Mercredi 9 mai 2012

- Présidence de Mme Chantal Jouanno, présidente -

Audition de représentants d'organismes notifiés allemands : MM. Daniel Pflumm (Verband der TÜV), Hans-Heiner Junker (TÜV SÜD) et Björn Clüsserath (TÜV RHEINLAND)

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Mes chers collègues, l'émotion suscitée par le scandale des prothèses PIP n'est pas retombée et l'actualité nous apporte de nouveaux éléments sur l'étendue du traumatisme lié à cette affaire. Je pense, par exemple, aux informations révélées récemment, et relatives au taux de rupture de ces prothèses, qui serait encore plus élevé que redouté. Après avoir recueilli le témoignage des victimes, nous entendons aujourd'hui les représentants des organismes certifiés allemands.

Comme vous le savez, c'est l'un de ces organismes, TÜV Rheinland, qui a certifié, année après année, les prothèses fabriquées par PIP. C'est dire si nous sommes désireux de comprendre comment les choses se sont passées, ainsi que les leçons que vous en avez tiré pour l'avenir.

Le fait que PIP ait pu mettre ses produits sur le marché dans les conditions que l'on sait et pendant une période aussi longue nous interpelle.

L'objectif de notre mission n'est pas de nous substituer à la justice ni de mettre qui que ce soit en accusation. Il est au contraire de se pencher sur les mesures à mettre en oeuvre afin d'assurer une plus grande sécurité des patients, d'autant que les derniers mois ont également été marqués par le retrait d'autres prothèses, avec les conséquences que l'on sait pour la santé des patients ; je pense en particulier aux prothèses de hanche DePuy ou aux sondes de défibrillation St Jude Medical.

Bref, nous abordons votre audition dans un esprit constructif et nous attendons de vous un effort de transparence. Nous espérons aussi que vous nous formulerez des propositions issues de votre propre expérience.

Je passe maintenant la parole à notre rapporteur, qui a de nombreuses questions à vous poser.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Mes questions porteront sur votre système de travail ainsi que sur les procédures que vous employez, de manière à comprendre le fonctionnement - et les dysfonctionnements - du processus de certification.

Pouvez-vous nous présenter TÜV Rheinland et, plus largement, nous expliquer l'organisation de la certification des dispositifs médicaux en Allemagne ? Celle-ci paraît en effet très dispersée par rapport à ce qui existe par exemple en France ou au Royaume-Uni. Est-ce dû à des raisons historiques ? Au caractère fédéral du pays ? Pouvez-vous nous expliquer, en particulier, pourquoi il existe quatre organismes notifiés aptes à certifier des dispositifs médicaux implantables, sur un total de vingt au sein de l'Union européenne, situation totalement inédite ?

M. Björn Clüsserath, TÜV Rheinland. - Nous vous remercions tout d'abord de nous donner la possibilité de participer au débat lancé à la suite des scandales liés aux dispositifs médicaux.

Je représente à la fois TÜV Rheinland et la fédération des TÜV en Allemagne. TÜV Rheinland opère le contrôle technique de la certification, son métier depuis cent quarante ans. Cet organisme contrôle, inspecte et certifie la sécurité et la qualité de produits du monde entier. Notre groupe est organisé comme une association, détail qui peut avoir son importance. TÜV Rheinland est un des quatre organismes notifiés allemands compétents en matière de dispositifs médicaux.

Hans-Heiner Junker représente le groupe TÜV Süd, autre organisme notifié allemand. Il est expert en produits médicaux. Daniel Pflumm représente la fédération de l'association des TÜV.

Pour répondre à votre première question, je dirais qu'il n'y a pas de particularité allemande dans le fonctionnement du système. Ce dernier est européen. Il repose sur une directive européenne, transposée par les Etats membres. Les bases légales sont donc les mêmes en Allemagne qu'en France.

Le fait que l'Allemagne compte quatre organismes notifiés aptes à certifier des dispositifs médicaux n'est pas isolé. L'Italie en compte cinq, la Belgique trois, même s'il est difficile de comparer, car les notifications peuvent varier.

Les organismes sont notifiés par l'autorité nationale compétente. En Allemagne, il s'agit de la ZLG, ou Zentralstelle der Länder für Gesundheitschutz bei Arzneimitteln und Medizinprodukten, l'équivalent de l'Afssaps en France.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Pouvez-vous nous décrire la façon dont vous certifiez les dispositifs médicaux implantables ?

M. Björn Clüsserath. - Les implants mammaires appartiennent à la classe III des dispositifs médicaux, définie par la directive européenne. Pour cette classe, il existe deux procédures de certification différentes. Le producteur a le choix de recourir à l'une ou l'autre.

La première procédure repose sur l'examen d'un produit type. En ce cas, le producteur présente un échantillon qu'il souhaite introduire sur le marché européen. La vérification porte donc sur le produit même.

Pour la seconde, le producteur livre la documentation de conception du produit médical. Il dépose une présentation d'examen de dossier, où il explique le système de contrôle qualité qu'il souhaite introduire, puis fournit une documentation complète relative au produit, à la production, aux matériaux de base utilisés. Enfin, un audit du système de qualité est réalisé de manière périodique.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Si le producteur choisit de recourir à la deuxième procédure, il n'a donc pas à subir de prélèvement sur son produit ?

M. Daniel Pflumm, Verband der TÜV. - Le producteur est libre de son choix. Celui-ci fait porter le contrôle sur le produit ou sur la documentation. L'organisme notifié n'a pas à juger ce choix. Il a, en l'occurrence, peu de marges de manoeuvre. Ce que nous vous décrivons est mentionné dans les annexes de la directive européenne.

Dans le cas des prothèses PIP, le producteur avait choisi de recourir à la deuxième voie, celle où le produit est le moins au centre de la procédure.

M. Hans-Heiner Junker, Tüv Süd. - La première voie consiste en un examen du produit puis de la société, du système de contrôle qualité de la firme, et des conditions de production du produit. Ce n'est qu'ensuite que vient la certification. Au cours de la première phase du contrôle, qui porte donc sur le produit en tant que tel, un échantillon est prélevé et vérifié en laboratoire.

La deuxième voie repose sur le contrôle intensif de la documentation portant sur l'élaboration du produit, présentée par le fabricant. Le fabricant doit lui-même procéder aux contrôles qualité. Il nous présente ensuite ses résultats, que nous vérifions.

Lorsque nous examinons le système de gestion de la qualité, nous nous assurons que la société en question est en mesure de procéder aux différents contrôles nécessaires.

Après certification, nous procédons une fois par an, au moins, à un audit de la société, au cours duquel nous vérifions le système de contrôle qualité. Nous nous assurons également que le fabricant respecte les règles imposées. Tous les cinq ans, un nouveau contrôle du produit a lieu.

Le contrôle peut également être provoqué en cas d'incidents remettant en question la recertification du produit.

Mme Nathalie Goulet. - Combien de produits contrôlez-vous chaque année ? Combien de refus de certification opposez-vous ? En ce cas, quels sont les recours dont dispose le fabricant ?

M. Hans-Heiner Junker. - Le nombre de contrôles dépend de la taille de l'organisme notifié. En règle générale, la majorité des produits ne sont pas acceptés lors du premier contrôle mené par nos inspecteurs. La documentation, les notices d'emploi, le marquage, la description de l'utilisation du produit peuvent souvent être améliorés. On constate aussi, parfois, des erreurs ou des manques techniques.

M. Jacky Le Menn. - Prenons l'exemple du producteur ayant choisi de recourir à l'examen sur dossier. Au cours de celui-ci, l'organisme notifié peut-il demander à recourir au prélèvement d'un échantillon du produit contrôlé, s'il l'estime nécessaire ?

M. Hans-Heiner Junker. - La directive indique que l'organisme notifié peut demander le prélèvement de certains échantillons, ou procéder à certains contrôles, afin de vérifier ce qui est mentionné dans la documentation.

M. René-Paul Savary. - Comment est-il possible qu'un produit comme PIP ait pu passer entre les mailles de ce filet, s'il est si rigoureux ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Tout le problème est que la certification repose soit sur le produit lui-même, soit sur une documentation fournie par le producteur. La directive européenne ne permet-elle pas de faire les deux ? Les producteurs peuvent-ils vous en empêcher ?

M. Björn Clüsserath. - Le producteur a le choix de recourir à l'une ou l'autre procédure, et non pas à une combinaison des deux.

M. Daniel Pflumm. - Il faut bien comprendre que le législateur européen considère les deux méthodes comme équivalentes.

M. Jacky Le Menn. - Vous nous avez pourtant bien dit que l'organisme notifié pouvait, en cours de vérification du dossier, demander des échantillons, n'est-ce pas ?

M. Björn Clüsserath. - Si le producteur décide de recourir à la deuxième voie, l'organisme notifié ne peut travailler que sur le dossier qui lui est fourni, tant que la documentation est conforme aux exigences de production dudit produit. La possibilité de recourir à la demande d'échantillons, évoquée par M. Junker, est une exception. Il faut, pour y avoir recours, des indications montrant que des problèmes existent sur le produit contrôlé.

Le dossier présenté par le fabricant comprend une documentation portant sur le matériel de base utilisé, faisant elle-même appel à l'expertise de laboratoires accrédités. Aucune vérification supplémentaire n'est menée si nous ne disposons pas d'indice relatif à l'existence de problème sur le matériel.

Le producteur a l'obligation de signaler à l'organisme notifié tout changement dans son dossier. Dans ce cas, et si des doutes existent sur le matériel de base, des échantillons peuvent également être demandés.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Vous avez contrôlé et certifié les prothèses PIP. Votre contrôle a-t-il porté sur le produit ou sur le dossier ? Vous dites, en outre, mener des vérifications régulières après certification. Pourquoi, dès lors, n'avoir pas vu le problème ?

M. Björn Clüsserath. - TÜV Rheinland était effectivement chargé du contrôle des prothèses PIP, pour lequel le fabricant avait choisi la deuxième voie.

Pourquoi le problème ne nous est-il pas apparu ? Il faut bien comprendre que l'audit de qualité en entreprise n'a rien à voir avec la surveillance du marché, qui dépend des autorités compétentes de chaque Etat membre.

Par exemple, le chiffre relatif au nombre de ruptures de prothèses n'est pas signalé à l'organisme notifié.

M. Hans-Heiner Junker. - Lors de la vérification d'un système qualité, nous nous basons sur les normes européennes harmonisées Iso 13485 et Iso/CEI 17021. Nous programmons les audits, en convenons avec le fabricant. Nous définissons ensuite un plan d'audit, que nous remettons au producteur. Une fois sur place, nous regardons ce qui se passe, discutons avec les employés et vérifions si l'activité de la société correspond au système qualité mis en place.

Le contrôleur prélève certaines pièces, mais nous ne communiquons pas le détail de nos investigations au fabricant.

