Mardi 28 juin 2011

- Présidence de M. Claude Birraux, président -

Présentation des travaux du Haut Conseil des biotechnologies

Présentation des travaux du Haut Conseil des biotechnologies (HCB), par M. Jean-François Dhainaut, président, accompagné de Mme Christine Noiville, présidente du Comité économique, éthique et social du Haut Conseil des biotechnologies et M. Jean-Christophe Pagès, président du Comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies.

M. Claude Birraux, député, président de l'Office. - Je rappelle que M. Dhainaut vient de prendre la présidence du Haut Conseil des biotechnologies (HCB) après celle de l'AERES, où il a construit un dispositif remarquable d'évaluation.

M. Jean-François Dhainaut, président du Haut Conseil des biotechnologies. - Je vais vous présenter un rapport d'étonnement sur les deux mois de ma présence au HCB. J'aurais aimé disposer d'un tel instrument quand j'exerçais en médecine, car c'est une structure scientifique, mais qui présente la spécificité de s'interroger aussi sur les conséquences économiques et sociales de la génétique, tant humaine qu'animale ou végétale. Mettre ensemble toutes les parties prenantes était une gageure, mais le défi a été relevé malgré des conditions parfois difficiles. Le travail accompli pour éclairer le Gouvernement a été profitable : les avis et recommandations sont de qualité. Des dossiers complexes ont notamment été traités : Par exemple : Comment définir une filière « sans OGM » ? Ou encore : Comment faire coexister des types de cultures différents sur un périmètre donné, en se posant la question du périmètre concerné, mais aussi celle de son organisation sociale et juridique ? Le travail accompli m'a impressionné.

M. Jean-Christophe Pagès, président du Comité scientifique. - Le Comité a deux activités, qui ont trait, d'une part, au travail de laboratoire et, d'autre part, à la dissémination.

La part relative au travail de laboratoire est susceptible de s'accroître de façon très importante en raison de la transposition de la directive 2009/41 du 6 mai 2009 relative à l'utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés. Le Comité procède à la dématérialisation des dossiers relevant de ce domaine, afin d'en faciliter le traitement par le HCB.

Les travaux sur la dissémination portent sur l'étude des dossiers d'importation, de culture et éventuellement d'essais, ainsi que sur les saisines transversales.

Le Comité scientifique a beaucoup travaillé, ainsi que vient de le rappeler Jean-François Dhainaut, mais également, comme l'avait fait, en d'autres circonstances, votre collègue M. André Chassaigne, député, qui soulignait, alors, le besoin d'accroître éventuellement les moyens du HCB.

Nous procédons à une approche relativement en profondeur des dossiers, ce qui demande beaucoup de temps, notamment aux chargés de mission.

Ils ont d'autant plus besoin d'un soutien important que l'information du public, qui est l'une de nos missions, n'a pu être assurée jusque là conformément à nos souhaits. Cette information doit se développer au travers du site Internet du HCB et de publications. Comme le rappelle le rapport d'activité, le Comité scientifique et le Comité économique, éthique et social (CEES) ont organisé des journées d'information plutôt réservées aux membres du HCB, mais dont le contenu pourrait bénéficier à l'ensemble des citoyens, objectif que nous souhaiterions mener à bien.

En ce qui concerne l'étude en cours sur la coexistence (entre cultures OGM et non OGM), dont nous avons été saisis, elle est poursuivie par un groupe de travail. Celui-ci conduit ses travaux au-delà du temps qui lui a été imparti, car, sur une question aussi cruciale, nous ne pourrions nous permettre de rendre un rapport qui serait incomplet ou inopérant.

Comme cela a été le cas pour les filières sans OGM - mais peut-être davantage dans le cas du dossier de la coexistence - nous souhaiterions qu'un dialogue s'instaure entre le législateur, les auteurs des textes réglementaires et le HCB.

Mme Christine Noiville, présidente du Comité économique, éthique et social (CEES). - Je souhaiterais tirer profit de cet échange pour que nous nous interrogions ensemble sur la fonction et le rôle du CEES que je préside. Créé récemment, ce Comité est une institution singulière par sa composition et ses missions. Il n'est, dès lors, pas étonnant qu'il ait été très observé et qu'il ait suscité à la fois des louanges et beaucoup de critiques, y compris au sein de l'Assemblée nationale.

Aussi, m'apparaît-il utile de faire état de la façon dont le Comité est perçu de l'intérieur, et de préciser ce que l'Assemblée nationale peut en attendre légitimement.

J'évoquerai trois critiques récurrentes :

- Le débat y serait bloqué, ce qui en ferait une « pétaudière » dans laquelle les élus auraient choisi de ne plus siéger. Or, la réalité est assez différente. Un tiers des élus y siègent régulièrement. De façon générale, en moyenne 19 à 20 membres sur 27 sont présents à chaque séance plénière du CEES. Donc les débats ont bien lieu, même s'ils sont animés. Ils sont éloignés du chaos imaginé par certains.

La vivacité du débat est liée directement à la composition du CEES. J'estime qu'on a eu raison d'y faire siéger l'intégralité des parties prenantes, avec leurs points de vue extrêmement divers ; il n'est, dès lors, pas anormal que ceux-ci s'affrontent.

- Le consensus y serait rarissime, ce qui soulèverait la question de l'utilité du Comité. Or, parmi les dossiers dont nous sommes saisis, toute une série d'entre eux - dont par exemple, ceux relatifs à la thérapie génique ou aux essais de médicaments vétérinaires - donne lieu à des consensus ou à des quasi-consensus.

Même si, sur d'autres dossiers, on constate une absence de consensus, le débat est néanmoins intéressant, dans la mesure où il permet à certains points de vue d'évoluer. Ainsi, au cours des échanges concernant la définition des filières sans OGM et l'étiquetage « sans OGM », les points de vue étaient très opposés. Mais comme les recommandations finalement rendues en font foi, les parties prenantes sont parvenues, non pas à un consensus, mais à un point d'équilibre, ce qui a permis de transmettre au Gouvernement un avis à partir duquel il a pu édicter un projet de décret, qu'il a notifié à la Commission européenne.

Dans le cas des dossiers où il n'existe aucun consensus du fait de positions très opposées, le CEES - se refusant de voter - émet en effet des recommandations, qui n'orientent pas la décision publique dans une direction donnée mais rendent compte des positions, lesquelles sont restituées et passées au crible des données économiques et sociales existantes, en vue d'apprécier leur pertinence. Les différentes options, avec leurs avantages et inconvénients, sont ainsi exposées aux décideurs. Certes, le Gouvernement peut ainsi s'estimer frustré de ne pas disposer d'une solution clé en mains ; pour autant, la loi donne au CEES la compétence d'éclairer le Gouvernement sur les questions de biotechnologies, mais non pas celle de prendre les décisions à la place de ce dernier. Il s'agit pour le Gouvernement, en l'absence de consensus, d'arbitrer et, in fine, de trancher.

Là encore, il est discutable que la légitimité du CEES soit reconnue uniquement sur sa capacité à parvenir au consensus et à fournir des décisions toutes faites à l'autorité politique.

- Enfin, le HCB souffrirait d'un mélange des genres, du fait de l'existence de deux comités, puisque le Comité scientifique rend lui aussi des avis sur les impacts environnementaux et sanitaires. Or, jusqu'à présent, le Comité scientifique a été très mesuré dans l'appréciation de l'existence des risques, concluant plutôt à ce qu'ils n'étaient pas identifiés. De son côté, le Comité économique, éthique et social a rendu des avis identifiant au contraire certains risques.

Du coup, apparaît un brouillage des pistes dans l'esprit du public, qui serait défavorable à la compréhension des avantages et des inconvénients des biotechnologies.

Or, le mélange des genres n'existerait que si les deux comités intervenaient dans le même domaine, ce qui n'est pas le cas. Ils examinent certes les mêmes dossiers, mais sous des angles différents.

J'avais compris que tout l'intérêt du HCB résidait dans cette double démarche, à l'heure où les citoyens s'interrogent sur la sécurité des biotechnologies et leur impact sur la société. Mais si l'on admet que ce double regard est devenu non pertinent, il conviendrait de revenir à un pur comité scientifique en ayant toutefois conscience des avantages et des inconvénients s'attachant aux deux systèmes.

Ce sont ces points qui, sans polémique ni défensive de ma part, méritent une discussion. Notre objectif est d'accomplir notre tâche de la façon la plus adéquate possible, conformément à la loi. De ce point de vue-là, le regard de l'Office nous est très utile.

M. Claude Gatignol, député, vice-président de l'Office. - Je suis ravi d'avoir l'opportunité de participer, au nom de l'Office, aux débats du CEES. J'ai bien noté cette dualité interne de structure, justifiée par deux rôles très différents. Je ne peux que souscrire à vos observations qui renvoient aux difficultés des premiers temps de toute innovation, marquée par d'inévitables péchés de jeunesse. Il fallait arriver à trouver un mode de fonctionnement pour le CEES, dont vous avez rappelé la grande diversité. Après quelques difficultés au départ, il s'est mis en place un mode de fonctionnement plus adapté au rôle de chacun des comités. Je rappelle, qu'au tout début, ce qui a nui à l'image et à la notoriété du HCB, c'est qu'il n'y avait pas d'obligation de réserve formellement exigée, et certains membres faisaient passer des informations sur le contenu des délibérations dans le public et dans les media, en faisant état des contestations apparues au cours des débats. Cela concernait le seul comité économique, éthique et social, mais cela a affecté dès le départ l'ensemble du HCB d'une sorte de discrédit, qui ne correspondait pas à la réalité. Ce fonctionnement un peu surprenant semblait lié à une composition un peu déséquilibrée propice à des prises de position obstinément figées, quels que soient les arguments qui étaient transmis par le comité scientifique.

Je pense qu'au fil des mois et des semaines les choses se sont progressivement mises en ordre ; il y a eu prise de conscience que les avis exprimés n'interdisaient pas de rechercher ce qui était l'intérêt supérieur sur tel ou tel dossier. Lorsqu'on parle d'éthique, d'économie, d'environnement, c'est l'intérêt supérieur de la société qui est en jeu.

Je terminerai en disant que chacun a droit à la parole. Même les parlementaires ont été sollicités pour être rapporteurs, ce qui a été mon cas. Je peux donc témoigner de la réelle participation de toutes ses composantes à l'activité du Haut Comité.

M. Jean-Yves Le Déaut, député, vice-président de l'Office. - Je pense que le moment est bien venu pour prendre le recul de la réflexion sur le sujet très controversé des OGM, trois ans après la loi, et vingt-cinq ans après le début des cultures en plein champ.

Tout d'abord, je suis allé participer une journée aux travaux du Haut Comité sur le problème des semences, de la brevetabilité du vivant, des certificats d'obtention végétale, des brevets dans le domaine du vivant ; c'était une journée de travail passionnante. Contrairement à ce que certains ont dit, j'ai ainsi assisté à une réunion au cours de laquelle les échanges étaient aussi intéressants que ceux des auditions de l'Office.

Ma deuxième observation, c'est que, vu la composition du Comité, il est très difficile de réfléchir à des questions de fond. Beaucoup de gens sont prédéterminés ; quand ils arrivent aux réunions du Comité, beaucoup ont d'avance un avis.

Maintenant il reste des questions sur lesquelles il faudrait se pencher.

Ce n'est pas le tout de parvenir à des avis de consensus, des avis sur lesquels on ne peut rien dire, des avis derrière lesquels des divergences subsistent, sur les essais de thérapie génique par exemple. La recherche sur les OGM recourt depuis bien longtemps à la culture en plein champ - j'ai visité pour la première fois en 1987 entre Lyon et Grenoble une expérimentation de Rhône-Poulenc sur les tabacs génétiquement modifiés ; au bout de vingt-cinq ans, peut-on admettre d'en rester sur ce sujet avec les mêmes questionnements ? Pour les uns, les OGM, c'est dangereux et le terme même d'OGM suscite le rejet. Pour les autres, les OGM font désormais partie des produits banalisés, et on peut les utiliser, on peut en faire le commerce, et on doit même pouvoir en tirer des royalties dans le cas où l'on a été à l'origine de constructions génétiques. Ce sont ces questions-là qui devraient être abordées. Quand on voit l'histoire des OGM depuis 1991 - la transposition de la première directive européenne, puis les premières importations de soja génétiquement modifié, le premier rapport de l'Office en 1998, la première conférence des citoyens, la conférence des quatre « sages », (dont le président de l'Office), sur l'expérimentation en plein champ, la mission parlementaire de 2005, la loi de 2008, on n'a pas l'impression que la sérénité ait gagné du terrain. Pour certains, les OGM sont une arme de domination de la production agricole, via la mainmise sur la totalité des brevets sur les semences ; et cela, personne ne souhaite le voir se réaliser. Pour d'autres, toute construction génétique nouvelle est un artifice, et un artifice est contraire à la nature, et comme c'est contraire à la nature c'est mauvais. Je pense qu'il y a des mauvais mais aussi des bons OGM. Je pense que la science et la technique peuvent apporter des précisions sur les possibilités d'implantations de gènes que ne prévoit pas la nature, c'est-à-dire que la technologie peut permettre d'être plus précise que les sélections classiques, ou même les sélections assistées par ordinateurs. A ce propos, que pensez-vous des nouvelles techniques en développement aujourd'hui basées sur la cysgénèse, qui permettront sans doute d'arriver à des constructions génétiquement modifiées sans recourir à la transgénèse ?

