Mardi 24 juillet 2012

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

Effets des pesticides sur la santé des utilisateurs, de leur famille et des riverains : regards croisés - Table ronde

Mme Sophie Primas, présidente. - Mesdames et Messieurs, je vous remercie de participer aujourd'hui à la quatrième table ronde de notre mission d'information qui a pour thème les impacts des pesticides sur la santé des fabricants, des utilisateurs, de leurs familles et des riverains. Nous avons besoin de vos regards croisés. Cette mission d'information a été constituée en février 2012. Elle devrait achever ses travaux par la parution d'un rapport en octobre 2012. Cette mission a été créée par Mme Nicole Bonnefoy, sénateur, élue de Charente, alertée par plusieurs agriculteurs victimes des pesticides.

Dès le début de notre mission, il nous est apparu impossible de traiter, dans sa globalité, le sujet des pesticides qui inclut les risques professionnels et la rémanence dans l'alimentation et l'environnement. Nous avons donc choisi de nous orienter vers la première partie de cette thématique concernant la santé.

Cette mission d'information a la particularité d'être composée de sénateurs membres de chacune des commissions permanentes du Sénat. Tous les groupes politiques y sont représentés. J'appelle de mes voeux un rapport final qui recueille le consensus le plus large sur ce sujet sanitaire.

La table ronde d'aujourd'hui s'inscrit dans le cadre de près de quatre-vingt-dix auditions menées au Sénat et en province depuis le début du mois de mars, ce qui représente, à ce jour, un dialogue avec près de cent-quatre-vingt personnes. Ce dialogue sera retranscrit dans un second tome de comptes rendus qui compte près de sept cents pages. Nous nous rendrons également à Bruxelles en septembre pour comprendre l'articulation du droit communautaire avec notre droit national.

A l'issue de la présente table ronde, le ministre de l'agriculture nous fera l'honneur d'être entendu par cette mission d'information. Nous avons également entendu le ministre de la santé, ainsi que des administrations, des agences, des chercheurs et les principales parties prenantes (industrie chimique, phytosanitaire, industrie du jardin et des plantes, coopératives agricoles, négoce, grande distribution, syndicats de salariés, associations de victimes, riverains, etc...).

La présente table ronde réunit des représentants du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), de l'ANSES, de l'association Henri Pézerat, santé, travail, environnement, du laboratoire santé, travail environnement (LSTE) de l'Université de Bordeaux et de Bayer CropScience.

Avant tout, les membres de la mission souhaitent recueillir des informations complémentaires, notamment sur la toxicologie, l'ergo-toxicologie, l'expologie et l'épidémiologie concernant les pesticides et sur les évolutions récentes des connaissances dans ces domaines face aux dangers et risques de ces produits.

Cette mission traite d'un sujet très technique et très scientifique. Nous avons besoin aujourd'hui de la confrontation de vos différentes opinions, qui ne sont pas toujours convergentes, car nous aimerions à l'issue de cette table ronde avoir progressé dans nos recommandations. 

Nous serons également intéressés par votre avis sur l'état des coopérations entre vos différentes spécialisations et par vos recommandations, à titre individuel, pour assurer la santé de nos compatriotes et le respect de la vocation agricole de notre pays.

La mission d'information vous souhaite la bienvenue et vous remercie pour vos contributions à ses travaux.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Je vous remercie pour votre présence aujourd'hui au Sénat. Un questionnaire vous a été adressé. Il s'agit d'une trame pour introduire nos débats.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous demanderai de vous présenter en quelques mots.

M. Robert Baan, chercheur en toxicologie génétique et directeur adjoint de la section monographies du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC). - Je travaille au Centre International de Recherche sur le Cancer de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à Lyon. Je suis le directeur adjoint de l'unité des monographies du CIRC. Cette unité livre des études encyclopédiques sur les substances cancérogènes.

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - Je suis le directeur général adjoint scientifique de l'ANSES. J'ai une formation universitaire en médecine et santé au travail avec une spécialisation en toxicologie industrielle et épidémiologie. J'ai déjà été entendu par votre mission et j'ai pris en charge de nombreuses missions sur les pesticides, les produits phytosanitaires et les biocides dans le cadre d'évaluations réglementaires, post-AMM ou d'évaluations scientifiques sur les thématiques santé au travail, santé-environnement et santé et alimentation.

Mme Annie Thébaud-Mony, Directeur de recherche honoraire à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et présidente de l'association Henri Pézerat, santé, travail, environnement. - Directrice de recherche honoraire à l'INSERM, je suis chercheur associé au groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle. J'anime également l'association Henri Pézerat sur les questions de santé au travail et santé-environnement.

M. Alain Garrigou, Maître de conférences en ergonomie à l'IUT Hygiène sécurité et environnement, laboratoire santé, travail environnement (LSTE) de l'Université Bordeaux 2. - Je suis enseignant-chercheur en ergonomie. Depuis six ans, je fais partie du laboratoire santé, travail, environnement de l'Université de Bordeaux 2 qui est une équipe pluridisciplinaire en santé publique. Je représente le versant expologie. A partir d'analyses de terrain, je me penche sur le regard qu'on peut apporter sur la question de la contamination.

M. Frédéric Schorsch, Docteur vétérinaire, pathologiste toxicologue, Bayer CropScience. - Toxicologue et médecin vétérinaire, je suis responsable du laboratoire de pathologie pour Bayer CropScience où je m'occupe du développement des molécules mises sur le marché. J'ai été responsable du laboratoire de toxicologie de l'INERIS pendant cinq ans après avoir été enseignant à l'école vétérinaire de Maisons-Alfort. Président de la Société Française de Pathologies Toxicologiques (SFPT) de 2007 à 2012, je suis actuellement président de la Société Européenne de Pathologie Toxicologique (ESTP).

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie. Pour lancer le débat à partir du questionnaire qui vous a été remis, pourriez-vous nous faire part de votre opinion sur les efforts déployés par l'industrie, les effets d'un certain nombre de molécules et la qualité de nos avis toxicologiques et épidémiologiques ? J'invite M. Robert Baan à prendre la parole en premier.

M. Robert Baan, CIRC. - Je suis un spécialiste du cancer. En matière d'effets sur la santé, l'unité de monographies du CIRC s'occupe principalement des cancers. De ce point de vue, nous avons évalué les effets cancérogènes de certaines expositions notamment aux pesticides et herbicides. Depuis 1974, notre unité a régulièrement évalué la base de données existante dans la littérature publiée pour un grand nombre de pesticides. La classification 3 du CIRC signifie qu'il n'existe pas de suffisamment de données pour tirer une conclusion. La classification 2B signifie « potentiellement cancérogène ».

En 1986, le groupe de travail a examiné les expositions professionnelles aux chlorophénols et chlorophénoxy-herbicides. Il a été constaté que les travailleurs exposés à ces substances ont un risque accru de développer certains cancers. Cette exposition a donc été classée dans la catégorie 2B. La plus récente monographie (53) de 1991 fait état des expositions professionnelles aux insecticides et à quelques pesticides. Des données indiquent que les expositions professionnelles pendant les applications d'insecticides provoquent un risque élevé de cancer. L'évaluation générale montre que ce type d'exposition est probablement cancérogène, d'où la classification 2A. Depuis 1991, le CIRC n'a pas examiné de nouveau ce type de sujets.

Une revue, publiée récemment, montre que les expositions aux substances chimiques dans toutes les catégories de pesticides (insecticides, herbicides, fongicides et fumigants) ont une association significative, sur le plan statistique, avec certains types de cancers. Dans de nombreux articles épidémiologiques, des substances chimiques spécifiques contenues dans plusieurs catégories de pesticides sont associées aux cancers (insecticides avec du chlore, organophosphates, carbamates, phénoxyacides, triazines).

Une revue rédigée par Alvanja & Bonner reprend plusieurs publications sur l'épidémiologie parmi les travailleurs dans le milieu agricole qui sont en contact avec les pesticides, herbicides et fumigants.

Environ vingt pesticides ont été associés à certains cancers. Des études ont également pris en compte les facteurs qui peuvent perturber l'interprétation des résultats, notamment le tabagisme pour le cancer du poumon. Les auteurs de cette revue ont indiqué que les observations en épidémiologie doivent être confirmées par d'autres études en toxicologie et des études expérimentales sur les animaux afin de tirer des conclusions sur les effets cancérogènes des pesticides pris isolément.

A ce jour, il n'existe pas de pesticide classé en groupe 1 (connu pour être cancérogène) par le CIRC. En effet, il est très difficile d'avoir des études épidémiologiques où l'homme est exposé à une seule substance.

S'agissant des expositions professionnelles, le CIRC a souvent procédé à une évaluation des substances non pas isolément mais dans une certaine situation professionnelle. Une réévaluation de l'exposition aux pesticides par un groupe de travail composé d'experts semble nécessaire pour mettre à jour notre ancienne évaluation de 1991.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Lorsque l'exposition mêle plusieurs substances, le risque devient plus important je suppose.