La modification par le producteur de son produit, notamment quand il est de classe III, est toujours contrôlée. Si celle-ci est importante, il se doit de la signaler à l'organisme notifié, ce qui déclenche un contrôle.

Nous vérifions également la façon dont le fabricant a mis en oeuvre les mesures de correction, ou dont il intègre l'information qui lui revient du marché. Le fabricant reçoit en effet un retour de ses clients sur le positionnement de son produit.

Mme Nathalie Goulet. - Savez-vous si un produit a déjà subi un refus de certification en Union européenne ou hors de celle-ci ? Existe-t-il un registre indiquant qu'un produit a déjà été présenté ou refusé ailleurs ?

M. Hans-Heiner Junker. - Ce type de registre n'existe pas en Europe.

Cependant, un fabricant désireux de mettre son produit sur le marché doit en faire la demande auprès d'un organisme notifié, et lui signaler toute demande de certification faite précédemment auprès d'un autre organisme.

M. Björn Clüsserath. - Le système repose fortement sur la responsabilité du producteur : il doit signaler cette information, ainsi que tout changement dans son processus de production, par exemple.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - A quelles sanctions s'expose-t-il s'il ne le fait pas ?

M. Björn Clüsserath. - A notre connaissance, aucune.

M. Daniel Pflumm. - Il en va de même dans d'autres domaines de la législation européenne, portant sur les ascenseurs ou les jouets, par exemple !

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Cela n'est pas gage d'une meilleure sécurité sanitaire !

M. Daniel Pflumm. - C'est pourquoi nous proposons des changements. Un réajustement doit se faire, surtout lorsqu'il s'agit de produits pouvant être potentiellement dangereux.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quelle appréciation d'ensemble portez-vous sur la procédure de marquage CE ? Comment la compareriez-vous à la procédure de l'autorisation préalable existant aux Etats-Unis pour les dispositifs les plus critiques ?

M. Daniel Pflumm. - Le marquage CE sert uniquement à montrer aux autorités nationales compétentes que le producteur a déclaré son produit conforme à la loi.

Cela peut déjà donner une indication pour la surveillance du marché au sein des Etats membres. Néanmoins, les autorités nationales compétentes, qui ont toutes des moyens limités, ne peuvent mener que des contrôles ciblés.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Et donc, quelle appréciation portez-vous sur cet état de fait ?

M. Daniel Pflumm. - Nous aimerions revenir à une vérification centrée sur le produit, surtout pour les dispositifs médicaux. C'est la position de tous les organismes notifiés du secteur. Nous parlons d'un produit pouvant être vraiment dangereux. Une simple déclaration du producteur ne peut suffire !

Il arrive de plus en plus souvent que les produits viennent de très loin. Dans ces conditions, la surveillance du marché par les autorités compétentes arrive trop tard, le produit est déjà chez le consommateur. Il faut donc recentrer les contrôles sur le produit et son origine, c'est la direction prise par les quatre propositions que nous avons formulées sur ce sujet. Le législateur européen doit intervenir.

Mme Nathalie Goulet. - Il est important pour nous de connaître les mécanismes pour savoir où sont les failles. Lors de travaux du Sénat portant sur la pollution des mers par les hydrocarbures, nous avions constaté que se posait, là aussi, le problème des compagnies qui certifiaient les navires.

Nous avions à l'époque imaginé que les fabricants puissent contribuer à un fonds d'indemnisation, qui constitue, en quelque sorte, une garantie financière de leur bonne foi.

Peut-on imaginer cette solution dans votre domaine ?

M. Björn Clüsserath. - Nous sommes naturellement ouverts à tout changement qui permette de limiter les conséquences de tels scandales.

Il est important de modifier le comportement des parties impliquées dans ce système, en étant plus sévère. Cependant, il semble difficile d'imaginer un système qui garantisse la non-reproduction des sinistres quand on est face à des agissements aussi criminels que dans l'affaire PIP.

Votre proposition permettrait de limiter à la fois les conséquences financières des dommages et les motivations frauduleuses. Pour autant, à notre sens, il faut faire plus.

M. Daniel Pflumm. - La révision de la législation en vigueur est en cours depuis 2008. Cette année, Bruxelles va proposer un règlement, par définition plus contraignant pour les Etats. Il devra mettre fin aux ambiguïtés, en faisant en sorte que le fabricant n'ait pas le choix de la méthode de certification de son produit. C'est en tout cas notre souhait.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Avez-vous modifié votre dispositif d'évaluation des dispositifs de classe III, à la suite de l'affaire PIP ? Sur quels points ? Avez-vous davantage recours à des inspections inopinées.

M. Björn Clüsserath. - La directive prévoit non pas des inspections mais des visites inopinées. En outre, la norme Iso 17021 ne prévoit de visites inopinées qu'en cas de raisons importantes ou de motif grave.

Le cadre légal sur lequel s'appuient les organismes notifiés faisant partie de Team-NB pour agir n'a pas fondamentalement changé, jusqu'à présent. Cependant, nous prenons de nombreuses initiatives pour renforcer nos actions. Nous avons ainsi, récemment, proposé un code de conduite qui prévoit de renforcer nos activités.

Dans la pratique, les visites inopinées ne sont pas évidentes à effectuer. Les fabricants ont le droit de ne pas nous ouvrir leur porte.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Comment s'effectue le contrôle des organismes notifiés en Allemagne ? Sur quels points est-il différent de ce qui existe dans les autres pays européens, s'il l'est ?

M. Hans-Heiner Junker. - J'ignore les procédures de contrôle en vigueur dans les autres pays.

En Allemagne, l'organisme de contrôle vient nous voir au moins une fois par an, pendant plusieurs jours. Les activités et contrôles que nous effectuons sont vérifiés par plusieurs auditeurs, ainsi que notre système de gestion de qualité.

J'espère que la procédure est la même dans les autres pays ! Dans tous les cas, nous avons besoin qu'elle soit harmonisée au niveau européen. Des règles européennes ont été prises. Elles constituent des documents de base, appelées NBOG, pour Notified Body Operations Group, que tous les Etats membres ont indiqué vouloir mettre en oeuvre. A ce jour, cependant, seule l'Allemagne a traduit cette documentation en actes. Il est possible que les autorités de contrôle des différents pays aient des points de vue divergents sur la transcription de ces règles, qui ont été rédigées par des représentants des autorités de surveillance des Etats membres.

M. Daniel Pflumm. - La loi doit être appliquée. Les règles sont communes, mais leur application ne l'est pas.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Etes-vous évalués par les autorités sanitaires des autres Etats membres ?

M. Hans-Heiner Junker. - Les autorités ont commencé à pratiquer des peer reviews. Par exemple, nous avons été récemment interrogés par l'autorité espagnole. De cette façon, les autorités nationales compétentes s'efforcent d'échanger leurs points de vue et leurs exigences.

M. Björn Clüsserath. - En revanche, il n'est pas possible d'être notifié par une autorité d'un autre pays.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Faites-vous partie de l'association des organismes notifiés, Team-NB ? Avez-vous signé le code de conduite établi par cette association, qui a pour objectif de fixer des règles précises en matière de qualification du personnel, de durée et de modalités des évaluations, entre autres choses ?

M. Hans-Heiner Junker. - TÜV Rheinland et TÜV Süd font partie des trente-trois membres qui constituent Team-NB. Un code de conduite a été rédigé il y a trois ans par cinq organismes notifiés : LNE/G-MED, BSI, KEMA, TÜV Rheinland et TÜV Süd. Douze organismes notifiés l'ont déjà signé, cinq autres ont annoncé leur intention de le faire.

Nous nous demandons actuellement si ce code de conduite ne devrait pas devenir obligatoire au sein de Team-NB. Nous continuons en outre à l'améliorer et à le renforcer, ce qui correspond, d'ailleurs, à une demande du commissaire européen Dalli, que nous avons récemment rencontré.

Audition de M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale

Mme Chantal Jouanno, présidente. - La direction de la sécurité sociale assure la tutelle de l'ensemble des organismes du système de sécurité sociale et je souhaite que vous puissiez apporter votre éclairage sur plusieurs points qui intéressent notre mission d'information.

En effet, au-delà du poids important des dispositifs médicaux dans les dépenses d'assurance maladie, nous souhaiterions aborder avec vous la question de l'association de la sécurité sociale au système d'évaluation et de matériovigilance des dispositifs médicaux. Plusieurs interlocuteurs de notre mission ont par exemple insisté sur le rôle que pourraient jouer les bases de données de l'assurance maladie dans la réévaluation des dispositifs après leur commercialisation. La possibilité de soumettre le remboursement des dispositifs médicaux implantables au renseignement d'un registre garantissant leur traçabilité a également été évoquée.

Par ailleurs, comme vous le savez, le champ de notre mission s'étend aux interventions à visée esthétique. Nous sommes curieux de connaître votre point de vue sur la place qu'il convient d'accorder à la responsabilité collective dans ces pratiques de plus en plus nombreuses et, plus généralement, sur leurs modalités d'encadrement.

Sur ces premières interrogations, je laisse la parole à notre rapporteur.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Pourriez-vous présenter brièvement le rôle et les missions de la direction de la sécurité sociale ? Comment s'inscrit-elle dans le paysage institutionnel sanitaire français, notamment dans le cadre de ses relations avec l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), la Haute Autorité de santé (HAS), le Comité économique des produits de santé (CEPS), etc. ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - La direction de la sécurité sociale est chargée du pilotage des politiques de sécurité sociale, dans trois grands domaines :

- sur le plan financier, dans le cadre de la préparation et du suivi des lois de financement de la sécurité sociale ;

- l'élaboration et le suivi des différentes politiques publiques de sécurité sociale : l'assurance maladie, la vieillesse, les accidents du travail et la famille ;

- la tutelle et l'animation des caisses de sécurité sociale au travers de la contractualisation avec la caisse nationale.

En ce qui concerne l'assurance maladie, notre mission fondamentale consiste à assurer la préparation et le suivi de l'objectif national des dépenses de l'assurance maladie (Ondam). A ce titre, nous sommes membre du Ceps, membre avec voix non délibérative des différentes commissions de la HAS et, en particulier s'agissant des dispositifs médicaux, de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS). Bien que nous ne soyons pas compétents stricto sensu sur les sujets de sécurité sanitaire, nous sommes donc associés aux mécanismes de régulation des dispositifs médicaux. Dans le cadre des procédures de remboursement, il peut effectivement y avoir une interface entre les critères d'admission au remboursement et les critères d'évaluation des dispositifs médicaux. Pour autant, la direction de la sécurité sociale ne demeure associée que de façon très lointaine aux problématiques strictes de matériovigilance, puisqu'elle se concentre sur les sujets de droit au remboursement.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quel est le nombre total de dispositifs médicaux inscrits sur la liste des produits et prestations remboursables (LPPR) de l'assurance maladie ? Combien d'entre eux appartiennent à la classe III ? Quelles sont les parts respectives des dispositifs médicaux de classe III sous nom de marque et sous ligne générique ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - La LPPR comporte aujourd'hui près de 3 000 lignes génériques, recouvrant ainsi près de 80 000 produits commercialisés, ce qui témoigne de l'extrême diversité des produits. Se pose également la problématique de la distinction entre ligne générique et produits de marque. L'ANSM recense, de son côté, près de 4 400 dispositifs médicaux de classe III et 7 600 dispositifs médicaux de classe IIb, ces deux classes constituant le périmètre qui se rapproche le plus des dispositifs médicaux implantables. Ce chiffrage comprend des dispositifs médicaux inscrits sous ligne générique.

