Jeudi 27 octobre 2011

- Présidence de M. Claude Birraux, député, président -

Politiques de l'énergie en Europe : regards croisés

M. Claude Birraux, député, président. - Ce matin, nous tenions une audition sur l'avenir du plateau de Saclay, dans le cadre du rapport que nous préparons sur l'innovation à l'épreuve des peurs et des risques. Nous reprenons maintenant nos travaux sur la sécurité nucléaire et l'avenir de la filière nucléaire. Mais avant, permettez-moi de féliciter les sénateurs élus et réélus, avec une mention spéciale pour Daniel Raoul, désormais président de la Commission de l'économie, nouvelles fonctions qui, je l'espère, ne l'éloigneront pas trop de l'Office, ainsi que pour Delphine Bataille, jeune sénatrice du Nord - bon sang ne saurait mentir.

La première partie de nos travaux s'est traduite par la publication, le 30 juin dernier, d'un rapport d'étape sur la sécurité nucléaire. La seconde partie se conclura par la présentation, le 15 décembre prochain, d'un nouveau rapport sur l'avenir de la filière nucléaire. Différentes instances se sont prononcées depuis la parution de notre premier rapport : les exploitants ont défini leurs orientations, l'Autorité de sûreté nucléaire a publié une note de cadrage méthodologique et le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, présidé par M. Henri Revol, a présenté hier son rapport. On peut donner ce satisfecit à nos rapporteurs : nous sommes en parfait accord sur les analyses et les préconisations ; personne n'est venu démentir l'Office.

La mission poursuit donc ses travaux : depuis notre réunion de cadrage du 27 septembre, plusieurs de ses membres sont allés au laboratoire de recherche souterrain de Bure le 7 octobre, et une délégation composée de Mme Catherine Procaccia et de M. Christian Bataille s'est rendue la semaine dernière au Japon.

L'audition de ce jour, consacrée aux politiques énergétiques européennes, s'intitule « regards croisés », car nous aurons le plaisir d'entendre le point de vue de deux intervenants venus du Royaume-Uni, mon ami David Cope, directeur du Parliamentary Office of Science and Technology et M. William Nuttall, qui nous vient de Cambridge. Je les remercie vivement d'avoir traversé la Manche pour venir nous communiquer leur regard neuf, extérieur au débat « franco-français », sur les questions énergétiques. Christian Bataille rendra compte de son déplacement récent, avec notre collègue Marcel Deneux, en Allemagne. Il nous fera part de son analyse quant aux conséquences des décisions prises dans ce pays immédiatement après l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima.

Cet examen des orientations du Royaume-Uni et de l'Allemagne sera précédé d'exposés plus généraux sur les orientations à long terme des politiques de l'énergie et les conséquences possibles de l'accident japonais. Je remercie là-aussi vivement les intervenants qui ont accepté de nous faire part de leurs analyses et de leur vision prospective : M. Fatih Birol de l'Agence internationale de l'énergie, M. Daniel Iracane, spécialiste des questions internationales au CEA, et M. Pierre Zaleski de l'université Paris Dauphine.

LES POLITIQUES DE L'ÉNERGIE APRÈS FUKUSHIMA

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Je suis heureux, en premier lieu, d'accueillir M. Fatih Birol, économiste en chef de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui s'exprimera en anglais. L'AIE publiera très prochainement, le 9 novembre, ses « perspectives mondiales de l'énergie ». Pouvez-vous nous donner dès aujourd'hui une idée des principaux scénarios qui y seront développés ? Anticipez-vous, à long terme, un fort impact de l'accident de Fukushima sur le développement de la production d'électricité nucléaire ?

M. Fatih Birol, économiste en chef de l'Agence internationale de l'énergie. - Le présent et l'avenir du nucléaire touchent aux questions essentielles de l'économie mondiale, de la sécurité énergétique, du changement climatique. Je m'efforcerai de vous fournir un aperçu des grands défis qui se posent au monde en matière énergétique et de vous livrer une analyse plus précise sur l'énergie nucléaire au regard des autres sources d'approvisionnement qui lui sont concurrentes, comme le gaz naturel ou les énergies renouvelables. J'essayerai de tracer un panorama du système énergétique mondial, puis des résultats de nos analyses, qui seront publiées le 9 novembre, sur les effets d'un moindre recours au nucléaire, dont je puis vous dire dès à présent que ce serait une mauvaise nouvelle pour l'économie, la sécurité d'approvisionnement et la lutte contre le changement climatique.

Premier élément de preuve, l'évolution des besoins en énergie dans les vingt-cinq prochaines années : si ceux des pays de l'OCDE sont appelés à rester stables, ils connaîtront ailleurs une forte croissance. Pour être bref, on pourrait dire qu'il y a cinq pays qui tirent la demande mondiale d'énergie : la Chine, la Chine, la Chine, l'Inde et les pays du Moyen-Orient. Leurs besoins à venir représentent 90 % de la croissance de la demande avec un poids prépondérant de la Chine, qui compte en quelque sorte pour trois. La pression sera donc forte sur l'approvisionnement, en particulier en pétrole. Cela concerne d'abord le secteur des transports. La Chine, ne possède aujourd'hui que 30 véhicules automobiles pour 1 000 habitants, contre 500 en Europe et 700 aux États-Unis. C'est dire combien la pression peut monter, à mesure de l'enrichissement des Chinois, qui se poursuit aujourd'hui tandis que nous luttons pied à pied contre la récession. Dans le même temps, la production de pétrole tend à se concentrer, pour l'essentiel dans cinq pays, l'Arabie saoudite, l'Iran, l'Irak, les Emirats arabes unis et le Koweït.

Cela m'amène à un premier message : l'époque du pétrole bon marché est révolue, et nous devons nous préparer à des prix beaucoup plus élevés : le baril à 45 ou 50 dollars, c'est bien fini ! Deuxième message, il faut s'attendre à des évolutions importantes en matière de production de gaz naturel, liées à l'émergence, en Chine et aux États-Unis, de l'exploitation de gaz non conventionnels. L'augmentation de la ressource, conduisant à la modération des prix, contribuera à la diffuser sur le marché, au détriment des énergies renouvelables, beaucoup plus coûteuses.

Notre rapport le souligne, 1,3 milliard de personnes restent en situation de précarité énergétique : 20 % de la population mondiale (Afrique subsaharienne, Pakistan, Bengladesh)  vit sans électricité, avec les difficultés que cela entraîne non seulement en matière d'éclairage mais aussi de communication et de santé... Songeons que la quantité d'électricité consommée par 800 millions de personnes en Afrique subsaharienne est identique à celle de la seule ville de New-York. Ce déséquilibre est grotesque ! Si nous ne faisons rien, 1 milliard d'hommes et de femmes vivront encore, en 2035, sans électricité.

J'en viens à la question du changement climatique. L'augmentation attendue de la température de la planète dans les décennies à venir est de 6° Celsius. Afin d'éviter des conséquences catastrophiques, les chefs d'État se sont fixé au sommet de Cancun, l'objectif de contenir le réchauffement à 2°. Mais quel écart entre les déclarations et les réalités ! Nul instrument international contraignant n'a été signé par les États. Le sommet de Durban, en Afrique du Sud, y pourvoira-t-il ? Pour l'heure, le décalage reste immense et à mesure que se construisent, dans bien des pays, des usines de production énergétique fonctionnant aux énergies fossiles, on se rapproche des 6°. C'est ainsi que l'on ferme à clé la porte de notre avenir. Car pour atteindre l'objectif fixé, il faudrait plus de nucléaire, plus d'énergies renouvelables, une meilleure utilisation du charbon. Si tous les pays doivent contribuer à l'effort, reste que les États-Unis et la Chine sont à eux deux responsables de la moitié des émissions de CO2. S'ils ne s'engagent pas sur la voie tracée à Cancun, il y a peu de chances de voir s'inverser la vapeur. Au sein de l'Union européenne, les États membres disputent beaucoup du pourcentage de réduction des émissions, les uns tenant pour 20 %, les autres pour 30 %, mais cette différence, il faut bien en être conscient, ne représente pas plus de deux semaines des émissions de gaz de la Chine. Hors la valeur symbolique et morale de l'engagement de l'Europe, la tendance ne variera en rien si elle doit agir seule.

Quels seraient, dans le contexte que je viens de rappeler, les effets d'un moindre recours au nucléaire ? Ce choix est déjà celui de l'Allemagne, tandis que, dans bien d'autres pays, le débat est en cours, qui prend aussi en compte la question des coûts du nucléaire, sur lesquels Fukushima a jeté un nouvel éclairage. Reste que moins de nucléaire suppose son remplacement, selon les pays, par le charbon, le gaz naturel ou les énergies renouvelables.

Si je ne peux vous livrer maintenant tous les chiffres qui résultent de l'analyse que nous avons conduite, et qui seront dévoilés le 9 novembre, je suis en mesure de vous dire que le recul du nucléaire serait une mauvaise nouvelle pour l'économie mondiale, car bien des pays devront importer des énergies de substitution plus coûteuses. Mauvaise nouvelle aussi, pour la sécurité de l'approvisionnement, d'autant mieux assurée que les sources sont plus diversifiées. Mauvaise nouvelle, enfin, pour le changement climatique : la demande d'électricité ne fait que croître dans les pays émergents, et l'Europe n'atteindra jamais sans le nucléaire les ambitions qu'elle s'est fixées en matière de réduction de ses émissions ; sans parler de la situation des pays très engagés dans l'énergie nucléaire comme la France, le Japon ou la Corée.