M. Robert Baan, CIRC. - On ne peut le savoir a priori. L'interaction des substances peut aggraver la situation ou bien avoir l'effet inverse.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Que faudrait-il faire pour avoir une plus grande certitude en la matière ?

M. Robert Baan, CIRC. - Il faudrait mener des expériences avec des substances séparées dans un laboratoire ainsi que des expériences de toxicologie et également sur les animaux pour renforcer les études épidémiologiques.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ces études n'ont-elles pas été réalisées ailleurs et ne peuvent-elles être croisées ?

M. Robert Baan, CIRC. - Notre groupe de travail rassemble des toxicologues ayant mené des expériences avec des substances séparées. Les connaissances sur les effets toxicologiques et géno-toxicologiques peuvent renforcer les données d'une étude épidémiologique. Une donnée forte sur la toxicologie d'une substance dans le mélange peut accréditer l'idée que cette dernière est la substance clé dans les effets cancérogènes.

Mme Sophie Primas, présidente. - C'est donc ce travail qui manque aujourd'hui à la science pour avoir plus de certitudes.

M. Robert Baan, CIRC. - Dans nos groupes de travail, nos épidémiologistes ont étudié des mélanges mais n'ont pu aboutir à des conclusions en raison du manque de données en toxicologie.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Nous avons pourtant le sentiment que les données sont nombreuses mais que nous n'avançons pas dans les constats, dans la mesure où ces données ne sont pas centralisées et croisées.

M. Robert Baan, CIRC. - Concernant les pesticides et les substances produites par l'industrie chimique, de nombreuses données sur la toxicologie sont confidentielles. Or, le CIRC ne peut baser ses évaluations que sur les données publiées dans la littérature et accessibles à tous.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous donnerons la parole aux industriels ultérieurement pour qu'ils puissent nous éclairer sur le sujet.

M. Gérard Le Cam, sénateur. - L'ANSES a-t-elle accès aux données confidentielles des industriels ?

M. Robert Baan, CIRC. - La situation en France n'est pas plus grave que dans les autres pays européens mais elle est différente. La France est la championne de l'utilisation de pesticides en Europe. Elle est également un grand producteur agricole. S'agissant des produits pour la protection des plantes, plus de 30 % des fongicides sont utilisés par la France pour la production du vin. La France, l'Italie et l'Espagne consomment, à eux trois, plus de 80 % des fongicides employés dans l'Union européenne. Enfin, plus du quart des vermicides utilisés en Europe le sont par la France.

M. Gilbert Barbier, sénateur. - Parvenez-vous à discerner les formes histologiques spécifiques de certains cancers (poumon, prostate) touchant les professionnels utilisateurs de pesticides ?

M. Robert Baan, CIRC. - Je ne suis pas épidémiologiste mais je crois qu'il serait très intéressant de voir s'il existe une empreinte dans l'histologie des cancers qu'on pourrait associer à une exposition à une substance. Cela étant, j'ignore si ces données existent.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je donne maintenant la parole à l'ANSES.

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - S'agissant du lien qui peut être établi entre certaines classes de pesticides et des pathologies, il existe un niveau de preuve qu'il est important de prendre en compte. Celui-ci peut être très différent selon les pathologies et les expositions.

Concernant la thématique santé et travail, l'ANSES a réalisé un travail de recherche dans les laboratoires de l'agence ainsi qu'un travail de soutien à la recherche grâce au programme national de recherche environnement, santé au travail financé par les ministères du travail et de l'environnement, le plan Ecophyto et l'INSERM. L'ANSES peut donc financer un certain nombre de travaux notamment sur les pesticides et les cancers, les multi-expositions ou les effets perturbateurs endocriniens.

Le travail d'expertise de l'Agence est divisé en deux. Il regroupe l'évaluation réglementaire des dangers des substances avant l'octroi de leur AMM par le ministère de l'agriculture en France. Cette évaluation est encadrée au niveau européen par un règlement qui a évolué. Lancé lors de la présidence française de l'Union européenne en 2008, un nouveau règlement a été adopté en 2009 et est entré en vigueur en juin 2011. Ce dernier renforce l'évaluation des pesticides au niveau européen. Aujourd'hui, 75 % des pesticides utilisés il y a vingt ans sont interdits. Les études du CIRC sur la monographie de 1991 s'intéressaient à des expositions à un certain nombre de produits qui n'existent plus aujourd'hui mais dont certains peuvent être rémanents dans l'environnement.

Avec l'épidémiologie actuelle, les critères d'exposition et les évaluations d'expositions doivent être renforcées par des méthodes modernes, notamment l'utilisation de bio-marqueurs (biologiques, sanguins, urinaires), de systèmes d'information géographique pour établir des cartographies d'exposition aux produits phytosanitaires et mis en relation avec des pathologies au niveau régional. La mise en oeuvre de ces nouvelles méthodes dans les études épidémiologiques constitue un véritable enjeu pour disposer de connaissances plus solides et de niveaux de preuve plus précis sur le lien entre des pathologies et des expositions aux produits phytosanitaires.

Mme Sophie Primas, présidente. - Ces nouvelles méthodes n'existent-elles pas à ce jour ?

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - Nous finançons de nombreuses équipes sur ce sujet. L'épidémiologie, comme toute discipline, progresse. Les outils d'évaluation des expositions et l'expologie représentent donc un enjeu important notamment dans le domaine santé et travail. Par conséquent, il est important de faire travailler ensemble des modélisateurs, des statisticiens, des épidémiologistes et des acteurs de terrain tels que des ergo-toxicologues qui sont capables de déterminer les éléments de l'environnement de travail susceptibles de moduler le niveau des expositions professionnelles.

Mme Sophie Primas, présidente. - Ce travail conjoint n'existe-t-il donc pas ou peu aujourd'hui ?

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - Ce travail coopératif se pratique de plus en plus. Le programme de l'agence favorise le travail multidisciplinaire dans ses études pour disposer du meilleur apport possible sur les expositions et les pathologies.

M. Joël Labbé, sénateur. - Vos méthodes de travail évoluent mais, en attendant, les molécules obtiennent des autorisations de mise sur le marché. Il serait intéressant de nous rappeler le processus de fabrication avant la mise sur le marché. Avez-vous accès aux données confidentielles des industriels pour connaître le processus de fabrication et de tests ?

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - Le processus d'évaluation réglementaire est basé sur un nouveau règlement. Celui-ci contient des critères d'exclusion d'un certain nombre de substances jugées dangereuses : les CMR 1A et 1B, les produits très persistants dans l'environnement et les produits qui présentent un certain nombre de propriétés repro-toxiques (perturbateurs endocriniens). Le règlement introduit également des critères pour permettre l'identification de substances candidates à la substitution pour les produits phytosanitaires les plus dangereux.

La France est plutôt moteur en Europe pour l'évolution des méthodologies a priori d'évaluation des pesticides. Cette évaluation est organisée par zones. La France, qui est classée dans la zone Sud, a en charge l'évaluation d'un certain nombre de dossiers.

Mme Sophie Primas, présidente. - L'industrie chimique choisit-t-elle le pays dans lequel elle va être évaluée ?

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - Oui. Les industriels n'ont pas intérêt à ce que l'AMM soit contestée. Ils recherchent donc les pays où l'évaluation est la plus stricte. La France qui est assez dynamique en la matière reçoit, par conséquent, de nombreux dossiers par rapport à d'autres pays de la zone Sud. Des développements méthodologiques sont en cours. Nous avons ainsi commencé à évaluer les multi-expositions et les effets cumulés dans l'évaluation réglementaire. Nous tentons d'obtenir des données sur ce sujet dans les dossiers des industriels. En effet, nous sommes en droit de demander des données complémentaires et, à défaut, de rendre un avis défavorable sur la substance avant son évaluation pour la mise sur le marché.

M. Joël Labbé, sénateur. - Avez-vous accès à tous les documents des industriels ?

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - Nous avons accès à un certain nombre de documents soumis au secret industriel. Le format des dossiers soumis par les industriels au niveau européen contient un certain nombre de tests exigés qui répondent à une méthodologie précise. Nous sommes chargés de vérifier si la méthodologie a bien été suivie par les industriels. En cas de doute, nous n'hésitons pas à réclamer des données supplémentaires.

Tous nos avis sont rendus publics et mis en ligne dans le site de l'ANSES. Nous avons également signé un accord avec le directeur général du CIRC afin d'échanger des informations et de faciliter les évaluations. Des scientifiques de l'agence sont systématiquement invités à participer aux groupes de travail du CIRC sur les monographies en qualité d'observateurs.

S'agissant des perturbateurs endocriniens, un certain nombre de substances ont déjà été interdites du fait de la réglementation européenne notamment la vinclozoline et la procymidone qui sont très utilisées.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quand ces substances ont-elles été interdites ?

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - Ces deux substances ont été interdites il y a plusieurs années. Des données de repro-toxicité dans les dossiers peuvent nous alerter et nous conduire à émettre des avis défavorables sur les substances. Un travail important est en cours pour harmoniser la définition des perturbateurs endocriniens au niveau européen afin que ce critère soit pris en compte de façon beaucoup plus systématique dans les dossiers d'évaluation.

