Mercredi 9 février 2011

- Présidence de M. François Pillet, coprésident pour le Sénat -

Audition de M. Henri Bergeron, chercheur, auteur de « Sociologie de la drogue »

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Je vous prie d'excuser l'absence du coprésident pour l'Assemblée nationale, Serge Blisko, obligé de participer à un autre débat sur la bioéthique.

Nous accueillons aujourd'hui M. Henri Bergeron, chercheur sur les politiques de santé et la rationalisation des pratiques médicales au Centre de sociologie des organisations, auteur d'un ouvrage intitulé « Sociologie de la drogue ».

L'audition de l'INSERM, le 12 janvier dernier, nous a permis de disposer d'une approche statistique sur la situation et les tendances de la consommation de drogues, les dispositifs de soins, la réduction des risques liés à l'usage des drogues illicites.

Nous souhaitons désormais nourrir notre réflexion avec une approche sociologique.

Je vous propose donc, Monsieur Bergeron, dans une intervention liminaire, d'exposer votre réflexion sur les toxicomanies, et de nous livrer votre opinion sur les dispositifs de prévention, de réduction des risques, de traitements des usagers de drogues.

M. Henri Bergeron. - Je suis chercheur au CNRS, sociologue ; j'occupe également des fonctions de coordination scientifique à Sciences-Po. Mes recherches portent non pas tant sur les déterminants sociologiques, économiques et culturels des usages à proprement parler mais sur la façon dont se forment les politiques, sur les liens entre science et politique, sur les politiques européennes.

J'ai été directeur scientifique adjoint de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) durant quatre ans et demi, ce qui m'a permis, étant chargé des relations avec le Parlement européen, la Commission et le Conseil, d'avoir une vision des politiques européennes, répressives et sanitaires.

Je travaille surtout sur la formation des politiques et beaucoup moins sur les déterminants des usages de drogues.

Je suis ouvert à toutes les questions et demandes d'approfondissement dans ces domaines.

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - La parole est aux rapporteurs.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Vous étudiez la façon dont se forment les politiques : avez-vous déjà établi des comparaisons entre les pays confrontés aux usages de produits toxiques ? Les politiques développées sont-elles en rapport avec le nombre d'usagers et le développement de la consommation des stupéfiants ?

Selon vous, quels sont les moyens d'accompagner ceux qui sont déjà dans l'addiction ?

En France, la politique publique est surtout axée sur la réduction des risques. Existe-t-il d'autres formules, dans d'autres pays, de prise en charge des usagers de produits stupéfiants ?

M. Henri Bergeron. - Ma première réflexion portera sur les politiques européennes, leurs points de convergence et leurs points de divergence.

Il faut distinguer, d'une part, les politiques de répression des trafics et de l'usage et, d'autre part, les politiques sanitaires et préventives. Jusqu'à la manifestation du SIDA, au milieu des années 1980 pour les plus rapides des pays européens et un peu plus tard, à la fin des années 1990, pour les autres, les politiques étaient extrêmement contrastées.

Tous les pays avaient signé les conventions internationales, souscrivaient au principe de prohibition de l'usage et menaient des politiques relativement agressives à l'égard des trafiquants, mais les législations n'étaient pas harmonisées.

L'infraction d'usage simple recevait ainsi un traitement juridique et policier extrêmement différent dans les pays européens. D'un point de vue sanitaire, le même type de contraste existait, les politiques étant généralement curatives, faute de politique de réduction des risques. C'était encore l'époque où l'on croyait que la montée de la consommation de substances psychoactives illicites était une poussée de fièvre qu'une politique active pouvait étouffer.

Les politiques curatives étaient très différentes selon les pays. En France, on s'est beaucoup attaché à développer des traitements inspirés par la psychanalyse.

Souvenez-vous : les années 1970 vivent sous la figure tutélaire de Jacques Lacan, la psychiatrie est révolutionnée par les idées psychanalytiques.

D'autres pays, comme l'Italie, avaient choisi des modèles plus comportementalistes -les grandes communautés thérapeutiques ; l'Angleterre avait une tradition de prescription contrôlée d'héroïne. Quelques médecins s'étaient vu octroyer le droit de prescrire ce produit ainsi que d'autres produits de substitution. Toutes ces politiques étaient donc extrêmement contrastées et finalement assez faiblement indexées sur la réalité épidémiologique du problème de la drogue.

Dans notre pays, la loi de 1970 a créé une procédure réglementaire d'interdiction de l'usage privé assez exceptionnelle dans le droit français, alors que les drogués se comptent -aux dires de Claude Olievenstein et de Claude Orsel, les deux spécialistes de l'époque- sur les doigts de la main dans le quartier latin !

Le sujet des drogues, comme les questions d'homosexualité ou d'euthanasie, a pendant longtemps renvoyé les Etats à leurs traditions nationales ; il n'y a guère eu d'interférences européennes.

La donne a changé avec le Traité de Maastricht ainsi que l'entrée en jeu des considérations de santé publique du fait de l'épidémie de Sida, lorsqu'on a découvert que les usagers de drogues par voie intraveineuse étaient des vecteurs de diffusion des virus du Sida et de l'hépatique C. Dès lors, est apparu un mouvement relativement spontané émanant des pays, l'action de l'Union européenne devant respecter le principe de subsidiarité. Les modèles se sont transformés pour se rapprocher.

Deux sujets font historiquement polémique. Le premier est celui de l'attitude à adopter à l'égard de l'usager simple. Il a opposé, à l'époque, les pays de manière extrêmement conflictuelle. Il suffit pour s'en convaincre de considérer la position de la Hollande par rapport à celle de la France ou de l'Allemagne.

Le second sujet est celui de l'introduction de la politique de réduction des risques, qui suscite des conflits extrêmement forts. Jacques Chirac déclarait en 1992 au Nouvel Observateur que l'introduction d'une politique de réduction des risques en France signerait le début de la libéralisation pure et simple des drogues ! Cette association s'inscrit, dans notre pays, dans une tradition de méfiance à l'égard de l'utilisation des produits opiacés.

Le même regard se retrouve dans le traitement de la douleur à l'hôpital. Toute une série de facteurs culturels liés à la profession médicale et à son organisation permettent d'expliquer pourquoi cette politique de réduction des risques n'a pas pénétré chez nous aussi rapidement que dans d'autres pays.

On remarque aujourd'hui une certaine forme de convergence sur ces deux sujets, surtout chez les quinze membres de l'Union européenne les plus anciens.

Il existe, dans la plupart des pays européens, une forte tendance à considérer que l'infraction d'usage ne doit plus recevoir la peine la plus sévère : l'incarcération. Les solutions juridiques retenues, très différentes suivant les pays, favorisent un traitement plutôt médicalisé des usagers, pour peu qu'il n'existe pas de délit associé ou de récidive.

L'utilité de la politique de réduction des risques est désormais reconnue un peu partout en Europe. Elle a été traduite dans beaucoup de textes juridiques nationaux, comme en France la loi de santé publique du 9 août 2004, mais également dans une recommandation du Conseil de l'Union européenne visant à la reconnaître comme un pilier de la politique de traitement des usagers.

Un modèle européen de régulation des problèmes de drogue émerge donc, même s'il subsiste d'importantes différences. Ce modèle se distingue très nettement de celui qui peut être mis en oeuvre aux Etats-Unis, où la réduction des risques, dans beaucoup de ses principes, n'est pas acceptée. En ce qui concerne l'incarcération des usagers, un chercheur estime que le quadruplement de la population carcérale entre 1975 et 1995 aux Etats-Unis s'explique par l'incarcération d'usagers simples qui, jusque là, n'étaient pas emprisonnés.

Je ne partage pas votre diagnostic qui consiste à dire que la politique française en matière de toxicomanie est essentiellement une politique de réduction des risques ; il existe aussi, de mon point de vue, un dispositif curatif. Un certain nombre de structures continuent de proposer des cures d'abstinence et fournissent une voie de sortie légitime pour un certain nombre de toxicomanes qui en font la demande. Ce dispositif historique n'a pas disparu avec le lancement de la campagne de réduction des risques en France, que l'on peut dater d'une circulaire du ministère de la santé de 1995 et du premier programme lancé par Simone Veil. Il a cependant toujours été relativement faible. Jusqu'à qu'il soit récupéré par la Sécurité sociale, il était financé sur le budget de l'Etat ; les financements arrivaient en cours d'année et les associations ne savaient jamais de combien elles allaient disposer. La loi de santé publique de 2004 a quelque peu stabilisé la situation. Les chiffres épidémiologiques d'évolution des consommations de drogues en France laissent penser que ce dispositif pourrait connaître des développements supplémentaires.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Selon vous, une politique contraventionnelle serait-elle susceptible de faire régresser l'usage de drogues ?

Pensez-vous que le dessein de transgresser la loi est un motif de consommation pour un certain nombre de jeunes ?

Il semble que, dans notre pays, la politique de prévention et d'éducation des jeunes, avec l'intervention de policiers ou de gendarmes dans les établissements scolaires, ne fournissent pas de résultats extraordinaires. Que pourrions-nous proposer d'autre ?

M. Henri Bergeron. - Pendant longtemps, on a considéré que le fait de sortir l'infraction d'usage simple du droit pénal et la décriminaliser, comme a pu le faire le Portugal en 2001, traduisait une politique laxiste. Je ne suis pas sûr que ce soit le cas. Nicolas Sarkozy, lorsqu'il était ministre de l'intérieur, avait demandé à l'Observatoire, au moment où j'y étais en poste, qu'on lui dresse un tableau raisonné des différentes législations. Il ne s'agissait pas à ses yeux de laisser la jeunesse croire que la consommation allait être enfin permise mais au contraire de tenter de remédier au fait qu'à la fin des années 1990, 15 % seulement de l'ensemble des interpellations recevaient une sanction pénale -sans même parler de celles qui ne faisaient pas l'objet de procès-verbal. En outre, la loi était appliquée de manière très contrastée suivant les régions.

L'idée d'instituer des contraventions consistait à réaffirmer la force de l'interdit et à donner les moyens de mettre la loi en oeuvre de manière plus systématique.

La question que vous posez est complexe ; elle a aussi des conséquences éthiques relativement importantes dans la mesure où les études montrent que les populations contrôlées par exemple pour la consommation de cannabis sont situées dans des zones géographiques défavorisées, alors que les études de l'OFDT, sur Paris, prouvent que les quartiers riches consomment plus de cannabis que les quartiers pauvres ! On risque donc d'avoir un système qui sanctionne une origine sociale plutôt qu'un usage.

Quand on considère les chiffres de prévalence de l'usage de drogues illicites en France, en Europe, en Australie, au Canada ou aux Etats-Unis, quand on étudie la progression des consommations, il est vrai qu'on a du mal a établir un lien de causalité fort entre la sévérité des lois et la réalité des prévalences. Cela souligne le fait que les déterminants de l'usage de drogues sont beaucoup plus complexes et dépassent les seuls aspects répressifs.

Certes, face à l'importance de la consommation de produits psychoactifs, éviter l'emprisonnement peut paraître plus adapté à un phénomène qui participe de la tendance générale à la consommation accrue d'artifices : alcool, médicaments psychotropes, chirurgie esthétique... L'ensemble de ces pratiques qui consistent à s'équiper d'artifices pour répondre à des exigences de performance, festives, de relaxation et de réussite renvoie à des transformations anthropologiques et culturelles d'une ampleur si vaste que l'on ne peut croire qu'une loi suffise à résoudre l'ensemble du problème.

