Mercredi 22 juin 2011

- Présidence de M. Joël Bourdin, président -

Prospective du couple franco-allemand - Présentation du rapport

M. Bernard Angels, rapporteur. - Le projet du rapport est de se former une vision des futurs possibles des interdépendances entre la France et l'Allemagne à partir des tendances en cours. Il est principalement consacré à la stratégie allemande en gardant toujours la France en ligne de mire.

Les trajectoires des deux pays ont été opposées pendant la majeure partie des années 2000. L'Allemagne exporte et dispose d'excédents extérieurs considérables, qu'elle accumule tandis que la France s'enfonce dans le déficit. Le solde commercial allemand a été le premier moteur de sa croissance économique. Avant la crise, ses finances publiques s'amélioraient quand les finances publiques françaises restaient en déséquilibre structurel. Par ailleurs, l'Allemagne a baissé ses prélèvements obligatoires plus que la France en choisissant de restructurer sa fiscalité dans le sens d'une amélioration de sa compétitivité, notamment en décourageant encore plus une consommation déjà atone. L'Allemagne a par ailleurs réduit ses dépenses publiques dans des proportions incomparables avec ce qu'a entrepris notre pays. La situation financière des entreprises allemandes s'est améliorée quand celle des entreprises françaises se détériorait. Tout ceci s'est déroulé dans un contexte structurel dont certains traits mentionnés au bénéfice du pays singularisent l'Allemagne par rapport à la France : l'existence d'une industrie plus résiliente (25 % de la valeur ajourée contre 13,6 % en France) ; un cadre de relations sociales réputé propice à la négociation ; des PME plus grosses que les nôtres.

Les aspects généralement présentés comme positifs doivent être pondérés par des côtés moins brillants de cette trajectoire. La croissance allemande a été en moyenne inférieure à la croissance française et a été nettement plus heurtée. Malgré les restructurations engagées et l'importance relative d'un fort secteur industriel qui devraient les favoriser, les progrès de productivité y ont été longtemps plus faibles, en dépit de la contribution à la croissance du commerce extérieur allemand. L'Allemagne a gagné des parts de marché à l'exportation mais exclusivement en Europe ; dans le reste du monde, elle en a perdu. En dépit de la baisse de ses coûts salariaux unitaires relatifs, elle n'a longtemps pas créé plus d'emplois, en moyenne, que la France et les organisations internationales situent le niveau de son taux de chômage structurel au niveau de celui de notre pays. Le revenu des ménages allemands a stagné sous l'effet d'une extraordinaire modération salariale. La demande intérieure n'a progressé que de 2,8 % entre 2000 et 2008 contre 16,4 % en France.

Le partage de la valeur ajoutée s'est déformé au profit des bénéfices des entreprises, rétablissant le rendement du capital mais les entreprises y investissent moins qu'en France alors que la structure industrielle du pays devrait logiquement aboutir au résultat inverse. Le niveau moyen de la recherche développement est plus important qu'en France, mais l'effort de R&D par entreprise présente sur les marchés internationaux n'y est pas nécessairement supérieur et les deux pays partagent la position commune d'être éloignés de la « frontière technologique ». L'Allemagne attire moins de capitaux longs que la France en moyenne. Ses efforts de redressement des finances publiques ont été entamés par la crise et sa position extérieure de plus en plus créditrice, certes favorable, l'expose à des risques.

Tout ceci dessine l'image d'une Allemagne qui a choisi d'épargner plutôt que de maximiser sa production et sa consommation face à une France dont la croissance a été en moyenne plus satisfaisante mais qui connaît un problème de détérioration de sa position extérieure.

On peut relever que les évolutions qu'a connues l'Allemagne ont été le résultat de la combinaison congruente de réformes politiques et du jeu des mécanismes de marché.