Si nous examinons, maintenant, les produits admis au remboursement dans le cadre de la LPPR, nous recensons 700 dispositifs inscrits à la nomenclature, dont 29 % sous ligne générique et 71 % sous nom de marque. 87 % des dispositifs implantables posés par les établissements correspondent à des lignes génériques, avec deux grandes familles : les implants orthopédiques et les implants afférents au système cardio-vasculaire.

Coexistent deux types de mode de prise en charge des dispositifs médicaux :

- d'une part, le financement intra-GHS (groupement homogène de séjour) qui constitue le financement de droit commun des dispositifs médicaux, ceux-ci n'étant pas codés pour la plupart et s'intégrant dans la politique d'achat de l'établissement de soins ;

- d'autre part, le financement via la liste en sus pour lequel nous avons un dispositif médical ayant fait l'objet d'une évaluation, d'une procédure de fixation d'un tarif et d'un prix limite de vente par le Ceps, ce qui nous donne une connaissance beaucoup plus fine de l'utilisation des différents produits, même si sur cette liste en sus nous retrouvons encore une fois la problématique de la liste générique versus l'inscription en nom de marque.

Cette différence de réglementation, de pratiques et de modes de remboursement est un élément très structurant de l'analyse du secteur des dispositifs médicaux.

Mme Nathalie Goulet. - Etant réfractaire aux sigles, j'ai du mal à comprendre ce que sont les GHS ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Groupement homogène de séjour. Dans ce cadre-là, l'assurance maladie paie à l'hôpital une prestation qui peut comprendre, selon les cas, l'utilisation et la pose d'un dispositif médical dont on n'identifie pas, en réalité, l'existence, par opposition aux dispositifs inscrits sur la liste en sus qu'on peut suivre avec précision. Cette liste en sus existe pour un certain nombre de dispositifs médicaux qui, de par leur prix et leur utilisation non homogène par rapport au tarif, diffèrent sensiblement du GHS. C'est bien souvent leur caractère innovant qui justifie un financement particulier et donc leur inscription sur la liste en sus.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quelle est la part dans les dépenses d'assurance maladie et l'évolution, au cours des quinze dernières années, de la prise en charge de ces dispositifs médicaux de classe III ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Les dispositifs inscrits sur la LPPR représentent une dépense globale avoisinant les 6 milliards d'euros, qui a connu une dynamique assez forte avec des taux de croissance supérieurs à 10 % jusque dans le milieu des années 2000. Par la suite, le taux de progression se situe plutôt entre 5 % et 10 %, avec des évolutions qui peuvent être fortement heurtées, liées à des politiques de réintégration dans certains tarifs. Par exemple, en 2009, on observe un taux de croissance faible des dépenses de prise en charge de 1,6 %, en raison de la réintégration des dispositifs médicaux utilisés par les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quelles sont les spécialités chirurgicales les plus concernées par ces évolutions ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - La dépense liée aux dispositifs médicaux implantables inscrits sur la liste en sus, de l'ordre d'1,5 milliard d'euros, est légèrement moins dynamique. Elle progresse, en 2010, de 2,6 %. Les spécialités chirurgicales les plus concernées sont l'orthopédie (genou, hanche) et la neurologie (pour la pose de stents en particulier).

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Que posez-vous en neurologie ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Principalement des stents à la suite d'accidents vasculaires cérébraux.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Dans ce cas, parlons plutôt de neuroangiologie. Je pensais que la cardiologie était beaucoup plus concernée par la pose de stents et sondes.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - La cardiologie est moins dynamique car un certain nombre de dispositifs ont été réintégrés dans les GHS et apparaissent, par conséquent, moins sur la liste en sus.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Les chiffres que vous nous avez communiqués ne font référence qu'à des produits inscrits sur la liste en sus ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Oui.

M. Jacky Le Menn. - En clair, vous cherchez à diminuer le volume de ce qui apparaît sur la liste en sus.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - On cherche à appliquer une doctrine qui est celle dictée par les textes.

M. Jacky Le Menn. - En tout état de cause, la maîtrise de la dépense est plus forte pour les dispositifs hors liste en sus...

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Il existe des critères pour qu'un dispositif puisse être inscrit sur la liste en sus : des prix élevés par rapport au tarif du GHS et une dispersion de l'utilisation par rapport au GHS. Si vous intégrez un dispositif très cher utilisé de façon épisodique dans le cadre du GHS, vous perturberez considérablement la tarification de l'hôpital, ce qui n'est pas conforme aux exigences de régulation de la dépense. Dès lors que nous avons des produits qui, en termes de prix et d'homogénéité des pratiques, ne justifient plus leur maintien en liste en sus, nous proposons chaque année au ministre, conjointement avec la direction générale de l'organisation des soins, une réintégration dans le tarif du GHS. En 2010, nous avons ainsi réintégré un certain nombre de valves cardiaques classiques, en 2011 des défibrillateurs cardiaques implantables. L'idée est que la liste en sus reste réservée à des dispositifs innovants avec des prix décorrélés du GHS.

Il s'agit d'un des éléments de notre politique de maîtrise globale des coûts, auquel s'ajoutent des baisses de prix, et la maîtrise médicalisée, c'est-à-dire la promotion d'un usage pertinent des dispositifs médicaux aussi bien par les prescripteurs que par les assurés.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quel est le coût estimé de la prise en charge par la sécurité sociale des explantations de prothèses des victimes de l'affaire PIP ? Seriez-vous favorable à la prise en charge par l'assurance maladie des dépenses engendrées par les réimplantations de prothèses pour ces victimes ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Le coût dépend des motivations qui ont conduit la patiente à avoir recours à une explantation. Les chiffres communiqués par la direction de la sécurité sociale reflètent un coût maximal de 60 millions d'euros dans l'hypothèse d'un recours systématique à l'explantation par 30 000 femmes pour un coût moyen de 2 000 euros. L'ANSM, en lien avec l'assurance maladie, suit régulièrement l'évolution du nombre de recours à l'explantation : on se situait à un peu moins de 4 000 explantations à la fin du mois de mars.

Les ministres ont exprimé clairement leur position sur ce qui devait être pris en charge par l'assurance maladie et ce qui n'avait pas vocation à l'être. Cette ligne de partage me semble conforme aux textes. Dans le cas d'une chirurgie reconstructrice, on se situe clairement dans une logique de soins ; dans le cas d'une opération à visée esthétique, on ne l'est pas.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quelle appréciation portez-vous sur l'évaluation des dispositifs médicaux implantables et sur leur réévaluation après leur commercialisation ? Les conditions dans lesquelles la HAS évalue la sécurité et l'efficacité des dispositifs médicaux implantables vous paraissent-elles satisfaisantes ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - En matière de sécurité sanitaire, interviennent l'ANSM, sur la matériovigilance, et la HAS sur l'évaluation de l'efficacité et la définition des spécifications techniques des dispositifs médicaux.

La HAS, comme les autres acteurs de la sécurité sanitaire, fait face à une dispersion importante du secteur et à un nombre extrêmement important de produits à gérer. Nous travaillons avec elle en vue de prioriser davantage les réévaluations régulières de lignes génériques. Nous sommes susceptibles de progresser en nous appuyant sur deux éléments :

- l'accord-cadre signé entre le Ceps et l'industrie des dispositifs médicaux va permettre de réaliser des progrès importants dans la définition des programmes d'études et du suivi des dispositifs ;

- compte tenu de l'insuffisance des informations dont nous disposons sur les dispositifs médicaux utilisés en intra-GHS, nous devons mettre en oeuvre le levier que nous confère l'article 37 de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (dite loi « médicament »), qui permet l'évaluation par la HAS de certaines classes de dispositifs médicaux afin de décider, en fonction de la mesure de leur efficacité, de leur intégration dans la liste d'achat par les hôpitaux, ce qui revient à mettre en place un système d'évaluation comparable à celui opéré pour la liste en sus.

Le décret d'application de ces dispositions est actuellement en cours d'examen au Conseil d'Etat et devrait donc être publié très prochainement.

L'existence même d'une ligne générique peut limiter la connaissance du payeur et de l'ensemble des acteurs sur la qualité du produit concerné.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Plusieurs interlocuteurs de la mission ont souligné la nécessité de renforcer l'évaluation des dispositifs médicaux implantables après leur commercialisation. Dans cette perspective, l'utilité du recours aux bases de données de l'assurance maladie a été soulignée. A cet égard, pourriez-vous nous préciser la nature des informations contenues dans les bases de données de la sécurité sociale en ce qui concerne les dispositifs médicaux implantables (patient, prescripteur, distributeur, etc.) ? Le recours à ces bases de données serait-il, selon vous, de nature à améliorer la qualité des études post-inscription ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Je partage tout à fait l'idée que ces bases de données constituent des outils potentiellement utiles et puissants en vue de nourrir des études sur la bonne adaptation de notre système de soins et des mesures sur l'utilisation d'un certain nombre de produits. Pour autant, ces bases de données sont construites à partir d'informations existantes et de règles de codage. A ce stade, aucune donnée dans le système d'information de l'assurance maladie n'existe pour l'ensemble des dispositifs médicaux implantables qui sont intégrés au tarif des GHS. Si on souhaite s'appuyer sur les bases de données de l'assurance maladie afin de mieux appréhender l'utilisation de ces dispositifs, il faut donc mettre au point un codage pour la partie intra-GHS qui n'existe pas encore. C'est techniquement faisable, mais se pose également la question des produits génériques : entendons-nous simplement identifier une ligne générique dans ce codage, ou identifier à la fois une ligne générique et un produit de marque afin de pouvoir remonter jusqu'au dispositif précisément concerné ? Un certain nombre de préalables restent à lever.

