Mardi 29 mai 2012

- Présidence de Mme Frédérique Espagnac, présidente -

Table ronde sur le Conseil en notation

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Voulez-vous présenter votre activité ?

M. Nicolas d'Hautefeuille, head of rating advisory chez Crédit agricole CIB. - Je tiens à vous remercier pour votre invitation. J'ai rédigé pour la commission un papier qui résume mon témoignage et que je vais résumer. Je suis responsable de l'équipe de conseil en notation au sein de CA CIB, la banque d'affaire du groupe Crédit agricole. Je me concentrerai sur les missions réalisées pour les entreprises ; je ne suis pas compétent pour discuter des enjeux réglementaires qui sont gérés directement par la direction financière du groupe.

Comment créons-nous de la valeur pour les entreprises ? En leur apprenant à parler le langage des agences. La notation, c'est d'abord un contrat de confiance, et non une démarche inquisitoriale. Sur le risque de solvabilité, il y a des règles transparentes reposant sur une matrice de crédit. Sur le risque de liquidité, là encore, les règles sont transparentes et ont contribué à éviter que la crise de Lehmann Brothers ait des répercussions trop brutales sur l'activité économique.

Notre valeur ajoutée est de nous assurer de la cohérence des notations : la notation d'une entreprise française doit être cohérente avec celle de son concurrent américain. Nous y avons réussi ; cette évolution doit aussi beaucoup à l'autorégulation des agences de notation.

Il faut aussi vérifier la cohérence des critères : la crise des subprimes l'a montré. Les agences se sont vu imposer un back testing, c'est-à-dire une expérimentation permettant d'ajuster les critères et d'éviter le retour des dérives du passé.

Les agences notent la probabilité de défaut ou de perte. La crise grecque illustre le problème posé par la notion de défaut sélectif : une agence doit-elle décider elle-même quand il y a défaut ? Il faut des contre-pouvoirs. Le Crédit agricole a réussi à mettre au point une méthodologie mondiale des critères. Nous soutenons la proposition de l'Autorité des marchés financiers de créer un forum sur les critères, reposant sur un dialogue factuel. Il est dommage que l'Europe cède, trop souvent, le pas aux États-Unis.

M. Jean-François Veron. - Je parlerai du conseil en notation et les opinions que j'exprimerai n'engageront pas la Société générale. La notation sert à donner aux entreprises accès aux marchés de capitaux. Nous avons des bureaux à Paris, New York et Londres : le benchmarking international est important. Je suis responsable des secteurs français et espagnol ; j'ai travaillé dans l'industrie, puis dans la finance, y compris chez Standard and Poor's.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Vous dites que vous ne faites pas de recherches approfondies, mais privilégiez la confiance. Qu'est-ce qui vous différencie des agences de notation ? Vous avez les mêmes clients. La notation par les agences est devenue quasi obligatoire. Est-ce le volume des cas traités qui vous distingue ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je n'ai pas compris à quel moment vous intervenez : avant l'appel d'offres ? Après le choix de l'agence ?

M. Nicolas d'Hautefeuille. - Une notation est une matrice de transition entre cinq et dix ans, d'où la nécessité de construire une relation de confiance entre l'entreprise et l'agence. Notre valeur ajoutée repose sur un travail « en profondeur » en termes de recherche. Le succès « EADS », sur lequel M. Gallois a autorisé le Crédit agricole à communiquer, vous éclairera. Les enjeux étaient importants. EADS était noté BBB+ et Boeing A+. Nous étions au moment de l'affaire Lehmann Brothers, cela pouvait générer un problème d'appel de marges potentiel, avec un risque de liquidités pour EADS sur ses positions de change. Nous nous sommes invités au comité de notation ; nous avons refait le travail que font les agences. Un raisonnement un peu brutal consistait à dire : Boeing a une marge de 10 %, EADS de 1 %, donc une entreprise est rentable, l'autre pas.

Même si les entreprises étaient équivalentes en termes de profil financier, l'argument selon lequel il fallait donner une meilleure note à l'entreprise rentable prévalait. Le travail de notre équipe à consisté à attirer l'attention de l'agence de notation sur des points peu mis en valeur : la vision donnée par Boeing de sa marge comptable est basée sur des comptes aux normes US-GAAP alors qu'EADS élabore ses comptes selon les normes IRFS.

Tout cela impliquait selon nous la nécessité de procéder à des ajustements sur la dette et sur le résultat d'exploitation. Les deux avionneurs font face à des problèmes identiques : ils doivent financer des programmes très lourds, de l'ordre de 10 milliards d'euros pour construire un avion. Airbus inscrit ses charges d'investissement dans son compte de résultat comme des charges effectives, alors que Boeing les inscrit en besoins de fonds de roulement (actifs d'exploitation). Sur ces bases, des ajustements ont été faits pour comparer les deux marges, si bien qu'on a pu obtenir de la part de l'agence que la note d'EADS soit revalorisée.

On le voit, la notation est d'abord un dialogue très technique. Notre métier, c'est d'être les avocats de l'entreprise auprès des agences. Nous essayons de faire en sorte que le jeu soit le plus équilibré possible entre l'entreprise et les agences afin que l'accès à la liquidité de l'économie soit assuré dans les meilleures conditions, en ayant présent à l'esprit que la notation est le passeport du crédit.

M. Jean-François Veron. - Nous ne sommes pas une agence de notation, mais nous aidons les clients dans leurs relations avec les agences.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Êtes-vous tous rattachés à une banque ?

M. Jean-François Veron. - Cette activité est exercée par des banques, des cabinets de conseil et quelques indépendants. Elle n'est pas liée à un statut particulier.

M. Jean-Pierre Caffet. - Je comprends mieux à présent. Quant cette activité est-elle née ? En même temps que les agences ? Conseillez-vous des émetteurs ou des investisseurs ?

M. Jean-François Veron. - Des émetteurs.

M. Jean-Pierre Caffet. - Sont-ils vos clients pour cette activité seulement ?

M. Jean-François Veron. - Pas nécessairement, mais nous ne nous exprimons ici qu'à ce titre.

M. Jean-Pierre Caffet. - Vous faites donc du lobbying pour les émetteurs ?

M. Jean-François Veron. - Du lobbying analytique. Deux types de missions nous sont confiées : des missions de première notation, pour des clients qui n'ont jamais été notés et sont un peu perdus ; et des missions d'accompagnement, pour des entreprises qui font face à une conjoncture difficile et que nous aidons à trouver de bons arguments analytiques.

M. François Marc. - Comment apprécie-t-on vos performances ? Les entreprises s'entourent de beaucoup de conseillers, par exemple des conseillers fiscaux dont on apprécie la qualité à l'aune de leur capacité à réduire le taux d'impôt sur les sociétés. Les sociétés du CAC40 ont un taux de 8 % quand il est normalement de 33 %. Mais vous ? Est-ce en fonction de la notation ? Ne risquez-vous pas d'enjoliver la réalité ?