Il est important de considérer ces phénomènes en fonction d'un ensemble de consommations qui, à mon sens et selon tous les sociologues qui ont travaillé sur ce sujet, répondent à des transformations qui sont celles d'une société de plus en plus individualiste, faisant peser sur les individus des exigences de réussite sociale, familiale, parentale. Les individus recourent à toutes sortes d'artifices pour se relaxer, affronter un examen, tenir face au stress professionnel. Finalement, la frontière entre drogues licites et illicites a tendance à se brouiller.

La transgression de la loi est toujours un sujet complexe. Les chiffres de la consommation d'alcool chez les jeunes prouvent que le caractère transgressif n'explique pas tout, même si l'on sait que la jeunesse aime ferrailler avec les interdits de toutes sortes.

Pour ce qui est de la prévention, il existe à l'OEDT un ensemble de méta-analyses, comme en médecine, même si elles sont moins solides d'un point de vue statistique. Elles permettent d'obtenir un éventail raisonné et hiérarchisé de l'efficacité de ces différentes mesures, les interventions de policiers à l'école étant considérées comme parmi les moins efficaces, pour utiliser un euphémisme.

M. Samia Ghali, sénatrice. - Je suis pour ma part convaincue que ce n'est pas aux policiers d'intervenir dans les écoles pour évoquer les problèmes de drogues mais plutôt à des spécialistes capables d'expliquer les conséquences de l'utilisation de celles-ci, même s'il s'agit du haschich, par lequel les 13-14 ans commencent souvent avant d'aller plus loin.

Mon fils, la semaine dernière, était invité à un anniversaire ; il est resté à côté de son camarade pour éviter que celui-ci ne se laisse convaincre de fumer des substances illicites. On est là dans un phénomène de mode : comment faire pour l'arrêter et éviter, lors d'une banale soirée, de plonger dans les médicaments, l'alcool ou la drogue ?

Peut-on expliquer aux jeunes que l'on peut fort bien s'amuser sans utiliser des drogues, licites ou illicites, dont l'alcool ?

Mme Catherine Lemorton, députée. - Que pensez-vous des campagnes de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), menées depuis quelques années contre la consommation de substances licites ou illicites dans le cadre festif ?

M. Henri Bergeron. - Je ne suis pas spécialiste de l'évaluation des campagnes de prévention mais je sais néanmoins, pour m'être plongé dans cette littérature en tant que coordonnateur scientifique de l'OEDT, que les programmes d'intervention qui, à l'école, mettent en avant les forces de l'ordre ne sont pas des plus efficaces. Les policiers ne sont pas considérés comme des individus crédibles. Or, on sait que, dans les campagnes de prévention, la qualité de la source et sa crédibilité sont au moins aussi importantes que l'information transmise. Je vous rejoins donc dans ce que vous dites mais je vous renvoie à la consultation des rapports et des études qui établissent cette conclusion de manière documentée.

Il en va de même pour les campagnes de l'INPES, qui a néanmoins énormément modernisé ses messages, sur l'obésité par exemple, en s'appuyant de plus en plus sur les derniers savoirs en psychologie, en socio-psychologie et en neurobiologie. On puise également beaucoup dans les ressources du marketing, qui sait comment modifier les comportements et provoquer des réflexes d'achat. Pourquoi ne pas s'en servir pour faire ce que l'on appelle du « marketing social » ?

De ce point de vue, l'idée n'est plus de transmettre des informations sur les risques négatifs, sanitaires, économiques ou sociaux car la simple transmission de l'information ne suffit pas : les individus ne sont pas des acteurs rationnels qui, sur la base d'une information de qualité, prendraient la bonne décision pour leur santé. Il faut au contraire agir sur des univers symboliques et c'est ce qu'a commencé à faire l'INPES. Le comité français d'éducation pour la santé (CFES) l'a fait bien avant avec les premières campagnes de Simone Veil à partir de 1977. C'est elle qui a modernisé ce type de campagne et de communication. L'idée n'était plus de dire que le tabac était nocif pour la santé mais de montrer que l'on pouvait ne pas consommer sans être pour autant considéré comme quelqu'un d'antipathique lors d'une soirée. Contre le cow-boy de Marlboro, capable de traverser toutes les épreuves, on pouvait présenter un individu refusant une cigarette !

L'INPES a beaucoup travaillé dans cette direction. En matière de tabagisme, on se rend compte que les images de poumons ou de gorges dans des états catastrophiques sont moins efficaces que des images de dents extrêmement jaunies. On joue donc ici -même si on peut le regretter- sur les notions de paraître et de présentation....

Ce ne doit toutefois pas être le seul type de campagne. Une politique de prévention qui se limite aux quelques actions de l'INPES est très modeste dans ses ambitions.

M. Patrice Calméjane, député. - Il faut rappeler que le cow-boy de Marlboro est mort d'un cancer des poumons ! Vendre un produit, c'est bien mais il faut en assumer les conséquences !

Il est vrai que les législations sont très différentes d'un pays à l'autre mais certaines fédérations sportives ont adopté des règlementations transfrontalières qui fonctionnent. Ne pourrait-on s'en inspirer pour expliquer aux jeunes que la consommation de produits illicites est un mode d'exclusion, un certain nombre d'emplois de la fonction publique, par exemple, étant interdits en cas de condamnation ?

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice. - Dans quel type de structure existante feriez-vous suivre votre enfant s'il se droguait ? Quelle politique faut-il développer concrètement en matière de structures ou d'aide ?

M. Henri Bergeron. - Je n'ai pas travaillé sur les questions liées aux fédérations sportives. Une remarque toutefois : le dopage sportif constitue selon moi un cas limite de cette tendance massive pointée pour un certain nombre de sociologues à utiliser de plus en plus d'artifices pour s'équiper et résister à la pression qui pèse sur les individus ! Ceci se retrouve dans tous les pays occidentaux. La frontière entre le naturel et l'artificiel est en train de se brouiller. Certains sports ont peut-être réussi à discipliner la totalité ou une grande partie de ceux qui les pratiquent, mais je suis assez pessimiste sur les suites de cette évolution, face à la tendance qui existe à accepter de plus en plus l'artifice, là où il était condamné dans nos sociétés.

Il n'est qu'à considérer la prévalence montante des pratiques de transformation corporelle dans les sociétés occidentales : il y a là de quoi se poser des questions ! Prendre une drogue, c'est comme de la chirurgie esthétique : on essaie d'usiner son intérieur mental -pour reprendre une phrase d'Alain Reinberg. N'ayant cependant pas étudié le cas des fédérations sportives, je parle de manière très générale.

Pour ce qui est des stratégies préventives, il n'existe pas un forum, toutes politiques publiques confondues, qui n'affirme la nécessité de mettre en oeuvre des politiques fondées sur les preuves scientifiques. C'est une phrase que l'on retrouve partout !

Si je dis que le policier est le moins crédible parmi ceux qui peuvent intervenir à l'école pour vanter les mérites de l'abstinence, je ne dis bien évidemment pas pour autant que l'ensemble des politiques préventives est à rejeter.

En ce qui concerne mes enfants, j'attends d'un dispositif qu'il puisse ouvrir la voie à différents types de traitements. Certains héroïnomanes, soit parce qu'ils ont consommé des substances extrêmement pures lors d'un séjour en Asie, soit parce qu'ils ont une vulnérabilité neurobiologique innée ou acquise, ne se trouvent pas ou plus en situation d'atteindre l'abstinence. Si l'une de mes filles se trouvait dans cette situation, je serais ravi de pouvoir l'orienter vers un traitement de substitution !

D'autres consommateurs d'héroïne n'ont pas le même type d'histoire. Ils reçoivent plus de soutien, consomment des produits en moins grande quantité et de moins grande qualité, sur une période moins longue. Ils parviennent à arrêter d'en consommer sans recourir à des produits de substitution et se dirigent directement vers des établissements curatifs.

Il existe plusieurs types de pratiques : certains individus ont envie de s'allonger et de travailler sur la relation conflictuelle qu'ils ont nourrie avec leurs parents ; d'autres se sentent plus à l'aise dans un groupe de pairs, parmi d'autres anciens toxicomanes avec qui ils peuvent se tenir les coudes, comme dans les communautés thérapeutiques. D'autres encore préfèrent des thérapies de type familial, sentant que leur consommation est le symptôme de problèmes familiaux non résolus.

En France, jusque dans les années 1995, on a souffert d'une forme monolithique d'offre thérapeutique, essentiellement dominée par des cures qui s'inspiraient du paradigme psychanalytique. Les communaux thérapeutiques n'existaient pas en France, si ce n'est sous la forme du Patriarche, de sombre réputation et déjà dénoncé en 1984 par un rapport de l'IGAS pour ses imperfections administratives et financières -pour utiliser un autre euphémisme.

L'important est la diversité. Les phénomènes d'addiction sont extrêmement complexes. Les stratégies thérapeutiques doivent donc être variées.

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Vous nous avez fait part d'un grand nombre de réflexions fort intéressantes, en particulier en matière de prévention. Nous vous en remercions.

Audition du Père Pierre de Parcevaux, chargé de mission par l'archevêché de Paris sur la problématique des toxicomanies

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Nous accueillons à présent le Père Pierre de Parcevaux, président de « La Luciole », association familiale de soutien aux parents et aux jeunes toxicomanes, par ailleurs chargé de mission auprès de l'archevêché de Paris sur la problématique des toxicomanies.

Nous entendrons courant mai les représentants des autres religions ; en effet, l'approche des toxicomanies dans les principaux courants religieux ne peut que contribuer à notre réflexion.

Au titre de vos activités de terrain, comme au titre de vos autres responsabilités, vous êtes particulièrement en mesure de nous exposer un point de vue chrétien sur la politique de lutte contre les toxicomanies.

Vous avez la parole.

Père Pierre de Parcevaux. - Plus que l'aspect religieux, c'est l'aspect humanitaire que je veux aborder.

Je suis sur le terrain depuis 1970, à l'époque où la question des toxicomanies et des drogues en général commençait à se poser en France. Un certain nombre de jeunes consommateurs rencontrés sur le terrain m'ont demandé si je pouvais avoir une approche avec eux.

J'avoue que je n'y connaissais strictement rien. Il a fallu que je me documente et que j'aille voir les différents services gouvernementaux pour comprendre ce que signifiait le mot « drogues ».

Il s'agissait de jeunes de quatorze à dix-sept ans, de l'Ouest de Paris, tous milieux confondus, dont les parents avaient tous les métiers que l'on peut rencontrer dans la société française.

Ces jeunes décrivaient à l'époque un mal-être ou un malaise plutôt social, humain lié à une souffrance familiale.

Les grands centres comme Marmottan, Fernand Vidal ou Sainte-Anne existait déjà. Mon souhait était d'essayer de rejoindre les jeunes toxicomanes sur le terrain et de tenter d'accompagner les parents.

Mon travail a donc consisté à voir les parents chez eux, à faire le lien avec les jeunes et à essayer de cheminer avec ces derniers. Je leur adresse un grand remerciement car c'est eux qui m'ont aidé pendant dix ans à aller dans les squats et à voir la face cachée des choses. Si c'était à refaire aujourd'hui, je ne le referai certainement pas : c'est beaucoup trop dangereux !

Ces jeunes m'ayant tellement apporté de connaissances et d'ouverture sur ces questions humaines, médicales et religieuses, que j'ai ressenti le besoin d'appartenir à une association et de me former.

J'ai donc, durant dix ans, suivi un certain nombre de formations dans toutes les structures existantes à l'époque -clinique de l'Abbaye, Marmottan, milieu carcéral, etc.