Je l'ai dit, l'âge du pétrole bon marché est derrière nous, tandis que le marché du gaz naturel est engagé dans une recomposition majeure. Le manque de volontarisme sur le climat amenuise chaque jour nos chances d'atteindre l'objectif d'un réchauffement contenu à 2°. Dans ce contexte, les politiques nucléaires seront déterminantes, sachant que la Chine sera un acteur central dans la recomposition des marchés : une décision prise à Pékin a des implications à Paris, à Bruxelles, à Tokyo, à Washington. Il faudra observer de près ce qui s'y passe. L'interdépendance entre énergie et géopolitique ira croissant, d'où le caractère crucial, pour chaque pays, de sa production nationale.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Je me tourne maintenant vers M. Daniel Iracane, directeur-adjoint des relations internationales au CEA, pour son exposé sur les orientations des politiques de l'énergie en Europe après Fukushima : le cas allemand n'est-il pas « l'arbre qui cache la forêt » d'une certaine continuité des politiques énergétiques ?

M. Daniel Iracane, directeur-adjoint des relations internationales au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives. - Les sondages montrent une légitime montée des préoccupations environnementales dans l'ensemble des pays de la planète. Des interrogations se font jour, en Corée, en Europe de l'Est, sans parler du Japon, bien sûr, où la perte de confiance est manifeste, non seulement à l'égard des exploitants mais des institutions.

Pourtant, on constate que les programmes électronucléaires tels qu'ils avaient été dessinés se poursuivent, à l'exception notable de l'Allemagne, et du Japon. Six mois après la catastrophe, la continuité s'affirme presque partout dans le monde. Les pays primo-accédants, comme le Vietnam, le Maroc, l'Arabie saoudite, l'Egypte, la Jordanie, la Tunisie et le Chili ont compris que l'effort d'apprentissage sera long, et ne voient pas de raison de l'interrompre bien avant la décision irréversible d'équipement. Tout au plus certains tempèrent-ils leur effort de communication, encore qu'il reste très démonstratif en Arabie saoudite, qui a annoncé sa volonté de se doter d'un réacteur en 2020 et seize à l'horizon 2030. La volonté d'avancer, dans ces pays, reste entière. Les pays qui ont juste démarré un programme, comme la Turquie ou les Emirats arabes unis, ont, eux aussi, manifesté une ferme volonté de poursuivre, ces derniers y compris en rappelant, une semaine à peine après l'accident de Fukushima, leur pleine confiance dans leur programme. Ceux qui sont déjà dotés d'un réacteur en relancent. C'est ainsi que l'Afrique du Sud entend lancer un appel d'offre international au cours du semestre à venir pour la construction de nouvelles centrales, tandis que la Grande Bretagne poursuit son processus de licensing en vue de nouvelles réalisations.

La situation reste fragile. Qu'en est-il des pays qui servent de référence ? Parmi les pays disposant d'un parc significatif, la Chine, en dépit d'un moratoire essentiellement lié au souci d'attendre le retour d'expérience de Fukushima, maintient imperturbablement le cap de 70 gigawatts contre treize aujourd'hui, soit une multiplication par six en dix ans. A ceci près, cependant, qu'après avoir contesté à d'autres pays, dont la France, le droit de condamner son choix de s'équiper en réacteurs de deuxième génération, moins coûteux, elle est désormais convaincue qu'il faut viser le plus haut niveau de sûreté. Tant il est vrai qu'un accident quelque part est un accident partout qui, au-delà du drame humain, peut donc infléchir un projet industriel, un programme d'équipement.

La Corée du Sud, quant à elle, entend assurer 60 % de sa production électrique par l'énergie nucléaire en passant de vingt-et-un à quarante-deux réacteurs en 2030 et elle n'a pas fléchi dans sa volonté de poursuivre son programme, qu'elle voit comme la seule façon d'accompagner sa croissance et de développer une industrie performante à même de rayonner sur le marché chinois.

Même réaction en Russie, où le programme de construction de dix-neuf réacteurs, dont la moitié à l'export, se poursuit, tandis que l'on a vu sa diplomatie très présente, aux côtés de la France, lors des sommets du G8 et du G20 ou de la conférence générale de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), pour accompagner la gestion de crise.

Le ralentissement observé aux États-Unis avait précédé Fukushima ; il est lié à la mise en exploitation du gaz de schiste, appelé à déplacer l'optimum économique du système. Reste que M. Chu, le secrétaire à l'Energie, vient de confirmer que la production électrique américaine resterait assurée à 20 % par l'énergie nucléaire, déclaration dans la ligne de celle de l'administration Obama en septembre à l'ONU sur la place « pleine et entière » que l'énergie nucléaire devait continuer à tenir dans le pays.

L'Inde, prototype du pays engagé dans une forte croissance, a réaffirmé sa volonté de multiplier par quatre ses capacités de production d'ici à 2020, en passant de 5 à 20 gigawatts. Position qui peut cependant évoluer au gré des événements, dans la mesure où la contestation locale prend de l'ampleur et pourrait devenir systémique - toutes ces informations sont contingentes.

J'en viens au Japon, qui vit au coeur du drame, et où la perte de confiance est manifeste. Un certain pragmatisme s'y fait jour cependant, dans la conscience qu'il sera difficile au pays d'équilibrer la balance entre sa production et sa consommation sans redémarrage des centrales en arrêt de maintenance. Le Premier ministre a même évoqué celui du chantier de la centrale nouvelle, à 90 % achevée, et dont la construction avait été interrompue au lendemain du drame. Mais dans ce pays proche d'un point de bascule, les décisions passent aussi par les élus locaux, les gouverneurs. Il sera bon de les observer de près.

En Europe, les lignes ont peu bougé. L'Autriche, le Danemark, l'Irlande ont confirmé leur opposition. D'autres pays, en revanche, comme la Finlande ou l'Angleterre, entendent accroître la part de l'énergie nucléaire sur leur sol. C'est également le cas de la République tchèque, qui réévalue son programme à la hausse à la suite de la décision allemande de sortie du nucléaire, dans l'espoir de conquérir le marché allemand... La Pologne, enfin, a choisi de poursuivre son programme.

Les motivations qui président à ces choix, au sein de l'ensemble européen, sont diverses : pour les pays d'Europe de l'Est, la préoccupation première va à l'indépendance énergétique à l'égard de la Russie, quand un pays comme l'Angleterre est avant tout soucieux d'assurer sa sécurité à un coût raisonnable. Ailleurs, la réalité peut être complexe, j'en veux pour preuve le débat animé qui a saisi la Suisse, cet été, et s'est soldé par une décision de sortie du nucléaire à vingt-cinq ans, résultat sémantiquement subtil, cependant, puisqu'il est écrit dans la loi que les réacteurs seront arrêtés selon des critères de sûreté, en même temps qu'au niveau politique, on privilégie le pragmatisme en décidant de la poursuite des programmes de recherche. Autrement dit, l'on s'interdit d'interdire une technologie, avec l'idée d'observer les performances de l'Allemagne dans son effort de reconversion. Un long moratoire, en somme, pour s'adapter.

L'Espagne, en revanche, n'a guère été agitée par le débat. Il faut dire que les difficultés économiques y tiennent le devant de la scène. Alors qu'un moratoire avait été déclaré, la décision a été prise, en septembre, de prolonger pour dix ans l'autorisation d'exploitation de la centrale d'Asco.

L'accident de Fukushima a soulevé l'inquiétude des populations, sans cependant la porter jusqu'à un seuil qui aurait conduit les politiques à la relayer par des décisions de sortie. Dans la majorité des pays, les programmes ont été confirmés. L'accident a cependant fait prendre conscience que la sécurité exige de donner la primauté aux réacteurs de troisième génération. Le pragmatisme, au total, a prévalu, tant il semble difficile de se passer d'une source d'énergie qui assure indépendance, modération des prix, stabilité de la production, qui contribue à la réduction des émissions de CO2 et met en mesure d'assurer la défense de la capacité industrielle nationale. Pour convertir les populations à ce pragmatisme, il faudra travailler de concert à renforcer la sûreté, dans la plus grande transparence.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - M. Pierre Zaleski, délégué général du centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières de l'université Paris-Dauphine, va maintenant nous faire part de son analyse de l'avenir du nucléaire dans une perspective de long terme.

M. Pierre Zaleski, professeur à l'Université de Paris-Dauphine. - Antérieure à l'accident de Fukushima, la division des pays de l'Union européenne dans leur attitude à l'égard de l'énergie nucléaire s'est accentuée après le mois de mars 2011.

Avant l'accident, la position des trois pays ayant déclaré un moratoire sur les nouvelles constructions - Allemagne, Espagne, Belgique - tendait à s'assouplir, au point que l'on pouvait envisager, à plus ou moins long terme, un changement d'attitude qui aurait conduit à y reprendre la construction de centrales. Si les huit pays ne possédant pas de centrales nucléaires, et sans programme, ne représentent qu'une faible fraction du PIB de l'Union européenne, on trouvait en revanche, parmi les cinq pays ne possédant pas de centrales, mais envisageant de faire appel à l'énergie nucléaire, deux économies relativement importantes, l'Italie et la Pologne.