Dans ce contexte, il faut accorder une attention particulière aux performances commerciales de l'Allemagne comparées à celles de la France. L'une des questions abordées par le rapport est de savoir si l'Allemagne s'est mieux adaptée à la mondialisation que la France. L'explosion des excédents commerciaux allemands et l'expansion des exportations allemandes semble le montrer abondamment. Il faut concéder un embarras du fait notamment des controverses existant entre experts sur ce point. Le consensus est plutôt que l'amélioration de la compétitivité-coût n'est pas plus que celle de la compétitivité-prix, à la base des surperformances exportatrices de l'Allemagne par rapport à la France. De même, les spécialisations structurelles ou géographiques n'y seraient pour rien. Seule agirait la compétitivité hors-coûts. Ces diagnostics suscitent certaines questions mais on peut se rallier à un élément consensuel : l'offre allemande à l'exportation présente une plus grande variété et est mieux vendue ; par rapport à la France l'avantage de l'Allemagne n'est pas du côté des coûts salariaux.

Une étude réalisée par le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII) dans le cadre de ce rapport suggère qu'une partie de la compétitivité des exportations allemandes par rapport aux exportations françaises vient de son recours à de plus en plus de consommations intermédiaires importées souvent de pays à bas coûts salariaux. L'effet de cette externalisation de la production sur la compétitivité du site Allemagne est incertain. Pour les entreprises, la baisse des coûts de production qui s'ensuit ne serait pas entièrement transmise dans les prix, ce qui réduit la force de l'argument selon lequel l'externalisation offrirait un avantage de compétitivité sur les entreprises françaises. C'est ainsi plutôt sur la profitabilité des exportations qu'elle jouerait. Pour l'Allemagne, ces importations réduisent considérablement l'effet d'entraînement sur la croissance des performances réalisées sur les exportations. De fait, le contenu en valeur ajoutée des exportations allemandes est faible et se réduit même si c'est de là que l'Allemagne tire le plus de croissance. Par ailleurs, l'externalisation a un impact sur les salaires, sur l'emploi et sur les inégalités, qui se creusent en Allemagne.

Mais il y a là une différence avec la France dont les entreprises semblent plus que les entreprises allemandes privilégier la délocalisation sèche dont témoigne à leur façon l'ampleur des investissements directs réalisés à l'étranger, plus forte que pour l'Allemagne. Il est malheureusement impossible faute de données d'agréger les exportations et les chiffres d'affaires réalisés à l'étranger. Il est possible qu'une vision plus homogène de l'adaptation des entreprises des deux pays à la mondialisation en ressortirait. À titre d'illustration, on estime que le chiffre d'affaires des implantations des firmes françaises à l'étranger s'élève à 850 milliards d'euros soit plus du double des exportations en 2006. En 2001, le chiffre était de 380 milliards d'euros et n'équivalait qu'à une fois les exportations.

Sans doute y a-t-il là une différence structurelle entre les deux pays dont portent la marque les exportations de l'un et de l'autre et, dit-on parfois, la résilience de l'industrie allemande. Mais, si aujourd'hui on présente ce mode d'intégration industrielle à l'allemande comme une source de compétitivité, il faut considérer les problèmes qu'il peut susciter à terme. Les perspectives d'émancipation des pays aujourd'hui sous traitants, le renchérissement des prix de l'énergie, les préoccupations environnementales, la fragilité de ce mécano industriel sont susceptibles de renverser les avantages compétitifs tirés de ce système.

Les importations font aussi une différence dans les performances des deux pays. Les importations françaises n'ont pas nettement plus augmenté que les importations allemandes mais les importations allemandes en provenance de France ont beaucoup moins progressé que leurs homologues françaises. Par ailleurs, en lien avec l'externalisation, les importations allemandes sont destinées à assurer la cohérence des exportations de l'Allemagne. Sur les importations allemandes, la question pour la France n'est pas d'être aussi compétitive que l'Allemagne mais de se battre avec la concurrence des pays de l'hinterland allemand. Il est donc bien exact que la demande en provenance d'Allemagne ne crée pas suffisamment d'opportunités d'exportation pour la France, ce qui peut expliquer la forte divergence des taux de pénétration des deux pays.