Pour terminer, je souhaiterais qu'il y ait un avis du HCB sur les risques présentés par les constructions génétiques pour la santé. Il n'y a pas de raisons objectives qu'il y ait plus de risques en matière de santé pour une construction génétique. Ceux qui ont dit cela l'ont dit parce que c'était sans doute la meilleure manière pour faire peur sur ce sujet.

Il faut faire aussi un point sur les risques en matière d'environnement. Quels sont les véritables critères définissant l'agriculture biologique ? Les cahiers des charges, tels qu'ils sont rédigés aujourd'hui sur ces sujets, sont-ils les bons cahiers des charges ? J'ai alerté en 2003 - avec huit ans d'avance - sur les dangers de la bactérie e-coli, ce qui ne m'empêche pas de soutenir l'agriculture biologique dans ma région.

Encore deux autres questions : Qu'est-ce qui caractérise selon vous une production « sans OGM » ? Enfin, que pensez-vous des marqueurs antibiotiques ?

M. Philippe Tourtelier, député. - Je ne participe pas aux travaux du Haut Conseil des biotechnologies, donc je n'en connais que ce que j'ai pu en lire dans la presse ou ce que j'en ai pu entendre au cours des auditions. Il se trouve qu'avec Alain Gest, nous avons fait un rapport sur le principe de précaution et que nous avons auditionné le HCB à cette occasion. On s'est interrogé pour voir comment, ce qui était un progrès à l'époque par rapport à un unique comité scientifique, n'est pas allé un peu trop loin et n'explique pas aujourd'hui une partie des dysfonctionnements structurels du Haut Conseil. L'hypothèse que l'on fait, c'est que, dans cette architecture organisationnelle, ce qui fait problème, ce n'est pas du tout qu'il y ait deux comités, au contraire, mais c'est que l'on mélange l'expertise avec la représentation de la société civile. Or dans le cadre de notre étude sur le principe de précaution, nous avons estimé que, s'il y avait bien quelque chose à réhabiliter, c'était l'expertise. Nous avons donc préconisé de bien séparer l'expertise, avec ses deux volets, scientifique, d'un côté, et économique, social, environnemental... (c'est-à-dire une expertise en sciences humaines), de l'autre, de la partie débat public. A partir du moment où des personnes arrivent au sein du comité comme représentants d'un organisme, elles ont forcément une position prédéterminée, et je trouve que vous avez d'ailleurs bien su gérer cette difficulté par rapport aux sujets que vous avez traités. Mais nous avons vraiment pensé que, si on ne sépare pas très précisément la partie expertise de la partie consultation du public, représenté de différente manières, y compris les organisations, on restera dans un flou qui sera préjudiciable à la fois à la réhabilitation de l'expertise et à la crédibilité de l'avis qui est rendu.

M. Claude Birraux, député, président de l'Office. - Je vais peut-être compléter la question de M. Philippe Tourtelier : l'objectif n'était-il pas en fait, sur certains sujets au moins, de trouver un consensus minimum sur ce qui est acquis, qui recueille un accord général, pour aller plus loin dans la discussion, ce qui permet plus facilement de quitter la posture pour venir sur une discussion plus ouverte. Parce que finalement, si les débats se bloquent sur une opposition très ferme, on finit par demander au Gouvernement de prendre ses responsabilités, et cela ne l'aide pas beaucoup.

L'exemple de la vigne en Alsace montre d'ailleurs que, même dans un cas où tout le monde s'était dit d'accord, cela n'a pas empêché certains de venir détruire l'essai qui avait respecté toutes les prescriptions, était connu de tout le monde, était déclaré et avait recueilli l'assentiment de tous.

M. Jean-Christophe Pagès. - Lorsqu'il s'agit d'évaluer les risques environnementaux, l'impossibilité de conduire des essais en champ en France est regrettée par les scientifiques. Le problème du transfert de gènes de résistance aux antibiotiques de la plante vers les bactéries du sol est à cet égard intéressant. Des études de génomique ont montré qu'il n'y avait pas de risque. Pour autant, on a besoin d'essais en champ en France. C'est indispensable, car les essais conduits dans des espaces protégés le sont dans un contexte nécessairement spécifique, qui biaise l'appréciation d'une éventuelle dangerosité.

Le Comité scientifique ne produit pas d'analyse bénéfice/risque. Il dispose cependant de données factuelles et scientifiques colligées selon une méthodologie permettant d'expliquer quels sont les bénéfices agronomiques, notamment dans le cas du maïs BT ; le comité peut ainsi mettre en garde contre des pratiques qui ne seraient pas adaptées avec le type de plante concerné.

Les biotechnologies émergentes seront sujettes potentiellement au même souci d'acceptabilité que les OGM, si on ne prend garde de mieux les faire connaître. Le HCB s'efforce de contribuer à cet effort d'explication à travers son site Internet. Il s'agit d'informer sur la diversité des techniques concernées et sur leur but. On peut ainsi montrer que le ciblage de l'intégration d'un transgène existe déjà, et que la mutagenèse dirigée révolutionnera la sélection. C'est une des missions du HCB de faire oeuvre de pédagogie.

L'évaluation des risques s'alimente des observations faites sur la santé humaine et animale, de l'analyse de l'impact des différentes pratiques agronomiques sur l'environnement.

S'agissant du mélange des genres créé par la coexistence des deux comités actuels, on pourrait imaginer de le surmonter par la création d'un troisième comité : deux comités d'experts et un comité plus représentatif de la société.

M. Philippe Tourtelier, député. - C'est une piste pertinente, qui a déjà fait l'objet de réflexions.

Mme Christine Noiville. - S'agissant des péchés de jeunesse, qui résulteraient essentiellement de problèmes de communication, M. Gatignol a raison. Pour les deux premiers avis, il était difficile de faire comprendre qu'en dépit de l'unité de la structure, il y avait deux comités qui se prononçaient sur des point différents. Le public s'engouffrait dans les désaccords, générant des difficultés de compréhension peu acceptables.

S'agissant d'un éventuel déséquilibre de la composition du CEES qui n'apparaissait pas évident au premier abord, mais qui s'est révélé tel à l'expérience, il m'appartient, en tout état de cause, de faire en sorte qu'il n'empêche pas que les débats aient lieu. Si la composition du CEES doit évoluer, ce n'est pas le HCB qui peut le décider. Quoi qu'il en soit, il faut communiquer, il faut sortir du débat entre pro et anti OGM, dépasser les postures, pour faire avancer les choses ; il faut analyser au cas par cas à travers des dossiers concrets pour trouver des points de convergence acceptables, ce qui exige du temps. Croire qu'on pourrait, au terme du débat, mettre tout le monde d'accord, est illusoire, ne serait-ce qu'en raison des oppositions de principe.

L'affaire des vignes d'Alsace a été très préjudiciable au fonctionnement du HCB, mais l'arrachage des vignes ne doit pas empêcher la poursuite de la discussion au HCB, il convient de continuer à débattre parallèlement à ces actions. Mieux vaut séparer les deux choses, comme l'enseigne l'expérience des négociations.

Le mélange des genres a été critiqué par M. Tourtelier, mais les parties prenantes ont une expertise de terrain utile dont on ne doit pas se priver. Un comité d'expert trop classique poserait plus de problèmes qu'il n'en résoudrait.

Il serait utile d'établir une coopération entre l'Office et le HCB en vue d'un travail conjoint, par exemple sur les biotechnologies appliquées à l'environnement. Ce serait l'occasion de sortir du débat usé sur les OGM d'aujourd'hui pour analyser les apports des OGM de demain.

M. Jean-François Dhainaut. - Le Haut Conseil a pour fonction de travailler sur des biotechnologies dont le champ est de plus en plus extensible. Il s'attend à des avancées importantes sur la thérapie génique ou la thérapie cellulaire. Son Comité économique, éthique et social prépare l'arrivée de nouvelles formes d'agriculture et la coexistence de celles-ci avec l'agriculture traditionnelle, en vue de préserver tout à la fois la biodiversité et la sécurité, et c'est l'intérêt de la France. Le HCB joue un rôle important d'interface avec le niveau européen : il répond aux demandes de l'Europe sur l'établissement de lignes directrices ; il évalue la manière dont ses homologues des autres pays membres travaillent. Il remplit cette mission dans un contexte où les règles encadrant les OGM sont largement définies au niveau européen.

Par ailleurs, le Haut Conseil ne se limite pas aux sciences dures et aux sciences de la vie, mais mène la nécessaire réflexion sociale et économique qui doit compléter les avancées de celles-ci. Je retiens l'idée de constituer des groupes de travail avec des experts d'horizons différents. S'il n'est pas armé pour faire de la communication grand public, le HCB peut s'attacher à valoriser ce qui a été fait, par des résumés et des brochures. Il est ouvert à toute coopération avec l'Office.

M. Claude Birraux, député, président de l'Office. - La place des sciences humaines et sociales (SHS) est fondamentale. Les auditions de l'Office sur les alliances ont montré l'enthousiasme de ces structures, mais aussi que l'alliance sur les SHS (Athena) se cherche, notamment parce que son champ d'action interfère avec celui de toutes les autres alliances. Les SHS ont leur spécificité et leur rôle auprès des autres sciences. Il faut en prendre conscience.

M. Jean-François Dhainaut. - Le travail sur la transdisciplinarité est en effet important, ce qu'a bien compris l'AERES.

Présentation des conclusions de l'audition publique sur « les sauts technologiques en médecine »

Présentation des conclusions de l'audition publique sur « les sauts technologiques en médecine », par M. Claude Birraux, député, président de l'Office.

M. Claude Birraux, député, président de l'Office. - L'audition publique sur les sauts technologiques en médecine, qui s'est tenue le 27 janvier 2011, a été suggérée à l'Office par le professeur Jean-Michel Dubernard.

Elle s'est proposée d'analyser, à partir de différents exemples, les causes qui sont à l'origine des réussites et des échecs de certains sauts technologiques en médecine.

La France dispose d'excellentes équipes de chercheurs. Toutefois - hormis l'exception remarquable du professeur Alain Carpentier qui a bénéficié, pour la mise au point du coeur artificiel, d'une relation privilégiée avec Jean-Luc Lagardère - de nombreux projets de recherche ont été ralentis ou n'ont pu aboutir, du fait de certains freins.

Pour surmonter ces derniers, des mesures ont été souhaitées, qui touchent au cadre législatif, aux institutions et au comportement des acteurs.

S'agissant tout d'abord du cadre législatif, il m'apparaît que la concrétisation de certaines des préconisations concernant le droit français et la législation communautaire se heurtent à de sérieuses objections.

Il en est ainsi de la proposition visant à l'abrogation du régime d'interdiction des recherches sur les cellules souches embryonnaires, qui a été regardé comme un frein aux recherches, en matière de thérapie cellulaire et de vitrification ovocytaire.

Les deux Assemblées n'ont toutefois pas souhaité revenir sur le principe de l'interdiction au cours de la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique, qui a finalement maintenu le principe d'interdiction avec dérogations, même si la vitrification ovocytaire a été formellement autorisée.

Un second exemple de frein de nature législative aux recherches menées en thérapie génique est imputable non pas au droit français mais au droit communautaire.

Comme le professeur Jean-Michel Dubernard, il ne m'apparaît pas non plus logique d'assujettir la thérapie génique au régime du médicament. Pour autant, il y a lieu de craindre qu'une réforme ne puisse intervenir dans l'immédiat. Car, ainsi que l'a rappelé M. Jean Marimbert, alors directeur général de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), cette situation découle du règlement communautaire du 13 novembre 2007 sur les thérapies innovantes. Ce texte prévoit une procédure d'autorisation unique dans l'ensemble de l'Union européenne et assimile la thérapie cellulaire à la mise au point d'un médicament. Or, ce faisant, le règlement est allé à l'encontre du régime appliqué en France à la thérapie cellulaire dès 1996-1997, lequel n'était pas exactement calqué sur le régime du médicament.

Une réflexion sur ces dysfonctionnements serait souhaitable, tout comme sur la disparité des pratiques en matière de thérapie cellulaire, relevée par M. Philippe Menasché, directeur de l'unité « Thérapie cellulaire en pathologie cardio-vasculaire » à l'hôpital européen Georges-Pompidou. Car, même si l'EMA (Agence européenne du médicament) tente de les uniformiser, les contraintes demeurent différentes selon les Etats membres, ce qui n'est pas de nature à faciliter les essais multicentriques.