Avant Fukushima, on pouvait donc penser que l'on allait vers un acquiescement au nucléaire dans l'aire économique de l'Union. En outre, des pays européens importants, hors Union européenne, avaient engagé des plans dynamiques du développement de l'énergie nucléaire - Russie, Ukraine, Biélorussie, Suisse et Turquie.

Après Fukushima, le tableau a changé. L'Allemagne a décidé un retrait accéléré du nucléaire et l'Italie, par un nouveau référendum a renoncé à la construction - il est vrai que ce pays, qui l'avait déjà fait après Tchernobyl, semble avoir le talent d'organiser, après chaque accident nucléaire, des référendums où la traditionnelle multiplicité des questions posées ne permet pas de distinguer si le rejet répond à la question ou à une politique, celle de Berlusconi, en l'espèce. Quant à l'Espagne, le changement d'attitude que l'on prévoyait pour après les prochaines élections apparaît aujourd'hui plus difficile à prédire.

L'Europe est donc partagée en deux blocs, d'importance sensiblement égale : quinze pays, dont la France, l'Angleterre, la Pologne, sont favorables à l'énergie nucléaire, tandis que douze, dont l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne - envisagent de s'en passer.

Cette situation rend très difficile l'adoption, au sein de l'Union européenne, d'une politique énergétique dynamique et cohérente. Ajoutons que, parmi les cinq pays européens hors Union qui envisageaient, avant Fukushima, la construction de centrales nucléaires, un seul, la Suisse, a changé d'avis en votant un moratoire sur les nouvelles constructions.

Il convient tout à la fois s'interroger sur les raisons qui ont conduit un pays clé comme l'Allemagne a son changement d'attitude et analyser les arguments de ceux qui sont favorables au développement de l'énergie nucléaire.

En Allemagne, Mme Merkel, initialement favorable à l'énergie nucléaire, déclare que l'on ne peut faire confiance aux sociétés humaines pour gérer les risques de l'énergie nucléaire. De fait, les deux accidents majeurs qui ont entraîné une importante contamination des terres, Tchernobyl et Fukushima, sont dus l'un et l'autre aux imperfections du système politico-social des pays concernés : opacité, manque de culture de la sûreté et arrogance scientifique de l'Union soviétique, d'un côté, culture de consensus du Japon, de l'autre, qui a conduit à laisser trop de marge à une compagnie électrique peu incline à la transparence et peu sensible aux accidents majeurs, jugés improbables, aux dépens des autorités de sûreté. Cela a conduit à une sous-estimation évidente des risques naturels - tremblement de terre et tsunami. C'est moins la technologie que les hypothèses retenues qui sont en cause dans l'accident de Fukushima.

Il se peut aussi, cependant, que le changement d'attitude de Mme Merkel soit influencé par des considérations politiques et électorales.

On ne peut éviter tous les risques. Il faut donc les minimiser, afin de parvenir à un ratio risque/bénéfice satisfaisant. Ainsi que l'indiquait le chef de la sûreté finlandaise, M. Jukka Laaksonen, si l'on finit par maîtriser complètement la situation à Fukushima et si, dans un deuxième temps, on décontamine l'essentiel des terres, permettant ainsi aux personnes déplacées de revenir, alors l'accident de Fukushima, aussi grave soit-il, n'aura pas le caractère apocalyptique que beaucoup lui prêtent aujourd'hui.

Les accidents majeurs, Three Mile Island, Tchernobyl ou Fukushima, ont tous conduit à une amélioration de la sûreté. Fukushima a donné lieu à une estimation plus rigoureuse des agressions externes, à une meilleure préparation aux accidents graves au-delà du maximum prévu et à une plus grande transparence internationale sur les questions de la sûreté du nucléaire, qui favorise l'application effective de règles sûres dans chaque pays. Cependant, le climat n'est pas propice à l'établissement d'une autorité internationale.

L'abandon du nucléaire a un coût. L'électricité sans l'énergie nucléaire sera plus chère, surtout si on maintient l'effort de réduction des émissions de CO2 - je vous renvoie aux scénarios à l'horizon 2050 élaborés par la Commission européenne. Les centrales solaires à concentration, situées en Afrique, et qui pourraient remplacer les centrales nucléaires, produiraient, d'après M. Cédric Philibert de l'AIE, l'électricité à un coût de 150 euros par mégawatt/heure, auquel il faut ajouter le coût du transport vers l'Europe, estimé entre 15 et 45 euros par mégawatt/heure, soit un coût trois fois supérieur à celui de l'électricité des nouvelles centrales nucléaires - pour autant que les surcoûts enregistrés en Finlande et à Flamanville soient effectivement dus au caractère de prototype de ces EPR. Il sera intéressant de comparer le coût de ces deux têtes de série et des quatre AP1000 prototypes ou têtes de série construits en Chine. Les estimations des coûts au stade de l'avant-projet sont souvent trop optimistes et cela peut être également le cas pour la centrale solaire.

Il sera difficile de dégager, dans le contexte économique que nous traversons, les sommes nécessaires à une reconversion vers les énergies renouvelables - voyez le cas de l'Espagne et de la France, pour laquelle Bernard Bigot, haut-commissaire à l'énergie atomique, a avancé une estimation de 750 milliards d'euros. L'Europe peut-elle se permettre d'aggraver ainsi ses handicaps économiques face aux pays émergents ?

Les systèmes de surveillance de la sûreté des centrales nucléaires aux Etats-Unis et en Europe, ainsi que le relèvent certains observateurs, sont relativement transparents et rigoureux. Ainsi de l'autorité de sûreté allemande. Et la coopération entre pays se développe. Si l'on peut avoir des craintes, c'est plutôt au regard de grands pays comme la Russie, la Chine ou l'Inde, qui suivront leur propre agenda de développement et ne se laisseront pas influencer.

Notons enfin que la plupart des sites européens où fonctionnent des centrales nucléaires sont bien moins vulnérables aux tremblements de terre ou tsunamis que le Japon.

Naturellement, tous ces arguments n'ont de valeur dans les pays démocratiques que s'ils sont acceptés par l'opinion publique, toujours plus sensible aux angoisses et aux craintes suscitées par l'énergie nucléaire qu'aux arguments rationnels.

Il est donc difficile de prévoir l'évolution de l'attitude des pays européens vis-à-vis du nucléaire. On peut penser qu'en l'absence de nouveaux accidents, beaucoup dépendra des difficultés éventuelles et des coûts de réalisation des solutions « sans nucléaire », notamment en Allemagne. Ailleurs cependant, en Asie, en Chine, en Corée, en Inde, en Amérique latine et en Afrique, l'énergie nucléaire poursuivra son développement. Au Japon, le développement a été stoppé, mais le débat sur l'arrêt complet et sur les nouvelles sources de production énergétique nécessaires n'est pas terminé ; le gouvernement maintient son soutien actif à son industrie nucléaire en dehors du Japon. Aux Etats-Unis, le plan de construction de nouvelles centrales se poursuit, mais à un rythme très lent. Le ralentissement est lié à la situation économique générale et au gaz de schiste. On peut donc craindre que les décisions prises en Europe et le dynamisme de l'Asie ne rendent la tâche de l'industrie nucléaire européenne très difficile.

LES EXEMPLES DE L'ALLEMAGNE ET DU ROYAUME UNI

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Notre seconde session sera consacrée aux exemples anglais et allemand. La presse s'est beaucoup fait l'écho des décisions prises très rapidement en Allemagne après l'accident de Fukushima. Il est en revanche plus rarement question de ce qui se passe au Royaume-Uni, où la continuité prévaut, puisque la construction de nouveaux réacteurs, programmée depuis quelque temps, n'est pas remise en cause.

Je vous propose d'entendre tout d'abord notre collègue Christian Bataille, rapporteur, qui s'est rendu en Allemagne avec Marcel Deneux, pour qu'il nous fasse part de son analyse des choix effectués dans ce pays.

M. Christian Bataille, député, rapporteur. - Sans être exhaustif, le déplacement effectué avec Marcel Deneux du 19 au 22 septembre 2011 nous a donné de la situation allemande une photographie significative, plus proche de la réalité que tous les commentaires que nous avons entendus dans les médias, qui ne correspondent pas à la réalité que nous avons constatée.

Nos entretiens nous conduisent à constater le caractère irrémédiable de la décision d'arrêt des centrales nucléaires à l'horizon 2022, prise à l'unanimité de la représentation parlementaire allemande, sur la proposition de la chancelière Merkel. Inattendue de la part de la majorité chrétienne-démocrate, elle avait été préparée, dès 2002, par la coalition entre les sociaux-démocrates et les Verts dirigée par Gerhard Schröder. La faiblesse relative de l'énergie nucléaire a rendu cette décision réalisable dans le droit fil de la reconversion énergétique allemande. Nul basculement donc !

Une réduction, à un rythme annuel de 2 %, de la part - à ce jour limitée à 22 % -d'électricité d'origine nucléaire constitue un objectif ambitieux mais parfaitement réalisable au regard des ressources énergétiques de nos voisins. L'industrie allemande se préparait à cette évolution. Elle sera compensée par les énergies renouvelables, dont l'affichage est souligné, mais aussi par les importations et par le thermique à flamme.