Ceci confirme certains des doutes qu'on peut éprouver sur le constat généralement admis de l'absence d'effets sur la dynamique comparée des exportations françaises et allemandes des demandes adressées à ces pays par le reste du monde ou de leur spécialisation sectorielle. Étant donné l'importance de l'Allemagne premier client de la France, l'atonie de la demande intérieure allemande ainsi que la réorientation sectorielle de ses importations pèsent sur les exportations françaises.

Au demeurant, hors déficit énergétique, la dégradation du solde commercial bilatéral avec l'Allemagne fut la plus forte des glissades de nos soldes bilatéraux, et représente près de 20 % du creusement du déficit extérieur français, ordre de grandeur qui minore les effets de l'expansion des exportations allemandes sur notre commerce extérieur.

Au total, les échanges internationaux retirent de la croissance à la France alors que dans les années 2000 ce fut le principal moteur de la croissance allemande. L'Allemagne n'échappe pas aux rigueurs de la mondialisation. Compte tenu de ses structures économiques, et notamment de l'importance qu'y occupe l'industrie dont la viabilité suppose de grands marchés, elle y est plus soumise que la France et elle paraît y avoir réagi avec une vigueur particulière. Mais, les effets de cette adaptation ne sont pas aussi bénéfiques qu'on les décrits parfois.

Les exportations allemandes peuvent bien représenter désormais 40 % du PIB et l'excédent extérieur être passé de 2001 à 2007 de 2 à 8 % du PIB, le contenu en valeur ajoutée des exportations allemandes est faible. L'Allemagne importe beaucoup pour exporter et n'ajoute que peu de valeur à ces importations. L'Allemagne crée peu de valeur ajoutée mais se constitue beaucoup de disponibilités financières car l'Allemagne épargne nettement plus qu'elle n'investit. La France est dans une situation diamétralement opposée. La position extérieure de l'Allemagne qui mesure le bilan de ses avoirs et dettes avec le reste du Monde s'améliore continûment, celle de la France se détériore. Ce constat nourrit l'image d'une Allemagne « néo-mercantiliste » privilégiant davantage sa richesse financière que sa croissance économique.

Cette hypothèse constitue l'une des deux interprétations de ce qui se produit en Allemagne. L'autre interprétation est que l'Allemagne n'a fait que pratiquer une purge destinée à lui assurer une croissance potentielle plus forte dans l'avenir. Il n'y a pas de consensus sur ce point qui est évidemment important pour l'avenir de la relation franco-allemande et, au-delà, pour l'Europe et l'euro.

Que fait l'Allemagne de ses excédents ? Comment la France gère-t-elle son compte financier international ? Il y a une première différence qui est que les opérateurs allemands recourent moins à la dette que les français. Il y a une deuxième différence c'est que l'Allemagne augmente l'actif de bilan de ses banques quand la France privilégie la constitution d'actifs productifs à l'étranger à partir de ses entreprises. En conséquence, alors que les positions créditrices ont varié du tout au tout, les revenus nets tirés de l'étranger ont moins varié.

Un point très important est d'évaluer la solidité des actifs de l'Allemagne. La situation de passifs du pays est bonne, même si l'Allemagne attire moins de capital productif que la France en moyenne, mais qu'en est-il de la valeur de ses actifs ? Dans un contexte où la finance internationale est engluée dans des crises à répétition la question se pose évidemment. Elle est celle de la pertinence d'un choix d'accumulation financière dans un monde macro-économiquement et financièrement instable.

À cet égard, la crise grecque semble illustrer un problème fondamental de la stratégie allemande qui n'est plus seulement économique mais devient politique, évolution qui pourrait être le signal d'une réorientation plus profonde. Jusque là, il y a avait une certaine convergence autour de l'idée que la restauration de la situation financière de l'Allemagne était un objectif prioritaire. Depuis, les déconvenues financières se succèdent et le choix de faire participer les créanciers aux charges de la restructuration de la dette grecque pourrait procéder de la conscience que les contribuables allemands risquent de ne plus tolérer de contribuer à la résolution des crises liées aux risques pris par les banques avec leur épargne. Pour résumer, le sentiment se dégage que l'opération de restructuration réalisée par l'Allemagne n'a pas été mise à profit pour élever sa croissance potentielle mais plutôt la situation financière du pays. Que nous dit tout cela pour l'avenir ? Qu'est ce que la France peut attendre de l'Allemagne ?