M. Jean-François Veron. - Si la société a le sentiment d'avoir bien présenté ses atouts et justifié ses faiblesses, le conseil en notation peut être jugé performant.

M. François Marc. - En définitive, n'êtes-vous pas des spécialistes du window dressing ?

M. Jean-François Veron. - Pas du tout. Nous ne conseillons qu'une minorité d'émetteurs, par exemple quand leurs équipes financières sont surchargées.

M. Nicolas d'Hautefeuille. - Je travaille depuis plus de dix ans pour un grand groupe du CAC40 : les succès partagés engendrent une relation de confiance. Dans le contexte actuel de crise de liquidité, la notation est un métier très technique et il faut éviter que des critères incohérents ne créent des distorsions. La notation est un enjeu important pour l'optimisation du coût de financement, voire de la valeur d'entreprise.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Vous intervenez auprès d'un petit nombre d'entreprises, mais en quoi cela prouve-t-il que vous ne faites pas de window dressing ? Je comprendrais mieux l'argument qui consisterait à dire que de la même manière que de grandes entreprises font appel à des avocats extérieurs tout en ayant des services juridiques importants -par exemple Total pou l'Erika- elles ont recours occasionnellement à un conseil extérieur en notation.

J'en reviens à la Grèce. Comment se fait-il que vous n'ayez pas perçu le risque ?

M. Nicolas d'Hautefeuille. - Notre équipe travaille pour les clients du Crédit agricole, non pour le groupe lui-même.

M. Jean-François Veron. - Je voulais insister sur le fait que le conseil en notation n'est pas obligatoire.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Êtes-vous payés par la banque ou l'émetteur ?

M. Jean-François Veron. - Le conseil n'est pas toujours facturé : il entre parfois dans une relation globale. Et s'il est facturé, c'est par la banque.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - L'idée prévaut aujourd'hui qu'il ne faut pas donner de trop larges responsabilités aux agences. Si vous faisiez remonter des informations, ce serait très précieux.

M. Jean-François Veron. - Nous cherchons à apprécier la valeur des critères des agences, mais nous ne travaillons pas sur tous les sujets au sein de la banque.

M. Jean-Pierre Caffet. - Un groupe bancaire est aussi un investisseur. Comment faites-vous le partage ?

M. Jean-François Veron. - Nous ne donnons aucune recommandation d'investissement à la banque. La segmentation entre les deux activités est nette.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - En somme, votre activité est le bed dressing : vous faites en sorte que les entreprises se couchent aussi confortablement que possible dans les bras des agences...

M. Jean-François Veron. - On peut employer toutes sortes d'images. Nous aidons les entreprises à se financer au mieux auprès des marchés, en obtenant une bonne note.

M. Jean-Pierre Caffet. - Quel est le cadre éthique de votre profession ? Si vous vous apercevez qu'une agence surévalue une entreprise, en informez-vous quelqu'un ? Certaines entreprises notées AAA la veille se sont révélées être le lendemain dans une situation catastrophique...

M. Jean-François Veron. - Personnellement, je ne me suis jamais trouvé dans cette situation. Nous avons des règles de déontologie. Ce serait aux équipes de compliance -que j'alerterais- de définir la marche à suivre.

M. Nicolas d'Hautefeuille. - Juridiquement, nos missions se limitent à une assistance et non à du conseil. Le Crédit agricole est un groupe mutualiste au service de ses clients, et notre devoir est de les accompagner y compris dans les moments plus difficiles.

Anticiper le besoin d'adapter la structure financière et la gestion du risque de liquidité par rapport à une éventuelle dégradation est un enjeu essentiel. Nous cherchons à aider l'entreprise à retarder au maximum le risque de dégradation en obtenant que la notation intervienne « à travers le cycle ».

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Si une entreprise crée des produits structurés, intervenez-vous pour assurer le succès de l'opération ?

M. Jean-François Veron. - Notre service n'intervient pas dans cette activité.

M. Nicolas d'Hautefeuille. -C'est le travail des équipes de titrisation rattachées à la salle des marchés.

M. François Fortassin. - Je suis admiratif et dubitatif à la fois... Il faut une grande vertu pour faire votre métier, puisque vous faites à la fois du conseil aux entreprises et des investissements. Or je me méfie de la vertu...

M. Jean-François Veron. - Pour notre part, nous ne faisons que du conseil. Nous aidons les sociétés dans leur dialogue analytique avec des agences de notation.

M. Jean-Pierre Caffet. - Quand cette activité est-elle apparue ?

M. Jean-François Veron. - Je ne sais pas au juste ; il y a dix ou quinze ans en Europe, après les États-Unis.

M. Jean-Pierre Caffet. - Quel est l'intérêt pour une banque ?

M. Jean-François Veron. - Le conseil en notation entre dans une relation globale avec les clients. La notation, qui est devenue l'alphabet de la finance, est une préoccupation quotidienne dans une banque. Elle a donc besoin de conseillers spéciaux.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Je ne parlerai pas de vertu, mais de charité laïque... Est-il plus confortable pour vous de conseiller des entreprises comme EADS, financièrement solides ?

M. Jean-François Veron. - J'ai conseillé des sociétés notées B ou AA, des sociétés dont la note se dégradait ou s'améliorait... Tout dépend des relations entre la banque et l'émetteur.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Est-ce la banque qui vous oriente ?

M. Jean-François Veron. - Oui.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Mais n'y a-t-il pas là un mélange de genres ? Et quid des PME ?

M. Nicolas d'Hautefeuille. - Notre groupe cherche à aider ses clients à faire face au défi de la désintermédiation. Il faut recréer un modèle économique qui assure de la liquidité pour les entreprises comme pour les banques, en redéfinissant le rapport entre obligations et prêts bancaires.

Pour les PME, une petite taille constitue un handicap pour un accès au marché obligataire et pour la notation. Nous avons essayé de creuser ce dossier en favorisant l'accès au marché des placements privés en dollar. Celui-ci repose sur des notations réalisées par les compagnies d'assurance, et non par les grandes agences de notation.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Par provocation, on pourrait dire que votre activité existe en raison de la défaillance des agences de notation.

M. Jean-François Veron. - Les agences de notation ont consenti un réel effort de transparence. Néanmoins, un document de 70 pages détaillant les critères doit être expliqué à l'émetteur ; rien de surprenant à ce qu'il fasse appel à un intermédiaire.

M. Nicolas d'Hautefeuille. - La finance reste une science humaine : les erreurs sont inévitables.

M. François Marc. - Qu'en est-il du recrutement ? Les banques peuvent avoir intérêt à recruter des anciens des agences de notation. N'existe-t-il pas un grand mercato avec primes à la clef des transferts ?