Si l'Europe peut apparaître comme un frein aux sauts technologiques, elle n'en constitue pas moins également un niveau pertinent de réformes. Ainsi serait-il utile, comme l'ont proposé les professeurs Jean-Michel Dubernard et Laurent Degos, ancien président de la Haute Autorité de santé, d'envisager la mise en place d'une instance européenne pour les dispositifs coûteux. On peut, en effet, regretter que, pour ces dispositifs tels que les implants rétiniens, l'Allemagne et la France aient procédé à des essais cliniques sans aucune coopération.

De même, serait-il judicieux de prendre en considération l'idée d'instaurer une procédure européenne d'évaluation formulée par le professeur Pierre Tiberghien, directeur général délégué à l'EFS. Il s'agirait de veiller à la qualité de l'évaluation par les structures telles que l'AFSSAPS en charge d'autoriser les recherches. Une telle mesure permettrait de réduire les conflits d'intérêts et de garantir une expertise plus pointue.

Au plan institutionnel, j'abonde dans le sens de plusieurs intervenants qui ont déploré le « millefeuille administratif », le maquis de procédures ou encore le parcours du combattant auxquels les chercheurs sont confrontés pour faire aboutir leurs projets. Découragés par une telle situation, certains d'entre eux ont même choisi de s'expatrier.

C'est pourquoi, il m'apparaîtrait nécessaire de se pencher sur deux propositions :

- la première revisiterait la piste déjà explorée du regroupement d'organismes concernés, comme le Comité national consultatif d'éthique, l'Agence de la biomédecine, l'AFSSAPS, laquelle se trouve justement en cours de restructuration, suite à l'affaire du Médiator ;

- la deuxième consisterait à instituer une procédure de guichet unique, distinct des organes de régulation, pour les innovations dans le domaine de la santé.

La réussite ou l'échec d'un saut technologique tient aussi au comportement des acteurs.

J'ai ainsi pu déplorer dans mon allocution d'ouverture que la médecine de la France souffrait de son caractère administré, ayant fait état des difficultés administratives rencontrées par le professeur Ugo Amaldi, pour développer l'hadronthérapie en France et qui l'ont conduit à retourner dans son pays natal.

A ces difficultés administratives s'ajoute la frilosité des industriels qui, du fait de leur soutien mesuré ou de l'absence de soutien de leur part, ont freiné des projets de recherche ou en ont empêché le développement.

Or, il m'apparaît urgent que les différents acteurs se départissent de tels comportements, afin d'éviter que les atouts réels dont dispose la France ne soient durablement compromis. A cet égard, j'approuve sans réserve les observations de M. Elias Zehrouni, professeur au Collège de France.

Il a souligné fort opportunément que le besoin d'innovation, qui peut s'analyser comme un facteur négatif en termes de coûts mais positif sur le plan des soins, impose de redéfinir le rapport entre la valeur médicale relative d'une innovation, d'une part, et d'autre part, ses risques, ses bénéfices et ses coûts.

Dans la même perspective, il serait souhaitable que soit entendu l'appel lancé par le professeur Alain Carpentier aux médecins - souvent taxés, selon lui, d'être dépensiers - par lequel il les exhorte à intégrer dans leur réflexion les conditions économiques et sociales de leurs réalisations.

Il n'était pas sans intérêt d'organiser cette audition publique, d'autant que plusieurs thèmes qui y ont été abordés rejoignent ceux de l'étude menée par Jean-Yves Le Déaut et moi-même sur l'innovation à l'épreuve des peurs et des risques majeurs.

Présentation d'un rapport d'étape de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE)

M. Claude Birraux, député, président de l'Office. - Mesdames et messieurs les membres de la CNE, messieurs les présidents Jean-Claude Duplessy et Bernard Tissot, je tiens d'abord à vous remercier très sincèrement de votre participation à cette présentation du rapport annuel de la CNE à l'Office.

Je voudrais rappeler, en introduction, que la CNE a été instituée par la loi du 30 décembre 1991, relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs. Dès sa création, la CNE s'est vu attribuer un rôle crucial, puisqu'elle était chargée d'évaluer l'avancement des trois axes de recherches définis sur la gestion des déchets radioactifs à haute activité et à vie longue.

C'est sur la base de cette évaluation que le Parlement a ensuite décidé de poursuivre ces trois axes de recherches, en prévoyant un calendrier précis, dans le cadre de la loi du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, dont j'ai été le rapporteur.

Cette nouvelle loi a confirmé et étendu le rôle de la CNE tout en renforçant le rôle de l'Office dans la nomination de ses membres. Elle a également institué l'actualisation trisannuelle du Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR) évalué par l'Office. A ce sujet, je voudrais rappeler qu'au mois de janvier dernier, avec Christian Bataille, nous avons publié le rapport d'évaluation du dernier PNGMDR que nous avons intitulé : «Déchets nucléaires: se méfier du paradoxe de la tranquillité».

Le rapport que vous allez nous présenter aujourd'hui constitue un rapport d'étape, puisque vous aurez besoin d'évaluer les modifications apportées par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) au projet de stockage géologique profond. Nous serons donc amenés à nous revoir à la fin de cette année après la publication de votre rapport définitif. Néanmoins, je suis tout à fait certain que ce rapport d'étape sera déjà très riche d'enseignements sur l'avancement des recherches sur la gestion des déchets radioactifs.

Je laisse donc à présent la parole à M. Jean-Claude Duplessy, président de la CNE.

M. Jean-Claude Duplessy, président de la Commission nationale d'évaluation, membre de l'Académie des sciences, directeur de recherche émérite au CNRS. - Tout d'abord, je tenais à vous dire combien la Commission est sensible à l'intérêt de l'Office et à son soutien.

Au cours de l'année 2011, nous avons appris par le rapport de l'Office sur les déchets radioactifs l'existence d'un projet alternatif de stockage proposé par les producteurs ; nous n'avions eu aucune information officielle de la part des producteurs. Par la suite, à plusieurs reprises, la Commission a demandé que lui soient transmises les informations sur ce projet alternatif, et l'analyse que l'ANDRA en faisait. Aucun dossier ne lui a été transmis avant son séminaire de rédaction (16-20 mai 2011).

La Commission n'a pas non plus reçu d'informations actualisées sur le coût du projet de stockage. Nous sommes donc amenés à regretter l'opacité qui entoure ces sujets.

Nous observons avec inquiétude le risque d'une possible remise en cause, à dix-huit mois du dépôt de dossier pour le débat public (fin 2012), d'un projet basé sur plus de dix années d'études et proposant un certain équilibre entre préoccupations de coût et de sûreté.

La Commission remettra en fin d'année 2011 son rapport définitif, après avoir intégré les informations qu'elle a demandées. Nous avons reçu récemment l'ensemble des dossiers : le contre-projet des producteurs et le rapport d'examen du projet Cigeo (Centre industriel de stockage géologique). De plus, l'ANDRA communiquera les exigences relatives au projet qu'elle pilote. Aujourd'hui, nous ne pouvons présenter qu'un rapport d'étape.

Selon la loi, la gestion à long terme des déchets de moyenne et haute activité et à vie longue (MAVL et HAVL) comporte deux aspects qui ne s'excluent pas :

1. la séparation-transmutation des actinides présents dans le combustible usé des réacteurs nucléaires ;

2. le stockage géologique réversible des déchets HAVL et MAVL.

Par ailleurs, en excluant des déchets le plutonium et certains actinides mineurs, en particulier l'américium, la puissance thermique des déchets à stocker deviendrait beaucoup plus faible après environ un siècle d'entreposage. Cette réduction de la puissance thermique aurait un impact sur l'emprise du stockage. En revanche, en ce qui concerne le curium, la situation est beaucoup plus complexe.

Je vais maintenant passer la parole à Maurice Leroy pour la partie séparation-transmutation et filières de quatrième génération.

M. Maurice Leroy, vice-président de la Commission nationale d'évaluation, président de la Fédération française pour les sciences de la chimie (FFC), professeur émérite à l'Université de Strasbourg. - Je dois tout d'abord signaler que l'ensemble des études sur la séparation-transmutation sont conduites en relation avec celles menées pour la conception du prototype Astrid. Or, la poursuite des études sur la transmutation est largement handicapée, en France, par l'absence d'un réacteur à neutrons rapides.

La faisabilité scientifique et technique de la séparation des divers actinides est maintenant démontrée. Le prototype de réacteur à neutrons rapides, Astrid, à condition d'être associé à un pilote de retraitement, permettra d'établir la faisabilité industrielle du multirecyclage du plutonium.

Il faut souligner que la faisabilité industrielle du multirecyclage du plutonium conditionne le développement d'un parc de réacteurs à neutrons rapides (RNR).

Différents procédés de séparation ont été conçus et expérimentés par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) sur des solutions réelles d'actinides, ce qui fait que la France est sans doute le pays le plus avancé dans ce domaine.

La transmutation des actinides est envisageable, avec un parc de RNR électrogènes ou avec des réacteurs RNR sous-critiques pilotés par accélérateur (ADS), encore à l'étude.

A terme, vers 2150, en condition d'équilibre, on peut distinguer trois hypothèses de parcs permettant de produire 430 TWh électriques par an : un parc de réacteurs à eau pressurisée (REP) ayant accumulé historiquement 1 900 tonnes de plutonium ; un parc REP-MOX ayant accumulé seulement 1 300 tonnes de plutonium ; et un parc RNR utilisant 900 tonnes de plutonium par an intégralement recyclé, avec une consommation de 50 tonnes d'uranium appauvri, ainsi que de 2 tonnes d'actinides mineurs. Dans ce dernier cas, il n'y a plus besoin de la ressource minière, puisque le stock d'uranium appauvri en tient lieu.

Deux critères sont intéressants à étudier pour évaluer l'intérêt d'une transmutation préalable au stockage des déchets :

· la radiotoxicité des déchets ;

· l'emprise du stockage.

Sauf à éliminer la totalité des actinides (plutonium compris), le gain sur la radiotoxicité reste modeste. En revanche, si l'on enlève l'américium des déchets, l'emprise du stockage est sensiblement diminuée, et les volumes excavés fortement réduits eu égard à sa moindre émissivité thermique.

En conclusion, la séparation-transmutation n'a de sens qu'appliquée d'abord au plutonium, qui représente (90 % des actinides), avec la mise en oeuvre de RNR électrogènes.

La séparation-transmutation des actinides mineurs est scientifiquement possible. Il sera néanmoins absolument nécessaire de disposer d'Astrid, pour valider les résultats scientifiques.

Enfin, le programme scientifique, dont Astrid sera l'outil principal, devra comporter un volet important de recherche, notamment sur la sûreté. L'effort de recherche doit être soutenu si l'on veut que la France conserve son avance dans le domaine de la transmutation des actinides à l'aide des RNR.

M. Jean Claude Duplessy. - Emmanuel Ledoux va poursuivre avec la question de la géologie et du stockage souterrain.

M. Emmanuel Ledoux, vice-président de la Commission nationale d'évaluation, directeur de recherche à l'Ecole des mines de Paris. - En ce qui concerne le stockage souterrain, aux difficultés près que le président Duplessy a évoqué au début de son intervention, nous avons procédé aux évaluations des nouveautés qui nous ont été présentées par l'ANDRA.

L'ANDRA dispose d'une excellente vision de la zone de transposition (zone étudiée en Meuse et Haute-Marne). L'observatoire de l'environnement est un outil remarquable. Les expériences en laboratoire souterrain menées par l'ANDRA contribuent efficacement aux recherches. Néanmoins, la CNE a souligné que les résultats de ces expériences doivent être mieux intégrés pour faire progresser la modélisation.

Malgré tout, des incertitudes subsistent sur :

· l'inventaire (non pas sur la nature des déchets, mais sur les quantités liées aux différentes natures) ;

· la nature et la localisation des installations de surface, en relation avec les contraintes géotechniques ;

· la chaîne de traçabilité et de responsabilité des différents acteurs dans la manipulation des colis ;

· l'estimation, qui demeure opaque, des coûts ; une préoccupation qui doit rester subordonnée à celles de la sûreté et de la fiabilité de l'ouvrage de stockage.

Nos préoccupations concernent, d'une part, la conception du stockage qui est évidemment cruciale pour la sûreté à long terme et en exploitation ; nous nous demandons si elle pourrait être remise en question par le projet alternatif des producteurs ; d'autre part, les concepts de scellements qui font, semble-t-il, l'objet d'une révision complète par l'ANDRA ; or, cette révision complète implique donc que ces aspects sont encore peu testés dans le laboratoire souterrain.

La conséquence de ces observations est le dégagement d'un certain nombre d'impératifs au sujet de la DAC (demande d'autorisation de création), car celle-ci devra contenir des éléments suffisants de preuve de faisabilité des options essentielles pour la sûreté. L'ANDRA doit donner une très haute priorité à ce sujet.