Un certain nombre de séminaires m'ont permis de découvrir une autre approche du toxicomane ou du malade. J'ai découvert qu'il pouvait y avoir un accompagnement à la fois médical, spirituel et de toute façon humain.

J'ai ensuite rejoint une association qui s'occupait des familles de toxicomanes sur le plan national et qui disposait de douze antennes associatives, dont des postcures.

Nous avons énormément réfléchi sur le point de savoir comment accompagner les parents et nous nous sommes demandé s'il ne fallait créer que des postcures ou que des centres psychiatriques. Le Sida et un certain nombre d'événements qui se sont succédé n'ont fait qu'accélérer le processus.

J'avais à cette époque une approche assez idéologique des choses, pensant qu'il suffisait de s'attaquer à la mafia, d'aller sur le terrain, dans le Tiers-monde et en Colombie pour résoudre le problème. Avec le soutien de l'Ambassade de France, Caritas internationale et de la Brigade des stupéfiants, j'ai donc choisi d'aller dans les pays producteurs de drogues. C'est là que j'ai découvert ce qu'étaient les laboratoires clandestins. J'ai alors compris que ce n'était pas le secteur sur lequel je pouvais faire porter mon action.

Je suis revenu en France et j'ai beaucoup parlé avec un certain nombre de spécialistes de terrain ; j'en ai déduit que le combat devait porter sur le soutien aux familles, la prévention et l'accompagnement du jeune malade.

L'association nationale à laquelle j'appartenais a constaté que les parents étaient de plus en plus isolés et se sentaient coupables d'être parents de toxicomanes. Nous nous donc sommes battus pour affirmer que les parents n'étaient pas coupables.

Etant chargé de mission pour la toxicomanie pour le diocèse de Paris, j'ai tenté de voir si l'Eglise pouvait fournir une réponse à ce problème. Cette réflexion reste d'actualité, en particulier en matière de relations avec les autres religions. Toutefois, pour mes confrères musulmans, israélites ou autres, le sujet n'existe pas -bien qu'ils soient présents si on a besoin d'eux.

J'ai cependant continué à frapper à différentes portes, sans malheureusement trouver le bon interlocuteur ou le bon référent.

A l'association « La Luciole », j'ai découvert que le véritable combat consistait à permettre à des parents de demeurer parents, à des jeunes d'être accompagnés d'un point de vue humain, spirituel et médical. J'ai créé il y a quinze ans des structures où de jeunes consommateurs de drogues pouvaient se retirer du milieu familial et médical et passer un court séjour dans un lieu de vie sans médicament, sans psychiatre et sans psychologue. C'est un défi -mais je suis un homme de défi !

On m'avait dit qu'il n'était possible de le faire qu'en étant accompagné de psychologues, de psychiatres et d'éducateurs spécialisés. Or, les jeunes souhaitaient évoluer dans un lieu neutre. J'ai donc demandé aux thérapeutes de ne pas paraître durant les séjours, ce qu'ils n'ont pas apprécié. Etant salariés, ils l'ont toutefois accepté.

On partait huit jours en camp de ski ou faire de la poterie. Je faisais venir des artisans pour encadrer les jeunes. Ils allaient dans les bois avec des spécialistes des eaux et forêts pour découvrir la nature.

J'ai donc officiellement ouvert une structure qui se situe actuellement à Galluis, à côté de Versailles, où nous ne recevons pas plus de trois jeunes à la fois pour un court séjour, ce qui constitue un second défi. Nous y recevons des jeunes de 16 à 24 ans, garçons ou filles, qui passent d'une demi-journée à cinq jours.

Ils n'ont le droit d'utiliser leur portable que durant les pauses. Le reste du temps se déroule sous la responsabilité de trois animateurs-jardiniers. Les jeunes retournent la terre, plantent des arbres, soignent les oiseaux. Nous avons installé des volières où évoluent des faisans et des poules de collection. Ces volatiles, fragiles et beaux, leur permettent de découvrir que l'animal peut être une richesse, leur renvoyant l'image de leur propre fragilité et de leur propre richesse.

A « La Luciole », les deux-tiers des jeunes ont abandonné l'usage de la drogue et sont relativement mieux dans leur peau. Ils nous sont envoyés par des chefs d'établissement scolaire qui leur font suivre un stage au lieu de les sanctionner. Le tribunal de Versailles nous adresse également des jeunes condamnés à un travail d'intérêt général (TIG) et certains psychiatres, comme ceux de l'Enfance psychiatrique de Paris - Hôpital Robert Debré, nous demandent d'accompagner certains jeunes, cette structure étant actuellement débordée.

Il est intéressant de constater que les psychiatres manquent de lieux de vie à offrir aux jeunes. Nous faisons donc un lien avec les parents, avec le jeune et bien entendu avec le service médicalisé.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Selon votre expérience, quels sont les facteurs de société dominants qui expliquent la toxicomanie ? La déstructuration familiale, l'environnement ?

Père Pierre de Parcevaux. - Depuis trente ans, je ne constate que fort peu d'évolutions dans la conception qu'ont les parents de la toxicomanie. Toutes les campagnes de prévention possibles ont été menées et on n'enregistre aucun changement. Hier, j'ai rencontré une mère de famille, envoyée par un psychiatre du « 92 », accompagnée d'un garçon de 16 ans consommateur de cannabis, d'une insolence inouïe vis-à-vis de sa mère. Ce jeune en manque, qui aurait pu être immédiatement interné, était en danger et disait gérer la situation. Je n'ai pu conseiller aux parents que de rester parents et de se faire entourer par des spécialistes, pour protéger la mère.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - La déstructuration familiale est-elle selon vous une cause de plus grande pratique ?

Père Pierre de Parcevaux. - Depuis trente ans, on essaye d'expliquer aux parents que la toxicomanie est l'affaire de tous. Or, aujourd'hui encore, certains parents disent découvrir que la toxicomanie existe et vont s'informer à l'hôpital psychiatrique. Le drame est qu'ils téléphonent à tous les services qui leur sont offerts, au lieu de se concentrer sur un secteur et un intervenant, se perdant du coup deux fois plus.

Les parents restent persuadés que cela ne peut leur arriver. J'ai enterré il y a quinze jours un jeune de 21 ans, mort d'une overdose ; les deux autres enfants de la famille sont également toxicomanes. A cet enterrement, 80 % des jeunes étaient usagers de drogues. Ils m'ont tous affirmé gérer la situation et ne pas avoir besoin d'aide !

Pour des raisons d'éducation et de culture, les parents ne veulent pas admettre qu'il existe des produits dangereux et que leurs enfants peuvent recourir à leur utilisation.

Les parents accordent trop de facilités à leurs enfants. Ils ne leur refusent rien et ne leur apprennent pas qu'il existe des limites. Plus l'autorité parentale est absente, plus le jeune est dans une zone à risques. Aujourd'hui, les jeunes commencent à consommer de la drogue à 13 ans alors qu'il y a deux ou trois ans, ils débutaient à 15 ans. Il y a cinq ou six ans la moyenne se situait à 20 ans.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Votre expérience dure depuis quelques années ; combien avez-vous sorti de jeunes au total ? Pourquoi les expériences comme celle de Marmottan n'ont-elles pas fonctionné ? Comment l'interprétez vous ?

Quelle politique de prévention envisageriez-vous pour notre jeunesse ?

Père Pierre de Parcevaux. - Je n'ai jamais prétendu que les autres services ne réussissaient pas : sans eux, il n'est pas question que nous existions. J'ai bien insisté sur le fait qu'il existait un partenariat très fort.

Nous sommes toutefois complémentaires. Le temps du soin est une chose mais le jeune a également besoin d'un endroit où se poser. Il ne s'agit ni d'un lieu de postcure, ni de la prison, ni de l'hôpital. Il s'agit de permettre à des jeunes de découvrir qu'ils peuvent s'arrêter.

Le temps de l'accompagnement peut être de cinq, six, dix ans. C'est un travail de longueur haleine qui ne repose pas sur de simples chiffres, qui n'ont pas grande signification. Il s'agit d'une chaîne, que nous formons en concertation permanente.

Quant à la prévention, je ne vois pas d'issue. Il existe sur Internet des tas de sites que le jeune peut consulter selon son désir. La prévention doit se faire très tôt, dès le CM 1 ou le CM 2. Selon moi, on doit apprendre aux jeunes à dire non à tout ce qui paraît trop facile : première cigarette, Internet, télévision. C'est le message que j'essaie de faire passer aux parents.

La prévention est très difficile lorsqu'il s'agit de jeunes consommateurs qui ne veulent pas changer. Dernièrement, lors d'une de mes interventions dans une école, un jeune m'a dit : « De toute façon, nous allons goûter de l'ecstasy ce soir ; je ne crois pas ce que vous dites, vous n'êtes rien ! ». J'en ai immédiatement avisé le proviseur. Cette ecstasy était composée à 90 % de mort au rat ! Pour n'importe quel adolescent, la mort n'existe pas ! La prévention, selon moi, consiste à inviter un jeune à éviter le pire.

Lorsque je sors d'une classe, un grand silence s'établit car ils sont déjà consommateurs et ne veulent pas entendre qu'il existe des produits dangereux ! Je ne crois pas aux campagnes de prévention...

A Galluis, tous mes animateurs sont d'anciens toxicomanes. Nous sommes libres avec les jeunes et laissons toujours une porte ouverte, en conservant toutefois un lien avec le magistrat, la brigade des stupéfiants, le tribunal ou les parents.

Faire boire un âne qui n'a pas soif est impossible ! Il est très dangereux de vouloir mener une campagne pour mener une campagne. L'enjeu est d'inviter le jeune à comprendre les risques qu'il court et lui faire découvrir l'arbre qu'il peut faire fleurir.

Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice. - Certains de mes collègues ont évoqué la déstructuration familiale. On peut peut-être aussi dire qu'on recourt à l'artifice par manque d'amour.

Or, vous portez une parole d'amour en tant que prêtre. Connaissez-vous « Le Cénacle », qui existe dans le Nord et le Sud de la France, où la dimension spirituelle accompagne la dimension du travail ? Cette parole est-elle également portée à l'intérieur de « La Luciole » ?

Mme Catherine Lemorton, députée. - Je trouve que votre intervention est l'une des meilleures que nous ayons entendues jusqu'à maintenant. Cela n'engage évidemment que moi. Vous y avez mis beaucoup d'humanité. Depuis le début de ces auditions -là aussi, cela n'engage que moi- j'ai entendu des choses assez violentes qui m'ont choqué, travaillant depuis fort longtemps dans le domaine de la toxicomanie.

Vous avez clairement expliqué qu'il s'agissait d'une politique de petits pas et qu'il était très difficile de se fixer de grands objectifs. Je vous remercie de l'avoir dit car on ne l'a pas assez entendu depuis qu'on a commencé cette mission. Il n'est donc jamais trop tard !

Vous associez souvent les jeunes et les parents. Avez-vous eu affaire à des jeunes sans famille -ou à des moins jeunes ? Avez-vous eu à gérer la population de squats, encore plus compliquée ? A quel type de produits avez-vous été confronté ?

Mme Brigitte Bout, sénatrice. - J'ai, comme vous, une expérience en hôpital psychiatrique. Ce qui nous manquait beaucoup, c'était le contact avec les parents, les toxicomanes, lorsqu'ils arrivent en soins, étant déjà coupés de la famille.

En outre, il est difficile d'entrer en relation avec ces jeunes ; or, je crois que vous avez réussi à vous impliquer et je tenais à vous en féliciter. Cette dimension est importante.