M. Jean-François Veron. - Il n'y a pas de mercato. J'ai travaillé dans une agence ; pas M. d'Hautefeuille.

M. Nicolas d'Hautefeuille. - Notre métier, au-delà du conseil en notation, est l'ingénierie financière. C'est un défi intellectuel qui attire les analystes des agences, car, dans les agences, ils n'ont pas le droit d'avoir des activités de conseil.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Je suis surpris. Vous avez beaucoup insisté sur la confiance, le côté affectif. Les dirigeants de Moody's et Pitch se retrouvaient tous à Palm Beach. Chacun couvrait l'autre, un système qui ne favorisait pas la rigueur...

Vous avez déploré le poids des agences de notation américaines. Quels seraient vos conseils quant à la création d'une agence de notation européenne ?

M. Jean-François Veron. - Je ne suis pas mandaté pour vous répondre.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - En tant qu'avocat des entreprises, comment améliorer le travail des agences de notation qui sont à l'origine de catastrophes ?

M. Nicolas d'Hautefeuille. -Tout l'enjeu est d'assurer un égal accès à la liquidité : notre métier y contribue en assurant une plus grande transparence sur l'attribution par les agences de passeports de crédit. L'institution d'un forum sur les critères comme le propose Jean-Pierre. Jouyet peut aider l'Autorité européenne des marchés financiers à mettre en oeuvre la régulation européenne qui impose aux agences une « expérimentation » (back testing) de leurs critères.

M. Jean-François Veron. - À titre personnel, je considère qu'il faudrait réfléchir sur le sens des notations et l'horizon temporel. À l'automne 2008, les agences de notation ont peiné à comprendre ce qui se passait, ce qui peut se concevoir. À l'autre bout du spectre, le risque systémique est également difficile à appréhender. La notation est surtout fiable à moyen terme. Il est rare que les agences de notation sortent un scoop. En revanche, elles sont des tours d'observation sur le crédit à long terme. Disposant de données sur tous les secteurs, elles pourraient participer aux travaux de recherche des institutions internationale pour le risque systémique sans que leur analyse soit intégrée dans la note. Ce serait une manière de restituer une partie de leur analyse au marché.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Travaillez-vous différemment selon les agences de notation ?

M. Jean-François Veron. - Nous ajustons nos travaux à leur méthodologie. Cela dit, le travail est similaire.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Merci de votre venue. Si besoin est, nous nous adresserons à vous avant la publication de notre rapport qui doit intervenir mi-juin.

Présentation du projet de plan du rapport

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Au cours de ces mois de travail, nous avons beaucoup discuté, dialogué. Peu de divergences sont apparues entre nous. Nous vous proposons une synthèse qui pourra être augmentée des contributions de chacun. Le ton ne doit pas être agressif, même si nous avons peu de sympathie envers les agences de notation.

Comment se « désintoxiquer » de la notation ? Cela paraît impossible tant les marchés obligataires sont devenus importants. Au lieu d'avoir recours aux prêts bancaires, les entreprises se financent de plus en plus sur des marchés des capitaux mondialisés ; en conséquence, les investisseurs se sont éloignés des émetteurs. Les agences de notation délivrent une sorte de certification.

Le défaut, qui était une réalité pour les particuliers et les entreprises, se concrétise pour les Etats avec l'Argentine hier et, peut-être, aujourd'hui, la Grèce. Les collectivités locales, qui ignoraient il y a quelques années les agences de notation, vont devoir -pour les plus importantes d'entre elles- faire appel à leurs services : c'est déjà le cas pour Paris et l'Ile-de-France, comme l'a confirmé M. Karoutchi. Le besoin de financement des collectivités locales est estimé à 17 milliards d'euros cette année. Les banques sont prêtes à accorder 10 milliards, le gouvernement précédent s'était engagé à hauteur de 5 milliards. Les plus petites collectivités peuvent se regrouper pour accéder au marché obligataire, le ticket d'entrée minimal étant de l'ordre de 5 millions, mais celles qui ont la meilleure situation n'en tireront aucun avantage car l'emprunt sera accordé à un taux moyen.

On déplore le poids des agences de notation tout en incitant à y recourir. Pas un texte réglementaire international qui ne leur donne un rôle. Les agences devraient aller vers plus de transparence et uniformiser leurs critères de notation. Trop souvent, elles s'abritent derrière un secret de fabrication. Le marché ne peut servir de garde-fou quand il est dominé par un oligopole de deux agences et demi. La configuration actuelle ne garantit pas la qualité de la notation. Si les erreurs ont été rares, elles ont abouti à des conséquences catastrophiques. Je pense à la crise des subprimes ou à l'affaire Parmalat en Italie. A ce titre, je suis contre les clauses exonératoires ou limitatives de responsabilité. La nouvelle Autorité européenne des marchés financiers exerce cependant un contrôle croissant.

Comment favoriser l'arrivée d'un nouvel entrant ? La Commission européenne souhaite encourager de petites agences, ce qui semble difficile. La Coface, qui a tous les atouts en main, ne veut pas se lancer dans l'aventure. Faut-il demander à toutes les banques européennes de payer leur écot pour créer une agence européenne ? Encourager le projet du cabinet Roland Berger ? Autre idée de financement, puisque les Etats font des agences de notation un passage obligé, on peut imaginer de les taxer fortement : leur marge est considérable.

Pour conclure, il serait irréaliste de s'imaginer que l'on peut se séparer des agences de notation. Mais ce serait renoncer que de se contenter du statu quo. L'Europe demande la publication des notations à date fixe pour éviter les « effets de falaise ». En novembre dernier, l'annonce fautive de Standards and Poor's concernant la France a provoqué une hausse de notre écart de taux d'intérêt par rapport à l'Allemagne... Réduire le poids des dettes souveraines, harmoniser le régime de responsabilité civile, publier la rémunération des agences et favoriser la création d'une agence européenne sont autant d'axes de travail.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Comment faire des propositions pertinentes qui ne seront pas redondantes par rapport à celles que Bruxelles fera le 2 juillet ? Que proposer au-delà du projet d'agence européenne ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Nous avons besoin d'un document pour réfléchir. Je ne souhaite pas des contributions individuelles, mais un rapport consensuel, transpartisan, qui aura du poids.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Nous avons présenté un avant-projet de plan, le reste viendra sous quinzaine.

M. François Fortassin. - Que cela nous plaise ou non, les agences de notation existent. À nous d'éviter qu'elles ne soient une épée de Damoclès pour les investisseurs et que leur travail ne reste totalement ésotérique.

M. Jean-Pierre Caffet. - Faut-il considérer ce rapport comme le Graal de ce que seront les agences de notation demain ?

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Non, certes.