Concernant l'incertitude sur l'architecture du stockage, ouverte par le projet des producteurs, la Commission s'est inquiétée fortement de ce que, dix-huit mois avant le début du débat public, le concept de stockage réversible puisse être profondément modifié en ne laissant qu'un délai minime pour les études complémentaires qu'il pourrait nécessiter. Elle restera donc vigilante.

La Commission a signalé dans ce rapport qu'elle partage l'appréciation de l'Office : c'est à l'ANDRA « de concevoir, d'implanter, de réaliser et d'assurer la gestion ... des centres de stockage des déchets radioactifs » ; la démarche des producteurs semble « avant tout motivée par l'annonce, par l'ANDRA, d'un accroissement conséquent de son estimation du coût du projet de stockage géologique profond ».

Enfin, la réversibilité est une demande sociétale qui est inscrite dans la loi, mais en cas de conflit, la Commission rappelle qu'elle considère que la sûreté doit prendre le pas sur la réversibilité.

M. Jean Claude Duplessy. - Je vais terminer cette présentation par un mot sur le panorama international.

Tout d'abord, l'impact de Fukushima n'est pas encore bien connu et ne concernera qu'indirectement les programmes de gestion des déchets.

A l'heure actuelle, trois pays prévoient l'ouverture d'un stockage géologique profond : la Finlande, la France et la Suède.

En mars 2011, la Suède a déposé son dossier DAC. C'est le premier pays à avoir franchi cette étape. A l'inverse, aux Etats-Unis, Yucca Mountain est arrêté ; une Blue Ribbon Commission a été mise en place pour préconiser des solutions à long terme, néanmoins rien de concret n'est à attendre avant longtemps.

La Commission juge favorablement l'ancrage international d'une bonne partie des recherches effectuées par l'ANDRA et le CEA ; elle apprécie l'attention donnée à cette dimension lors des auditions.

En conclusion, dans le contexte actuel, on peut insister sur trois points :

L'importance du succès des trois projets de stockage quasi en phase, Finlande, France et Suède, qui aurait vertu d'exemple ; l'importance des questions de sûreté et de gestion durable des matières et des déchets radioactifs, à l'heure où la question de la poursuite du nucléaire électrogène est posée ; l'urgence de disposer en France d'un prototype de quatrième génération pour réaliser toute la R&D nécessaire au multirecyclage avec comme enjeux, la durabilité de la ressource, et l'optimisation de la gestion des déchets.

M. Claude Birraux, député, président de l'Office. - Je suis certain que mes collègues s'associeront à moi pour remercier et féliciter les membres de la CNE pour le travail considérable que la Commission accomplit tous les ans. Ce constat de dynamisme s'avère d'autant plus réconfortant pour l'Office que la CNE a été créée par la loi Bataille de 1991, puis renforcée par la loi de 2006 dont j'étais le rapporteur. Nous avons d'ailleurs trouvé l'expérience de la CNE à ce point probante, que cette dernière loi institue une CNE financière - la CNEF - pour l'évaluation des coûts du stockage des déchets et du démantèlement des installations, des provisions et des actifs dédiés des producteurs de déchets. Malheureusement, pour des questions d'arguties infondées en droit, la CNEF ne s'est réunie pour la première fois qu'au début de ce mois, soit cinq ans après sa création.

Je voudrais d'abord faire quelques remarques concernant le stockage géologique profond. J'ai présidé, fin 2010, la conférence organisée par l'Agence pour l'énergie à Reims sur la réversibilité et la récupérabilité. Les représentants des pays participants ont pris des positions intéressantes et diversifiées sur ces deux concepts. S'ils ne se sont pas exprimés, les producteurs se plaignaient déjà, dans les couloirs, des coûts associés. S'agissant de la France, si je veux bien admettre une phase d'optimisation entre l'ANDRA et les producteurs, je rappelle qu'in fine l'Autorité de sûreté nucléaire demeure seule juge et arbitre des conditions de sûreté, et qu'il lui reviendra d'accepter ou de refuser le projet de stockage proposé.

Concernant les perspectives internationales, je voudrais souligner plusieurs points importants. En premier lieu, sur les réacteurs de quatrième génération, le protocole d'accord signé par le CEA et Rosatom. Je ne vois d'ailleurs aucun autre pays avec lequel nous pourrions coopérer sur les réacteurs rapides. En deuxième lieu, l'absence de visibilité sur les projets aux Etats-Unis, ce malgré ma rencontre, pas plus tard qu'hier soir, avec une délégation de la commission parlementaire américaine « Blue Ribbon », chargée d'étudier le problème du stockage des déchets radioactifs. En troisième lieu, le projet de réacteur rapide refroidi au plomb - et non plus piloté par accélérateur - étudié par l'université suédoise KTH. En quatrième lieu, le projet de réacteur plomb-bismuth Myrrha développé en Belgique.

M. Christian Bataille, député. - Je tiens d'abord à souligner le plaisir d'entendre des scientifiques très compétents évoquer avec clarté des questions de société. Une presse mal informée aurait tout à gagner à prendre connaissance des travaux de la CNE. Beaucoup d'incompréhensions résultent, en effet, d'une diffusion insuffisante de l'information scientifique dans le public. Malgré une matière aride, vous présentez votre rapport de façon presque accessible à tout un chacun. D'autre part, puisqu'avec Claude Birraux nous avons publié, en janvier dernier, un rapport d'évaluation du PNGMDR qui a provoqué quelques remous, je voudrais revenir sur ce que je ne parviens pas à appeler autrement que le projet de « laboratoire privé » des producteurs de déchets. Il nous revient, en tant que parlementaires, de demander le respect de la loi : la mission de conception du laboratoire sous-terrain revient à l'ANDRA ; c'est une garantie de fiabilité. En France, tout comme la sûreté nucléaire relève d'une autorité publique indépendante, il est réconfortant de savoir qu'un organisme public, l'ANDRA, se trouve chargé de la gestion des déchets. Si celle-ci dépendait des producteurs, elle serait assurée dans un esprit de mauvaise économie et de rentabilité contraire à la sécurité et à la sûreté. En revanche, il me semble indispensable que l'ANDRA améliore son dialogue avec les producteurs de déchets. Peut-être des incompréhensions existent-elles de part et d'autre. Je veux aussi redire aux membres de la CNE notre attachement au respect de la loi pour le stockage sous-terrain, surtout pour la tenue du calendrier. A cet égard, j'ai noté l'inquiétude de la CNE vis-à-vis du respect de la prochaine échéance, dans dix-huit mois, le projet n'étant pas encore finalisé.

Sur la séparation-transmutation, la décision d'arrêt de Super-Phénix conduit aujourd'hui à priver les scientifiques français et européens d'un outil indispensable à la recherche sur les réacteurs de quatrième génération. En effet, aucun autre pays dans le monde ne dispose d'un tel réacteur de recherche, celui du Japon semblant définitivement à l'arrêt et la situation en Russie étant équivalente. Aussi, j'estime que la France doit reprendre l'initiative en ce domaine.

S'il est vrai que les Américains ont, depuis 2003, prolongé la durée de vie de plusieurs centrales nucléaires, ils ont abandonné beaucoup d'autres sujets, y compris celui du stockage de leurs déchets radioactifs. Ainsi, la première puissance nucléaire au monde se trouve sans solution pour l'aval du cycle. En France, il y a vingt ans, le Parlement a parfaitement joué son rôle. A présent, il faut respecter le calendrier fixé par la loi. Il ne faut pas en rester à un laboratoire dans la Meuse en raison des atermoiements nés de l'esprit de limitation des dépenses d'EDF. Le désastre de Fukushima aura au moins permis de mettre fin aux projets de stockage « low cost » et de réacteurs « low cost ».

En conclusion, je vous renouvelle mes remerciements pour votre travail qui mériterait d'être diffusé au-delà des cercles d'initiés pour éclairer l'opinion qui a besoin d'information objective.

M. Philippe Tourtelier, député. - Je partage cette proposition d'une meilleure information du public sur les travaux de votre Commission. Comme vous l'avez indiqué, la décision de développer les réacteurs de quatrième génération nous engage sur deux siècles. Dans l'hypothèse d'une décision de sortie du nucléaire, le plutonium deviendrait alors un déchet. En avez-vous envisagé les conséquences ? Aurez-vous davantage d'informations dans votre rapport final de décembre ?

M. Christian Paul, député. - Je m'associe aux remarques précédentes. La catastrophe de Fukushima a remis au premier plan la sécurité et montré la nécessité d'un débat, non seulement sur la question du nucléaire mais, plus généralement, de l'énergie. Quel type d'énergie voulons-nous ? Quel mix énergétique voulons-nous ? Il s'agit d'un choix de société. Derrière ces questions, il y a aussi celle des coûts : celui du stockage des déchets, celui des réacteurs de quatrième génération mais aussi le coût d'accès à l'électricité pour nos concitoyens et notre économie. Le débat doit avoir lieu. Sur ce plan, la CNE ainsi que d'autres acteurs ont un rôle à jouer. Il faut que l'ASN, le Parlement parviennent à redonner une place à l'information scientifique, sinon la place sera laissé à l'irrationnel. Faute d'avoir pris en compte un certain nombre de problèmes, des questions légitimes se posent. Ma deuxième remarque rejoint celle de Philippe Tourtelier. Même si la qualité et la disponibilité de l'énergie n'ont pas de prix, elles ont un coût. La CNEF a un rôle à jouer pour tordre le coup à un certain nombre d'illusions, comme l'idée que l'électricité pourrait être gratuite, ou qu'au contraire elle serait trop peu chère aujourd'hui et doit donc augmenter de façon à réduire la consommation. La CNE a-t-elle, même si ce n'est pas sa vocation première, quelques idées à ce sujet en attendant que la CNEF commence ses travaux ?

M. Jean-Claude Duplessy. - Faute d'être omniscient, je vais réagir avant de passer la parole à mes collègues. Concernant le colloque de Reims, j'estime qu'il constitue un succès illustrant le rôle majeur, souligné dans notre rapport, de l'ANDRA au plan international. Sur la réversibilité et la récupérabilité, nous sommes conscients de la nécessité de clarifier ces questions, comme l'a mis en évidence notre collègue, Jean Baechler, président de l'Académie des sciences morales et politiques. Notre rapport comporte un développement à ce sujet. Le public risque de perdre confiance s'il ne comprend pas le langage employé. Ce problème a été confirmé lors des présentations de nos travaux aux CLI.

M. Claude Birraux, député, président de l'Office. - A Reims, j'ai eu le sentiment que le vocabulaire commençait à se préciser. Il me semble que les Suédois parlent de réversibilité tant que le site est ouvert et de récupérabilité après sa fermeture. La récupérabilité consiste alors à surveiller à distance afin de définir comment intervenir sur un colis défectueux. Personnellement, j'évite de m'exprimer sur ces questions afin que, lors du débat programmé en 2015, les parlementaires puissent avoir un choix. La science doit proposer des choix au Parlement.

M. Jean-Claude Duplessy. - Je suis très sensible au soutien exprimé par M. Bataille. Comme lui, nous sommes préoccupés par le problème de diffusion de l'information scientifique. Sur ce plan, en se dotant d'un site Internet, la CNE a fait un petit pas en avant. Notre rapport définitif sera disponible sur ce site, nos autres rapports le sont déjà. Nous avons par ailleurs fait un effort pour que notre rapport soit lisible par tous, j'espère que ce sera réussi.

Mais il aussi souligner que de moins en moins de scientifiques s'intéressent à la physique nucléaire. Par exemple, en Allemagne, suite à l'annonce de la sortie du nucléaire, les éléments les plus brillants estiment que ce n'est pas une voie d'avenir. De même, si nous attirons votre attention sur la nécessité de disposer d'un modèle de réacteur à neutrons rapides, c'est aussi qu'avec l'arrêt du réacteur Phénix, existe un risque réel de perte de notre corpus de connaissances scientifiques accumulées par les chercheurs et ingénieurs qui vont partir en retraite. C'est un problème sérieux. Il obligera à reformer une génération de chercheurs qui aura perdu toutes les compétences acquises par leurs prédécesseurs. Nous avons interrogé à ce sujet le CEA. Celui-ci estime qu'un retard dans le calendrier du réacteur Astrid conduira inévitablement à une perte de compétences, en raison de l'impossibilité d'établir un biseau entre les partants et les arrivants.

Par ailleurs, sur la prise en compte d'un arrêt du nucléaire, je voudrais préciser que nous avons prévu en 2012 des auditions sur ce thème, notre prochain rapport pourra ainsi traiter de ce sujet sur des bases solides.

Enfin, je n'épiloguerai pas sur le projet de stockage géologique profond. Mais nous avons regretté d'être mis à l'écart de toutes les discussions entre l'ANDRA et les producteurs, alors même que nous avons en charge d'établir un rapport, situation très désagréable pour nous. Aussi, j'ai tenu le président Birraux au courant de nos difficultés. Pour les réacteurs, je vais passer la parole à Maurice Leroy.