Il nous faut également construire une politique d'étude afin de déterminer précisément les informations que l'on cherche à collecter. C'est le sens du groupement d'intérêt public (Gip) créé par la loi « médicament » qui réunit la HAS, l'ANSM, la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam), la direction générale de la santé (DGS) et la DSS en vue de mettre en commun l'expertise et de construire des programmes d'étude. Il s'agit d'une oeuvre de longue haleine.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Des pays comme l'Australie ou la Suède ont mis en place des registres pour les dispositifs médicaux implantables, qui consignent des données épidémiologiques relatives au patient et à l'implant. Ces registres peuvent constituer un outil efficace pour détecter rapidement les défaillances de certains dispositifs. Cependant, en France, leur mise en place achopperait sur le caractère facultatif de leur renseignement par les chirurgiens ou sur la trop grande complexité des renseignements demandés. Pour remédier à ces difficultés, serait-il envisageable, selon vous, de conditionner le remboursement d'un dispositif médical implantable à l'inscription par le chirurgien, au sein d'un registre dédié, des données permettant de garantir la traçabilité du dispositif et d'avertir rapidement le patient en cas de défaillance ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - On touche à des sujets qui concernent plus la sécurité sanitaire. Les règles existantes imposent des exigences de traçabilité aux hôpitaux, aux pharmaciens, aux médecins prescripteurs et utilisateurs, afin de pouvoir rattacher l'utilisation du dispositif médical à un épisode de soins, mais elles sont imparfaitement respectées.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Très imparfaitement, en raison notamment du caractère facultatif des déclarations.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Si nous souhaitons disposer d'une information consolidée permettant de mettre en oeuvre un suivi, le plus simple et le plus opérationnel consiste encore, en effet, à s'appuyer sur le flux d'informations liées au remboursement en l'enrichissant. A partir du moment où nous saurons coder la nature d'un dispositif bien ciblé, là encore après s'être posé la question de la ligne générique, nous aurons à notre disposition un registre qui permettra d'automatiser la remontée de l'information. Ce qui correspond peu ou prou à la logique de circulation de l'information que nous avons mise en place jusqu'ici au travers du système national d'information interrégimes de l'assurance maladie (Sniiram) et du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI).

C'est une stratégie relativement simple qui n'exige pas de changer fondamentalement les pratiques du médecin et de son équipe. Néanmoins, elle suppose des évolutions du système d'information des hôpitaux, qui peuvent s'avérer techniquement lourdes. Nous sommes devant l'alternative suivante : soit on privilégie une approche de métiers en confiant aux sociétés savantes le soin de créer et de piloter l'enregistrement des données dans les registres, mais on sait que le caractère facultatif de cet enregistrement met en cause la fiabilité des informations d'un point de vue statistique ; soit on choisit de s'intégrer complètement dans le dispositif de traçabilité du remboursement, ce qui suppose alors d'enrichir le PMSI et le codage des dispositifs.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Avez-vous évalué les évolutions induites par le développement de ce codage ? Est-ce faisable ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Nous ne les avons pas évaluées, mais rien ne me laisse penser, a priori, que ce n'est pas faisable. On en revient, cependant, au sujet de la ligne générique : si le codage ne référence une prothèse qu'en fonction de sa ligne générique, vous ne serez pas en mesure d'identifier précisément la prothèse effectivement utilisée. Pourrons-nous donc mettre au point un codage à la fois de la ligne générique et du produit considéré ?

Des travaux conduits au niveau européen s'intéressent à la mise en oeuvre d'un identifiant unique pour chaque dispositif médical. Il n'y aurait pas d'obstacle à faire figurer celui-ci dans le PMSI. Mais il s'agit de chantiers particulièrement longs. Le Sniiram a nécessité près de dix ans...

M. Jacky Le Menn. - Vous disposez de suffisamment de données dans le PMSI pour participer à cette évolution. Si l'objectif commun est celui de la traçabilité, pourquoi ne serait-il pas possible, dans le cadre d'une opération donnant-donnant, de demander au chirurgien de fournir un certain nombre de données, du reste pour certaines déjà contenues dans le PMSI, s'il souhaite obtenir le remboursement de son opération ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Attention, ces informations, pour l'heure, n'existent pas : la nature d'un dispositif médical en dehors de la liste en sus n'est pas indiquée dans le flux d'informations liées au remboursement. Mais effectivement, mon opinion est qu'on peut faire apparaître ces informations en vue de constituer des registres à l'appui d'études épidémiologiques par exemple.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Justement, dans les hôpitaux, une personne est, en général, chargée de procéder à une commande globale de dispositifs médicaux. Pourquoi ne pas demander à cette personne de fournir un certain nombre d'informations de suivi ? Je ne vois pas bien vos réticences...

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Fondamentalement je n'en ai pas.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Si cela demande plus d'effort, ce n'est pas un problème en soi, quand l'intérêt qui prime est celui d'une plus grande sécurité.

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Je souhaitais juste insister sur le fait qu'une évolution de ce type prend du temps.

M. Jacky Le Menn. - C'est du temps bien investi...

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Un identifiant unique doit-il être élaboré au niveau européen ou international ? Quelles sont les difficultés dans ce domaine ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Dès lors que des travaux sont conduits au niveau européen sur ce sujet, autant se caler dessus. Il faut qu'il soit conçu de façon à pouvoir être utilisé dans les chaînes de facturation. Je prends comme exemple la facturation directe dans les établissements de santé anciennement financés par dotation globale, votée par le Parlement dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004. Après plusieurs reports successifs, une expérimentation a été lancée en 2010, et nous savons, en 2012, que la montée en charge du dispositif se poursuivra au moins pendant encore cinq ans.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Que vous inspire le développement des pratiques médicales à visée esthétique ? Pensez-vous que cette évolution risque de limiter l'accès aux soins pour une partie de la population ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Premièrement, cela me semble relever d'une logique de choix personnels. Deuxièmement, cela suppose la mise au point d'un cadre de sécurité sanitaire conférant plus de garanties aux patients concernés. Cela dit, je n'ai pas à ma disposition d'outil d'analyse me permettant de mesurer un éventuel risque de détournement du temps médical de soin vers des pratiques esthétiques. Notre objectif est celui de la maîtrise des dépenses d'assurance maladie, en tenant compte de l'attractivité des métiers médicaux et de la rémunération des personnels concernés. Je n'ai pas le sentiment que le développement de la médecine esthétique prive nos concitoyens de ressources médicales.

Quand l'acte intervient dans le cadre d'une chirurgie réparatrice et reconstructrice, il répond à une logique de soin qu'il est normal de rembourser. En revanche, l'assurance maladie n'a vocation à rembourser ni la pratique ni les conséquences des interventions à visée esthétique. Il existe un dispositif souvent mal connu qui est celui du recours contre tiers. Il appartient à l'assurance maladie de se retourner vers l'auteur du dommage ou son assureur en cas de complication. Au mois de février 2011, nous avons rappelé aux établissements de santé leur obligation d'informer les caisses des dysfonctionnements de certains dispositifs médicaux pour permettre ensuite aux caisses d'exercer ce recours contre tiers. Il me semble pleinement légitime que l'assurance maladie ne finance pas en dernier ressort ces accidents. Naturellement, elle paiera car il est hors de question de refuser, mais par la suite elle doit se retourner vers la personne responsable du dommage, qu'il s'agisse du professionnel de santé ayant commis une faute ou du fabricant du dispositif.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - L'article L. 165-1-1 du code de la sécurité sociale autorise, sous certaines conditions, la prise en charge partielle ou totale par l'assurance maladie de « tout produit, prestation ou acte innovant ». Pourriez-vous préciser les circonstances dans lesquelles cet article est applicable ? Ce dispositif a-t-il déjà été mis en oeuvre pour un dispositif médical implantable ? Le cas échéant, a-t-il fait la preuve de son efficacité ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Cette disposition est venue compléter une panoplie réglementaire censée permettre la mise sur le marché de dispositifs médicaux innovants, en dehors des procédures habituelles d'évaluation. Je rappelle que nous disposons, par ailleurs, de la procédure intervenant plus en amont de soutien aux techniques innovantes coûteuses (Stic).

Le dispositif que vous évoquiez est en voie d'utilisation pour trois technologies à l'heure actuelle :

- le paradigme VEO qui assure une mesure en continu du glucose associé à une pompe à insuline. Le protocole d'étude est en cours d'expertise par la HAS et la direction générale de l'organisation des soins (DGOS). Il s'agit d'un dispositif semi-implantable ;

- les SIR-sphères qui sont des microsphères utilisées dans le cadre d'une radiothérapie dans le traitement d'un cancer colorectal métastatique. Il s'agit d'un dispositif implantable ;

- l'HIFU qui est le traitement du cancer localisé de la prostate par ultrasons focalisés de haute densité. Il s'agit d'un acte.

Mme Nathalie Goulet. - J'ai bien compris que votre champ d'activités dépassait celui des dispositifs médicaux implantables qui sont le coeur de notre mission. Nous intervenons juste après la mission sénatoriale qui a porté sur le scandale du Mediator, quinze ans après celui du Vioxx. A plusieurs reprises, nous avons évoqué le peu d'utilisation faite des données liées à la sécurité sociale. Est souvent cité l'exemple américain avec des fichiers qui permettent, en respectant totalement les exigences d'anonymat, de cumuler des données médicales, celles communiquées par les patients et celles transmises par les donneurs d'alertes. Ne pourrions-nous pas mettre en place ce type de fichier individuel pour chaque patient en vue de renforcer les dispositifs d'alerte ?

M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - Si on se situe dans le cadre d'une utilisation non personnelle et anonymisée des bases de données en vue de réaliser des études d'épidémiologie, cela a clairement un intérêt, comme l'a démontré le Mediator. C'est le sens du Gip que j'ai évoqué précédemment, destiné à impulser des politiques d'études épidémiologiques. Cette logique est à différencier de l'exploitation des données personnelles contenues dans le dossier médical personnel qui permet une consolidation d'informations au niveau de l'individu par le médecin traitant. Ces logiques sont différentes, bien que complémentaires.

Audition de Maître Georges Lacoeuilhe, avocat au barreau de Paris, spécialiste du droit de la responsabilité médicale

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Mes chers collègues, nous poursuivons notre après-midi d'auditions en recevant maintenant maître Georges Lacoeuilhe, avocat au barreau de Paris, spécialiste du droit de la responsabilité médicale.

Maître Lacoeuilhe est régulièrement sollicité par les praticiens et les assureurs dans les contentieux médicaux et il dispose donc d'une grande expérience sur des questions entrant dans le champ de notre mission d'information.

Plusieurs de nos interlocuteurs ont d'ailleurs pointé du doigt la responsabilité des praticiens dans toutes les interventions à visée esthétique aussi bien qu'en matière de déclarations d'événements indésirables.

Dans ces deux domaines, les questions de responsabilité médicale ne manquent pas. Il n'est que de constater les suites de la triste affaire PIP et les multiples recours judiciaires intentés par l'ensemble des acteurs afin de se prémunir contre la mise en jeu de leur responsabilité.

Il nous revient de nous pencher sur la réglementation applicable en ces matières et nous espérons, maître, pouvoir compter sur votre grande expérience et votre connaissance de la législation médicale pour mettre en lumière les forces et les faiblesses de notre dispositif juridique.

Avant de laisser la parole à notre rapporteur, je vous rappelle que cette audition est ouverte à la presse et au public.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Pouvez-vous nous présenter votre parcours et votre activité d'avocat spécialisé en droit de la responsabilité médicale ?