Mme Sophie Primas, présidente. - Comment parvenez-vous à tester ces perturbateurs endocriniens sachant qu'il s'agit de maladies chroniques qui peuvent apparaître chez les générations suivantes ?

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - Vous mettez en avant la limite de l'évaluation a priori pour les effets différés de manière générale (cancers, maladies neuro-dégénératives). Les pathologies auxquelles vous faites référence surviennent, en effet, avec un temps de latence très long. Or, nous avons souvent un manque de traçabilité des expositions passées dans les études. Des actions sont donc à mener en termes de traçabilité pour disposer d'études d'évaluation de l'exposition plus solides.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Quelles seraient vos recommandations ?

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - La loi actuelle sur la réforme de la médecine et de la santé au travail, la réforme des retraites et les dispositifs qui se mettent en place sur le suivi post-professionnel et post-exposition contiennent des éléments sur la traçabilité des expositions à des agents chimiques cancérogènes subies par les travailleurs. Vous pourriez, à ce titre, auditionner M. Daniel Lejeune qui a rédigé, en 2008, pour l'Inspection générale des affaires sociales, un rapport sur la traçabilité des expositions professionnelles. Le manque d'informations sur l'exposition passée fait souvent défaut dans les études épidémiologiques. Tout un système d'évaluation post-AMM et de toxico-vigilance doit donc être mis en place pour compléter l'évaluation a priori.

M. Joël Labbé, sénateur. - Cela signifie qu'on accorde aux molécules le bénéfice du doute.

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - On exclut tous les CMR 1A, 1B et les perturbateurs endocriniens si les tests de danger se révèlent positifs. L'AMM ne pourra donc être délivrée par le ministère pour des produits ayant ces effets.

M. Joël Labbé, sénateur. - Concernant les substances actuellement sur le marché, des données scientifiques sont nécessaires pour confirmer leurs effets néfastes sur la santé. Cependant, ces études sont menées a posteriori. Le principe de précaution n'est donc pas appliqué.

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - Toutes les substances actives seront réévaluées avec les nouveaux critères du règlement européen y compris celles qui sont sur le marché actuellement. L'évaluation a posteriori est très importante car il peut subsister sur le marché un certain nombre de substances actives et de produits phytopharmaceutiques qui auraient des effets néfastes. Nous savons que les pesticides utilisés pour leur efficacité ont forcément des effets négatifs sur l'homme et les espèces animales. C'est pourquoi, nous nous sommes autosaisis à propos de l'évaluation des risques pour les travailleurs. Par ailleurs, une expertise collective de l'INSERM sur les effets différés des pesticides (cancers, maladies neuro-dégénératives) est en cours. Les résultats sont attendus pour la fin de l'année 2012.

M. Gilbert Barbier, sénateur. - Travaillez-vous sur les qualités spécifiques du récepteur ?

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - L'expertise réglementaire s'effectue à partir des dossiers soumis par les industriels qui contiennent un certain nombre de données expérimentales.

M. Gilbert Barbier, sénateur. - L'effet « dose » peut-il entrer en ligne de compte ?

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - Le principe de l'évaluation réglementaire consiste à observer des doses sans effet et à extrapoler les risques (évaluation quantitative du risque). Cet exercice a ses limites. Des études complémentaires sont donc nécessaires. Deux études sont parues sur le Cruiser indiquant le degré de toxicité pour les abeilles en fonction de critères autres que ceux pris en compte dans l'évaluation réglementaire, notamment le retour des butineuses dans la ruche. Ce critère de comportement est important car il peut être lié à la mortalité. En effet, les abeilles qui ne peuvent retourner à la ruche sont condamnées à mourir. Ces études ont donc été prises en compte pour donner un avis et financer des recherches afin d'introduire ce critère dans l'évaluation réglementaire européenne. Par conséquent, il est important de consulter les études publiées en dehors du cadre de l'évaluation réglementaire pour compléter notre évaluation et renforcer les critères d'évaluation au niveau européen.

M. Joël Labbé, sénateur. - Vous tenez compte des études a posteriori sur le Cruiser pour rendre un avis, ce qui est positif. Cependant, l'on reste dans l'a posteriori. Le bénéfice du doute fonctionne donc encore à mon sens au bénéfice des produits.

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - En parallèle de l'évaluation des risques, un travail considérable de l'ANSES est en cours sur les catégories d'équipements de protection individuelle (EPI) afin d'identifier leur niveau de protection par rapport aux différentes classes de pesticides. Ce travail devrait être rendu par nos prestataires à la fin de l'année 2012. Nous pourrons donc émettre un avis sur cette étude au premier semestre de l'année 2013. Actuellement, pour l'évaluation d'un dossier de produit phytosanitaire, on prend en compte un facteur d'abattement pour être certain que le travailleur sera protégé. Il faut donc s'assurer que les équipements de protection individuelle portés sont en mesure d'apporter ce facteur d'abattement. Pour l'instant, cette donnée n'est pas fournie par les industriels dans leurs dossiers.

Je suis rapporteur du groupe de travail de la commission des maladies professionnelles dans le régime agricole pour la création des tableaux de maladies professionnelles liées aux pesticides. Un premier tableau sur la maladie de Parkinson et les pesticides a été créé. Une réflexion est en cours sur la création de tableaux pour différents cancers en particulier les hémopathies malignes.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Vous avez souvent parlé de travailleurs salariés mais jamais d'exploitants agricoles.

M. Gérard Lasfargues, ANSES. - La notion de travailleurs agricoles englobe les exploitants agricoles mais également les travailleurs agricoles salariés et saisonniers.

Mme Sophie Primas, présidente. - La parole à Mme Annie Thébaud-Mony.

Mme Annie Thébaud-Mony, INSERM et Association Henri Pézerat. - J'évoquerai brièvement l'enquête G-SCOP du groupement d'intérêt scientifique sur les cancers d'origine professionnelle car elle répond peut-être à certaines questions. Je reviendrai ensuite sur l'analyse de l'enquête AGRICAN et répondrai à quelques questions du questionnaire de la mission.

L'enquête G-SCOP qui se fonde sur les connaissances produites par les disciplines de la santé publique (épidémiologie, sciences sociales) mais également sur la toxicologie et la biologie montre que le cancer est un processus et une histoire. Pour un individu donné, la rencontre avec un agent cancérogène peut jouer un rôle. A l'heure actuelle, nous n'avons pas de données permettant de dire que le cancer de tel individu est lié à son tabagisme, à son exposition à l'amiante ou aux pesticides. La thèse la plus probable est que tous ces cancérogènes joueront un rôle.

Cette étude a servi de base scientifique à une enquête menée au début des années 2000. Celle-ci avait pour objectif de partir de la maladie comme événement sentinelle en reconstituant le parcours professionnel de tous les patients de certains services volontaires dans trois hôpitaux (Avicenne, Montfermeil et Aulnay-sous-Bois). Pour ce faire, nous nous sommes appuyés sur un guide des métiers qui a été progressivement enrichi par les informations fournies par les patients. Chaque parcours professionnel reconstitué est analysé dans le cadre d'une expertise mensuelle avec un groupe pluridisciplinaire qui comporte des médecins du travail, des ingénieurs de prévention, des toxicologues et des secrétaires de CHSCT ayant une expérience dans l'activité professionnelle exposée aux cancérogènes.

Cette enquête nous a permis de constituer une base de données avec deux résultats majeurs sur le plan de l'exposition : entre 84 % et 86 % des patients ont été exposés à des cancérogènes et notamment des cocktails de cancérogènes (plus de trois), pour la plupart d'entre eux sur une durée moyenne supérieure à vingt années (60 % à 70 % des cas). Nous effectuons également un suivi de la reconnaissance en maladie professionnelle des patients éligibles à cette déclaration.

Le groupe de travail a proposé au ministère du travail de créer un tableau de maladies professionnelles sur la multi-exposition aux cancérogènes. Nous devons avoir conscience que la poly-exposition est la règle et la mono-exposition l'exception dans les activités professionnelles exposées aux cancérogènes.

Mme Sophie Primas, présidente. - Y-compris pour l'amiante ?

Mme Annie Thébaud-Mony, INSERM et Association Henri Pézerat. - L'amiante est un peu l'arbre qui cache la forêt. L'amiante est un terrible cancérogène dont nous percevons quotidiennement les effets au travers de cette enquête. Cependant, avec le mode de fonctionnement du système de réparation, on se focalise sur l'amiante. J'attire votre attention sur ce point car le problème de la poly-exposition se pose beaucoup pour les travailleurs agricoles (exploitants ou salariés).

L'enquête AGRICAN pose un certain nombre de questions dont j'aurais souhaité débattre avec M. Pierre Lebailly s'il avait été présent.

Mme Sophie Primas, présidente. - Il a été invité mais n'a pu être présent.

Mme Annie Thébaud-Mony, INSERM et Association Henri Pézerat. - Toute la preuve repose aujourd'hui sur l'épidémiologie. Les toxicologues s'interrogent sur cette polarisation de la preuve sur l'épidémiologie.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Qui est à l'origine de cela ?