M. Jean-Pierre Caffet. - L'objectif est plus modestement de contribuer au débat. Je crois qu'il y a un problème de méthode. Nous aurions besoin d'une petite note sur les projets de Bruxelles, pour savoir ce que pourrait être notre plus-value. Le plan présenté me convient. Je me réjouis qu'on ne préconise pas la suppression de ces acteurs. Nous sommes tous d'accord sur le constat. Reste à réunir l'unanimité sur les propositions en nous présentant un projet de texte.

M. François Fortassin. - Je ne souhaite pas non plus de contributions personnelles. La réflexion a été collective...

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je ne comprends pas votre approche. Pourquoi nous cacher le rapport ?

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Il n'existe pas !

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Si le plan présenté vous convient, l'écriture du rapport commencera.

M. Jean-Pierre Caffet. - J'aimerais en savoir plus sur la taxation des agences de notation. Quel en serait le taux ? Serait-ce une taxe spéciale ? S'il fallait taxer tous les rentiers...

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - La rente est d'autant plus forte que les Etats font des agences de notation un passage obligé. Il serait donc normal de les taxer.

M. Jean-Pierre Caffet. - Le meilleur rempart à la rente serait-ce la concurrence ?

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - La création d'une agence européenne est une affaire complexe...

M. Jean-Pierre Caffet. - Je préfère une taxe sur les activités financières à une taxe sur les agences.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Techniquement, il existe déjà une taxe sur les agences pour financer le contrôle exercé par l'AEMF.

M. Jean-Pierre Caffet. - Nous pourrions exposer ce que nous avons retiré de notre visite aux Etats-Unis, des alternatives qui y ont été envisagées, de la nécessité de casser le lien consubstantiel entre l'émetteur et l'agence de notation. Pour moi, le mal est la titrisation, non les agences de notation ; ne nous y trompons pas !

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - On ne reviendra pas sur la titrisation parce qu'elle est présentée comme une manière de diffuser le risque.

Notre sujet est les agences de notation et leur poids croissant avec les réglementations « Bâle I » à « Bâle III ».

M. Jean-Pierre Caffet. - Sauf que dans les titres subprimes, plus personne ne savait ce qu'il y avait, même pas les acheteurs.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Il faut faire des propositions sur les régulateurs, qui ne jouent pas leur rôle aujourd'hui. Ils ne sont pas placés au bon niveau de la chaîne.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Que chacun lise le plan, et propose éventuellement des modifications.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Plutôt que de parler d'un marché « pousse au crime », je parlerais franchement des conflits d'intérêts. Appelons un chat un chat.

Pour ma part, je ne crois pas qu'une nouvelle agence soit la solution. Elle sera un sous-marin des trois grandes agences de notation.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Mais un pool de banques européennes pourrait s'associer pour éviter de subir l'oligopole américain. D'ailleurs, une agence publique -dont je comprends toutes les faiblesses- pourrait servir de juge de paix.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - S'il faut une autre agence, elle doit être européenne. En Europe, il y a vingt-sept notations, aux Etats-Unis, une seule. C'est là le problème !

Je ne suis pas sûre que l'agence européenne doive être publique.

M. François Fortassin. - Il faudra en tout cas garantir son indépendance.

M. Jean-Pierre Caffet. - Si la majorité des capitaux est allemande, cela ne changera pas grand-chose à la notation des dettes souveraines...

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Si toutes les banques européennes étaient concernées, leur contribution serait modique et l'indépendance par rapport aux Etats-Unis assurée.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Nous organiserons, début juin, une réunion pour mettre au point le rapport, qui vous sera adressé auparavant.

Mercredi 30 mai 2012

- Présidence de Mme Frédérique Espagnac, présidente -

Audition de M. Pierre de Lauzun, directeur général délégué de la Fédération bancaire française, et Bernard Labilloy, directeur des affaires économiques, financières et internationales de la Fédération française des sociétés d'assurance

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - En tant qu'émetteurs ou investisseurs, les banques et les assurances sont extrêmement concernées par les agences de notation. Elles font du lobbying auprès de Bruxelles, pour faire connaître leur point de vue. De plus, la Commission européenne est en train de rédiger un règlement pour encadrer l'activité de ces agences.

Nous aimerions connaître vos positions sur toutes ces questions.

M. Bernard Labilloy, directeur des affaires économiques, financières et internationales de la Fédération française des sociétés d'assurance. - Merci pour votre invitation. Les assureurs sont de gros investisseurs sur tout le segment obligataire et ils sont également des émetteurs réguliers : pour satisfaire aux exigences prudentielles, nous détenons des fonds propres mais également nous émettons régulièrement de la dette subordonnée qui est notée par les agences.

Le projet de réglementation européenne comporte des points positifs, mais aussi des points négatifs. Nous saluons ainsi l'objectif de réduire la dépendance règlementaire à la notation, conformément aux recommandations du G20. C'est d'autant plus bienvenu que nous sommes en train de revoir le cadre prudentiel avec la réforme Solvabilité II. Nous approuvons aussi la possibilité d'engager la responsabilité civile des agences de notation en cas de faute caractérisée ou de faute grave, ainsi que la volonté d'instaurer une plus grande transparence, l'obligation de consulter la partie concernée avant tout changement de méthodologies ou encore l'instauration d'un délai avant toute publication d'une note modifiée.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Vous pensez à des dates fixes ?

M. Bernard Labilloy. - Non, plutôt à un délai de 24 heures avant la publication, ce qui permet d'informer l'entreprise notée avant que la note ne soit rendue publique.

D'autres points sont plus problématiques comme l'obligation de rotation des agences, l'harmonisation des méthodologies de notation, l'interdiction faite aux agences de notation de noter à la fois l'émetteur et son instrument de dette ou encore l'obligation de faire approuver les modifications de méthodologie par l'Agence européenne de supervision des marchés financiers.

M. Pierre de Lauzun, directeur général délégué de la Fédération bancaire française. - En 2007, nous avons vu les conséquences que pouvaient avoir les erreurs de fonctionnement des agences de notation : même si elles n'ont pas provoqué la crise, elles y ont contribué. Cette question est essentielle et nous nous sommes régulièrement exprimés lors des consultations européennes.

L'idée d'une régulation européenne sur la base des principes qui ont été présentés par la Commission est évidemment une bonne chose, même si sa mise en oeuvre se révèle très difficile puisque nous avons affaire à trois agences américaines. Ces entités jouent un rôle très important dans le marché alors qu'elles sont anormalement peu nombreuses et qu'elles ont recours à des méthodes relativement opaques. C'est donc une bonne chose que la Commission s'occupe de leur méthodologie. Autant certaines des propositions nous semblent appropriées, autant d'autres ne répondent pas au problème. Diverses questions ne sont pas traitées.