Mme Samia Ghali, sénatrice. - Je m'associe aux remerciements qui vous ont déjà été adressés. De toutes les auditions auxquelles j'ai pu participer, c'est celle dans laquelle je me reconnais le mieux, car c'est la plus humaine. Il est important que l'on soit ramené vers la réalité du territoire.

Vous avez évoqué la famille, qui est souvent tenue à l'écart. La drogue provoque en effet son éclatement, crée des séparations entre les parents mais atteint aussi les autres enfants. Quelles structures mettre place pour venir en aide à ces familles complètement déstructurées, perdues, toutes classes sociales confondues ?

Comment arriver à faire de la prévention ? Dans les années 1980, Internet n'existait pas ; pourtant, la drogue était tout aussi présente ! Certains parents considèrent que le fait que leurs enfants fument un « chit » de temps en temps n'est pas si grave. Comment faire prendre conscience à certains de la part de responsabilité qu'ils peuvent avoir et accompagner les autres en leur expliquant qu'ils ne sont pas forcément responsables de tout ce qui arrive à leurs enfants ?

Mme Fabienne Labrette-Ménager, députée. - Tout ce que vous avez dit renvoie à l'image de la famille idéale : dans notre société, il faut être jeune, beau, en bonne santé, avec des enfants qui réussissent. Quand, dans une famille, un élément s'éloigne du chemin que la société a décidé pour nous, on ressent une grande notion de culpabilité. On voit bien que l'on accompagne les parents parce qu'ils se sentent coupables de ce que leur enfant n'est pas comme la société le souhaiterait.

Cette culpabilité est-elle partagée par le jeune vis-à-vis de ses parents ou a-t-il le sentiment de « gérer » la situation, comme vous l'avez dit ?

En second lieu, pensez-vous modéliser ce que vous avez fait ? Je suis élue d'un département rural qui connaît aussi des problèmes d'addictions et votre structure me paraît intéressante.

M. Georges Mothron, député. - Pourquoi avoir choisi des unités de temps inférieures à cinq jours ?

Père Pierre de Parcevaux. - Je l'ai dit, ce sont des jeunes qui, sur le terrain, m'ont éduqué et permis de découvrir mes limites, ce que je ne devais pas faire et ce que je pouvais espérer.

En quinze ans, j'ai enterré environ un tiers de ceux qui m'avaient aidé à mes débuts ! J'ai reçu des gifles, je me suis interrogé sur le plan médical, éducatif, religieux et j'ai essayé de leur apporter une réponse.

Je suis entré dans l'association nationale que j'évoquais tout à l'heure pour rejoindre les structures existantes. C'est à ce moment que j'ai découvert que toutes les disciplines avaient raison et étaient complémentaires. Je me suis donc à nouveau interrogé, avant de repartir de zéro.

Les postcures avec lesquelles nous travaillions connaissent un fort taux de réussite, je me suis demandé ce que je pouvais apporter de plus. C'est alors qu'on a attiré mon attention sur le fait qu'il n'existait pas de lieux de vie de court séjour pour les jeunes sortant de postcure.

J'ai donc commencé à monter des structures de week-ends, de journées, de petits camps, de courts séjours s'adressant aussi bien à un jeune scolaire qu'à un jeune de la rue ou à un jeune sortant de prison et j'ai mélangé tout ce monde. J'ai très vite compris qu'il ne fallait peut-être pas trop les mélanger. Peu à peu, j'ai trouvé ce que je pouvais mettre en place, dans une cohérence avec l'ensemble.

Il existe bien des grands centres religieux en France et à l'étranger ; j'ai voulu, en tant que prêtre, avoir une approche différente. Le Christ n'a pas dit tout d'abord qui il était, on l'a découvert peu à peu. Les apôtres ont cheminé, découvert leur foi et ont ensuite témoigné. Ma nature est d'essayer de découvrir les choses de l'intérieur. Face à toutes les structures qui existent, mon idée est de m'adresser à des jeunes qui se disent non-croyants. L'avantage est de toucher toutes les religions. Certains me suggèrent, après avoir fait un oratoire catholique, de faire un oratoire interreligieux. Je suis actuellement en pleine réflexion.

Beaucoup de ceux que j'ai rencontrés ont demandé le baptême, se sont mariés ; j'essaye toujours d'apporter un soutien et d'établir une relation personnelle.

J'insiste sur le fait que je fonctionne en partenariat. Mon but n'est pas de garder les personnes mais de les envoyer ailleurs en leur disant qu'il existe d'autres choses à voir.

Comme je l'ai dit, nous recevons des jeunes qui nous sont envoyés par la justice, aussi bien que des jeunes SDF qui nous sont amenés par d'autres toxicomanes. Je sais que le soir même, ils repartiront sous les ponts. Cela me fend le coeur mais je ne mélange pas un jeune cocaïnomane avec un jeune qui a été renvoyé d'un lycée ou un jeune couple en rupture. J'effectue un tri et c'est à cette fin que je n'ai que trois lits, pour conserver une dimension familiale.

Tous ces jeunes sont en lien avec un système médicalisé ; si ce n'est pas le cas, j'en cherche un pour me couvrir.

Pourquoi des courts séjours ? Je me suis aperçu que s'il existait en France des structures de postcure, il n'existait pas de lieu neutre où s'arrêter pour créer un déclic. C'est ce que j'ai voulu faire. C'est la raison pour laquelle l'hôpital Robert Debré nous appelle aujourd'hui à l'aide, lorsqu'on ne sait plus où envoyer ces patients. Je rencontre en même temps les familles, avec qui nous travaillons.

Si vous voulez appuyer notre action, je vous convie à notre journée « Portes ouvertes » du 14 mai. Le parcours de la prévention contre la toxicomanie a été entièrement élaboré par des classes de seconde d'un lycée de Paris et validé par la Brigade des Stupéfiants. Un officier m'a dit qu'il avait été ému de rencontrer pour la première fois des jeunes qui se prennent en charge pour créer une prévention en faveur d'autres jeunes de leur âge.

Cette journée aidera les parents qui sont dans la souffrance et la culpabilité. Au nom de la religion et de ce que je suis, je prétends que les parents ne sont pas des coupables mais des victimes. Malheureusement, le jeune ne comprend pas la culpabilité qu'il induit chez ses parents. J'ai parfois envie de lui décrocher une gifle en lui disant qu'il n'en a pas le droit !

En venant à cette journée, vous feriez un bien fou aux parents, aux acteurs de terrain et aux bénévoles, car nous visons à 99 % du bénévolat ! Nous ne percevons qu'une toute petite subvention de la MILDT.

Enfin, M. Apaire et d'autres m'ont déjà proposé de créer des structures du type de « La Luciole ». Si certains y sont prêts, je suis disposé à passer les rênes et à y réfléchir avec tous ceux qui le voudront.

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Merci.

Audition du Docteur Xavier Emmanuelli, Président-fondateur du SAMU social

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Nous accueillons à présent M. Xavier Emmanuelli, président fondateur du SAMU social en 1993, ancien Secrétaire d'Etat chargé de l'action humanitaire d'urgence de 1995 à 1997.

Vous allez nous éclairer sur les problèmes de toxicomanie chez les personnes en grande détresse, à la lumière du récent rapport SAMENTA sur la santé mentale et les addictions chez les personnes sans logement personnel d'Ile-de-France.

Nous attendons aussi que vous exprimiez votre sentiment sur la politique française de lutte contre les toxicomanies. Comment l'améliorer ? Quelles sont vos réflexions sur ce sujet ?

Nous aimerions également connaître votre jugement, si vous le souhaitez, sur les expériences étrangères de centres d'injection supervisée. Sont-ils souhaitables en France ?

Pour commencer, pouvez-nous dire dans quelle mesure la population prise en charge par le SAMU social est concernée par la consommation de drogues ? Quels outils utilisez-vous pour répondre à cette situation ?

M. Xavier Emmanuelli. - Je suis très heureux et très honoré de me retrouver dans cette enceinte.

Avant d'être secrétaire d'Etat et d'avoir créé le SAMU social, j'étais médecin urgentiste ; j'ai également travaillé à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, où j'ai été médecin-chef de 1987 à 1992. La toxicomanie -parfois par voie intraveineuse- était alors un mystère pour moi.

Les échanges de seringues ont ensuite vu le jour. J'ai continué à chercher à comprendre ce que signifiait le mot « toxicomane ». A l'époque, l'héroïne était la drogue la plus en vogue.

Le mot de « toxicomanie », inventé en 1900, n'a pas été forgé comme le mot « alcoolisme », qui désigne une atteinte aigüe mais, sémantiquement, comme une grave atteinte au psychisme.

En second lieu, l'épidémie de toxicomanie par voie intraveineuse est très datée et remonte aux années 1970. Cette pratique n'était pas, auparavant, perçue comme un phénomène de masse. J'avais en face de moi les gens les plus fragiles et les plus vulnérables. Les dégâts infligés au psychisme et au physique m'ont fait beaucoup réfléchir en tant que médecin.

Après avoir fondé le SAMU social, j'ai rencontré toutes sortes d'addictions et de toxicomanies. 95 % des gens auprès desquels nous intervenons ont un problème d'addiction.

L'addiction est un phénomène sournois qui peut se présenter dans la vie courante. Je connais un certain nombre de gens qui, pour dormir, prennent des somnifères sans s'en apercevoir et ne peuvent plus s'en passer. Des médicaments comme le Stilnox sont considérés comme dangereux parce que conduisant à l'addiction. Or, il est difficile de sortir d'une addiction.

Certes, l'alcool détruit bien des gens mais, d'un autre côté, il constitue un antalgique, un analgésique, un calmant. Il permet aussi de voir la réalité différemment. Au début, c'est convivial et cela donne un sentiment de puissance. Il est donc extrêmement difficile de conseiller à quelqu'un d'arrêter de boire. Quel est son intérêt ? Les gens fragiles sont dans un cercle vicieux...

Je sais que les travailleurs sociaux, très souvent, passent un contrat, s'attachent à la personne et essaient de la suivre sur le long terme. Les gens fragiles, qui n'ont pas d'autres perspectives, rechutent et c'est un échec de plus.

Je me suis donc posé un certain nombre de questions car, aussi bien au SAMU social de Paris, au SAMU social international, chez les enfants des rues ou chez les jeunes de la rue, tous ont une problématique de toxicomanie. A travers le monde, ce qui revient le plus souvent, c'est la colle, le solvant de teinturier. A une époque, les tubes de colle étaient à la mode chez nous. C'est un rapport à la réalité et à l'affect, à l'adulte, à l'image. Je dis toujours qu'on n'existe que par le regard des autres. Si les autres ne vous regardent pas, votre image corporelle disparaît, vous êtes sans intérêt, sans sens, sans amour. Il faut manifester de l'intérêt pour les gens, les accompagner, leur donner du sens.

Je pense également que notre société manque singulièrement de symbolisme. Les gens veulent utiliser les mêmes rituels d'apaisement que les autres. La dignité, c'est donner à percevoir les rites que l'on pratique les uns avec les autres pour faire partie de la même famille. Avec les gens en difficulté que je rencontre, il n'y a pas de rituels. Ils entendent des ordres, des insultes, le vocabulaire est réduit : il ne faut pas entrer dans ce jeu. Avec ces personnes, il faut prendre des précautions oratoires, respecter les distances, ne pas s'approcher trop près, ne pas être trop loin, ne pas techniciser. Il est difficile de trouver la bonne distance opératoire car ces personnes sont avides de votre être, d'existence, d'être prises en considération. Comment faire ?