Maître Georges Lacoeuilhe. - Je suis avocat depuis 1984. Mon cabinet s'est spécialisé en responsabilité médicale au début des années 1990, par le biais de notre clientèle d'assureurs. Au début, il s'agissait d'une activité assez mineure parmi d'autres en matière de responsabilité civile. Puis ce type de contentieux a explosé dans les années 2000 à la suite d'une jurisprudence de la Cour de cassation remontant à 1997, qui a opéré un renversement de la charge de la preuve en matière d'information. Ce fut l'élément déclencheur d'un très important contentieux. Le nombre de sinistres s'est donc multiplié en une dizaine d'années. Il n'existe plus guère de spécialités médicales dans lesquelles un praticien n'aura pas à subir un sinistre au moins une fois tous les cinq ans.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - En tant que conseil régulier des praticiens et des assurances, que pensez-vous de la façon dont les professionnels gèrent les conflits juridiques en cas de complications en matière de médecine et de chirurgie esthétiques ? Quelle est la part de la résolution transactionnelle dans les affaires que vous avez à connaître ?

Maître Georges Lacoeuilhe. - Il faut différencier deux terrains : l'humain et le technique. Mon cabinet intervient essentiellement sur le plateau technique lourd : il s'agit d'apporter un soutien juridique aux professionnels libéraux. Mais il y a également un aspect humain, d'ordre psychologique, qui compte énormément. Une action en justice est toujours très mal vécue par un professionnel : c'est non seulement son honneur qui est mis en cause mais aussi son savoir-faire. D'où une souffrance réelle, dont l'importance s'est un peu atténuée depuis quinze ans, compte tenu du grand nombre de contentieux qui ont vu le jour.

En termes financiers, ce sont les assureurs qui décident de transiger ou non car ce sont eux qui signent le chèque au final. Les professionnels n'ont quasiment pas leur mot à dire sur l'issue de la procédure enclenchée. Il ne reste aujourd'hui que quelques compagnies spécialisées en assurance médicale, ce qui rassure les professionnels libéraux qui se sentent correctement épaulés. Les assureurs ont recours à la transaction après une étude précise des éléments du dossier mais ils n'ont pas forcément les mêmes grilles de lecture. En général, c'est en présence d'une faute du médecin qu'ils choisiront de transiger. Encore faut-il que les revendications financières du demandeur ne soient pas très élevées, voire irrationnelles, au regard des chiffres retenus par la jurisprudence. Il faut donc regarder chaque litige au cas par cas et se livrer à une évaluation précise du préjudice avant de prendre une décision. Les politiques sont différentes suivant les assureurs : s'agissant des petits et moyens litiges, certains vont vouloir transiger, d'autres transigeront seulement en cas de réelle responsabilité du praticien.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Pouvez-vous nous présenter les risques médicaux les plus prégnants dans les différents traitements médicaux et chirurgicaux à visée esthétique que vous pouvez rencontrer ? Y a-t-il un risque de plainte plus élevé sur certains types d'opérations que sur d'autres ? Avez-vous constaté, ces dernières années, une augmentation du nombre de contentieux médicaux en matière esthétique ?

Maître Georges Lacoeuilhe. - On a assisté à une explosion des contentieux, pas seulement en matière de chirurgie plastique et reconstructrice mais dans toutes les spécialités chirurgicales. Qui dit contentieux ne dit pas nécessairement condamnation. Il y a beaucoup de contentieux et peu de condamnations. Il reste tout de même un coût important à la charge de l'assureur : frais d'expertises, honoraires d'avocats, parfois sur trois à quatre ans.

Existe-t-il des gestes spécifiques qui fassent l'objet de contentieux ? Oui mais ce ne sont pas nécessairement les gestes les plus dangereux. En chirurgie plastique, le geste le plus dangereux est sans doute celui de la plastie abdominale, qui peut entraîner des décès en l'absence de toute faute du chirurgien. Ce n'est pas pour autant ce geste qui provoque le plus de poursuites mais bien plutôt les gestes portant sur une partie hautement symbolisée du corps : le nez chez les hommes et la poitrine chez les femmes. Si la rhinoplastie ne donne pas le résultat escompté - ce qui est courant - les hommes n'hésitent pas à attaquer plus en raison de leur mécontentement que d'une véritable complication opératoire.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Quel regard portez-vous sur la réglementation française encadrant les actes à visée esthétique et notamment sur l'articulation entre les articles 1151-2 et 1151-3 du code de la santé publique ?

Maître Georges Lacoeuilhe. - Ces dispositions, votées en 2009, permettent au pouvoir exécutif d'intervenir, via ses différentes agences, dans des processus thérapeutiques qui se révéleraient dangereux. Ce dispositif a été sollicité par les médecins eux-mêmes et la société française de chirurgie plastique et esthétique en est tout à fait satisfaite. Par contre, la question demeure de savoir qui va donner les moyens scientifiques et médicaux à l'agence régionale de santé (ARS) de juger que tel ou tel procédé est dangereux ? L'affaire PIP, sur laquelle nous reviendrons sans doute, montre combien il est difficile de manier l'interdiction trop hâtivement. Ce dispositif est donc satisfaisant mais attention à ne pas y avoir recours de manière trop rapide ou imprudente.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Pensez-vous qu'il faille rapprocher le régime juridique de la médecine esthétique de celui de la chirurgie esthétique en instaurant, par exemple, une obligation d'information sur les risques et les complications, en exigeant un niveau d'installation et d'équipement précis et en renforçant l'expression du consentement ?

Maître Georges Lacoeuilhe. - La médecine esthétique, notamment pour tout ce qui a trait aux injections, ne nécessite pas une installation plus drastique que ce qui est déjà prévu ou en place dans les cabinets de généralistes, de chirurgiens-dentistes ou de rhumatologues, par exemple. Un bon état d'hygiène et d'installation est suffisant, même s'il demeure fondamental que les autorités sanitaires procèdent à des contrôles réguliers.

Pour ce qui est de l'information du patient, notre droit positif s'applique également à la médecine esthétique et exige donc une information assez précise et complète sur les actes envisagés. Il ne me semble pas nécessaire de renforcer les dispositions légales existantes. Les différentes jurisprudences de 1997 à 2002 sont assez précises et la loi Kouchner a bien encadré tout risque de déconvenue.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - L'avalanche de plaintes à laquelle nous assistons dans l'affaire PIP montre que chacun cherche à se prémunir contre une mise en cause de sa responsabilité civile. A ce titre, que pensez-vous de la décision du juge des référés d'Avignon du 11 janvier dernier qui a condamné l'assureur de l'entreprise PIP à indemniser une porteuse de prothèses ? En cas d'annulation du contrat d'assurance par les tribunaux, vers qui devraient se tourner les victimes : les médecins au titre d'un manquement au devoir d'information, le laboratoire certificateur, les distributeurs... ?

Maître Georges Lacoeuilhe. - Nous sommes en présence d'une escroquerie à la fabrication. C'est quelque chose qui peut arriver dans n'importe quel domaine, n'importe quand et contre lequel on ne pourra jamais se prémunir totalement. Nous nous trouvons face à un double émoi : celui des femmes qui se sont fait implanter des prothèses dont elles ignorent si elles sont nocives ou non, et celui des chirurgiens qui ont acheté ces prothèses certifiées en toute bonne foi. Par dessus, la gestion médiatique et politique est venue se superposer sans aucune logique et en contradiction avec les critères médicaux pertinents. Toutes les sociétés savantes occidentales ont d'ailleurs déclaré qu'être porteur d'une prothèse PIP aujourd'hui ne faisait peser que peu de risques sur la santé.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Ce n'est pas aussi évident que vous le dites au niveau médical...

Maître Georges Lacoeuilhe. - Les choses semblent pourtant très claires au niveau médical et je dispose de nombreux communiqués de sociétés savantes : toutes disent qu'il n'y a aucune obligation d'explanter systématiquement. L'opinion publique s'est émue et le Gouvernement a recommandé, par sécurité et par souci médiatique peut-être, une dépose systématique, à la charge de la sécurité sociale, alors que cela n'avait aucun caractère urgent ni obligatoire...

Sur le plan judiciaire, la responsabilité du fabricant est évidente et n'est pas contestée. Il n'existe pas de responsabilité des chirurgiens qui ont été trompés. Dans ce cadre, la décision rendue par le juge des référés d'Avignon est une bonne décision d'opportunité, qui semble équitable pour l'avocat des praticiens que je suis. L'assureur a contesté sa responsabilité car il y eu tromperie et, dans ce cas-là, les assureurs ne veulent jamais accorder leur garantie.

En droit, je ne saurais me prononcer. Il faut attendre la décision au fond. L'arrêt du tribunal de commerce de Toulon ne devrait plus tarder à être rendu et il constituera la première décision au fond sur cette affaire. Je ne peux en préjuger, mais si le tribunal décidait que l'assureur n'a pas à payer en raison de la tromperie, la question de la charge financière resterait à résoudre. Le préjudice ne semble pas énorme : les chiffrages d'experts judiciaires indiquent une fourchette de 4 000 à 7 000 euros par explantation et les délais d'incapacité sont assez réduits dans ce type d'interventions. Il me semblerait injuste que ce soit les chirurgiens et leurs assureurs qui assument cette charge. La jurisprudence impose au fabricant d'assumer cette responsabilité mais le fabricant en question n'existe plus. Il me semble donc important que son assureur, Allianz, soit en mesure d'assumer sa garantie.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Dans un article de 2010, vous avez écrit que la Cour de cassation était toujours plus encline à protéger les victimes, quitte à les « victimiser ». Pensez-vous que cette remarque vaille aussi en matière esthétique ?

Maître Georges Lacoeuilhe. - Elle vaut de plus en plus. Notre société ne supporte pas le risque et, de manière généreuse et respectable, cherche à en indemniser toutes les conséquences. Se pose donc la question du coût du risque et de son imputabilité. La Cour de cassation a une position « indemnisante » majeure de principe. La loi Kouchner a eu le grand mérite d'encadrer ces questions et de ne pas laisser s'installer un droit prétorien unique. Malheureusement, dans leurs interprétations postérieures, les juges font reposer de plus en plus le coût du risque sur les épaules des chirurgiens. C'est une vision généreuse et intelligente mais il faut prendre en compte les questions de coût et de santé publique.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Votre réponse a le mérite de la clarté et de la sincérité.

Maître Georges Lacoeuilhe. - C'est tout l'intérêt de ma présence parmi vous : vous dire ce que je pense.