Le développement des énergies renouvelables résulte d'une politique volontariste. À Berlin comme à Stuttgart, les représentants du ministère de l'environnement fédéral et de celui du Land du Bade-Wurtemberg, qui vient de basculer politiquement, ont mis l'accent sur l'objectif, annoncé par la chancelière allemande dès septembre 2010, d'une croissance accélérée de la part des énergies renouvelables dans la production électrique (de 35 % en 2020 puis de 80 % en 2050), dans le droit fil de la promotion de ces énergies mise en oeuvre, par les majorités successives, depuis le vote de la loi du 29 mars 2000, dite EGG (Erneuerbare Energien Gesetz) sur les énergies renouvelables. Les investissements considérables consentis, sous forme de subventions à la production, depuis une décennie, ont permis à l'Allemagne de rattraper le retard dont elle souffrait par rapport à notre pays. Ainsi, en 2010, 17 % de son électricité provenait des énergies renouvelables, contre 15 % pour la France. Si cela ne nous place pas si loin de la position allemande, l'énergie éolienne et la biomasse fournissent chacune un tiers de cette production outre-Rhin, alors que l'électricité d'origine hydraulique reste prépondérante chez nous.

Toutefois, l'Allemagne ne parviendra aux objectifs assignés aux énergies renouvelables pour 2020 qu'à condition de résoudre deux défis : la capacité à stocker l'électricité produite par les énergies intermittentes et la construction des milliers de kilomètres de lignes à très haute tension nécessaires pour relier les champs d'éoliennes du Nord et les centres industriels du Sud, auxquelles les populations ont manifesté leur hostilité. Un projet titanesque de parcs éoliens offshore, censé augmenter, pour 2030, la capacité de 25 gigawatts, nous a été présenté au ministère fédéral de l'environnement. Un parc expérimental a été mis en service en avril 2010, comportant 12 turbines géantes de 5 mégawatts chacune. Un second parc, en exploitation depuis le 2 mai 2011, contient 21 turbines produisant 48,3 mégawatts à pleine puissance. Leur construction a connu des retards et des surcoûts, liés aux difficultés techniques, les éoliennes étant très éloignées des côtes (respectivement de 56 et 16 kilomètres) et à grande profondeur (respectivement 28 et 19 mètres).

Si de tels défis sont à la mesure de la volonté politique et des capacités scientifiques allemandes, cette extension ne se heurte pas moins à des limites. Nous avons pu le vérifier in situ, à l'unité de production d'électricité à partir de biogaz, de Schwandorf, en Bavière. Provenant d'une centaine d'exploitations de la région, la biomasse est cultivée selon les méthodes agricoles de masse, transportée par camions, déversée dans des silos, avant d'être transvasée par des tractopelles dans de grands digesteurs, et enfin longuement malaxée par des pales motorisées. Le biogaz ainsi produit est transformé puis brûlé dans une petite centrale électrique - à l'échelle d'une petite ville. Compte tenu de l'énergie nécessaire pour ensemencer, cultiver, transporter et transformer cette biomasse en biogaz, le bilan environnemental d'un tel processus, sans doute bien moins favorable que celui du biogaz issu de déchets ménagers, pourtant déjà faiblement positif, pose question.

Nous avons interrogé nos interlocuteurs sur la rentabilité réelle de cette activité et sur ses perspectives de croissance. Ils sont inquiets de l'érosion des subventions accordées par le gouvernement, indispensables - après plus de dix ans d'investissements - au maintien de cette unité de production, comme des quelque six mille autres construites en Allemagne. Pour l'instant, avec 2 % de la production d'électricité, nous sommes très loin des objectifs ambitieux annoncés pour 2050.

Le bilan de la filière nucléaire allemande est mitigé. Parallèle à l'accroissement constant de la part des énergies renouvelables dans la production électrique, la réduction de celle de l'énergie nucléaire n'a guère été interrompue depuis dix ans, sauf dans les quelques mois qui ont précédé le drame de Fukushima. Pourtant, l'Allemagne semblait dotée des atouts nécessaires pour occuper, dans ces deux filières, un rôle de premier plan.

Notre visite de la centrale de Neckarwestheim, à une quarantaine de kilomètres de Stuttgart, et comportant deux réacteurs à eau pressurisée de 840 mégawatts et 1 400 mégawatts, n'a pas démenti notre jugement sur l'excellence technologique allemande dans le secteur nucléaire. Nous avons constaté le parfait entretien du premier réacteur, mis en service en 1976, arrêté depuis le moratoire sur l'énergie nucléaire de mars 2011, et doté, à l'instar des centrales françaises, de dispositifs de sécurité avancés, comme les recombineurs d'hydrogène qui ont fait défaut à Fukushima. Nous n'avons relevé aucun signe avant-coureur de démantèlement et ce réacteur semble bizarrement maintenu en état de redémarrer, en tant que de besoin, sous quelques semaines.

Nous n'avons pas eu le temps de visiter le second réacteur, le plus puissant, construit en 1989, et dont l'arrêt n'est prévu qu'à l'horizon 2022. Toutefois, son taux de disponibilité (89,8 %), très supérieur à celui de nos centrales (78,5 % en moyenne en 2010), prouve une maintenance rigoureuse. Compte tenu de la fin de son amortissement, ce réacteur devrait présenter pour l'exploitant EnBW (Energie Baden-Württemberg AG) une rentabilité intéressante. Néanmoins, fin 2010, EDF a décidé de céder au Land du Bade-Wurtemberg sa participation de 45%.

Nous avons été intrigués par la présence d'un silo destiné aux combustibles usés. La présentation du ministère de l'environnement a révélé les tâtonnements de la politique allemande, alors que la démarche française est fondée, conformément à la loi 30 décembre 1991, sur un investissement de long terme dans la recherche.

En ayant renoncé, à partir de 2005, à retraiter leurs déchets nucléaires en France, nos voisins ne pourront s'exonérer de trouver des solutions adaptées au stockage des verres issus du retraitement, lorsqu'ils devront - inévitablement malgré les protestations des écologistes allemands - rentrer en train de La Hague, mais aussi à celui des déchets non retraités.

L'Allemagne est privée de toute perspective de long terme pour le stockage de ses combustibles nucléaires usés, sinon, après leur refroidissement, celle d'un entreposage prolongé en surface, sur le modèle américain. Ces déchets seront plus exposés aux risques d'incendie, d'attentats ou de chutes accidentelles d'avions. Cette incertitude sur le sort des déchets, véritable talon d'Achille de la filière nucléaire allemande, a certainement joué un rôle dans la décision de son abandon - c'est ce qui nous a été dit.

Le problème de la gestion des déchets restant entier, le gouvernement allemand a annoncé la poursuite des recherches scientifiques sur la transmutation et le stockage géologique profond.

Si l'abandon de la filière nucléaire constitue indubitablement un échec pour l'industrie allemande, celle-ci peut se prévaloir, dans d'autres domaines, de réussites majeures. Le gaz illustre sa maîtrise technologique.

Ainsi, avons-nous pu découvrir, en Bavière, une semaine à peine après son inauguration, la dernière tranche de la centrale d'Irsching, dotée d'une nouvelle génération de turbine gaz à cycle combiné conçue par la société Siemens. Cet ancien prototype se distingue par son rendement de 60 %, mais surtout par sa rapidité de montée en charge: en 10 minutes, hors cycle combiné, jusqu'à 350 mégawatts, puis en 30 minutes, en cycle combiné, à sa puissance maximale de 640 mégawatts.

De telles performances, liées pour partie à une température de combustion supérieure à celle des turbines traditionnelles, ont pu être atteintes grâce aux matériaux de pointe, comme les céramiques, et à une architecture nouvelle, permettant un refroidissement interne des composants les plus exposés à la chaleur. Le développement de ces innovations a mobilisé, pendant plusieurs années, plusieurs centaines d'ingénieurs et techniciens.

Siemens a consenti un investissement d'un demi-milliard d'euros pour la mise au point de cette nouvelle génération de turbines à gaz, parce que leurs caractéristiques, notamment leur réactivité, en font le complément idéal des énergies renouvelables intermittentes, telles l'éolien ou le solaire. Le représentant de la société nous a précisé qu'une vingtaine d'unités étaient d'ores et déjà en cours de construction pour faire face aux besoins de l'Allemagne après l'arrêt, en mars 2011, des premiers réacteurs nucléaires. Convaincue d'une demande croissante pour ses turbines à gaz, Siemens s'est fixé une feuille de route ambitieuse pour le développement de futurs modèles, aux performances encore supérieures.

Nous avons été impressionnés par cette démonstration de maîtrise technologique, mais nous nous sommes interrogés sur les conséquences de l'augmentation prévisible de la consommation de gaz en Allemagne sur son indépendance énergétique (la Russie représente déjà 40 % de son approvisionnement) comme sur l'émission de gaz à effet de serre. A notre grand étonnement, notre inquiétude ne semblait partagée ni au ministère fédéral de l'environnement, ni au Land du Bade-Wurtemberg.

Nos interlocuteurs de Stuttgart ne nous ont pas caché leur intention de mettre à profit le mécanisme européen des droits d'émissions, pour compenser l'accroissement des émissions de CO2 résultant de la décision d'arrêt des centrales nucléaires. Si les ressources de l'économie allemande peuvent sans doute s'accommoder d'une telle dépense, les effets de ces achats massifs de droits pourraient être moins anodins pour d'autres pays, comme la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie, où une industrie lourde fortement émettrice constitue encore une part significative du potentiel industriel.