Il n'existe pas de solution automatique pour sortir les gens de leur addiction. Il faut procéder au cas par cas, en leur manifestant de l'intérêt et surtout sans se décourager, car chacun est faillible. Regardez comme il est difficile pour des gens structurés, qui ont une place dans la société, d'arrêter de fumer. Vous imaginez donc combien il est difficile pour des gens sans repère, sans affection, sans projet d'arrêter de recourir à ce qui les console.

Si on se rapproche de ces personnes, il faut qu'elles y trouvent leur compte mais il est difficile de s'investir si l'on sait qu'on va ensuite « lâcher la rampe » : cela peut être décevant, les gens ne vont pas tenir leurs promesses.

J'ai également remarqué qu'il était difficile d'établir une passerelle avec les jeunes, quelle que soit leur toxicomanie : ils ne vous croient pas. On est dans la virtualité, dans une espèce de rôle où le rapport à l'autre, le mal que l'on fait à l'autre n'a pas d'importance. Il est très difficile de parler de la réalité avec les gens sous l'emprise de la drogue ou de l'alcool. Il faut avoir la foi, pour les accompagner.

J'ai fait un jour une conférence à Cochin pour le SAMU social. Il est difficile de soigner les gens qui récidivent. Quelqu'un m'a dit : « Que fait-on au bout de cinquante-deux fois quand un de tes clients vient aux urgences pour cuver sa cuite ? ». J'ai alors demandé : « Es-tu un guérissant ou un soignant ? Tu es soignant, tu soignes ! ». Les médecins pensent qu'ils peuvent tout guérir, y compris la mort mais on ne « guérit » pas : on peut soigner, accompagner, etc. C'est ce que je me dis en espérant qu'au bout du compte, certains s'en sortent !

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Nous passons un après-midi hors du commun grâce aux auditions de gens fort différents -des humanistes !

M. Patrice Calméjane, député. - Je suis élu de région parisienne. Le SAMU social, si je me souviens bien, est une invention du Maire de Paris...

M. Xavier Emmanuelli. - Entre autres... S'il n'y avait pas eu les politiques, le SAMU social n'aurait pas existé !

M. Patrice Calméjane, député. - Il existe deux entités qui interviennent dans la rue, le SAMU social et les pompiers. Les pompiers sont des administratifs et des militaires qui sont amenés à intervenir parfois cinq ou six fois de suite dans la même nuit pour secourir une même personne en détresse. Vous avez, quant à vous, une approche plus sociale des personnes qui sont dans la rue. Nous essayons, à travers ces auditions, d'ébaucher des solutions. Pensez-vous qu'il existe un chaînon manquant entre votre travail et celui des pompiers, qui interviennent en première urgence, comme le leur impose leur mission aux termes de la réglementation ?

M. Xavier Emmanuelli. - J'ai eu le privilège de participer à la fondation du SAMU auprès du Professeur Hugenard, à Créteil, qui avait mis en application les principes de Cara et de Lareng. Le SAMU, c'était l'hôpital hors les murs. En 1970, les accidents de voitures provoquaient 17.000 morts par an et les accidents domestiques étaient nombreux. L'idée était d'aller au devant des victimes.

Le SAMU a donné naissance à Médecins Sans Frontières, où j'ai passé 23 ans de ma vie, et au SAMU social. Vous avez évoqué le Maire de Paris. Certes, il avait la volonté politique de le réaliser mais je lui ai présenté un projet déjà ficelé. Il fallait des équipes mobiles pour effectuer les maraudes, que tout le monde a ensuite imitées.

Lorsque j'étais au Gouvernement, on a pu créer le 115 par analogie au 15. Les centres d'hébergement correspondent aux soins intensifs. J'ai calqué mon modèle sur la médecine d'urgence ; le Maire de Paris l'a compris et m'a aidé à le réaliser. Cela ne s'est pas fait d'un seul coup.

Quant aux pompiers, il n'y a pas longtemps qu'ils ont cette mission et il existe toujours des « bisbilles » avec le SAMU : de qui relève la médecine pré-hospitalière, du SAMU ou des pompiers ? Auparavant, cela relevait de Police-Secours. On a même eu PS-SAMU du temps de Martinet. Cela a duré ce que cela a duré. Mon maître n'aimait pas cela du tout, le brocardant en disant : « On cogne à l'avant, on soigne à l'arrière. »

Lorsque j'étais praticien hospitalier à Nanterre, il existait une brigade de police appelée la BAPSA, brigade d'assistance pour personnes sans abri, qui ramassaient les gens pour leur bien mais aussi pour nettoyer la rue, les sociétés ayant toujours hésité entre la charité et la police, mettre de l'ordre ou mettre à l'abri -on peut d'ailleurs faire les deux. Regardez les pompiers : lorsqu'ils approchent des gens, ils mettent des gants...

M. Patrice Calméjane, député. - Je suis déjà allé avec eux !

M. Xavier Emmanuelli. - Venez donc également avec moi ! Que font les pompiers ? Ils amènent les gens aux urgences où ils les laissent. Il n'y a pas de filière, pas d'aval. Même l'Assistance publique et les hôpitaux -c'est symptomatique de notre société- font la différence entre le médical et le médico-social. C'est pourquoi l'accompagnement et l'hébergement sont si mal connus et si mal compris. Voilà pourquoi on trouve beaucoup de problèmes psychiatriques sous les abribus, chez des gens en train de soigner leur psychose avec de l'alcool, faute de suivi.

Oui, il manque un chaînon, celui de l'aval. Lors des débuts de la toxicomanie par voie intraveineuse, les psychiatres ont raté le coche et n'ont pas bien vu la pathologie induite. On court maintenant après mais, faute de moyens, que faire à long terme ?

On s'entend très bien avec les pompiers mais on ne fait pas le même métier et on n'a pas la même approche, ni les mêmes missions. Le SAMU médical intervient un peu en doublon avec les pompiers. Rouges et Blancs se font d'ailleurs la guerre à Paris.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - La Mairie de Paris vient de publier un document sur les salles d'injection. Comment le SAMU social envisage-t-il tout ce qui touche aux produits de substitution, à la distribution du Subutex, au traitement à la méthadone ? Ces salles d'injection manquent-elles pour le suivi de vos patients ? C'est pour nous un véritable problème de savoir si cette création ne va pas conduire à une dépénalisation progressive des drogues...

M. Xavier Emmanuelli. - C'est ce que je pense !

En France, on a une tradition humaniste -et je sais qu'elle apparaît tout à fait retardataire dans l'esprit de certains. Nous soignons, nous n'abandonnons pas.

Depuis les années 1970, trois problèmes sont régulièrement posés par les médias, l'acharnement thérapeutique, le droit de mourir dans la dignité et l'euthanasie. C'est toujours d'actualité.

Avec les salles d'injection, on ne pense qu'à la voie intraveineuse et jamais aux autres types de toxicomanie : ecstasy, psychotropes, tranquillisants, alcool... Que cherche-t-on ? Qui va donner le produit ? Est-ce un médecin ? Est-ce là son travail ? Quand j'étais à la prison de Fleury-Mérogis, on appelait le « shoot » un « fix ». Veut-on vraiment « fixer » les gens ? Y a-t-il un aval ? Si on a toute la chaîne et si on est sûr que les choses seront encadrées, que les toxicomanes seront hébergés et qu'ils ne retomberont pas, très bien !

Vous avez lu notre rapport sur la psychiatrie : où se trouvent les gens atteints de problèmes psychiatriques, qui ne sont pas seulement sans logement mais aussi sans liens, sans définition, sans aide : ils se trouvent sous les abribus ou en prison ! La majorité des gens qui vivent dans la précarité et qui ont des problèmes psychiatriques ne bénéficient d'aucun suivi, sauf en cas de crise aigüe. Certes, ils peuvent prendre rendez-vous dans un centre médico-psychologique (CMP) mais s'ils ne s'y rendent pas, comment les suivre ?

Personnellement, je pense que les salles d'injection constituent une perversité et ne peuvent fonctionner, faute de moyens.

Je suis d'autre part extrêmement choqué que l'on abandonne les gens à leur définition de toxicomanes. On sait très bien qu'on ne les en sortira pas. Vous me demandez une opinion personnelle : je vous la livre. C'est non seulement inesthétique mais antiéthique et antihumaniste. Je ne vois pas ce que l'on obtiendra avec cela sinon un effet de mode.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Que pensez-vous du Subutex ? L'utilisez-vous ?

M. Xavier Emmanuelli. - On trouve toujours le moyen de contourner la finalité : le Subutex peut être pilé et injecté. Ce n'est pas le produit mais le psychique et le symbolique qui sont en cause. C'est à la perception de la réalité, de l'affect et de la construction qu'il faut s'attaquer.

Les toxicomanes savent très bien que la drogue les démolit et que leur personnalité va s'effondrer mais ils en ont besoin. C'est paradoxal : la drogue les détruit mais les construit également ! Personnellement, je ne rentre pas dans ce jeu là, en tant que médecin et après avoir bien réfléchi au problème. C`est ainsi que l'on perd les gens.

On me dit que c'est un problème de santé publique. Oui, c'est bien connu : le médecin a toujours un regard divergent, un pour la protection du groupe et l'autre pour la protection de l'individu. Il faut qu'il trouve la voie. Je ne vois pas ce que cela peut apporter à la santé publique. J'ai l'air péremptoire mais c'est une réflexion !

Mme Catherine Lemorton, députée. - J'appartiens au réseau toxicomanie ville-hôpital de Toulouse, qui a été cité par la Cour des comptes l'an passé comme étant un bon réseau. Ne pensez-vous pas que ces salles d'injection peuvent constituer un moyen d'accroche ? Lorsqu'on a un suivi étroit du toxicomane, on sait en effet que la problématique est multiple et complexe. Ne pensez-vous donc pas que ces salles seraient le prétexte à autre chose ?

M. Xavier Emmanuelli. - Lorsque j'étais à Nanterre, la police, se fondant sur l'apparence, ramassait tout le monde pour Nanterre. On a quand même progressé depuis ce temps là et la BAPSA elle-même s'est transformée.

Quand il y a plusieurs consommateurs d'héroïne, cela intéresse la police, mais aussi les dealers... Les salles peuvent constituer un point d'accroche, à condition de connaître tous les effets collatéraux et de les assumer. Pour quel bénéfice ? Combien de gens allez-vous pouvoir traiter ? Je suis d'accord avec vous pour dire que le produit n'est pas en cause. Le débat reste quoi qu'il en soit ouvert car on n'a pas de moyens.

Je pense également que les toxicomanes ont un problème avec la perception de la réalité. On est dans une civilisation de l'image. Tout paraît virtuel, y compris les sentiments et l'accroche que vous pouvez avoir avec eux. Ils ne vous croient pas : vous êtes pour eux en permanence dans la mythomanie !

Je ne sais pas ce que les salles d'injection apportent, sauf si la police a envie de contrôler et cela aura l'effet inverse. Je sais très bien qu'il y a derrière tout cela la libéralisation de la drogue mais je la combattrai. En tant que médecin, je pense qu'il faut soigner.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Merci pour vos paroles.

Vous avez dit que les psychiatres avaient raté le coche. Je connais une psychiatre qui essaye de sortir la psychiatrie de l'hôpital avec un accompagnement médico-social et humain en développant une maison de famille où elle accompagne les toxicomanes tout au long de la journée avec un grand nombre de bénévoles. C'est un peu le chaînon manquant que vous évoquez. Ces personnes sont issues de différents milieux : SDF, personnes un peu perturbées ou qui ont de graves difficultés sociales. Tout le monde se retrouve et cela ne fonctionne pas si mal.