M. Maurice Leroy - Sans prétendre répondre à toutes les questions posées sur la quatrième génération, je tiens à souligner que le travail de la Commission part du constat de la disponibilité d'une réserve de 250 000 tonnes d'uranium appauvri issu de l'enrichissement. Sur le plan scientifique, il est intéressant d'étudier si cette réserve pourrait être utilisée pour produire de l'énergie, nous rendant ainsi totalement indépendants des sources d'approvisionnement en uranium naturel. En effet, à côté de pays tels que le Canada, l'Australie ou le Kazakhstan, d'autres producteurs, comme le Niger, apparaissent un peu moins stables.

Lorsque notre rapport insiste sur la nécessité du développement du réacteur Astrid, c'est parce que nous ne disposons plus d'un outil adapté pour les recherches sur les réacteurs de quatrième génération. Dès lors qu'un certain nombre d'études devront être conduites à l'étranger, les conséquences de cette situation d'un point de vue scientifique aujourd'hui, technologique demain, et industriel après-demain, apparaissent complexes, notamment au plan de la propriété industrielle. Par exemple, un certain nombre de recherches sont menées en France sur la façon d'empêcher tout contact entre l'eau du circuit secondaire et le sodium du circuit primaire. Il serait important que leurs résultats puissent rester français.

Sur la question de la transmutation, Astrid est avant tout un réacteur électrogène ayant également la capacité de gérer des déchets. Le traitement de l'Americium reste possible, mais nécessite des recherches complémentaires sur sa position relative dans le logement des combustibles : au coeur du réacteur ou au contraire, en périphérie. Cela repose le problème précédent, l'innovation sur ce plan ayant besoin d'être confortée et protégée. Cela nécessitera un effort très important de recherche. Avec une puissance de 650 MW, Astrid n'est cependant pas à l'échelle de Super-Phénix. Il restera à démontrer sa capacité de recyclage avant de passer au niveau industriel.

Concernant la possibilité de stocker le plutonium dans le cas où celui-ci deviendrait un déchet, différentes solutions pourraient être étudiées mais aucun pays n'a à ce jour envisagé cette possibilité. Il n'existe donc pas de filière développée.

M. Jean-Claude Duplessy. - Concernant les problèmes généraux d'énergie, la CNE n'a pas vocation à définir la politique énergétique de la France, ni même à suivre l'évolution des recherches sur l'énergie ; cela dépasse largement notre champ de compétence. Toutefois, nous avons la chance d'avoir parmi nous le président Bernard Tissot, un des meilleurs spécialistes français de l'énergie, qui anime un groupe de réflexion sur la prospective énergétique à l'Académie des sciences. Je lui passe la parole afin qu'il nous donne quelques idées sur sa vision de ces questions.

M. Bernard Tissot, président honoraire de la CNE. - Je ne vais pas vous faire une conférence sur le sujet mais simplement le replacer dans une perspective historique. La première fois que l'on s'est préoccupé de choix en matière d'énergie, c'était pour assurer la sécurité d'approvisionnement de la France, dans les années 70, après les limitations sur les exportations de pétrole en provenance des pays du Moyen-Orient. L'ambition d'assurer l'indépendance énergétique de la France était un peu une enfant du programme militaire. Elle a conduit à un programme ambitieux de construction de centrales à partir de la fin des années 70 qui s'est prolongé jusqu'au début des années 2000, avec la construction des derniers réacteurs. Aujourd'hui, pour la première fois, le grand public commence à s'interroger sur la prospective énergétique. Auparavant, l'opposition frontale entre opposants et partisans du nucléaire restait assez simple à analyser.

A présent, la question apparaît plus complexe, certains groupements d'intérêts présentant des solutions comme nouvelles et susceptibles de résoudre tous les problèmes d'énergie, alors qu'elles étaient déjà connues, mais présentent de fortes incertitudes, par exemple, aux Etats-Unis, les gaz de schistes, objets de centaines, si ce n'est de milliers de procédures en justice intentées par les propriétaires des terrains. De même, en Allemagne, certains prétendent assurer la quasi-totalité de la production d'électricité avec le photovoltaïque. L'Allemagne s'avère pourtant, sur ce plan, moins bien placée que la Grèce, l'Espagne ou l'Italie. Il en est de même avec l'éolien, initialement extrêmement populaire au Danemark. La plupart des éoliennes françaises proviennent d'ailleurs du Danemark ou d'Allemagne, seul le mât en béton étant fabriqué en France. Il serait aisé de trouver d'autres exemples de sources d'énergie miraculeuses, comme les terrains glacés de Sibérie ou du nord Canada, où se trouve piégé du méthane. Mais personne ne connaît l'épaisseur des couches en cause, ni les techniques permettant d'exploiter ces gisements. Il en est de même pour le méthane sous-marin.

Face à cette situation nouvelle et complexe, comme l'a indiqué Jean-Claude Duplessy, la CNE pourrait utilement mettre à profit la présence, en son sein, de Jean Baechler, président de l'Académie des sciences morales et politiques. Par ailleurs, les problèmes de coûts doivent également être pris en compte. En définitive, il faut veiller à étudier ces problèmes en n'omettant aucun argument, qu'ils soient publics ou au contraire cachés, comme c'est parfois le cas, par exemple pour le solaire et l'éolien. La clarté du débat public est à ce prix, la décision revenant finalement aux citoyens.

C'est une situation indiscutablement plus difficile à gérer que la précédente qui se réduisait à une opposition entre deux camps et où les décisions étaient prises après la réalisation d'études.

M. Claude Birraux, député, président de l'Office. - Je vous remercie M. Tissot, ainsi que les membres de la CNE, pour cette présentation.

Jeudi 30 juin 2011

- Présidence de M. Claude Birraux, président -

Sécurité nucléaire - Examen du rapport d'étape

M. Claude Birraux, député, président. - Nos rapporteurs détailleront aujourd'hui les conclusions du projet de rapport d'étape sur la sûreté nucléaire, qui analyse les informations recueillies au cours de six auditions publiques et de sept déplacements. Le document, mis en consultation hier, sera enrichi d'annexes : entre autres, les comptes rendus des auditions, déjà disponibles en ligne, et des documents de référence tels que la liste des installations nucléaires françaises ou encore la comparaison des accidents de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima établie par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

Ce rapport souligne la grande rigueur de notre dispositif de sûreté nucléaire. Avec la radioprotection et la protection physique, cette dernière constitue le coeur de la sécurité nucléaire. De fait, elle recouvre, aux termes de la loi du 13 juin 2006, l'ensemble des dispositions techniques et des mesures d'organisation prises en vue de prévenir les accidents ou d'en limiter les effets, notamment la conception des installations et l'organisation de leur fonctionnement.

La dimension proprement dynamique du dispositif constitue le premier aspect essentiel à sa robustesse : il n'est de sûreté nucléaire qu'en recherche permanente d'amélioration. D'où l'importance des visites décennales afin d'intégrer les « meilleures pratiques internationales » et de la poursuite de leur effort de recherche par les exploitants comme par l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

Le second aspect concerne la coopération internationale : le dispositif de sûreté est d'autant plus robuste qu'il s'appuie, via les inspections conjointes, sur une pluralité d'autorités nationales incontestables. Car, autant l'élaboration de normes internationales strictes va dans le bon sens, autant la concentration du contrôle aux mains d'un petit nombre d'autorités continentales ou mondiales accroîtrait l'exposition à une défaillance organisationnelle. D'ailleurs, durant la crise de Fukushima, l'Agence internationale de l'énergie automatique (AEIA) a délivré moins d'informations que l'ASN ou d'autres autorités nationales.

Pour finir, rappelons que notre rôle est de contrôler le fonctionnement du dispositif, non de nous substituer à l'ASN. Nous n'avons pas à suggérer des parades aux actes de malveillance. C'est une affaire de bon sens : nous ne saurions écrire un manuel de terrorisme nucléaire pour les nuls - et l'on sait le succès rencontré par cette collection. Nous n'avons pas plus à juger des situations sur le terrain. Il revient à l'ASN, seule, de rendre une décision après la troisième visite décennale du réacteur n°1 de Fessenheim, notamment quant à l'épaisseur du radier qui est de 1,5 mètre. Celle-ci devra être publique, claire et justifiée.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l'Office, rapporteur de la mission parlementaire. - Premier axe : renforcer la recherche universitaire sur le nucléaire. De fait, après Fukushima, la priorité était d'étudier comment sont pris en compte les risques majeurs dans nos installations, à commencer par le risque sismique. En France métropolitaine, celui-ci est évalué de « moyen » à « très faible ». Notre situation n'est donc en rien comparable à celle de l'archipel japonais, situé dans une zone de subduction des plaques tectoniques. Sans compter que l'aléa tsunami, comme l'a reconnu le Japon dans un récent rapport à l'AEIA, avait été sous-estimé. D'après les données historiques disponibles, la survenue d'un tsunami de plus de 10 mètres était un événement prévisible avec une récurrence de trente ans.

En France, chaque installation est conçue, non pas selon un standard, mais en fonction des caractéristiques de son site, pour résister à un aléa calculé en fonction des observations historiques, puis majoré pour couvrir les marges d'incertitude. Dans ce domaine comme dans d'autres, la sûreté s'améliore continûment. Depuis 2001, l'évaluation du risque sismique intègre d'éventuels indices de paléo-séismes ainsi que les « effets de site » - l'influence des couches géologiques superficielles sur le mouvement sismique en surface. Autre exemple : à la suite de l'inondation partielle de la centrale du Blayais durant la tempête de décembre 1999, le risque d'inondation intègrera neuf événements supplémentaires, dont les pluies torrentielles ou les tsunamis, et l'on a renforcé les protections contre des événements déjà intégrés, telle la rupture d'un barrage.

Parce que le progrès des connaissances améliore la sûreté, via les réexamens de sûreté, il faut poursuivre les travaux de recherche afin de mieux évaluer les marges d'incertitude et leur traduction en marges de sécurité ; d'approfondir les connaissances historiques et paléo-historiques dans le domaine des risques majeurs ; et, enfin, d'étudier les combinaisons de risques d'origine diverse, car les difficultés majeures résultent rarement d'un risque réalisé isolément. Voilà pourquoi nous préconisons qu'un fonds, abondé par les exploitants nucléaires et géré par l'Agence nationale de la recherche (ANR), soit dédié à la recherche universitaire sur les risques naturels majeurs, leur impact sur les installations nucléaires et les moyens d'y faire face, sur la base d'un cahier des charges établi par l'ASN.

M. Christian Bataille, député, rapporteur de la mission parlementaire. - Deuxième axe : encadrer le recours à la sous-traitance. Celle-ci suscite l'inquiétude des représentants syndicaux, avons-nous constaté lors de nos visites d'installations nucléaires. Les représentants d'Areva et d'EDF, qui assurent y recourir dans des cas justifiés, par exemple, des opérations très spécialisées ou saisonnières, ne nous ont pas complètement convaincus.

Les procédures d'appels d'offres, imposées par la réglementation européenne, privilégient le critère du prix sur celui de la qualité, ont souligné nos interlocuteurs. Cette réglementation doit être améliorée pour l'industrie nucléaire, et les autres industries sensibles. La sous-traitance en cascade qui va, dans certains cas, jusqu'à huit niveaux, est particulièrement préoccupante. D'une manière générale, cette pratique est source de lourdeur partant, d'erreur et d'incompréhension. De fait, le « contrôleur », la personne nommée par le donneur d'ordre pour contrôler le prestataire, doit s'adresser uniquement au chef d'équipe du prestataire.

En outre, quid de la traçabilité du suivi radiologique des personnels et, surtout, des itinérants ? Pour remédier à cette situation, nous suggérons de créer un correspondant-référent de la médecine du travail pour chaque site, chargé de vérifier les dossiers de santé ; de confier à l'IRSN une étude sur la traçabilité du suivi radiologique des sous-traitants ; et, enfin, de donner à l'ASN une compétence de contrôle des modalités d'habilitation des entreprises et personnes travaillant dans les installations nucléaires.

Dans l'attente d'une nécessaire restriction de la sous-traitance, l'urgence est de limiter l'externalisation en cascade. Pour ce faire, nous demandons au gouvernement une étude juridique de faisabilité avant la fin de l'année, étude qui sera publiée dans notre prochain rapport.

M. Bruno Sido, rapporteur. - Troisième axe : afin de faire face à un cumul de phénomènes naturels extrêmes, ajouter à la défense en profondeur une capacité de réaction en arrière-garde, soit sous forme de moyens mobiles, soit par une technologie assurant un certain contrôle à distance. L'idée de constituer une flotte d'alternateurs et de pompes rapidement mobilisables n'est pas nouvelle. A cet égard, l'homogénéité et l'étendue du parc nucléaire français constituent plutôt un atout. Le but est de faire jouer la solidarité, y compris internationale, entre sites : si l'un est touché par un sinistre localisé, les autres lui servent de base arrière pour la fourniture de moyens de secours. Cela suppose d'encourager les sites à maintenir et projeter des moyens de secours, mais aussi de prévoir, dès la conception des installations, une capacité d'acheminement proche et une capacité de branchement, les aménagements nécessaires faisant l'objet de vérifications de sûreté.