Il y a deux scénarios allemands. Le premier défavorable, inquiétant même, est celui où la trajectoire suivie dans les années 2000 devient le modèle allemand. Dans le cadre d'une économie dont la croissance dépend des exportations, et son excédent extérieur l'Allemagne est confrontée à plusieurs défis. Ses exportations doivent augmenter beaucoup, ce qui rend sensible sa croissance à toute inflexion de la demande adressée à elle par le reste du monde comme l'a montré la crise. Dans la perspective d'une réduction de la demande adressée à l'Allemagne, notamment en raison des déséquilibres commerciaux et financiers européens, les exportations allemandes devraient moins progresser. Un chiffrage estime que l'affaiblissement durable des importations suite à la crise pourrait exercer un effet de contraction de la croissance allemande de 1,2 point de PIB par an. C'est une simple illustration, mais qui montre que si l'Allemagne voulait maintenir son modèle de croissance elle devrait gagner encore plus de parts de marché. Cela supposerait d'aggraver la modération salariale en Allemagne et d'accroitre les déficits des pays européens. La croissance européenne s'effondrerait dans une course à l'épargne qui supposerait une austérité s'aggravant progressivement.

Cet enchaînement récessif serait d'autant plus absurde que l'Allemagne ne peut pas aller au bout de la logique d'une croissance tirée par les exportations. Celle-ci commande des capacités de production dont l'Allemagne ne dispose pas nécessairement. Avec une croissance en volume de ses exportations de 8 % entre 2000 et 2007, l'Allemagne devrait connaître une croissance très supérieure à sa croissance potentielle pour suivre ce rythme. Il lui faut donc limiter le contenu en facteurs de production de ses exportations. Elle l'a fait jusqu'à présent en recourant massivement au fractionnement de ses chaînes de production. Dans ces conditions le contenu en valeur ajoutée de ses exportations est déjà plus compatible avec sa croissance potentielle. Mais cela ne suffit pas. Il lui faut aussi peser sur sa demande interne pour que celle-ci ne stimule pas son appareil productif. Elle l'a fait jusqu'alors en ne redistribuant pas les gains de productivité du travail. Ces conditions ne sont pas soutenables.

Le recours aux importations de biens intermédiaires tend à polariser l'appareil productif des pays à bas coûts en rattrapage économique au profit de la demande extérieure alors que des besoins non satisfaits dans ces pays demeurent. L'argument selon ces pays profitent des importations allemandes doit être corrigé par le fait que l'Allemagne leur retourne leurs exportations sous forme d'importations nettes ce qui déséquilibre leurs comptes extérieurs.

La logique salariale du modèle allemand, implique, quant à elle, une stagnation du revenu qui, combinée avec la hausse des profits dans la valeur ajoutée et les effets des restructurations de l'appareil productif allemand, augmente les inégalités. En bref, les salariés allemands ne profitent pas du régime de croissance du pays.

Enfin, sur le plan financier, ce régime de croissance où la priorité est donnée à l'accumulation d'excédents extérieurs sur la croissance, s'accompagne d'une explosion des positions créditrices de l'Allemagne qui n'est pas sans poser de problèmes au pays, en lien avec le fait que la solidité de la position d'actifs de l'Allemagne dépend de la qualité de ses débiteurs qui pâtit de déséquilibres auxquels l'Allemagne, sans en être l'unique responsable, contribue.

Ce scénario est clairement un scénario de très faible croissance pour l'Allemagne, pour l'Europe et pour la France. Il est aussi un scénario de risques systémiques, notamment monétaires et financiers. Il est enfin un scénario où la croissance potentielle de l'Europe non seulement n'augmente pas, mais diminue.