Mme Annie Thébaud-Mony, INSERM et Association Henri Pézerat. - Un ancien directeur du CIRC, M. Lorenzo Tomatis, a expliqué que la participation croissante d'experts de l'industrie dans les groupes de travail sur les monographies a rendu nécessaire l'apport de preuves épidémiologiques et de preuves certaines de l'action d'un polluant sur les humains pour le classer en catégorie 1. M. Lorenzo Tomatis montre qu'il n'existe pas d'étude prouvant avec certitude qu'un cancérogène pour les animaux ne l'est pas pour l'homme. Or, le principe de précaution inscrit dans la Constitution prévoit que la précaution s'impose en situation d'incertitude. Mais, aujourd'hui, on attend la probabilité que des personnes soient atteintes de cancers ou en décèdent.

Ce niveau de preuve est très insatisfaisant pour les chercheurs en santé publique. A partir du moment où l'on a accumulé de l'expérimentation animale et des éléments d'expérimentation in vivo et in vitro sur la cellule et que l'on dispose d'un faisceau d'arguments toxicologiques, pourquoi ne pas inverser la charge de la preuve en demandant aux industriels de prouver qu'ils sont certains qu'il n'y aura pas déclenchement du cancer a posteriori ?

Un certain nombre d'organismes ont aidé à entretenir le doute le plus longtemps possible sur l'amiante. Aujourd'hui, 100 000 morts sont attendus suite à l'exposition à l'amiante et nous ne savons pas actuellement comment gérer l'amiante restante. Des études récentes du ministère du travail montrent que les niveaux d'empoussièrement sont beaucoup plus préoccupants que ceux estimés au départ. Par ailleurs, en France, nous comptabilisons 80 kg d'amiante par habitant. Comment doit-on procéder ? Le coût de la déconstruction de l'usine de broyage d'amiante d'Aulnay-sous-Bois s'établit à plus de sept millions d'euros en raison de la présence d'amiante dans le sol.

L'enquête Agrican pose question car elle est décontextualisée. La population agricole en France est extrêmement hétérogène du point de vue de l'exposition aux pesticides. Si cette enquête vise à identifier des points qui nécessitent une prévention, je m'interroge sur son apport. Le questionnaire a été adressé à près de 568 000 agriculteurs. Le recensement agricole de 2010 faisait état de 970 000 personnes qui participaient régulièrement au travail des exploitations agricoles, notamment les exploitants, leurs conjoints et familles, les salariés permanents (17 %) et les saisonniers (11 %). Quelle part représentent les 180 000 répondants au questionnaire Agrican dans la population des agriculteurs ? Comment peut-on s'assurer qu'ils sont représentatifs d'une population exposée aux pesticides ? Ce groupe de 180 000 travailleurs agricoles mélange des personnes exposées et des non-exposées, d'où l'impossibilité de tirer des conclusions sur l'incidence du cancer.

On part du postulat que les agriculteurs connaissent les noms des produits qu'ils ont utilisés, ce qui est faux d'après notre expérience en Seine Saint-Denis. Ces derniers ne connaissent que des noms de marque. Je citerai le cas emblématique de M. Paul François qui a été gravement intoxiqué par un produit dont il ne connaissait que le nom de marque : le Lasso. Ce produit a reçu un avis de retrait par le Conseil supérieur d'hygiène en Belgique en 1985 puis a été interdit en 1990. Cependant, il n'a été interdit en France qu'en 2007. Or, il contenait deux molécules actives très toxiques : l'alachlore qui est un cancérogène et le chlorobenzène qui est un dépresseur du système nerveux central et est responsable d'atteintes hépatiques et rénales.

De mon point de vue, le questionnaire Agrican n'est pas construit pour permettre une bonne traçabilité des expositions. Les questions posées sont de trois types. Nous trouvons notamment des questions relevant des comportements individuels (tabagisme, comportement alimentaire...). Cependant, l'expertise INSERM montre que l'augmentation du risque de cancer du poumon associée à une exposition à l'amiante est identique chez une population de fumeurs et non-fumeurs. La polarisation sur le tabac mélange donc les deux types de risques. De même, on sait que l'exposition à des perturbateurs endocriniens peut entraîner des modifications dans la régulation de l'appétit et favoriser l'obésité par des changements métaboliques.

Enfin, en santé publique, la mortalité est un bon indicateur pour une maladie létale dans l'année. L'indicateur de référence pour le cancer est donc l'incidence (nombre de nouveaux cas survenant chaque année dans une population). L'enquête AGRICAN est réalisée dans des départements comportant des registres de cancers. Cependant, je ne comprends pas pourquoi nous n'avons pas fait évoluer ces registres en prenant en compte l'histoire professionnelle et résidentielle ainsi que tout autre type d'exposition importante, notamment alimentaire, ce qui leur permettrait de jouer leur rôle d'événement sentinelle.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Il n'existe pas de registre des cancers dans tous les départements.

Mme Annie Thébaud-Mony, INSERM et Association Henri Pézerat. - En effet. Ces registres comptabilisent les cas et fournissent une répartition géographique, ce qui n'est pas inintéressant mais il est très dommage de ne pas bénéficier des informations que les patients atteints de cancer peuvent apporter sur le lieu où ils ont exercé leur activité professionnelle et leurs modalités de travail afin d'avoir une représentation de l'exposition professionnelle aux cancérogènes. En Italie, une politique de registre de cancers a été développée pour attirer l'attention sur les points qui posent problème.

S'agissant de l'évaluation des effets des pesticides sur les abeilles, un rapport de l'EFSA cité par Le Monde du 10 juillet, montre de nombreux problèmes sur les protocoles de tests de toxicité, ce qui est très préoccupant. En effet, ces tests sont extrêmement importants car ils sont pris en compte dans l'évaluation. Par comparaison, ayant travaillé dans une usine de fabrication de vitamine A de synthèse pour l'alimentation animale, j'ai constaté que les études toxicologiques qui, à un moment donné, auraient pu apporter un complément d'information scientifique importante n'ont pas été menées.

Mme Sophie Primas, présidente. - Vous nous alertez sur les protocoles utilisés. Lors de votre première audition, vous nous aviez déjà fait part de vos doutes et réserves sur ces protocoles. Je donne maintenant la parole à M. Frédéric Schorsch.

Dr Frédéric Schorsch, docteur vétérinaire, pathologiste toxicologue, Bayer CropScience. - Les propos tenus par mes collègues experts sont exacts. Toutefois, il convient de bien comprendre que le produit agro-chimique est un produit chimique parmi d'autres mais il ne faut donc pas le confondre avec les autres catégories de produits chimiques. Le produit agro-chimique est très largement testé au niveau toxicologique, c'est-à-dire pour la santé humaine, autant, sinon plus, qu'un médicament.

J'ai travaillé sur l'amiante. Les tests la concernant sont réalisés selon des modalités différentes et n'étaient pas imposés par la réglementation. A l'inverse, l'évaluation du danger du produit agro-chimique fait l'objet de la réglementation la plus lourde. Les données sont produites par l'industriel et échangées à l'échelle internationale. Elles sont évaluées dans des agences. Un industriel comme Bayer déposera ainsi son dossier dans de nombreux pays (Europe, États-Unis d'Amérique, Japon, Brésil, ...). Ces données sont rendues publiques une fois qu'elles sont remises aux autorités.

Le produit agro-chimique est donc testé en ce qui concerne l'évaluation du danger pour la santé. Nous savons s'il produit des cancers ou autres pathologies sur l'animal, ce qui le différencie très nettement des autres catégories de produits qui n'ont pas forcément fait l'objet de tels tests.

Je voudrais approfondir certaines thématiques nouvelles qui ont été abordées, notamment la perturbation endocrinienne, l'effet des faibles doses et les mélanges. Tous les experts qui se penchent sur l'exposition aux produits chimiques s'intéressent à ces thématiques car elles constituent les recherches actuelles et la réglementation évolue régulièrement avec l'ajout de tests pour prendre en compte l'évolution des connaissances et des observations. Les produits mis sur le marché dans les années 1970 n'étaient pas évalués de façon aussi poussées qu'aujourd'hui. A cette période, il n'existait pas d'évaluation toxicologique.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les substances jugées dangereuses sont-elles retirées du marché ?

Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience. - Oui. Cela a été précisé par mon collègue de l'ANSES.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ce retrait est-il immédiat ?

Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience. - Les produits dangereux sont retirés du marché lors du processus de réévaluation. Aujourd'hui, des tests sur la perturbation endocrinienne nous sont demandés par l'EPA (Environmental Protection Agency) ou par l'AESA (Autorité Européenne de Sécurité des Aliments). Ces informations sont donc partagées au niveau européen et international.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Il n'existe donc pas de produits dangereux sur le marché.

Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience. - Nous avons des tests qui caractérisent le danger. Les produits dangereux sont retirés du marché suite aux tests qui permettent d'identifier les effets toxiques (critères d'exclusion). De nombreux produits sont concernés car, sur 1 000 molécules, une seule sera mise sur le marché.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Faites-vous référence aux nouvelles molécules ? 

Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience. - Des processus de réévaluation sont prévus pour toutes les molécules existantes sur le marché. Les agences nous demandent d'effectuer à nouveau des tests pour des substances anciennes si les études précédentes ne sont pas correctement réalisées.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Il n'existera donc plus de produits dangereux sur le marché ?

Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience. - Tout développement de substances actives est arrêté aussitôt qu'une toxicité avérée est mise en évidence pour la santé lors des essais expérimentaux, in vitro ou in vivo (substances ayant des propriétés carcinogènes, mutagènes, ou encore de toxicité pour la reproduction). Nous testons également les substances intermédiaires de synthèse car nous devons protéger nos travailleurs dans les usines de production. Concernant les thématiques nouvelles évoquées précédemment, de nombreux travaux de recherche sont effectués. La caractérisation est actuellement réalisée pour la perturbation endocrinienne. Celle-ci se détecte au travers des tests réglementaires. La réglementation européenne ajoute des tests in vivo et in vitro plus sensibles qui permettent d'identifier des perturbations endocriniennes faibles non décelables par les tests classiques.

Mme Sophie Primas, présidente. - Depuis quand utilisez-vous ces nouvelles méthodes d'expérimentation ?

Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience. - Ces tests existent depuis plus de dix ans. La recherche a commencé il y a vingt ans. Aujourd'hui, ces tests in vitro et in vivo figurent dans la réglementation américaine et européenne. Il faut bien avoir conscience que le produit agro-chimique est en avance sur toute autre classe de produit chimique, notamment le médicament, car ce type de tests n'est réalisé que dans l'industrie agrochimique pour la mise sur le marché des substances.

Mme Sophie Primas, présidente. - Quelle est votre opinion sur les propos tenus précédemment, à savoir l'inversion de la charge de la preuve ?

Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience. - Aujourd'hui, on ne peut tester le produit agro-chimique chez l'homme. L'industrie souhaite mettre des molécules sûres sur le marché. Quelques tests chez l'homme ont été réalisés sur ces produits par le passé. Aujourd'hui, ces tests sont interdits. L'extrapolation des données de l'animal à l'homme pose forcément une difficulté. Cependant, la plupart des exemples montrent que les substances non détectées dans les tests de cancérogénèse des produits agro-chimiques sont plutôt des substances à la toxicité faible.

Il faut également arrêter de parler du danger des pesticides de manière générale. J'ai travaillé sur une molécule développée par l'industrie agro-chimique qui est utilisée aujourd'hui comme médicament. Pour les produits agro-chimiques, on nous demande de caractériser le mécanisme d'action des molécules. Celui-ci est différent selon la molécule. Il faut donc s'intéresser de plus en plus à ce mécanisme pour éviter les amalgames.

M. Joël Labbé, sénateur. - Vous tenez un discours extrêmement rassurant comme tous les représentants des industriels auditionnés avant vous. Avez-vous les moyens, dans vos firmes, d'affirmer que vos produits sont mieux testés que les médicaments ?

Dr Frédéric Schorsch, Bayer CropScience. - La prise en compte du risque pour la substance agro-chimique et le médicament est totalement différente. S'agissant de la caractérisation du danger, je maintiens que les tests sur ces substances sont au moins aussi poussés que ceux menés sur les médicaments, du moins dans les études expérimentales. Les tests chez l'homme ne peuvent être réalisés pour les produits agro-chimiques contrairement aux médicaments qui font l'objet d'études cliniques. Pour y remédier, nous prenons donc en compte la dose sans effet que l'on déterminera à partir des essais expérimentaux et nous y appliquons des facteurs de sécurité importants (au moins 100) pour garantir la sécurité chez l'homme.

Nous réalisons aussi un grand nombre d'études d'exposition en milieu naturel dans tous les pays pour tenir compte des différentes pratiques agricoles et des climats pour faire l'évaluation du risque. L'évaluation scientifique est complètement différente pour le médicament car pour le médicament, on se permettra d'élaborer un rapport coût-bénéfices en prenant en compte la gravité de la maladie alors que pour le produit agrochimique, ce dernier ne doit pas avoir d'effet pour la santé chez l'homme.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je donne maintenant la parole à M. Alain Garrigou.

M. Alain Garrigou, LSTE de Bordeaux 2. - Je vous propose le point de vue de l'ergonomie en général qui s'intéresse aux situations d'activité et d'usage de pesticides. Je suis incapable de dire si ce que j'observe sur le terrain portera atteinte à la santé à l'avenir. Mon travail consiste à montrer si les agriculteurs se contaminent avec les pesticides utilisés et à identifier les déterminants des situations où les personnes sont exposées. Les modèles représentent un état de la connaissance à un instant T. Quelles sont les limites de ces modèles et quel écart existe-t-il entre eux ?

Il existe une sorte de pré-requis affirmant que les agriculteurs ne respectent pas les prescriptions pour leur protection. Les actions longtemps menées par les préventeurs concernent les agriculteurs. Elles ont pour objet de transformer leur représentation des risques et pas forcément de les rendre acteurs du processus de prévention. Notre position consiste à ne pas attendre de savoir si un produit est dangereux ou non mais d'identifier des marques de contamination qui mettent en évidence un risque potentiel. Nous nous intéressons donc, non pas au produit en tant que tel, mais à la situation d'usage du produit et aux fabricants de matériels permettant l'épandage ou la pulvérisation.

L'usage des pesticides en France résulte d'un transfert de technologies entre des milieux pointus de la recherche en chimie. Cependant, ce transfert est mal maîtrisé. En prévention, nous tenterons de décliner différentes formes : la prévention primaire qui consiste à supprimer, à la source, les produits dangereux et la protection collective ou, à défaut, individuelle.

L'homologation fait appel à un certain nombre de modèles européens qui existent depuis la fin des années 1980. Ceux-ci ont été révisés mais, dans leur construction interne, ils soulèvent un certain nombre de questions par rapport à la réalité de terrain. Dans ces modèles, on considère que les combinaisons qui protégeront les opérateurs sont efficaces à 90 % ou 95 %. Par ailleurs, ces modèles sont adaptés à de grandes exploitations agricoles qui disposent d'une organisation, d'un matériel de dernier cri et de surfaces regroupées mais ils ne seront pas pertinents pour des petites exploitations dans les régions de polyculture avec des espaces éclatés sur différents territoires. Il existe aujourd'hui une faiblesse des modèles pour appréhender la réalité des situations des petites exploitations. Dans les modèles, on se focalisera également sur un produit ou un mélange de matières actives. Cependant, dans la réalité, les agriculteurs mélangeront des produits de différentes firmes pour gagner du temps et réduire les coûts de gasoil.

Aujourd'hui, les industriels ne savent filtrer que des grosses particules et ne sont pas capables de fabriquer des systèmes de filtration pour des fines particules ou des aérosols. Or, les techniques de pulvérisation actuelles vont produire des particules et des aérosols qui ont quasiment un comportement physico-chimique de gaz. Un agriculteur qui achètera une cabine avec un système de filtration sera davantage protégé que sans cabine mais sera néanmoins contaminé à terme.

Par ailleurs, la conception des matériels agricoles n'intègre pas les différents éléments (tracteurs, filtration) en amont. Certains systèmes techniques sont donc des aberrations. Pour des matériels dont le coût avoisine 80 000 € ou 100 000 €, des problèmes importants d'accessibilité aux cuves sont constatés. Un des problèmes majeurs identifiés est la contamination cutanée, en particulier celle des cuisses.

Mme Sophie Primas, présidente. - Que pensez-vous des travaux de l'ex-CEMAGREF, l'IRSTEA ?

M. Alain Garrigou, LSTE de Bordeaux 2. - Ce travail est important car il permet de croiser les exigences de l'activité et des fabricants. En région Aquitaine, j'ai essayé de travailler avec un fabricant du Lot-et-Garonne. Cependant, la sécurité des utilisateurs était le dernier de ses soucis. Des marges de progrès très importantes ont donc été identifiées pour la conception du matériel.

M. Gilbert Barbier, sénateur. - Cette démarche s'est-elle généralisée en Europe et aux États-Unis ?

M. Alain Garrigou, LSTE de Bordeaux 2. - Il faudrait examiner l'organisation de la profession des fabricants, ce qui nous amènerait loin. A présent, je souhaiterais revenir sur les combinaisons qui ont été conçues pour l'industrie chimique mais qui ne sont pas adaptées aux matières actives des produits phytosanitaires. Pour la plupart d'entre elles, elles n'ont jamais été testées avec des matières actives de produits phytosanitaires. Or, la relation entre la matière active et la matière de la combinaison est déterminante pour assurer le rôle protecteur d'une combinaison.

Il n'existe pas de combinaison qui protégerait de toutes les matières actives. Il faudrait donc que les firmes qui connaissent leurs matières actives donnent des informations sur la matière de la combinaison susceptible d'assurer cette protection. Or, les notices d'utilisation des produits indiquent seulement que l'agriculteur doit porter l'équipement adapté. Par ailleurs, si l'agriculteur change de matière active, il devrait changer de combinaison. La charge de la connaissance repose donc sur l'agriculteur. En outre, il sera responsable des risques encourus par ses salariés alors qu'il ne dispose pas de tous les éléments pour porter un jugement adéquat.