Pour toutes ces raisons, nous préconisons que l'ASN nous transmette, avant la fin de nos travaux, une évaluation du renforcement en cours des dispositifs mobiles d'approvisionnement de secours en eau et en électricité. De plus, nous invitons l'IRSN et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) à mener des recherches conjointes sur les instruments permettant d'effectuer à distance des mesures radiologiques et des pilotages d'équipements car leur développement mérite une attention particulière.

M. Christian Bataille, rapporteur. - Quatrième axe : consolider la maîtrise publique du contrôle de sûreté. Il ne faut pas banaliser l'industrie nucléaire, qui n'est pas une industrie comme les autres. Elle ne peut pas être dominée par la recherche du profit, objectif naturel en d'autres domaines, quand son échelle de temps est de l'ordre du demi-siècle. En conséquence, il convient que la filière nucléaire française reste sous le contrôle direct de l'État, et que les règles européennes de la concurrence ne s'appliquent pas sans discernement au marché de l'énergie. L'énergie nucléaire concerne la France plus que son environnement européen.

Le Gouvernement doit donner à l'ASN et aux Commissions locales d'information (CLI), dont nous avons mesuré l'importance lors de nos visites d'installations nucléaire, les moyens nécessaires à l'efficacité de leur action. Par exemple, l'ASN ne dispose pas d'un véritable régime d'astreintes garantissant sa capacité de réaction à une crise - nous demanderons au gouvernement de prendre rapidement les mesures nécessaires. Son budget est éclaté en quatre programmes, ce qui complique la gestion et fait obstacle à la transparence sur les moyens accordés à la sûreté - il convient de regrouper les moyens de l'ASN en un seul programme.

Quant aux CLI, leur financement par une part de la taxe sur les installations nucléaires, prévu en 2006, n'est toujours pas mis en oeuvre - nous demandons au gouvernement de le faire. Une véritable transparence suppose également de les autoriser à faire appel à une expertise pluraliste. L'absence d'alternative à celle de l'IRSN, au reste, excellente, est une limite du système actuel - nous souhaitons la mise en place d'un fonds, géré par l'ANR, pour que les CLI puissent commander des études aux laboratoires universitaires.

M. Bruno Sido, rapporteur. - Cinquième axe : améliorer la gestion de crise. Nous demandons aux autorités publiques d'intégrer rapidement les nouvelles technologies (téléphonie mobile, réseaux sociaux, Internet) aux dispositifs d'alerte et de communication, tout en dimensionnant de façon suffisante les moyens techniques correspondants.

L'exemple des mesures prises au Japon pour faire face à la crise nucléaire doit inciter les pouvoirs publics et les exploitants à réétudier les modalités de formation et de mobilisation des personnels appelés à intervenir en cas de crise. Ils auront également à tester les conditions de mise en oeuvre du volontariat lors de véritables exercices.

S'agissant de la sécurité civile, le Gouvernement doit réévaluer les plans de secours quant à la profondeur territoriale des dispositifs, au regard des connaissances nouvelles et du retour d'expérience de Fukushima. Les exercices d'alerte réalisés sur les centrales sont-ils vraiment représentatifs ? Il conviendrait d'organiser des exercices inopinés, impliquant uniquement les exploitants et les pouvoirs publics, mais aussi des exercices plus complets, incluant la gestion post-accidentelle et la logistique d'accueil des populations. Pour instiller une véritable culture de la sécurité, il faut renforcer les dispositifs préexistants, comme l'Institut français des formateurs en risques majeurs, qui agit à l'école et au collège.

La protection des populations en cas de crise nucléaire exige, enfin, de mieux maîtriser l'urbanisation aux abords des sites nucléaires où les projets se sont multipliés. Le guide que rédige l'ASN à ce sujet sera essentiel.

M. Christian Bataille, rapporteur. - Sixième axe : rendre plus transparents les coûts de la filière. Dans le domaine nucléaire, la sécurité n'a pas de prix, avons-nous l'habitude de dire avec M. Claude Birraux. La catastrophe nucléaire de Fukushima nous ayant rappelé cette cruelle évidence, puissions-nous enterrer définitivement l'idée de vendre des réacteurs à coût réduit à des pays qui ne disposent ni des moyens techniques, ni des personnels nécessaires, ni d'une autorité de sûreté indépendante.

Néanmoins, si la sûreté nucléaire n'a pas de prix, elle a un coût. Et la transparence exige que celui-ci soit connu de nos concitoyens. La Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires et de gestion des déchets radioactifs, instaurée par la loi du 28 juin 2006, s'est réunie pour la première fois... le 7 juin dernier, soit cinq ans après sa création. Le Gouvernement doit fournir à cette commission les moyens nécessaires pour qu'elle puisse remettre son premier rapport d'évaluation avant la fin de cette année.

En outre, nous demandons à l'ASN d'établir, dans son rapport annuel d'activité, un bilan du coût des mises à niveau des installations et de l'organisation de la sûreté qu'elle impose aux exploitants lors des contrôles, des visites décennales et des évaluations de sûreté.

M. Bruno Sido, rapporteur. - Septième axe : garantir la cohérence internationale des évaluations de sûreté. L'idée de confier à une autorité internationale le soin de contrôler le respect des normes de sûreté nucléaire, intellectuellement satisfaisante, se heurte à la réalité des relations diplomatiques. De fait, des contrôles internationaux, contraires au principe de souveraineté nationale, sont suspendus à l'approbation des pays. En outre, la recherche d'équilibre entre intérêts nationaux divergents est parfois contradictoire avec la rigueur absolue qu'impose la sûreté nucléaire. Nous ne voyons donc pas dans la coopération internationale renforcée le germe d'une organisation supranationale, ayant vocation à se substituer aux contrôles publics nationaux.

Les suites données aux résultats des fameux stress tests réalisés sur les 143 réacteurs nucléaires européens en donneront l'illustration. Ces évaluations de sûreté, réalisées sur une base objective commune, rendront possible un classement des réacteurs par ordre de fragilité décroissante au regard des objectifs de sûreté. Gouvernement et ASN devront veiller à l'uniformité du degré d'exigence dans les pays membres. En effet, l'intégralité du parc nucléaire de certains pays membres est un héritage du monde socialiste, qui s'est dramatiquement distingué par l'accident de Tchernobyl. Les instances européennes se montreront-elles assez fermes pour exiger l'arrêt des réacteurs insuffisamment sûrs au risque de priver un pays d'une part importante de sa fourniture d'électricité ? Des aménagements transitoires seront certainement discutés. Les conséquences tirées des stress tests devront être fondées sur des critères homogènes afin que soient appliquées les mesures les plus rigoureuses aux réacteurs européens les plus mal classés. Au Gouvernement et à l'ASN de s'en assurer.

Enfin, la consistance d'une organisation internationale dépend souvent de l'alchimie complexe qui préside à la nomination de ses dirigeants et de ses agents, laquelle doit nécessairement respecter un principe d'équilibre entre les États-membres. En revanche, une coopération internationale renforcée constitue indéniablement un atout pour la sûreté dès lors que les normes de sûreté se calent sur le plus haut niveau d'exigence. Plus de regards indépendants se croisent, et meilleure est la détection des défauts. Le gouvernement doit donc défendre, dans les négociations internationales, l'adoption des standards de sûreté européens par l'AIEA.

M. Christian Bataille, rapporteur. - Malgré les difficultés, la France, avec l'ASN et les CLI, constitue l'un des pays nucléaires où la gestion de la sûreté nucléaire est la plus exigeante et la plus transparente. Néanmoins, parce qu'aucun pays n'est totalement à l'abri, notre industrie nucléaire doit pousser d'un cran son investissement dans la sûreté. Elle doit imaginer des événements d'une intensité plus élevée, des schémas accidentels en cascade avec des interactions entre sites industriels voisins. Priorité doit être donnée aux impératifs de sûreté sur toute considération économique. La maîtrise de cette industrie, qui n'est pas une industrie comme les autres, doit rester publique : seul l'État peut apporter des garanties solennelles à une population inquiète.

La sûreté repose d'abord sur les personnels qui travaillent dans cette industrie exigeante et essentielle à l'activité économique de la Nation. Il faut veiller à l'approfondissement de leur formation, a fortiori quand les départs à la retraite sont nombreux. Quant à la sous-traitance, il faut y avoir recours de façon responsable, et non pour des raisons mercantiles.

Ensuite, on doit développer la recherche, qui crédibilise toute la filière, et parvenir à des normes mondiales. L'urgence est de prévenir les risques dans les installations les moins sécurisées avant d'élever le niveau d'exigence de sûreté dans les chantiers en projet ou en cours. Espérons que le premier accord entre l'Europe et l'Amérique du Nord sera l'occasion de lancer ce chantier !

M. Claude Birraux, président. - Merci aux rapporteurs pour la qualité de leur travail et leur investissement : ils ont travaillé à un rythme effréné durant deux mois et demi pour parvenir à rendre ce rapport d'étape en temps et en heure. Merci également à nos collaborateurs, que nous avons soumis à rude épreuve.

Les premières conclusions de l'Académie des sciences, rendues publiques hier, convergent avec certaines de nos propositions, ce dont je me réjouis. Avant d'ouvrir le débat, précisons que j'ai reçu une contribution de la part de Daniel Paul, retenu par une réunion du Bureau de l'Assemblée nationale.

M. Daniel Raoul, sénateur. - Le projet de rapport et la fiche de synthèse des recommandations mettent l'accent sur la prévention des risques majeurs. Vu l'actualité récente, on peut le comprendre. N'oublions pas, cependant, que la catastrophe de Tchernobyl est le résultat d'une défaillance de la chaîne de commandement dans la gestion quotidienne de la production. Autrement dit, votre travail n'analyse pas l'amont, la prévention de la crise. Mais peut-être comptez-vous l'aborder dans la seconde partie de la mission.

J'appuie totalement vos préconisations sur la sous-traitance, problème que j'ai soulevé à plusieurs reprises au Sénat. La maîtrise de l'énergie nucléaire doit rester publique.

M. Claude Birraux, président. - La prévention n'est pas absente du rapport. Nous l'abordons sous l'angle de la défense en profondeur et de la formation des personnels. A Gravelines, celle-ci constitue 10% des heures travaillées. Quand, tous les matins, chacun se lèvera en se demandant : « Que puis-je faire de plus pour la sûreté nucléaire ? », nous serons enfin parvenus à une véritable culture du risque.

M. Christian Bataille, rapporteur. - Lorsque nous avons rédigé le projet de rapport, nous avions surtout à l'esprit les catastrophes majeures de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima. Pour autant, comparons ce qui est comparable... Les centrales françaises ont un système de redressement automatique des défaillances humaines. Nous l'avons constaté via des tableaux de simulation lors de nos visites. D'ailleurs, celui-ci est mis en oeuvre régulièrement au cours d'une année.

M. Bruno Sido, rapporteur. - La question est importante : tout est dans le commandement et l'exécution, disait Napoléon. En cas d'accident, la chaîne de commandement est claire : à l'exploitant, épaulé par l'ASN, de gérer la crise au niveau de la centrale ; au préfet d'informer et d'évacuer la population de l'hinterland. Il y a d'ailleurs redondance au niveau de la préfecture et des centrales.

M. Claude Birraux, président. - J'ajoute que la prévention repose, aussi, sur l'existence d'une autorité indépendante. A Tchernobyl, il n'y en avait pas : le directeur de la centrale était le secrétaire du parti communiste. Le regard de l'ASN est extrêmement puissant. Dotée d'un droit de visite inopinée à toute heure du jour et de la nuit, l'autorité a les clés pour entrer partout. Cette pression permet de maintenir sous tension les exploitants.

Mme Marie-Christine Blandin, sénateur. - Merci pour ce rapport. L'Office est bien dans son rôle : l'évaluation d'une technologie. En revanche, les rapporteurs, dans leur exposé, préemptent quelque peu les conclusions définitives de la mission. De fait, toutes vos propositions vont dans le sens de l'amélioration de la filière et, donc, de son maintien. Entre autres, vous préconisez d'investir massivement dans le nucléaire. Qui pourrait refuser l'argent de la sécurité ? Celui qui est nécessaire à la recherche publique ? Sauf à considérer que la recherche publique en énergie est déjà consacrée à 95% par le nucléaire... Ce n'est pas ainsi que l'on avancera dans la recherche sur les énergies alternatives.

Je commencerai par les recommandations. Une étude juridique pour éviter la sous-traitance en cascade dans le nucléaire ? Très bien, si ce n'est que l'instance spécifique de garantie de l'indépendance de l'expertise, dont le Sénat avait voté le principe à l'unanimité il y a trois ans, n'a jamais été créée. Bref, il faut des propositions plus radicales. Un correspondant-référent pour les travailleurs du nucléaire ? Evidemment, sauf que le gouvernement a refusé l'amendement en ce sens que les sénateurs Verts avaient présenté sur le texte relatif à la médecine du travail. Gardons à l'esprit le contexte dans lequel nous évoluons... Enfin, je n'ai pas trouvé trace, dans le projet de rapport, du droit de recours au budget de l'ANR accordé aux CLI pour obtenir des contre-expertises.