Nous approuvons l'idée d'autoriser, de regarder les méthodologies. Même chose pour la responsabilité en cas de faute : l'irresponsabilité totale n'est pas normale mais on ne peut instaurer un délit d'opinion, car cela condamnerait à mort les agences de notation.

Nous approuvons aussi l'idée de réduire le recours aux agences de notation du moins dans la partie obligatoire et règlementaire. Cependant, la réforme proposée ne va pas au bout de la logique. Il est anormal qu'on soit obligé d'utiliser l'avis des agences alors qu'elles ne sont que trois et que leur culture est commune.

Les grandes banques sont beaucoup mieux équipées que d'autres opérateurs puisque toute leur activité de crédit suppose une analyse du risque. Plus les opérateurs sont petits, plus il leur est difficile d'avoir leurs propres services d'analyse. En France, nous avons peu de petites banques, mais ce n'est pas le cas dans d'autres pays européens.

La rotation qui est prévue n'est pas praticable avec trois agences. Comment faire émerger de nouvelles agences ? Cela suppose un effort sur le long terme car il faudrait des années avant qu'une nouvelle agence soit crédible, ce qui veut dire plusieurs exercices durant lesquels elle serait financée à perte. Les seules agences qui se développent à l'heure actuelle, mais qui restent petites, se trouvent en République populaire de Chine, mais leur modèle est bien différent du nôtre.

Il y a là un problème de fond que l'on peut tenter de circonscrire mais que l'on ne résoudra pas tant que le monopole actuel demeurera. Les agences profitent de cette situation. Elles utilisent leur pouvoir pour obtenir des informations que le marché n'a pas : le fonctionnement du marché est donc biaisé, puisqu'en théorie, tous les opérateurs devraient disposer des mêmes informations. En outre, le fait de détenir des informations cachées renforce l'aura des agences. Puisqu'elles sont supposées détenir des informations confidentielles, leur avis n'en a que plus de poids. Il serait donc approprié qu'elles soient tenues à ne fonctionner que sur des informations publiques ou que les nouvelles informations qu'elles obtiennent soient rendues immédiatement publiques.

C'est d'autant plus important si l'on souhaite l'émergence de nouveaux concurrents, car, nouveaux venus, ils ne pourraient prétendre à obtenir des informations confidentielles.

Il y a un biais dans les méthodes : aux Etats-Unis, les normes comptables, les critères et les ratios sont différents. Il serait bon qu'une autorité européenne fasse évoluer la méthodologie des agences.

Ce problème est donc très important mais difficile à traiter : les agences doivent évoluer, de nouvelles agences seraient souhaitables et la rotation envisagée par la Commission ne règle rien.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Il y a un paradoxe : on entend dire qu'il faut se désintoxiquer des agences de notation qui sont de plus en plus un passage obligé. La réglementation prudentielle des assurances les oblige-t-elle à passer par les agences pour apprécier les risques d'un actif ? Pensez-vous que Solvabilité II est de nature à amplifier - ou à réduire - le recours à la notation ?

M. Bernard Labilloy. - Dans le cadre règlementaire et prudentiel actuel, nous ne sommes pas obligés d'utiliser les notations pour nos investissements. Le code des assurances contient une liste des actifs règlementés. Il impose principalement d'investir dans des titres qui sont négociés sur des marchés reconnus, mais il n'est pas fait mention des notations comme critère d'investissement, ni pour les exigences en capital.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Rien ne vous oblige, par exemple, à prendre uniquement du triple A ? Vous pouvez investir dans des junk bonds ?

M. Bernard Labilloy. - Oui, dès lors qu'ils satisfont aux autres critères qui sont règlementés, ce qui ne veut bien sûr pas dire que les assureurs n'utilisent pas la notation comme un des éléments de prise de décision.

Solvabilité II va introduire deux modifications : des exigences en fonds propres calculées de façon beaucoup plus fine en fonction du risque pris au passif mais aussi à l'actif, ce qui s'analyse notamment au regard de la note de crédit de l'émetteur des titres dans lesquels l'investissement est réalisé. Nous aurons donc plus souvent recours à la notation. Mais on demande aussi aux assureurs d'avoir des systèmes internes d'analyse du risque, surtout pour les crédits, afin de ne pas être contraint de se fier exclusivement aux notes des agences. Notre politique sera donc fonction de cette double exigence.

M. Pierre de Lauzun. - Les banques doivent, depuis longtemps, disposer de fonds propres : l'analyse fine est donc intrinsèque au métier. La réglementation a eu tendance à privilégier l'usage, au moins a minima, de la notation extérieure. Elle tend aujourd'hui à la réduire, mais ce n'est pas facile. Les très grandes banques peuvent disposer de notations internes, mais plus les marchés ou les établissements sont petits ou exotiques, plus la notation externe est importante. En outre, la notation externe a une certaine importance dans la mesure où elle influence le marché lui-même. Si la notation de titres négociables se dégrade, l'impact est immédiat. Nous sommes donc obligés d'en tenir compte. En revanche, il faut bannir l'obligation légale.

Toute une série d'investisseurs et d'entreprises ne déposent des fonds dans des banques que si ces dernières sont notées au-delà d'un certain niveau. Si la banque tombe en-dessous, les dépôts repartent. Ces entreprises ont toute liberté d'agir ainsi, avec les effets mécaniques qui en découlent. Le poids des avis des agences de notation est donc démesuré. Sur un titre, l'avis d'un seul analyste financier ne fait pas la loi, mais les trois agences qui s'observent produisent un effet systémique pouvant entraîner l'assèchement des dépôts. Il ne faut pas rendre les agences de notation responsables de tous les problèmes actuels, mais elles peuvent les amplifier du fait de leur position tout à fait particulière.

Il serait utile d'obtenir un droit de réponse : les entreprises notées devraient pouvoir répondre aux agences de notation qui les dégradent, et les données objectives devraient être publiées. Le débat suppose que les différentes thèses en présence puissent s'affronter. Cette réforme améliorerait la situation actuelle.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Les banques et les assurances continuent-ils à investir dans les produits structurés ?

M. Bernard Labilloy. - Les assureurs détiennent encore des produits structurés, mais dans des proportions assez faibles. Je n'ai pas de remarque particulière à formuler sur les notations des agences sur ces produits.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Je ne parlais pas du stock des produits structurés que vous détenez, mais des flux : continuez-vous à investir dans ce type de produits ?