Les combinaisons de type 3, qui sont protectrices, se révèlent très inconfortables en matière de thermorégulation. Il existe donc un problème majeur de pénibilité physique. La conception du matériel est une véritable urgence. Le législateur devra, par conséquent, allouer des moyens sur ce sujet. A ce jour, il n'existe pas de combinaison qui assure une protection contre toutes les substances. Pour certains produits, il n'existe pas de combinaison efficace du tout. Dans l'alerte que nous avons lancée et qui a été reprise par la direction générale du travail (DGT) et par l'ANSES, le passage du produit au travers de la combinaison était constaté après dix minutes d'usage. Les produits s'accumulent donc à l'intérieur de la combinaison durant la saison.

Mme Sophie Primas, présidente. - Qu'en est-il pour les gants ?

M. Alain Garrigou, LSTE de Bordeaux 2. - Les caractéristiques des gants sont meilleures. Cependant, l'agriculteur contaminera tous les éléments du tracteur (volant, systèmes de commandes), ce qui posera problème lorsqu'il portera des gants par la suite.

Mme Sophie Primas, présidente. - Qu'en est-il des masques incluant des cartouches ?

M. Alain Garrigou, LSTE de Bordeaux 2. - 90 % à 95 % de la contamination est cutanée et non respiratoire. L'équipement à privilégier est donc la combinaison et ensuite le masque, dans certains cas.

On se focalise beaucoup sur les personnes qui réaliseront la préparation de l'épandage. En revanche, toutes les actions de réentrée sont laissées de côté. Pourtant, certains agriculteurs consacreront trois mois à l'effeuillage, notamment un grand nombre de femmes dans la viticulture. Les risques encourus par cette population sont fortement sous-estimés.

Enfin, le taux de rotation dans les ministères est très important. Dans certains endroits, il n'existe plus de personnes informées de l'historique technique des dossiers. De ce fait, dans les réunions des groupes internationaux, la plupart des agences gouvernementales n'ont pas le niveau de connaissances requis pour discuter ou infléchir un certain nombre de décisions. Il faut travailler avec les firmes car c'est, par exemple, lors d'une collaboration avec une firme que l'hypothèse de la perméation est apparue. Il faut naturellement conserver son intégrité mais il faut veiller à ne pas diaboliser les firmes qui ont des années d'avance en termes de connaissances. Un partage responsable d'un certain nombre d'éléments de méthodologie et de questionnements me semble donc important.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie tous vivement pour cette participation à notre table ronde. Si vous avez des éléments complémentaires à nous communiquer, n'hésitez pas à nous faire part de vos contributions écrites que nous serons heureux d'intégrer à nos réflexions.

Audition de M. Stéphane Le Foll, Ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt

Mme Sophie Primas, présidente. - Monsieur le Ministre, permettez-moi au nom de la mission d'information de vous remercier d'avoir accepté de venir devant nous à la suite de notre quatrième table ronde. Cette mission s'est réunie aujourd'hui pour aborder des problèmes pointus de toxicologie et d'épidémiologie sur lesquels nous avons besoin d'un grand nombre de connaissances.

Cette mission d'information a été constituée en février 2012. Elle rendra ses travaux à la fin octobre 2012. Elle a été créée à la demande de Mme Nicole Bonnefoy, sénateur, élue de Charente, alertée par plusieurs agriculteurs victimes de pesticides dont M. Paul François qui est président de l'association Phytovictimes. La mission sénatoriale a orienté ses travaux en direction de la santé des personnes en contact avec les pesticides, à savoir les fabricants ou les utilisateurs, notamment les agriculteurs, les agents des collectivités territoriales, les jardiniers, les riverains, les habitants des collectivités et les familles de ces personnes.

Nous aurons l'occasion de vous entendre sur l'ensemble de ces problématiques. Votre audition s'inscrit à la fin d'une série de près de quatre-vingt-dix auditions au Sénat et en province incluant quatre déplacements en Charente, dans le Lot-et-Garonne, en Bretagne et dans le Rhône. Les journées de visites et d'audition représentent un dialogue avec près de cent-quatre-vingt personnes qui sera retranscrit dans un second tome de comptes rendus. Celui-ci représente d'ores et déjà environ sept cents pages. Nous disposons donc d'un grand nombre d'informations.

Un nombre non négligeable de sénateurs a participé à la quasi-totalité des auditions. Cette mission est assez remarquable de ce point de vue.

Nous avons également auditionné des ministres, vous-même aujourd'hui ainsi que Mme Marisol Touraine, ministre de la santé et des administrations, des agences de recherche, des chercheurs et les principales parties prenantes (industrie chimique, phytosanitaire, industrie du jardin et des plantes, coopératives, négoce, grande distribution, syndicats de salariés, syndicats agricoles, associations de victimes et de riverains). Par ailleurs, nous avons, effectué des visites sur le terrain.

A ce stade de ses travaux, la mission d'information est préoccupée par l'ampleur de l'impact des pesticides sur la santé des agriculteurs et d'autres catégories de la population. L'importance de cet impact ne saurait être minorée et sera à l'origine de la proposition d'un certain nombre de recommandations. Un questionnaire vous a été adressé pour faciliter votre intervention. Nous recevrons avec intérêt des réponses écrites en complément de vos propos liminaires.

Je vous remercie, Monsieur le Ministre, d'avoir accepté ce dialogue avec la mission d'information.

M. Stéphane Le Foll. - Je vous remercie, Madame la Présidente, ainsi que Mesdames et Messieurs les Sénatrices et les Sénateurs. Vous avez indiqué que cette mission a déjà réalisé un long travail d'auditions, de rencontres et de collecte d'informations qui vous permettra de finaliser un rapport sur les pesticides dont l'utilisation en agriculture et dans le jardinage peut avoir des conséquences néfastes voire dangereuses pour la santé humaine.

Le ministre de l'agriculture ne vous communiquera pas des éléments de réponse au rapport que vous rendrez dans quelques mois. Je tente de m'inscrire dans une démarche globale et ne dispose pas d'autant d'éléments que ceux collectés par votre mission. Je suis en train de construire ma propre documentation et analyse car, depuis le 16 mai, des actions ont dû être menées. Par ailleurs, cette question qui est liée à l'actualité, avec notamment les épandages aériens, a surgi brutalement. Je n'ai donc pas pu l'anticiper.

Je me situe dans la perspective du Grenelle avec le plan Ecophyto 2018 qui fixait des objectifs ambitieux, à savoir la diminution de l'utilisation des pesticides à hauteur de 50 %. Ce qui m'importe aujourd'hui, c'est de partir d'un bilan pour envisager l'avenir. Nous avons réussi à diminuer de près de 87 % le recours à des molécules actives jugées dangereuses (cancérogènes, mutagènes, etc...). En revanche, je constate que le recours aux produits phytosanitaires stagne. Nous serons donc dans l'incapacité d'atteindre l'objectif de réduction de 50 % fixé. D'où vient le problème ?

Si je me penche sur les résultats du Grenelle, je note que pour la surface agricole utile (SAU) en agriculture biologique, nous avions fixé un objectif extrêmement ambitieux : 20 % en 2020 et 12 % en 2009. Nous n'avons réussi à atteindre que 3,5 %. On se donne souvent des objectifs ambitieux qui servent beaucoup à la communication mais ceux-ci ne se traduisent pas forcément en actions. J'ai envie de fixer des objectifs moins ambitieux mais d'avoir une action effective. Je souhaite assurer cette transition vers une agriculture à la fois performante économiquement et écologiquement. Des modèles conventionnels ont été mis en oeuvre, il y a trente ou quarante ans. Aujourd'hui, on doit réfléchir à l'évolution de ces modèles.

Après en avoir parlé avec les services, on constate un problème de diffusion avec le plan Ecophyto 2018. Des actions ont été menées sur les mises en marché. Des résultats ont été obtenus pour les réseaux de fermes testés et par la formation des agriculteurs avec Certi-Phyto. Cependant, cela ne concerne pas l'ensemble de la population. Une communication sera donc élaborée et des messages sur les bonnes pratiques seront diffusés.

Comment expliquer les raisons de ce blocage ? Tant que nous ne réfléchirons pas, en premier lieu, à l'évolution des modèles de production, nous pourrons toujours fixer des objectifs et durcir les normes mais nous ne parviendrons pas à lancer la dynamique nécessaire pour réussir. Nous pourrons consentir des efforts et obtenir des résultats positifs, ce qui est le cas pour la fin de l'utilisation d'un certain nombre de molécules dangereuses, mais nous ne parviendrons pas à l'objectif de diminution du recours à ces substances qui posent problème pour l'écologie et la santé humaine. Des maladies ont été identifiées comme étant directement liées au recours à un certain nombre de molécules, notamment la maladie de Parkinson.