Nos interlocuteurs nous ont présenté le « marché » comme une ressource énergétique. Ils justifient ainsi leur ignorance de la provenance de l'électricité achetée par l'Allemagne à la bourse de l'énergie de Leipzig. Depuis mars 2011, l'Allemagne, d'exportatrice, est devenue importatrice d'électricité. Une simple consultation du site de l'ENTSO-E (European Network of Transmission System Operators for Electricity), le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité, permet de visualiser les flux d'électricité d'origine nucléaire de République Tchèque et de France.

Le lignite est le pilier de la production électrique allemande. La part du gaz (14 % en 2010) augmentera inexorablement dans les prochaines années. Mais celle du charbon (43 % en 2010, dont 24 % pour le lignite et 19 % pour la houille) demeurera longtemps prépondérante. L'Allemagne, faute de réserves suffisantes de houille (estimées en fin 2008 à 99 millions de tonnes exploitables), importe les deux tiers de sa consommation annuelle (49 millions de tonnes en 2009). Le charbon provient majoritairement (à hauteur de 170 millions de tonnes en 2009) des mines de lignite rhénanes. Nous avons constaté, à quelques kilomètres de Cologne, sur le site d'extraction de Garzweiler et dans la centrale de Niederaussem, les efforts considérables déployés pour exploiter cette importante ressource nationale dont les réserves sont garanties pour 350 ans.

Nous avons été impressionnés par le bouleversement des paysages, sur une étendue de plusieurs dizaines de kilomètres carrés, dû à l'exploitation de cette mine rhénane à ciel ouvert par la société RWE (Rheinisch-Westfälische Elektrizitätswerk), l'un des quatre grands producteurs d'électricité allemands. La technique développée depuis un siècle et demi, permet l'accès à des veines parfois épaisses de soixante-dix mètres.

De gigantesques excavateurs à godets, longs de plus de deux cents mètres et hauts de près de cent, pesant plus de treize mille tonnes, peuvent chacun déplacer, deux cent mille tonnes de minerai par jour, acheminé sur des convoyeurs, puis un réseau ferré dédié, jusqu'aux centrales électriques. Rien ne semble devoir s'opposer à l'activité de ces titans, pas même les villages ou les routes, déplacés pour être reconstruits, à l'identique, un peu plus loin, alors qu'un intelligent reboisement permanent permet de recréer le paysage en quelques années.

Si nos voisins acceptent cette industrie traditionnelle, dont l'empreinte sur les paysages et les vies pourrait apparaître insupportable ici, c'est sans doute en raison des quelque 11 600 emplois directs et 100 000 emplois indirects qu'elle crée. Très professionnelles, les techniques de réaménagement de l'environnement élaborées au fil des décennies permettent de retrouver, à terme, un cadre propice au développement de la flore et de la faune de la région.

La dernière chaudière de la centrale électrique au lignite de Niederaussem, entrée en fonction en 2003, témoigne des capacités d'innovation de l'industrie allemande. Fonctionnant à une température (600°C) et une pression (250 bar) élevées, d'une puissance de 1 000 mégawatts, et dotée d'un système filtrant 99 % des rejets soufrés, elle atteint un rendement de 43 %, contre moins de 40 % pour la génération précédente. RWE expérimente sur le site plusieurs technologies destinées à en réduire encore les rejets : déshydratation préalable du lignite, capture du gaz carbonique en post-combustion, réutilisation de celui-ci comme accélérateur de croissance d'algues. L'opérateur prévoit, pour 2015 et 2020, deux nouvelles générations de chaudières au lignite, toujours plus performantes et moins polluantes.

Les investissements réalisés dans cette technologie et ceux qui sont prévus démontrent que l'Allemagne n'est pas prête à renoncer à la sécurité procurée par une réserve de plusieurs siècles en lignite, qui lui permet de faire face aux imprévus de l'approvisionnement en gaz ou aux retards dans le développement des énergies renouvelables.

Le cas allemand est singulier et l'on ne peut en aucun cas le rapprocher de la France. L'Allemagne ne confiait à la filière nucléaire qu'une part limitée de sa production d'électricité, qu'elle a réduite ces dernières années. Le principal industriel national, Siemens, a fluctué, passant des alliances successives, d'abord avec les français Framatome et Areva, ensuite avec l'américain Westinghouse, avant de se tourner vers Alsthom et, enfin, pour un court moment, le russe Rosatom. Alors qu'elle avait, au début des années soixante-dix, tous les atouts pour imposer sa maîtrise technologique, l'Allemagne a connu, dans le domaine nucléaire, l'un de ses rares échecs industriels.

La mise en oeuvre de la décision de sortie du nucléaire, bien que très progressive et étalée sur une dizaine d'années, posera des difficultés d'adaptation à l'industrie allemande. Néanmoins, les impressionnantes ressources énergétiques de l'Allemagne, avec ses réserves considérables de lignite, et sa capacité à développer des solutions techniques innovantes, pour désulfurer et capturer le CO2, rendront, à terme, ces combustibles plus compatibles avec les préoccupations environnementales. Il en va de même pour la houille qui continuera à être utilisée en quantité. Si nos interlocuteurs ont évoqué avec réticence ces atouts, il semble difficile de croire que l'Allemagne négligera ses réserves, ainsi que son savoir-faire en matière de conception des centrales électriques.

L'Allemagne fait preuve, dans le domaine des centrales gaz, de la même capacité à développer des solutions d'avant-garde et prometteuses de marchés. Mais le recours croissant au gaz russe, pourrait, à l'avenir, constituer une fragilité. Les pays européens doivent donc redoubler d'efforts et de diplomatie à l'égard de la Turquie, pour accélérer la mise en oeuvre du gazoduc Nabucco, ouvrant à l'Europe centrale et méridionale, via la Transcaucasie et l'Iran, un accès direct aux ressources de l'Asie centrale.

Si les énergies renouvelables focalisent les débats politiques outre-Rhin, leur développement reste freiné par les obstacles techniques au stockage et au transport de l'électricité produite par l'éolien et le solaire. Le biogaz reste largement expérimental.

L'Allemagne a fait des choix énergétiques qu'il ne nous appartient pas de remettre en cause, tout comme il ne serait pas acceptable que des militants allemands remettent en question les choix énergétiques français. La France est sortie du charbon, l'Allemagne sort du nucléaire. Chacun sa réalité. Nos voisins peuvent assumer leur projet en toute quiétude. Ils bénéficient de ressources énergétiques considérables, utilisables à tout moment et dont ils justifieront l'exploitation le moment venu, quitte à recourir à des arguties casuistiques, comme l'achat de droits d'émission de gaz à effet de serre.

L'Allemagne va sortir du nucléaire, mais elle n'est pas prête de sortir du charbon. La France ne disposant plus de telles réserves dans son sous-sol, n'aurait d'autre choix, si elle décidait de suivre le même chemin, que d'accroître massivement ses importations de gaz. Cette décision politique serait autrement plus lourde de conséquences sur notre balance des paiements et notre indépendance énergétique.

M. Marcel Deneux, sénateur - Je suis en phase avec ces conclusions auxquelles nous avions réfléchi ensemble, pendant notre déplacement. Le paysan que je suis rappellera que nous avons vu une station dédiée au biogaz, qui n'entretient pas moins de 2 000 hectares de maïs ensilé. Les responsables de la société Viessmann, qui nous ont reçus, nous ont dit exploiter cinq unités de ce type, soit 10 000 hectares ! Cela permet de relativiser les discussions que nous avons en France sur l'appropriation des terres agricoles pour des usages alimentaires ou non. Les Allemands dédient sans vergogne, avec une orientation écologique, des terres agricoles à la production d'énergie. Cela fait partie des contradictions que nous avons relevées. Nous avons appris qu'il y 6 000 unités de méthanisation en Allemagne, c'est vrai, mais pas de cette dimension. Il s'agit en fait d'unités de production liées à l'élevage, de différentes tailles.

Si j'étais enclin à la taquinerie, je rebondirais sur l'affirmation conclusive selon laquelle notre pays n'a pas de réserves énergétiques en sous-sol. Nous devrons réfléchir, à l'avenir, sur l'utilisation, qui peut être conflictuelle, de certaines de nos réserves... - mais tel n'est pas l'objet de notre rapport.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Je vous propose d'entendre maintenant M. William Nutall, directeur adjoint du groupe de recherches sur la politique électrique de l'Université de Cambridge, qui va nous éclairer sur le contexte du « renouveau nucléaire » anglais : quel est l'état de la recherche britannique dans ce domaine ? quelles sont les conséquences de l'existence d'un marché libéralisé ?

M. William Nuttall, directeur adjoint du groupe de recherches sur la politique électrique, Université de Cambridge. - Je tiens à vous remercier pour votre invitation et à préciser que si je m'exprime à titre personnel, mes collègues du groupe de recherches m'ont aidé à préparer mon exposé.

Le marché de la production d'électricité au Royaume-Uni est privatisé et compétitif. Ce n'est pas le gouvernement qui construit les centrales. L'initiative dans ce domaine est privée, elle relève des sociétés. La conscience publique des enjeux du changement climatique est très grande, ce qui crée des tensions. La loi relative au changement climatique s'inscrit dans cette perspective. Il y a plusieurs années, nous avions plus de préoccupations qu'aujourd'hui pour la production d'électricité et la sécurité de notre approvisionnement, notamment en gaz. Plusieurs facteurs ont concouru à l'allègement de cette contrainte, notamment l'augmentation de la capacité d'importation de gaz naturel liquéfié. L'adéquation de notre capacité de production demeure une préoccupation pour notre sécurité énergétique. Si nous ne construisions rien de neuf, nous perdrions toute marge de manoeuvre vers 2015. La solution traditionnelle à ce problème est de développer l'énergie nucléaire et l'énergie éolienne. Cela coûte cher. Dans une approche pragmatique, je vois trois options pour le Royaume-Uni : le gaz avec les turbines à cycle combiné, l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables, dominées par l'éolien. L'énergie nucléaire est plus propre que le gaz et moins chère que le vent.