M. Bernard Labilloy. - Oui, car la gamme des produits structurés est très large.

M. Pierre de Lauzun. - Il faut distinguer selon le degré de complexité de ces produits. Si l'on appelle structuré tout ce qui consiste à retravailler les matières premières, qu'il s'agisse de crédits ou de valeurs mobilières existantes, on couvre un champ qui va de produits extrêmement clairs et lisibles à des produits beaucoup plus complexes et spécialisés. La crise de 2007 a montré que l'on avait très largement exagéré la capacité des investisseurs à analyser ces produits : souvent le travail n'en valait pas la peine si bien que les investisseurs s'en sont remis aux analyses des agences de notation, ce qui est malheureux, car elles ont été utilisées bien au-delà de ce qu'il aurait fallu faire. Les agences de notation ne notent en effet que la solvabilité ultime, c'est-à-dire le remboursement final. Or, ce qui peut affecter une banque, c'est la liquidité et le prix sur le marché. Si les deux s'effondrent, même si l'on est payé à la fin, l'effet est considérable. Or, les agences ne notaient pas ces phénomènes. En outre, elles notaient souvent ces produits structurés tout en intervenant en amont dans la structuration, ce qui s'est révélé extrêmement dangereux.

Il faut désormais distinguer entre les produits clairs et transparents et les produits plus complexes. La titrisation simple et les obligations foncières sont des produits assez lisibles. Il suffit de savoir quelle est la qualité des créances immobilières qui sont à l'origine de ces produits. Si les normes minimales sont respectées, il n'y a pas de problème de compréhension. C'est d'ailleurs pour cela que la titrisation s'est développée aux Etats-Unis pendant longtemps sans aucun problème, car les normes étaient relativement strictes. On aura même besoin de développer ces systèmes puisque Bâle III va aboutir à une exigence de capital beaucoup plus grande à activité identique. Il faudra donc recourir beaucoup plus au marché pour produire de nouveaux prêts. Il faut se montrer vigilant pour que le public comprenne bien de quoi il s'agit. Pour tous ces produits, le processus doit donc être encouragé. Les produits complexes, quant à eux, ne doivent pas être rejetés par principe, mais comme le marché a du mal à les analyser de manière responsable, les opérateurs doivent se montrer plus prudents et les traiter de façon plus rigoureuse d'autant que ces produits sont moins liquides.

Toutefois les pertes finales sur les produits structurés émis en Europe avant la crise de 2007 ont été extrêmement faibles. Les notations n'étaient donc pas si mauvaises. En revanche, l'erreur a été commise aux Etats-Unis avec les subprimes - les prêts à des débiteurs qui n'étaient pas en état de rembourser - et avec l'énorme bulle immobilière qui a surgi. Le fait de base, c'est que l'on n'a pas été assez sélectif sur les crédits eux-mêmes, contrairement à ce qui se passe en France où l'on tient compte de la capacité de remboursement des emprunteurs, indépendamment de la valeur du gage. Si l'on retient la seule valeur du gage, on transforme l'emprunteur et la banque en spéculateurs sur le marché immobilier. A l'évidence, l'achat d'une maison ne doit pas être une opération spéculative. La valeur du produit est là en garantie ultime. La conception était donc malsaine dès le départ.

S'il faut intervenir sur les agences, le point de départ reste le produit lui-même qui doit être clair, transparent et à risque faible. Si tel n'est pas le cas, le marché doit savoir qu'il s'agit de produits plus risqués et le traitement prudentiel doit être durci.

M. Dominique de Legge. - Vous avez évoqué un éventuel droit de réponse, lorsqu'un établissement est noté. Pourriez-vous nous dire comment il pourrait s'organiser ?

Comment aller vers plus de transparence ?

M. Pierre de Lauzun. - Quand une agence de notation dégrade, il serait intéressant que dans sa note figure le droit de réponse de l'entreprise ou de l'Etat dégradé, de telle façon que les deux opinions puissent se confronter.

M. Dominique de Legge. - Qu'est ce qui s'y oppose ?

M. Pierre de Lauzun. - Rien, mais rien ne l'oblige non plus ! Or, l'effet d'annonce de l'agence de notation serait réduit puisque son analyse serait remise en cause dans le même document.

En ce qui concerne la transparence, nous ne pouvons accepter que les agences de notation puissent faire état d'informations privilégiées. Qu'elles exigent des informations d'un émetteur, rien de plus naturel, mais il importe que ces informations soient immédiatement rendues publiques. Les avis des agences seraient ainsi démythifiés.

Il est sans doute excessif de prévoir une approbation, comme le demande la Commission, mais un dialogue entre l'autorité européenne et les agences sur les méthodes utilisées est nécessaire. Si les méthodes sont biaisées par mauvaise intention, mais aussi pour des raisons culturelles, il faut pouvoir demander aux agences de procéder à une rectification et le faire savoir au public. Plus les choses seront sur la table, plus la situation sera saine.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Les agences de notation feraient bénéficier de leur décision de dégrader tel ou tel opérateur certains privilégiés avant de rendre public leur décision. Qu'en pensez-vous ?

M. Pierre de Lauzun. - Ce comportement serait anormal. Si un émetteur dispose d'informations confidentielles, la loi l'oblige à informer le marché.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Ce serait un délit d'initié ?

M. Pierre de Lauzun. - Si une agence donnait une information en avant première à quelqu'un, il s'agit d'un délit d'initié. De telles dérives relèveraient de poursuites pénales.

M. François Fortassin. - A quelles sanctions de tels délits d'initiés ont-ils donné lieu?

M. Pierre de Lauzun. - C'est une question qu'il faut poser à l'AMF. Il y a des cas de repérages et de sanctions : leur effet est double, puisqu'il y a la sanction elle-même mais aussi l'effet de cette sanction sur le public. C'est une procédure qu'il faut renforcer car les conséquences de tels agissements sont dévastatrices : l'initié vole autrui en effectuant des transactions à un prix qui n'est pas celui du marché, et il porte atteinte à l'intégrité du marché, d'où une perte de confiance des investisseurs qui doivent être mis à égalité.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Les banques ne devraient-elles pas favoriser l'arrivée de nouvelles agences ?

M. Pierre de Lauzun. - Le problème est financier car, pour créer une agence, il faut soutenir un effort financier sur une longue période. En outre, les notations doivent être techniquement crédibles, ce qui implique d'être à l'occasion désagréable. L'institution doit également apparaître indépendante des Etats, mais aussi des banques. Il n'est donc pas facile de mettre en place une agence en partie publique mais qui ne soit pas à la main des Etats et qui dispose d'une analyse technique crédible.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Pourquoi ne pas demander aux 100 plus grandes banques européennes de se cotiser pour créer une agence indépendante ? La dilution du pouvoir de chaque banque serait totale et l'indépendance de cette agence assurée.

Une autorité européenne ne pourrait-elle pas jouer le rôle de juge de paix face aux agences de notation ?

M. Pierre de Lauzun. - Il n'y a pas de raison que les banques fournissent de l'argent plutôt qu'un autre émetteur. Cela reviendrait à créer une taxe. En outre, qui organiserait cette agence de notation ?