Le second scénario est un scénario de rééquilibrage de la croissance allemande. L'Allemagne forte du rétablissement de sa situation financière et de la restauration de sa compétitivité entre dans un cercle vertueux d'investissements d'emplois et de distribution de salaires qui augmentent la demande intérieure. Ses partenaires en profitent. Leur situation commerciale s'améliore ainsi que leur croissance et leur situation financière.

Il est difficile d'évaluer la distribution des probabilités de ces scénarios. Le second scénario repose sur des conditions qui semblent ne pas exister spontanément. La situation financière de l'Allemagne le lui permettrait, mais les conditions économiques et sociales ne sont pas aussi favorables. L'Allemagne a peu investi et ne dispose pas de réserves de productivité qui offrent de la crédibilité à ses enchainements. Le poids de son industrie est une contrainte majeure. Elle ne peut prendre le risque de l'affaiblir dans un contexte où les concurrences des émergents vont se renforcer. La segmentation du marché du travail résultant de la restructuration allemande est si nette que l'employabilité des non qualifiés est faible. Par ailleurs, les pouvoirs de négociation sont très déséquilibrés aux dépens de la très grande masse des salariés.

Les finances publiques allemandes ne sont pas nécessairement en état d'intervenir durablement en raison des perspectives démographiques et de l'affaiblissement de la base fiscale. Une franche réorientation de la composition de la croissance en Allemagne supposerait d'accorder plus d'incitations qu'aujourd'hui aux secteurs des services et c'est un processus long et difficile. Enfin, les perspectives de croissance à long terme de l'Allemagne limiteront de toute façon les effets d'une telle recomposition.

Ainsi, si à court terme, on pourrait attendre de la recomposition de la croissance allemande un gain direct de croissance de l'ordre de 0,2 à 0,3 point de PIB, il faut avoir à l'esprit que le différentiel de croissance potentielle entre la France et l'Allemagne devrait voir la perpétuation d'une France tirant la croissance allemande plutôt que l'inverse. Dans cette configuration, il ne faut pas s'attendre à ce que les déséquilibres commerciaux s'inversent, mais tout au plus se résorbent.

Seule une réorientation massive de l'équilibre allemand pourrait changer la donne. Il s'agirait de se donner les moyens d'élever franchement le potentiel de croissance. La France pourrait accompagner ce processus d'autant plus qu'elle y serait contrainte sous peine que sa compétitivité ne décroche vraiment.

M. Jean-Pierre Sueur - La structure des entreprises en Allemagne avec des PME puissantes exerce un effet de compétitivité. La France devrait entreprendre une politique permettant à ses propres PME d'atteindre une taille-critique.

Le rapport sénatorial sur la désindustrialisation a montré que, si le coût du travail n'était pas un déterminant discriminant les trajectoires de la France et de l'Allemagne, le rapport à l'entreprise pouvait différer sensiblement dans les deux pays. La formation semble jouer, en Allemagne, un rôle plus approprié à la solidité de l'industrie allemande.

L'instabilité économique dans le monde et en Europe appelle la préservation d'une solide alliance entre les deux pays. La zone euro manque d'un pilier permettant de disposer d'une politique économique commune alors que, du fait de la monnaie unique, la politique monétaire ne permet plus d'assurer les équilibres macro-économiques comme autrefois.

M. Bernard Angels - L'Allemagne dispose en effet d'un tissu de PME plus solide. On peut opposer la France des grandes entreprises à l'Allemagne de la moyenne industrie. La position de marché des grandes entreprises françaises peut être un problème parmi les très nombreuses difficultés qu'il faut résoudre pour que nos PME grandissent. Il n'est pas sûr, inversement, que les PME allemandes puissent résister à une banalisation du régime entrepreneurial en Allemagne qui paraît s'y dessiner.