Mme Nathalie Goulet. - Dans une audition précédente, nous avons évoqué la création d'un carnet de santé des patients en matière esthétique. Je pense que les praticiens et les patients ont bien souvent une responsabilité en commun : quand un praticien refuse une intervention, le patient va voir un autre spécialiste en toute connaissance de cause, que ce soit en matière d'injections ou d'implants. La responsabilité de la charge de la preuve est donc discutable dans ce cas. Ne pensez-vous pas que l'instauration d'un carnet de santé, attaché au patient, nous permettrait d'assurer un suivi médical précis et une traçabilité des différentes interventions subies ?

Maître Georges Lacoeuilhe. - Sur le plan logique, c'est une idée très intéressante. Je crains néanmoins que se pose le problème du secret médical, à moins qu'il ne s'agisse d'un équivalent du carnet de santé général et que le patient accepte de le donner au praticien. Il ne faudrait pas que n'importe quel praticien puisse avoir accès à ces informations indépendamment de l'accord du patient. Il y aurait là un souci en matière de liberté publique. En théorie et en pratique, toute consultation démarre par une description des antécédents médicaux et chirurgicaux. C'est quelque chose de très important en matière esthétique car cela permet au praticien de mieux comprendre qui est la personne qui vient le trouver et quelles sont ses attentes. En plus de l'aspect physiologique, c'est une question d'ordre psychologique : il faut être sûr que la personne ne demande pas trop au praticien ou à la chirurgie elle-même et je ne suis pas sûr que cela pourrait être inscrit dans ce carnet de santé. J'y vois une limite au systématisme. Laissons une part à l'humain.

Mme Nathalie Goulet. - Je pensais à un carnet de santé semblable à celui qu'ont tous les enfants. Quand les déclarations sont volontaires, beaucoup de choses sont malheureusement tues...

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Avez-vous eu à connaître de problèmes particuliers en matière de médecine esthétique, lumière pulsée ou blanchiment des dents par exemple ? J'aurai une deuxième question dans un tout autre ordre d'idée : vous semblez très critique sur les recommandations d'explantations des prothèses PIP. Certes le risque de cancer ne semble pas avéré mais il existe cependant un risque certain d'inflammation en cas de rupture des prothèses. Ne croyez-vous pas que devant cette faille du système public de vigilance à déceler une fraude, il n'est pas anormal que cette explantation soit prise en charge par la collectivité ?

Maître Georges Lacoeuilhe. - L'explantation est déjà prise en charge dès qu'on sort de la chirurgie esthétique. La pose de prothèses après cancer est prise en charge totalement. L'explantation est également prise en charge en matière de chirurgie esthétique mais non la réimplantation postérieure. Le bruit fait autour de ce dossier m'a semblé démesuré par rapport à ce que j'ai cru comprendre d'un risque scientifique. Je ne suis pas médecin ni oncologue mais le risque réel semble mineur. L'intervention de la puissance publique m'est apparue singulière.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Au-delà du bruit médiatique derrière lequel nous avons tendance à courir, ne croyez-vous pas que cette prise en charge collective de l'explantation soit normale ?

Maître Georges Lacoeuilhe. - Sur le principe, une défaillance avérée du système de vigilance sur une question de santé publique peut justifier une prise en charge collective. A côté de ça, on constate un désengagement du remboursement des soins optiques ou dentaires, qui touchent tous les Français et notamment les plus démunis, en l'absence de tout scandale. Il y aurait sans doute un équilibre à trouver.

M. Jacky Le Menn. - Avez-vous constaté une augmentation des saisines à l'encontre des chirurgiens - voire des obstétriciens - plutôt en matière civile afin d'obtenir des dommages et intérêts ou plutôt en matière pénale pour faire condamner les praticiens ?

Maître Georges Lacoeuilhe. - Comme je l'ai dit, nous constatons une explosion réelle des actions en réparation, en témoigne la multiplication du montant des primes d'assurance en quinze ans. De manière regrettable à mes yeux, on se trouve face à une légère augmentation de la voie pénale. Cette voie, longue et complexe, n'est pas destinée à la réparation mais répond à mille choses. Je regrette que la loi pénale puisse être utilisée aussi facilement, même en cas de décès à l'origine duquel se trouve une faute non intentionnelle du praticien. Je pense que le recours au pénal devrait être réservé à des configurations beaucoup plus radicales que celle d'un médecin qui n'aurait pas utilisé la meilleure technique ou dont la main aurait glissé et qui aurait percé une artère. L'instruction est souvent très mal vécue par les praticiens sur le plan psychologique.

M. Jacky Le Menn. - Ils peuvent en sortir détruits.

Maître Georges Lacoeuilhe. - Les compagnies d'assurance constatent effectivement un fort taux de suicide chez les anesthésistes, par exemple. J'ai malheureusement l'habitude de conseiller à mes clients un suivi psychologique en cas de poursuites pénales car ils ne sont pas du tout structurés ni formés pour faire face à cette pression, à ces attaques publiques. A cet égard, le personnel politique m'impressionne par sa grande force à supporter toutes sortes d'attaques...

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous n'en mourons pas...

Mme Marie-Thérèse Bruguière. - Pour aller dans votre sens, j'ai eu à connaître du cas d'un jeune anesthésiste de Montpellier, qui avait commis une erreur ayant provoqué la mort d'un enfant, ne l'a pas supportée et s'est suicidé à trente-deux ans...

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Vous n'avez pas répondu à ma première question sur la médecine esthétique...

Maître Georges Lacoeuilhe. - J'ai de plus en plus de médecins esthétiques parmi ma clientèle mais je n'en ai aucun de mauvais. Je n'ai donc pas eu à connaître de litiges en matière civile ou pénale qui impliqueraient des gestes totalement inappropriés de médecine esthétique.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Il me reste à vous remercier pour cette audition très intéressante.

Maître Georges Lacoeuilhe. - J'ai été très honoré d'avoir à vous répondre.

Audition de M. le professeur Daniel Loisance, membre de l'Académie nationale de médecine

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Nous achevons notre après-midi d'auditions en recevant le professeur Daniel Loisance, membre de l'Académie nationale de médecine, chirurgien cardiaque, ancien chef du service de chirurgie cardiaque de l'hôpital Henri-Mondor de Créteil.

Au mois de janvier dernier, vous avez présenté une communication à l'Académie de médecine sur le thème de l'évaluation des nouveaux dispositifs médicaux implantables. C'est un sujet auquel notre mission d'information a été confrontée dès le début de ses travaux. Le juste équilibre entre la nécessité d'assurer une haute sécurité sanitaire et le besoin d'innovation et d'amélioration des traitements, souvent portés par de petites structures qui ne seraient pas en mesure de répondre à des procédures d'autorisations plus contraignantes, est difficile à définir. Il ne faut pas décourager l'innovation et ses aspects bénéfiques tant sur le plan économique que sur le plan sanitaire. Où faut-il donc placer le curseur ?

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Le dispositif de contrôle et de mise sur le marché des dispositifs médicaux existant au sein de l'Union européenne (UE) vous paraît-il satisfaisant ? Le marquage CE n'a-t-il pas récemment fait la preuve de son insuffisance ? Quelles seraient les mesures appropriées à prendre pour que la sécurité sanitaire des dispositifs médicaux soit renforcée ? En amont, un registre des essais cliniques ne permettrait-il pas d'offrir une meilleure visibilité à tous les acteurs sur ce sujet ?

M. Daniel Loisance, membre de l'Académie nationale de médecine. - L'homme ayant la mémoire courte, je voudrais tout d'abord resituer le contexte exact en matière de techniques médicales et d'usage des dispositifs médicaux implantables. En 1971, quand j'ai commencé à exercer la chirurgie, les systèmes d'assistance circulatoire n'existaient pas et la chirurgie cardiaque, discipline encore très aventureuse, présentait des taux de mortalité de l'ordre de 30 % à 50 %. Aujourd'hui, on dispose de coeurs artificiels, on réalise des transplantations, on utilise des stents et des valves implantables sans chirurgie lourde avec des taux de mortalité qui se situent autour de 1 %. Les progrès monstrueux réalisés dans le domaine cardio-vasculaire ont eu tendance à occulter les quarante dernières années, qui furent difficiles.

J'ai participé à l'essentiel des grandes premières, de la transplantation du père Boulogne à la mise en place des premiers coeurs artificiels. J'ai eu la responsabilité de mettre en place, pour la première fois au monde, un système d'assistance circulatoire portable, permettant au patient de vivre normalement chez lui. J'ai été à l'origine des stents coronaires avant de m'en éloigner pour me concentrer pleinement sur le développement du coeur artificiel, et je reste encore très impliqué dans toutes ces questions.

Le contexte est donc celui d'un progrès indéniable, accompagné d'une prise de risque considérable. La situation était évidemment différente de ce qu'elle est aujourd'hui : il n'y avait pas de consentement à demander au malade et toute la responsabilité reposait sur le chirurgien. C'est désormais plus complexe.

On pourrait donc considérer que la réglementation européenne est bonne. Des progrès considérables ont été réalisés alors que peu de catastrophes, ou tout du moins de catastrophes dont on ait parlé et qui aient acquis une visibilité médiatique, sont à déplorer.

Cette première analyse est pourtant incorrecte : il est évident que la réglementation européenne n'est pas bonne. L'Europe est pour les Etats-Unis un terrain d'investigation pour tous les dispositifs médicaux innovants pour la simple raison qu'il est facile d'obtenir un marquage CE alors qu'il est bien plus difficile d'obtenir une approbation de la Food and Drug Administration (FDA). Aux yeux de la communauté internationale des chirurgiens, l'Europe est un laboratoire d'expérimentation clinique, voire humaine.

Ce point de vue négatif, contraire à l'idée qui prévaut, s'explique par la complexité excessive du système européen, qui permet de nombreuses dérives. Plus un système est complexe, plus il est facile de le biaiser : l'affaire PIP en est le parfait exemple.

Le fait qu'il y ait de multiples intervenants ne fait que renforcer cette situation. Entre le fabricant, l'organisme notifié et l'autorité sanitaire nationale, trois acteurs sont concernés alors que les relations entre eux ne sont pas claires. Le joueur essentiel n'est pas le fabricant. Celui-ci doit seulement définir la classe de risque de son produit. Il est très facile de tricher sur ce point, comme le montre l'exemple d'un système d'assistance circulatoire allemand agréé en tant que pompe artérielle. La procédure n'est pas la même : elle est, dans le second cas, plus rapide et moins chère. La simple décision du fabricant sur la classe de risque qu'il choisit a des conséquences directes sur les formalités à remplir. Les organismes notifiés sont des entreprises commerciales qui font payer leurs services d'autant plus cher qu'elles délivreront le marquage CE rapidement et à moindre coût pour elles. La logique de leur fonctionnement les éloigne de manière croissante d'une démarche scientifique. Enfin, les autorités sanitaires compétentes définissent les règles. Certaines sont très précises, comme celles établies par l'International Organization for Standardization (ISO) auxquelles j'ai parfois été amené à participer. Une telle façon de procéder ouvre la porte aux charlatans : c'est ce qui s'est passé avec PIP. C'est comme ça depuis que la « nouvelle approche » a été adoptée.