On me dira que, durant les visites, j'ai fait ma moisson dans un sens partisan. Néanmoins, vos recommandations, notamment quant au radier de Fessenheim, disent l'opacité qui règne. Vous avez repéré nombre de difficultés : Comurhex I ne résiste pas un séisme de 5,5 ; Gravelines n'a pas anticipé le risque tsunami consécutif à un glissement ; le radier de Fessenheim est trop fin. On pourrait mentionner également les dérives de la sous-traitance, les périmètres trop étroits des plans particuliers d'intervention (PPI), le laxisme dans l'urbanisation périphérique ; la mobilisation médiocrement orchestrée des secours mobiles, les dispositifs de secours en bord de mer et, enfin, l'absence d'arrêt automatique des centrales en cas d'alerte sismique. Tout cela ne dessine pas un beau paysage...

Certains points méritaient de plus amples développements : les problèmes spécifiques aux piscines, signalés par les experts hier ; l'oubli du cas de Superphénix ; le sous-dimensionnement du dispositif anti-marée noire de Gravelines - quel dommage que nous n'ayez pas vu le boudin de Gravelines, ridiculement petit ! - ; la modélisation inexistante des effets de crue en cas de contournement des digues ; les risques majeurs liés au transport, maritime et terrestre, du minerai et des déchets ; et, enfin, les effets du nucléaire sur l'environnement dans la durée. J'insiste sur ce dernier point : après le drame au Japon, des centaines, voire des milliers d'hectares, sont devenus incompatibles avec toute activité humaine : on ne peut plus y vivre. Quelle tragédie ! Concernant la gestion de la crise, les plans Orsec, confiés aux préfets, sont nettement insuffisants : une semaine après la crise, rien n'est prévu pour les populations évacuées.

Certaines considérations paraissent trop optimistes. La France est l'un des pays où la gestion de la sûreté est la plus transparente ? Pourtant, en 2009, ni l'ASN ni le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR) ne mentionnaient l'exportation de tonnes d'uranium en Sibérie. Il a fallu que la presse aille fouiller pour que nous en soyons informés ! Autre exemple, vous parlez d'une gestion parfaitement rigoureuse de la sécurité des installations nucléaires. Les dernières photos de fuites à Paluel et Penly, que m'ont transmises des sous-traitants, témoignent du contraire : on croirait voir de vieilles chaudières poussives. L'existence de risques majeurs serait prise en compte dès le choix d'installation, affirmez-vous. A considérer le niveau de Gravelines par rapport à celui de la mer ou encore la centrale de Tricastin située en plaine alluviale et inondable (Georges Besse II a été surélevé), le propos paraît un peu abusif. Une progression continue de la transparence ? Souvenez-vous ! A Tricastin, j'ai dû sortir de mon sac à main la carte IGN pour qu'on nous donne les points cotés, l'altitude du canal et des fonds de réacteur. A Fessenheim, il a fallu que je les soumette à un tir de questions pour que nous apprenions, dix minutes avant de quitter le site, que l'épaisseur du radier est de 1,5 mètre, selon l'ASN, et de 1,3 mètre, selon EDF. Et trois minutes avant de monter dans le bus, un ingénieur de m'appeler : « Rassurez-vous ! Nous élaborons un projet pour ajouter 80 centimètres de béton en dessous du réacteur n° 1 ». Bref, vous êtes trop indulgents ou peut-être « pas assez curieux ». Moi, j'ai eu l'impression de devoir arracher les données à des gens qui n'étaient pas pressés de partager leurs incertitudes.

Quant aux conclusions du rapport, je souhaite des positions plus radicales. Vous avez su interdire la sous-traitance, sauf dérogation, dans la loi bioéthique, pourquoi n'en serait-il pas de même pour le nucléaire ? Le principe doit être le travail dans la maison mère, sous contrôle public. Il faut également exiger des scénarios de crise dépassant les premiers jours.

Ce commentaire ne préjuge pas de ma position sur le rapport définitif, même si vous devinez déjà sur quels points j'interviendrai.

M. Claude Birraux, président. - Chaque chose en son temps : ce n'est qu'un rapport d'étape... Le programme a été dense : six auditions publiques auxquelles ont assisté 23 membres de la mission et sept déplacements auxquels ont participé 17 parlementaires ; le tout en deux mois ! Dans ces circonstances, le temps a manqué pour s'intéresser à toutes les questions de sécurité hors des centrales, notamment le transport du minerai. D'ailleurs, concernant le stockage d'uranium en Sibérie, j'avais organisé une conférence de presse au Sénat pour rappeler la règle internationale : l'uranium appauvri reste stocké dans le pays qui l'a enrichi.

Mme Marie-Christine Blandin. - Mon grief s'adressait à l'ASN, non à l'Office ! Ce stockage n'a pas été mentionné dans le PNGMDR.

M. Claude Birraux, président. - Normal, puisque l'uranium n'a pas été enrichi en France !

M. Christian Bataille, rapporteur. - Ce rapport d'étape ne préempte en rien notre position finale : en toute honnêteté, nous avons soulevé les points qui méritent d'être corrigés, tel le recours à la sous-traitance, pour consolider la filière. Consolider la filière ne signifie pas exclure des hypothèses. Je me rendrai en septembre prochain en Allemagne pour étudier les conséquences de l'arrêt des centrales, car cette option pose également des problèmes de sécurité.

Soit, la transparence n'est pas idéale dans une industrie longtemps marquée par ses origines militaires. En revanche, les progrès sont continus : EDF, Areva et le CEA n'ont plus du tout le même comportement qu'il y a vingt ans.

M. Claude Birraux, président. - Juste ! Et l'ASN publie sur son site internet toutes les lettres de demandes, les réponses d'EDF et les avis qu'elle rend.

M. Christian Bataille, rapporteur. - Oui, parfois, il faut « tirer les vers du nez ». Nul ne doute que Mme Marie-Christine Blandin sait y réussir ; quant à nous, nous avons fait notre possible dans la limite physique des deux mois et demi. Le délai sera identique pour le rapport définitif : il doit être prêt en décembre et des élections sénatoriales auront eu lieu en septembre.

M. Bruno Sido, rapporteur. - On ne peut pas nous reprocher d'avoir répondu à la question posée : comment améliorer la sécurité nucléaire ? Ce travail n'exclut pas une éventuelle sortie du nucléaire. Si la France s'alignait sur l'Allemagne, l'arrêt des centrales prendrait vingt ans, durée pendant laquelle la sécurité nucléaire serait tout aussi importante. Arracher les informations ? Je sais gré à Mme Blandin d'avoir sorti sa carte IGN au 500 millième. D'ailleurs, à Gravelines, il aurait été bien utile d'avoir aussi une carte marine. Quant au suivi radiologique, on nous a affirmé que tous ceux qui travaillent sur un site nucléaire, du lampiste en passant par le peintre, possèdent la fameuse petite carte et profitent donc d'un suivi complet. Enfin, concernant les CLI et leur droit de recours au budget de l'ANR, il est abordé à la page 107 du rapport.

M. Claude Birraux, président. - J'ajoute que les études universitaires seront financées par les producteurs via un fonds géré par l'ANR. J'y vois le moyen de parvenir à une pluralité d'opinons et d'analyses.

Remerciez-moi d'avoir refusé la solution de stockage des déchets dans des piscines aux pieds des centrales que la commission du débat public me présentait comme consensuelle en 2006 ! On sait, depuis Fukushima, tous les risques qu'elle fait courir...

M. Yves Cochet, député. - Je vous ferai parvenir ma contribution écrite.

Page 14 du rapport, il est écrit que la sécurité et la sûreté nucléaires sont gérées du mieux possible en France : je m'interroge sur cette promotion modérée mais patente de la filière nucléaire.

Ne serait-il pas préférable que l'État maîtrise la sûreté nucléaire ? L'indépendance de l'ASN déresponsabilise l'exécutif.

Si je n'ai pas eu le temps d'aller à Fessenheim, j'ai entendu dire que les turbo-alternateurs n'étaient pas fixés sur des amortisseurs, comme dans les autres centrales nucléaires : en cas de séisme, ils seraient immédiatement ébranlés.

Page 23, vous évoquez les risques d'inondations. La centrale du Blayais a été inondée lors de la tempête de 1999 et douze ans après, les règles fondamentales de sécurité sont encore en cours de révision, et un guide en cours de rédaction ! N'est ce pas un peu long ?

Page 25, cinq lignes sont consacrées à la sècheresse. Si dans les années à venir le climat change et les sècheresses s'intensifient, comme le prévoit le GIEC, il faudra suspendre l'exploitation de près de la moitié de nos centrales. Or, le rapport ne fait pas référence au risque de pénurie d'électricité.

Et puis, vous n'évoquez pas du tout plusieurs autres risques : M. Birraux estime qu'il ne faut révéler aucun point susceptible d'intéresser d'éventuels terroristes. Pourtant, hier soir au collège des Bernardins, lors d'un débat sur la convergence énergétique entre la France et l'Allemagne, M. Christian Hey, secrétaire général du German Advisory Council on the Environnement, a rappelé que l'hostilité des citoyens allemands au nucléaire était principalement due au risque terroriste, surtout après le 11 septembre. Nous aurions intérêt à nous pencher plus sérieusement sur ce risque, quitte à ce que les études sur le sujet restent secrètes pour ne pas divulguer d'éventuelles failles de nos centrales. Pourquoi ne pas créer un organisme auprès du Premier ministre dédié à ces questions qui pourrait être composé de spécialistes et de parlementaires ? Je me souviens que lors de l'explosion de l'usine AZF le 21 septembre 2001, le Premier ministre de l'époque avait convoqué un comité de défense, car nous ne savions pas si l'explosion était accidentelle ou non. Une réflexion approfondie sur les risques terroristes est donc indispensable.

Vous n'évoquez pas non plus l'éventuel crash d'un avion gros porteur sur une centrale nucléaire. Imaginez les dégâts que ferait un A 380 plein de kérosène sur une centrale !

Autre risque passé sous silence : les tempêtes électromagnétiques solaires. Richard Carrington a associé son nom à celle de 1859. Il n'y avait pas de grands réseaux électriques à l'époque, mais les télégraphes avaient grillé. Si un tel événement venait à se reproduire, tous les transformateurs seraient touchés. Il ne faudrait pas un jour ni même une semaine pour les changer tous. Vous imaginez la France sans électricité pendant des mois, et donc sans eau, parce que les pompes ne fonctionneraient plus ? Ce serait une catastrophe majeure, naturelle en ce cas, mais qui peut également être provoquée par des bombes spécifiques. Ne croyez-vous pas qu'il conviendrait de se pencher sur cette question ?

La semaine dernière, l'AIEA a tenu une conférence sur la sécurité et la sûreté des réacteurs nucléaires et Mme Kosciusko-Morizet y est allé délivrer le discours officiel de la France : l'AIEA n'a pris aucune décision ! Son inefficacité en la matière est patente.

M. Claude Birraux, président. - Dans mon exposé liminaire, j'ai rappelé le mutisme de l'AIEA sur les événements de Fukushima.

M. Yves Cochet. - Elle n'a procédé à aucune révision de norme ou de seuil ! Le rapport devrait insister sur l'impuissance de l'AIEA.

Enfin, peut être faudrait-il s'interroger sur la transparence des informations en cas d'accident.

Bref, je ne pourrai voter le rapport, mais je salue l'intensité du travail accompli.

M. Claude Birraux, président. - Pourrez-vous me communiquer ces réflexions par écrit d'ici la semaine prochaine ? Je souhaiterais que Mme Blandin fasse de même.

Sur le rapport de l'Allemagne au terrorisme : ce pays a connu la bande à Baader. La branche française était dirigée par Nathalie Ménigon qui a assassiné Georges Besse, alors qu'il venait de redresser Renault au bord du dépôt de bilan. Et puis, Cesare Battisti...

M. Yves Cochet. - Je vous arrête tout de suite ! Cela n'a rien à voir...

M. Claude Birraux, président. - Lors de la mission de l'Office sur les déchets faiblement radioactifs, vous aviez fait un vibrant plaidoyer contre l'information officielle dispensée par une autorité aux ordres de l'État. Vous réclamiez son indépendance ; vous voulez aujourd'hui que l'ASN soit rattachée à l'État : est-ce pour revenir à l'époque où nous ne pouvions pas consulter les rapports d'audit, et avoir connaissance des réflexions d'experts et des lettres de réprimandes ?

Sans doute avez-vous des différends avec le président André-Claude Lacoste...