Pour autant, cette psychiatre est très mal accompagnée par le ministère de la santé, bien que cela coûte beaucoup moins cher que l'hospitalisation. Je crois que les psychiatres ne voient pas tous l'opportunité de telles expériences. Peut-être les choses doivent-elles évoluer afin que l'on trouve ce fameux chaînon manquant, qui pourrait s'adresser à un certain nombre de personnes ayant des addictions : alcool, drogues ou autres.

M. Xavier Emmanuelli. - Je suis d'accord avec vous. La circulaire transformant les pensions de famille en maisons relais remonte à 1997. J'étais encore au Gouvernement à l'époque.

Les « Amis de l'Atelier », en région parisienne, ont créé une petite structure autour d'un hôte. C'est une petite communauté qui demande beaucoup d'attention. C'est moins cher que l'hospitalisation puisqu'il s'agit d'un hébergement avec soins. Sans rouvrir l'asile, chaque quartier ou chaque petite ville devrait pouvoir disposer de 15 à 20 lits. Ce serait un immense effort, pas si cher que cela.

Pour les toxicomanes, c'est comme si la réalité se dérobait tout le temps ; ils ont besoin de s'y ancrer. Au XIX ème siècle, on était bien plus avancé avec Pinel et Esquirol, qui avaient compris qu'il s'agissait d'une maladie comme les autres. La France était alors en avance. Puis est venue l'école des psychotropes, des neuroleptiques et des antidépresseurs. On sait traiter les crises aigues mais on n'a pas fourni de solution de rechange. Les psychiatres aiment bien se servir des produits et n'ont pas les moyens de les suivre à long terme. Or, le problème de société qui est posé ici est celui de l'accompagnement, de l'hébergement, de l'intérêt, de l'affection pour les malades et ne sera pas résolu uniquement par des moyens matériels.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Il n'est donc pas forcément médical ?

M. Xavier Emmanuelli. - Certainement pas !

M. Georges Mothron, député. - Selon vous, l'évolution de la consommation et des méfaits des différentes drogues dans les prisons et les centres psychiatriques est-elle la même que dans la société en général ?

M. Xavier Emmanuelli. - L'effet est amplifié. Notre étude a démontré que la schizophrénie dans le monde de la précarité est dix fois plus élevée qu'ailleurs. Ce n'est donc pas représentatif. Lorsqu'on essaye d'établir un contact, on s'aperçoit qu'il existe très souvent un manque de structuration depuis l'enfance : l'enfant mal-aimé, battu, violé, auquel personne ne s'est intéressé est un candidat potentiel à l'exclusion définitive.

On trouve autour des gares parisiennes certains enfants avec un chien. J'ai demandé au Professeur Michaux, à l'Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort, ce que cela signifie et comment procéder car ces enfants ne veulent pas nous suivre pour ne pas être séparés du chien. Il s'agit d'un manque de représentation : le chien et l'homme représentent une certaine entité, le chien est un nounours, quelque chose de doux et le dominant n'est pas celui qu'on pense.

Les gens que j'ai rencontrés consomment tout. J'en ai même vu qui essayaient de fumer des antibiotiques. Tout se « deale » en prison...

La notion d'enfermement n'a plus cours en psychiatrie depuis les années 1970, époque à laquelle on a ouvert les asiles, estimant qu'on ne pouvait enfermer les gens sous prétexte qu'ils étaient malades. En Italie et dans les sociétés latines, par exemple, il existe des liens de voisinage...

On ne peut enfermer les gens ni les suivre et on ne veut pas mettre d'argent dans le suivi. Paradoxalement, plus on a d'outils et de médicaments puissants, moins on sait accompagner les gens !

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Avez-vous des pourcentages sur les politoxicomanes ?

M. Xavier Emmanuelli. - Il n'existe pas de monotoxicomanes : ils prennent tous tout ce qu'ils peuvent !

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Ne s'agit-il pas le plus souvent d'un seul produit ?

M. Xavier Emmanuelli. - Non, j'ai vu fumer des antibiotiques !

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Comment faites-vous la différence entre usager et toxicomane ?

M. Xavier Emmanuelli. - Les gens qui ont envie de se « shooter » se « shootent ». La prévention n'existe pas : ils n'y croient pas ! Tous les mots ont été utilisés...

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - A partir de quel moment considérez-vous qu'un jeune est « accro » ?

M. Xavier Emmanuelli. - Je peux reconnaître au geste et à la façon de s'exprimer une personne qui s'est longtemps droguée ! Les gens structurés ne persistent pas. Quand on est adolescent, on se structure en s'opposant, d'où l'utilisation de produits illicites. Je me rappelle une campagne de Séguéla qui, à l'époque, disait : « La drogue, c'est de la merde ! ». C'est un contresens : c'est précisément parce qu'il ne faut pas le faire qu'on se drogue !

Au fur à mesure que la personnalité se structure, les jeunes qui ont peu consommé abandonnent la drogue du fait des impératifs sociaux. Dans l'exclusion on est hors du temps. Il s'agit d'une sorte de présent répétitif. On ne peut faire de projets puisqu'il ne se passera rien et qu'il ne s'est rien passé auparavant. Les gens sont « achroniques » : ils n'arrivent pas à se projeter mais n'ont pas de passé non plus. Ils sont en permanence dans un instantané reproductif. Lorsqu'ils commencent à retrouver la grammaire du temps, ils se structurent.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Que pensez-vous de la libéralisation du cannabis ?

M. Xavier Emmanuelli. - Toutes les sociétés ont le droit de fixer des interdits. On se rappelle la prohibition, qui a connu plus ou moins de bonheur. Vous pouvez légaliser le cannabis mais je ne vous souhaite pas de vous trouver sur le chemin de quelqu'un qui conduit à vive allure sous l'emprise de celui-ci ! Le problème ne vient pas tellement de la personne qui en consomme de temps en temps le samedi soir. Si on libéralise et on accorde des facilités, je ne vois pas comment les toxicomanes pourront s'en sortir. La Hollande et l'Espagne ont légalisé le cannabis et les « coffee shops » sont devenus une attraction !

On a le droit d'avoir des interdits. Je suis contre le fait de libéraliser quoi que ce soit ! A Fleury-Mérogis, j'étais de temps en temps appelé au fin fond de cet immense bâtiment pour une overdose. La drogue était échangée au parloir par l'intermédiaire d'un baiser de leur compagne. Quand on veut se droguer, on se drogue. Tout un chacun a besoin d'un interdit, de la loi, même les enfants !

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Comment communiquer pour prévenir la toxicomanie et empêcher les jeunes de commencer ?

M. Xavier Emmanuelli. - Mac Luhan disait : « Le média, c'est le médium ». Les enfants des rues, dans les grandes capitales, forment de petites bandes. Quand un adulte de bonne volonté s'en occupe, les enfants redeviennent des enfants...

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Je parle de communication institutionnelle... Doit-on montrer des poumons noircis ou des sourires aux dents jaunies ?

M. Xavier Emmanuelli. - Je vois encore les grands panneaux que l'on nous montrait à l'école communale : poumons de fumeurs, foie d'alcoolique... A quoi cela a-t-il servi ? Je ne crois pas que la communication institutionnelle apporte tellement. Il suffit simplement de dire aux jeunes : « Ne vous droguez pas, la vie est belle !». Le rapport à l'autre, ce n'est pas seulement un film. Il faut aimer les gens, ce que ne fait pas notre société !

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Merci.

Audition de MM. Henri Joyeux, président de l'association Familles de France et Thierry Vidor, directeur général, Mme Béatrice Magdelaine, chargée de mission santé de la Fédération nationale familles rurales, et Mme Marie-Agnès Besnard, administratrice

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Nous recevons maintenant MM. Henri Joyeux, président de l'Association nationale des familles de France, Thierry Vidor, directeur général, Mmes Béatrice Magdelaine, chargée de mission santé à la Fédération nationale des familles rurales et Marie-Agnès Besnard, administratrice.

Nous savons, pour les avoir déjà entendues sur nos territoires, le rôle essentiel que jouent les associations, qu'il s'agisse de prévention, d'information, de réduction des risques ou encore d'accompagnement des usagers de drogue et de leur entourage. Un éclairage des associations, particulièrement familiales, nous est apparu utile pour poursuivre nos travaux et notamment aborder le sujet de la toxicomanie en milieu rural.

Je vous propose de nous exposer les récentes prises de position de vos associations dans le domaine des toxicomanies et de nous livrer votre opinion sur les dispositifs actuels de prévention : sont-ils adaptés ? Faut-il les améliorer ?

Nous passerons ensuite au traditionnel échange de questions. Dans l'intervalle, j'aurai certainement dû, pour d'autres impératifs, céder la présidence à mon collègue Gilbert Barbier.

Mme Marie-Agnès Besnard. - Il est difficile de savoir si les jeunes se droguent davantage en milieu rural. Nous ne nous focalisons pas que sur les jeunes. Qu'entend-on par jeunes ? Il existe des anciens, des gens qui se droguent en famille...

Dans les petits bourgs, les villages, on arrive toutefois à dépister les cas qui se présentent. Dès lors, que peut-on faire ? Nous voudrions tout d'abord accentuer la prévention, éviter que les enfants commencent à se droguer mais aussi développer d'autres systèmes d'information pour expliquer aux jeunes qu'ils disposent d'un capital santé qu'il convient de préserver de la drogue, de l'alcool, etc.

M. Henri Joyeux. - Merci de nous auditionner à propos d'un sujet aussi important, qui inquiète beaucoup Familles de France. Vous avez parlé de prévention : si la prévention était efficace, cela se saurait et ne nous ne serions pas là !

Nous sommes très inquiets car on rencontre de plus en plus de jeunes mais aussi de moins jeunes toxicomanes. C'est dans le milieu urbain que l'on en recense le plus, du fait de l'anonymat qu'offre les villes. A Paris, Lyon, Marseille ou Montpellier, certains quartiers sont bien connus pour être des lieux où la drogue circule facilement.

Il est sûr que les jeunes ne sont pas correctement informés sur ces sujets. Je dois ici citer Yannick Noah, que nous admirons tous par ailleurs pour ses réussites sportives, qui n'a pas craint de dire -peut-être sous l'impulsion de certaines substances consommées avant- qu'il avait utilisé de la drogue dite « douce », de la même façon que certains hommes politiques parlent de « drogues douces ». Ce que les jeunes ne savent pas, ce que les médias ne disent pas, c'est que la drogue actuelle, si l'on ne parle que de marijuana, est issue d'organismes génétiquement modifiés (OGM) !

J'ai mis au défi plusieurs journalistes de le publier en première page de leur journal. Un seul directeur de quotidien a eu le courage de le faire, celui du Parisien, en utilisant toutefois la forme interrogative : « La marijuana est-elle génétiquement modifiée ? ». Or, on sait qu'elle l'est ! La drogue produite et utilisée par les jeunes, où que ce soit dans notre pays, est aujourd'hui composée à 35 % de Tetrahydrocannabinol (THC), alors qu'il y a 25 ans, ce chiffre était de 5 % !

Les jeunes sont sensibles à l'écologie et n'ont pas tort. Il faut leur faire passer le message que les adultes qui leur vendent de la drogue les trompent en leur proposant des produits génériquement modifiés dans le but de les rendre « accro » plus vite.

Je suis médecin spécialisé dans le cancer et je puis vous dire que la drogue est un cancer pour deux raisons. Premièrement, elle abîme le cerveau et de multiples études montrent chez les jeunes une augmentation de la schizophrénie liée à l'utilisation de la drogue ; en second lieu, certains jeunes développent des cancers foudroyants des voies respiratoires. Lorsqu'on leur demande s'ils sont fumeurs, ils répondent par la négative. Ils n'ont pas fumé de tabac mais un ou deux joints pour s'endormir le soir et trois à quatre le week-end !