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Le conseil d'administration.

M. Pierre de Lauzun. - Choisi par qui ? Il n'est pas facile de rendre des comptes tout en revendiquant son indépendance. Il faudrait favoriser l'éclosion d'une nouvelle agence en s'appuyant sur des volontaires, éventuellement aidés par des fonds publics.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Mon idée était différente. Le marché des agences de notation dégage des marges importantes. Il est entre les mains des Américains et ses décisions peuvent peser sur l'économie mondiale. Les erreurs faites en 2007 ont eu des conséquences financières, économiques puis sociales très importantes. L'Union européenne pourrait refuser que perdure cet oligopole en créant sa propre agence. Pourquoi ne pas imaginer que les banques européennes financent cette agence dont le conseil d'administration serait élu ?

M. Pierre de Lauzun. - Les banques n'ont pas besoin de ce genre d'agence puisqu'elles disposent de leurs propres services d'analyses. Ce serait donc plutôt aux émetteurs de financer cette agence. Ceci dit, comment sélectionner les membres du conseil d'administration ? Plus la décision est publique, moins elle est neutre.

A titre personnel, je dirai qu'il faudrait peut-être avoir recours aux banques centrales qui sont beaucoup plus neutres. Quand les agences de notation se sont développées aux Etats-Unis, c'était en liaison étroite avec la FED. Cela permettrait de faciliter l'émergence d'une nouvelle agence indépendante, puisque les banques centrales ne sont pas émettrices, contrairement aux Etats.

Un autre élément pourrait jouer en faveur de la transparence : il faudrait examiner la qualité rétrospective des notations effectuées par le passé. Il serait d'intérêt public que les agences de notation expliquent leurs notations au regard des fluctuations enregistrées. On saurait ainsi si leurs analyses s'apparentent à un tirage au sort ou si elles rendent compte de la réalité.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Des banques ou des assurances ont-elles déjà mis en cause la responsabilité civile des agences ?

M. Pierre de Lauzun. - Pas à ma connaissance. En droit, ces agences relèvent du droit américain où la liberté d'expression est garantie par le premier amendement de la Constitution. Il y a eu des actions, mais elles n'ont jamais abouti. Des actions pourraient-elles prospérer dans le cadre des produits structurés ? Peut être, mais les avocats de ces agences ont dû rédiger les statuts pour préserver les agences de toute poursuite.

Les nouvelles règles ont l'avantage de poser des garde-fous, d'adresser un signal.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Ne devrait-on pas s'interroger sur le rôle des régulateurs afin de mieux encadrer l'action des agences ?

M. Pierre de Lauzun. - Le projet européen prévoit un dialogue entre l'agence européenne et les agences de notation, mais ces dernières peuvent y échapper en arguant que leurs notations ne sont qu'une opinion. Il y a une disproportion entre leur statut juridique, qui en fait des entreprises comme les autres, et leur influence sur le marché. Dans une économie de marché, la réponse à cette difficulté se trouverait dans l'instauration d'une concurrence entre agences. Puisque la concurrence n'existe pas, le régulateur doit essayer de rééquilibrer les choses, mais ce n'est pas chose aisée. Si les méthodologies sont examinées et approuvées, on risque d'aboutir à un effet pervers, à savoir que les notations des agences seront encore plus légitimes, puisque validées par l'autorité de régulation. Le dialogue doit donc être serré mais le régulateur devra garder ses distances vis-à-vis des agences. Ce dialogue servira néanmoins de garde-fou et à déceler d'éventuels effets plus systémiques qui seraient communiqués aux autorités afin qu'elles interviennent s'il y a lieu. Par exemple, les banques françaises accusent les agences de trop favoriser la comptabilité américaine. Si l'AMF le vérifiait, elle pourrait demander aux agences d'utiliser la comptabilité de notre pays. Le régulateur doit donc avoir accès aux méthodologies des agences.

M. François Fortassin. - Tous ces grands principes auront à peu près l'efficacité d'un sinapisme sur une jambe de bois. L'opinion publique ne comprend pas de quoi il retourne. Seuls quelques spécialistes peuvent s'y retrouver, mais sommes-nous vraiment éclairés ?

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Que pensez-vous du modèle de rémunération investisseur - payeur ? Je l'accuse d'être responsable de cette disproportion dont vous parliez entre le statut juridique des agences et leur influence sur le marché.

M. Pierre de Lauzun. - Il est en effet assez bizarre que celui qui paye la notation soit en même temps celui qui soit noté. Il faudrait que celui qui utilise la notation la paye. C'est comme si l'élève qui passait un examen payait ses professeurs après une tractation directe... Les résultats seraient sans doute curieux. Mais on ne sait comment passer à un autre modèle, à moins d'institutionnaliser les agences. Si l'on oblige les investisseurs à rémunérer les agences, il faut leur donner un statut. Nous sommes aussi frustrés que vous, car le système n'est pas satisfaisant.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Merci d'avoir répondu à nos questions.

Audition de M. Frédéric Micheau, directeur adjoint du département Opinion de l'IFOP, et de Mme Flore-Aline Colmet-Daage : présentation du sondage commandé par le Sénat relatif à l'opinion de la communauté des investisseurs professionnels sur le rôle et la qualité des agences de notation

M. Frédéric Micheau, directeur-adjoint du département opinion de l'Ifop. - Je commencerai en vous présentant la méthodologie retenue pour cette étude : nous avons interrogé un échantillon de 352 investisseurs professionnels qui utilisent les produits des agences de notation. Cet échantillon est représentatif des entreprises du secteur financier et de l'assurance. Nous avons utilisé la méthode des quotas pour assurer la représentativité de cet échantillon. Les interviews ont été réalisées par téléphone du 9 au 22 mai 2012. Le montant moyen annuel des sommes gérées par chaque investisseur s'élevait à plus de 1,4 milliard, mais 13% des sondés ont refusé de répondre à cette question. La fréquence d'utilisation des agences de notation est intéressante : un tiers les utilisent régulièrement, notamment dans les plus grandes entreprises de notre échantillon, un tiers les utilise parfois et le dernier tiers rarement. Cette question a induit des réponses de perceptions et de positionnement différentes au cours du sondage.

J'en arrive à l'image et à la confiance portée aux agences de notation : 59% des sondés déclarent avoir une bonne image de ces agences mais cette opinion doit être nuancée car il y a peu d'avis très positifs, ni d'avis très négatifs, d'ailleurs. Les deux tiers des investisseurs considèrent que les agences de notation font des analyses rigoureuses. Cet avis est surtout partagé par les courtiers, les investisseurs dans les grandes structures et les gestionnaires de fonds. Ensuite, l'impartialité, la responsabilité et la réactivité sont majoritairement salués, mais dans des proportions moindres. En revanche, les méthodes employées par les agences sont contestées : 58% des investisseurs leur reprochent leur opacité. C'est notamment le cas pour ceux qui gèrent les fonds les plus importants et pour ceux qui y ont rarement recours. En revanche, plus on utilise les agences de notation, plus on a tendance à trouver les méthodes employées transparentes.