Cette mission sénatoriale d'information est importante car elle dressera un bilan, mais pour faire évoluer les choses, une approche beaucoup plus systématique sera nécessaire pour aboutir à des réductions significatives des recours à l'ensemble des produits phytosanitaires.

Vous avez posé un certain nombre de questions techniques sur l'organisation des autorisations. Comme vous le savez, un changement de règlement sur les perturbateurs endocriniens interviendra à la fin 2013. Nous travaillerons sur ce sujet pour anticiper, autant que possible, le retrait des substances dangereuses afin de ne pas faire courir des risques aux utilisateurs.

Dans quelles conditions les pesticides doivent-ils être utilisés ? Celles-ci doivent être indiquées par le fournisseur sur l'emballage. En outre, l'autorisation d'un produit devra également intégrer les conditions de son utilisation.

Des questions d'actualité doivent également être réglées. Les épandages aériens sont en principe interdits. Les dérogations accordées sont liées aux conditions topologiques (difficulté d'accès pour les tracteurs...). Des dérogations spécifiques sont accordées pour certaines matières et sur des surfaces avec des rotations limitées. Comme je l'ai indiqué à France Inter, l'objectif est d'éviter de manière définitive le recours aux épandages aériens. Je pense que l'on peut et que l'on doit trouver des alternatives. Certaines existent déjà et nous en trouverons d'autres.

Entre les décisions prises en 2009 et aujourd'hui, on observe une réduction très nette (-22 %) des surfaces sur lesquelles nous avons eu recours à l'épandage aérien. Nous devons poursuivre cet effort pour ne plus y avoir recours, sauf cas exceptionnel. Nous avons ainsi sollicité les instituts de recherche pour éviter au maximum le recours à ce système d'épandage.

Durant la phase de transition, nous devons gérer de manière plus cohérente les orientations données car j'ai constaté que certains départements signaient des dérogations plus facilement que d'autres. Ces sujets ne peuvent faire l'objet de décisions à géométrie variable car ils engagent la santé. Nous travaillerons donc pour que les dérogations soient plus strictement encadrées afin de réduire davantage les surfaces concernées.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie Monsieur le Ministre pour ces propos liminaires. On perçoit, au travers des auditions menées jusqu'à présent, la nécessité absolue d'une harmonisation européenne notamment pour les autorisations de molécules. Certaines sont autorisées en Europe du Nord et non en Europe du Sud. La France est un pays plus restrictif en matière d'autorisations mais nous sentons le besoin d'une harmonisation européenne pour lutter contre le phénomène des fraudes. Des autorisations différentes entre la France et l'Espagne ou d'autres pays frontaliers créent des problèmes de trafic de pesticides. Comment pouvez-vous vous engager, au niveau européen, pour résoudre ces problèmes ?

M. Stéphane Le Foll. - Concernant l'interdiction du Cruiser OSR sur le colza, certains pays ont pris des décisions avant nous. De nombreux pays examinent la décision prise par la France et hésitent à faire le même choix. Le commissaire a saisi l'EFSA qui rendra un avis en fin d'année. Nous craignons que des recherches supplémentaires soient demandées pour s'assurer que la décision prise par la France a des conséquences sur le retour des abeilles à la ruche, ce qui ne nous aidera pas car nous serons dans un jeu de non-position.

La position que nous retenons contribue à faire évoluer la situation. L'Espagne s'est ainsi excusée de la position un peu radicale prise par rapport à la décision française sur le colza et le Cruiser. A l'échelle de l'Europe, il faut que nous travaillions à l'harmonisation. Les réformes en cours au niveau de l'EFSA, l'harmonisation des règles d'évaluation et les protocoles d'évaluation au niveau scientifique apportent des réponses mais nous avons besoin d'une harmonisation. Le gouvernement français et le ministère de l'agriculture feront tout ce qui sera en leur pouvoir pour y parvenir.

Je ferai tout pour lutter contre les fraudes mais je me heurterai à certaines limites notamment quant aux moyens à déployer. La détermination politique ne manque pas sur ce sujet qui a des implications lourdes en matière de santé. Nous coordonnerons au maximum les moyens de lutte contre les fraudes (Direction générale de l'alimentation). Nous devrons être vigilants sur ce point dans un marché où les marchandises circulent librement. On ne peut, en effet, laisser ces systèmes de contrebande fonctionner sans réagir. Il faudra également poursuivre, à l'échelle de l'Europe, la coordination qui a été lancée au niveau des services pour gérer au mieux ces phénomènes.

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous formulerons probablement une recommandation sur le durcissement des sanctions dans notre rapport. En dépit de l'excellent travail mené par les services de l'État, des trafiquants sont parfois identifiés, arrêtés et condamnés à verser une amende de l'ordre de 2 000 € mais à aucune peine de prison.

M. Stéphane Le Foll. - Je soutiendrai cette proposition.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - La procédure d'AMM des pesticides comporte des points communs avec celle des médicaments. Les industriels réalisent et fournissent eux-mêmes les études qui servent de base à la décision d'autorisation. Des pistes d'amélioration peuvent-elles être envisagées compte tenu des récents scandales en matière d'AMM pour les médicaments ?

M. Stéphane Le Foll. - Les moyens de contrôler ces AMM existent. Comment faire pour que l'information remonte aux autorités, et à l'ANSES en particulier, car ce n'est pas toujours le cas actuellement ? Un rapport de l'ANSES formule des préconisations pour traiter ce point. Je suis d'avis de suivre ces recommandations.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les AMM se basent sur les études des firmes dont une partie est couverte par le secret industriel.

M. Stéphane Le Foll. - Nous aurons peut-être des choix à faire. La substitution des études faites par une entreprise par des études réalisées par une agence publique pose la question des moyens humains et budgétaires.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Ne peut-on demander à l'industrie de financer un fonds ?

M. Stéphane Le Foll. - Il pourrait être envisagé de financer un fonds qui permettrait d'avoir des études contradictoires mais pour ce faire, nous devons considérer que ce qui est proposé n'est pas suffisamment contradictoire. En outre, si des études publiques sur chaque molécule proposée sont nécessaires pour avoir des éléments contradictoires, nous nous heurtons à des difficultés importantes car nous ignorons les délais nécessaires pour le faire et l'organisation à mettre en place pour y parvenir. Nous devons donc améliorer le système au niveau du contrôle a posteriori par l'ANSES.

En outre, pouvons-nous créer, au travers d'un processus nouveau, des procédures plus contradictoires ? Je pense que nous devons suivre cette orientation mais nous devons trouver les outils nécessaires. Des instituts scientifiques pourraient intervenir de manière indépendante. Le financement de ces travaux par les firmes serait ainsi une obligation pour obtenir l'AMM. Il s'agit d'une piste intéressante qu'il faut creuser.

Mme Sophie Primas, présidente. - Le renforcement des moyens de l'ANSES par des moyens issus d'un fonds abondé par les industriels permettrait-il d'obtenir ces analyses contradictoires ? L'ANSES n'a pas, à ce jour, semble-t-il, les moyens de réaliser ces études même si elle dispose d'un comité d'experts indépendants.

M. Stéphane Le Foll. - L'ANSES peut valider ou invalider des études menées mais il est difficile de demander à l'agence de réaliser des études a priori d'évaluation. En effet, celle-ci ne peut être saisie sur chacun des produits. Toutefois, il faut avoir une garantie de contradictoire en permettant à l'ANSES de valider a posteriori les évaluations.

M. Joël Labbé, sénateur. - Nous avons appris précédemment qu'il n'existait pas d'équipement de protection universel. Il faudrait ainsi quasiment prévoir un équipement adapté pour chaque molécule. Nous pourrions exiger des industriels de tester eux-mêmes leurs équipements de protection individuelle et de mettre un produit sur le marché avec l'équipement de protection correspondant. L'ANSES devrait également disposer de moyens pour réaliser une contre-expertise des tests effectués par les firmes.

M. Stéphane Le Foll. - Nous souhaitons aller dans ce sens. Les autorisations ne seront données que si les conditions d'utilisation sont précisées sur les étiquettes des produits.

Mme Bernadette Bourzai, sénateur. - Je suis satisfaite de vos premières déclarations concernant l'orientation de l'agriculture et la diminution des pesticides utilisés mais cela pose la question des alternatives. Où en est-on au niveau de la recherche de méthodes de production et de produits autres pour limiter l'utilisation des pesticides ? On nous a présenté des préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP). Ces méthodes sont employées en Corrèze pour les framboisiers et la truffe. On ne peut également nier l'existence de conditions climatiques qui conduisent à des problèmes pour les cultures qu'il convient de traiter pour ne pas perdre la récolte.

M. Stéphane Le Foll. - Je suppose qu'il doit exister des alternatives aux pesticides avec des matières actives naturelles. Dans son modèle de production, l'agriculteur doit prendre des dispositions qui conduisent à recourir le moins possible aux pesticides. Cependant, comment créer une dynamique chez les agriculteurs qui ne sont pas des militants ? Actuellement, l'agriculteur conventionnel prend un risque en changeant ses méthodes. Il hésite donc à prendre ce risque. Néanmoins, une autre entrée est nécessaire, à savoir la mise en place de nouveaux itinéraires techniques pour assurer, dans le modèle lui-même, la diminution des pesticides. Des techniques sont disponibles (rotation des cultures, variétés intercalaires, renforcement de la matière organique dans les sols...) pour réduire l'utilisation des substances chimiques mais nous ne parvenons pas à les faire admettre car il existe un risque et on ignore qui l'assume.