La politique britannique démarre en 2008, sous le gouvernement travailliste, avec le « livre blanc » sur l'énergie nucléaire, qui soutient officiellement la construction de nouvelles centrales. Ce document a permis une simplification du processus de planification : projet global, évaluation et affirmation d'un besoin national. Il en résulte que si la conception de la centrale est sûre, les procédures d'enquêtes publiques locales ne peuvent remettre en cause la nécessité de construction de la centrale, ni la nécessité de l'énergie nucléaire pour le Royaume-Uni, ni l'emplacement de l'installation. C'est au niveau national que l'on aura répondu à ces questions auparavant.

En 2010 est arrivé le premier gouvernement de coalition britannique (entre les conservateurs et les libéraux-démocrates) depuis des décennies, qui a donné une réelle impulsion au programme de construction de centrales, devant être achevées dès 2018 : tel était le calendrier avant Fukushima. Il n'a pas beaucoup changé depuis.

Avant Fukushima, l'un des problèmes majeurs du nucléaire était l'importance du coût en capital. La construction représente les deux tiers du coût total d'une centrale, à l'opposé du gaz. Il n'y a pas que le coût, il y a les risques économiques, qui sont entièrement assumés, au Royaume-Uni, par les investisseurs : coût du capital élevé ; retard du chantier ; baisse des prix de l'électricité après la construction ; changements de réglementation environnementale, de politique, de gouvernement, d'acceptation sociale pendant la construction, qui dure des années ; chute des prix du carbone avant la mise en service ou problèmes opérationnels pendant l'exploitation ; difficultés d'exploitation opérationnelle. Quatre risques sur sept peuvent affecter l'investisseur avant même qu'il ait vendu le premier kilowatt. A 95 %, après cinq ans de paperasses et quatre ans de construction, l'investissement ne peut être considéré comme un actif : il ne le devient que lorsqu'il fabrique de l'électricité.

Plusieurs aspects de la « stratégie 2020 » de l'Union européenne posent des contraintes à la politique énergétique du Royaume Uni. Il y a une tension entre l'objectif de réduction des gaz à effet de serre et celui d'augmenter la part d'énergie renouvelable, qui en tendant à réduire le prix du carbone, limite l'incitation à diversifier les sources de production.

Ainsi, avant Fukushima, les coûts économiques élevés et les risques économiques menaçaient déjà le renouveau nucléaire. Nous observions aussi les retards et les surcoûts constatés en France et en Finlande. Le gouvernement a répondu en réformant le marché de l'électricité au début de l'année, afin de  fixer un prix plancher pour le carbone, stable et suffisamment élevé ; garantir les tarifs, en créant des contrats différenciés, pour toutes les sources d'électricité hors carbone ; rémunérer les capacités de production ; créer une norme sur les émissions nouvelles, obligeant les installations à capturer le carbone. L'objectif est de porter le prix du carbone à 70 livres la tonne en 2030. Telle est la route vers la stabilité. L'axiome traditionnel au Royaume Uni selon lequel il ne doit pas y avoir de subvention pour l'énergie nucléaire (contrairement aux énergies renouvelables), a été « clarifié » ainsi par le secrétaire d'Etat à l'énergie et au changement climatique l'an dernier : « il n'y aura pas de transfert, paiement direct ou mécanisme de soutien pour l'électricité ou la capacité fournie par un nouvel opérateur privé, sauf si un soutien similaire est accordé plus généralement à d'autres types de production ». Bref, l'énergie nucléaire peut être éligible à des subventions accordées à d'autres formes de production d'énergie pauvres en carbone. C'était avant Fukushima.

Fukushima a-t-il changé la donne ? Pas encore énormément. La position du gouvernement ne paraît pas avoir varié. Le gouvernement et l'opposition travailliste, en Angleterre, continuent de soutenir le programme de construction de nouvelles centrales. Il en va différemment en Ecosse, qui a sa propre politique énergétique. Le calendrier de construction élaboré en 2010 a été un peu retardé, par la réflexion publique et officielle provoquée par Fukushima et le rapport Weightman, mais de façon mineure selon les industriels concernés. En fait, le nouveau calendrier n'a pas encore été rendu public. Nous en saurons davantage dans quelques semaines. J'imagine qu'il y aura des retards d'un certain nombre de mois.

Qu'en est-il des entreprises privées du secteur de l'énergie ? Le risque principal pour le programme nucléaire britannique vient de là, puisque ce sont elles qui prennent l'initiative de construire. Or ce sont de grands consortiums internationaux, qui sont affectés par le climat, politique et social, de leurs pays d'origine. Il y en a trois principaux : un franco-anglais, un germano-allemand et un franco-espagnol. Les décisions allemandes peuvent donc avoir un impact sur le programme britannique. Le Financial Times d'hier rapportait que le consortium des Allemands E.On et RWE cherchait à vendre 25 % de son projet à un fournisseur de technologie nucléaire, pour 5 milliards d'euros. Il ne s'agit pas d'une seule centrale, mais d'un ensemble de centrales, qui représentait l'ambition du groupe en Grande-Bretagne.

Sur Fukushima, il y a deux écoles de pensée. Je tiens à dire que je me range dans la première. Pour celle-ci, si l'on considère l'histoire des accidents nucléaires, Three Mile Island et Tchernobyl apparaissent certes comme des erreurs de l'industrie nucléaire, mais il n'y a pas eu d'erreur de conception de la centrale au départ. Fukushima, en revanche, est la triste conséquence d'une catastrophe naturelle qui a tué des milliers de personnes. De ce point de vue, Fukushima est beaucoup moins inquiétant que les deux accidents précédents. Lorsque je pense à Fukushima, je pense d'abord à toutes les vies perdues dans cette catastrophe naturelle.

Il y a une autre interprétation, selon laquelle l'accident de Fukushima révèlerait une erreur fondamentale dans la conception des centrales nucléaires, montrant que l'on ne peut pas avoir confiance dans l'industrie qui en a la charge. Le débat reste ouvert.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Monsieur Cope, qui dirigez l'équivalent de notre Office outre-Manche, quelle est votre analyse de la politique énergétique britannique, qui soutient simultanément le développement des énergies renouvelables et le maintien d'une composante nucléaire significative ?

M. David Cope, directeur de l'Office parlementaire pour la science et la technologie du Parlement britannique. - Je suis très honoré par votre invitation. Nous avons un immense respect pour notre Office frère. Je suis très impressionné par la devise de la République qui orne votre site internet. Nous avons tous deux la liberté et la responsabilité de conduire des études et des enquêtes destinées à informer nos Parlements respectifs. Je viens d'évoquer notre fraternité. Ce qui nous manque, c'est l'égalité, car j'envie vos moyens de fonctionnement. Mais c'est à Londres que je dois le dire !

Comment le système parlementaire du Royaume-Uni a-t-il traité Fukushima ? Il se trouve que j'étais à Tokyo lors du tremblement de terre. Quand j'ai vu à la télévision ce qui se passait, j'ai aussitôt pensé : « ça y est, voilà la fin du programme de construction nucléaire britannique » ! J'avais tort, et cela m'étonne encore ! Je crois bien connaître mon pays, mais je ne comprends toujours pas la réponse politique et du public à l'événement. Nous n'avons pas eu d'enquête parlementaire sur Fukushima et ses conséquences. C'est une coïncidence si la Chambre des Lords, notre chambre haute, venait juste de commencer, eu moment de l'accident, une enquête sur la recherche-développement nucléaire en Grande-Bretagne. Ils ont donc rapidement inclus la recherche-développement en sûreté nucléaire dans leur investigation. Mais cela n'a créé aucune pression en faveur d'une réponse parlementaire à Fukushima. Cette mission rendra son rapport dans deux semaines, je ne suis pas au courant de ses conclusions, mais on me dit qu'elles seront « robustes ». Le seul examen parlementaire formel de Fukushima en Grande-Bretagne a été un atelier d'une demi-journée organisé en juillet par notre Office, avec Dennis Flory, de l'AIEA, et le président Claude Birraux, venu nous présenter votre rapport d'étape, et, en octobre, une « question parlementaire spéciale » d'un député, dont je puis dire qu'il a des convictions antinucléaires, et qui a pris l'initiative d'un mini-débat à la Chambre des communes avec le ministre en charge de l'énergie.