Prenons garde toutefois à ne pas culpabiliser les jeunes qui se droguent : ils ne vont pas bien parce que nous, adultes, n'allons pas bien ! Notre société présente des défauts, certains médias valorisent la drogue, à propos de laquelle ils ne disent pas la vérité ou la minimise.

Nous attendons de votre mission qu'elle livre des informations claires au grand public et pas seulement aux parents car, à partir de 14 ans, un jeune peut avoir tendance à faire la loi à la maison. Nous sommes aujourd'hui dans une situation dramatique : on a trouvé récemment des plans de cannabis génétiquement modifié en région parisienne. Pourquoi ne le dirait-on pas demain en première page dans Le Monde ou Le Figaro ?

Ce fléau social -car c'en est un- atteint les jeunes dans leur cerveau et compromet leur avenir car ils risquent d'être handicapés à vie, avec des risques de cancers foudroyants qui détruisent un jeune en l'espace de quinze mois !

M. François Pillet, coprésident pour le Sénat. - Merci de cette position très claire, qui ne nous étonne guère.

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Vous souhaitez donc que l'on fasse davantage peur aux jeunes...

M. Henri Joyeux. - ... Que l'on dise la vérité !

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - La peur favorise-t-elle la non-consommation ?

M. Henri Joyeux. - Non : on le voit bien avec le tabac !

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - On sait que, dans d'autres domaines, comme dans celui du jeu du foulard, par exemple, les jeunes ont un désir de transgression, surtout en cas de conflit familial, de déstructuration de la famille.

Comment appréhendez-vous par ailleurs la prévention, essentiellement menée en milieu scolaire, qui est en grande partie un échec ?

Mme Marie-Agnès Besnard. - Vous avez l'air d'affirmer qu'il n'y a que dans les familles où existent des problèmes que les jeunes se droguent. Malheureusement, toutes les familles sont concernées. Les parents sont démunis : quelles solutions leur proposer ?

Je ne sais pas si les jeunes qui commencent à se droguer ont conscience des dégâts que cela peut produire sur leur cerveau, sur leur vie future. Cela détruit des familles.

M. Thierry Vidor. - J'ai vu il y a peu un très beau film de Klapisch, intitulé « Le péril jeune », qui se déroule en 1968. C'est un constat exceptionnel sur la société de l'époque. C'est aujourd'hui cent fois pire !

On voit Romain Duris, garçon plein de vie, bêtement sombrer dans la drogue en consommant un petit « pet » pour la première fois lors d'une soirée, alors qu'il est en seconde ou en première. Ce faisant, il détruit sa vie. Ils étaient quatre ou cinq amis mais cela a détruit sa vie : en un « pet », il voit dix ans de sa vie ruinés, qui aboutissent à son décès.

Ce film est remarquable et montre la détresse des jeunes face à la drogue. Certains s'en sortent heureusement mais une seule victime c'est déjà trop !

Il faut être clair avec les jeunes et leur dire la vérité, ne pas la banaliser en leur disant qu'un « pet » ce n'est pas grave. Or, quel message la société et les médias nous font-ils passer ? « Cela n'a pas de conséquence : il vaut mieux fumer un pétard que prendre un verre de vin ou tomber dans la dépression » ! Pour les jeunes, c'est pratiquement un médicament ! On a complètement banalisé le produit.

Si on dit la vérité aux jeunes, je pense que cela changera complètement leur comportement. Dans ce film, parmi les quatre jeunes, Romain Duris est le seul dont les parents ne sont pas présents et la famille absente. Cela ne veut pas dire que l'encadrement existe dans toutes les familles : je me suis pendant longtemps occupé de groupes de jeunes dont certains parents ne s'apercevaient pas que leur enfant consommait 50 « pets » par mois...

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Certains discours ne sont pas faciles à comprendre. Je suis également médecin ; il y a quelques instants, nous avons entendu un autre médecin qui nous rappelait ces campagnes que j'ai bien connues qui montraient le poumon noirci du fumeur et le poumon sain de celui qui n'a jamais fumé. Cela n'a eu aucune incidence sur la consommation de tabac. Je n'ai pas la réponse mais je vous pose la question...

M. Henri Joyeux. - Vous avez raison : dans le cas du cancer, écrire que le tabac tue et afficher des photographies sur les paquets ne sert à rien car les lobbies du tabac sont les plus forts, de la même façon que le lobby de la drogue est le plus fort.

Je passe dans les écoles primaires, les collèges et les lycées toutes les semaines pour aborder les trois sujets que sont la santé, l'amour et la sexualité. La drogue est arrivée dans les collèges même s'il s'agit de fort peu -5 % à 6 %. Les parents sont désarmés. Ce ne sont pas eux qui sont en cause. Il est trop facile de les accuser alors qu'ils sont fragilisés par la société et par les médias qui affirment le contraire de ce que l'on essaye d'apprendre à ses enfants ! C'est pourquoi nous voulons responsabiliser les médias en les intégrant dans la communauté éducative. L'éducation relève de la société entière et les médias, en particulier, ont un rôle majeur à jouer mais personne ne veut le reconnaître ! Les médias, aujourd'hui, se contentent de faire du « business » !

Mme Béatrice Magdelaine. - Je ne suis pas aussi négative que vous : la prévention fonctionne à travers certaines institutions. L'éducation nationale n'est pas le lieu où l'on sensibilise le plus d'enfants ; les choses se font souvent en dehors des murs. Nous avons remarqué que tout ce qui se faisait en dehors de l'établissement fonctionnait nettement mieux, comme dans le cadre des forums intercommunaux. Les jeunes de trois ou quatre collèges que l'on accueille en un même lieu autour d'actions relatives au champ de la santé sont bien plus attentifs à ce qui se passe et aux messages qui leur sont adressés.

Il ne faut pas réduire la prévention à la seule éducation nationale. Il existe d'autres actions sur le terrain, même si l'on est souvent confronté à une certaine méconnaissance des acteurs, à une mauvaise coordination et à une absence de moyens financiers. La position de Familles rurales, en ce qui concerne la toxicomanie, est claire : nous n'intervenons pas à la place des associations spécialisées. Nous ne sommes pas compétents. Nous sommes là pour entendre les familles, les jeunes et les renvoyer vers les réseaux existants.

« Ecoute jeunes » fait ainsi l'objet d'un numéro national, chapeauté par le ministère de la santé. Or, dans certains départements, comme dans celui des Ardennes, par exemple, on ne trouve qu'un seul numéro, celui de l'Union départementale des associations Familiales (UDAF), sans rien au bout ! On voit bien qu'il y a là un problème.

Je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Joyeux sur l'aspect médical. Depuis 2007, nous nous sommes lancés dans un plan d'action contre l'alcool et nous avons constaté un ras-le-bol des jeunes. Les jeunes en ont assez d'être sans arrêt pris pour cibles. En matière d'alcool, dans les villages ruraux, les gendarmes font systématiquement passer un test d'alcoolémie aux jeunes alors que les retraités, réunis dans une salle municipale pour jouer aux cartes et boire de la bière ne font jamais l'objet d'un contrôle. Comment l'expliquer aux jeunes ? C'est à partir de réflexions des jeunes que l'on pourra peut-être faire changer les comportements.

La politique de Familles rurales est de refuser le premier joint, mais comment faire ?

Nous sommes également amenés à rencontrer les parents. Les jeunes leur reprochent de ne rien connaître à la drogue lorsqu'ils veulent en parler avec eux. On constate en effet que les parents sont mal à l'aise. Nos conférences n'attirent que trois ou quatre personnes -et pas celles que l'on attendait ! Il me semble que tout un travail est à faire dans ce domaine.

Nous travaillons beaucoup avec la Sécurité routière ; nous leur avons demandé de faire en sorte que leurs campagnes d'affichage ne ciblent pas seulement des jeunes mais également des femmes qui, on le sait, ont aujourd'hui un problème d'alcool. Il existe également des parents qui consomment du cannabis -sans parler des autres drogues. Certains jeunes qui veulent arrêter le cannabis craignent d'être mis à la porte de chez eux. Que peut-on faire ? Ce sont de petites choses mais il faut y réfléchir !

Enfin, pour ce qui est des écoles, nous en sommes au primaire !

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - C'est la question que je voulais vous poser : à quel moment peut-on commencer la prévention, pour éviter d'intervenir une fois que le jeune a commencé à consommer.

Mme Béatrice Magdelaine. - Nous avons commencé à organiser, en milieu rural, des actions de sensibilisation à destination des élèves de CM 2 qui prennent le car. Un enfant qui n'est pas habitué à prendre le car et qui se rend à la ville est une proie pour les dealers. Nous avons mis en place des jeux de rôle qui fonctionnent très bien dans certains départements, grâce à une prise de conscience politique, même si nous avons maintenant moins de moyens. Dans d'autres départements toutefois, les élus refusent d'en entendre parler à l'école primaire -alors que cela pourrait constituer une approche.

Mme Françoise Branget, corapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je suis convaincue que c'est dès le primaire qu'il faut agir. J'ai vu il y a plus de 15 ans de cela un jeune de 5ème décéder à la suite de la consommation de produits.

Il faut avertir les jeunes très tôt de l'ensemble des dangers qu'ils encourent, au nombre desquels il faut aussi inclure l'alcool.

M. Henri Joyeux. - Nous partageons tout ce que viennent de dire les représentants de Familles rurales. Familles de France a quant a elle établi une corrélation entre l'addiction à la drogue souvent appelée « petite drogue » -le « petit joint », le « pet », etc.- et l'addiction aux jeux vidéo et aux jeux d'argent. Nous avons même créé un numéro vert, le 0 800 00 65 18, où nous recevons en moyenne trois à quatre appels par semaines de parents affolés, que l'on renvoie parfois vers une structure adaptée, comme les CHU de Nantes ou de Montpellier. Dans d'autres cas, on ne sait que faire et l'on conseille aux parents de dialoguer avec leur enfant.

C'est un sujet d'une telle importance que nous avons réuni le Syndicat des jeux vidéo, Sony, Ubisoft, etc. pour créer des jeux vidéo certes violents mais orientés vers la santé, afin que le jeune tire sur le cancer, la métastase, la maladie. Nous essayons ainsi de faire passer des messages de prévention par l'intermédiaire du jeu.

L'enfant qui passe une heure, deux heures, à jouer à ces jeux vidéo violents, va devenir accro et en sortir plus bête qu'il y est entré ! Ubisoft, Sony et les autres producteurs en sont conscients.

A PédaGoJeux, nous avons pu vérifier que nombre de jeunes sont fascinés par des images et des jeux extrêmement intelligents ; or, cette intelligence n'est pas mise au service des jeunes mais du business ! Le business est utile mais il faut absolument qu'il aide le jeune à se construire et ne cherche pas à l'utiliser comme c'est le cas actuellement.

Il faut tenir un discours de vérité aux jeunes, qui sont tout à fait capables de le comprendre. C'est le dialogue qui est important. Souvent, les parents ont des difficultés à dépasser leur peur.

