répondant à M. Jean-Claude Etienne, sénateur, 1er Vice-président, il a indiqué que dans son esprit, les petites universités avaient toute leur place dans le Grand emprunt au titre des objectifs thématiques auxquels elles pourraient concourir, pour peu qu'elles se situent au niveau recherché. L'axe général est le soutien aux meilleures équipes et le problème principal de notre pays, par exemple en comparaison avec la Corée, est que 6 fois moins de licences sont déposées dans notre pays pour une population et un nombre de brevets similaires.

Adressant ses plus vifs remerciements à M. Michel Rocard, M. Claude Birraux, député, président, alors fait remarquer que les Français étaient trop souvent fascinés par les dispositifs de grande taille qui n'étaient pourtant pas synonymes d'excellence, et, qu'a contrario, le MIT était systématiquement classé dans les meilleures universités mondiales tout en ne comptant que 6.000 étudiants.