S'il n'y a pas eu davantage de réaction parlementaire, c'est sans doute parce que le gouvernement britannique, a annoncé, très tôt après le 11 mars, une enquête officielle, le rapport Weightman, du nom de l'Inspecteur en chef des installations nucléaires qui l'a conduite, assisté d'un panel de spécialistes de l'énergie nucléaire. Comme pour votre propre rapport, il y a eu un rapport d'étape rendu en juin et le rapport final sera présenté en octobre. Contrairement à ce qu'en a dit une partie de la presse britannique, il n'exclut pas totalement le risque d'un accident similaire en Grande-Bretagne. Il est vrai que la côte orientale de la Grande-Bretagne a été frappée il y a 8 000 ans par un tsunami, d'une magnitude similaire à celui qui a touché la côte nord-est du Japon. Bien que scientifiquement on ne puisse exclure qu'un tel événement se reproduise, le fait qu'il ait eu lieu il y a 8 000 ans a semblé évacuer le problème. Beaucoup plus près de nous, il s'est produit un incident, en 1607, sur la côte occidentale de la Grande-Bretagne, entre l'Angleterre et le pays de Galles, où doit être construite la première centrale du nouveau programme, mais d'une échelle moindre qu'à Fukushima. De même, s'agissant d'un événement datant d'il y a 400 ans, on a préféré l'ignorer. Techniquement, il faut néanmoins étudier la résistance aux inondations, non seulement graduelles, mais d'une force brutale. Les implications en termes de coût ne sont pas très significatives. Le rapport souligne aussi que rendre plus visibles et moins vulnérables les équipements électriques des centrales pourrait réduire les risques. Il conclut à la poursuite du plan de construction de nouvelles centrales et à l'attention à porter à la prévention des risques d'inondation. Les risques les plus probables dans notre pays sont dus non aux tsunamis mais aux crues liées aux pluies, aux orages ou aux marées.

Personne ne soutient chez nous que ce qui s'est passé à Fukushima n'a aucune importance. Un Vert a été élu l'an dernier au Parlement, et nous avons des groupes écologistes très actifs. Mais, plutôt que d'affirmer que l'accident de Fukushima démontre le caractère inadéquat de l'énergie nucléaire, leur argument, et je dois dire que c'est un peu de votre faute, monsieur le Président Birraux, est que la Grande-Bretagne ne peut prendre des engagements avant que d'autres pays européens aient rendu leurs propres conclusions. Je sais, monsieur le Président, que vous respecterez votre calendrier, mais comprenez combien celui-ci est devenu important pour nous !

En Grande-Bretagne coexistent en fait deux politiques énergétiques, celle menée par l'Angleterre et celle menée par l'Ecosse. Cette dernière estime en effet qu'elle doit mener sa propre politique énergétique car même si le domaine n'est pas de sa compétence, c'est elle qui maitrise l'urbanisme... Pour l'instant, le gouvernement d'Ecosse a décidé de se passer de l'énergie nucléaire, mais 40 % de son électricité est fourni par une seule centrale, d'où de gros problèmes en perspective. Je dis à mes amis Ecossais que cette expérience est intéressante car s'ils arrivent à se débarrasser de l'énergie nucléaire, nul doute que de nombreux pays viendront étudier leur exemple. En revanche, s'ils n'y parviennent pas, qu'ils n'espèrent pas que les Anglais leur vendent de l'électricité nucléaire à bas prix ! Je plaisante, bien sûr...

Je me suis rendu au Japon le mois dernier et j'ai pu constater de nombreux « points chauds » en dehors des zones d'exclusion, sans doute dus aux conditions météorologiques. Cette information n'a pas été beaucoup relayée en Grande-Bretagne ou dans d'autres pays. Si l'opinion publique avait eu connaissance de ces données, elle aurait sans doute évolué. Comme de nombreux Japonais, j'ai acheté mon propre compteur Geiger, et j'ai constaté l'existence d'un « point chaud » dans un faubourg de Tokyo. Affolement des autorités et évacuation de la population ! On a découvert du radium médical dans un immeuble inhabité.

Je crains que tous ces incidents n'amènent l'opinion anglaise et européenne à être plus soupçonneuse à l'égard de l'énergie nucléaire, même si ces « points chauds » n'ont aucun rapport avec l'accident de Fukushima.

Je ne suis pas non plus certain que le public ait une claire conscience de la nature des radiations et des risques nucléaires. Ainsi, les personnes qui se rendent de Londres à Tokyo reçoivent plus de rayonnements cosmiques dans l'avion qu'une fois arrivées au Japon.

J'ai eu des discussions intéressantes avec mon homologue japonais : le 7 mars, le Parlement japonais avait décidé de créer l'équivalent de l'OPECST. Le 11 mars est arrivé et tout a été suspendu. Néanmoins, le Parlement japonais a annoncé en septembre qu'il allait mener ses propres investigations sur Fukushima.

Votre rapport sera sans doute le plus exhaustif de tous ceux qui vont être rédigés par les offices parlementaires d'Europe et il est important que nous en disposions. Je suis profondément honoré d'avoir pu témoigner dans cette enceinte.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur - Nous allons ouvrir le débat.

M. Sylvain David, membre du comité d'experts, chercheur à l'Institut de physique nucléaire. - Vous nous avez fait une présentation assez optimiste des projets nucléaires qui se développent dans le monde. J'aimerais disposer d'une évaluation de la puissance nucléaire installée d'ici vingt ou trente ans, car les projets ne me paraissent pas à la hauteur des quelques gigawatts en construction ou programmés. L'énergie nucléaire, c'est aujourd'hui 5 % de l'énergie. Si la consommation d'énergie augmente de 50 à 60 % d'ici 2030, la part du nucléaire stagnerait s'il s'accroissait du même pourcentage, alors qu'il faudrait construire des dizaines de réacteurs.

M. Daniel Iracane. - Lors de la conférence générale de l'AIEA en septembre, son directeur général a constaté une croissance du parc électronucléaire, mais plus lente que prévue. L'AIEA estime que le nombre de réacteurs va augmenter de 90 à 350 unités d'ici 2030, sachant que nous disposons de 432 réacteurs aujourd'hui, mais les centrales construites aujourd'hui sont plus puissantes que celles en activité. En outre, les nouvelles constructions remplaceront en partie les anciennes centrales. Il n'y aura donc pas d'augmentation importante du parc nucléaire. La fourchette de 90 à 350 illustre bien la zone d'incertitude dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui.

M. Pierre Zaleski. - Ces chiffres sont significatifs. Il est difficile de prévoir, vingt ans à l'avance, les évolutions. Il est certain que la Chine va être extrêmement dynamique en ce domaine. L'Inde marque le pas pour des raisons économiques mais pourrait aussi beaucoup investir dans les années à venir. En 2030, la Chine pourrait posséder 150 gigawatts et l'Inde 60 gigawatts.

Je crains que nous ne soyons en train d'oublier le réchauffement climatique, du fait de la crise. Si on ne le prend pas au sérieux, les énergies fossiles seront privilégiées, au détriment de l'énergie nucléaire.

M. Claude Birraux, député, président. - Depuis l'échec relatif de la conférence de Copenhague, le thème du réchauffement climatique ne fait plus partie de l'actualité médiatique, et encore plus depuis l'accident de Fukushima. Pouvez-vous nous confirmer que le besoin mondial d'investissement dans les infrastructures énergétiques s'élève à 30 000 milliards de dollars d'ici 2030 ?

M. Marco Baroni, Agence Internationale de l'Energie. - Je vous prie d'excuser M. Birol qui a dû partir pour se rendre à une importante réunion. Je travaille à ses côtés. Le besoin d'investissement pour les infrastructures d'énergie s'élève à 36 000 milliards de dollars, d'ici 2030, dont 17 000 milliards pour la seule électricité.

La capacité actuelle du nucléaire dans le monde est d'un peu moins de 400 gigawatts et nos projections d'avant Fukushima pour 2035 faisaient état de 650 gigawatts, en incluant le remplacement des réacteurs trop vieux. Depuis l'accident de Fukushima, ces estimations ont diminué, mais pas de beaucoup. La proportion d'électricité nucléaire resterait stable à 13 ou 14 % du total de l'électricité.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. - Dispose-t-on d'un bilan des énergies renouvelables en Grande-Bretagne ? Les objectifs sont-ils atteints ?

M. David Cope. - Nous avons bien entendu des chiffres concernant les énergies renouvelables et les énergies fossiles : le Royaume-Uni a peu de lignite, mais beaucoup de charbon. Nous nous posons beaucoup de questions concernant la sécurité énergétique dans notre pays ; hier, le comité énergie du Parlement a publié un rapport et il a demandé au gouvernement de créer des indicateurs de sécurité d'approvisionnement énergétique et de publier des rapports annuels sur cette question.

M. William Nuttall. - La plupart des informations dont je dispose concernent la technologie nucléaire. J'aimerais néanmoins faire quelques remarques sur les énergies renouvelables. La cogénération avec la biomasse dans les centrales thermiques me semble très intéressante même si elle ne passionne pas le public.

J'en viens à l'éolien qui passionne l'opinion publique : il faut distinguer l'éolien sur terre et celui sur mer. Sur terre, la technologie est mature mais elle est très mal perçue par le public. De nombreux obstacles ont été dressés et décourageront sans doute les initiatives en ce domaine. C'est pourquoi l'éolien va probablement partir en mer, mais les surcoûts nécessiteront des subventions. Pour l'électricité, nous allons donc avoir l'énergie nucléaire à longue échéance et l'éolien en mer à court terme.

M. Claude Birraux, député, président. - Avec des subventions publiques ?

M. William Nuttall. - Tout à fait, mais elles seront payées par les factures d'électricité. Nous partons du principe que la technologie s'améliorera au fur et à mesure que nous installerons des éoliennes en mer. Nous espérons qu'à terme l'éolien en mer sera moins cher mais, pour l'instant, ce sont les ménages qui payent, surtout les plus pauvres.