Mme Catherine Lemorton, députée. - Vous parliez de Yannick Noah : il y en a eu d'autres ! Quant aux médias, vous avez tout à fait raison. Il n'est qu'à prendre l'histoire de cet animateur de télévision... Il y a quelques années, Johnny Halliday disait qu'il fumait des rails de cocaïne et qu'il s'en sortait très bien ! Comment accepter qu'un chanteur puisse tenir un tel discours ? Sans doute peut-il s'en sortir mais il n'a pas les mêmes moyens que ceux qui sont issus des quartiers difficiles ! Les médias ont donc un rôle essentiel et il faudrait sans doute que le législateur les contrôle un peu plus.

Il ne s'agit pas de culpabiliser les parents mais lorsqu'un enfant entre dans la toxicomanie, il me semble que les parents, quelle que soit la structure familiale, qu'elle soit déstructurée ou recomposée, ont une part de responsabilité. On ne sort pas un adolescent ou un jeune plus âgé de la dépendance en isolant les parents comme s'ils n'avaient aucune part de responsabilité.

Il faut que les parents soient associés à la prévention au sein de l'école. Ne pensez-vous pas qu'il faudrait diffuser des plaquettes, comme l'a fait le Conseil général de Haute-Garonne, présentant aux parents certains signes d'alerte. Pourquoi, lorsque vous rentrez à la maison, après une journée de travail, trouvez-vous toutes les fenêtres grandes ouvertes alors qu'il fait froid dehors ? Pourquoi allument-ils des bougies parfumées dans leur chambre ? Pourquoi le salon sent-il le désodorisant aérosol ? Ce sont là des signes d'alerte dont les parents ne sont pas assez informés.

Dans le réseau auquel j'appartiens, on appelle le cannabis la « drogue du feignant » car il peut faire chuter les résultats scolaires d'un enfant très rapidement. Bien souvent, le monde enseignant le constate. Comment faire pour que les enseignants fassent remonter l'information, en parle avec ses collègues ? Ce sujet est tabou du fait de la loi -et il faut la respecter- mais le problème n'est pas là. Il est toujours difficile pour un enseignant de saisir sa hiérarchie.

Ne pensez-vous pas qu'il y a une dichotomie entre une génération qui a pu fumer des « joints » de temps en temps mais que cela n'a pas empêché de réussir l'ENA -comme l'ont malheureusement dit certains membres de ma propre famille politique- et une société où les gens vont mal ? Pour certains parents, ce n'est pas un problème si leur enfant fume un « joint », alors que le jeune peut rapidement basculer dans l'addiction. Comment l'expliquer clairement aux parents ?

M. Henri Joyeux - En parlant de la concentration ! Le cannabis que l'on fumait il y a trente ans était concentré à 5 % ; aujourd'hui, les jeunes fument un cannabis concentré à 35 %. Ce produit ayant la même couleur, la même odeur, les parents le considèrent comme banal. Eux-mêmes en ayant fumé autrefois, veulent être honnêtes avec eux-mêmes !

Je suis entièrement d'accord sur la part de responsabilité des parents qui existe mais ils ne sont pas seuls et il faut cesser de les culpabiliser. On présente aux jeunes des perspectives qui ne sont guère enthousiasmantes. Les jeunes ne cherchent-ils pas à sortir de cette vision de la société que nous leur proposons en recourant à ces artifices ?

Pour en revenir à la plaquette dont vous avez parlé, nous sommes prêts à collaborer avec vous et avec Familles rurales pour établir une liste de ces petits signes, non pour « fliquer » les jeunes mais afin de leur éviter de commettre des erreurs qu'ils paieront extrêmement cher, tout simplement parce qu'on les aime !

J'aimerais par ailleurs que l'information concernant les OGM soit délivrée et diffusée, alors qu'elle ne l'est pas à l'heure actuelle...

M. Thierry Vidor. - Il est capital d'aider les parents et d'informer une bonne partie de la population. Dans les lycées et les lycées professionnels, 90 % des jeunes ont du « chit » sur eux. S'ils n'en ont pas, ils sont déconsidérés. La famille ne peut même plus agir. Il y a là un problème de société.

C'est aussi vrai dans les populations défavorisées que dans les populations favorisées. Dans les lycées où les parents sont vigilants, 50 à 60 % de jeunes ont une barrette de « chit » dans leur poche !

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Qu'attendez-vous du législateur ? La répression est-elle mal conduite, insuffisante, laxiste ? Le système contraventionnel vous paraît-il adapté ?

M. Henri Joyeux. - Le laxisme s'applique davantage au dealer qu'au consommateur, qui est plus à plaindre et à soigner.

Dans un lycée public de Bergerac que je visitais, je faisais remarquer au proviseur qui était très fier d'avoir créé le premier lycée sans tabac, que j'avais vu beaucoup de mégots à l'entrée. Il m'a confié qu'il avait dû faire intervenir la police avec des chiens dans l'internat pour éliminer la drogue. Quand les pensionnaires ont vu arriver la brigade canine anti-drogue, ils ont voulu se débarrasser de leurs produits : toutes les chambres en possédaient ! Est-ce une bonne chose d'en arriver jusque là ? Je ne le crois pas.

Le plus important est d'informer les jeunes et d'imposer par la loi des obligations aux médias. Ils font l'inverse de ce qu'il faudrait et minimisent le problème. Si les médias allaient dans notre sens, je suis convaincu que les jeunes y seraient sensibles. Il faut bien entendu le faire astucieusement mais les médias ont d'excellents publicitaires et savent parfaitement faire passer les messages.

M. Patrice Calméjane, député. - Il faudrait instaurer -même si le mot ne plaît pas- une forme de « rééducation ». Sur les ordinateurs ou les postes de télévision numériques, il est possible d'activer le contrôle parental mais seulement si on en a envie alors que ce devrait être le contraire. Il en va de même pour les médiats, qu'il faudrait obliger à favoriser la prévention de la toxicomanie plutôt que de les laisser valoriser les comportements à risques.

Certes, nous sommes dans un pays libre mais c'est un enjeu de société important. Le fait que le monde du sport ou du show-business en fasse un mode de vie pose problème. C'est peut être le travail du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) ou d'un autre organisme indépendant, dont ce devrait être la mission, que de réguler cela. Il serait intéressant de les interroger sur ce point.

M. Henri Joyeux. - Nous avons fait des propositions à MM. Jospin, Raffarin, de Villepin puis Fillon, premiers ministres. Nous sommes allés voir les Présidents du CSA successifs ; on nous a dit que nous avions des idées géniales et rien n'a avancé !

Cependant, 152 députés français ont déposé une proposition de loi destinée à faire en sorte que les associations familiales disposent d'un temps d'intervention à la télévision. Nous demandons en effet à disposer d'une minute après 20 heures 30 pour diffuser de courtes séquences faisant appel à des mimes, afin de dispenser des messages de prévention familiale, sur ces sujets et d'autres, qui détendrait les gens en leur permettant de rire.

Les partis politiques et les syndicats ont bien le droit de passer à la télévision : pourquoi pas nous ? Le Président de la République connaît bien les partenaires sociaux mais ignore les partenaires familiaux, qui représentent pourtant 17 millions de familles. L'Etat n'est pas habitué à travailler avec nous. Si ce travail était fait en coordination avec les partenaires sociaux, nous pourrions faire passer des messages bien plus positifs.

M. Patrice Calméjane, député. - On sait que les adolescents ne regardent plus le journal de 20 heures, à l'instar des adultes qui s'en détachent aussi. Peut-être faudra-t-il recourir à Internet : Google arrive à faire une fenêtre différente chaque jour par rapport à l'actualité. On pourrait peut-être, une fois par an ou tous les semestres, étudier avec eux comment faire passer un message. Encore faut-il sélectionner les liens, mais les jeunes adorent cela. C'est une suggestion...

Mme Marie-Agnès Besnard. - Il faut utiliser les moyens de communication qu'utilisent les jeunes, qui disposent tous d'un portable et d'Internet mais ne regardent plus guère les journaux télévisés, à propos desquels il y aurait également beaucoup à dire. Certaines émissions sont assorties du carré blanc mais on pourrait aussi l'attribuer à quelques séquences diffusées dans les journaux télévisés !

Mme Virginie Klès, sénatrice. - Indépendamment des médias utilisés et du message à faire passer, on sait que l'information ne suffit pas à la prévention. J'ai trois enfants de 18, 20 et 22 ans. A chaque fois que j'évoque ce sujet, ils me répondent qu'on leur en a déjà parlé et qu'ils savent déjà tout ce que je leur dis. S'ils n'y touchent pas plus qu'ils n'y touchent, c'est surtout une question d'éducation.

Pour ce qui est des parents, il s'agit plus d'une aide à la parentalité afin d'apprendre à savoir dire non. Il faut les convaincre que ce n'est pas parce qu'ils refusent quelque chose à leur enfant que celui-ci ne va plus les aimer ! C'est un discours que j'entends souvent lorsque je reçois des parents de ma commune dont les enfants se sont mis en danger ! Comment faire ?

Mme Béatrice Magdelaine. - Il existe des plaquettes qui sont diffusées dans les collèges mais les adolescents en parlent rarement. Qu'en fait-on et comment utilise-t-on ces outils ?

Il en va de même pour les parents, pour qui un accompagnement est nécessaire. Ces documents ne servent à rien sans cela !

M. Thierry Vidor. - Le problème de l'addiction est soit l'oisiveté, soit la solitude. On trouve beaucoup de jeunes qui se retrouvent seuls dans leur chambre le soir et d'autres qui, ne se retrouvant pas en famille, sortent et se retrouvent dans des groupes. Cette oisiveté ou cette solitude est mère de toute addiction, par un effet d'entraînement.

Beaucoup de jeunes ressentent un mal-être existentiel -normal à cet âge- qu'il faut compenser. Autrefois, des structures existaient : aujourd'hui, ne pourrait-on augmenter le nombre de structures sportives, voire culturelles ? Il existe très peu de clubs de football ou de clubs de sport dans notre pays. Or, l'entraîneur perçoit tout de suite les problèmes. C'est aussi une partie de la réponse à ce problème...

M. Henri Joyeux. - Si les parents craignent que leur enfant ne les aime plus s'ils lui disent non, il faut leur dispenser une formation à la parentalité. Nous demandons que soit créé un statut parental qui comprendrait ce type de formation.

Que signifie être parent ou responsable d'un enfant ? Est-ce lui passer tous ses caprices pour lui prouver qu'on l'aime ou l'aider à se construire en lui montrant les limites à ne pas franchir ? Il ne s'agit pas d'autorité mais d'amour. Nos parents nous faisaient obéir à la baguette. On désobéissait d'ailleurs souvent ! Aujourd'hui, il faut dialoguer avec les jeunes. Si nous les aimons, nous devons le faire davantage.

S'agissant des médias, il faut que les parlementaires nous aident pour leur imposer un temps de parole destiné à la prévention contre la drogue ou autres sujets. Si les gens rient, ils n'en retiendront que mieux les messages concrets destinés à leur vie quotidienne. Nous avons quant à nous confiance dans cette façon de voir...

Mme Brigitte Bout, sénatrice. - On a le même problème avec les médias pour ce qui est de l'obésité : on a du mal à faire passer les messages !

Mme Béatrice Magdelaine. - Un dernier point me semble important : il s'agit du fait de pouvoir acquérir n'importe où des graines de cannabis, comme sur Internet par exemple ! 25 graines de cannabis coûtent 25 €. En huit semaines, vous pouvez obtenir 25 g de feuilles ! Ces graines sont également en vente libre dans les bonnes graineteries !

M. Henri Joyeux. - Le sujet n'étant ni de droite, ni de gauche, on va pouvoir avancer ensemble !

Mme Marie-Agnès Besnard. - Le cannabis pousse partout !

M. Gilbert Barbier, corapporteur pour le Sénat. - Merci.