Les notes attribuées par les agences influent sur les deux-tiers des investisseurs : sans doute ces 64 % doivent-ils être réévalués à la hausse, car il est toujours difficile d'avouer être sous influence. Un tiers des investisseurs disent ne pas avoir recours aux notations des agences.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Pourquoi utiliser les agences de notation si l'on ne tient pas compte de leurs notes ?

M. Frédéric Micheau. - Il y a effectivement une contradiction mais, comme je l'ai dit, il est toujours difficile d'avouer être sous l'empire d'une influence extérieure.

Les notes attribuées par les agences sont jugées satisfaisantes pour appréhender les risques de crédit en ce qui concerne les émetteurs privés et publics. Pour autant, les investisseurs ont des jugements assez mitigés : 84 % ont déjà considéré que certaines évaluations étaient manifestement surévaluées, ce qui vient nuancer les appréciations globales en termes de rigueur et d'impartialité. L'image générale doit donc être nuancée.

La publication des méthodologies utilisées par les agences est jugée utile par 80% des investisseurs, mais elles sont trop complexes pour être exploitables. Autre élément qui écorne l'image et la confiance des investisseurs : les différentes polémiques sur le rôle des agences de notation ont modifié substantiellement l'image et la confiance accordée en ce qui concerne la dette souveraine, les produits structurés et, dans une moindre proportion, les obligations des entreprises.

60% des investisseurs considèrent que les agences de notation gèrent leur conflit d'intérêt de manière satisfaisante, mais une majorité d'entre eux souhaiterait davantage de garanties dans ce domaine. De même, le calendrier selon lesquelles les notes sont rendues publiques apparaît satisfaisant à une majorité d'investisseurs institutionnels, mais 8 0% d'entre eux considèrent qu'il faudrait faciliter la mise en cause de la responsabilité des agences de notation en alignant leur régime sur celui des commissaires aux comptes.

Nous avons voulu noter les agences de notation : elles ont obtenu toutes les trois une note moyenne de 2,9 sur 5.

Enfin, 77% des investisseurs accordent une confiance plus importante aux titres lorsqu'ils sont notés par plusieurs agences.

Mme Flore-Aline Colmet-Daage. - Nous en arrivons aux souhaits d'évolution des méthodes utilisées par les agences de notation. L'achat de titres en fonction des notations est une pratique minoritaire et l'instauration d'une obligation en ce sens n'est pas souhaitée. En revanche, 74 % des investisseurs voudraient pouvoir financer les agences de notation plutôt que ce soit le fait, comme aujourd'hui, des émetteurs. Deux tiers des investisseurs utilisent les notes de façon régulière et souhaitent que les réglementations internes et externes y fassent référence. De même, deux tiers des investisseurs ont régulièrement recours à des méthodes alternatives pour évaluer leurs risques.

Une grande majorité des investisseurs souhaitent plus de concurrence sur le marché de la notation : tous les critères proposés par l'étude leur ont semblé important, qu'il s'agisse d'une agence privée ou publique, mais la prépondérance est donnée à la qualité des analyses, à la transparence de la méthodologie et à la capacité à gérer les conflits d'intérêt. En revanche, la structure du capital a semblé moins importante aux investisseurs.

M. Frédéric Micheau. - En conclusion, il faut noter la bonne image générale des agences de notation. Les investisseurs institutionnels leur trouvent beaucoup de qualité, ce qui légitime leur existence, en dépit des récentes polémiques.

Pourtant, cette image est écornée : un élément de doute est lié à l'opacité des méthodes de ces agences. Les investisseurs attendent une plus grande transparence. Il y a un paradoxe dans le fait d'avoir une image globale positive tout en considérant que les analyses sont opaques et que certaines notations sont surévaluées.

Les investisseurs attendent donc une réforme, un changement, une diversification des sources d'information et un meilleur contrôle des agences de notation.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - La surévaluation reprochée par les investisseurs n'est-elle pas due au contexte boursier déprimé ? Les investisseurs regrettent-ils d'avoir payé trop cher ?

M. Frédéric Micheau. - Nous ne leur avons pas posé la question de la cause de la surévaluation mais nous leur avons demandé s'ils avaient eu parfois le sentiment que les notes étaient surévaluées. Parfois, nous ont répondu 45 % d'entre eux, souvent, selon 16 % d'entre eux. Mais l'étude ne cherchait pas à savoir sur quoi se fonde ce sentiment.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - 63 % des investisseurs seraient d'accord pour financer les notations alors qu'aujourd'hui elles sont gratuites. C'est une information extrêmement surprenante et importante

M. Frédéric Micheau. - Vous avez raison : en général, quand on demande aux gens de payer, ils sont plutôt défavorables. Il s'agit d'un indice important pour étayer cette attente de réforme de la part des investisseurs qui ont conscience qu'ils doivent eux aussi fournir des efforts. Cet élément vient battre en brèche la perception a priori très positive du travail des agences de notation. Au-delà du discours convenu i y a la conscience de la nécessité de procéder à des réformes.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Les investisseurs souhaitent être informés sur la qualité des produits qu'ils achètent, ce qui est bien normal. Les émetteurs peuvent être soupçonnés de chercher à se présenter de façon séduisante : les investisseurs veulent avoir des assurances.

M. Frédéric Micheau. - Les investisseurs cherchent toujours à réduire les incertitudes. Le souhait d'avoir des résultats fiables est sans doute plus fort que le coût qu'il peut engendrer.

M. Dominique de Legge. - Puisque 52 % des investisseurs estiment que les notations des agences ne sont qu'un critère de choix parmi d'autres, ceux qui utilisent les notations le feraient avec d'autant plus de confiance qu'ils les financeraient.

M. Frédéric Micheau. - Cette hypothèse est recevable. Il est toujours difficile d'avouer que l'on est sous influence. Peut être que dans les faits, les comportements sont un peu différents.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Ceux qui investissent ont besoin de se couvrir.

M. Frédéric Micheau. - Effectivement, et c'est pour cette raison qu'ils utilisent plus de sources, qu'ils souhaitent plus de concurrence, qu'ils multiplient les informations pour pouvoir les confronter les unes aux autres.

M. Aymeri de Montesquiou, rapporteur. - Certains investisseurs souhaitent la notation par les trois agences avant de se lancer.

Mme Frédérique Espagnac, présidente. - Merci pour ce travail qui nous apporte un éclairage différent.