M. Gilbert Barbier, sénateur. - Je doute que les pouvoirs publics puissent envisager de réaliser des études sur l'efficacité ou la dangerosité des produits. Dans ce domaine, nous aurons toujours un train de retard par rapport à l'industrie. En revanche, il faudrait que l'ensemble des données nécessaires à l'élaboration d'une nouvelle molécule soient mises à la disposition des organismes de contrôle. S'agissant des produits phytosanitaires, nous ne disposons pas d'un système de pharmacovigilance pour les professionnels utilisateurs de ces produits. Qui doit organiser le suivi de ce système de surveillance et d'alerte qui permettra de disposer de données épidémiologiques inexistantes à l'heure actuelle ?

M. Stéphane Le Foll. - Un décret en Conseil d'État est en préparation sur la toxico-vigilance. Nous renforcerons ce processus. Je ne crois pas que la France soit en retard sur ce sujet. Nous organiserons un colloque à Paris, en 2013, pour positionner nos actions et les partager à l'échelle de l'Union européenne. Vous y serez invités pour que nous puissions avancer dans ce domaine. Je pense qu'il est important de renforcer cette veille qui nécessite la mise en place d'un réseau national. En 2013, nous réaliserons un travail de synthèse des actions mises en place à l'échelle européenne qui nous permettra de progresser rapidement.

M. Henri Tandonnet. - Dans vos propos introductifs, vous avez souligné la nécessité de faire évoluer les pratiques. Lors de nos auditions, nous avons ressenti un sentiment d'injustice et de discrimination par rapport à la commercialisation des produits agricoles. En effet, rien ne distingue un produit de France, d'Espagne, du Maroc ou, plus particulièrement, du Lot-et-Garonne, alors que les exigences en matière de produits phytosanitaires sont très différentes.

M. Stéphane Le Foll. - Depuis longtemps, les accords commerciaux favorisent le libre-échange. Quelles sont les contreparties demandées dans ces accords en matière environnementale, sanitaire et sociale lorsque nous ouvrons notre marché ? Jusqu'à présent, nous n'en demandions pas. Il s'agit d'un vrai sujet car le consommateur examine, en premier lieu, le prix et la marque du produit. Tout ramener à l'étiquette devient donc difficile.

Lors des négociations, la Commission européenne doit se donner les moyens de contrôler le respect, par les pays ayant des accords commerciaux avec l'Union européenne, des règles fixées pour les producteurs. Actuellement, elle ne le fait que très peu, ce qui n'est pas acceptable. Le Président de la République a indiqué, lors de la réunion du Conseil, que des clauses de réciprocité seraient intégrées, pour la première fois, dans les accords internationaux. Cependant, nous devons être beaucoup plus vigilants au moment de la négociation. Concernant les conditions d'application des accords, nous devons accorder des moyens supplémentaires à la Commission européenne pour faire respecter les conditions de production.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Comptez-vous faire évoluer le contenu et la durée du Certiphyto ? Est-il envisageable d'ajouter une journée supplémentaire à cette formation de deux jours avec un volet santé plus important ?

M. Stéphane Le Foll. - Je suis favorable à toute action susceptible d'améliorer la formation. Cependant, comment faire pour diffuser ces bonnes pratiques et toucher plus largement les agriculteurs qui ne sont pas militants ? Je veux créer des cadres juridiques nouveaux où l'on pourrait avoir des démarches collectives et mutualiser les risques. Mon souci n'est pas uniquement d'améliorer l'existant mais de lancer une dynamique globale dès à présent.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Dans ce cadre, la formation jouera-t-elle un rôle essentiel ?

M. Stéphane Le Foll. - Les enseignants agricoles devront former les futurs agriculteurs à la bonne utilisation des produits phytosanitaires et aux modèles de production les plus économes en produits phytosanitaires.

Mme Sophie Primas, présidente. - Vous souhaitez toucher le maximum d'agriculteurs pour les faire changer de modèle de production. Je crois que les agriculteurs sont très sensibles à l'argument économique. Un des objectifs de l'agriculture depuis quarante ans est d'augmenter la production. Un institut tel que l'INRA dépense environ 3 % ou 4 % de ses ressources pour la recherche de solutions alternatives. Un rééquilibrage des budgets de l'INRA ne pourrait-il être opéré ?

M. Stéphane Le Foll. - Une mission confiée au conseil général de l'agriculture dans laquelle l'INRA sera intégré va réfléchir à la mise en place un cadre agronomique nouveau.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Les politiques européennes ne consistent-elles pas à donner plus à ceux qui font mieux ?

M. Stéphane Le Foll. - La répartition des aides sera discutée à l'échelle de l'Europe dans le cadre de la nouvelle réforme de la politique agricole commune. Une combinaison doit être possible entre les bonnes pratiques environnementales et économiques. Dans la situation actuelle, nous sommes obligés de maintenir un niveau de production agricole élevé. Il serait, en effet, dangereux de réduire le niveau de production car cela entraînerait des problèmes géopolitiques et de sécurité alimentaire dans des sociétés déjà fragiles.

Nous sommes obligés de penser nos modèles pour les rendre durables, performants économiquement et écologiquement. Des modèles peuvent actuellement combiner ces différents aspects. Il faut donc les promouvoir. Pour parvenir à réduire de 50 % l'utilisation des produits phytosanitaires, il ne suffit pas de lancer un plan Ecophyto 2018 car celui-ci n'a pas fonctionné. Les différentes directives européennes sur l'eau, les sols et les produits phytosanitaires ont conduit à une juxtaposition de normes sans cohérence. C'est la raison pour laquelle nous rencontrons aujourd'hui des blocages.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je pense que le plan Ecophyto a permis une prise de conscience des risques que représentait l'utilisation trop importante de produits phytosanitaires. C'est un problème auquel on se trouve confronté aujourd'hui avec l'omerta des agriculteurs sur leurs propres maladies, omerta qui commence à être levée par des organismes tels que Phyto Victimes, et avec les pressions d'organisations et de mutuelles qui peinent à reconnaître les maladies professionnelles. Dans le cadre de la mission d'information, nous veillerons à ce que les tableaux de reconnaissance professionnelle en matière agricole puissent évoluer rapidement.

M. Stéphane Le Foll. - Je ne nie pas l'effet positif d'Ecophyto mais je constate que nous prenons des décisions mais que nous n'enclenchons pas des dynamiques d'acteurs. Dans les années 1960, l'agriculture a connu un véritable bouleversement car chaque agriculteur était son propre acteur. Nous devons récréer cette dynamique pour l'environnement.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - Je songe à la dynamique des coopératives actuellement ...

M. Stéphane Le Foll. - Pour les produits phytosanitaires, les prestataires de services et de fournitures sont en même temps décisionnaires. Ce point pose effectivement problème et je suppose que vous avez des propositions sur ce sujet. Nous devons également discuter des alternatives pour les prescripteurs et vendeurs de ces produits phytosanitaires.

M. Joël Labbé. - S'agissant du contexte mondial et de la nécessité de maintenir la capacité de production, nous avons nos limites notamment quant-à l'optimisation de l'occupation du sol agricole sur le territoire national et européen. Notre modèle occidental provoque l'accaparement des terres dans les pays du Sud. Il faut donc prendre en compte le contexte mondial qui ne peut pas se résumer à une occidentalisation du monde car l'on court à la catastrophe.

M. Stéphane Le Foll. - Aujourd'hui, l'Europe n'est pas la plus déstabilisante comme cela avait été le cas dans les années 1980. A présent, les Chinois sont ceux qui achètent le plus de terres hors de leur pays. D'importants investisseurs européens achètent des terres en Europe centrale (Ukraine, Russie) mais l'Union européenne n'est plus ce qu'elle a été. Lorsqu'on produisait des excédents dans notre marché, dans les années 1975 à 1980, on demandait des restitutions sur les exportations. Dorénavant, les restitutions ne peuvent plus permettre le développement de notre agriculture. Depuis de nombreuses années, l'Europe s'est laissée emporter par l'idée selon laquelle le commerce permettrait de développer les agricultures des pays en voie de développement. On a également laissé penser que la spécialisation des grandes zones était un choix économiquement performant. L'Union européenne doit donc modifier sa politique de développement en renforçant les investissements dans les infrastructures qui permettent de stocker et de transformer les produits.

Mme Nicole Bonnefoy, rapporteur. - La mission d'information formulera des recommandations et des propositions.

M. Stéphane Le Foll. - Le sujet traité par cette mission est important. Vous avez pu avoir connaissance des orientations que nous mettrons en application. Nous suivrons également certaines de vos recommandations.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie beaucoup, Monsieur le Ministre, pour cette rencontre intéressante.