M. Yves Cochet. - Cela n'a rien de personnel. J'estime que l'État doit être responsable de la sûreté nucléaire. Si l'ASN n'est pas un comité Théodule, ses experts sont formés à la même école que ceux de l'exploitant. Je préfèrerais que des organisations vraiment indépendantes, comme la Criirad, disposent de moyens suffisants.

M. Claude Birraux, président. - N'oubliez jamais la compétence !

M. Christian Bataille, rapporteur. - Si nous n'avons évoqué la sècheresse que brièvement, c'est qu'elle n'a pas de conséquence sur la sûreté nucléaire.

Il ne faut pas non plus mélanger l'attaque d'une centrale par un avion militaire ou civil transformé avec la chute accidentelle d'un aéronef. Cette dernière hypothèse est hautement improbable. Peut être faudrait-il nous intéresser aux itinéraires des lignes aériennes pour voir si certaines passent au-dessus des centrales.

La tempête solaire de 1859 ? Cela mériterait une étude de l'Office.

M. Claude Birraux, président. - Pourquoi pas ?

M. Bruno Sido, rapporteur. - Je ne sais pas si les turbo-alternateurs de Fessenheim sont montés sur amortisseurs, mais les bâtiments sont désolidarisés les uns des autres afin d'éviter, en cas de séisme, un effet domino. Quant au crash d'un gros porteur sur une centrale, je rappelle que le 11 septembre, l'avion qui visait le Pentagone a manqué son coup. Il est beaucoup plus facile d'atteindre des buildings que des bâtiments bas. Le risque est d'ailleurs estimé à 10-7 : il est donc quasi nul.

M. Pierre Lasbordes, député. - Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale traite spécifiquement des questions de terrorisme. Il est donc à même de répondre aux risques que vous évoquez. Il suffit de l'interroger.

Un autre risque n'a pas été évoqué, celui de la cybercriminalité. Nous avons assisté depuis quelques temps à une recrudescence de piratages informatiques. Sony et Air France en ont été récemment victimes. Les centrales nucléaires sont-elles protégées ?

M. Claude Birraux, président. - Elles ne sont pas reliées à l'extérieur.

M. Pierre Lasbordes. - Il y a des risques...

Mme Élisabeth Lamure, sénateur. - Le premier point fort du rapport que je voudrais relever est que nous avons une très belle filière industrielle. Elle est très importante pour notre tissu économique, et je me félicite de notre savoir-faire en la matière. Votre rapport dresse des constats satisfaisants et rassurants en la matière : compétence, rigueur et transparence sont de mise. Un seul bémol : la sous-traitance, trop importante.

L'Europe a procédé à des tests sur ses 140 réacteurs. Mais qu'en est-il pour les pays limitrophes qui construisent des centrales ? La Lituanie a ainsi fermé sa centrale en 2009, et elle s'inquiète de la construction, à une vingtaine de kilomètres de sa frontière, d'une centrale en Biélorussie. Ce pays n'a pas procédé à des études d'impact et il n'a pas organisé les consultations bilatérales prévues dans les textes internationaux. L'AIEA ne peut-elle pas faire respecter les procédures ?

Au point 7 de vos recommandations, vous préconisez le renforcement de la recherche universitaire sur la sécurité nucléaire et sur la prévention des accidents. Y a-t-il des recherches sur la décontamination des sites et des régions touchées après un accident ?

M. Claude Birraux, président. - L'IRSN mène des recherches dans ce domaine. Il est intervenu pour la réhabilitation des sites après l'accident de Tchernobyl.

M. Didier Guillaume, sénateur. - Je veux rendre hommage aux travaux menés par l'Office, même si le temps a été compté à nos excellents rapporteurs. On ne pouvait pas traiter de tous les aspects du sujet, mais je considère que des réponses ont été apportées à la question qui était posée.

Dans le nucléaire, il y a ceux qui sont pour - j'en fais partie -, et ceux qui sont contre. Évitons les uns et les autres de tomber dans la caricature : tout n'est pas parfait dans cette filière, mais tout ne mérite pas non plus l'opprobre. Évitons d'effrayer nos concitoyens par des propos à l'emporte-pièce. Si un Fukushima avait lieu en France, le gouvernement, l'ASN et l'exploitant ne réagiraient certainement pas comme au Japon.

M. Yves Cochet. - Et nos concitoyens ?

M. Didier Guillaume. - Des moyens supplémentaires doivent être alloués à la sûreté et à l'information de la population. La loi TSN est dépassée : il faut aller vers plus d'information et plus de réalisme. L'ASN est le meilleur gendarme du monde, et il ne faut pas qu'il soit raccroché à l'État : son indépendance est indispensable. Mon département subventionne la Criirad, dont je ne sais si elle est plus indépendante que l'ASN ou l'IRSN.

M. Yves Cochet. - Elle l'est bien évidemment davantage !

M. Didier Guillaume. - Je n'en suis pas si sûr...

La sous-traitance, maintenant. S'il est compréhensible que les industriels y aient recours, la sous-traitance en cascade doit être bannie, car elle entraîne la déresponsabilisation à tous les échelons. Et puis, nous devons prendre garde au cumul de risques : dans ces cas là, la situation devient très vite ingérable.

L'information de nos concitoyens, notamment ceux qui habitent à proximité des centrales, doit être améliorée. Les CLI doivent avoir les moyens suffisants pour remplir leur mission.

L'accident de Fukushima ne doit pas nous pousser à jeter le bébé avec l'eau du bain. Le retour d'expérience nous permettra de renforcer la sécurité de nos centrales. A chaque fois que des recommandations ont été faites à la centrale de Tricastin, que je connais bien, elles ont été suivies d'effet. Hélas, ce n'est pas le cas partout. Mme Blandin a remarqué, à juste titre, qu'il était parfois nécessaire d'arracher les informations aux exploitants. Cela ne peut continuer ainsi.

M. Jean-Marie Bockel, sénateur. - C'est la première fois que je suis associé aux travaux de l'Office et je veux rendre hommage à l'excellence de son travail. Si les comparaisons internationales sont toujours utiles, soyons conscients que la part d'électricité nucléaire dans notre mix énergétique est une des plus élevées au monde. Nous sommes donc bien loin des pays dont la part du nucléaire est limitée, comme de ceux qui s'acheminent vers une sortie du nucléaire. Il serait d'ailleurs intéressant de voir quel est le niveau d'entretien des centrales allemandes. A-t-on vraiment envie d'investir dans des centrales en fin de vie ?

Le rapport évoque brièvement les visites que nous avons faites.

M. Claude Birraux, président. - Tous les comptes rendus d'auditions seront publiés.

M. Jean-Marie Bockel. - Tant mieux !

Si je suis en total désaccord avec les conclusions de Mme Blandin, j'approuve en revanche certaines de ses remarques, notamment lorsqu'elle appelle EDF à plus de transparence. Ainsi, quand nous avons visité Fessenheim, aucun des responsables n'a évoqué les risques d'inondation. Le lendemain, une étude financée par le conseil général du Haut-Rhin paraissait dans la presse : en cas de rupture de la digue principale, les digues arrière ne permettraient pas d'éviter l'inondation de la centrale. Or, les responsables que nous avions rencontrés la veille ne nous avaient rien dit. Bref, EDF a encore des progrès à faire en matière de communication et d'information. Mêmes interrogations en matière de risque sismique : sur place, on nous a assuré que la sécurité de la centrale avait été renforcée et on nous a montré, pour preuve, des tôles boulonnées sur du béton : je dois dire que ce bricolage m'a plus surpris que rassuré. Cela dit, je ne suis pas expert en ce domaine...

Enfin, il y a sous-traitance et sous-traitance : certaines entreprises sous-traitantes sont extrêmement performantes.

M. Claude Birraux, président. - Je partage votre avis.

M. Ladislas Poniatowski, sénateur. - J'apprécie l'objectivité de ce rapport, quoique l'on vous sache favorables à la filière nucléaire. En effet, vous n'êtes pas tombés dans la caricature.

Certaines des autorités de sûreté nucléaire rencontrées au fil de mes déplacements à l'étranger ne sont que de simples directions de ministères. La nôtre, sans conteste la plus indépendante et la plus sévère du monde, cherche sans cesse à renforcer les mesures de protection. Lorsque je siégeais à l'Assemblée nationale, j'ai visité de nombreuses centrales nucléaires, et j'ai toujours apprécié l'utilisation qui était faite des retours d'expérience. Tel a été le cas, par exemple, après l'accident de Three Mile Island. N'oublions pas non plus qu'en cas d'accident, il faut regarder ce qui se passe sur le site, mais aussi beaucoup plus loin. L'accident de Fukushima a ainsi eu des répercussions jusqu'à Tokyo. Lors du prochain rapport, il faudra peut être se pencher sur ces questions.

Lors de nos visites dans les centrales, nous avons évoqué la sous-traitance et nous avons noté à chaque fois une grande réticence de la part de nos interlocuteurs. Certains syndicats représentent à la fois les personnels des centrales et les sous-traitants, et nous avons parfois entendu des propos désagréables. Sur les sept points forts soulignés dans votre rapport, la question de la sous-traitance est abordée en priorité, ce qui démontre l'importance de la question. Il convient toutefois d'opérer des distinctions, comme l'a fait Jean-Marie Bockel.

Enfin, ne risque-t-on pas d'affaiblir la portée de notre rapport sur la sûreté et la sécurité nucléaire en traitant du terrorisme alors que ce problème est un peu hors-sujet ?

M. Claude Birraux, président. - Aucune réglementation internationale n'oblige M. Loukachenko à consulter ses voisins. La Lituanie a dû, lorsqu'elle a demandé son adhésion à l'Union, démanteler sa centrale d'Ignalina, qui était de type RBMK, comme celle de Tchernobyl.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué la sous-traitance : lorsqu'il faut changer un générateur de vapeur construit par Areva, il est préférable que ce soit cette entreprise qui procède au remplacement. Alstom qui construit les turbines, ou Hartman et Braun, qui a produit le contrôle-commande, sont mieux placées pour en assurer la maintenance qu'un génial bricoleur d'EDF. Ce qui pose véritablement problème, c'est la sous-traitance en cascade et l'exposition de certains travailleurs aux radiations. Je ne suis pas persuadé que le suivi radiologique de ces personnels soit véritablement assuré, contrairement à ce que l'on nous assure.

Deux fautes graves ont affecté la sûreté : à Gravelines, des vis pleines au lieu de vis creuses ont été posées sur les soupapes d'un pressuriseur. En cas d'incident, les conséquences auraient été graves et il a fallu attendre un an avant que ce problème ne soit détecté. A Belleville-sur-Loire, des boulons et des écrous ont été retrouvés dans certaines canalisations, mais la maintenance avait été effectuée par EDF...

M. Daniel Paul, député. - J'ai été retenu par la réunion du Bureau de l'Assemblée nationale, d'où mon arrivée tardive.

Comme M. Poniatowski, je me souviens d'un déjeuner à la centrale de Gravelines : j'étais assis à côté d'un « nomade » syndiqué, qui était intervenu au cours du débat sur la sous-traitance avec des paroles fortes. Cette question va bien au-delà des interventions de certaines entreprises très spécialisées et très compétentes. A La Hague, les syndicats nous ont mis devant des situations problématiques. Pour sortir de ce problème, M. Poniatowski avait proposé que le coût soit le même pour EDF, qu'il y ait appel à la sous-traitance ou non. En tant que responsables de collectivités territoriales, nous connaissons tous les limites du mieux-disant, dont fait état le rapport. Or, il ne s'agit pas ici de trottoirs ou de ronds-points, mais de nucléaire !

Il faut attirer l'attention du gouvernement - c'est l'objet de ma contribution - sur ce qui se passe dans l'opinion. Comment laisser se développer une forme de travail contradictoire avec les nouvelles règles de construction, de fonctionnement et de gestion du nucléaire ? A chaque fois qu'EDF a recours à la sous-traitance, il serait souhaitable qu'une négociation avec les syndicats s'engage pour éviter une montée en puissance de la protestation syndicale. C'est un ses sujets majeurs à l'heure actuelle. Nous ne répondrions pas aux attentes des salariés si nous ne le marquions pas fortement. Pour ces raisons, vous comprendrez que je m'abstienne sur ce rapport.

M. Claude Birraux, président. - Chacun ayant pu s'exprimer, je vais mettre aux voix les conclusions de ce rapport et vous demander l'autorisation de le publier.

Les conclusions du rapport sont adoptées

M. Didier Guillaume. - Que va-t-il se passer ensuite ?

M. Claude Birraux, président. - Nous allons enchaîner sur la deuxième étape.

M. Christian Bataille, rapporteur. - J'effectuerai un voyage en Allemagne en septembre et je vous invite à participer à ce déplacement. Il nous restera ensuite deux mois pour achever notre programme de travail, ce qui sera particulièrement court, alors que j'aurais voulu organiser de multiples déplacements en France mais aussi à l'étranger, ainsi en Corée, pays champion des réacteurs nucléaires low cost.