Enfin, la Grande-Bretagne devrait se pencher de toute urgence sur l'origine des composants et des machines qui permettent d'exploiter les énergies renouvelables.

M. Claude Birraux, député, président. - La plupart des énergies renouvelables sont intermittentes. N'y aurait-il pas des recherches à mener pour le stockage de ces énergies afin de répondre à la demande ?

M. William Nuttall. - Pour l'instant, le stockage est difficilement envisageable. En revanche, d'autres solutions sont possibles. Si nous voulons réduire nos émissions de carbone de 40 %, nous pouvons avoir des renouvelables intermittents complétés par des énergies fossiles qui pourraient éventuellement séquestrer leur production de carbone. Dans cette hypothèse, on pourrait s'interroger sur le rôle de l'énergie nucléaire. En revanche, si nous voulons réduire nos émissions de CO2 de 80 %, il faudra réaliser un bond technologique et développer considérablement la R&D.

Pour l'intermittence, la connectivité et les infrastructures de distribution ont également une grande importance. Les personnes qui payent pour la distribution ne sont pas toujours les mêmes que celles qui payent pour la production. Au Royaume-Uni, on se pose beaucoup de questions pour savoir qui va payer pour la distribution. Si nous voulions renouveler notre système électrique, il faudrait dépenser énormément d'argent pour le réseau de distribution.

Le stockage ne me semble donc pas une priorité à l'heure actuelle.

M. David Cope. - Au Royaume-Uni, des recherches sont menées en matière de stockage dans des batteries ou avec l'air comprimé mais la seule alternative économique, ce sont des stations de pompage de grande envergure. Nous en avons d'ailleurs construit une il y a vingt-cinq ans. Un site a été identifié pour stocker de l'énergie, mais il se trouve au milieu d'un parc naturel très fréquenté au centre de l'Angleterre et l'autorisation de construire une telle installation ne sera jamais accordée. Le développement de ce genre de technologie n'est donc pas à l'ordre du jour.

M. William Nuttall. - Pour le long terme, il faudrait évoquer la solution procurée par le smart grid, le réseau de distribution intelligent. Ce système pourrait fonctionner, notamment en utilisant les batteries des véhicules électriques.

M. Pierre Zaleski. - Les études sur le stockage ne donnent pour l'instant pas de résultats probants. Evidemment, des stations de pompage sont toujours possibles, mais elles dépendent de situations géographiques spécifiques. Sinon, le stockage reste très cher.

Le smart grid peut répondre à la demande, mais il a un coût ! Il n'y a pas de solution sans investissements pour faire face à la variabilité dans le temps des énergies renouvelables.

J'ai parlé dans mon exposé des stations de concentration solaire, mais le procédé est coûteux ; de plus, pour être pleinement efficaces, elles doivent être installées de l'autre côté de la Méditerranée, ce qui pose alors des problèmes d'ordre géopolitique.

M. Marco Baroni. - Je suis d'accord avec le docteur Nuttall : tout dépend de l'échelle de temps que l'on privilégie et du type de futur énergétique vers lequel on veut aller. Cela dépend aussi de la part d'intermittence dans le mix final énergétique. Enfin, la réponse est spécifique à chaque pays et dépend en partie du type d'interconnexion entre les pays, des smart grids et du stockage.

M. David Cope. - Je souhaite poser une question à M. Bataille sur son rapport que j'ai trouvé vraiment intéressant. Vous avez une frontière commune avec l'Allemagne et vous exploitez la centrale nucléaire de Fessenheim. Certains politiques allemands parlent d'une décision irrévocable en ce qui concerne l'abandon du nucléaire dans leur pays. Ils donnent l'impression de vouloir agir comme les Romains, qui ont semé du sel sur les ruines de Carthage ... Pour moi, on ne devrait jamais s'interdire à tout jamais une option.

M. Christian Bataille, député, rapporteur. - Nous sommes allés avec M. Deneux en Allemagne. Tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés, depuis l'extrême gauche jusqu'aux partis les plus conservateurs, sont engagés dans la sortie du nucléaire. C'est devenu une sorte de philosophie religieuse de l'Allemagne réunifiée, et les choses vont sans doute aller très vite. Nous avons vu une centrale en parfait état de fonctionnement à l'arrêt. Dans mon rapport, j'ai noté qu'elle n'était pas démantelée. C'est une gestion plus prudente que celle de la France, qui a arrêté Superphénix en faisant le nécessaire pour l'empêcher à jamais de redémarrer.

Les militants antinucléaires allemands doivent se calmer : ils prennent l'habitude de passer le Rhin avec les Suisses pour demander l'arrêt de Fessenheim. Je rappelle qu'historiquement, cela n'a jamais vraiment réussi à leurs aînés de franchir cette frontière. Ils ne devraient pas se mêler d'un choix français ; sinon, de la même façon, les Français qui reçoivent le CO2 des centrales au charbon de la Ruhr pourraient passer la frontière pour en demander l'arrêt. Nous convergeons avec les Anglais vers des choix énergétiques identiques, mais il est très gênant que les deux Etats qui constituent la colonne vertébrale de l'Europe continentale aient des points de vue aussi divergents sur la politique énergétique. Je ne comprends pas pourquoi la technologie allemande, qui était au départ supérieure à la nôtre, a reflué du nucléaire alors qu'elle était à l'avant-garde.

Ceci dit, je crois que cet abandon est irrévocable, quels que soient les changements politiques à venir. Dans dix ans, tous les réacteurs seront à l'arrêt.

M. William Nuttall. - Je ferai un commentaire très pro-européen, ce qui peut surprendre de la part d'un Anglais. Le docteur Birol nous a rappelé l'importance de l'Asie de l'est, des Etats-Unis, de l'Afrique. Mais il faut également parler de l'Europe : je préfèrerais avoir une politique unie médiocre plutôt que vingt-six politiques énergétiques différentes. La subsidiarité est importante mais la sécurité d'approvisionnement l'est tout autant. Je suis favorable à une compétence exclusive en ce domaine avec toutes les conséquences que cela implique.

M. Claude Birraux, député, président. - Heureusement qu'il n'y a pas de compétence exclusive européenne ! Chaque pays a ses atouts et ses handicaps. S'il y avait compétence exclusive en ce domaine, le commissaire européen en charge du dossier voudrait étendre à l'Europe entière le modèle de développement énergétique de son pays d'origine. A toutes les délégations étrangères que j'ai reçues, j'ai tenu le même discours : en réponse à la crise du pétrole de 1973, la France a trouvé une réponse, mais d'autres pays ont trouvé d'autres réponses. Le jour où nous avons rendu public notre rapport intermédiaire, j'ai reçu une délégation suisse à qui j'ai dit que je n'avais pas l'intention d'imposer une centrale nucléaire sur chacun de leurs lacs ! La Suisse a trouvé son chemin en matière énergétique, tout comme la France.

Le bouquet énergétique européen me semble assez bien équilibré. Le Danemark vante ses énergies renouvelables mais il oublie de mentionner ses centrales au charbon si bien qu'il produit deux fois plus de CO2 par habitant que la France. Chacun essaye de se frayer un chemin au milieu de ses contradictions et de ses contraintes. Si l'on doit lutter contre le réchauffement climatique en Europe, laissons chaque pays trouver sa solution propre. De grâce, pas d'uniformisation !

M. Birol a évoqué la fin du pétrole à bon marché. Envisage-t-on une même évolution pour le charbon et pour le gaz ?

M. Pierre Zaleski. - Les réserves de gaz sont considérables, mais elles sont finies. A terme, les prix augmenteront donc. Même chose pour le charbon, d'autant que la Chine en consomme énormément et qu'elle va finir par réduire ses exportations.

On parle beaucoup de CO2 mais pas des effets directs sur la santé des centrales au charbon. En Chine, il semble que des centaines de milliers de personnes meurent de façon prématurée chaque année à cause des centrales au charbon. Aux Etats-Unis, c'est le cas de quelques milliers de personnes par an. En Allemagne, les centrales sont de plus en plus perfectionnées et capturent la totalité du souffre, mais quid des particules ? Quelqu'un a-t-il procédé à des études épidémiologiques ? En Pologne, 95 % de l'électricité vient du charbon : j'ai posé la question au gouvernement polonais... et j'attends toujours la réponse ! Le lobby charbonnier n'apprécie guère ces questions. Nous sommes affolés par les quelques centaines ou les quelques milliers de morts prématurées dus à Tchernobyl mais rien n'est dit sur les morts provoquées par les centrales au charbon.

M. Claude Birraux, député, président. - La technologie a sans doute amélioré les choses en capturant le soufre et les particules. Le traitement du gaz carbonique va être abordé, soit par séquestration, mais alors il faudra que l'opinion publique l'accepte, soit par valorisation pour obtenir du méthane.

L'épidémiologie est une matière extrêmement difficile. J'ai fait beaucoup de peine à une chercheuse japonaise qui avait fait une étude épidémiologique sur des groupes de femmes qui avaient visité ou non des usines à risque. Elle avait étudié sur vingt ans l'évolution des femmes japonaises de ces deux groupes. Le problème, c'est que dans un groupe, il y avait 580 personnes et dans l'autre 53 !

Il me reste à vous remercier d'avoir participé à cette après-midi particulièrement intéressante et à vous indiquer que la prochaine réunion aura lieu le jeudi 3 novembre à l'Assemblée nationale.