Le rapport à l'entreprise est ambigu. Incontestablement, la place de l'industrie allemande a pu exercer un effet d'attractivité. Mais, les restructurations conduites dans les années 2000, qui ont plutôt préservé l'industrie, ont laissé des traces. D'un autre côté, la dureté des relations sociales monte dans les deux pays. Par ailleurs, la remise en cause des modalités particulières de la gouvernance des entreprises en Allemagne est sans doute une menace pour le maintien chez notre voisin d'un rapport particulier à l'entreprise.

La constitution d'un gouvernement économique paraît un idéal lointain dans un contexte européen marqué par un constant affaiblissement de l'esprit coopératif. Seules les crises paraissent en réveiller la flamme. Le rapport conduit à se demander si la France peut et doit compter sur une Allemagne dont les performances se distinguent de plus en plus des siennes.

Sur ce point, il sera essentiel d'observer si l'Allemagne cesse à l'avenir d'accroître ses excédents courants et de peser sur sa demande intérieure.

En outre, il faudra analyser si les orientations politiques continuent d'aller dans le sens des restructurations conduites dans les années 2000 et du renforcement de l'épargne chez notre voisin.

Il ne faut pas négliger les problèmes systémiques qu'une telle trajectoire pose et pour les partenaires de l'Allemagne et pour ce pays lui-même. Par exemple, le recours à l'industrie des pays de l'Est européen, qui est un élément important de son équilibre, peut présenter quelques limites.

M. Joël Bourdin - Le scénario tendanciel est celui de la divergence, mais dans un contexte où les fondamentaux économiques, notamment les gains de productivité, sont également faibles. C'est essentiellement par les rythmes de la demande intérieure et des exportations que les deux pays diffèrent. Cela a des incidences sur les équilibres extérieurs de chacun des pays, mais dans le contexte d'une croissance lente. Ainsi, la divergence crée des problèmes, mais n'apporte pas de solutions aux difficultés communes.

La variable démographique semble un élément crucial de l'avenir de la relation franco-allemande. Elle peut expliquer certains comportements actuels et limiter à l'avenir les chances d'un rééquilibrage commercial provenant d'un renversement du différentiel de croissance entre nos deux pays.

M. Bernard Angels - L'utilisation des marges dégagées par le régime économique allemand conduit certains observateurs à s'interroger sur l'existence d'un mercantilisme à l'allemande. Ce n'est pas la croissance qui serait l'objectif implicite des acteurs économiques, mais l'épargne nette.

Cette mécanique n'est pas sans poser des problèmes dans un monde de déséquilibres macroéconomiques et financiers. La crise grecque illustre assez ce point.

Par ailleurs, cette utilisation de l'épargne n'est pas favorable à une augmentation de la croissance potentielle. L'augmentation des inégalités est un trait commun aux pays développés confrontés à des concurrences nouvelles. L'Allemagne n'y a pas échappé. Au contraire, les inégalités y ont davantage augmenté qu'en France. Un retour à une croissance forte permettrait l'inversion de cette tendance mais il ne s'annonce pas.

M. Joël Bourdin, président - Le recours à de plus en plus de consommations intermédiaires importées traduit bien l'exposition de l'Allemagne aux contraintes de la globalisation. Il semble également marquer les limites des capacités productives du pays.

M. Bernard Angels, rapporteur - À cet égard, la France et l'Allemagne partagent des contraintes communes et, si elles y répondent différemment, c'est plus en apparence que sur le fond.

La consolidation des chiffres d'affaire réalisés par les firmes des deux pays hors de leurs frontières nationales rapprocheraient sans doute les images très contrastées qu'on se forme quand on n'observe que les exportations.

Dans les deux cas, il s'agit de redéployer les activités en fonction des avantages comparatifs, pour l'Allemagne par l'externalisation, pour la France par un niveau relatif plus élevé des investissements directs à l'étranger.

Il faudrait sortir de cette logique par le haut en développant davantage les activités sur les territoires des deux pays ce qui suppose d'y instaurer les conditions d'une plus grande confiance dans l'avenir.

La délégation a alors autorisé la publication du rapport d'information sur la prospective du couple franco-allemand.