La définition des standards pose problème, notamment pour l'évaluation in vitro. Quant à l'évaluation in vivo chez l'animal, elle pose tellement de problèmes aujourd'hui que de nombreux dossiers prétendent s'en passer au motif que les progrès de l'informatique permettraient désormais de modéliser parfaitement les conséquences de l'implantation d'un ventricule artificiel chez l'homme par exemple. Il n'existe aucune preuve scientifique de cela, et les conséquences en sont très lourdes. Si un système d'assistance circulatoire peut être approuvé sans expérimentation animale préalable, le processus sera beaucoup plus rapide et bien moins cher, l'expérimentation animale étant très complexe à réaliser, surtout en France. Les modèles sont difficiles à choisir. L'expérimentation demeure pourtant essentielle car certains phénomènes après implantation ne sont pas modélisables, même sur le plus puissant des ordinateurs. La réaction inflammatoire de l'organisme face à un corps étranger n'est pas simulable, surtout lorsqu'il s'agit d'un coeur artificiel de 950 grammes. L'expérimentation animale seule permet d'appréhender ces phénomènes.

L'évaluation clinique intervient en amont de l'approbation du dispositif médical ainsi qu'après sa commercialisation, dans le cadre de la surveillance post-inscription. Elle n'est malheureusement régie par aucune règle. Il y a dans les dossiers d'évaluation tout et n'importe quoi. On dit qu'il faut faire des registres : c'est une plaisanterie. Dans le registre France 2 de la Haute Autorité de santé (HAS), qui porte sur les valves aortiques percutanées, la saisine des données importantes est incomplète, c'est d'ailleurs la HAS elle-même qui le précise ! Un registre qui n'est pas complet n'a strictement aucune valeur, il est même trompeur. De nombreux produits ont été autorisés en Europe sur la base de registres défaillants.

Les études prospectives randomisées coûtent très cher, sont très difficiles à réaliser mais ne reflètent pas la vraie vie. Les patients y sont très rigoureusement sélectionnés ; ce n'est pas le cas des malades au quotidien. Il existe souvent un décalage important entre les résultats d'une étude contrôlée prospective, indiscutable scientifiquement et statistiquement, et ce qui est observé dans la pratique. Les règles ne sont claires ni pour l'évaluation in vitro, ni pour celle in vivo chez l'animal, ni pour celle in vivo chez l'homme. Voila pourquoi, à mes yeux, le système européen n'est pas très bon.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Au-delà de ces critiques, que préconisez-vous ? Votre très bonne analyse nous montre que vous avez longuement réfléchi à ce problème. Faut-il baisser les bras ?

M. Daniel Loisance. - Certainement pas. Il faut arriver à un système qui concilie véritablement liberté d'innover et sécurité des malades. On doit pouvoir y arriver.

Il est fondamental de revoir toutes les règles de l'évaluation in vitro. La plupart sont très anciennes et ne correspondent pas aux contraintes imposées par les nouveaux matériaux et par ceux que nous utiliserons demain et qui feront appel aux nanoparticules ou à un mélange cellulaire. Les standards ISO ne sont plus adaptés à ce type de produits tout en continuant à imposer des tests dont la pertinence est discutable. Il faut faire un grand ménage dans ces règles qui datent des années 1975 à 1990. La médecine et la science ont beaucoup évolué depuis. Le même raisonnement est applicable aux cas de l'évaluation in vivo chez l'animal et chez l'homme. Il faut également faire en sorte que ces règles ne soient pas manipulables selon les dispositifs médicaux en fonction de considérations politiques.

La plus grande difficulté concerne l'évaluation humaine. La France est frappée d'une terrible maladie qui consiste à ne pas vouloir regarder les faits, mais plutôt à vouloir les faire parler en fonction d'idées préconçues. En France, l'évaluation n'existe pas en médecine. Les procédures d'accréditation ne font pas de l'évaluation mais de la politique. Il est urgentissime de développer une culture de l'évaluation. Chaque médecin devrait être conscient qu'il doit évaluer le résultat de ses interventions. Ni les services hospitaliers, ni les hôpitaux ne sont évalués. L'étalon de mesure de la qualité est l'enquête réalisée par le magazine Le Point, qui n'a aucun fondement scientifique. Il faut former les médecins à l'évaluation et leur fournir les outils informatiques adaptés et les techniciens d'études cliniques nécessaires pour vérifier que tous les dossiers sont correctement remplis. Ce système d'information doit aussi être plus convivial que ceux qu'on utilise aujourd'hui ! Un chirurgien sérieux ne peut pas connecter son logiciel d'évaluation au réseau informatique de l'administration hospitalière car c'est interdit ! Pour un chef de service de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (APHP), recruter un technicien informatique s'apparente à une mission impossible. J'ai eu la chance d'avoir, attachée à mon service, une unité de recherche du CNRS, ce qui me permettait de surmonter ces difficultés administratives. Tous ne sont pas dans une situation si privilégiée qui habilite à engager les dépenses indispensables à la réalisation d'une bonne évaluation.

A ce titre, l'exemple anglais est très parlant. Il y a quelques années, le scandale de Bristol avait révélé une surmortalité très importante dans le service de chirurgie cardiaque pédiatrique. La réaction française aurait été de changer de chirurgien. Les Anglais ont cherché à comprendre les causes de cette situation et ont découvert un dysfonctionnement systémique majeur au sein de l'hôpital, malgré le talent du chirurgien. De toute évidence, il existe de nombreuses situations de ce type en France, mais aucun moyen de les identifier. En réaction à cette tragédie, l'évaluation a été rendue obligatoire en Angleterre. Désormais, moins de trois ans après la mise en place de ce système de surveillance de l'activité médicale, les chiffres de mortalité et de morbidité de chaque service hospitalier, de chaque chirurgien ou de chaque classe pathologique sont consultables en ligne en fonction de critères précis, âge des patients ou facteurs de risque.

Grâce à un tel outil d'évaluation continue, les dérapages sont immédiatement perceptibles. J'en parle avec d'autant plus de certitude que j'en ai moi-même fait l'expérience. Avec des financements obtenus à travers mon équipe de recherche, j'avais mis en place un tel système dans mon service, reposant sur une base de données recensant près de 10 000 malades suivis entre 1998 et 2010. Chaque matin je pouvais surveiller l'évolution de l'activité de mon service et identifier les problèmes en observant différents indicateurs de performance. C'est ainsi que j'avais, par exemple, pu détecter un taux anormalement élevé de complications chez un chirurgien au cours d'une période de trois semaines et l'expliquer. Tant qu'un tel mécanisme n'aura pas été généralisé le système ne sera pas efficace.

Pour le dispositif médical, avec un système de ce type, et dès lors que chaque dispositif aura été doté d'un identifiant, il sera possible de savoir immédiatement si l'un d'entre eux est responsable d'une surmortalité, d'un taux anormalement élevé de complications infectieuses, de réhospitalisations ou de complications en général.

M. Jacky Le Menn - Vous nous dites qu'il n'existe pas d'évaluation en France. Pourtant, dans le cas des établissements de santé, des organismes comme l'ancienne Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (Anaes), aujourd'hui intégrée à la HAS, interviennent pour assurer leur certification et conduisent des études très longues. Il ne faut pas non plus oublier les comités de lutte contre les infections nosocomiales (Clin), dont les travaux sont communiqués aux agences régionales de santé (ARS). En ce qui concerne les pratiques médicales, et notamment en cardiologie, les sociétés savantes émettent des recommandations et des cadrages pour la réalisation de certains actes. Il me semble donc que l'évaluation est une réalité.

M. Daniel Loisance. - Prenons l'exemple d'un service qui aurait un taux de médiastinite, d'infection du thorax après une chirurgie cardiaque, tellement important qu'il ne peut plus le gérer. Dès qu'un malade présentera des signes de cette infection, il sera transféré dans un autre service et ne sera donc pas comptabilisé comme une complication infectieuse imputable au service d'origine. Celui qui aura, dans les faits, le taux de complications le plus élevé aura, dans le suivi statistique, le taux le plus bas.

En ce qui concerne les registres en cardiologie, il faut préciser qu'ils ne sont pas obligatoires mais volontaires. Lorsqu'une complication peu avouable intervient chez un patient, le dossier ne sera pas déclaré. Les registres non contrôlés fournissent une vue toujours beaucoup plus favorable que la réalité.

Les procédures d'accréditation prennent très peu en compte les résultats des patients, bien moins en tout cas que le respect des procédures. Un indicateur communément utilisé est celui de la consommation de fioles de solution hydroalcoolique, afin d'évaluer la lutte contre les infections. Il ne prend malheureusement pas en compte le fait que le personnel soignant peut être tenté d'en détourner un certain nombre pour un usage personnel. Une évaluation mal faite est donc trompeuse : ici, la consommation de produit désinfectant est déconnectée de la réalité.

L'évaluation telle qu'elle doit être faite n'est pas celle qui est faite aujourd'hui, et c'est bien là le coeur du problème. La surveillance des médicaments et des dispositifs médicaux ne poserait aucun problème si on disposait de dossiers de suivi. On ne sait malheureusement pas de quoi on parle, et les autorités sont incapables de dire exactement combien de prothèses PIP posent problème.

La réglementation a bien tenté de s'adapter à cette situation. Ainsi, il nous avait été demandé de recenser et de suivre tous les porteurs de prothèses valvulaires. C'est facile à dire, mais il ne faut pas oublier que, chaque année, 10 % de la population française déménage. Le même problème se pose lorsque des études sur des cohortes de malades sur cinq, dix ou vingt ans sont réalisées. Celle que je suis en train de réaliser, sur le suivi de porteurs d'une prothèse valvulaire très particulière, concerne 3 000 personnes. Bien que deux secrétaires s'y consacrent pleinement, 12 % de cette population reste introuvable. Je ne dis pas que de telles études ne sont pas faisables, au contraire, mais qu'elles sont très difficiles à réaliser.

Tout cela est parfois décourageant. La surveillance d'une prothèse valvulaire donnée, comme la valve Mitroflow, utilisée de 1980 à 1990 et faite à base de péricarde bovin, en est l'illustration. Elle avait, en théorie, beaucoup d'avantages. Le dossier était bien fait, les autorisations ont été délivrées et elle fut utilisée. Pourtant, il est vite devenu évident que cette prothèse avait un taux de dysfonction primaire inacceptable. Au sein de mon service, la vigilance ainsi que la surveillance des malades ont été accrues. Après dix ans, la quasi-totalité d'entre eux avaient dû être réopérés ou étaient morts pour d'autres causes. La conséquence nous apparaissait claire : surtout ne plus jamais utiliser cette valve. Pourtant, alors que nous publiions nos résultats, une étude allemande aux conclusions diamétralement opposées est parue. Nous sommes sortis renforcés d'une analyse très précise de leurs chiffres. Les Allemands ne voulaient tout simplement pas voir le problème : ils manipulaient les statistiques et se livraient à des interprétations douteuses des données.

La vérité est l'objectif ultime, mais on ne la trouve pas dans les publications. Elle est dans l'analyse des faits et des chiffres ; on l'obtient avec une base de données bien faite si on accepte de ne pas tricher.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Vous critiquez à juste titre l'utilité des registres lorsque ceux-ci sont mal utilisés. C'est malheureusement le cas à l'heure actuelle. Que préconisez-vous à ce sujet ? Comment est-il possible d'en faire un bon usage ?

M. Daniel Loisance. - Sur une note d'optimisme, je dirais qu'on peut toujours bien faire dans la vie.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Mais comment obliger les gens à bien faire ?

M. Daniel Loisance. - C'est très simple, comme le montre l'exemple d'Intermacs (Interagency registry for mechanically assisted circulatory support), le registre américain des systèmes d'assurance circulatoire. L'établissement de santé qui a réalisé une opération chirurgicale implantant un tel dispositif médical n'est pas remboursé tant que le dossier informatique concernant celui-ci n'a pas été transmis à la structure qui gère le registre et audité. Cette base de données est donc exhaustive. Créée à l'initiative de la Société internationale de transplantation du coeur et du poumon (International society for heart & lung transplantation, ISHLT), avec des moyens fournis par les industriels et la FDA, tous les centres américains ont été obligés d'y souscrire, sous peine de perte du remboursement. Le même type de registre conditionnant le paiement des actes existe en Suède pour les prothèses orthopédiques.

Près de six mille malades sont répertoriés dans Intermacs, qui fonctionne depuis cinq ans. On a la certitude de son exhaustivité et de sa précision.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - D'après ce qui nous a été dit, ce serait difficile à faire en France...

M. Daniel Loisance. - Il n'y aurait pas de problème si c'était obligatoire et que les médecins étaient correctement formés à cela. A l'heure actuelle, aucun cours consacré à l'évaluation des pratiques médicales n'est donné durant les études de médecine. L'ajout d'un module méthodologique sur l'évaluation clinique à la fin de ces études serait très utile.

Le coût des outils informatiques n'est pas un obstacle. Au contraire, il est très faible. On manque de techniciens pour réaliser la saisie des données et le suivi des études cliniques, néanmoins dans de nombreux cas les médecins complètent eux-mêmes le dossier informatique post-opératoire. C'est n'est donc pas impossible, mais la volonté pour le faire est absente actuellement.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - D'après votre expérience de praticien hospitalier, les modalités d'information des professionnels de santé en matière de dispositifs médicaux devraient-elles évoluer ? La publicité devrait-elle être encadrée différemment ?

M. Daniel Loisance. - Aujourd'hui, la formation continue médicale est, en règle générale, prise en charge par l'industrie. C'est regrettable. Le financement par l'industrie devrait être secondaire par rapport à un financement public. La création récente de l'Organisme gestionnaire du développement professionnel continu (OGDPC) constitue une avancée, reste à voir ce qu'il pourra accomplir. Il n'est certainement pas souhaitable que l'industrie ait le monopole de l'information des médecins dans leur pratique quotidienne. Les pressions dont les médecins font l'objet sont considérables.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - La réglementation aux Etats-Unis est-elle plus efficace qu'en Europe ?

M. Daniel Loisance. - Elle est plus précise et plus rigoureuse, mais elle n'est pas pour autant satisfaisante. A la suite des affaires des prothèses De Puy et des sondes de pacemaker de la marque St. Jude Medical, le Congrès a créé une commission spéciale avec un seul mot d'ordre : plus jamais ça. Les Américains rencontrent des difficultés dans la surveillance post-inscription de la plupart des dispositifs médicaux implantables, sauf pour ceux qui rentrent dans le champ d'Intermacs. En revanche, il existe un gros problème avec les stents. Il y a deux ans, le New York Times s'interrogeait sur le nombre de morts indues causées par les stents couverts. C'est une affaire monstrueuse dont on parle trop peu, car on peut dire que la mise au point des stents s'est faite directement sur l'homme. Certains modèles ont été implantés sans connaître les réactions qu'ils pourraient causer. Ce n'est qu'ensuite qu'ont été constatées des occlusions précoces, à l'origine d'infarctus et de décès. En un an, quatre mille morts ont été imputées au stent Taxus®.

La vigilance y est très forte en ce qui concerne les valves percutanées. Une étude randomisée, contrôlée, et prospective, c'est-à-dire la plus complexe, a été imposée. Cette étude Partner, qui devait être le modèle de surveillance d'un dispositif médical à haut risque, est mal conduite. Le plus grand risque après la mise en place d'une telle valve est l'embolie cérébrale. Une autre étude américaine a mis en lumière, grâce à la détection par IRM, un taux d'embolisation de 80 %. L'expression clinique n'est ensuite que de 5 % à 10 %, mais une étude hollandaise a ensuite montré la corrélation entre la fréquence des épisodes d'ischémie cérébrale silencieuse et le développement de la sénilité. Cette information n'est pourtant pas prise en compte dans les critères d'évaluation de Partner, car elle souligne les dangers que font peser au cerveau des malades les valves percutanées. En cours d'étude, la définition des critères a évolué : les « cerebral events » ont été remplacés par les « major cerebral events ». Les épisodes d'ischémie silencieuse ne sont donc plus comptabilisés.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - La sécurité des stents s'est quand même améliorée. Je connais de nombreuses personnes qui en portent et pour qui tout va bien.

M. Daniel Loisance. - Les chirurgiens ont tellement peur qu'ils font extrêmement attention ! Toutes les études randomisées contrôlées montrent la supériorité du pontage coronarien sur le stent dès lors qu'il s'agit d'une maladie sévère.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Et lorsqu'il n'est question que d'une seule artère ?

M. Daniel Loisance. - On peut mettre un stent ou ne rien faire, ce qui est souvent la bonne décision. Les études contrôlées portant sur des problèmes coronariens peu sévères qui comparent traitement médical bien conduit et stent ne montrent pas la supériorité de ce dernier.

Mme Gisèle Printz - Tout cela n'est pas très encourageant !

Mme Chantal Jouanno, présidente. - J'aimerais revenir sur l'équilibre à trouver entre sécurité et innovation. Vous nous dites qu'il faut améliorer les essais préalables à la commercialisation d'un dispositif et moderniser les règles qui leur sont applicables, sans toutefois que cela puisse remplacer une évaluation en continu. Vous privilégiez donc cette voie pour fixer l'équilibre ?

M. Daniel Loisance. - On ne peut jamais envisager tous les cas de figure lors des essais préinscription. La surveillance des produits mis sur le marché est indispensable car les surprises, bonnes ou mauvaises, sont nombreuses. Ce fut le cas avec la valve Silzone® de St. Jude Medical, retirée du marché à cause d'un taux de fuite périvalvulaire extrêmement important. La surveillance des malades chez lesquels cette valve avait été implantée n'a pas permis de confirmer que ce risque se maintenait à long terme. Le fort taux de fuite était en fait principalement causé par la façon dont les chirurgiens utilisaient la valve. La surveillance post-inscription permet de mieux mesurer l'impact du malade et de la technique opératoire sur le fonctionnement de l'implant. Une prothèse en PTFE (polytétrafluoroéthylène) manipulée avec des pinces s'abîmera très vite ; malheureusement certains chirurgiens ne prennent pas ce type de facteurs en compte et n'ont pas les bons réflexes.

Toutefois, il ne faut pas dissocier la surveillance post-inscription des essais menés avant la commercialisation. Ces deux processus doivent se compléter.

Mme Chantal Jouanno, présidente. - Certaines personnes que nous avons auditionnées ont recommandé la mise en place d'une sorte d'autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les dispositifs médicaux les plus à risque. Pourtant, si cette AMM existait, l'innovation serait sans nul doute bridée. Quel est votre avis sur la question ?

M. Daniel Loisance. - Les dispositifs médicaux mis sur le marché aujourd'hui apportent un service attendu et un service rendu qui sont marginaux. Récemment, le New England Journal of Medicine présentait les conclusions d'une étude à deux ans sur les valves percutanées : le taux de mortalité chez les malades en ayant reçu était de 47 %, par rapport à un taux de 51 % chez ceux n'ayant pas subi d'intervention. Le gain à deux ans semble moins probant que celui à un an. Faut-il vraiment dépenser 28 000 euros pour gagner 3 % de survie à deux ans ? Une réflexion approfondie à ce sujet est nécessaire.

Il en va de même avec le coeur artificiel. Des systèmes d'assistance circulatoire existent déjà, mais moins de 10 % de la population qui en a besoin en bénéficie. Pourquoi mettre au point quelque chose de plus complexe et plus coûteux alors que les technologies actuelles, qui fonctionnent très bien, ne sont pas utilisées ? On nous parle d'un marché de 300 000 malades pour 37ûmilliards d'euros de chiffre d'affaires, ce qui conférerait à la France une place de leader mondial. Par comparaison l'an dernier 185 systèmes d'assistance circulatoire ont été implantés en France. J'ai du mal à croire qu'on va multiplier les opérations et réaliser un bond de plusieurs milliers pour la simple raison que les coeurs artificiels seraient français.

Il faut passer outre le simple critère de la survie pour parler de celui de la qualité de vie. N'oublions pas qu'après quatre-vingt-cinq ans, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques(Insee), un Français est atteint au minimum de douze pathologies.

M. Bernard Cazeau, rapporteur. - Effectivement, mais c'est là un autre débat.

Mme Nathalie Goulet - L'an dernier, la mission commune d'information créée à la suite de l'affaire du Mediator avait rencontré, lors de son déplacement aux Etats-Unis, des représentants de Medicare et de Medco, deux organismes de santé, l'un public et l'autre privé, qui font un très grand usage des statistiques. Vos propos confirment la nécessité qu'il y a à analyser la totalité des données qui sont en notre possession, qu'elles proviennent de la sécurité sociale, de lanceurs d'alerte ou de la pharmacovigilance. Les médecins n'y sont d'ailleurs pas formés. Tous ces éléments, une fois rassemblés, permettraient d'avoir une vue bien plus précise du système de soins et de son efficacité. Les Américains ajoutent à cela la question du remboursement : la motivation repose sur la recherche de l'efficience entre le coût et les prestations médicales fournies. Les gens sont, par ce biais, mieux soignés car il est fait plus attention à ce qui est consommé, le tout pour améliorer l'efficacité générale du système. Nous avons donc encore beaucoup de travail à faire sur la collecte et l'utilisation des données.

M. Daniel Loisance. - Surveiller un dispositif médical implantable consiste avant tout à surveiller le résultat d'un geste chirurgical. Nous n'avons, en France, ni la culture, ni les moyens pour le faire. Je regrette de ne pas avoir été capable, en dehors de mon service, de diffuser cette culture de l'évaluation.